Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
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Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
Encore un peu de solliloque sur "la Règle du Jeu" (je sais, je vous énerve: je fais comme si Renoir était le perdreau de l'année et qu'il ne s'était rien passé depuis). Mais le film me retient, il n'est pas encore mort.
-Hier j'ai dit que les couples du film n'étaient que les symboles de ce à quoi l'on renonce dans le fascisme.
Mais il y a une exception: un couple vaut vraiment pour lui-même. Celui de Marcel Dalio (le marquis) et Julien Carette (le braconnier, personnage je crois déjà joué par Carette également dans la Marseillaise: il est alors une figure libertaire et positive, qui est libérée par le peuple, échappe aux galères, énonce la vérité de la révolution avant l'ordre révolutionnaire, l'émergence de la conscription, de la guerre faite dans la haine de la guerre, mais ce personnage est rejoué ici sur un mode plus obscur). Le personage du marquis est vraiment subjugué par Carette, on peut parler de coup de foudre, mais c'est un embrasement qui ne dure que 5 répliques. Il délaisse alors complètement Schumacher. C'est un amour consommé, presque heureux: il sont différents complémentaires, étrangers l'un à l'autre tout en étant voisins depuis longtemps, et se comprennent. Cet amour provoque l'épuisement de la gouaille populaire de Carette, qui ne parle plus à la fin du film que pour énoncer brutalement l'enjeu de la collaboration, de la culpabilité ("c'est Schumacher qui a tiré. Mais j'étais d'accord avec lui", ce qui veut dire aussi: "ne me sauvez pas, je n'en ai plus le désir, je sais trop bien que la connaissance de ma faiblesse ne compense déjà plus rien")
Ce couple se subsitue peut-être à un vieux couple sincère qui s'est usé: le marquis déjà avec le garde-chasse Schumacher. A la fin du film, Carette est le deuxième personnage sacrifié, et le marquis reprend Schumacher. Par ailleurs la jalousie de Schumacher pour Carette ne tourne pas à la haine, ils se réconcilient en acceptant tous deux la perte de Lisette. De sucroît le couple Lisette Schumacher est tellement mal assorti que leur mariage a sans doute été arrangé de l'extérieur, par le marquis ou peut-être par Alfred (Renoir, pareillement metteur en scène tant dans le mensonge de l'intrigue que dans la lucidité de la caméra), pour les maintenir tous deux au château, neutraliser en même temps la sexualité des maîtres et celle des domestiques. A proximité de désir du marquis contre et pour eux, au-delà de l'idée de service, une dépendance qui n'exige que l'apathie.
-Impressionnant; la grâce et la rapidité des mouvement de Jean Renoir, pourtant massif, le ton juvénile de sa voix sur un visage hitchcockien. On croit autant en sa naïeveté qu'à la possibiltié qu'il ait pu préméditer et la mort de Jurieux, et l'abandon de la marquise.
-"le film annonce le fascisme". Peut-être plus exactement la collaboration, car le fascisme est déjà là depuis longtemps (15 ans) au moment du film, l'enjeu est soit de garder une chance de l'endiguer (c'est à dire alors, de le réduire à un phénomène national, une altérité sur la nation française, celle d'avant l'affaire Dreyfus, d'où Renoir parle encore: un humanisme du sol assassiné par l'antisémitisme) soit d'être vaincu par lui (ce qui correspond pour Renoir à la découverte de l'impossibilité de poser l'altérité par rapport à la nation, doublement: un racisme d'état est possible, et le film est la prise de conscience du fait que la France n'est pas immunisée par son histoire). Le film montre la violence irrationnelle avec lesquelles les hommes abandonnent leurs raisons sans les remplacer ("à chacun ses raisons" veut dire ici qu'elles sont mortes), mais cet abandon est le même dans le fascisme. Une différence de subjectivités portant des actes proches, différence qui ne crée par de résistance.
-le fascisme est dans le film un oeil en trop, ou un oeil artificiel (les jumelles, les automates anthropomorphes aux visages si fins). L’œil d'une conscience mutilée par ce qui s'adjoint à elle et lui obéit, car il est alors incapable de revenir au regard naturel. A l'inverse la nature est le désir impuissant de modifier un point de vue sur soi qui existe dès l'origine, et ce dans la conscience de cette limite (les lapins du film sont plus prudents et perspicaces, stratégiques dans leurs mouvements, que les chasseurs). Par conséquence le fascisme est peut être aussi: l'idée que l'acquisition d'un nouveau point de vue sur le monde puisse être la compensation d'un renoncement, l'illusion mensongère qu'un regard neuf sur le monde puisse être visé par le désir comme ce qui devrait être échangé contre un manque, peut-être le tort de croire que la possibilité du regard soit au bout plutôt qu'au début du désir.
Erratum: le personnage du braconnier existe dans la Marseillaise, dans laquelle joue aussi Carette, mais il est joué par Edouard Delmont
-Hier j'ai dit que les couples du film n'étaient que les symboles de ce à quoi l'on renonce dans le fascisme.
Mais il y a une exception: un couple vaut vraiment pour lui-même. Celui de Marcel Dalio (le marquis) et Julien Carette (le braconnier, personnage je crois déjà joué par Carette également dans la Marseillaise: il est alors une figure libertaire et positive, qui est libérée par le peuple, échappe aux galères, énonce la vérité de la révolution avant l'ordre révolutionnaire, l'émergence de la conscription, de la guerre faite dans la haine de la guerre, mais ce personnage est rejoué ici sur un mode plus obscur). Le personage du marquis est vraiment subjugué par Carette, on peut parler de coup de foudre, mais c'est un embrasement qui ne dure que 5 répliques. Il délaisse alors complètement Schumacher. C'est un amour consommé, presque heureux: il sont différents complémentaires, étrangers l'un à l'autre tout en étant voisins depuis longtemps, et se comprennent. Cet amour provoque l'épuisement de la gouaille populaire de Carette, qui ne parle plus à la fin du film que pour énoncer brutalement l'enjeu de la collaboration, de la culpabilité ("c'est Schumacher qui a tiré. Mais j'étais d'accord avec lui", ce qui veut dire aussi: "ne me sauvez pas, je n'en ai plus le désir, je sais trop bien que la connaissance de ma faiblesse ne compense déjà plus rien")
Ce couple se subsitue peut-être à un vieux couple sincère qui s'est usé: le marquis déjà avec le garde-chasse Schumacher. A la fin du film, Carette est le deuxième personnage sacrifié, et le marquis reprend Schumacher. Par ailleurs la jalousie de Schumacher pour Carette ne tourne pas à la haine, ils se réconcilient en acceptant tous deux la perte de Lisette. De sucroît le couple Lisette Schumacher est tellement mal assorti que leur mariage a sans doute été arrangé de l'extérieur, par le marquis ou peut-être par Alfred (Renoir, pareillement metteur en scène tant dans le mensonge de l'intrigue que dans la lucidité de la caméra), pour les maintenir tous deux au château, neutraliser en même temps la sexualité des maîtres et celle des domestiques. A proximité de désir du marquis contre et pour eux, au-delà de l'idée de service, une dépendance qui n'exige que l'apathie.
-Impressionnant; la grâce et la rapidité des mouvement de Jean Renoir, pourtant massif, le ton juvénile de sa voix sur un visage hitchcockien. On croit autant en sa naïeveté qu'à la possibiltié qu'il ait pu préméditer et la mort de Jurieux, et l'abandon de la marquise.
-"le film annonce le fascisme". Peut-être plus exactement la collaboration, car le fascisme est déjà là depuis longtemps (15 ans) au moment du film, l'enjeu est soit de garder une chance de l'endiguer (c'est à dire alors, de le réduire à un phénomène national, une altérité sur la nation française, celle d'avant l'affaire Dreyfus, d'où Renoir parle encore: un humanisme du sol assassiné par l'antisémitisme) soit d'être vaincu par lui (ce qui correspond pour Renoir à la découverte de l'impossibilité de poser l'altérité par rapport à la nation, doublement: un racisme d'état est possible, et le film est la prise de conscience du fait que la France n'est pas immunisée par son histoire). Le film montre la violence irrationnelle avec lesquelles les hommes abandonnent leurs raisons sans les remplacer ("à chacun ses raisons" veut dire ici qu'elles sont mortes), mais cet abandon est le même dans le fascisme. Une différence de subjectivités portant des actes proches, différence qui ne crée par de résistance.
