Nos films "de chevet", notre vaine et angoissée passion de l'éternité. Car, hélas, comme disait Joyce : "tous les jours rencontrent leur fin." Et tous les films.
Nos films "de chevet", notre vaine et angoissée passion de l'éternité. Car, hélas, comme disait Joyce : "tous les jours rencontrent leur fin." Et tous les films.
jerzy P a écrit: (...) le rapport que nous avons avec les œuvres est celui d'un débat perpétuel.
Tout le monde aimerait fixer dans le marbre l'objet de son admiration ou de son amour, préservé, intact, des modifications du temps. Un repère stable, un point fixe, invariant.
Tu parles, à côté, de ces films de chevets qui sont pour toi des objets parfaitement "finis".
Finis.
Question complexe de la finitude, une fois encore. Toujours cette question, lancinante.
"Fini" peut se comprendre en plusieurs sens, pas nécessairement opposés: "achevé", "complet", "bouclé", dans sa perfection, mais aussi ce à quoi l'infinité, au sens de la complétude, manque, et pour cela inachevés, "inachevables", soumis à l'altération, à la modification.
Mine de rien, ça engage plusieurs genres de "cinéphilies", autant que de "cinémas", ce rapport à la finitude, au temps.
En ce qui me concerne, j'ai aussi des films "de chevet", mais je ne suis pas indemne d'une forme d'angoisse à leur sujet: il peuvent, avec le temps, devenir "finis", au sens de " c'est fini, terminé, je n'en tirerai plus rien", "ils ont fait leur temps en moi", "j'ai changé, je ne suis plus ce même homme qui a vu ces films", etc.
(Ou encore, comme disait à sa fille le personnage nommé "Godard" dans sauve qui peut (la vie): toi qui t'intéresses aux nombres, demande à ta mère ce que ça veut dire: "un homme fini". Enfin, quelque chose comme ça, je ne me souviens plus exactement de la réplique.)
Ils peuvent aussi m'apparaître encore, mais pour combien de temps, "finis" au sens de cette complétude désirée, qui est peut-être le leurre que j'entretiens pour neutraliser, nier cette altération, cette finitude du temps (qui n'est ni présent pur, ni passé pur, conservés dans leur pureté statique, mais pro-jet, ex-stase, être jeté au devant de, vers l'indétermination de l'à-venir. Dont l'horizon est ma mort. Cette mort, inactuelle, "à venir" qui travaille dans le présent, qui fait que je m'arrache à ce présent en me pro-jetant aussi bien dans l'avenir que dans le passé du souvenir, qui sont peut-être un seul et même mouvement de "temporalisation", dirait Heidegger) [l'ancien nazi, qui disait par là bien autre chose, peut-être, que les nazis, obsédés par l'éternité conquise et fixée dans le marbre des statues qui demeurent].
( Et là, on est loin de Deleuze, le spinoziste, qui ne cesse de dire, lui, que cette analyse du temps, celle qui insère la mortalité, l'inactualité de la mort, dans la vie, est l'aberration même, qu'il faut combattre).
Et je sais, je sens, de cette anxiété anticipée à l'anse de toutes les tasses, comme disait Pessoa, que rien de tout ça n'est garanti. Et ça me renvoie à ma finitude, à l'expérience du temps, à l'altération de toute chose - que, comme tout le monde, je désire conjurer plus que tout. Tout en sachant, plutôt devinant, sans jamais l'admettre tout à fait, que c'est impossible.
Ce désir d'être à la foi "en soi" et "pour soi", dirait Sartre dans une approche voisine, mais distincte, de la négativité ( non liée essentiellement à la mortalité): la passion de l'homme par excellence, la passion d'être dieu, une passion inutile, mais insurmontable, inextinguible.
Borges- Messages : 6044
Re: Nos films "de chevet", notre vaine et angoissée passion de l'éternité. Car, hélas, comme disait Joyce : "tous les jours rencontrent leur fin." Et tous les films.
Je sais pas si Sartre parle de la passion d'être Dieu. Dans Cahiers pour une Morale l'homme ne prétend pas créer le monde sur lequel il agît, et cela n'est pas le résultat d'une position prise, mais une donnée de départ, finalement une situation. Il n'y a pas un "manque" dont le monde ou bien une transcendance disparue (ou l'immortalité) seraient les objets, et qui serait saisi de manière sentimentale comme un déchirement.
Quand il décrit la mentalité sudiste-esclavagiste, il ne dit pas que le propriétaire voit les esclave comme sa création, mais plutôt que le pouvoir du propriétaire est lui-même pris dans l'arbitraire qu'il a créé, que celui-ci devient sentimentalement attaché à ce système en connaissant la relativité de cet arbitraire (cette relativité n'est pas le caractère d'une déchéance, mais au contraire de l'ordre qu'il a réussi à créer), mais cette "finitude" (je fais intentionnellement une équivalence entre "finitude" et "arbitraire") est une position sur ce qu'il a comme groupe déjà concrétisé (qui est aussi ce dont il hérite individuellement). La différence entre le planteur et l'esclave n'est pas que l'un vit son pouvoir comme une action et l'autre une passivité, mais que le planteur comprend la même finitude que celle du propriétaire, sans en faire l'objet d'un sentiment. Si le planteur conteste le système c'est la fin de l'esclavage mais aussi la principale occasion d'une compréhension en profondeur de l'esclavage que le propriétaire n'a pas, mais ce n'est alors pas une soif d'être Dieu qui est réalisée dans cette contestation. Ici tu remplaces "avoir un projet" par "avoir la passion d'être Dieu"... L'esclavagiste investit la finitude comme occasion d'un pouvoir qui est déjà démesuré.
Ce désir d'être Dieu je le sens présent peut-être plus chez Hegel que chez Sartre, où la relation maître-esclave est un rapport de conservation (peut-être de conservation d'une jouissance qui naturellement tend à s'épuiser, la relation maître-esclave est le point où la notion de jouissance s'articule à celle de production, mais il me semble que Sartre conserve cette dialectique en en retirant justement ce qui lie la jouissance à un esprit de conservation, que ce retrait est nécessaire pour une métaphysique de l'immanence au monde).
Chez Sartre la finitude n'est pas le signe d'un épuisement. En revanche chez Hegel l'infinitude peut l'être (la nature épuise même l'histoire).
Mais ça reste de la métaphysique
Quand il décrit la mentalité sudiste-esclavagiste, il ne dit pas que le propriétaire voit les esclave comme sa création, mais plutôt que le pouvoir du propriétaire est lui-même pris dans l'arbitraire qu'il a créé, que celui-ci devient sentimentalement attaché à ce système en connaissant la relativité de cet arbitraire (cette relativité n'est pas le caractère d'une déchéance, mais au contraire de l'ordre qu'il a réussi à créer), mais cette "finitude" (je fais intentionnellement une équivalence entre "finitude" et "arbitraire") est une position sur ce qu'il a comme groupe déjà concrétisé (qui est aussi ce dont il hérite individuellement). La différence entre le planteur et l'esclave n'est pas que l'un vit son pouvoir comme une action et l'autre une passivité, mais que le planteur comprend la même finitude que celle du propriétaire, sans en faire l'objet d'un sentiment. Si le planteur conteste le système c'est la fin de l'esclavage mais aussi la principale occasion d'une compréhension en profondeur de l'esclavage que le propriétaire n'a pas, mais ce n'est alors pas une soif d'être Dieu qui est réalisée dans cette contestation. Ici tu remplaces "avoir un projet" par "avoir la passion d'être Dieu"... L'esclavagiste investit la finitude comme occasion d'un pouvoir qui est déjà démesuré.
