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Tree of Life et le cinéma de T. Malick

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Message par Invité Ven 10 Juin 2011 - 19:21

Borges a écrit :


si je devais écrire un texte sur ce film de malick, le titre en serait : "le bébé et le dinosaure";





qu'à cela ne tienne. ce jeu de mot a tiroirs, langien, est joli.

au travail !

Wink

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Message par Eyquem Sam 11 Juin 2011 - 11:40

On parlait d'imagerie au début, et de Mowgli, dont les enfants lisent les aventures dans Tree of life.

Dans Days of heaven, il est possible que ce soit aussi ce livre que lise la gamine :

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Message par Eyquem Sam 11 Juin 2011 - 12:21

C'est intéressant, si c'est bien ce livre, déjà en 78. Parce que la question de Mowgli, c'est aussi celle des personnages de Malick : quel est ton monde ? où est-il ? où es-tu ?
Borges a écrit:C'est sur le forum des cahiers que nous étaient parvenues les premières rumeurs autour de cet arbre de vie, on disait alors que le film se déroulerait en Inde ; l’arbre de vie appartenait alors à la mythologie indienne ; cela me semblait logique : le premier amour de pocahontas cherchait à atteindre l’inde ; la délaissant. Malick suivait son explorateur...

De cette Inde ne reste plus dans ce projet que le livre de la jungle que lisent les enfants ; Mowgli, l’enfant loup.

(on se souvient du projet abandonné par malick : elephant man)

Le minotaure appartient à cette série des êtres doubles.
Holly says, "Sometimes I wished I could fall asleep and be taken off to some magical land, but this never happened." But she enough believes there is such a place that she must confess to you she never got there."

(entretien de Malick, cité plus haut)

La question du lieu est répétée de titre en titre : Badlands, Heaven, New world. Même Thin red line, c'est encore une question de frontière. Et le Tree of life, il faut bien qu'il soit enraciné quelque part.


"Où étais-tu ?", c'est aussi la question qui ouvre le film.
Y être ou ne pas y être, telle est la question.

(Par exemple, ce qui rend la scène de la mort du frère déchirante, c'est qu'elle n'ait pas de lieu : les parents n'y étaient pas ; leur en vient seulement la nouvelle, par une lettre, différée.)
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Message par Borges Sam 11 Juin 2011 - 13:14

hello eyquem;
dans the tree of life, le passage de mowgli , c'est celui où le serpent kaa change de peau;

Kaa, le gros Python de Rocher, venait de changer de peau pour la deux centième fois peut-être depuis sa naissance ; et, Mowgli, se rappelant toujours qu’il lui devait la vie, à la suite de certaine nuit blanche aux Grottes Froides, dont vous vous souvenez peut-être, accourut l’en féliciter.

Un serpent, après avoir changé de peau, reste toujours quinteux et démoralisé jusqu’à ce que la nouvelle peau commence à reluire et à prendre apparence.


http://kiplinginfrench.free.fr/TSJ05.html

changement de peau, résurrection, évidemment


parmi les livres lus, en évidence, il y a aussi je crois les "20.000 lieues sous les mers" de Verne, et un livre pour enfant;

tout le monde se demande comment on passe du plan humain, biographique, au plan cosmogonique.... on oublie trop que ce film est une lecture, une adaptation du "livre de job": c'est la même structure, le bonheur, la perte, les consolations des voisins, la colère, les origines de l'univers, le retour de tout ce qui a été perdu; bien entendu, malick n'est pas Dreyer, il ressuscite pas le fils, il le redonne après la résurrection...

le livre de job est un immense catalogue, zoologie, astronomie, géographie... nature, morale, vie sociale... tout ce qui est nommé par dieu pour montrer sa puissance, sa gloire, est rendu par malick;


je me demandais ce que faisaient les vaches au début du film, elles viennent du livre de job bien entendu; dans ce livre on trouve même deux bêtes mythiques, le bahamat, ou quelque chose dans le genre, et le léviathan, plus fameux... que pas mal de lecteurs ont identifiés, dans l'intention de concilier la bible et le savoir scientifique, aux dinosaures...

bien entendu, il y a un arbre dans le livre de job, un arbre qui pose analogiquement la question de la résurrection :




"Jb 14,7. Un arbre n'est pas sans espérance; si on le coupe, il reverdit encore, et ses branches se multiplient.

Jb 14,8. Que sa racine ait vieilli dans la terre, et que son tronc soit mort dans la poussière,

Jb 14,9. à peine aura-t-il senti l'eau, qu'il repoussera, et il se couvrira de feuilles comme lorsqu'il a été planté.

Jb 14,10. Mais quand l'homme est mort, dépouillé, consumé, dites-le-moi, que devient-il?

Jb 14,11. Semblable aux eaux qui se retirent de la mer, et à un fleuve qui tarit et se dessèche,

Jb 14,12. l'homme, lorsqu'il est mort, ne ressuscite pas; jusqu'à ce que le ciel soit détruit, il ne se réveillera point, et il ne sortira pas de son sommeil.

Jb 14,13. Qui m'accordera que Vous me cachiez dans le séjour des morts jusqu'à ce que Votre fureur soit passée, et que Vous me marquiez un temps où Vous Vous souviendrez de moi?

Jb 14,14. L'homme, une fois mort, vivra-t-il de nouveau? Dans cette guerre où je me trouve maintenant, j'attends tous les jours que mon changement arrive."
Tree of Life et le cinéma de T. Malick  - Page 5 Images?q=tbn:ANd9GcT58KrGNww7YqXLq9Uih8DRVzUoegfEs6gKSUkFB_seMqrMotndRQ

le génie de malick, c'est la variation des sens : comme je le disais : un simple jardin, un arbre, une échelle... mais tout ça peut prendre des sens métaphoriques, religieux...

la métaphore habite le monde... comme dirait derrida, on ne peut pas séparer le sens propre du sens figuré...comme dans le livre de Job, où l'on trouve, le chien animal aboyant et le chien constellation; dans le malick, il y a le chien, et peut-être aussi la constellation....







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Message par Borges Sam 11 Juin 2011 - 13:46

Eyquem a écrit:
La question du lieu est répétée de titre en titre : Badlands, Heaven, New world. Même Thin red line, c'est encore une question de frontière. Et le Tree of life, il faut bien qu'il soit enraciné quelque part.


"Où étais-tu ?", c'est aussi la question qui ouvre le film.
Y être ou ne pas y être, telle est la question.