-le fascisme est dans le film un oeil en trop, ou un oeil artificiel (les jumelles, les automates anthropomorphes aux visages si fins). L’œil d'une conscience mutilée par ce qui s'adjoint à elle et lui obéit, car il est alors incapable de revenir au regard naturel. A l'inverse la nature est le désir impuissant de modifier un point de vue sur soi qui existe dès l'origine, et ce dans la conscience de cette limite (les lapins du film sont plus prudents et perspicaces, stratégiques dans leurs mouvements, que les chasseurs). Par conséquence le fascisme est peut être aussi: l'idée que l'acquisition d'un nouveau point de vue sur le monde puisse être la compensation d'un renoncement, l'illusion mensongère qu'un regard neuf sur le monde puisse être visé par le désir comme ce qui devrait être échangé contre un manque, peut-être le tort de croire que la possibilité du regard soit au bout plutôt qu'au début du désir.
Erratum: le personnage du braconnier existe dans la Marseillaise, dans laquelle joue aussi Carette, mais il est joué par Edouard Delmont
Dernière édition par Tony le Mort le Mer 8 Aoû 2012 - 18:26, édité 4 fois
Invité- Invité
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
les femmes du bus 678 de Mohamed Diab . c'est un film de 2010 qui vient sur les écrans français après la révolution de papyrus. Tony avait écrit sur un film de Nasrallah de la même année, femmes du Caire (https://spectresducinema.1fr1.net/t950-femmes-du-caire-y-nasrallah).
Rétrospectivement, et dans l'ignorance de ce que le cinéma égyptien pouvait proposer à ce moment là, on peut penser que la question de la femme, des libertés, de la complexité des relations d'alliances et de mariage, traitée ainsi par ces deux films, découvrait des tensions radicales au sein de la société égyptienne. Ils permettent sans doute, modestement, de considérer l'évolution qui a eu lieu, et la rupture qui a suivi, sans que l’événement soit totalement cerné, expliqué, bien sûr. Le prochain film de Nasrallah, reçu avec tiédeur à Cannes je crois, va peut être proposer d'en donner un aperçu.
Pour revenir au film de Mohamed Diab , il part d'un fait de société, les attouchements sexuels dont sont victimes les femmes dans les bus ou dans les stades, avant d'élargir le spectre de son attention sur plusieurs classes sociales, plusieurs visions du monde, sur les réponses de certaines de ces femmes, meurtries, et la réaction judiciaire, morale, qui s'en suit. Le réalisateur a sans doute pensé à M le maudit pour construire un récit qui se densifie au fur à mesure que les cercles, les paraboles , les destinées des personnages se croisent.
Rétrospectivement, et dans l'ignorance de ce que le cinéma égyptien pouvait proposer à ce moment là, on peut penser que la question de la femme, des libertés, de la complexité des relations d'alliances et de mariage, traitée ainsi par ces deux films, découvrait des tensions radicales au sein de la société égyptienne. Ils permettent sans doute, modestement, de considérer l'évolution qui a eu lieu, et la rupture qui a suivi, sans que l’événement soit totalement cerné, expliqué, bien sûr. Le prochain film de Nasrallah, reçu avec tiédeur à Cannes je crois, va peut être proposer d'en donner un aperçu.
Pour revenir au film de Mohamed Diab , il part d'un fait de société, les attouchements sexuels dont sont victimes les femmes dans les bus ou dans les stades, avant d'élargir le spectre de son attention sur plusieurs classes sociales, plusieurs visions du monde, sur les réponses de certaines de ces femmes, meurtries, et la réaction judiciaire, morale, qui s'en suit. Le réalisateur a sans doute pensé à M le maudit pour construire un récit qui se densifie au fur à mesure que les cercles, les paraboles , les destinées des personnages se croisent.
Invité- Invité
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
Tu me fais penser:
Il y a un article intéressant de Daney que j'ai lu récemment, à propos de l’Homme de Marbre de Wajda, où il compare et oppose les fictions de gauche d'Europe de l'Ouest à la "Z" aux films du "dégel" des pays de l'Est tournés dans la période 1970-1989.
Il dit: les premières sont tournées pour un public qui n'en sait pas assez (par un réalisateur qui est en position de maîtrise sur les enjeux du film, qui seul fixe le seuil qui sépare l'innocence publique de la veulerie collective) , les seconds pour un public qui en sait trop (qui avec le temps s'est trouvé forcément impliqué plus ou moins directement et volontairement dans la connivence avec le régime, qui se méfie du cinéma, habitué à considérer l'enthousiasme des réalisateurs comme un signe de mensonge. Donc le réalisateur se justifie individuellement en même temps qu'il figure une révolution. Finalement pour Daney qui aime ce type de paradoxe: il se justifie en disparaissant).
Impossible de dire où un film comme "Femmes du Caïre", pourtant pas si loin à la fois de Costa-Gravas et Wajda, se situait par rapport à cette distinction.
C'est peut-être lié au fait qu'il résume la société non depuis la position du cinéma, mais depuis celle de la télé: il accorde un hors-champs impossible à la télé qui fait exister l'histoire des personnages de talk-show avant leur récit. Une possibilité fictive de montrer le réel qui est l'idée que la télé est elle-même traumatisée stérilisée, violée conjugalement par le régime, tout en étant l'image du régime lui-même (au même titre que la femme d’apparatchik du film) et se mette à dire soudainement la vérité qu'elle ressent avant tout comme un affect.
Mais bien sûr le fait que cela soit quand-même du cinéma (très classique) et pas de la télé est le recul du réalisateur sur cet affect, qui est un recul sur l'image elle-même, "Femme du Caïre" ne donne pas une image de la révolution, mais une image des explications de la révolution. Il était la mise en scène de l'image qui dit la vérité plutôt que celle de la vérité elle-même: une liberté qui en permet pas l'absence par rapport aux médias. Singulièrement, le film ne montrait pas Internet du tout, la télé figure l’espace public (il est vrai qu'il a été fait quand Moubarak était encore en place). Mais d'un autre côté, dans cette distance et détachement possible, on comprenait pourquoi la présentatrice se mettait à ne plus mentir: elle était elle-même parmi les plus violemment malmenées par le régime dont elle était le symbole et la voix (Daney remarque: chez Costa-Gravas, chez Cayate, au contraire on ne comprend pas pourquoi un tye qui jusqu'ici vivait dans le système se met tout à coup à le devenir un héros pour le démonter et l'anéantir victorieusement, où plutôt si: la bourgeoisie est censée être forcément désintéressée, ce qui lui permet de terminer les révolutions).
C'est peut-être une spécificité de l'Egypte de Moubarak ou de la Tunisie de Ben Ali par rapport à la Russie de Brejnev ou la Russie de Ceaucescu: cette séparation de la voix et du symbole du pouvoir (portés par des femmes) par rapport au pouvoir lui-même: ils en étaient l'enjeu plutôt que l'instrument.
(pardon pour faire ce que Daney appelle ailleurs de "la prévision du passé" ou bien une cynique typologie des aliénations dont je n'ai pas souffert pas et des révolutions auxquelles je n'ai pas participé)
Il y a un article intéressant de Daney que j'ai lu récemment, à propos de l’Homme de Marbre de Wajda, où il compare et oppose les fictions de gauche d'Europe de l'Ouest à la "Z" aux films du "dégel" des pays de l'Est tournés dans la période 1970-1989.
Il dit: les premières sont tournées pour un public qui n'en sait pas assez (par un réalisateur qui est en position de maîtrise sur les enjeux du film, qui seul fixe le seuil qui sépare l'innocence publique de la veulerie collective) , les seconds pour un public qui en sait trop (qui avec le temps s'est trouvé forcément impliqué plus ou moins directement et volontairement dans la connivence avec le régime, qui se méfie du cinéma, habitué à considérer l'enthousiasme des réalisateurs comme un signe de mensonge. Donc le réalisateur se justifie individuellement en même temps qu'il figure une révolution. Finalement pour Daney qui aime ce type de paradoxe: il se justifie en disparaissant).
Impossible de dire où un film comme "Femmes du Caïre", pourtant pas si loin à la fois de Costa-Gravas et Wajda, se situait par rapport à cette distinction.