Ce désir d'être Dieu je le sens présent peut-être plus chez Hegel que chez Sartre, où la relation maître-esclave est un rapport de conservation (peut-être de conservation d'une jouissance qui naturellement tend à s'épuiser, la relation maître-esclave est le point où la notion de jouissance s'articule à celle de production, mais il me semble que Sartre conserve cette dialectique en en retirant justement ce qui lie la jouissance à un esprit de conservation, que ce retrait est nécessaire pour une métaphysique de l'immanence au monde).
Chez Sartre la finitude n'est pas le signe d'un épuisement. En revanche chez Hegel l'infinitude peut l'être (la nature épuise même l'histoire).
Mais ça reste de la métaphysique
Invité- Invité
Re: Nos films "de chevet", notre vaine et angoissée passion de l'éternité. Car, hélas, comme disait Joyce : "tous les jours rencontrent leur fin." Et tous les films.
Tony le Mort a écrit:Je sais pas si Sartre parle de la passion d'être Dieu.
je m'arrête sur cette phrase, en attendant...
"Chaque réalité-humaine est à la fois projet direct de métamorphoser son propre pour-soi en en-soi-pour-soi et projet d'appropriation du monde comme totalité d'être-en-soi, sous les espèces d'une qualité fondamentale. Toute réalité-humaine est une passion, en ce qu'elle projette de se perdre pour fonder l'être et pour constituer du même coup l'en-soi qui échappe à la contingence en étant son propre fondement, l'Ens causa sui que les religions nomment Dieu. Ainsi la passion de l'homme est-elle inverse de celle du Christ, car l'homme se perd en tant qu'homme pour que Dieu naisse. Mais l'idée de Dieu est contradictoire et nous nous perdons en vain ; l'homme est une passion inutile."
(sartre, l'être et le néant)
c'est un passage hyper connu...
Borges- Messages : 6044
Re: Nos films "de chevet", notre vaine et angoissée passion de l'éternité. Car, hélas, comme disait Joyce : "tous les jours rencontrent leur fin." Et tous les films.
Au tant pour moi, pas lu l'Etre et le Néant. Ca fait un peu soupe avec des bouts de Feuerbach qui flottent ce passage.
"Réalité Humaine" c'est Dasein?
C'est pas tout à fait la passion d'être Dieu, c'est plutôt avoir une passion similaire à celle de Dieu et fonder Dieu en même temps. Dans le premier cas la chose créé peut être le monde lui-même, dans le second c'est plutôt la religion.
"Réalité Humaine" c'est Dasein?
C'est pas tout à fait la passion d'être Dieu, c'est plutôt avoir une passion similaire à celle de Dieu et fonder Dieu en même temps. Dans le premier cas la chose créé peut être le monde lui-même, dans le second c'est plutôt la religion.
Invité- Invité
Re: Nos films "de chevet", notre vaine et angoissée passion de l'éternité. Car, hélas, comme disait Joyce : "tous les jours rencontrent leur fin." Et tous les films.
Salut Tony,
veuille m'excuser, mais c'est bien de ça qu'il sagit, il n'y a pas d'autre signification possible à cette conclusion de l'EN.
Si on essaie de rendre compte de la pensée d'un philosophe, de le comprendre, il faut a minima essayer d'être précis dans les termes qu'on utilise, ne pas les redéfinir à sa guise, réduire le plus possible la part d'interprétation (le plus possible, car bien sûr, la compréhension n'est pas exempte d'interprétations, modifications).
Pas plus que quiconque, je ne suis exonéré d'erreurs, d’ambiguïtés, de synthèses hâtives. Du moins, quand je m'efforce de dire quelque chose (d'un tant soi peu "philosophique"), je ne choisis pas mes mots au hasard, j'essaie de peser chaque mot, chaque expression, comme renvoyant à un corpus, des passages, le plus souvent connus, des "classiques", des "généralités". Pas des trucs particulièrement précis, subtils ou retors, donc, relevant d'une analyse au laser - ce n'est pas le lieu. Mais apparemment, tu voudrais qu'on tienne "séminaire").
Alors, tenons "séminaire", développons, même si ça me fatigue, dans ce contexte particulier. Mais prenons soin de rester dans des généralités basiques, puisque le but ici est de comprendre ce que dit Sartre. (On l'a déjà fait, ça, des tas de fois, visiblement en vain. Donc, on recommence, sans se lasser, et on module, on varie la manière de le dire, dans l'espoir que ça fera "sens" autrement, par un autre angle).
Si de telles "généralités", de telles notions de base (indispensables si on prétend débattre de problèmes et d'auteurs en philosophie) sont déjà comprises de travers, d'entrée de jeu, ça laisse imaginer (non sans effroi) comment sont comprises des propositions et des analyses un peu conceptuelles qui vont un peu au delà des généralités, dans le sens d'une "déconstruction" desdites généralités.
La passion de l'homme, c'est le désir de se fonder en soi et pour soi, cad d'être à soi-même son propre fondement, sa propre cause (ens causa sui), cad désir, passion d'être dieu.
Ce désir est une passion. Une passion, c'est la passivité de l'être affecté. Par quoi est-il affecté? Par son "manque à être". Manque d'être, manque à être (en soi & pour soi). Le manque à être, l'impossibilité de rejoindre la plénitude d'un soi, le fait d'échouer à se fonder comme être, définit pour Sartre l'homme en tant que "pour-soi".
L'en soi, pour Sartre, comme chez Kojève, c'est la "Nature", au sens des "objets chosistes".
La conscience humaine, c'est pour Sartre la visée intentionnelle husserlienne, qu'il rédifinit comme un vide, un manque, en autonomisant le noème (pôle objet) de la corrélation noético-noématique: toute conscience se constitue comme conscience en portant sur quelque chose d'autre qu'elle, qu'elle n'est pas, portée sur un être qu'elle n'est pas. Cet être, c'est la nature ou les choses, comme régime de l'inertie, de l'identité à soi, de la nécessité.
Si la liberté caractérise la "conscience humaine", c'est par son refus de cette inertie, la capacité pour l'homme de ressaisir son "en soi" (le passif de la nécessité, du côté des choses) sur le monde d'un "pour soi" (sa négation).
La "réalité-humaine", c'est bien entendu à la fois le "Dasein" de Heidegger, et l'intentionnalité husserlienne redéfinie (repensée) comme trou dans l'être.
[Une idée fondamentale de Husserl, dans Situations I: "Vous saviez bien que l'arbre n'était pas vous, que vous ne pouviez pas le faire entrer dans vos estomacs et que la connaissance ne pouvait pas, sans malhonnêteté, se comparer à une possession. [...] la conscience est claire comme un grand vent, il n'y a rien en elle, sauf un mouvement pour se fuir, un glissement hors de soi. Si, par impossible, vous entriez "dans" une conscience, vous seriez saisi par un tourbillon et rejeté au-dehors, près de l'arbre, en pleine poussière, car la conscience n'a pas de "dedans", elle n'est rien que le dehors d'elle-même et c'est cette fuite absolue, ce refus d'être substance, qui la constituent comme une conscience" (p.40).
(P.41: On voit que Sartre corrige par "Heidegger" l'intentionnalité de Husserl, pour faire éclater sa poche résiduelle d'idéalisme subjectif).
L'en soi & pour soi, c'est dieu, c'est à-dire pour Sartre la synthèse impossible, contradictoire et dont la contradiction ne peut être surmontée (contre Hegel); c'est ce que l'homme cherche pourtant éternellement à fonder, en échouant. L'homme est cette passion, soif d'être dieu, et cette passion est aussi inutile qu'inextinguible.
Et c'est bien parce qu'être à soi sa propre cause ou fondement, est pour Sartre l'impossible, le contradictoire même, que dieu n'existe pas et que c'est l'homme qui l'invente, forge l'idée de Dieu (ce que Kant nommerait une antinomie de la raison).