(Par exemple, ce qui rend la scène de la mort du frère déchirante, c'est qu'elle n'ait pas de lieu : les parents n'y étaient pas ; leur en vient seulement la nouvelle, par une lettre, différée.)

oui, des lieux, mais les titres peuvent aussi se lire en oppositions la terre et le mal des badlands, le ciel et le bien des days of heaven, par exemple...

cette question du lieu, de la localisation, est essentielle chez malick;

-si dieu demande à Job où il était, les hommes aussi se demandent où est dieu; dans le bonheur, on croit le savoir, la mère indique à l'un de ses enfants le ciel, comme son lieu, sa maison : "c'est là-haut qu'habite dieu..."mais dans le malheur, dieu n'est plus nulle part, on ne peut plus le situer... elle demande ce qu'il foutait...la transcendance de dieu, sa hauteur, peut se transformer en éloignement, en distance-indifférence...



-en terme de cinéma, de mise en scène; le cinéma de malick est souvent décrit comme désorientant; on ne reconnaît pas les lieux, les personnages, qu'on confond, par des raccords étranges sont déplacés, l'espace désorganisé... jamais les êtres, les choses, surtout les hommes, ne semblent trouver leur place, leur home; on erre dans l'espace, ou se déplace étrangement dans le plan, perdu au milieu de nulle part; pas nécessaire de citer des exemples, suffit de voir "les moissons", ou "la ligne rouge"; parlant des éléments, levinas, écrit : Le solide de la terre qui me supporte, le bleu du ciel au-dessus de ma tête, le souffle du vent, l'ondulation de la mer, l'éclat de la lumière, ne s'accrochent pas à une substance. Ils viennent de nulle part. Ce fait de venir de nulle part, de « quelque chose » qui n'est pas, d'apparaître sans qu'il y ait rien qui apparaisse et par conséquent, de venir toujours, sans que je puisse posséder la source..."

-de cette délocalisation, les voix off témoignent de la manière la plus radicale ; où situer la voix de witt à la fin de la ligne rouge, dans l'au-delà? celle de jack au début du film? dans le temps du récit, à la fin des temps, au temps de la résurrection ? le temps de l’image n’est pas celui des voix off, ni leur espace; ce que l’on voit ne se loge pas toujours dans ce qui est dit, ce qui est dans ce que l’on voit, comme dirait deleuze, ou bresson...


-la lettre à la même fonction de rupture, de passage du bonheur au malheur que dans la ligne rouge...avec la distance...


-dans la bible souvent dieu pose la question "où es-tu"? étrangement; il doit le savoir...non?


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Message par Borges Sam 11 Juin 2011 - 13:46

slimfast a écrit:
Borges a écrit :


si je devais écrire un texte sur ce film de malick, le titre en serait : "le bébé et le dinosaure";





qu'à cela ne tienne. ce jeu de mot a tiroirs, langien, est joli.

au travail !

Wink


j'ai commencé;
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Message par Eyquem Sam 11 Juin 2011 - 23:22

Eyquem a écrit:
...and the universe’s ultimate fate projected billions of years from now when our sun has become a white dwarf and the scattered remnants of Earth trail behind.
Ca m'a d'abord étonné quand j'ai lu ce descriptif. De quel état du projet date-t-il ? Je n'ai pas le souvenir que cette explosion du soleil en "naine rouge" soit seulement suggérée dans le film. Peut-être je me trompe.
Effectivement. La fin du monde m'avait échappé. Il faut dire qu'elle tient en deux images, juste avant la scène de la plage : la Terre, comme un simple point noir, devant le soleil :

Tree of Life et le cinéma de T. Malick  - Page 5 -tree-10
Tree of Life et le cinéma de T. Malick  - Page 5 The_tr10


Quant au "paradis" final, il faut vraiment des guillemets.
Déjà, il n'y a pas qu'un lieu, il y en a trois : le désert rouge, la plage, puis le désert blanc.
Ensuite, ça n'a pas l'air de durer très longtemps : le soleil se couche sur la plage (1er jour), puis la scène suivante est dans le désert (2e jour). Dans la 1ère scène, la mère retrouve son fils mort ; la famille se réunit, les morts comme les vivants. Dans la 2ème scène, la mère laisse le fils repartir : "Je te donne mon fils".
Ca ne ressemble pas vraiment à la béatitude éternelle : la mort comme séparation n'est pas annulée ; au contraire, elle est rejouée, mais cette fois, elle est acceptée, affirmée.

(ça fait moins penser au paradis qu'à la fin de A.I. en fait : l'enfant retrouvant sa mère pour un jour seulement)

Après quoi, le film redescend sur terre, en ascenseur, et on retrouve Sean Penn dans sa cité de verre.
Plan sur les tournesols.
Plan sur le pont.
Plan sur le cosmos.
Fin.


J'avais oublié aussi que c'est le frère mort lui-même qui lance la quête de Sean Penn. Au début du film, on aperçoit l'enfant dans le désert blanc, disant : "Find me".
Jack, devenu architecte, a sans doute accompli le voeu du père. Mais ce que le film raconte, c'est comment il accomplit le voeu de la mère en allant chercher son petit frère et en le ramenant auprès d'elle à la fin.
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Message par Eyquem Sam 11 Juin 2011 - 23:47

Borges a écrit:parmi les livres lus, en évidence, il y a aussi je crois les "20.000 lieues sous les mers" de Verne, et un livre pour enfant
C'est bien possible pour "20000 lieues".
Le livre avec les lapins, c'est sans doute The tale of Peter Rabbit de Beatrix Potter (l'histoire d'un lapin désobéissant qui va fouiner dans le jardin du voisin, Mr McGreggor, alors que celui-ci a déjà fait un pâté du père de Peter...)
http://en.wikipedia.org/wiki/The_Tale_of_Peter_Rabbit

Il m'a semblé qu'au moment où la mère lit Le livre de la jungle, on voyait exactement le même dessin de serpent que celui aperçu dans Days of heaven. Ce qui confirmerait que la petite de Days of heaven lisait déjà Kipling.
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Message par Eyquem Dim 12 Juin 2011 - 0:18

Un exemple de montage qui m'a frappé à la revoyure, c'est l'irruption de cette image du petit frère,

Tree of Life et le cinéma de T. Malick  - Page 5 Tree-o11

au moment où Sean Penn erre dans un grand couloir de verre. Montage qui marque alors clairement l'opposition entre les grandes fenêtres transparentes, qui permettent seulement de voir, et la fenêtre voilée, qui laisse passer le vent, et permet de toucher, de sentir.
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Message par glj Dim 12 Juin 2011 - 7:45

oui eyquem, c'est une opposition de deux mode de vie.