C'est peut-être lié au fait qu'il résume la société non depuis la position du cinéma, mais depuis celle de la télé: il accorde un hors-champs impossible à la télé qui fait exister l'histoire des personnages de talk-show avant leur récit. Une possibilité fictive de montrer le réel qui est l'idée que la télé est elle-même traumatisée stérilisée, violée conjugalement par le régime, tout en étant l'image du régime lui-même (au même titre que la femme d’apparatchik du film) et se mette à dire soudainement la vérité qu'elle ressent avant tout comme un affect.
Mais bien sûr le fait que cela soit quand-même du cinéma (très classique) et pas de la télé est le recul du réalisateur sur cet affect, qui est un recul sur l'image elle-même, "Femme du Caïre" ne donne pas une image de la révolution, mais une image des explications de la révolution. Il était la mise en scène de l'image qui dit la vérité plutôt que celle de la vérité elle-même: une liberté qui en permet pas l'absence par rapport aux médias. Singulièrement, le film ne montrait pas Internet du tout, la télé figure l’espace public (il est vrai qu'il a été fait quand Moubarak était encore en place). Mais d'un autre côté, dans cette distance et détachement possible, on comprenait pourquoi la présentatrice se mettait à ne plus mentir: elle était elle-même parmi les plus violemment malmenées par le régime dont elle était le symbole et la voix (Daney remarque: chez Costa-Gravas, chez Cayate, au contraire on ne comprend pas pourquoi un tye qui jusqu'ici vivait dans le système se met tout à coup à le devenir un héros pour le démonter et l'anéantir victorieusement, où plutôt si: la bourgeoisie est censée être forcément désintéressée, ce qui lui permet de terminer les révolutions).
C'est peut-être une spécificité de l'Egypte de Moubarak ou de la Tunisie de Ben Ali par rapport à la Russie de Brejnev ou la Russie de Ceaucescu: cette séparation de la voix et du symbole du pouvoir (portés par des femmes) par rapport au pouvoir lui-même: ils en étaient l'enjeu plutôt que l'instrument.
(pardon pour faire ce que Daney appelle ailleurs de "la prévision du passé" ou bien une cynique typologie des aliénations dont je n'ai pas souffert pas et des révolutions auxquelles je n'ai pas participé)
Invité- Invité
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
Experiment in Terror de Blake Edwards (62)
Invité- Invité
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
une science des prémonitions terrifiante, en effet !
Invité- Invité
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
j'ai vu La comtesss de Hong Kong le dernier Chaplin. Je crois qu'il ne fait pas vraiment un film de son époque mais un film au charme suranné et drôle qui repose sur les fausses valeurs d'un homme soit disant puissant ( Brando ) qui seront mises à mal par une femme de peu mais de coeur ( Sophia Lorren ). C'est du bon burlesque, une comédie du dé-mariage qui se termine, pour un homme que l'on disait misanthrope par un scène de bal et de danse entre les deux protagonistes absolument convaincante.
Je ne l'avait jamais vu et j'ai pris à la mise en scène et l'interprétation au cordeau beaucoup de plaisir.
Je ne l'avait jamais vu et j'ai pris à la mise en scène et l'interprétation au cordeau beaucoup de plaisir.
Invité- Invité
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
Vite dit, pour cause de nonchalance caniculaire. Vu deux choses dont on a pas mal parlé de ci de là, mais ne vois pas trop ce que je pourrais en dire:
- Shame (SMQ): je n'ai pas réussi à m'intéresser une minute à cette histoire de yuppie sexuellement addicted (ce qui cache et dévoile en même temps une difficulté à aimer, bon dieu que c'est riche comme thématique). Franchement, l'addiction sexuelle (dont SMQ explique sur le bonus, dans un entretien à une chaine néerlandaise, que c'est un fléau fort préoccupant de notre société contemporaine), ça m'en touche une sans faire bouger l'autre. Que voulez-vous, me sens pas concerné. Non, n'insistez pas, je ne vous raconterai pas ma vie trépidante de fuckin'monk.
Ma perception n'est cependant pas sans taches: je me suis simplement endormi pendant la chanson New-York New York. Paraît que quelque chose d'émotionnellement fort s'est passé à ce moment-là.
Pour le reste, ça me paraît aussi formellement appliqué, vide, des trucs de "mise en scène" et de "style" sans portée, que Hunger, que j'ai pas trouvé bon du tout. Quand bien même Eyquem fut à deux doigts de me convaincre, de me donner la foi, avec sa stimulante histoire de "corps glorieux". Oui. Oui. Oh pis non, tiens. lol. J'essaierai d'expliquer pq un jour plus frais.
- Schizophrénia (GK):
le nombre de gus qui se tirlipotent le zgeg sur ce machin minuscule qu'on redécouvre 30 ans après et qu'on auréole des titres publicitaires d’œuvre maudite, radicale, malsaine, tétanisante, traumatisante, etc, etc. Franchement, faut pas déconner. C'est d'un kitsch, d'un risible. Bon, on sent une prétention "arty" dans ce qui aurait pu être un épisode de la série Derrick, là-encore, en plus trash-glauque (quoique, les Derrick, je connais bien, c'est bien plus trash-glauque qu'on le prétend). Y a tout ce côté expérimental, si on veut, cet exploit esthético-technique des prises de vue faites à partir de miroirs fixés à la caméra. L'image est belle, le chef op polonais est un mec très intéressant, à l'écouter sur le bonus. Kargl a l'air également d'un bon gars, qui s'est endetté jusqu'au cou pour concrétiser son désir de cinéma "total" ou "radical".
(Gaspar Noé, comme dab, grand admirateur de daubasses inspirant ses propres daubasses, semble se faire pipi dessus comme un môme de 6 ans avec des propos d'une rare puissance spéculative, genre: "Karl et Zbig ont pas fait d'autres films ensemble, mais en tout cas, s'ils en avaient fait d'autres, eh bien j'aurais été très heureux de les voir".)
Mais à l'arrivée, faut bien oser le dire, ça casse pas trois pattes à un canard. Y a des tas de "connaisseurs" qui nous confessent que ce machin les a traumatisé à vie et les hante à jamais. On me fera pas croire ça. Henry, quoi qu'on en dise, c'était bien plus oppressant. Aucun rapport avec Funny games non plus, auquel on n'arrête pas de le comparer.
Lâchons le mot: c'est ennuyeux comme la pluie. Avec ses gros plans éculés de visages convulsifs et sa fausse-bonne idée prototypale du monologue en voix off du psychopathe (qui déploie toute la batterie convenue du fou en transe, grosse dépense physique de sa personne, sueur et tout le truc). Soi disant: oh mon dieu, on rentre vraiment à cause de ça à l'intérieur de la tête du mec, on avait jamais fait ça. Tu parles, on n'arrête pas de faire ça, et c'est un dispositif parmi les plus convenus et neuneus. Les pensées du mec, que voilà une plongée hallucinante dans l'esprit d'un "fou": "oh je vais les tuer, je suis tout excité, ma grand-mère n'était pas gentille quand j'étais petit, ah lui je vais l'étrangler, puis je m'occupe de la fille, je vais lui faire très peur, je vais leur faire très peur à tous, blablabla". Ri-di-cule. Faudrait expliquer, un jour, à tous ces impressionnables à la noix, que les "pensées" d'un psychopathe, c'est aussi banal et inintéressant que les "pensées" de n'importe quel non-psychopathe, qu'il n'y a aucun mystère fascinant dans ce qu'on nomme la "folie", aucune traversée du miroir, aucune "exploration de la face cachée, du monstre qui est en nous" etc. Les films vraiment effrayants, glaçants, sont précisément ceux qui parviennent à nous faire saisir l'absence de ces prétendues sources de fascination.
- Shame (SMQ): je n'ai pas réussi à m'intéresser une minute à cette histoire de yuppie sexuellement addicted (ce qui cache et dévoile en même temps une difficulté à aimer, bon dieu que c'est riche comme thématique). Franchement, l'addiction sexuelle (dont SMQ explique sur le bonus, dans un entretien à une chaine néerlandaise, que c'est un fléau fort préoccupant de notre société contemporaine), ça m'en touche une sans faire bouger l'autre. Que voulez-vous, me sens pas concerné. Non, n'insistez pas, je ne vous raconterai pas ma vie trépidante de fuckin'monk.
Ma perception n'est cependant pas sans taches: je me suis simplement endormi pendant la chanson New-York New York. Paraît que quelque chose d'émotionnellement fort s'est passé à ce moment-là.