Dieu, comme idée de la causa sui, complétude, infinité, perfection, n'est par définition pas une passion. Dieu n'a pas à être passionné par quoi que soit. S'il est affecté par quelque chose qui le précède ou ne serait pas lui, il ne serait plus, par définition, dieu ou causa-sui.
Ce "désir (impossible à satisfaire) d'être dieu" est très différent de Feuerbach, pour qui l'homme se réapproprie les propriétés de "dieu" comme étant in fine sa caractéristique propre, cad entre autres l'infinité du genre. Cette réappropriation est plutôt une divinisation ou infinitisation de l'homme, soit le contraire d'une finitisation de l'homme.
La grande différence entre Sartre et Kojève est que la conscience humaine, chez Sartre, du moins dans EN, est solipsiste, autonome, alors que chez Kojève, qui reprend à Hegel l'aliénation constitutive de la conscience-de-soi dans un autre (mais anthropologise la notion hégélienne d'Esprit, dont la conscience-de-soi est un moment de son auto-manifestation), la conscience humaine est originairement sociale, collective, repensée en termes de désir-du-désir d'un autre, désir de reconnaissance.
Mais, si la conscience chez Sartre, autonome (mais menacée d'aliénation sous le regard de l'autre), et dans une mesure moindre la conscience chez Kojève (se formant nécessairement dans l'aliénation de la lutte des désirs pour la reconnaissance), se caractérisent par cette passion d'être "dieu", ou encore désir de transcendance, (selon des modalités différentes, à examiner), c'est, pour Sartre autant que Kojève, un leurre. La conquête ou affirmation de la conscience comme libre (plus ou moins donnée d'emblée chez Sartre, dialectique chez Kojève) consistent bien à assumer comme indépassable la finitude radicale de l'existence humaine. Consistent autrement dit dans la conquête d'un athéisme radical.
Pour le reste, ton usage des concepts est suffisamment ambigu, si souvent déjà une interprétation, qu'il faudrait pour en discuter quasiment entamer pour chaque phrase un séminaire d'histoire de la philosophie. A l'impossible nul n'est tenu. ça excède mes limites, les limites du forum. Sans compter les accusations larvées qui ne manqueraient pas de suivre ("petit prof", "petit maître", "qui jouit d'imposer une autorité", "de quel droit dit-il que je ne comprends pas, pour qui se prend-il", etc etc.).
veuille m'excuser, mais c'est bien de ça qu'il sagit, il n'y a pas d'autre signification possible à cette conclusion de l'EN.
Si on essaie de rendre compte de la pensée d'un philosophe, de le comprendre, il faut a minima essayer d'être précis dans les termes qu'on utilise, ne pas les redéfinir à sa guise, réduire le plus possible la part d'interprétation (le plus possible, car bien sûr, la compréhension n'est pas exempte d'interprétations, modifications).
Pas plus que quiconque, je ne suis exonéré d'erreurs, d’ambiguïtés, de synthèses hâtives. Du moins, quand je m'efforce de dire quelque chose (d'un tant soi peu "philosophique"), je ne choisis pas mes mots au hasard, j'essaie de peser chaque mot, chaque expression, comme renvoyant à un corpus, des passages, le plus souvent connus, des "classiques", des "généralités". Pas des trucs particulièrement précis, subtils ou retors, donc, relevant d'une analyse au laser - ce n'est pas le lieu. Mais apparemment, tu voudrais qu'on tienne "séminaire").
Alors, tenons "séminaire", développons, même si ça me fatigue, dans ce contexte particulier. Mais prenons soin de rester dans des généralités basiques, puisque le but ici est de comprendre ce que dit Sartre. (On l'a déjà fait, ça, des tas de fois, visiblement en vain. Donc, on recommence, sans se lasser, et on module, on varie la manière de le dire, dans l'espoir que ça fera "sens" autrement, par un autre angle).
Si de telles "généralités", de telles notions de base (indispensables si on prétend débattre de problèmes et d'auteurs en philosophie) sont déjà comprises de travers, d'entrée de jeu, ça laisse imaginer (non sans effroi) comment sont comprises des propositions et des analyses un peu conceptuelles qui vont un peu au delà des généralités, dans le sens d'une "déconstruction" desdites généralités.
La passion de l'homme, c'est le désir de se fonder en soi et pour soi, cad d'être à soi-même son propre fondement, sa propre cause (ens causa sui), cad désir, passion d'être dieu.
Ce désir est une passion. Une passion, c'est la passivité de l'être affecté. Par quoi est-il affecté? Par son "manque à être". Manque d'être, manque à être (en soi & pour soi). Le manque à être, l'impossibilité de rejoindre la plénitude d'un soi, le fait d'échouer à se fonder comme être, définit pour Sartre l'homme en tant que "pour-soi".
L'en soi, pour Sartre, comme chez Kojève, c'est la "Nature", au sens des "objets chosistes".
La conscience humaine, c'est pour Sartre la visée intentionnelle husserlienne, qu'il rédifinit comme un vide, un manque, en autonomisant le noème (pôle objet) de la corrélation noético-noématique: toute conscience se constitue comme conscience en portant sur quelque chose d'autre qu'elle, qu'elle n'est pas, portée sur un être qu'elle n'est pas. Cet être, c'est la nature ou les choses, comme régime de l'inertie, de l'identité à soi, de la nécessité.
Si la liberté caractérise la "conscience humaine", c'est par son refus de cette inertie, la capacité pour l'homme de ressaisir son "en soi" (le passif de la nécessité, du côté des choses) sur le monde d'un "pour soi" (sa négation).
La "réalité-humaine", c'est bien entendu à la fois le "Dasein" de Heidegger, et l'intentionnalité husserlienne redéfinie (repensée) comme trou dans l'être.
[Une idée fondamentale de Husserl, dans Situations I: "Vous saviez bien que l'arbre n'était pas vous, que vous ne pouviez pas le faire entrer dans vos estomacs et que la connaissance ne pouvait pas, sans malhonnêteté, se comparer à une possession. [...] la conscience est claire comme un grand vent, il n'y a rien en elle, sauf un mouvement pour se fuir, un glissement hors de soi. Si, par impossible, vous entriez "dans" une conscience, vous seriez saisi par un tourbillon et rejeté au-dehors, près de l'arbre, en pleine poussière, car la conscience n'a pas de "dedans", elle n'est rien que le dehors d'elle-même et c'est cette fuite absolue, ce refus d'être substance, qui la constituent comme une conscience" (p.40).
(P.41: On voit que Sartre corrige par "Heidegger" l'intentionnalité de Husserl, pour faire éclater sa poche résiduelle d'idéalisme subjectif).
L'en soi & pour soi, c'est dieu, c'est à-dire pour Sartre la synthèse impossible, contradictoire et dont la contradiction ne peut être surmontée (contre Hegel); c'est ce que l'homme cherche pourtant éternellement à fonder, en échouant. L'homme est cette passion, soif d'être dieu, et cette passion est aussi inutile qu'inextinguible.
Et c'est bien parce qu'être à soi sa propre cause ou fondement, est pour Sartre l'impossible, le contradictoire même, que dieu n'existe pas et que c'est l'homme qui l'invente, forge l'idée de Dieu (ce que Kant nommerait une antinomie de la raison).
Dieu, comme idée de la causa sui, complétude, infinité, perfection, n'est par définition pas une passion. Dieu n'a pas à être passionné par quoi que soit. S'il est affecté par quelque chose qui le précède ou ne serait pas lui, il ne serait plus, par définition, dieu ou causa-sui.
Ce "désir (impossible à satisfaire) d'être dieu" est très différent de Feuerbach, pour qui l'homme se réapproprie les propriétés de "dieu" comme étant in fine sa caractéristique propre, cad entre autres l'infinité du genre. Cette réappropriation est plutôt une divinisation ou infinitisation de l'homme, soit le contraire d'une finitisation de l'homme.
