Rohmer est mort : le reste est beauté
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Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
-Oui, mais … il y a du génie, de l’invention, de la liberté, sans quoi, il y a pas d’historicité, ou plutôt de rupture avec l’ordre naturel de l’histoire ; ou plutôt, pour échapper à la norme empirique déterministe, il faut la nature (spontanéité), c’est pourquoi kant définissait le génie comme les règles données par la nature à l’art ; le génie n’est pas une affaire d’éducation… ça vient toujours d’ailleurs, comme tout événement, comme tout changement ; par définition ; la nature c’est pas seulement le refus de l’histoire, de l’émancipation, c’est aussi l’ordre de la liberté ; le génie c’est ce qui conteste l’ordre, et les hiérarchies, comme le fait félicie dans conte d’hiver, dans sa relation avec son boss et son philosophe ; tous deux la dominent, empiriquement, socialement, symboliquement, mais c’est elle le maître du jeu dans les jeux de pouvoir, les relations de force ; ils ont beau corriger ses fautes de français, il lui sont inférieurs, d’abord parce qu’ils sont amoureux, et ce être-amoureux renverse leur prétention à la domination ; « La champouineuse n’aime pas l’ intellectuel raffiné », du tout ; elle le trouve pas beau, elle n’aime pas son nez, elle ne voudrait pas avoir de gosse avec lui… elle le domine, le manipule, se joue de lui ; autrement dit, y a pas que l’éducation comme capital de domination, il y a aussi le capital physique, érotique, le charme…(comme dans ma nuit chez maud le philosophe malgré son savoir ne séduit pas, il est ridicule)…
cela dit, on doit bien reconnaître que toute cela est finalement démenti, parce que le véritable amour de félicie est un type de son milieu, de son genre ; ce que rohmer semble avoir contesté, revient ; on aime dans son milieu.
-N’oublions pas que les films de rohmer sont aussi des comédies, des morales, il y a une distance à l’égard de ses personnages, de leur style de vie, langage…du jugement, aussi…donc ?
-"l'éternel féminin" ?
-le mot nature, naturel a bien des sens ; est-ce un cinéma du naturel, de la nature, ou de la grâce, de ces moments de pures échappées à l’ordre du monde… ? c’est là que se joue l’inégalité…?
cela dit, on doit bien reconnaître que toute cela est finalement démenti, parce que le véritable amour de félicie est un type de son milieu, de son genre ; ce que rohmer semble avoir contesté, revient ; on aime dans son milieu.
-N’oublions pas que les films de rohmer sont aussi des comédies, des morales, il y a une distance à l’égard de ses personnages, de leur style de vie, langage…du jugement, aussi…donc ?
-"l'éternel féminin" ?
-le mot nature, naturel a bien des sens ; est-ce un cinéma du naturel, de la nature, ou de la grâce, de ces moments de pures échappées à l’ordre du monde… ? c’est là que se joue l’inégalité…?
Borges- Messages : 6044
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
il lui sont inférieurs, d’abord parce qu’ils sont amoureux, et ce être-amoureux renverse leur prétention à la domination ; « La champouineuse n’aime pas l’ intellectuel raffiné », du tout ; elle le trouve pas beau, elle n’aime pas son nez, elle ne voudrait pas avoir de gosse avec lui… elle le domine, le manipule, se joue de lui ; autrement dit, y a pas que l’éducation comme capital de domination, il y a aussi le capital physique, érotique, le charme…(comme dans ma nuit chez maud le philosophe malgré son savoir ne séduit pas, il est ridicule)…
Même si je n'ai pas vu le film je ne saisi pas trop ce passage de ton dernier message Borges. L'amour comme mise en position d'infériorité sur l'objet de cet amour, j'ai déjà du mal comprendre ceci qu'il s'agisse d'un "renversement" de la domination ou pas, mais j'ai en plus l'impression que c'est contraire à ce qui est dit par ailleurs du cinéma de Rohmer.
Après, le "capital physique" dont tu parles, chez Rohmer n'est-il pas toujours établie suivant des "normes" douteuses, un peu à la manière des mac-mahoniens critiques (tel film est mauvais car telle actrice est moche, des choses comme ça) ?
Invité- Invité
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
Borges a écrit:Le monde social réel qui est concerné par le cinéma de Rohmer, auquel Rohmer s'adresse dans ses contes et proverbes, c'est le public de ses spectateurs, et ces spectateurs appartiennent au même tissu socio-culturel homogène: professeurs, étudiants, gens cultivés, lettrés, etc, cad disposant d'une éducation au sens d'un capital symbolique fort. On ne voit pas tellement un fraiseur-tourneur aux usines Renault se déclarer admirateur du cinéma de Rohmer, quand bien même c'est un génie au sens de Cavell.
Rohmer peut disserter à l'envi sur le fait que l'intelligence, ce n'est pas d'avoir lu des livres ou de bien parler (pour qui en douterait): les codes que son cinéma mobilise sont tels que le contenu d'un tel message est destiné, essentiellement, tout comme le cinéma de Godard dont les préoccupations sont apparemment très éloignées, à une tranche délimitée de la société qui est celle du public des "cinéphiles cultivés". Quant aux "contenus" que son cinéma véhicule, ils promeuvent un l'ordre de l'intimité, de la quête personnelle privée, du destin privé, donc préservés de tout concernement collectif, de toute interaction sociale, comme je le suggère plus haut. Pour tout cela, c'est un cinéma très sociologiquement marqué - je n'ai jamais avancé qu'il donnait dans le "sociologisme": sociologiquement marqué au sens où il peut être envisagé d'un point de vue sociologique, par son dédain même du sociologisme au profit de la pérennisation d'un ordre social existant et de ses clivages "naturels".
naturellement, mais en ce qui concerne le destinataire; cette "analyse" c'est du sociologisme (naturalisme) une confusion du fait et du droit, faut-il donc rappeler les analyses de Platon, reprise par Derrida, et Rancière : l'écriture circule, erre, n'importe qui peut en droit tomber sur un film de rohmer, et l'aimer... l'esthétique,c'est du politique, pas du policier....je ne vois pas pourquoi un ouvrier ne pourrait pas aimer le cinéma de rohmer; à moins de réduire l'être de cet ouvrier à ses conditions empiriques d'existence, à moins de nier sa liberté, ce qui serait assez étonnant de la part d'un sartrien-kantien, y a pas d'ouvrier ou de prof, dans ce cas, dans l'esthétique, c'est la leçon de kant, sinon pour un partage policier du monde qui distribue les goûts, les places, les temps, et affirme sous le mode de l'analyse les normes dominantes : "l'opéra c'est pas pour les ouvriers"; énoncé repris, intériorisé, "mais c'est pas pour nous, ça mon bon monsieur"...
faut quand même pas oublier, c'est juste du fait, qui gère la production et distribue la "culture populaire" aujourd'hui. Comme dans les autres secteurs industriels, c'est pas forcément non plus les "ouvriers" qui goûtent à ce qu'ils produisent.