Pour le reste, ça me paraît aussi formellement appliqué, vide, des trucs de "mise en scène" et de "style" sans portée, que Hunger, que j'ai pas trouvé bon du tout. Quand bien même Eyquem fut à deux doigts de me convaincre, de me donner la foi, avec sa stimulante histoire de "corps glorieux". Oui. Oui. Oh pis non, tiens. lol. J'essaierai d'expliquer pq un jour plus frais.
- Schizophrénia (GK):
le nombre de gus qui se tirlipotent le zgeg sur ce machin minuscule qu'on redécouvre 30 ans après et qu'on auréole des titres publicitaires d’œuvre maudite, radicale, malsaine, tétanisante, traumatisante, etc, etc. Franchement, faut pas déconner. C'est d'un kitsch, d'un risible. Bon, on sent une prétention "arty" dans ce qui aurait pu être un épisode de la série Derrick, là-encore, en plus trash-glauque (quoique, les Derrick, je connais bien, c'est bien plus trash-glauque qu'on le prétend). Y a tout ce côté expérimental, si on veut, cet exploit esthético-technique des prises de vue faites à partir de miroirs fixés à la caméra. L'image est belle, le chef op polonais est un mec très intéressant, à l'écouter sur le bonus. Kargl a l'air également d'un bon gars, qui s'est endetté jusqu'au cou pour concrétiser son désir de cinéma "total" ou "radical".
(Gaspar Noé, comme dab, grand admirateur de daubasses inspirant ses propres daubasses, semble se faire pipi dessus comme un môme de 6 ans avec des propos d'une rare puissance spéculative, genre: "Karl et Zbig ont pas fait d'autres films ensemble, mais en tout cas, s'ils en avaient fait d'autres, eh bien j'aurais été très heureux de les voir".)
Mais à l'arrivée, faut bien oser le dire, ça casse pas trois pattes à un canard. Y a des tas de "connaisseurs" qui nous confessent que ce machin les a traumatisé à vie et les hante à jamais. On me fera pas croire ça. Henry, quoi qu'on en dise, c'était bien plus oppressant. Aucun rapport avec Funny games non plus, auquel on n'arrête pas de le comparer.
Lâchons le mot: c'est ennuyeux comme la pluie. Avec ses gros plans éculés de visages convulsifs et sa fausse-bonne idée prototypale du monologue en voix off du psychopathe (qui déploie toute la batterie convenue du fou en transe, grosse dépense physique de sa personne, sueur et tout le truc). Soi disant: oh mon dieu, on rentre vraiment à cause de ça à l'intérieur de la tête du mec, on avait jamais fait ça. Tu parles, on n'arrête pas de faire ça, et c'est un dispositif parmi les plus convenus et neuneus. Les pensées du mec, que voilà une plongée hallucinante dans l'esprit d'un "fou": "oh je vais les tuer, je suis tout excité, ma grand-mère n'était pas gentille quand j'étais petit, ah lui je vais l'étrangler, puis je m'occupe de la fille, je vais lui faire très peur, je vais leur faire très peur à tous, blablabla". Ri-di-cule. Faudrait expliquer, un jour, à tous ces impressionnables à la noix, que les "pensées" d'un psychopathe, c'est aussi banal et inintéressant que les "pensées" de n'importe quel non-psychopathe, qu'il n'y a aucun mystère fascinant dans ce qu'on nomme la "folie", aucune traversée du miroir, aucune "exploration de la face cachée, du monstre qui est en nous" etc. Les films vraiment effrayants, glaçants, sont précisément ceux qui parviennent à nous faire saisir l'absence de ces prétendues sources de fascination.
Dernière édition par Baudouin II de Barvaux le Sam 18 Aoû 2012 - 19:31, édité 7 fois
Invité- Invité
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
On dit "trash" Jerzy, et pas "trasch" (peut-être qu'Heidegger l'aurait écrit comme cela mais ce concept lui faisait défaut, il préférait l' "abîme dans le quotidien, qui n'est pas le sens du quotidien lui-même")
Invité- Invité
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
Merci Tony. J'aime être corrigé autant que je corrige, je dis ça sans la moindre ironie. Je vais donc rééditer.
Invité- Invité
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
Le Voyage à Cythère d'Angelopoulos, 1984
Premier film d'Angepoulos que je vois. Essayé de voir la Reconstitution que j'ai abandonné, non pas que cela soit mauvais (au contraire, c'est meilleur), mais je ne me sentais pas dans l'état d'esprit pour le voir ( j'avais vraiment l'impression de revoir un film de Pintilié avec le même titre, un peu le même thème, et la même lumière, étrange, comme s'il existait un style délimité et instinctif du cinéma politique critique en dictature, qui ressort avec le recul historique. J'attends d'être mieux disposé pour comprendre la singularité des deux films).
2h20
Un ancien combattant et proscrit politique de la guerre civile grecque revient en bateau d'URSS, après 32 ans.
Son fils, cinéaste embourgeoisé (robe de chambre, villa d’intello qui a réussi et peut se ménager une intimité dans la visibilité sociale, domestique, femme jeune, jolie et muette, Citroën CX, son fils a le nom du grand-père; Spyros), et sa soeur, célibataire efficace mais un peu aigre, l'attendent, le mènent chez leur mère, qui vit dans un quartier plus pauvre d’Athènes.
En fait la scène inaugurale du film est centrée sur le fils (troisième niveau d'incise c’est la seconde scène en vérité, car la première montre la formation de l’univers) : pendant la seconde guerre mondiale, celui-ci taquine un soldat allemand dans un village et se cache. La scène est filmée de haut, d’un point de vue qui peut être à la fois celui du père qui serait complice de l’acte de résistance (et de jeu) du fils et celui d’un refuge. C’est le fils qui inaugure l’histoire dont le père est l’explication (peut-être que c'est pour cela que Godard aime bien certains films d'Angelopolos, un récit politique du XXème siècle raconté dans une forme homérique, cela le rejoint partiellement, tout comme la lumière du film est très proche de celle des Godard des années 1980.)
On passe ensuite de 1943 à 1984 et le père revient. La mère n'a vécu que pour l'attendre. Il boycotte la fête d’anciens compagnons de lutte organisée chez la mère.
Ainsi même de retour d'exil, le père continue à rechercher une solitude un peu mystérieuse. Il passe la nuit à l'hôtel.
La famille organise ensuite un pèlerinage vers le village natal, dans les montagnes. Superbe ciel pluvieux, le trajet la route est filmé de manière complète, depuis une station Mobil hyper moderne jusqu'aux chemins de rocaille vers le village.
Le village est en train d'être abandonné, mais les souvenirs et clivages de la guerres sont encore vivants, et le père n'est pas forcément le bienvenu. Par coïncidence (le récit est une fable) au même moment, un promoteur immobilier qui veut transformer le village en station de ski convoque une sorte de vote collectif dans la montagne. Les modalités du vote et le ton hautain du promoteur font penser à une rafle, le discours du promoteur explique aux villageois qu'ils sont contraints à la prospérité comme on dirait qu'ils sont contraints à mourir.
Le vieux est le seul à ne pas voter la vente de son terrain, et fait capoter le projet.
Il se met alors à dos le reste du village, et comprend que sa lutte est un baroud d’honneur pour protéger une culture qui est déjà morte. Il fugue, revient. La police ou l’armée s’en mêle. Il est (plus ou moins) arrêté. Son fils le suit à Athènes, fait l’amour avec sa maîtresse dans un théâtre. Lit un scénario de film qui correspond au film lui-même, puis s’arrête dans la nuit dans un faubourg, à mi-chemin de la traversée d’un grand boulevard sous la pluie. Enorme travelling arrière, le fils n’est nulle part (on ne le revoit d’ailleurs plus avec sa propre famille de tout le film).
Une bonne heure passe.
Un général de police, à la fois martial et hésitant, essaye d’expulser le père du territoire car il fout la merde à se comporter à la fois en Bartleby et en Gramsci, « et d’ailleurs il est apatride, il n’est officiellement même pas là et on n'est pas sûr qu'il soi celui qu'il est ». Une première tentative de le remettre sur un bateau russe déjà en mer échoue (par parlophone, dans un dialogue en anglais avec la police, le capitaine russe veut s’assurer qu’il est volontaire). La police, le père, le fils et la sœur attendent la nuit dans le port, où en même temps se prépare une fête des dockers. Soit un évènement réellement populaire et lié symboliquement à une revendication de classe. Il y a une opposition muette, mais qui n’éclate pas vraiment, entre les dockers et les policiers qui ont installé leur QG dans la cafèteria du port où se tient la fête, comme si les policiers mimaient une surveillance fatiguée des dockers.