Pour ce qui est du "paradis"finaal je suis d'accord avec toi, c'est vrai que cela faitpenser plutot à A.I., la manière de voir la relation mére-enfant chez malick ressemble de toute manière à une vision spielbergienne de ces relations (je pense aussi à "catch me if you can " qui donne une indication sur ce que fut la relation de spielberg à sa mère certainement ).

Pour ce qui est du plan, de sa mise en espace, de son montage chez malick, une chose est à dire qui je crois n'a pas été dite : il semble se caller au plus prés de la vision humaine. Les plans ou les personnages se regardent sont tournés du pôint de vue d'une personne et se decalent d'un coup par le seul montage et montrent un même plan mais légérement désaxé par rapport au plan suivant. C'est que la facon de filmé de Malick essaye de reprendre la manière qu'a l'oeil humain de travailler..


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Message par Borges Dim 12 Juin 2011 - 8:36

Eyquem a écrit:Un exemple de montage qui m'a frappé à la revoyure, c'est l'irruption de cette image du petit frère,

Tree of Life et le cinéma de T. Malick  - Page 5 Tree-o11

au moment où Sean Penn erre dans un grand couloir de verre. Montage qui marque alors clairement l'opposition entre les grandes fenêtres transparentes, qui permettent seulement de voir, et la fenêtre voilée, qui laisse passer le vent, et permet de toucher, de sentir.

-ces images, fenêtre, rideaux, air, sont très proches de celle de la ligne rouge...(images subjectives ou pas de Jack, l'amoureux); il y a aussi la balançoire, la petite banlieue...

-image, terrifiante, en un sens, de fantôme, de mort; le rideau est un linceul, le visage est comme imprimé, moulé, origine du cinéma et fin, la résurrection (py parlait de godard; ils partagent ça, cette idée du cinéma comme résurrection, retour, le cinéma redonne ce qui a été perdu...); l'enfant ne peut pas respirer, l'essentiel, ici, c'est le souffle, l'air, le vent...pneuma...ruah; "la ligne rouge", immense réflexion sur le souffle, le dernier souffle, la respiration...



Une dentelle s'abolit
Dans le doute du Jeu suprême
À n'entr'ouvrir comme un blasphème
Qu'absence éternelle de lit.

Cet unanime blanc conflit
D'une guirlande avec la même,
Enfoui contre la vitre blême
Flotte plus qu'il n'ensevelit.

Mais, chez qui du rêve se dore
Tristement dort une mandore
Au creux néant musicien

Telle que vers quelque fenêtre
Selon nul ventre que le sein,
Filial on aurait pu naître.



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Message par Borges Dim 12 Juin 2011 - 8:48

glj a écrit: il semble se caller au plus prés de la vision humaine (...) Malick essaye de reprendre la manière qu'a l'oeil humain de travailler..



hello glj :

je ne suis pas trop d'accord avec cette idée;




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Message par Borges Dim 12 Juin 2011 - 9:55

Eyquem a écrit:Dans la 1ère scène, la mère retrouve son fils mort ; la famille se réunit, les morts comme les vivants. Dans la 2ème scène, la mère laisse le fils repartir : "Je te donne mon fils".





la question : où se passe cette scène, et quand?

pas à la fin des temps, selon moi, mais après la mort du fils, qui est à sa manière une fin des temps, une fin du monde,

on doit dégager plusieurs durée, temporalité dans le film : le temps subjectif, familial, d'un moment de l'histoire américaine, le temps humain, géologique, psychique, cosmique, religieux...il y a aussi une pluralité d'espace, réel, religieux, imaginaire, de la mémoire, de la projection, de l'espérance...

cette scène peut être lu comme la traduction dans une imagerie religieuse d'une thématique psychanalytique : fin du travail du deuil; elle redonne ce que dieu a donné; on s'en souvient, c'est ce qu'on lui dit pour la consoler : dieu donne et dieu reprend, béni soit le seigneur (c'est dans job);

le travail de deuil ça consiste à garder ce qu'on a perdu, en l'intériorisant, la perte est relevée...

on peut donc renverser ta lecture, en donnant à dieu son fils mort, elle retrouve son fils; là encore, c'est job, qui retrouve tout, une fois qu'il a admis son néant, et la gloire de dieu; que dit dieu à Job finalement, sinon "que peux-tu?" , il est remis à sa place; c'est le renversement même de la morale du père : "ne dis jamais que tu ne peux pas"...le grand architecte n'est rien face au Grand Architecte de l'univers...

ce geste de la mère, philosophiquement : c'est la répétition, de Kierkegaard; on se souvient que malick projetait de faire une thèse sur le concept de monde chez H, W, et K;

job (avec Abraham) est essentiel à K, dans sa pensée, et dans sa vie; on peut lire aussi cette scène comme un "sacrifice" d'isaac (ismaël), avec la mère à la place d'Abraham...on peut aussi voir en elle Marie...





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Message par Borges Dim 12 Juin 2011 - 10:03

Jack, devenu architecte, a sans doute accompli le voeu du père. Mais ce que le film raconte, c'est comment il accomplit le voeu de la mère en allant chercher son petit frère et en le ramenant auprès d'elle à la fin.

si on accepte cette lecture, la question est : pq, il le lui ramène enfant, alors qu'il est mort à 19 ans... question qui rencontre une autre question : à quel âge ressuscite-on? à l'âge où l'on meurt? une question pour SP, je crois... quel est l'âge du corps de gloire?






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Message par Eyquem Dim 12 Juin 2011 - 10:06

'jour glj, Borges,
glj a écrit:une chose est à dire qui je crois n'a pas été dite : il semble se caller au plus prés de la vision humaine. Les plans ou les personnages se regardent sont tournés du pôint de vue d'une personne et se decalent d'un coup par le seul montage et montrent un même plan mais légérement désaxé par rapport au plan suivant. C'est que la facon de filmé de Malick essaye de reprendre la manière qu'a l'oeil humain de travailler..
Le montage donne plutôt le sentiment qu'il cherche à amplifier la vision, à la décentrer, par rapport à ce que voit un oeil humain : il s'agit de mettre un oeil dans les choses, de voir depuis le ciel, l'arbre, l'herbe. Oeil de l'âme ou oeil du monde, c'est le don d'ubiquité qui est désiré ; l'âme veut voir ce que l'oeil humain ne voit pas.
C'est le voeu d'un des enfants dans Tree of life : "Raconte-nous une histoire d'avant qu'on soit né".
Ou bien c'est ce que répète un des soldats de La ligne rouge, jusqu'à la folie : "Show me how to see things the way you do".
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Message par Borges Dim 12 Juin 2011 - 10:23