Faudrait étudier un peu le mode de production des films de Rohmer, ça a pas encore été trop fait par ici, je crois..
Invité- Invité
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
Hello JM;
c'est la règle, en général, quand on aime qui ne vous aime pas, et quand un(e) riche aime un(e) pauvre, l'ordre social se renverse; combien de fictions ne racontent pas cette histoire? on peut penser à" l'ange bleu" où le prof est ramené à un état d'abjection par la "prostituée"... en pensant à l'une des références littéraires de Rohmer, on peut renvoyer aux malheurs du pauvre swann dans la Recherche, au fond, presque tous les amoureux de la Recherche aiment des femmes ou des hommes qui leur sont inférieurs "socialement", mais tous sont dominés par ces dominés...
le "capital physique" est de Bourdieu, mais il ne développe pas trop ce concept, c'est par exemple la beauté, ou les "talents" des sportifs...
c'est la règle, en général, quand on aime qui ne vous aime pas, et quand un(e) riche aime un(e) pauvre, l'ordre social se renverse; combien de fictions ne racontent pas cette histoire? on peut penser à" l'ange bleu" où le prof est ramené à un état d'abjection par la "prostituée"... en pensant à l'une des références littéraires de Rohmer, on peut renvoyer aux malheurs du pauvre swann dans la Recherche, au fond, presque tous les amoureux de la Recherche aiment des femmes ou des hommes qui leur sont inférieurs "socialement", mais tous sont dominés par ces dominés...
le "capital physique" est de Bourdieu, mais il ne développe pas trop ce concept, c'est par exemple la beauté, ou les "talents" des sportifs...
Borges- Messages : 6044
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
[quote="JM"]
oui, ils avaient dit ça de Fellini; on en avait causé sur le forum des cahiers.
Après, le "capital physique" dont tu parles, chez Rohmer n'est-il pas toujours établie suivant des "normes" douteuses, un peu à la manière des mac-mahoniens critiques (tel film est mauvais car telle actrice est moche, des choses comme ça) ?
oui, ils avaient dit ça de Fellini; on en avait causé sur le forum des cahiers.
Dernière édition par Borges le Ven 5 Fév 2010 - 17:58, édité 1 fois
Borges- Messages : 6044
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
JM a écrit:Borges a écrit:Le monde social réel qui est concerné par le cinéma de Rohmer, auquel Rohmer s'adresse dans ses contes et proverbes, c'est le public de ses spectateurs, et ces spectateurs appartiennent au même tissu socio-culturel homogène: professeurs, étudiants, gens cultivés, lettrés, etc, cad disposant d'une éducation au sens d'un capital symbolique fort. On ne voit pas tellement un fraiseur-tourneur aux usines Renault se déclarer admirateur du cinéma de Rohmer, quand bien même c'est un génie au sens de Cavell.
Rohmer peut disserter à l'envi sur le fait que l'intelligence, ce n'est pas d'avoir lu des livres ou de bien parler (pour qui en douterait): les codes que son cinéma mobilise sont tels que le contenu d'un tel message est destiné, essentiellement, tout comme le cinéma de Godard dont les préoccupations sont apparemment très éloignées, à une tranche délimitée de la société qui est celle du public des "cinéphiles cultivés". Quant aux "contenus" que son cinéma véhicule, ils promeuvent un l'ordre de l'intimité, de la quête personnelle privée, du destin privé, donc préservés de tout concernement collectif, de toute interaction sociale, comme je le suggère plus haut. Pour tout cela, c'est un cinéma très sociologiquement marqué - je n'ai jamais avancé qu'il donnait dans le "sociologisme": sociologiquement marqué au sens où il peut être envisagé d'un point de vue sociologique, par son dédain même du sociologisme au profit de la pérennisation d'un ordre social existant et de ses clivages "naturels".
naturellement, mais en ce qui concerne le destinataire; cette "analyse" c'est du sociologisme (naturalisme) une confusion du fait et du droit, faut-il donc rappeler les analyses de Platon, reprise par Derrida, et Rancière : l'écriture circule, erre, n'importe qui peut en droit tomber sur un film de rohmer, et l'aimer... l'esthétique,c'est du politique, pas du policier....je ne vois pas pourquoi un ouvrier ne pourrait pas aimer le cinéma de rohmer; à moins de réduire l'être de cet ouvrier à ses conditions empiriques d'existence, à moins de nier sa liberté, ce qui serait assez étonnant de la part d'un sartrien-kantien, y a pas d'ouvrier ou de prof, dans ce cas, dans l'esthétique, c'est la leçon de kant, sinon pour un partage policier du monde qui distribue les goûts, les places, les temps, et affirme sous le mode de l'analyse les normes dominantes : "l'opéra c'est pas pour les ouvriers"; énoncé repris, intériorisé, "mais c'est pas pour nous, ça mon bon monsieur"...
faut quand même pas oublier, c'est juste du fait, qui gère la production et distribue la "culture populaire" aujourd'hui. Comme dans les autres secteurs industriels, c'est pas forcément non plus les "ouvriers" qui goûtent à ce qu'ils produisent.
Faudrait étudier un peu le mode de production des films de Rohmer, ça a pas encore été trop fait par ici, je crois..
oui, mais en droit (selon la structure d'essence du "texte", donc de toute idéalité liée à une inscription sensible, séparé de son origine, etc.) n'importe qui peut voir n'importe quel film, lire n'importe quel roman, livre, voir n'importe quel tableau...
Borges- Messages : 6044
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
Borges a écrit:un truc bête, quand on y pense, l'opposition musique/cinéma de Rohmer laisse penser que la musique est étrangère au cinéma...
(que devient alors la fameuse impureté?)
"si j'en avais la compétence, j'aimerais me donner un corpus de films à analyser uniquement à partir des bandes-son : renverser la tendance habituelle qui est de laisser tomber le son, se donner, à l'inverse, le programme de ne pas voir les films, de les considérer uniquement en tant qu'objets musicaux et sonores."