Un clown en costume noir vraiment flippant et muet fait quelques sketchs.
Les préparatifs de la fête sont spectraux (le style du film : une sorte de réalisme magique post-politique et spectral, qui fait penser un peu à André Delvaux). Finalement la police abandonne le père sur un ponton mobile qui dérive sous la pluie. La fête des dockers, nocturne, lui est dédiée, la mère intervient au micro pour dire qu’elle veut le rejoindre sur le ponton. La police vient, prend la mère qui n’oppose aucune résistance. Le fils regarde, pose une ou deux question, dit mollement que c’est dégueulasse...
A la fin, le couple du père et de la mère est filmé en travelling arrière sur le minuscule ponton perdu au milieu de la mer, façon Solaris.
On ne sait pas si c’est l’image d’une mort ni la mort réellle elle-même, ni qui a souhaité cette mort.
----------------------------------------
La soeur et la maîtresse disent la même phrase: "Parfois je constate avec effroi mais avec une forme de réconfort que je ne crois plus en rien. Alors je reviens au corps, qui est la seule chose qui me prouve que je suis en vie".
Cela élucide leur position de filles non-communistes de communistes défaits
Très fort, mais moraliste: la neutralisation du pêché est posée par ceux qui ont d'abord subi la neutralisation du politique.
La notion sur laquelle se joue la séparation entre la saisie réaliste d'une défaite politique collective et la fiction sur une filiation individuelle fantasmée: celle de chute.
Les policiers, les militaires de l'immédiat après dictature sont médiocres, mais sans aucune notion de irréparable moral. Ils seraient prêt à ne pas tuer, si on ne le leur demandait pas. Mais les fils de leur victime assument seuls le fantasme et le poids de la chute, de la mort et de la flétrissure définitive.
-----------------------------------------
Le vrai sujet du film n'est pas la filiation, mais l'état, en tant qu'il est incapable d'assumer un rapport que, du fait de la dictature, on lui demande d'assumer à la place du père: celui de la reconnaissance, de la parole qui légitime un récit historique et familial.
Un point de clivage entre un espoir de retour du politique ou la résignation à sa mort: attendre toujours cette parole, ou comprendre que l'état est structurellement incapable de l'énoncer.
Les pères ne peuvent pas donner cette reconnaissance aux fils, car dans la dictature des colonels, c'était précisément la mémoire de leur existence qu'il s'agîssait d'évincer.
--------------------------------------------------------
Pourquoi ce raccourcis liant le corps au pêché? Il pourrait être abusif, mais Angelopoulos filme deux fois l'acte sexuel, avec un certain dégoût et de manière caricaturale.
La première fois quand le cinéaste (clone de Mastroianni dans la Notte) fait l'amour avec sa maitresse, tout habillé, sur le sol du poulailler d'un théâtre. Les lumières s'éteignent: l'intimité se confond avec un néant: elle est le manque d'où le personnage du cinéaste contemporain provient (le film montre une seule fois son fils, au début).
La deuxième, pendant la fête des dockers: il ouvre la porte d'une arrière-salle: et voit un couple baisant, l'homme déculotté. Le mouvement des fesses ne colle pas, c'est la simulation d'une idée morale sur le sexe. ll s'agît peut-être de la soeur du cinéaste, qui aura peu après la phrase sur le fait de s'abîmer dans le corps qui vaut comme consolation d'un idéal perdu. Le cinéaste renferme la porte, lentement, mais d'un air très morose; l'air de dire: "il ne manquait plus que cela"....
----------------------------------------------------------------------------------------------
La chute. Beau plan, un peu trop métaphorique mais clair. Quand le père débarque au Pirée, un plan sur la passerelle électrique du bateau russe (un beau et moderne cargo blanc). La caméra accompagne lentement le mouvemet de descente de la passerelle
Puis dès que la passerelle est posée sur le dock, on voit les pieds du père, qui sautent sur le sol.
Mais la caméra continue son mouvement vers le bas, et ne s'arrête pas au pieds, qui disparaissent, et on trouve un reflet dans une flaque qui renvoie l'image de la tête du père, brouillée.
Ce mouvement place la recherche d'une sorte de sol historique pour la Grèce moderne du côté de la fiction et du symbole. Le réel c'est l'attente de ce sol non encore construit: il ne pourrait être donné que par un jugement du régime des colonels qui n'est jamais venu. En fait le film anticipe de manière cohérente un discours politique cohérent sur la mémoire propre aux années 1990-2009
------------------------------------------------------------------------------------------
1966-1972
Trois films très proches dans leur rapport à l'état, la politique (le lien parti-police-armée), la relativité de la taille de la communauté (qui s'appele violence), et la violence de la séduction sexuelle qui est partiellement opposable à celle de l'état: "la Pendaison" d' Oshima et "la Reconstitution" de Pintilié er Angelopoulos
Premier film d'Angepoulos que je vois. Essayé de voir la Reconstitution que j'ai abandonné, non pas que cela soit mauvais (au contraire, c'est meilleur), mais je ne me sentais pas dans l'état d'esprit pour le voir ( j'avais vraiment l'impression de revoir un film de Pintilié avec le même titre, un peu le même thème, et la même lumière, étrange, comme s'il existait un style délimité et instinctif du cinéma politique critique en dictature, qui ressort avec le recul historique. J'attends d'être mieux disposé pour comprendre la singularité des deux films).
2h20
Un ancien combattant et proscrit politique de la guerre civile grecque revient en bateau d'URSS, après 32 ans.
Son fils, cinéaste embourgeoisé (robe de chambre, villa d’intello qui a réussi et peut se ménager une intimité dans la visibilité sociale, domestique, femme jeune, jolie et muette, Citroën CX, son fils a le nom du grand-père; Spyros), et sa soeur, célibataire efficace mais un peu aigre, l'attendent, le mènent chez leur mère, qui vit dans un quartier plus pauvre d’Athènes.
En fait la scène inaugurale du film est centrée sur le fils (troisième niveau d'incise c’est la seconde scène en vérité, car la première montre la formation de l’univers) : pendant la seconde guerre mondiale, celui-ci taquine un soldat allemand dans un village et se cache. La scène est filmée de haut, d’un point de vue qui peut être à la fois celui du père qui serait complice de l’acte de résistance (et de jeu) du fils et celui d’un refuge. C’est le fils qui inaugure l’histoire dont le père est l’explication (peut-être que c'est pour cela que Godard aime bien certains films d'Angelopolos, un récit politique du XXème siècle raconté dans une forme homérique, cela le rejoint partiellement, tout comme la lumière du film est très proche de celle des Godard des années 1980.)
On passe ensuite de 1943 à 1984 et le père revient. La mère n'a vécu que pour l'attendre. Il boycotte la fête d’anciens compagnons de lutte organisée chez la mère.
Ainsi même de retour d'exil, le père continue à rechercher une solitude un peu mystérieuse. Il passe la nuit à l'hôtel.
La famille organise ensuite un pèlerinage vers le village natal, dans les montagnes. Superbe ciel pluvieux, le trajet la route est filmé de manière complète, depuis une station Mobil hyper moderne jusqu'aux chemins de rocaille vers le village.
Le village est en train d'être abandonné, mais les souvenirs et clivages de la guerres sont encore vivants, et le père n'est pas forcément le bienvenu. Par coïncidence (le récit est une fable) au même moment, un promoteur immobilier qui veut transformer le village en station de ski convoque une sorte de vote collectif dans la montagne. Les modalités du vote et le ton hautain du promoteur font penser à une rafle, le discours du promoteur explique aux villageois qu'ils sont contraints à la prospérité comme on dirait qu'ils sont contraints à mourir.
Le vieux est le seul à ne pas voter la vente de son terrain, et fait capoter le projet.
Il se met alors à dos le reste du village, et comprend que sa lutte est un baroud d’honneur pour protéger une culture qui est déjà morte. Il fugue, revient. La police ou l’armée s’en mêle. Il est (plus ou moins) arrêté. Son fils le suit à Athènes, fait l’amour avec sa maîtresse dans un théâtre. Lit un scénario de film qui correspond au film lui-même, puis s’arrête dans la nuit dans un faubourg, à mi-chemin de la traversée d’un grand boulevard sous la pluie. Enorme travelling arrière, le fils n’est nulle part (on ne le revoit d’ailleurs plus avec sa propre famille de tout le film).