Eyquem a écrit:'jour glj, Borges,
glj a écrit:une chose est à dire qui je crois n'a pas été dite : il semble se caller au plus prés de la vision humaine. Les plans ou les personnages se regardent sont tournés du pôint de vue d'une personne et se decalent d'un coup par le seul montage et montrent un même plan mais légérement désaxé par rapport au plan suivant. C'est que la facon de filmé de Malick essaye de reprendre la manière qu'a l'oeil humain de travailler..
Le montage donne plutôt le sentiment qu'il cherche à amplifier la vision, à la décentrer, par rapport à ce que voit un oeil humain : il s'agit de mettre un oeil dans les choses, de voir depuis le ciel, l'arbre, l'herbe. Oeil de l'âme ou oeil du monde, c'est le don d'ubiquité qui est désiré ; l'âme veut voir ce que l'oeil humain ne voit pas.
C'est le voeu d'un des enfants dans Tree of life : "Raconte-nous une histoire d'avant qu'on soit né".
Ou bien c'est ce que répète un des soldats de La ligne rouge, jusqu'à la folie : "Show me how to see things the way you do".

-la variation universelle, comme on disait; le cinéma de toute manière, c'est un arrachement de la vision à son inscription dans un corps...(deleuze, etc); dans TTL, plus encore que dans les autres films, on a le sentiment que les personnages sont vus-voyant; de toute manière qui regarde, qui voit le début de l'univers... qui nous le montre? où étais-tu quand... demande dieu, à job;

-mais aussi multiplicité des visions, des regards, celui de witt/celui de welsh... conflit des visions humaines...parfois ce sont les morts qui regardent les vivants, comme dans le fameux plan du soldat japonais...dans la ligne rouge...

-la fin de la ligne rouge est étrange, difficile de comprendre la relation entre l'âme et la vision: " Oh, my soul. Let me be in you now. Look out through my eyes. Look out at the things you made. All things shining. "




Dernière édition par Borges le Dim 12 Juin 2011 - 10:24, édité 1 fois
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Message par Eyquem Dim 12 Juin 2011 - 10:23

Borges a écrit:[justify]
Eyquem a écrit:Dans la 1ère scène, la mère retrouve son fils mort ; la famille se réunit, les morts comme les vivants. Dans la 2ème scène, la mère laisse le fils repartir : "Je te donne mon fils".


la question : où se passe cette scène, et quand?

pas à la fin des temps, selon moi, mais après la mort du fils, qui est à sa manière une fin des temps, une fin du monde,
Longtemps après sa mort, alors. Sean Penn est trop "vieux" pour que ce soit juste après la mort du frère, à 19 ans. On suppose que c'est un travail de deuil qui a pris des années.
(Lorsque les parents enterrent leur fils, on voit à deux trois reprises une ombre de dos, qui les console : j'ai pensé que c'était Jack, à l'âge où son frère est mort, mais on ne le voit jamais de face).


En tout cas, oui, on n'est pas à la fin des temps, puisque l'histoire du monde apparaît comme une parenthèse à l'intérieur de la vie des individus - comme si chaque individu contenait l'histoire entière, depuis l'origine jusqu'à la fin.
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Message par glj Dim 12 Juin 2011 - 10:45




Le montage donne plutôt le sentiment qu'il cherche à amplifier la vision, à la décentrer, par rapport à ce que voit un oeil humain : il s'agit de mettre un oeil dans les choses, de voir depuis le ciel, l'arbre, l'herbe. Oeil de l'âme ou oeil du monde, c'est le don d'ubiquité qui est désiré ; l'âme veut voir ce que l'oeil humain ne voit pas.
C'est le voeu d'un des enfants dans Tree of life : "Raconte-nous une histoire d'avant qu'on soit né".
Ou bien c'est ce que répète un des soldats de La ligne rouge, jusqu'à la folie : "Show me how to see things the way you do".





oui je me suis mal , tres mal exprimé : ce n'est pas l'oeil qui conte chez malick c'est la perception par tous les sens. Une perception qui fait voeux d'ubiquité...
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Message par Borges Dim 12 Juin 2011 - 10:48

Eyquem a écrit:


En tout cas, oui, on n'est pas à la fin des temps, puisque l'histoire du monde apparaît comme une parenthèse à l'intérieur de la vie des individus - comme si chaque individu contenait l'histoire entière, depuis l'origine jusqu'à la fin.

-il y a de ça, sans doute; à un moment on entend jack demander quand dieu l'a touché pour la première fois, est entré en lui; c'est la question de l'origine de l'infini, chez levinas, et descartes avant; cette première fois n'est pas dans l'histoire, elle date, comme dans le passage que tu cites (où les enfants demandent à leur mère de leur raconter une histoire antérieure à leur naissance) d'une temporalité antérieure à toute mémoire possible; elle est de l'ordre de l'immémorial...cette histoire d'avant la naissance, la notre, mais aussi celle de l'univers, c'est ce que nous raconte Malick, à la suite de dieu, à Job... nous inscrivant ainsi comme dirait pascal entre deux néants, le néant d'avant notre naissance, et celui d'après notre mort...les deux infinis...avec la question du topos, pq ici plutôt que là, maintenant plutôt...


-la naissance de l'univers n'est une parenthèse que si on identifie le temps du film à un récit "linéaire", c'est plutôt une construction en arbre, avec une orientation générale, celle du tronc (des racines, inconscient, ombre, ténèbres, mort... à la lumière...) et des bifurcations, celles de branches...etc.

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Tree of Life et le cinéma de T. Malick  - Page 5 Empty Re: Tree of Life et le cinéma de T. Malick

Message par Borges Dim 12 Juin 2011 - 11:28

Eyquem a écrit: comme si chaque individu contenait l'histoire entière, depuis l'origine jusqu'à la fin.




l'idée de l'infini, du deuil et de l'altérité, rend impossible que l'histoire soit toute entière contenu dans la subjectivité...il y a une préhistoire, au sens fort du mot, quelque chose d'antérieur à une subjectivité historique, qui peut se réapproprier, faire sien le passé, ce qui a eu lieu (n'oublions pas que le cinéma de malick est tout entier dirigé contre l'idée de propriété, et de propre; souvent on se plaint que ses personnages ne soient pas assez différenciés, que leur frontières soient floues, peu précises, qu'on ne puisse pas les distinguer des autres, comme les voix, d'ailleurs; la confusion par exemple dans ce film autour de qui est mort, qui ne l'est pas...lequel des enfants, dans quelles circonstances; on confond même deux familles, beaucoup pensent que l'enfant noyé est le fils mort; il l'est; au sens fort du mot; un fils meurt, un frère meurt, un enfant meurt, comme dirait deleuze, un vivant meurt, finalement; c'est cet "un" qu'il s'agit de dégager;

que l'autre soit infini, peut en témoigner le fait que dans malick on ne sait jamais si on s'adresse à dieu ou juste à un autre être humain...l'autre est infini, en un sens...dans la ligne rouge, jack, parle-t-il de dieu, de la nature, de sa femme?, quand la mère parle de "my hope", "my soul", c'est soit le fils, soit dieu...