La grande différence entre Sartre et Kojève est que la conscience humaine, chez Sartre, du moins dans EN, est solipsiste, autonome, alors que chez Kojève, qui reprend à Hegel l'aliénation constitutive de la conscience-de-soi dans un autre (mais anthropologise la notion hégélienne d'Esprit, dont la conscience-de-soi est un moment de son auto-manifestation), la conscience humaine est originairement sociale, collective, repensée en termes de désir-du-désir d'un autre, désir de reconnaissance.
Mais, si la conscience chez Sartre, autonome (mais menacée d'aliénation sous le regard de l'autre), et dans une mesure moindre la conscience chez Kojève (se formant nécessairement dans l'aliénation de la lutte des désirs pour la reconnaissance), se caractérisent par cette passion d'être "dieu", ou encore désir de transcendance, (selon des modalités différentes, à examiner), c'est, pour Sartre autant que Kojève, un leurre. La conquête ou affirmation de la conscience comme libre (plus ou moins donnée d'emblée chez Sartre, dialectique chez Kojève) consistent bien à assumer comme indépassable la finitude radicale de l'existence humaine. Consistent autrement dit dans la conquête d'un athéisme radical.
Pour le reste, ton usage des concepts est suffisamment ambigu, si souvent déjà une interprétation, qu'il faudrait pour en discuter quasiment entamer pour chaque phrase un séminaire d'histoire de la philosophie. A l'impossible nul n'est tenu. ça excède mes limites, les limites du forum. Sans compter les accusations larvées qui ne manqueraient pas de suivre ("petit prof", "petit maître", "qui jouit d'imposer une autorité", "de quel droit dit-il que je ne comprends pas, pour qui se prend-il", etc etc.).
Dernière édition par jerzy P le Mar 15 Mai 2012 - 20:28, édité 16 fois
Invité- Invité
Re: Nos films "de chevet", notre vaine et angoissée passion de l'éternité. Car, hélas, comme disait Joyce : "tous les jours rencontrent leur fin." Et tous les films.
pour moi rien ne peut être plus fini qu'un film que j'aime, c'est même la chose du monde la plus finie, la plus aboutie quand pour des raisons qui me regardent ou objectives voire parfois pour faire plaisir, je décide de faire mien un film en lui mettant de mon droit le mot fin.
Invité- Invité
Re: Nos films "de chevet", notre vaine et angoissée passion de l'éternité. Car, hélas, comme disait Joyce : "tous les jours rencontrent leur fin." Et tous les films.
hello jerzy;
il faudrait aussi dire que Sartre a marqué les limites de l'intentionnalité husserlienne (comme il la comprend)
"
Husserl a été, tout au long de sa carrière philosophique, hanté par l'idée de la transcendance et du dépassement. Mais les instruments philosophiques dont il disposait, en particulier sa conception idéaliste de l'existence, lui ôtaient les moyens de rendre compte de cette transcendance : son intentionnalité n'en est que la caricature. La conscience husserlienne ne peut en réalité se transcender ni vers le monde, ni vers l'avenir, ni vers le passé."
La conscience humaine, c'est pour Sartre la visée intentionnelle husserlienne, qu'il rédifinit comme un vide, un manque, en autonomisant le noème (pôle objet) de la corrélation noético-noématique: toute conscience se constitue comme conscience en portant sur quelque chose d'autre qu'elle, qu'elle n'est pas, portée sur un être qu'elle n'est pas. Cet être, c'est la nature ou les choses, comme régime de l'inertie, de l'identité à soi, de la nécessité ( = non contingente).
La "réalité-humaine", c'est bien entendu à la fois le "Dasein" de Heidegger, et l'intentionnalité husserlienne redéfinie comme trou dans l'être.
il faudrait aussi dire que Sartre a marqué les limites de l'intentionnalité husserlienne (comme il la comprend)
"
Husserl a été, tout au long de sa carrière philosophique, hanté par l'idée de la transcendance et du dépassement. Mais les instruments philosophiques dont il disposait, en particulier sa conception idéaliste de l'existence, lui ôtaient les moyens de rendre compte de cette transcendance : son intentionnalité n'en est que la caricature. La conscience husserlienne ne peut en réalité se transcender ni vers le monde, ni vers l'avenir, ni vers le passé."
Borges- Messages : 6044
Re: Nos films "de chevet", notre vaine et angoissée passion de l'éternité. Car, hélas, comme disait Joyce : "tous les jours rencontrent leur fin." Et tous les films.
Salut Borges.
Je le pense aussi: qu'il a marqué les limites de l'intentionnalité husserlienne (à tort ou à raison... Je connais fort mal la pensée de Husserl), et que c'est à porter à son crédit (qu'il s'en éloigne ou non).
J'étais d'ailleurs en train de rééditer, en tapant un petit passage, le plus connu, de "une idée fondamentale de Husserl". Un beau passage, qu'on aime bien citer. lol.
(question à 10 euros: faut-il préférer avoir tort avec Sartre que raison avec J.L. Marion? Je me souviens de la tronche de Marion dans une conf, quand le nom de Sartre fut prononcé. Comme si on avait lâché un pet sur une toile cirée. C'est assez parlant, le rejet spontané de Sartre par tout ce courant phénoménologique "spiritualiste": Sartre, le gars qu'a strictement rien compris à Husserl ni à Heidegger...)
Je le pense aussi: qu'il a marqué les limites de l'intentionnalité husserlienne (à tort ou à raison... Je connais fort mal la pensée de Husserl), et que c'est à porter à son crédit (qu'il s'en éloigne ou non).
J'étais d'ailleurs en train de rééditer, en tapant un petit passage, le plus connu, de "une idée fondamentale de Husserl". Un beau passage, qu'on aime bien citer. lol.
(question à 10 euros: faut-il préférer avoir tort avec Sartre que raison avec J.L. Marion? Je me souviens de la tronche de Marion dans une conf, quand le nom de Sartre fut prononcé. Comme si on avait lâché un pet sur une toile cirée. C'est assez parlant, le rejet spontané de Sartre par tout ce courant phénoménologique "spiritualiste": Sartre, le gars qu'a strictement rien compris à Husserl ni à Heidegger...)
Dernière édition par jerzy P le Mar 15 Mai 2012 - 21:52, édité 5 fois
Invité- Invité
Re: Nos films "de chevet", notre vaine et angoissée passion de l'éternité. Car, hélas, comme disait Joyce : "tous les jours rencontrent leur fin." Et tous les films.
Jerzy :
Dernière édition par jerzy P le Mar 15 Mai 2012 - 21:31, édité 14 fois
ah oui que ce soit la dernière édition.
édité 14 fois
lol, tout ça pour ça ?
Invité- Invité
Re: Nos films "de chevet", notre vaine et angoissée passion de l'éternité. Car, hélas, comme disait Joyce : "tous les jours rencontrent leur fin." Et tous les films.
Tout à fait, cher ami. 15 au total (non, 16, lol. Un "sa" au lieu d'un "la" trainait encore), et là, c'est provisoirement satisfaisant (j'ai enlevé des coquilles, modifié des formulations, intégré une précision sur la "liberté", rajouté une citation, visé la plus grande unité dans les limites de mon propos).
Comme tu vois, nous n'avons pas la même approche de la notion de "fini". Bien que je polisse mes posts comme tu caresses tes films de chevet, jusqu'à y apposer avec satisfaction le mot "fin".
Comme tu vois, nous n'avons pas la même approche de la notion de "fini". Bien que je polisse mes posts comme tu caresses tes films de chevet, jusqu'à y apposer avec satisfaction le mot "fin".