(Rancière, et tant pis pour les gens fatigués, 452)
Borges- Messages : 6044
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
Borges a écrit:Ces bergers ne sont pourtant pas roturiers : ce sont d'anciens nobles qui ont choisi un jour, "d'un mutuel consentement", de renoncer à toute ambition et de "s'acheter par cette douce vie un honnête repos" [Rohmer a repris cette réplique du roman telle quelle]. Ils ne sont bergers que pour n'être pas courtisans ou chevaliers, exemptés, par la grâce oisive de cette condition, des tourments du métier comme des soucis des affaires. Comme le dit bien Jacques Ehrmann, "ce n'est pas un état civil, c'est un état métaphysique". Ni riches ni pauvres, ni serfs ni seigneurs, ils pratiquent, si l'on peut dire, un degré zéro de l'existence sociale qui les laisse entièrement vacants et disponibles pour d'autres occupations et d'autres "tyrannies".
cela peut être la définition de la relation esthétique au monde, une manière de suspension, de mise entre parenthèse du monde : désintérêt...la métaphysique, c'est un désintérêt, au-delà de l'existence empirique; dés-intérêt, échappée à l'ordre de l'être...
cf l'analyse que fait rancière du rapport des ouvriers du 19ème siècle à la littérature romantique ; comment des êtres condamnés à avoir une place peuvent vivre la souffrance romantique des sans-place?
"la littérature et la culture, en un sens, c'est la capacité d'échanger une douleur contre une autre"
(Rancière, et tant pis pour..., 662)
"nous sommes toujours libres de décider, face à un écran, d'être :
-un enfant fasciné par le jeu des images,
-un salarié qui se détend,
-un spectateur critiques des ombres de l'écran
- ou un esthète visitant le musée du cinéma"
(idem, 455)
Borges- Messages : 6044
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
Borges a écrit:Borges a écrit:un truc bête, quand on y pense, l'opposition musique/cinéma de Rohmer laisse penser que la musique est étrangère au cinéma...
(que devient alors la fameuse impureté?)
Alors il répond, la musique, "fausse amie, vraie soeur" du cinéma. Musique étrangère au cinéma parce que trop proche, son usage est un piège, une facilité. Plus loin il met à part le cas Godard : parce que Godard est dans la citation, il cite le monde, il coupe et colle tout ce qui lui tombe sous la main, y compris la musique. Rohmer conclut que Godard est un "voleur", "Le cinéma, chez Godard, est un voleur. Il vole à la nature. Il vole à Dieu. Pourquoi pas à Beethoven ?" ; on sent là-dedans comme une pointe de rancune admirative.
La musique de film est un grand lénifiant, une huile qui lubrifie les rouages qui grincent. Or, le propre du temps cinématographique, précisément parce qu'il n'est pas soumis à la loi de la mesure et de l'harmonie, est de grincer. Il laisse chaque instant livré à lui-même alors que la note musicale n'a de sens que par rapport à celle qui la précède et celle qui la suit. C'est pourquoi la musique est pour le cinéma, la plus fausse des amies. (...) Toute image "colle" à la musique. Elle colle même trop bien : elle perd alors son ambivalence constitutive (...) Si le cinéma et la musique possèdent une affinité profonde, ce n'est pas dans cette alliance hypocrite qu'il convient d'en chercher la raison. Leur parenté les tiendrait plutôt à distance obligée l'une de l'autre et ne concerne que l'essence de leur profondeur respective.(...)
Disons, en termes schopenhaueriens, que les arts plastiques sont une "représentation" du monde, représentation qui suppose, aussi bien de la part de l'artiste que du spectateur, une opération intellectuelle, même pour les formes d'art les plus instinctives. Au cinéma, au contraire, du moins "ontologiquement", c'est la réalité brute qui nous est livrée directement. S'il y a représentation, elle est imputable au pouvoir de la machine, non à celui de notre esprit. Nous pouvons donc reprendre à son propos les termes employés par Wagner, lorsqu'il dit que la musique "parle un langage qui peut être compris de chacun immédiatement, car il n'est besoin pour cela de l'intermédiaire d'aucun concept."
Mais alors que la musique semble nous mener au-delà de l'Idée, dans un monde de la Volonté pure, le cinéma semble tout au plus capable de nous maintenir au ras des apparences. Ainsi en serait-il, sans doute, si l'art du film n'était en tout et pour tout, que technique d'enregistrement pur. Mais il va de soi que le génie de l'artiste doit prendre en charge le simple pouvoir de reproduction de la machine qu'il manie - pouvoir à l'égard duquel il devra toutefois observer un respect constant. Et c'est ce respect, qualité morale, qualité kantienne, qui lui permettra d'aller au-delà de l'apparence par la reproduction de la seule apparence, de trouver paradoxalement la chose en soi au sein du phénomène. Bref de nous dire quelque chose de plus sur l'être du monde que le plus sensible, le plus intelligent, le plus inventif des peintres. Quelque chose que seule la musique avait été jusqu'ici capable d'exprimer.
Il persiste et signe donc, si j'ai bien saisi, dans la confusion que vous lui imputez, quand il affirme que les arts plastiques relèvent de la "représentation", mais pas le cinéma ni la musique. Il est possible de répondre à l'argument de Wagner qu'on trouvera toujours quelqu'un à qui la musique de Wagner ne parle pas tellement, ne serait-ce que pour lui conseiller d'envahir la Pologne. Tout art est à la fois pris dans la représentation et dans le sensible.
Cela dit, on pourrait peut-être alors parler d'une erreur opératoire, d'une erreur à partir de laquelle tout un système est bâti, un système viable j'entends, c'est-à-dire permettant à celui qui l'emploie de bâtir une oeuvre. Une "erreur" qui en revanche ne marcherait qu'une fois ; qui empêcherait que la forme d'art élaborée à partir d'elle trouve une véritable postérité, une descendance ; une impasse esthétique en quelque sorte. L'oeuvre de Rohmer serait ainsi, et malgré les revendications de classicisme, un exemple de modernité terminale, un produit malade, vénéneux, issu de la dégénérescence.
balthazar claes- Messages : 1009
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
Je garde de Rohmer l'image du prof. Son sujet n'est peut-être pas tant la fidélité que la relation pédagogique, celle qui suppose, à l'encontre des idées de Jacotot, que le maître doit savoir garder, retenir son savoir, le distiller avec parcimonie et à la juste mesure de l'élève. Et c'est pourquoi il est si essentiel de savoir se taire. C'est du moins ainsi que Rivette l'immortalise dans Out 1. Léaud vient interroger le prof Rohmer au sujet des Treize, référence essentielle pour Rivette, Rohmer, Truffaut, enfin le complot des jeunes Turcs. Et le prof refuse son aide, refuse d'entrer dans le délire de Léaud, tel le gardien des portes de la loi.
balthazar claes- Messages : 1009
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
Opposer Rohmer à Rozier ? Rohmer, en 62, rédacteur en chef des Cahiers, dans un numéro spécial sur la Nouvelle vague, met Adieu Philippine en couverture et déclare que ce film est le "parangon" du mouvement. Et Rozier, en 1983, emploie Luchini dans un court-métrage "Lettres de la sierra madre".