avec derrida, depuis le deuil et son travail,

(mémoire pour paul de man)

"
A la mort de l'autre, nous sommes voués à la mémoire, et donc à l'intériorisation puisque l'autre, au-dehors de nous, n'est plus rien; et depuis la sombre lumière de ce rien nous apprenons que l'autre résiste à la clôture de notre mémoire intériorisante. Depuis le rien de cette absence irrévocable, l'autre apparaît comme autre, et autre pour nous, à sa mort ou du moins dans la possibilité anticipée d'une mort, dès lors qu'elle constitue et rend manifestes les limites d'un moi ou d'un nous tenus d'abriter ce qui est plus grand et autre qu'eux hors d'eux en eux.

Mémoire et intériorisation, c'est ainsi qu'on décrit souvent le « travail du deuil » « normal » depuis Freud. Il s'agirait d'un mouvement par lequel une idéalisation intériorisante prend en elle, sur elle, dévore idéalement et quasi littéralement le corps et la voix de l'autre, son visage et sa personne. Cette intériorisation mimétique n'est pas fictive, elle est l'origine de la fiction, de la figuration apocryphe. Elle a lieu dans un corps, elle donne lieu, plutôt, à un corps, à une voix, à une psyché qui, pour être « nôtres », n'existaient pas et n'avaient aucun sens avant cette possibilité dont il faut donc toujours commencer par se souvenir et qu'il faut donc suivre à la trace. // faut, c'est la loi, la loi du rapport (nécessaire) entre l'être et la loi. Nous ne pouvons vivre cette expérience que sous la forme de l'aporie, aporie du deuil et de la prosopopée : le possible reste impossible, la réussite échoue, l'intériorisation fidèle qui porte l'autre et le comporte en moi (en nous), vivant et mort à la fois, elle fait de l'autre une partie de nous, entre nous - et l'autre paraît alors n'être plus l'autre précisément parce que nous le pleurons et le portons en nous, comme un enfant encore à naître, comme un avenir. Inversement, l’échec réussit : l'intériorisation qui avorte, c'est à la fois le respect de l'autre comme autre, une sorte de tendre rejet, un mouvement de renoncement qui le laisse seul, dehors, là-bas, dans sa mort, hors de nous.




Le mouvement d'intériorisation garde au-dedans de nous la vie, la pensée, le corps, la voix, le regard ou l'âme de l'autre, mais sous la forme de ces hypomnemata, memoranda, signes ou symboles, images ou représentations mnésiques qui ne sont que morceaux détachés et dispersés, lacunaires, des « parties » de l'autre parti, et à leur tour parties de nous, incluses « en nous » dans une mémoire qui semble tout à coup plus grande et plus ancienne que nous, plus « grande », au-delà de toute comparaison quantitative, sublimement plus grande que cet autre qu'elle abrite et veille en elle, mais aussi plus grande de cet autre, plus grande qu'elle-même, inadéquate à elle-même, plus grosse de cet autre. Et la figure de cette mémoire endeuillée devient une sorte de métonymie (possible et impossible) où la partie vaut pour le tout et plus que le tout qu'elle excède.


Mais ce qui défie la logique simple et « objective » des ensembles, ce qui dérange l'inclusion simple d'une partie dans le tout, c'est ce qui se rappelle au-delà de la mémoire intériorisante (Erinnerung), ce qui se rappelle à la pensée (Gedâchtnis), se pense comme « partie » plus grande que le « tout » ; c'est l'autre comme autre, la trace non totalisable, inadéquate à elle-même et au même. Celle-ci est intériorisée dans le deuil comme ce qui ne peut plus être intériorisé, comme Erinnerung impossible, dans et au-delà de la mémoire endeuillée, la constituant, la traversant, ne s'y limitant plus, défiant toute réappropriation, fût-ce dans une rhétorique codée, un système conventionnel des tropes, les exercices de la prosopopée, de l'allégorie, de la métonymie élégiaque et souffrante. Mais l'exercice guette, et la technique parasite toujours la vraie Mnemosyne, mère de toutes les muses et source vive des inspirations. Mnemosyne peut aussi devenir un topos poétique.


un enfant meurt : comparer ce film avec "europe 51";

film musical, où les anges, et les étoiles chantent la gloire;

c'est un enfant qui meurt, un enfant musicien, de plus...la musique, l'enfant, la mort heureuse (ce que cherche witt, mourir comme sa mère, calmement...)

lisons deleuze :


≪ Or quelle est l’affaire de la musique, quel est son contenu indissociable de l’expression! sonore ? C’est difficile a dire, mais c’est quelque chose comme : un enfant meurt, un oiseau arrive, un oiseau s’en va. Nous voulons dire qu’il n’y a pas là des thèmes accidentels de la musique, même si l’on peut en multiplier les exemples, encore moins des exercices imitatifs, mais quelque chose d’essentiel. Pourquoi un enfant, une femme, un oiseau ? C’est parce que l’expression! musicale est inséparable d’un devenir-femme, d’un devenir-enfant, d’un devenir-animal qui constituent son contenu. Pourquoi l’enfant meurt-il, ou l’oiseau tombe-t-il, comme percé d’une flèche ? En raison même du “danger” propre a toute ligne qui s’échappe, a toute ligne de fuite ou de déterritorialisation créatrice : tourner en destruction, en abolition.