Dernière édition par jerzy P le Mar 15 Mai 2012 - 20:28, édité 2 fois
Invité- Invité
Re: Nos films "de chevet", notre vaine et angoissée passion de l'éternité. Car, hélas, comme disait Joyce : "tous les jours rencontrent leur fin." Et tous les films.
mais non Jerzy laisse aller ta bile noire montre nous tes soubresauts d'electrocutés oublie ta philo de manuel et tes bonnes manières, pisse la copie dégueu !
Invité- Invité
Re: Nos films "de chevet", notre vaine et angoissée passion de l'éternité. Car, hélas, comme disait Joyce : "tous les jours rencontrent leur fin." Et tous les films.
C'est pas de la philo de manuel, pour moi c'est du vécu, et du craché, cher.
La bile, en soi, n'a aucun intérêt. Je n'ai pas de bile intéressante, en soi, mais des biles intéressantes (peut-être) pour d'autres, quand je m'efforce de les ressaisir "pour moi".
Vois-tu?
Hm?
Allez, il est temps de visionner mon ptit dvd, avant la tisane et le suppo fécaloïde.
La bile, en soi, n'a aucun intérêt. Je n'ai pas de bile intéressante, en soi, mais des biles intéressantes (peut-être) pour d'autres, quand je m'efforce de les ressaisir "pour moi".
Vois-tu?
Hm?
Allez, il est temps de visionner mon ptit dvd, avant la tisane et le suppo fécaloïde.
Invité- Invité
Re: Nos films "de chevet", notre vaine et angoissée passion de l'éternité. Car, hélas, comme disait Joyce : "tous les jours rencontrent leur fin." Et tous les films.
Oh mince, y avait encore une imperfection:
Lire:
Crotte alors. J'ai besoin d'un secrétaire.
Slimfast, veux-tu être ce secrétaire (sur tes heures sup, bien sûr)? Tu as toutes les qualités pour, à mon humble avis.
Dieu n'a pas à être passionné par quoi que soit
Lire:
Dieu n'a pas à être passionné par quoi que ce soit
Crotte alors. J'ai besoin d'un secrétaire.
Slimfast, veux-tu être ce secrétaire (sur tes heures sup, bien sûr)? Tu as toutes les qualités pour, à mon humble avis.
Invité- Invité
Re: Nos films "de chevet", notre vaine et angoissée passion de l'éternité. Car, hélas, comme disait Joyce : "tous les jours rencontrent leur fin." Et tous les films.
Errare humanum est, donc erratum (again):
"il s'agit" et non "il sagit"
"sur le mode d'un pour-soi", et non "sur le monde d'un pour-soi" (bien que ça fasse sens, quelque part).
Toujours cette saloperie de désir de la complétude, bouclée, d'en finir avec la finitude... Seigneur ayez pitié s'il vous plaît oh pis merde.
"il s'agit" et non "il sagit"
"sur le mode d'un pour-soi", et non "sur le monde d'un pour-soi" (bien que ça fasse sens, quelque part).
Toujours cette saloperie de désir de la complétude, bouclée, d'en finir avec la finitude... Seigneur ayez pitié s'il vous plaît oh pis merde.
Invité- Invité
Re: Nos films "de chevet", notre vaine et angoissée passion de l'éternité. Car, hélas, comme disait Joyce : "tous les jours rencontrent leur fin." Et tous les films.
jerzy P a écrit:
La grande différence entre Sartre et Kojève est que la conscience humaine, chez Sartre, du moins dans EN, est solipsiste, autonome, alors que chez Kojève, qui reprend à Hegel l'aliénation constitutive de la conscience-de-soi dans un autre (mais anthropologise la notion hégélienne d'Esprit, dont la conscience-de-soi est un moment de son auto-manifestation), la conscience humaine est originairement sociale, collective, repensée en termes de désir-du-désir d'un autre, désir de reconnaissance.
Mais, si la conscience chez Sartre, autonome (mais menacée d'aliénation sous le regard de l'autre), et dans une mesure moindre la conscience chez Kojève (se formant nécessairement dans l'aliénation de la lutte des désirs pour la reconnaissance), se caractérisent par cette passion d'être "dieu", ou encore désir de transcendance, (selon des modalités différentes, à examiner), c'est, pour Sartre autant que Kojève, un leurre. La conquête ou affirmation de la conscience comme libre (plus ou moins donnée d'emblée chez Sartre, dialectique chez Kojève) consistent bien à assumer comme indépassable la finitude radicale de l'existence humaine. Consistent autrement dit dans la conquête d'un athéisme radical.
hello Jerzy
Je sais pas si je te comprends bien; si oui, je trouve curieux que tu dises ça, d'autant plus que t'as rappellé la définition de l'intentionnalité : sans le quelque chose, y a pas d'intentionnalité, de conscience, donc; y a d'autonomie, de solipsisme. Dans l'EN, l'un des thèmes, c'est le dépassement du solipsisme; sartre veut aller plus loin que ses positions précédentes, qu'il juge encore solipsistes, et aller plus loin que husserl qui, comme Kant, pense encore autrui à partir de la connaissance, comme signification; pour sartre, la pluralité des consciences est une donnée originaire, autrui ne survient pas empiriquement, il est toujours déjà donné, sur le mode de l'exclusion (tout ça tu le sais, bien spur) : la guerre des consciences est originaire, autrement dit; tout ça découle logiquement de l'approfondissement de la notion d'intentionnalité, par Heidegger, vers la transcendance pensée comme être au-monde, et donc comme être-avec; sartre reproche à Heidegger (bizarement) d'avoir pensé être-avec sur le mode de l'équipe, il lui oppose Hegel.
Sartre, le dit clairement à plusieurs reprise : "le fait premier c'est la pluralité des consciences et cette pluralité est réalisée sous forme d'une double et réciproque relation d'exclusion. Nous voilà en présence du lien de négation par intériorité que nous réclamions tout à l'heure. Aucun néant externe et en soi ne sépare ma conscience de la conscience d'autrui , mais c'est par le fait même d'être moi que j 'exclus l'autre : l'autre est ce qui m'exclut en étant soi, ce que j 'exclus en étant moi. Les consciences sont directement portées les unes sur les autres dans une imbrication réciproque de leur être."
La passion d'être Dieu se comprend aussi à partir de cette imbrication réciproque de l'être des consciences. Etre Dieu, c'est la passion d'une conscience qui se veut sans exclusion, sans limitation, qui ne serait jamais dépossédée des sens qu'elle confère aux choses, à soi, ... un être qui verrait sans être vu, par exemple, jamais passif, sans altérité; un être tout totalement en soi; le fantasme de la présence de soi à soi, comme dirait l'autre.
la menace ne vient pas du dehors, de l'extérieur, c'est pas un accident contingent, qui survient...la menace est originaire; nous sommes exclus de l'intérieur...
Borges- Messages : 6044
Re: Nos films "de chevet", notre vaine et angoissée passion de l'éternité. Car, hélas, comme disait Joyce : "tous les jours rencontrent leur fin." Et tous les films.
slimfast a écrit:pour moi rien ne peut être plus fini qu'un film que j'aime, c'est même la chose du monde la plus finie, la plus aboutie quand pour des raisons qui me regardent ou objectives voire parfois pour faire plaisir, je décide de faire mien un film en lui mettant de mon droit le mot fin.