Une bonne heure passe.
Un général de police, à la fois martial et hésitant, essaye d’expulser le père du territoire car il fout la merde à se comporter à la fois en Bartleby et en Gramsci, « et d’ailleurs il est apatride, il n’est officiellement même pas là et on n'est pas sûr qu'il soi celui qu'il est ». Une première tentative de le remettre sur un bateau russe déjà en mer échoue (par parlophone, dans un dialogue en anglais avec la police, le capitaine russe veut s’assurer qu’il est volontaire). La police, le père, le fils et la sœur attendent la nuit dans le port, où en même temps se prépare une fête des dockers. Soit un évènement réellement populaire et lié symboliquement à une revendication de classe. Il y a une opposition muette, mais qui n’éclate pas vraiment, entre les dockers et les policiers qui ont installé leur QG dans la cafèteria du port où se tient la fête, comme si les policiers mimaient une surveillance fatiguée des dockers.
Un clown en costume noir vraiment flippant et muet fait quelques sketchs.
Les préparatifs de la fête sont spectraux (le style du film : une sorte de réalisme magique post-politique et spectral, qui fait penser un peu à André Delvaux). Finalement la police abandonne le père sur un ponton mobile qui dérive sous la pluie. La fête des dockers, nocturne, lui est dédiée, la mère intervient au micro pour dire qu’elle veut le rejoindre sur le ponton. La police vient, prend la mère qui n’oppose aucune résistance. Le fils regarde, pose une ou deux question, dit mollement que c’est dégueulasse...
A la fin, le couple du père et de la mère est filmé en travelling arrière sur le minuscule ponton perdu au milieu de la mer, façon Solaris.
On ne sait pas si c’est l’image d’une mort ni la mort réellle elle-même, ni qui a souhaité cette mort.
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La soeur et la maîtresse disent la même phrase: "Parfois je constate avec effroi mais avec une forme de réconfort que je ne crois plus en rien. Alors je reviens au corps, qui est la seule chose qui me prouve que je suis en vie".
Cela élucide leur position de filles non-communistes de communistes défaits
Très fort, mais moraliste: la neutralisation du pêché est posée par ceux qui ont d'abord subi la neutralisation du politique.
La notion sur laquelle se joue la séparation entre la saisie réaliste d'une défaite politique collective et la fiction sur une filiation individuelle fantasmée: celle de chute.
Les policiers, les militaires de l'immédiat après dictature sont médiocres, mais sans aucune notion de irréparable moral. Ils seraient prêt à ne pas tuer, si on ne le leur demandait pas. Mais les fils de leur victime assument seuls le fantasme et le poids de la chute, de la mort et de la flétrissure définitive.
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Le vrai sujet du film n'est pas la filiation, mais l'état, en tant qu'il est incapable d'assumer un rapport que, du fait de la dictature, on lui demande d'assumer à la place du père: celui de la reconnaissance, de la parole qui légitime un récit historique et familial.
Un point de clivage entre un espoir de retour du politique ou la résignation à sa mort: attendre toujours cette parole, ou comprendre que l'état est structurellement incapable de l'énoncer.
Les pères ne peuvent pas donner cette reconnaissance aux fils, car dans la dictature des colonels, c'était précisément la mémoire de leur existence qu'il s'agîssait d'évincer.
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Pourquoi ce raccourcis liant le corps au pêché? Il pourrait être abusif, mais Angelopoulos filme deux fois l'acte sexuel, avec un certain dégoût et de manière caricaturale.
La première fois quand le cinéaste (clone de Mastroianni dans la Notte) fait l'amour avec sa maitresse, tout habillé, sur le sol du poulailler d'un théâtre. Les lumières s'éteignent: l'intimité se confond avec un néant: elle est le manque d'où le personnage du cinéaste contemporain provient (le film montre une seule fois son fils, au début).
La deuxième, pendant la fête des dockers: il ouvre la porte d'une arrière-salle: et voit un couple baisant, l'homme déculotté. Le mouvement des fesses ne colle pas, c'est la simulation d'une idée morale sur le sexe. ll s'agît peut-être de la soeur du cinéaste, qui aura peu après la phrase sur le fait de s'abîmer dans le corps qui vaut comme consolation d'un idéal perdu. Le cinéaste renferme la porte, lentement, mais d'un air très morose; l'air de dire: "il ne manquait plus que cela"....
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La chute. Beau plan, un peu trop métaphorique mais clair. Quand le père débarque au Pirée, un plan sur la passerelle électrique du bateau russe (un beau et moderne cargo blanc). La caméra accompagne lentement le mouvemet de descente de la passerelle
Puis dès que la passerelle est posée sur le dock, on voit les pieds du père, qui sautent sur le sol.
Mais la caméra continue son mouvement vers le bas, et ne s'arrête pas au pieds, qui disparaissent, et on trouve un reflet dans une flaque qui renvoie l'image de la tête du père, brouillée.
Ce mouvement place la recherche d'une sorte de sol historique pour la Grèce moderne du côté de la fiction et du symbole. Le réel c'est l'attente de ce sol non encore construit: il ne pourrait être donné que par un jugement du régime des colonels qui n'est jamais venu. En fait le film anticipe de manière cohérente un discours politique cohérent sur la mémoire propre aux années 1990-2009
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1966-1972
Trois films très proches dans leur rapport à l'état, la politique (le lien parti-police-armée), la relativité de la taille de la communauté (qui s'appele violence), et la violence de la séduction sexuelle qui est partiellement opposable à celle de l'état: "la Pendaison" d' Oshima et "la Reconstitution" de Pintilié er Angelopoulos
Dernière édition par Tony le Mort le Mer 22 Aoû 2012 - 23:24, édité 7 fois
Invité- Invité
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
EDIT:
Je voulais dire: "la lumière du film est très proche de celle des films de Godard des années 1980" et non "des Godard des années 1880".
Les lecteurs les plus ferrés en histoire ainsi que les plus fins connaisseur de l'oeuvre du maître auront rectifiés d'eux-mêmes, je suppose.
Je voulais dire: "la lumière du film est très proche de celle des films de Godard des années 1980" et non "des Godard des années 1880".
Les lecteurs les plus ferrés en histoire ainsi que les plus fins connaisseur de l'oeuvre du maître auront rectifiés d'eux-mêmes, je suppose.
Invité- Invité
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
vu ces deux derniers soirs les deux derniers Chaplin, Un Roi à NY ,1957, fascinant et son dernier 10 ans plus tard, La Comtesse de Hong-Kong .
j'en reparlerai.
Invité- Invité
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
Tony le mort mentionnait le nom de Pintilie dans son post sur Angelopoulos. Cinéaste roumain dont je n'avais jamais entendu parler jusque là.
Or je tombe il y a quelques jours sur plusieurs films de ce Lucian Pintilie dans le bac "rééditions" de la médiathèque:
Reconstitution (68) (son deuxième et dernier film avant 12 années d'exil et de silence), Trop tard et Terminus paradis.
Vu hier Terminus paradis (1998). Véritablement étonnant, d'une radicalité et d'une rage incroyables, comme son perso principal. Une découverte.
Or je tombe il y a quelques jours sur plusieurs films de ce Lucian Pintilie dans le bac "rééditions" de la médiathèque:
Reconstitution (68) (son deuxième et dernier film avant 12 années d'exil et de silence), Trop tard et Terminus paradis.
Vu hier Terminus paradis (1998). Véritablement étonnant, d'une radicalité et d'une rage incroyables, comme son perso principal. Une découverte.
Invité- Invité
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
Ha ben il semble connu connu et important en Roumanie y compris politiquement (je ne suis pas sûr de l'accent dans le nom). Un ami m'a dit "A l'époque de Ceaucescu, tout le monde comprenait de quoi il parlait, sauf les cons qui le produisaient.".
Connais pas bien en fait.
J'avais vu "la Reconstitution" il y a dix ans à la cinémathèque de Bruxelles (elle ne passe plus ce genre de film à présent), cela m'avait marqué.
Il y a quelque années Arte avait diffusé "La Tête d'Auroch/Tertium non Datur", un moyen métrage intéressant (et retors) sur la seconde guerre mondiale (pour aller vite) ou plutôt les ressorts psychologiques du nationalisme, du pouvoir et de la distinction sociale, leur influence sur l'histoire, et leur sinistre et immédiate familiarité tant envers l'individu que le groupe. A moins que je n'aie rien compris.