Mélisande, une femme-enfant, un secret, meurt deux fois (“c’est au tour maintenant de la pauvre petite”). La musique n’est jamais tragique, la musique est joie. Mais il arrive nécessairement qu’elle nous donne le gout de mourir, moins de bonheur que mourir avec bonheur, s’éteindre. Non pas en vertu d’un instinct de mort qu’elle soulèverait en nous, mais d’une dimension propre a son agencement sonore, a sa machine sonore, le moment qu’il faut affronter, ou la transversale tourne en ligne d’abolition. Paix et exaspération. La musique a soif de destruction, tous les genres de destruction, extinction, cassage, dislocation. N’est-ce pas son “fascisme” potentiel ? Mais chaque fois qu’un musicien écrit In memoriam, il s’agit non pas d’un motif d’inspiration, non pas d’un souvenir, mais au contraire d’un devenir qui n’a fait qu’affronter son propre danger, quitte a tomber pour en renaitre : un devenir-enfant, un devenir-femme, un devenir-animal, en tant qu’ils sont le contenu même de la musique et vont jusqu’a la mort ≫.
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Message par Eyquem Dim 12 Juin 2011 - 13:18

Borges a écrit:à quel âge ressuscite-on? à l'âge où l'on meurt? une question pour SP, je crois... quel est l'âge du corps de gloire?
Stéphane Pichelin a écrit:pourquoi des guillemets, comme en met Borges ? peut-être parce que le mot est devenu problématique par les clichés auquel il a donné lieu, 2000 ans de clichés sédimentés. et en même temps, est-ce que c'est autre chose que le paradis qui est offert ?


Je lisais des choses à ce sujet, hier. Ce sera une manière d’annexe, pour les fans de scolastique. Ce dimanche sera monacal, ou ne sera pas. lol

J’ai trouvé ces infos dans « La civilisation féodale », de Jérôme Baschet : un bouquin passionnant, quand on aime le moyen âge. (je pars du principe que c'est à cette période que se fixe l'essentiel des représentations à ce sujet).

La représentation du paradis reste longtemps très floue : les premiers chrétiens attendent le Jugement dernier, et une grand incertitude entoure ce qui les attend à la fin des temps. Ce n’est que lorsque l’Eglise affirme son pouvoir, s’installe pour durer, qu’elle se voit bien obligée de dire un peu précisément ce qui se passe après la mort et ce qui arrivera au Jugement dernier, c’est-à-dire, en gros : la fin des temps ne semblant pas pour tout de suite, que faire en attendant ? Un truc un peu beckettien.

Baschet explique que tout se noue vers le 12e-13e siècle : pourquoi à cette date ? Jusque là, on considèrait (à la suite d’Augustin) que l’âme n’était pas localisable : n’ayant aucune étendue, elle ne peut se situer en aucun lieu après sa mort, sinon un lieu spirituel semblable à un rêve. (Augustin avait imaginé que les âmes demeuraient dans de "secrets dépôts" en attendant la fin des temps) Avant le Jugement final, il ne se passe donc rien de bien certain ou de décisif. On ne dit rien de clair sur ce qui se passe après la mort et à la fin du monde.

Or ce que le 12e siècle élabore, c’est l’idée d’une localisation possible des âmes : elle est délimitée par un lieu, elle est présente quelque part, et pas partout (Dieu seul possède le don d’ubiquité). L’âme existe en un lieu, c’est Thomas d’Aquin qui le dit.
A partir du moment où cet obstacle d’une âme sans lieu est vaincu, les théologiens n’ont plus de peine à élaborer toute une géographie de l’au-delà, en 5 lieux : paradis, enfer, purgatoire, limbes des Anciens, limbes des enfants non baptisés.

Pourquoi au 12e siècle, alors ? Baschet fait remarquer que ce système est exactement contemporain du féodalisme, c’est-à-dire d’un système fondé sur l’inscription des hommes dans un lieu.
Il note aussi que cette élaboration d’une géographie de l’au-delà se produit au moment où les savants cartographient le monde terrestre sur de nouvelles bases.
Il note encore que c’est à cette période qu’on réorganise les cimetières :
Il est d’ailleurs remarquable que ce phénomène se déroule dans le sillage de l’encellulement et de la réorganisation des cimetières. La mise au point de la géographie de l’autre monde et la séparation de l’ici-bas et de l’au-delà qu’elle conforte sont en effet d’autant plus nécessaires que les morts prennent place désormais au cœur de l’espace des vivants. Au moment où la part morte des morts (les cadavres) se mêlent aux vivants, la part vivante des morts (les âmes) doit faire l’objet d’une séparation plus rigoureuse encore, afin d’écarter le risque d’une confusion dont la crainte d’une invasion des revenants indique du reste l’acuité.
(p374-375)
Ici, j’ai pensé à la fin de La ligne rouge : la tombe en pleine nature de Witt (quelques plans après, on voit un cimetière militaire, avec son enclos bien délimité). Et Welsh demandant « Where is your spark now ? » En quoi il se trompe : il croit que le monde que Witt a vu est avec lui, à six pieds sous terre maintenant, que ce monde n’a jamais eu lieu, ne fut rien qu'une illusion, alors que c’est le contraire que suggère le montage : du fait que cette tombe est en pleine nature, et pas dans un cimetière fermé, c’est la juxtaposition de l’ici-bas et de l’au-delà qui est affirmée (mais c’est ce que Welsh ne peut pas voir).


Pour en revenir à nos théologiens, évidemment, tout ça, cette délimitation stricte du monde et de l’autre monde, note Baschet, c’est sur le papier : dans les faits, les croyances et les superstitions sont moins fermes, et imaginent des passerelles, une plus grande perméabilité, entre les vivants et les morts. Mais l’une des priorités de l’Eglise, ça a été de lutter contre ces croyances folkloriques et de donner toute sa force à une séparation radicale de l’ici-bas et de l’au-delà.


Ce paradis, comment est-il figuré ?
- comme un lieu verdoyant et lumineux : un jardin, conformément à l’étymologie du nom « paradis » (jardin, lieu planté d’arbres) et à l’Eden des origines, dans la Bible
- comme une cité : la Jérusalem céleste.
- comme une réunion dans le sein d’Abraham (ça, c’est pour toi, Borges) : les élus se rassemblent, comme des petits enfants, dans le sein du « père de tous les croyants ». Est ainsi marqué le retour à l’enfance spirituelle dont l’Evangile fait une condition d’accès au royaume des cieux. Fraternité de tous les chrétiens réunis à leur père commun.
1 En ce moment, les disciples s'approchèrent de Jésus, et dirent: Qui donc est le plus grand dans le royaume des cieux?
2 Jésus, ayant appelé un petit enfant, le plaça au milieu d'eux,
3 et dit: Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux.
4 C'est pourquoi, quiconque se rendra humble comme ce petit enfant sera le plus grand dans le royaume des cieux.
5 Et quiconque reçoit en mon nom un petit enfant comme celui-ci, me reçoit moi-même. (Mathieu 18, 3)


- A l’opposé de cette conception égalitaire, le paradis peut être imagé comme une cour céleste, fortement hiérarchisée, repésenté comme telle avec toutes sortes d'étages, reproduisant les statuts et les hiérarchies terrestres. Baschet explique que c’est la conception qui l’emporte progressivement, parce que l’idée qui progresse, c’est celle d’Eglise non plus comme société fusionnelle, communauté fraternelle, mais comme institution hiérarchisée.