Le truc intéressant à noter, c'est que le terme "fin" a deux sens au moins; ça veut dire à la fois la cessation, là où une chose finit, se termine, prend fin, meurt, en quelque sorte, et aussi le moment où elle commence. Comme disait aristote, "l'être d'une chose est dans sa fin"; dans son télos, son achèvement; c'est quand le roman est fini, terminé, achevé, qu'il commence à être; comme la statue, ou n'importe quelle oeuvre, d'art ou technique. Puisque on cause cinéma, et spectateur, du point de vue du spectateur, le film commence une fois achevé (par la production), mais aussi à la fin du film. Le fameux end, happy ou pas, dit cette ambivalence. Avec le mot "end", à la dernière image, le film prend fin, et en même temps commence, dans une espèce de mouvement de totalisation subjective, d'intériorisation, d'appropriation, qui ne sera jamais complète, achevée. C'est cet inachèvement de l'intériorisation qui lui permet de durer, d'avoir une histoire, plus ou moins longue. Moins un film s'assimile, moins il est réductible au même d'une subjectivité, plus il peut durer. La force d'un film, c'est de se refuser. Quand j'ai vu le film, un bon, un vrai, j'en ai pas fini avec lui. C'est ce qui distingue une oeuvre d'art, d'un objet de consommation. Quand j'ai mangé mon chocolat, et bien je l'ai mangé, il cesse d'être. Il n'en reste rien. Quand j'ai vu un film, il continue à être, parce que voir, voir vraiment, c'est pas consommer par les yeux, ou comme on dit "manger avec les yeux". Cette durée de l'inachèvement, cette continuation dans l'être, qui est à la fois de mon fait, mon action, je revois le film, je le pense, je m'en souviens, et aussi le fait du dehors, des autres, du monde. Il faudrait pas les séparer artificiellement, d'ailleurs. Si le film est d'autant plus riche, qu'il se refuse à l'achèvement, sa durée en moi est d'autant plus grande que je ne suis pas moins même achevé, que je suis ouvert. L'ouverture du film, de l'oeuvre dépend de ma propre ouverture, qui est une donnée constitue de l'expérience esthétique. Quand je vois un film, je ne le vois jamais seul, même si ça arrive empiriquement, je suis toujours hanté par les autres, ma vision est redoublée par la leur; par ce que j'ai lu, ce qu'on m'en a dit, ce que j'ai projeté de voir...Le film se continue en moi et en dehors de moi, par ce que je lui ajoute, avec les autres, ce que je lui retire. Une fois le film achevé, au sens premier du mot, c'est la communauté de ses admirateurs qui deviennent ses véritables auteurs; le film se continue en eux, "comme une création continuée". Mais comme nous ne sommes pas Dieu, à qui il peut arriver aussi d'en avoir ras le bol de sa création et de la détruire, un jour ou l'autre, pour je ne sais quelle raison, sans parler de l'inévitable, cette création continuée, je peux l'abandonner. Le film cesse alors, en moi, mais aussi dans le monde. Le film étant une réalité mentale, subjective, intersubjective, il ne peut mener sa vie tout seul, sans être soutenu dans l'être; la seule existence autonome qu'il possède en soi, de soi, c'est l'existence matérielle; et encore, elle ne dure pas. Elle dépend de la sauvegarde subjective, des significations, des interprétations. Le film c'est pas tout à fait comme les spectacles de performance, qui n'existent qu'en acte, mais c'en est pas loin. Le film est pleinement quand il est vu (son être c'est d'être perçu) du moins quand il est pour une subjectivité, sur un mode où l'autre, perception, imagination, souvenir...là il faudrait faire intervenir un troisième sens du mot "fin", celui qui définit l'être de l'homme, comme "fin de soi"... c'est à partir de là que l'on peut mesurer, et penser la fin de l'oeuvre, la fin d'un film...
Borges- Messages : 6044
Re: Nos films "de chevet", notre vaine et angoissée passion de l'éternité. Car, hélas, comme disait Joyce : "tous les jours rencontrent leur fin." Et tous les films.
Hello Borges.
Oui, ce passage sur la différence Sartre/Kojève se contente d'être allusif, je ne voulais pas développer cette question pourtant cruciale, pour ne pas trop allonger la sauce de mes posts déjà si longs. Mais ça exige en effet une précision, un développement.
Quand je dis "l'autonomie de la conscience chez Sartre est menacée sous le regard d'autrui", cela peut paraître contradictoire avec cette refonte de l'intentionnalité qui, désormais, n'est rien que la visée de quelque chose qui n'est pas elle.
Je parle d'autonomie ou de solipsisme pour plusieurs raisons:
la première étant que c'est Sartre lui-même qui émettra cette critique à l'égard de EN, quand il tentera d'approfondir ou complexifier la dimension de la collectivité, du lien inter-subjectif, dans la Critique de la raison dialectique. Il estimera alors, me semble-t-il, que son analyse de la conscience ("husserlo-heideggerienne") était encore trop solipsiste.
La seconde, plus importante, tient justement dans cette "guerre des consciences". Si la pluralité des consciences est bien une donnée originaire, elle l'est sur ce mode que tu rappelles: de l'exclusion. Si la conscience est liberté, ce n'est pas la liberté comme complétude, présence à soi sans altération. Comme tu le soulignes, la menace qui pèse sur cette complétude fantasmée n'est pas extérieure, accidentelle, contingente, elle est à l'intérieur même du sujet, de la conscience. Elle est constitutive du sujet. Nous sommes exclus (de toute complétude, auto-constitution) de l'intérieur. Mais est-ce parce qu'autrui intervient dans la formation même de l'ipséité du je? Si oui, ça rapproche Sartre de Lacan, d'une certaine manière, cette position du problème. Et pour mon compte, j'acquiesce assez à cette position.
Mais ça me pose des questions. Concernant Sartre. La liberté sartrienne (dans EN) acquiesce-t-elle inconditionnellement à cela? La liberté, dans EN, n'est-elle pas pensée, dans l'héritage de Descartes, comme l'opération de néantisation d'un sujet d'une certaine manière déjà anhistoriquement constitué (comme liberté), fut-il non-coïncidence à soi?
Autrui intervient, originairement, comme limitant ma liberté en affirmant la sienne: la guerre ou lutte des conscience réside bien en ceci que je cherche constamment à échapper, en affirmant ma liberté (de n'être pas une chose), à cette pétrification ou "chosification" de moi sous le regard de l'autre, qui, affirmant de son côté sa liberté (de n'être pas une chose), menace de me "chosifier". Autrui constituerait donc un obstacle (originaire) à ma liberté; la co-implication réciproque et originaire des consciences serait un conflit non dépassable.
Cette lutte des consciences pour l'affirmation de soi comme liberté est à la fois proche et différente de la lutte des consciences chez Kojève. Elles se déploient toutes les deux sur ce fond "hégélien". Il me semble, mais c'est un débat, que la dimension qui manquerait cependant encore chez Sartre dans l'EN (et je me corrige aussitôt: ce n'est pas que cette dimension "manquerait" chez Sartre, c'est peut-être qu'il la refuse et tire les conséquences de ce refus), c'est la place accordée à l'aliénation comme dimension constitutive de la conscience, et ça donne une logique très différente à l'articulation de la dialectique de la lutte des consciences, à leur imbrication ou "co-implication" réciproque.
La conscience selon Sartre, comme pure visée intentionnelle, est certes de l'ordre d'une "non présence à soi", toujours déjà altérée, dépossédée de toute intériorité "psychologique". Elle n'est pas autonome, solipsiste, bien sûr, au sens où elle n'a pas de "dedans". "La philosophie de la transcendance [comprendre: "du dehors", de l'extériorité], nous jette sur la grand-route, au milieu des menaces, sous une aveuglante lumière" [...] "Tout est dehors, dans le monde, parmi les autres" [...] Ce n'est pas dans je ne sais quelle retraite ("vie intérieure") que nous nous découvrirons: c'est sur la route, dans la ville, au milieu de la foule, chose parmi les choses, homme parmi les hommes".