Comparer Le Rayon vert et Du côté d'Orouët : les films commencent pareil, dans la grisaille des bureaux. Menez, petit chef d'administration, Rivière, petite secrétaire qui s'ennuie au bureau. Puis c'est les vacances comme espace maritime d'une possible transgression des lois quotidiennes.
Comparer Le Rayon vert et Du côté d'Orouët : les films commencent pareil, dans la grisaille des bureaux. Menez, petit chef d'administration, Rivière, petite secrétaire qui s'ennuie au bureau. Puis c'est les vacances comme espace maritime d'une possible transgression des lois quotidiennes.
balthazar claes- Messages : 1009
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
balthazar claes a écrit:Opposer Rohmer à Rozier ? Rohmer, en 62, rédacteur en chef des Cahiers, dans un numéro spécial sur la Nouvelle vague, met Adieu Philippine en couverture et déclare que ce film est le "parangon" du mouvement. Et Rozier, en 1983, emploie Luchini dans un court-métrage "Lettres de la sierra madre".
Comparer Le Rayon vert et Du côté d'Orouët : les films commencent pareil, dans la grisaille des bureaux. Menez, petit chef d'administration, Rivière, petite secrétaire qui s'ennuie au bureau. Puis c'est les vacances comme espace maritime d'une possible transgression des lois quotidiennes.
cela n'empêche pas les différences essentielles...
Borges- Messages : 6044
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
[quote="balthazar claes"]
-tout ça, examiné, ne tient pas deux secondes, c'est débile; comme s'il y avait un temps, comme s'il y avait le temps; au cinéma comme partout, il y a des temps, des compositions du temps; bien entendu on peut dégager des normes, parler du temps de la peinture, de la sculpture, du temps de la musique, du cinéma, et de la photo, du roman, mais faut tout de même être plus subtil;
que veut dire cette opposition entre le temps grinçant, non harmonique, non soumis à la loi de la mesure, du cinéma et le temps de la musique? Rien, mais, on reconnaît quelque chose comme l'opposition classique entre le temps naturel, grec, soumis à la mesure de la nature, cosmique, le temps comme nombre du mouvement, et le temps (hamlétien) qui apparaît (philosophiquement) avec Kant, le temps hors de ses gonds (http://www.webdeleuze.com/php/texte.php?cle=59&groupe=Kant&langue=1, par exemple); deleuze (qui varie souvent cette opposition) en fait un des principes de l'opposition des deux images, celle du mouvement, et celle du temps;
- le temps ne grince pas plus dans film de hitch que chez Penderecki, Reich, Stockhausen....et il grince chez eux plus que chez rohmer; le problème, naturellement, c'est que Rohmer procède par gros concepts, la musique, le cinéma; il prend une musique, la classique, et il l'élève en norme, en essence, avec toutes les valeurs éthique, mondaine, de socialité, qui lui sont attachée; la musique classique n'est pas le temps de l'intériorité, du sujet; le sujet n'existe pas; il y a des processus de subjectivation, de construction du sujet, dans les arts, et ailleurs; le sujet du cinéma de Griffith, c'est pas celui de Eisenstein »;
pour le dire simplement; si le sujet est temps, et espace, quoi de commun entre le temps, et l'espace de ford et celui de Welles? Bon, c'est pas le meilleur exemple; parce qu'on va me sortir l'influence de l'un sur l'autre, et l'admiration; sans doute, mais ça ne suffit; le temps de ford n'est pas celui de welles;
sans aller jusqu'à opposer le maintenant (temps nivelé quotidien) et l'instant, (temporalité authentique) comme Heidegger, on peut simplement dire :
pas plus que n'existe un présent, un maintenant, il n'existe une image, seule, que je pourrais voir seule, absolument séparée, donc absolument, c'est-à-dire non relative, non liée, sans rapport, surtout au cinéma; il n'y a art que là où il y a des rapports, donc des montages, comme n'a cessé de le dire Eisenstein; il y a des gros plans chez Dickens, comme du montage chez tintoret; parce que tout art est temporalité, devenir espace du temps, et devenir temps de l'espace;
dans l'image, cinématographique, y a les épaisseur du temps, ses différentes couches, ses horizons, ses durées, des ralentisssement, et des accélérations; rohmer se réclame de kant, et de sa lecture par Heidegger, or s'il y a bien un apport de kant, ce sont ses analyses de « la constitution », « auto »-affective, de la temporalité; on ne voit jamais une image, au cinéma, moins encore que dans la vie, l'image, comme tout objet temporel (http://abracadabibliothesque.wordpress.com/2009/12/03/une-retention-tertiaire/) vit, dans ses différents horizons, de rétention et protension, qui coexistent dans toute perception; Dans le présent de la conscience, du passé est « retenu », (« rétention »), du futur est attendu, anticipé, (protension); on ne peut pas voir un film autrement (l'art c'est de créer des écarts, entre l'attente et l'événement, comme dirait Rancière)
tout cela est bien connu :
Une image n'est-elle pas aussi comme une note, dans un montage, le montage n'est-il pas souvent défini comme la musicalité du cinéma; depuis toujours, je pense;
-quel temps, quel sujet construit le clip, la monoforme, straub-huillet, godard, lynch...à travers la musique, et l'image; quelle image de la musique, quelle musicalité de l'image?