Dans le film, la mort efface les différences sociales, politiques : la plage, le désert, sont des lieux plats, sans hiérarchie de ce genre. Mais il reste la différence sexuelle, les différences d'âge, les identités familiales, qui font que le fils reste fils, la mère mère, etc.
(encore que Jack, sous les traits de Sean Penn, soit plus vieux que son père et sa mère)







Qu’en est-il ensuite des corps ressuscités ? Quelle apparence, quel corps ont-ils ?
L’idée de corps spirituel pose problème, puisque le corps ressuscité conserve la matérialité de la chair, mais il acquiert des qualités nouvelles (immortalité ; clarté, voire transparence ; liberté et agilité, il se déplace comme il veut ; il connaît la volupté ; il est sexué, possède tous ses organes, digestifs et sexuels, mais sans accomplir aucune fonction alimentaire ou sexuelle, évidemment).
Pour les théologiens, le corps est éternellement conservé dans la force de l’âge (celui du Christ à sa mort) ; les défauts du corps d’ici-bas sont éliminés.
C’est un corps entièrement soumis à l’âme : âme et corps ne font plus qu’un, de même que l’homme et Dieu ne font plus qu’un, mais seulement parce que le corps, et l’homme, se soumettent totalement à l’âme et à Dieu.




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Message par Eyquem Dim 12 Juin 2011 - 14:18

Borges a écrit:de toute manière qui regarde, qui voit le début de l'univers... qui nous le montre? où étais-tu quand... demande dieu, à job
Contrairement à ce qu'on finit par se dire (à savoir que c'est Sean Penn qui se souvient, que tous les souvenirs passent par lui), le film commence en fait sur les souvenirs de la mère (on suppose). On voit une enfant qui regarde la campagne par la fenêtre, en se tenant à deux mains à l'encadrement en bois. Puis on voit la gamine devant les vaches ; ensuite le mariage avec Brad Pitt (dans un uniforme militaire, d'ailleurs).
L'épisode cosmogonique suit directement un plan de la mère, dans les bois, demandant : "Où étais-tu ?", retournant ainsi à Dieu sa question.
Mais l'entrelacement des voix et des souvenirs dans les premières scènes fait qu'on ne sait pas quel est le lieu d'énonciation : la mère ou Jack devenu adulte. On ne sait plus qui se souvient, ou qui est dans le souvenir de l'autre.


Borges a écrit:le père joue au soldat; dans la ligne rouge, à la fin du film GC se présente comme un père à ses hommes :
Ce qui est suggéré clairement dans le film, par l'uniforme militaire au moment du mariage.
Mais comme tu disais plus haut, jamais une chose n'a un seul sens : dans Thin red line, ils sont nombreux à se dire pères : Clooney, mais aussi Nolte à Cusak ("tu es comme un fils pour moi", au moment où il lui promet honneur et médailles, et dans le regard de John Cusak, à ce moment-là, il ne passe que de la désapprobation, pas du tout la reconnaissance que Nolte pouvait attendre) ; il y a aussi Staros (Koteas) qui dit aux soldats au moment du départ : "Vous êtes comme mes fils", il le leur dit d'abord en grec, dans sa langue maternelle ; et en voix off plus tard : "Vous êtes mes fils. Mes chers fils. Vous vivez en moi à présent. Vous serez en moi partout où j'irai" ; à l'image, on voit alors les soldats se baignant, sautant dans les vagues.
Pères dévorants ou maternants.


Borges a écrit:n'oublions pas que le cinéma de malick est tout entier dirigé contre l'idée de propriété, et de propre
Oui, la propriété, ça paraît le refuge, l'île déserte des hommes du ressentiment : le père dans Tree of life, ou Welsh dans Thin red line, qui conclut :
You're in a box, a moving box. They want you dead or in their lie. Only one thing a man can do : find something that’s his, make an island for himself.
"It's mine !" : c'est aussi un des premiers cris de Jack enfant dans Tree of life.
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Message par Borges Dim 12 Juin 2011 - 18:30

L'épisode cosmogonique suit directement un plan de la mère, dans les bois, demandant : "Où étais-tu ?", retournant ainsi à Dieu sa question.

oui, mais cela peut s'entendre aussi comme un reproche qu'elle se fait à elle-même: où étais-je? tu disais plus haut que ce qu'il y a de terrible dans cette mort, c'est que cela s'est passé alors que personne n'était là.

La question renvoie finalement à la responsabilité éthique, c'est le sens que donne levinas à la question que dieu pose à Job: responsabilité impossible pour autrui qui nous précède;

dans la bible, on se souvient, dieu demande à Caïn
-où est ton frère? "
-je ne suis pas le gardien de mon frère...





-je ne sais pas si tu as remarqué le nombre de fois où cette question "where is...?" est posée dans la ligne rouge...



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Message par Borges Dim 12 Juin 2011 - 19:05

-oui, dans la ligne rouge, il y a une multiplicité de pères, ou prétention à être le père, et à considérer l'autre comme un enfant (pour le dominer, le protéger...); il y a aussi plusieurs idées, sentiments de la famille, celle de witt (la famille humaine), celle du mec interprété par Nick Nolte, qui dit avoir tout sacrifié à sa famille...au sens "propre", "premier"... un des jeunes soldats raconte que son beau-père le battait à coup de ceinture, un autre, que son père lui a dit que la vie ne pouvait pas être toujours dure, qu'après la pluie venait le beau temps...








(on pourrait tenter de comprendre tout ça depuis l'un des grands concept de l'un des penseurs de malick, wittgentein : Family resemblance
pour ceux qui connaissent pas :

http://en.wikipedia.or /wiki/Family_resemblance

le problème est pq donne-t-on le même nom à différentes choses... une vieille question philosophique... ont-elles quelques choses en commun?)

lors du débarquement, il est aussi question du père, dans la prière du prêtre, le Père qui est au ciel...


malick ne cesse de travailler le sens équivoques des mots, leurs usages, contexte, (voyez par exemple tous les contextes où sont utilisé les termes "go, go, go", dans le jeu, la guerre..."


-le terme spark est utilisé la première fois par witt, quand il dit à Welsh :

welsh : You stiII believing in the beautiful Iight, are you?



How do you do that?