Angélopoulos, pour moi aussi c'est un rack à la médiathèque (non pas "rééditions", mais "grands auteurs" il sont plus snobs et maladroits) la plus proche qui m'a poussé à m'y intéresser (mais il n'y pas Pintilie malheureusement).
Connais pas bien en fait.
J'avais vu "la Reconstitution" il y a dix ans à la cinémathèque de Bruxelles (elle ne passe plus ce genre de film à présent), cela m'avait marqué.
Il y a quelque années Arte avait diffusé "La Tête d'Auroch/Tertium non Datur", un moyen métrage intéressant (et retors) sur la seconde guerre mondiale (pour aller vite) ou plutôt les ressorts psychologiques du nationalisme, du pouvoir et de la distinction sociale, leur influence sur l'histoire, et leur sinistre et immédiate familiarité tant envers l'individu que le groupe. A moins que je n'aie rien compris.
Angélopoulos, pour moi aussi c'est un rack à la médiathèque (non pas "rééditions", mais "grands auteurs" il sont plus snobs et maladroits) la plus proche qui m'a poussé à m'y intéresser (mais il n'y pas Pintilie malheureusement).
Invité- Invité
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
Tony le Mort a écrit:Ha ben il semble connu connu et important en Roumanie y compris politiquement (je ne suis pas sûr de l'accent dans le nom). Un ami m'a dit "A l'époque de Ceaucescu, tout le monde comprenait de quoi il parlait, sauf les cons qui le produisaient.".
Ce en quoi il a eu plus de chance que mettons Věra Chytilová en Tchécoslovaquie qui n'a pu faire qu'un seul film, plus poétique, mais aussi plus transparent, avant d'avoir sa carrière ratiboisée.
Invité- Invité
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
"Terri" d'Azazel Jacobs : un beau film, au rythme singulier. Beaucoup aimé.
Eyquem- Messages : 3126
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
ce soir sur Ciné Frisson soirée Tarantino : Boulevard de la mort puis Pulp Fiction
Invité- Invité
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
Je me permets de poster ce texte loupé et pas achevé lol; je me tâtais pour ouvrir un sujet sur le western; j'aurais appelé Ulrich à la rescousse; mais on se serait retrouvé en plein désert comme les 3 godfathers de Ford .
Et si Colorado de Sergio Sollima ?
J'ai cru lire sur une page du net que Deleuze considérait, au détour d'une phrase, seule, Sollima comme « le » réalisateur du western italien ; le western du renversement, de la révolution, de la lutte écarlate, de l'enfant racine insoumis qui s'oppose au père feuille.
Lee Van Cleef enfile l'habit d'un chasseur de têtes, Colorado Corbett ou Jonathan Corbett dans la version originelle.
Son ambition politique le conduit à s'associer avec un promoteur de chemin de fer qui entend relier le Texas au Mexique.
Afin de mener à bon terme cette alliance, il se doit de retrouver un mexicain que l'on accuse d'avoir abusé et tué une jeune fille.
Il y a une scène au cœur de Colorado, qui permet de suivre du bout du doigt le fil sur l'écheveau de la constance:
un ranch, perdu dans les montagnes rases de l'Espagne franquiste, recueille les offrandes de l'aède de la mythologie antique, du Homère de l'Odyssée :
la veuve, propriétaire des lieux, fait jouer les hommes à la manière de Circé, tels des bêtes (Van Cleef, dans la version française lui attribut l'épithète de « reine des abeilles ». La sorcière était, dans la mythologie, la fille du soleil).
Cuchillo, le péon déçu, revenu de Juarez, poursuivi par l'affidé du richissime promoteur, vient quémander de la nourriture en cet endroit peu accueillant ; et une fois assouvi son estomac, une fois assouvi le désir régalien de la belle, il est rejeté dans l'enclos des cochons, dans la boue, humilié, mais sa ruse odysséenne intacte.
L'octroi d'une mission, au début, à Corbett, et d'un objectif, celui de relier deux territoires, me fait penser au premier Ulysse, celui de l'Iliade, qui, fort de sa réputation, malgré sa défiance, accepte de s'embarquer pour Troyes.
Cuchillo serait le Ulysse de l'Odyssée, l'errant, en but à la colère des Dieux.
Ainsi, si l'on suit cette idée, contestable, deux aspects de ce personnage emblématique se croisent, deux temps _celui de la guerre, et celui du retour, celui de la croyance, et celui de la désillusion qui interagissent avec les situations, les scènes du western américain, les abordent, les débordent et les réinvestissent d'un regard distancié, amusé, satirique et amer .
Un regard ballotté entre deux territoires, l'Amérique de la destinée manifeste, l'écrin de la légende, et la fausse Amérique, celle construite dans la pauvre Europe d'après guerre, qui porte en elle l'histoire, la mémoire, la légitimité à prendre le parti de ceux qui ont creusé les sillons de la terre de leurs mains.
A la manière d'Ulysse voguant dans une mer incertaine entre la nostalgie de son Ithaque natale, et la vue de Troyes incendiée.
Quand Ulysses, à l'approche d'Ithaque, se couche sur le pont et se laisse aller au sommeil réparateur, il entre dans le royaume du rêve, le royaume du cinéma, et son équipage, croyant y trouver quelque butin, ouvre un sac et libère les vents d’Éole ; les voiles se gonflent et la terre de naissance, la terre connue et chérie s'éloigne alors que commence réellement son périple.
L'Iliade serait le scénario, le chemin de fer qui ouvre le territoire à la progression, à la narration ; l'Odyssée, la prise de vue, le monde, l'être, étranger à lui même, saisi en son dénuement.
Les déceptions, politiques, humaines, de Cuchillo traceraient à même l'écran le souvenir des drames européens, pourquoi pas du fascisme italien que Sollima connaît si bien.
Je me souviens que le réalisateur raconte, dans le bonus d'un dvd, qu'il avait été dénoncé par sa copine pendant la guerre. C'est une situation qui semble le hanter, lui et son cinéma.
Le western spaghetti serait celui de l'errance : quel pays est le mien ? Quelle terre aride, sans pain, abreuve de ses sources claires le lait de la tendresse humaine ?
Ce n'est pas l'Amérique, elle est rêvée, imaginée, caricaturée, repolitisée.
Ce n'est pas l'Italie car Colorado, comme nombre de westerns italiens, est tourné en Espagne, et le titre français du film n'a que peu de lien avec un quelconque lieu visité par les protagonistes, une fantaisie du distributeur.
http://www.rts.ch/archives/tv/culture/special-cinema/3440577-western-a-almeria.html
C'est une lieu qui n'en est pas un, et que seul le cinéma permet.
Il ne faut pas oublier que le western spaghetti est un sous genre du western européen ; que c'est le succès en Allemagne de la série Winnetou, dès 1962, qui donna des idées à des producteurs bien bottés (voir le beau topic ouvert par slimfast)
Une partie de l'Europe si enthousiaste de la culture et de la démocratie américaine, pendant et à l'issue de la guerre :
(il y a ce passage du livre de Karski, « mon témoignage devant le monde », une allocution qu'il délivre à des dignitaires américains, qui peut aider à comprendre l'attente, l'espoir que l'Amérique pouvait susciter :
Mais vingt ans après, le cinéma italien se saisie de ce rêve d'Amérique en l'inscrivant dans sa sensibilité, dans son histoire ; il refaçonne les logiques de dominations ou les mets en perspectives, regarde les coutures de la tapisserie ouvragée par l'industrie hollywoodienne, les dénoue, y substitue ou rajoute des pièces importées.
Et si Colorado de Sergio Sollima ?
J'ai cru lire sur une page du net que Deleuze considérait, au détour d'une phrase, seule, Sollima comme « le » réalisateur du western italien ; le western du renversement, de la révolution, de la lutte écarlate, de l'enfant racine insoumis qui s'oppose au père feuille.
Lee Van Cleef enfile l'habit d'un chasseur de têtes, Colorado Corbett ou Jonathan Corbett dans la version originelle.
Son ambition politique le conduit à s'associer avec un promoteur de chemin de fer qui entend relier le Texas au Mexique.
Afin de mener à bon terme cette alliance, il se doit de retrouver un mexicain que l'on accuse d'avoir abusé et tué une jeune fille.