On ne peut pas séparer l'image de la musique, parce que le temps ne se sépare pas de l'espace, autre leçon kantienne; là où il y a du temps (de la musique), il y a de l'espace (de l'image), et le cinéma étant image du temps, et temps de l'image, cela ne sert à rien de les séparer, pas plus que l'on ne peut séparer les formes de l'intuition dans l'esthétique transcendantale...au cinéma dès qu'il y a image, il y a donation du temps, de la musique, donc...
godard n'est pas seulement un voleur comme nous tous, c'est aussi un cinéaste du montage;
penser à rapprocher rohmer et bresson, autre "ennemi"de la musique au cinéma, autre amateur de mozart, et de la musique concrète des portes qui s'ouvrent, se ferment, des bruits de la rue, des silences...
toute la question est de savoir où commence la musique, où elle finit... si elle commence et si elle finit jamais...comme le note bresson, l'opposition du son et de l'image, c'est celle du dedans et du dehors, de l'espace et du temps, de la représentation, et de ses au-delà; en mettant la musique de côté, il s'agit de donner de la temporalité, de l'affect donc, à l'image; ne pas laisser l'image se faire bouffer par la musique, plus affectante, et il est vrai que dans la majorité des films (rancière) c'est la musique qui crée l'émotion (et comme dirait godard la motion picture); pensons à lynch, par exemple;
l'oeil et l'oreille; l'oeil ou l'oreille? et si l'oeil écoutait, et si l'oreille voyait; l'oeil ou l'oreille, quel est le sens du cinéma? je sais pas, mais son champ est assez vaste, infini pour que la décision ne fasse pas sens; personne n'oblige à choisir, et à exclure; comme on dit, et comme disait rohmer lui-même, le cinéma, de tous les arts, est celui qui peut le moins se passer des autres;
la musique est partout, parce que le temps est partout, dans la phrase du romancier, dans la couleur, dans la ligne, dans la photo, et qu'on ne parle pas de sens propre et de sens figuré, puisque la différence de la métaphore et du sens littéral est elle-même un effet de la séparation de l'espace et du temps, s'ils sont liés, alors la différence dans le langage, et dans la pensée, de l'un et de l'autre ne peut qu'être très compliqué (cf critique de bergson par derrida);
disait bresson :
un cri, un bruit, leur résonance nous fait deviner une maison, une montagne, des distances... donc, des images, mais qui ne sont pas des images sensibles...
si le public du cinéma n'est ni celui des livres, des spectacles, des expositions, des concerts, cela n'interdit pas qu'il faille, contrairement à ce que pensait encore bresson, satisfaire, par des moyens cinématographiques, donc d'un art qui n'a pas son être en lui-même, étant spectrale, les amateurs de littérature, de peinture, de théâtre, et de musique, de bande dessiné... parce que le public du cinéma, c'est n'importe qui, le premier venu, le sujet démocratique...un sujet sans identité, un spectre donc, du cinéma, étant sans être...
La musique de film est un grand lénifiant, une huile qui lubrifie les rouages qui grincent. Or, le propre du temps cinématographique, précisément parce qu'il n'est pas soumis à la loi de la mesure et de l'harmonie, est de grincer. Il laisse chaque instant livré à lui-même alors que la note musicale n'a de sens que par rapport à celle qui la précède et celle qui la suit. C'est pourquoi la musique est pour le cinéma, la plus fausse des amies. (...) Toute image "colle" à la musique. Elle colle même trop bien : elle perd alors son ambivalence constitutive (...) Si le cinéma et la musique possèdent une affinité profonde, ce n'est pas dans cette alliance hypocrite qu'il convient d'en chercher la raison. Leur parenté les tiendrait plutôt à distance obligée l'une de l'autre et ne concerne que l'essence de leur profondeur respective.(...)
Disons, en termes schopenhaueriens, que les arts plastiques sont une "représentation" du monde, représentation qui suppose, aussi bien de la part de l'artiste que du spectateur, une opération intellectuelle, même pour les formes d'art les plus instinctives. Au cinéma, au contraire, du moins "ontologiquement", c'est la réalité brute qui nous est livrée directement. S'il y a représentation, elle est imputable au pouvoir de la machine, non à celui de notre esprit. Nous pouvons donc reprendre à son propos les termes employés par Wagner, lorsqu'il dit que la musique "parle un langage qui peut être compris de chacun immédiatement, car il n'est besoin pour cela de l'intermédiaire d'aucun concept."
Mais alors que la musique semble nous mener au-delà de l'Idée, dans un monde de la Volonté pure, le cinéma semble tout au plus capable de nous maintenir au ras des apparences. Ainsi en serait-il, sans doute, si l'art du film n'était en tout et pour tout, que technique d'enregistrement pur. Mais il va de soi que le génie de l'artiste doit prendre en charge le simple pouvoir de reproduction de la machine qu'il manie - pouvoir à l'égard duquel il devra toutefois observer un respect constant. Et c'est ce respect, qualité morale, qualité kantienne, qui lui permettra d'aller au-delà de l'apparence par la reproduction de la seule apparence, de trouver paradoxalement la chose en soi au sein du phénomène. Bref de nous dire quelque chose de plus sur l'être du monde que le plus sensible, le plus intelligent, le plus inventif des peintres. Quelque chose que seule la musique avait été jusqu'ici capable d'exprimer.