You're a magician to me.



witt : I stiII see a spark in you.




à la mort de witt, sur sa tombe : welsh, demande :

Where's your spark now?

(la question est curieuse, paradoxale, comme toutes ces questions que nous posons en nous à des absents, morts ou pas; de quelle spark s'agit-il? la sienne, celle que witt a vue en lui, celle de witt, celle dont witt a parlé.. celle que witt disait voir... en toutes choses?



je pense pas que le film donne une réponse; il ne peut pas la donner; le cinéma de malick est un cinéma de la question ; comme chez heidegger, c'est la question qui fait la dignité de la pensée (même si heidegger a changé sur ce point, à la fin); cette question comme les autres, restera une question sans réponse, comme le dit le titre de l'oeuvre de charles ives utilisée dans le film : The Unanswered Question;



il aurait pu utilisé pour TTL; Immortality du même Ives

Who dares to say the spring is dead,
in Autumn's radiant glow!
Who dares to say the rose is dead
in winter's sunset snow!
Who dares to say our child is dead!
Who dares to say our child is dead!
If God had meant she were to die,
She would not have been.

(inspiré par sa fille gravement malade)





thin red line : l'île et la guerre, c'est un peu l'expérience du malheur, l'enfer, le désert, qu'il faut traverser, comme dans TTL.. il est souvent question de gloire dans le film; luther opposait deux théologies, celle de la "gloire", qui voit dieu dans le visible, dans la nature, et ses merveilles, et puis celle qu'il défend, "la théologie de la croix", qui trouve dieu dans l'expérience du malheur, dans l'absence de dieu, comme job, comme jésus sur la croix...

où se situe malick? dans la théologie de la croix? dans celle de la gloire?

ses héros font les deux expériences, mais la première, celle de la gloire, ne prend son sens, qu'après l'expérience de l'absence de dieu, après la croix...




La grande énigme de la vie humaine, ce n'est pas la souffrance, c'est le malheur. Il n'est pas étonnant que des innocents soient tués, torturés, chassés de leurs pays, réduits à la misère ou à l'esclavage, enfermés dans des camps ou des cachots. puisqu'il se trouve des criminels pour accomplir ces actions. Il n'est pas étonnant non plus que la maladie impose de longues souffrances qui paralysent la vie et en font une image de la mort, puisque la nature est soumise à un jeu aveugle de nécessités mécaniques. Mais il est étonnant que Dieu ait donné au malheur la puissance de saisir l'âme elle-même des innocents et de s'en emparer en maître souverain. Dans le meilleur des cas, celui qui marque le malheur ne gardera que la moitié de son âme.

Ceux à qui il est arrivé un de ces coups après lesquels un être se débat sur le sol comme un ver à moitié écrasé, ceux-là n'ont pas de mots pour exprimer ce qui leur arrive. Parmi les gens qu'ils rencontrent, ceux qui, même ayant beaucoup souffert, n'ont jamais eu contact avec le malheur proprement dit n'ont aucune idée de ce que c'est. C'est quelque chose de spécifique, irréductible à toute autre chose comme les sons, dont rien ne peut donner aucune idée à un sourd-muet. Et ceux qui ont été eux-mêmes mutilés par le malheur sont hors d'état de porter secours à qui que ce soit et presque incapables même de le désirer. Ainsi la compassion à l'égard des malheureux est une impossibilité. Quand elle se produit vraiment, c'est un miracle plus surprenant que la marche sur les eaux, la guérison des malades et même la résurrection d'un mort.

Le malheur a contraint, le Christ à supplier d'être épargné, à cher-cher des consolations auprès des hommes, à se croire abandonné de son Père. Il a contraint un juste à crier contre Dieu, un juste aussi parfait que la nature seulement humaine le comporte, davantage peut-être, si Job est moins un personnage historique qu'une figure, du Christ.

« Il se rit du malheur des innocents. » Ce n'est pas un blasphème, c'est un cri authentique arraché à la douleur. Le livre de Job, d'un bout à l'autre, est une pure merveille de vérité et d'authenticité. Au sujet du malheur, tout ce qui s'écarte de ce modèle est plus ou moins souillé de mensonge.

Le malheur rend Dieu absent pendant un temps, plus absent qu'un mort, plus absent que la lumière dans un cachot complètement ténébreux. Une sorte d'horreur submerge toute l'âme. Pendant cette absence il n'y a rien à aimer. Ce qui est terrible, c'est que si, dans ces ténèbres où il n'y a rien à aimer, l'âme cesse d'aimer, l'absence de Dieu devient définitive. Il faut que l'âme continue à aimer à vide, ou du moins à vouloir aimer, fût-ce avec une partie infinitésimale d'elle-même. Alors un jour Dieu vient se montrer lui-même à elle et lui révéler la beauté du monde, comme ce fut le cas pour Job. Mais si l'âme cesse d'aimer, elle tombe dès ici-bas dans quelque chose de presque équivalent à l'enfer.

(simone weil)


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Message par Borges Dim 12 Juin 2011 - 19:22

Eyquem a écrit:

Oui, la propriété, ça paraît le refuge, l'île déserte des hommes du ressentiment : le père dans Tree of life, ou Welsh dans Thin red line, qui conclut :
You're in a box, a moving box. They want you dead or in their lie. Only one thing a man can do : find something that’s his, make an island for himself.
"It's mine !" : c'est aussi un des premiers cris de Jack enfant dans Tree of life.

-le premier objet du désir, c'est la mère; le désir d'une complétude sans castration...De la volonté de faire un avec la mère dérivent toutes les autres volontés d'appropriation, et de destruction...

-Welsh n'est pas un homme du ressentiment; il ne croit en rien, tout est mensonge; il y a pas de valeurs... c'est une espèce de nihiliste passif, celui qui voit l'absence de fondement des choses, les illusions, les pouvoirs, les idéologies...les honneurs... mais qui ne peut pas aller au-delà... son désir d'une île n'est pas un désir d'appropriation, mais un refus de jouer la comédie du monde, il y a là quelque chose de rousseau;

(là il faudrait citer quelques pages du livre du séminaire de derrida consacré en partie à Robinson Crusoé)

le désir de l'île n'est pas étranger au désir positif des héros de malick...cf ce qu'il dit des livres d'enfants qui ont inspiré badlands... c'est aussi un désir des transcendantalistes, vivre seul à l'écart des hommes...

(par certains aspects, welsh est plus sympathique que witt; le personnage du roman était d'ailleurs loin d'être un ange... )









Dernière édition par Borges le Dim 12 Juin 2011 - 20:53, édité 1 fois
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