Il y a une scène au cœur de Colorado, qui permet de suivre du bout du doigt le fil sur l'écheveau de la constance:
un ranch, perdu dans les montagnes rases de l'Espagne franquiste, recueille les offrandes de l'aède de la mythologie antique, du Homère de l'Odyssée :
la veuve, propriétaire des lieux, fait jouer les hommes à la manière de Circé, tels des bêtes (Van Cleef, dans la version française lui attribut l'épithète de « reine des abeilles ». La sorcière était, dans la mythologie, la fille du soleil).
Cuchillo, le péon déçu, revenu de Juarez, poursuivi par l'affidé du richissime promoteur, vient quémander de la nourriture en cet endroit peu accueillant ; et une fois assouvi son estomac, une fois assouvi le désir régalien de la belle, il est rejeté dans l'enclos des cochons, dans la boue, humilié, mais sa ruse odysséenne intacte.
L'octroi d'une mission, au début, à Corbett, et d'un objectif, celui de relier deux territoires, me fait penser au premier Ulysse, celui de l'Iliade, qui, fort de sa réputation, malgré sa défiance, accepte de s'embarquer pour Troyes.
Cuchillo serait le Ulysse de l'Odyssée, l'errant, en but à la colère des Dieux.
A de nombreuses reprises, Cuchillo nargue son poursuivant, il répète à loisir qu'il ne pourra jamais le rattraper. Et comment ne pas le comprendre puisqu'une guerre, un cheval de bois, la prise de Troyes les sépare.Éole ._décampe de mon île, ô le rebut des êtres ! … car je n'ai plus le droit de t'accorder mes soins, ni de te reconduire: un homme que les dieux fortunés ont en haine ! … Décampe ! … tu reviens sous le courroux des Dieux !
Il dit et me renvoie malgré mes lourds sanglots.
Ainsi, si l'on suit cette idée, contestable, deux aspects de ce personnage emblématique se croisent, deux temps _celui de la guerre, et celui du retour, celui de la croyance, et celui de la désillusion qui interagissent avec les situations, les scènes du western américain, les abordent, les débordent et les réinvestissent d'un regard distancié, amusé, satirique et amer .
Un regard ballotté entre deux territoires, l'Amérique de la destinée manifeste, l'écrin de la légende, et la fausse Amérique, celle construite dans la pauvre Europe d'après guerre, qui porte en elle l'histoire, la mémoire, la légitimité à prendre le parti de ceux qui ont creusé les sillons de la terre de leurs mains.
A la manière d'Ulysse voguant dans une mer incertaine entre la nostalgie de son Ithaque natale, et la vue de Troyes incendiée.
Quand Ulysses, à l'approche d'Ithaque, se couche sur le pont et se laisse aller au sommeil réparateur, il entre dans le royaume du rêve, le royaume du cinéma, et son équipage, croyant y trouver quelque butin, ouvre un sac et libère les vents d’Éole ; les voiles se gonflent et la terre de naissance, la terre connue et chérie s'éloigne alors que commence réellement son périple.
L'Iliade serait le scénario, le chemin de fer qui ouvre le territoire à la progression, à la narration ; l'Odyssée, la prise de vue, le monde, l'être, étranger à lui même, saisi en son dénuement.
Les déceptions, politiques, humaines, de Cuchillo traceraient à même l'écran le souvenir des drames européens, pourquoi pas du fascisme italien que Sollima connaît si bien.
Je me souviens que le réalisateur raconte, dans le bonus d'un dvd, qu'il avait été dénoncé par sa copine pendant la guerre. C'est une situation qui semble le hanter, lui et son cinéma.
Le western spaghetti serait celui de l'errance : quel pays est le mien ? Quelle terre aride, sans pain, abreuve de ses sources claires le lait de la tendresse humaine ?
Ce n'est pas l'Amérique, elle est rêvée, imaginée, caricaturée, repolitisée.
Ce n'est pas l'Italie car Colorado, comme nombre de westerns italiens, est tourné en Espagne, et le titre français du film n'a que peu de lien avec un quelconque lieu visité par les protagonistes, une fantaisie du distributeur.
http://www.rts.ch/archives/tv/culture/special-cinema/3440577-western-a-almeria.html
C'est une lieu qui n'en est pas un, et que seul le cinéma permet.
Il ne faut pas oublier que le western spaghetti est un sous genre du western européen ; que c'est le succès en Allemagne de la série Winnetou, dès 1962, qui donna des idées à des producteurs bien bottés (voir le beau topic ouvert par slimfast)
Une partie de l'Europe si enthousiaste de la culture et de la démocratie américaine, pendant et à l'issue de la guerre :
(il y a ce passage du livre de Karski, « mon témoignage devant le monde », une allocution qu'il délivre à des dignitaires américains, qui peut aider à comprendre l'attente, l'espoir que l'Amérique pouvait susciter :
Karski témoignait des souffrances d'un peuple dont le pays avait été réduit à néant, partagé entre deux voisins à l'appétit vorace.votre aide matérielle nous est d'un grand secours mais ce qui est infiniment plus important pour nous, c'est que vous transplantiez en Europe vos idéaux, votre mode de vie, votre probité dans la vie publique, votre démocratie américaine et votre honnêteté en politique étrangère. Nous, Européens, vous considérons comme la plus grande puissance mondiale, aussi essayez d'appliquer au monde vos principes, ces principes qui sont exprimés dans la charte de l'Atlantique. De cette façon vous sauverez l'Europe et le monde entier. Voilà ce que nous vous demandons.
Mais vingt ans après, le cinéma italien se saisie de ce rêve d'Amérique en l'inscrivant dans sa sensibilité, dans son histoire ; il refaçonne les logiques de dominations ou les mets en perspectives, regarde les coutures de la tapisserie ouvragée par l'industrie hollywoodienne, les dénoue, y substitue ou rajoute des pièces importées.
Invité- Invité
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
Un petit détail, j'y repense: si d'aventure vous louez un Pintilie, ne matez surtout pas la soi-disant préface de Michel Ciment: il vous explique juste quasiment toute l'intrigue de a à z. C'est dire que même à titre de postface, on peut en faire l'économie. lol.
Invité- Invité
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
Angélopoulos a quelque chose de sympathique et de généreux (d'où peut-être le fait que la condescendance envers lui passait pour "moderne", en tout cas de son vivant), il effectue ce travail de sabordage lui-même dans les bonus, et a la délicatesse de le faire en français.
Sinon c'est triste qu'il soit mort la même semaine que Guerra.
Sinon c'est triste qu'il soit mort la même semaine que Guerra.
Invité- Invité
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
lu chez Merleau-Ponty, un philosophe qui écrit bien, en 1945 devant les élèves de l'Hidec, ceux là mêmes pour qui il est important de voir :
L'aspect du monde pour nous serait bouleversé si nous réussissions à voir comme choses les intervalles entre les choses - par exemple l'espace entre les arbres sur le boulevard - et réciproquement comme fond, les choses elles-mêmes - les arbres du boulevard.
L'idée a fait son chemin jusqu'à la fin se faufiler chez Godard.
L'aspect du monde pour nous serait bouleversé si nous réussissions à voir comme choses les intervalles entre les choses - par exemple l'espace entre les arbres sur le boulevard - et réciproquement comme fond, les choses elles-mêmes - les arbres du boulevard.
L'idée a fait son chemin jusqu'à la fin se faufiler chez Godard.
Invité- Invité
Re: Vu (lu, entendu) où l'on parle de tout sauf de films
Séquence de fin du meilleur film de Peckinpah, Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia:
Je ne connais pas d'autre regard-caméra aussi important dans l'histoire du cinéma, surtout quand c'est un flingue qui regarde.
Un texte de François Causse sur le film, extrait de son livre Sam Peckinpah La violence du crépuscule : http://depositfiles.com/files/ofd26x6y4?redirect
Entretien avec Sam Peckinpah, Revue Cinéma 69 n°141 : http://depositfiles.com/files/0mvkg1hgu?redirect
Je ne connais pas d'autre regard-caméra aussi important dans l'histoire du cinéma, surtout quand c'est un flingue qui regarde.
Un texte de François Causse sur le film, extrait de son livre Sam Peckinpah La violence du crépuscule : http://depositfiles.com/files/ofd26x6y4?redirect
Entretien avec Sam Peckinpah, Revue Cinéma 69 n°141 : http://depositfiles.com/files/0mvkg1hgu?redirect
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