-tout ça, examiné, ne tient pas deux secondes, c'est débile; comme s'il y avait un temps, comme s'il y avait le temps; au cinéma comme partout, il y a des temps, des compositions du temps; bien entendu on peut dégager des normes, parler du temps de la peinture, de la sculpture, du temps de la musique, du cinéma, et de la photo, du roman, mais faut tout de même être plus subtil;
que veut dire cette opposition entre le temps grinçant, non harmonique, non soumis à la loi de la mesure, du cinéma et le temps de la musique? Rien, mais, on reconnaît quelque chose comme l'opposition classique entre le temps naturel, grec, soumis à la mesure de la nature, cosmique, le temps comme nombre du mouvement, et le temps (hamlétien) qui apparaît (philosophiquement) avec Kant, le temps hors de ses gonds (http://www.webdeleuze.com/php/texte.php?cle=59&groupe=Kant&langue=1, par exemple); deleuze (qui varie souvent cette opposition) en fait un des principes de l'opposition des deux images, celle du mouvement, et celle du temps;
- le temps ne grince pas plus dans film de hitch que chez Penderecki, Reich, Stockhausen....et il grince chez eux plus que chez rohmer; le problème, naturellement, c'est que Rohmer procède par gros concepts, la musique, le cinéma; il prend une musique, la classique, et il l'élève en norme, en essence, avec toutes les valeurs éthique, mondaine, de socialité, qui lui sont attachée; la musique classique n'est pas le temps de l'intériorité, du sujet; le sujet n'existe pas; il y a des processus de subjectivation, de construction du sujet, dans les arts, et ailleurs; le sujet du cinéma de Griffith, c'est pas celui de Eisenstein »;
pour le dire simplement; si le sujet est temps, et espace, quoi de commun entre le temps, et l'espace de ford et celui de Welles? Bon, c'est pas le meilleur exemple; parce qu'on va me sortir l'influence de l'un sur l'autre, et l'admiration; sans doute, mais ça ne suffit; le temps de ford n'est pas celui de welles;
Or, le propre du temps cinématographique, précisément parce qu'il n'est pas soumis à la loi de la mesure et de l'harmonie, est de grincer. Il laisse chaque instant livré à lui-même alors que la note musicale n'a de sens que par rapport à celle qui la précède et celle qui la suit
sans aller jusqu'à opposer le maintenant (temps nivelé quotidien) et l'instant, (temporalité authentique) comme Heidegger, on peut simplement dire :
pas plus que n'existe un présent, un maintenant, il n'existe une image, seule, que je pourrais voir seule, absolument séparée, donc absolument, c'est-à-dire non relative, non liée, sans rapport, surtout au cinéma; il n'y a art que là où il y a des rapports, donc des montages, comme n'a cessé de le dire Eisenstein; il y a des gros plans chez Dickens, comme du montage chez tintoret; parce que tout art est temporalité, devenir espace du temps, et devenir temps de l'espace;
dans l'image, cinématographique, y a les épaisseur du temps, ses différentes couches, ses horizons, ses durées, des ralentisssement, et des accélérations; rohmer se réclame de kant, et de sa lecture par Heidegger, or s'il y a bien un apport de kant, ce sont ses analyses de « la constitution », « auto »-affective, de la temporalité; on ne voit jamais une image, au cinéma, moins encore que dans la vie, l'image, comme tout objet temporel (http://abracadabibliothesque.wordpress.com/2009/12/03/une-retention-tertiaire/) vit, dans ses différents horizons, de rétention et protension, qui coexistent dans toute perception; Dans le présent de la conscience, du passé est « retenu », (« rétention »), du futur est attendu, anticipé, (protension); on ne peut pas voir un film autrement (l'art c'est de créer des écarts, entre l'attente et l'événement, comme dirait Rancière)
tout cela est bien connu :
« Husserl. Si les notes qui se succèdent étaient seulement perçues successivement, dans l'instant de leur apparition objective, elles n'existeraient pour nous que comme des réalités isolées : nous ne ferions l'expérience que de la monotonie, au sens exact du terme (mono-tonos, « un seul son »). Chaque note sonnerait dans sa solitude, avant d'être oubliée et remplacée par une autre. Écouter de la musique, c'est précisément entendre un rapport entre des sons. Les sons ont une valeur esthétique parce que nous suivons la petite histoire de leur cheminement (du grave vers l'aigu, du lent vers le rapide, du ténu vers le tonitruant, etc.). Et ce rapport est temporel : les variations sont perçues à condition que les différentes notes soient à la fois distinctes (séparées par leurs positions respectives dans le temps) et liées (donc toutes « présentes » en même temps à la conscience, qui peut ainsi les comparer). L'intentionnalité de la conscience opère la synthèse de l'unité et du divers dans le temps. »
Une image n'est-elle pas aussi comme une note, dans un montage, le montage n'est-il pas souvent défini comme la musicalité du cinéma; depuis toujours, je pense;
-quel temps, quel sujet construit le clip, la monoforme, straub-huillet, godard, lynch...à travers la musique, et l'image; quelle image de la musique, quelle musicalité de l'image?
On ne peut pas séparer l'image de la musique, parce que le temps ne se sépare pas de l'espace, autre leçon kantienne; là où il y a du temps (de la musique), il y a de l'espace (de l'image), et le cinéma étant image du temps, et temps de l'image, cela ne sert à rien de les séparer, pas plus que l'on ne peut séparer les formes de l'intuition dans l'esthétique transcendantale...au cinéma dès qu'il y a image, il y a donation du temps, de la musique, donc...
godard n'est pas seulement un voleur comme nous tous, c'est aussi un cinéaste du montage;
penser à rapprocher rohmer et bresson, autre "ennemi"de la musique au cinéma, autre amateur de mozart, et de la musique concrète des portes qui s'ouvrent, se ferment, des bruits de la rue, des silences...
toute la question est de savoir où commence la musique, où elle finit... si elle commence et si elle finit jamais...comme le note bresson, l'opposition du son et de l'image, c'est celle du dedans et du dehors, de l'espace et du temps, de la représentation, et de ses au-delà; en mettant la musique de côté, il s'agit de donner de la temporalité, de l'affect donc, à l'image; ne pas laisser l'image se faire bouffer par la musique, plus affectante, et il est vrai que dans la majorité des films (rancière) c'est la musique qui crée l'émotion (et comme dirait godard la motion picture); pensons à lynch, par exemple;
l'oeil et l'oreille; l'oeil ou l'oreille? et si l'oeil écoutait, et si l'oreille voyait; l'oeil ou l'oreille, quel est le sens du cinéma? je sais pas, mais son champ est assez vaste, infini pour que la décision ne fasse pas sens; personne n'oblige à choisir, et à exclure; comme on dit, et comme disait rohmer lui-même, le cinéma, de tous les arts, est celui qui peut le moins se passer des autres;
la musique est partout, parce que le temps est partout, dans la phrase du romancier, dans la couleur, dans la ligne, dans la photo, et qu'on ne parle pas de sens propre et de sens figuré, puisque la différence de la métaphore et du sens littéral est elle-même un effet de la séparation de l'espace et du temps, s'ils sont liés, alors la différence dans le langage, et dans la pensée, de l'un et de l'autre ne peut qu'être très compliqué (cf critique de bergson par derrida);
disait bresson :
un cri, un bruit, leur résonance nous fait deviner une maison, une montagne, des distances... donc, des images, mais qui ne sont pas des images sensibles...
si le public du cinéma n'est ni celui des livres, des spectacles, des expositions, des concerts, cela n'interdit pas qu'il faille, contrairement à ce que pensait encore bresson, satisfaire, par des moyens cinématographiques, donc d'un art qui n'a pas son être en lui-même, étant spectrale, les amateurs de littérature, de peinture, de théâtre, et de musique, de bande dessiné... parce que le public du cinéma, c'est n'importe qui, le premier venu, le sujet démocratique...un sujet sans identité, un spectre donc, du cinéma, étant sans être...