Mais en un autre sens, sa façon de ne pas avoir de "dedans", son éclatement radical dans-le-monde, par son caractère de "translucidité" ou de "transparence" ("claire comme un grand vent") n'est-elle pas plus originaire encore que la rencontre avec autrui? Je veux dire par là: autrui n'est-il pas une dimension relativement secondaire en regard de ce mouvement de projection radicale hors de soi qu'est la conscience, et qui ne suppose aucune "poche" de résistance comme par exemple "l'inconscient" (et on sait que d'une certaine manière, cet inconscient que Sartre refuse, on pourrait aussi le définir comme la place occupée par "autrui" dans la "formation du "je"")?
Moi et autrui, comme co-consciences, consciences originairement co-impliquées, semblons être originairement par là des libertés déjà données, constituées (autonomes en ce sens), quoique sans intériorité, et la "double et réciproque relation d'exclusion", ou lutte, qui en découle, ne semble pas pouvoir être surmontée, semble posée comme une aporie indépassable. Autrui ne peut intervenir originairement que comme limitant ou excluant ma liberté et réciproquement. ça ne donne pas lieu à une "dialectique". [Enfin, c'est comme ça que je le comprends, en faisant peut-être fausse route. Ceci indiquant, si besoin était, la difficulté que constitue l'effort de comprendre un philosophe, effort qui ne débouche pas sur des certitudes, des réponses ou des assurances, mais des questions à nouveau reposées, dans un débat perpétuel avec l’œuvre, une remise en cause perpétuelle de ce que je crois avoir compris ou saisi.]
(Maintenant, est-ce que ça doit donner lieu à une "dialectique"? Je ne l'affirmerai pas davantage. Je présente la position de Kojève, mais ça ne veut pas dire que je pense que Kojève a raison contre Sartre ou Sartre raison contre Kojève)
Chez Kojève, la notion d'intentionnalité husserlienne n'est pas à proprement parler convoquée. Elle n'intéresse pas vraiment Kojève (qui a pourtant étudié Husserl). On le sait, c'est la dimension du "désir", comme redéfinition anthropologique du "Dasein", qui tient la place de l'intentionnalité du Sartre de l'EN.
Chez Kojève l'aliénation est plus originaire encore que la conscience, au point de carrément la fonder. Ce qu'à la suite de Hegel Kojève nomme "L'autonomie" de la conscience, comme liberté, est aussi "non présence à soi", "être-éclaté-dans-le-monde". Mais cela n'est pas donné originairement, comme ne sont pas données originairement les co-consciences. Autrement dit, la pluralité des consciences [pas encore constituées, se constituant] est originairement "donnée", pas à la façon de Sartre dans EN donc: originairement donnée comme le processus même de constitution de ces consciences. C'est le processus de reconnaissance dans et par l'opposition mimétique et conflictuelle qui est originaire et condition de possibilité de la conscience. Indépendamment de la refonte de l'intentionnalité husserlienne, laquelle intéresse fort peu Kojève en définitive, donc.
On commence par l'inautonomie de la conscience-de-soi. J'identifie mon désir (comme "ce qui n'est pas la chose et la nie") uniquement à travers le désir d'un autre opérant lui aussi cette identification en miroir. Cette identification, si elle est un jeu "de miroir", ne peut être selon Kojève qu'un jeu de miroir "asymétrique", entre une conscience se révélant de prime abord dépendante d'une autre conscience, et une conscience se révélant de prime abord comme la dominant. Je découvre de prime abord ma liberté ou négativité dans la rencontre originairement conflictuelle avec l'autre, sous la forme de ce jeu de reconnaissance asymétrique (je dois d'abord reconnaître la liberté de l'autre sans être reconnu par lui - position de l'esclave -, ou je dois d'abord faire reconnaître ma liberté par l'autre sans le reconnaître - position du maitre).
Pour Kojève, la position initiale de l'autonomie (maitrise) étant une impasse (l'affirmation première de l'arrachement aux choses se retourne en jouissance oisive des choses), seule la position initiale de la servitude (un travail de transformation des choses accompli contre sa propre jouissance, au service de celle du maitre) peut se dialectiser et atteindre la conscience-de-soi comme négativité. Cette primauté "humanisante" ou "anthropogène" de l'aliénation conflictuelle, me semble donc très différente de la pluralité des consciences donnée originairement sur le mode de l'exclusion double et réciproque. C'est cela que signifie, déplié, ce passage lapidaire où je pointais entre Sartre et Kojève à la fois une proximité (la conscience comme "trou dans l'être", leur athéisme) et une différence (leur appréhension de "l'aliénation" et de la "dialectique").
Oui, ce passage sur la différence Sartre/Kojève se contente d'être allusif, je ne voulais pas développer cette question pourtant cruciale, pour ne pas trop allonger la sauce de mes posts déjà si longs. Mais ça exige en effet une précision, un développement.
Quand je dis "l'autonomie de la conscience chez Sartre est menacée sous le regard d'autrui", cela peut paraître contradictoire avec cette refonte de l'intentionnalité qui, désormais, n'est rien que la visée de quelque chose qui n'est pas elle.
Je parle d'autonomie ou de solipsisme pour plusieurs raisons:
la première étant que c'est Sartre lui-même qui émettra cette critique à l'égard de EN, quand il tentera d'approfondir ou complexifier la dimension de la collectivité, du lien inter-subjectif, dans la Critique de la raison dialectique. Il estimera alors, me semble-t-il, que son analyse de la conscience ("husserlo-heideggerienne") était encore trop solipsiste.
La seconde, plus importante, tient justement dans cette "guerre des consciences". Si la pluralité des consciences est bien une donnée originaire, elle l'est sur ce mode que tu rappelles: de l'exclusion. Si la conscience est liberté, ce n'est pas la liberté comme complétude, présence à soi sans altération. Comme tu le soulignes, la menace qui pèse sur cette complétude fantasmée n'est pas extérieure, accidentelle, contingente, elle est à l'intérieur même du sujet, de la conscience. Elle est constitutive du sujet. Nous sommes exclus (de toute complétude, auto-constitution) de l'intérieur. Mais est-ce parce qu'autrui intervient dans la formation même de l'ipséité du je? Si oui, ça rapproche Sartre de Lacan, d'une certaine manière, cette position du problème. Et pour mon compte, j'acquiesce assez à cette position.
Mais ça me pose des questions. Concernant Sartre. La liberté sartrienne (dans EN) acquiesce-t-elle inconditionnellement à cela? La liberté, dans EN, n'est-elle pas pensée, dans l'héritage de Descartes, comme l'opération de néantisation d'un sujet d'une certaine manière déjà anhistoriquement constitué (comme liberté), fut-il non-coïncidence à soi?
Autrui intervient, originairement, comme limitant ma liberté en affirmant la sienne: la guerre ou lutte des conscience réside bien en ceci que je cherche constamment à échapper, en affirmant ma liberté (de n'être pas une chose), à cette pétrification ou "chosification" de moi sous le regard de l'autre, qui, affirmant de son côté sa liberté (de n'être pas une chose), menace de me "chosifier". Autrui constituerait donc un obstacle (originaire) à ma liberté; la co-implication réciproque et originaire des consciences serait un conflit non dépassable.
Cette lutte des consciences pour l'affirmation de soi comme liberté est à la fois proche et différente de la lutte des consciences chez Kojève. Elles se déploient toutes les deux sur ce fond "hégélien". Il me semble, mais c'est un débat, que la dimension qui manquerait cependant encore chez Sartre dans l'EN (et je me corrige aussitôt: ce n'est pas que cette dimension "manquerait" chez Sartre, c'est peut-être qu'il la refuse et tire les conséquences de ce refus), c'est la place accordée à l'aliénation comme dimension constitutive de la conscience, et ça donne une logique très différente à l'articulation de la dialectique de la lutte des consciences, à leur imbrication ou "co-implication" réciproque.