Borges- Messages : 6044
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
Borges a écrit:
-tout ça, examiné, ne tient pas deux secondes, c'est débile;
C'est débile : faible, frêle, sans force. Peut-être le terme convient-il particulièrement au système rohmérien. Les cris d'orfaie de Jerzy ont quelque chose d'inadéquat. Prenez L'Ami de mon amie : Blanche la fonctionnaire, Léa l'étudiante en informatique et Alexandre l'ingénieur à EDF ne renvoient guère à une quelconque classe supérieure, ils sont des Français moyens, des madame Bovary, des individus quelconques et sans qualités. Ils sont un peu beaufs et timorés ; et c'est le sujet. Il y a une scène où Blanche et Fabien vont se baigner au lac artificiel de Cergy-Pontoise. Ils échangent, en effet, quelques propos au sujet des papiers gras, odeurs de friture et autres inconvénients liés à la présence des « ouvriers ». Sont-ils pleins de mépris et de racisme de classe ? Un peu ; mais ils sont avant tout des victimes, en quelque sorte. Ils représentent une lumpenbourgeoisie caractérisée par sa débilité, son manque d'allant. Et ce « racisme de classe » ne passe pas en douce, comme une marchandise idéologique de contrebande subtilement dissimulée par l'auteur : au contraire, il s'étale en plein milieu de l'écran, au point qu'il devient autre chose. A ce moment du film, Blanche, par jeu, se met à courir, et Fabien lui court après ; un petit jeu de parade amoureuse ; puis arrivés à l'endroit où ils vont poser leurs serviettes, ils s'arrêtent de courir, comme au coup de sifflet. Ternes, disciplinés, sans panache, tels sont avant tout les individus rohmériens.
Inhibition du comportement de cour, comme dirait Houellebecq. Le thème des premiers Rohmer est le même que celui des Cousins de Chabrol : on a le tandem d'un séducteur cynique, c'est le Gégauff, et d'un type timoré qui le suit et l'admire, c'est le Rohmer. On peut appeler ça « le rat des villes et le rat des champs ». Reinette et Mirabelle en sont une version féminine. Dans Pauline à la plage, Henri le tombeur est gégauvien, Pierre (Pascal G.) est rohmérien.
Pour Rohmer, la révolution kantienne est la révolution du sujet, c'est d'avoir mis le sujet, c'est-à-dire l'homme, au centre du monde, à la place de Dieu : comme on le voit en art avec le romantisme, qui met la subjectivité de l'artiste avant l'objectivité du modèle. Le héros romantique à la Werther est tourné vers sa subjectivité ; surtout c'est vraiment un héros tragique, le monde le fait souffrir, il crie avec panache et prend la pose. Chez Rohmer le héros n'a plus rien d'un héros, mais aussi bien le génie de l'auteur est un génie bien terne. Dans De M en B, Rohmer définit le génie musical de ses deux idoles par des qualités négatives : vulgarité, raideur, lourdeur. De la même manière on pourrait parler de la débilité du héros rohmérien. Avant d'être un personnage BCBG, c'est surtout un loseur. Profonde ressemblance, à cet égard, avec Moullet et Rozier. Le personnage est raide et maladroit ; s'il est guindé, ce n'est pas tant par snobisme que par gêne.
balthazar claes- Messages : 1009
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
Pour Rohmer, la révolution kantienne est la révolution du sujet, c'est d'avoir mis le sujet, c'est-à-dire l'homme, au centre du monde, à la place de Dieu :
Oui, mais comme disait l'autre, c'est pas Rohmer, c'est le Kant des manuels de philo;
kant n'a pas du tout mis l'homme à la place de dieu, bien au contraire, toute la critique de kant, ses trois critiques, c'est de de déterminer des places : à chacun sa place...
je connais pas LM, mais pour rozier, je ne vois pas du tout ses personnages comme des losers; ceux de Rohmer non plus d'ailleurs.
étrange idée.
Borges- Messages : 6044
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
Très en retard, sorry. Mais je passe de moins en moins sur la toile.
J'avais par avance répondu à la pseudo objection de Claes: ce ne sont pas les situations empiriques des personnages - condition sociale, profession, etc - qui sont ici décisives, c'est le fait que, quelles que soient ses dernières, elles sont des figures abstraites ou indéterminées participant à un même idéal-type de "sujet".
Apprends à lire, Claës.
Tes trucs, aussi, sur la "philosophie du sujet" chez Kant, c'est navrant et plombant, c'est même (pas) digne de Luc Ferry et de son "homme-dieu".
T'façon ça sert à rien d'expliquer, t'en as rien à caler, tu fais de la "philo" pour salons tv à la Franz Olivier Giesbert, avec de grosses hypostases en guise de concepts.
Il se fait que j'ai pas mal réfléchi sur ces problèmes de la notion de "sujet" chez Kant. Mais laisse tomber, j'ai pas envie d'y réfléchir avec toi, et toi non plus; j'ai plus la patience ni l'énergie, avec des cuistres distingués - nez pincé, port altier, grands airs supérieurs et tranchants comme le diamant de l'intransigeance (envers les autres) assortie de mansuétude (envers soi-même).
Mais la mauvaise foi, comme de bien entendu, c'est de lire les posts d'un autre avec pour unique souci de réduire ces derniers à des positions "d'essence" conformes aux imaginations qu'on l'on a s'agissant de leur auteur. Au prix de contorsions sémantiques sans fin, bien entendu, car très peu lisent vraiment ce qui s'écrit et s'empressent d'y trouver un sens qui n'y est pas, mais s'accordant à leur vision de la "rigueur" - une rigueur, pouf pouf, qui ne doute pas, jamais. Et l'assertorisme de zazar, éternelles rodomontades sans inquiétudes n'inquiétant que les inquiets (ceux pour qui "penser" est une affaire difficile, voire douloureuse), ainsi que ses percées extralucides dans le champ critique, c'est tellement, tellement... courant dans la logosphère.
Pour toutes ces raisons, la "postitose" forumesque, j'ai quasiment laissé tomber. De simplement revenir lire "ce qui suit", quel que soit le "thème" ou le "site", ça me rend malade d'avance, de plus en plus (puisque je suis intégralement responsable de ce que j'écris et que cette responsabilité m'engage). C'est un signe. Signe qu'il faut donner une énergie limitée dans le temps à cet art du bavardage qui au fond n'apporte rien, jamais, hormis bien sûr des frustrations, des coups de sang et des dépits.