La conscience selon Sartre, comme pure visée intentionnelle, est certes de l'ordre d'une "non présence à soi", toujours déjà altérée, dépossédée de toute intériorité "psychologique". Elle n'est pas autonome, solipsiste, bien sûr, au sens où elle n'a pas de "dedans". "La philosophie de la transcendance [comprendre: "du dehors", de l'extériorité], nous jette sur la grand-route, au milieu des menaces, sous une aveuglante lumière" [...] "Tout est dehors, dans le monde, parmi les autres" [...] Ce n'est pas dans je ne sais quelle retraite ("vie intérieure") que nous nous découvrirons: c'est sur la route, dans la ville, au milieu de la foule, chose parmi les choses, homme parmi les hommes".
Mais en un autre sens, sa façon de ne pas avoir de "dedans", son éclatement radical dans-le-monde, par son caractère de "translucidité" ou de "transparence" ("claire comme un grand vent") n'est-elle pas plus originaire encore que la rencontre avec autrui? Je veux dire par là: autrui n'est-il pas une dimension relativement secondaire en regard de ce mouvement de projection radicale hors de soi qu'est la conscience, et qui ne suppose aucune "poche" de résistance comme par exemple "l'inconscient" (et on sait que d'une certaine manière, cet inconscient que Sartre refuse, on pourrait aussi le définir comme la place occupée par "autrui" dans la "formation du "je"")?
Moi et autrui, comme co-consciences, consciences originairement co-impliquées, semblons être originairement par là des libertés déjà données, constituées (autonomes en ce sens), quoique sans intériorité, et la "double et réciproque relation d'exclusion", ou lutte, qui en découle, ne semble pas pouvoir être surmontée, semble posée comme une aporie indépassable. Autrui ne peut intervenir originairement que comme limitant ou excluant ma liberté et réciproquement. ça ne donne pas lieu à une "dialectique". [Enfin, c'est comme ça que je le comprends, en faisant peut-être fausse route. Ceci indiquant, si besoin était, la difficulté que constitue l'effort de comprendre un philosophe, effort qui ne débouche pas sur des certitudes, des réponses ou des assurances, mais des questions à nouveau reposées, dans un débat perpétuel avec l’œuvre, une remise en cause perpétuelle de ce que je crois avoir compris ou saisi.]
(Maintenant, est-ce que ça doit donner lieu à une "dialectique"? Je ne l'affirmerai pas davantage. Je présente la position de Kojève, mais ça ne veut pas dire que je pense que Kojève a raison contre Sartre ou Sartre raison contre Kojève)
Chez Kojève, la notion d'intentionnalité husserlienne n'est pas à proprement parler convoquée. Elle n'intéresse pas vraiment Kojève (qui a pourtant étudié Husserl). On le sait, c'est la dimension du "désir", comme redéfinition anthropologique du "Dasein", qui tient la place de l'intentionnalité du Sartre de l'EN.
Chez Kojève l'aliénation est plus originaire encore que la conscience, au point de carrément la fonder. Ce qu'à la suite de Hegel Kojève nomme "L'autonomie" de la conscience, comme liberté, est aussi "non présence à soi", "être-éclaté-dans-le-monde". Mais cela n'est pas donné originairement, comme ne sont pas données originairement les co-consciences. Autrement dit, la pluralité des consciences [pas encore constituées, se constituant] est originairement "donnée", pas à la façon de Sartre dans EN donc: originairement donnée comme le processus même de constitution de ces consciences. C'est le processus de reconnaissance dans et par l'opposition mimétique et conflictuelle qui est originaire et condition de possibilité de la conscience. Indépendamment de la refonte de l'intentionnalité husserlienne, laquelle intéresse fort peu Kojève en définitive, donc.
On commence par l'inautonomie de la conscience-de-soi. J'identifie mon désir (comme "ce qui n'est pas la chose et la nie") uniquement à travers le désir d'un autre opérant lui aussi cette identification en miroir. Cette identification, si elle est un jeu "de miroir", ne peut être selon Kojève qu'un jeu de miroir "asymétrique", entre une conscience se révélant de prime abord dépendante d'une autre conscience, et une conscience se révélant de prime abord comme la dominant. Je découvre de prime abord ma liberté ou négativité dans la rencontre originairement conflictuelle avec l'autre, sous la forme de ce jeu de reconnaissance asymétrique (je dois d'abord reconnaître la liberté de l'autre sans être reconnu par lui - position de l'esclave -, ou je dois d'abord faire reconnaître ma liberté par l'autre sans le reconnaître - position du maitre).
Pour Kojève, la position initiale de l'autonomie (maitrise) étant une impasse (l'affirmation première de l'arrachement aux choses se retourne en jouissance oisive des choses), seule la position initiale de la servitude (un travail de transformation des choses accompli contre sa propre jouissance, au service de celle du maitre) peut se dialectiser et atteindre la conscience-de-soi comme négativité. Cette primauté "humanisante" ou "anthropogène" de l'aliénation conflictuelle, me semble donc très différente de la pluralité des consciences donnée originairement sur le mode de l'exclusion double et réciproque. C'est cela que signifie, déplié, ce passage lapidaire où je pointais entre Sartre et Kojève à la fois une proximité (la conscience comme "trou dans l'être", leur athéisme) et une différence (leur appréhension de "l'aliénation" et de la "dialectique").
Dernière édition par jerzy P le Mer 16 Mai 2012 - 17:52, édité 8 fois
Invité- Invité
Re: Nos films "de chevet", notre vaine et angoissée passion de l'éternité. Car, hélas, comme disait Joyce : "tous les jours rencontrent leur fin." Et tous les films.
la notion de "finir un film", car prosaïquement c'est moi qui choisit ou non d'aller au bout - c'est d'ailleurs un cas assez fréquent - est à rapprocher du travail de deuil.
C'est curieux, souvent il m'est arrivé, alors que j'allais adorer le film, d'avoir envie de quitter la salle comme s'il se déroulait quelque chose d'insupportable, l'acmé du désir ou du plaisir cinématographique.
Ensuite il y a le travail de deuil. J'avoue être un rapide et changer d'avis en deux temps trois mouvements. Je sors de la salle, mon opinion est faite sans coup faillir, et puis mon opinion change à 180 ° parfois.
Pour ces films là, le tout venant, le deuil est fait rapidement.
Et puis je suis d'accord avec Borges il y a les films de l'amour desquels on ne guérit pas si vite ceux qui restent à l'affut de la mémoire dont le deuil sera long et voluptueux.
Franchement ce ne sont pas tant les films qui me procurent un plaisir sans fin que les oeuvres des cinéastes agrégées en chapelet dont la fin, c'est à dire le dernier film, quand ils sont contemporains, pour le coup peine.
C'est curieux, souvent il m'est arrivé, alors que j'allais adorer le film, d'avoir envie de quitter la salle comme s'il se déroulait quelque chose d'insupportable, l'acmé du désir ou du plaisir cinématographique.
Ensuite il y a le travail de deuil. J'avoue être un rapide et changer d'avis en deux temps trois mouvements. Je sors de la salle, mon opinion est faite sans coup faillir, et puis mon opinion change à 180 ° parfois.
Pour ces films là, le tout venant, le deuil est fait rapidement.
Et puis je suis d'accord avec Borges il y a les films de l'amour desquels on ne guérit pas si vite ceux qui restent à l'affut de la mémoire dont le deuil sera long et voluptueux.
Franchement ce ne sont pas tant les films qui me procurent un plaisir sans fin que les oeuvres des cinéastes agrégées en chapelet dont la fin, c'est à dire le dernier film, quand ils sont contemporains, pour le coup peine.
Invité- Invité
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