Autre chose:
Je m'attendais à ce que tu m'adresses ce type de remarque. lol. Afin de pouvoir répondre qu'évidemment non, je n'enferme pas qui que ce soit dans une "essence" ou un déterminisme, ni ne dénie à quiconque la liberté de s'en arracher pour s'intéresser à n'importe à quel type d'objet. Bien évidemment. Cela va sans dire.
Ce que je suggérais dans ma phrase, c'est précisément que, parce qu'un tel cinéma est, selon moi bien sûr, pétri de tels essentialismes et mobilisant un ordre de valeurs esthético-sociales très marquées (par delà les corps déterminés qui s'y prêtent), on voit mal qu'un tourneur-fraiseur chez Renault s'entiche de cet univers et des considérations qui y ont lieu - NON PAS, évidemment, qu'il ne le pourrait, si l'envie lui en prenait, mais parce qu'il y a de fortes chances qu'à juste titre il ne se sente pas concerné par des minauderies si bourgeoises. NON PAS, là encore évidemment, qu'un ouvrier serait condamné à ne goûter que les mets culturels selon un ordre de "goût" censément conforme à sa "classe sociale" (étagement du champ social que je récuse, justement, et profondément, sans nier que dans les faits, cela puisse ressortir d'un processus de "conditionnement" qu'il faudrait analyser comme le fait Bourdieu), MAIS parce qu'en vertu de sa liberté en situation, je le voyais plutôt dans mon exemple comme saisissant les déterminations de l'objet, en opérer la critique, et conclure que ce type d'objet ne le concerne pas: non parce qu'il serait "dépourvu" des codes que ce dernier mobilise, mais au contraire parce qu'il est à même de dégager que cette organisation des signes est l'expression d'une vision du champ social très clivée et clivante.
Voilà pourquoi, dans mon exemple, c'est au nom de sa liberté de s'arracher à toute détermination qui met de l'inertie dans le dynamique, que je ne vois pas pourquoi il "kifferait" l'univers de Rohmer.
A l'inverse, s'indigner de cette remarque en dénonçant une ligne de partage qu'à mon insu je tracerais et reproduirais entre "art majeur, distingué, raffiné, cultivé, etc, et "art" vulgaire, mineur, pauvre, etc (c'est vraiment pas mon genre, quand on me connaît un minimum, et je l'ai suffisamment dénoncé à de nombreuses occasions, y compris en forums), en lui imputant une logique d'intériorisation d'un ordre social dominant du jugement esthétique (donnée bourdieusienne très cadenassante par son "naturalisme" social, même si j'acquiesce à la critique de la domination qu'elle permet, dénoncer autrement dit les processus de "naturalisation" des classes sociales), c'est indirectement créditer le cinéma de Rohmer d'appartenir à la sphère de la "Haute culture".
Or je ne pense PAS que le cinéma de Rohmer soit synonyme d'ouvrages de haute culture s'adressant à des sujets éduqués (lui, le pense clairement, y a d'autres entretiens éloquents là-dessus). Je pense au contraire qu'il vise un certain type de "spiritualité" très normée, et gouvernée par des catégories de pureté qui se refusent justement à l'abandon des tels schèmes de distinction.
C'est bien pour cela que fraiseur ou pas chez Renault, génie au sens de Cavell ou autre, tout individu a la liberté critique élémentaire de ne pas s’enticher du cinéma de Rohmer, en refusant d’intérioriser, précisément (et c’est là la liberté), une certaine socio-typie normée (par delà les différences accessoires de conditions empiriques des esprits qui le peuplent et dont les préoccupations, donc, sont des idéalités présentées comme des catégories classiques d’une notion de « sujet » fort peu pensée par Rohmer, car sa vision de Kant comme de bien d'autres choses est un compendium de toutes les caricatures académiques en vigueur, même si manifestement ça en épate certains, qui sélectionnent avec discernement les motifs de leurs "épatages" divers).
Loin donc de valoriser à mon insu, selon un hiérarchisme socio-esthétique mal digéré, des facteurs d’aliénation intériorisée du type (« l’opéra, etc, ce n’est pas pour nous, pauvres prolétaires, mon bon monsieur), je dénonce les processus de distinction à l’œuvre dans le dispositif rohmérien, et qui voudraient nous faire croire "en fait comme en droit" (j'aime pas trop ces distinctions jésuitiques), à la « naturalité », « à la hiérarchie des essences » dont se nourrit de toute évidence son dispositif. Mais l’imitation des « beaux arts », ce n’est pas forcément les « beaux arts », c’est plus une intimidation insidieuse qu’autre chose, à l'attention de ceux qui croient aux "beaux arts" ou qu'on retrouve les catégories des beaux arts dans les "petites choses légères" (façon de réactiver le partage entre le "grand" et le "petit", car au fond il n'y a pas plus de "petites choses légères" que de "grandes choses profondes").
Et Rohmer ne me semble pas un type spécialement "cultivé" (pas non plus très "intelligent", sachant que la "culture" et "l'intelligence", quels que soient les sens qu'on prête à ces mots, ne sont pas subordonnées l'une à l'autre). Raffiné, peut-être, soucieux de ne pas perdre le "contact" avec la belle jeunesse dorée dont les mignardises insolentes (?) lui fouettaient la "libido mentale", sans nul doute. Rohmer, c'est et c'était surtout, pour moi, un gâteux avant l'âge, un peu maniaque, et plus je l'écoute parler dans les entretiens qui fleurissent désormais sur Dailymotion, plus je pense que ce type n'avait fondamentalement rien à dire d'intéressant. Rien de "bizarre" ni de "singulier", chez lui (comme se plaît à l'énoncer le toujours suave Luchini, dont le fantasme existentiel majeur est de lustrer perpétuellement les bottines des "grands" de ce monde qui l'émerveillent tant).
A ce titre et pour toutes ces raisons, je persiste et signe, à titre de "sartro-kantien" (lol) : je ne vois pas qu’un fraiseur-tourneur chez Renault s’entiche de l’univers de Rohmer, juste pour avoir à prouver qu’il n’est pas soumis à une essence « d’ouvrier »; sauf bien entendu à en « intérioriser » les effets de distinction, passivement ou activement, et se persuader que ce serait décidément là que gît le « raffinement », "la subtilité" dans la "légèreté" et toutes ces sortes de choses.
En résumé : je ne vois absolument pas en quoi aimer les films de Rohmer serait un signe ou un indice de « haute culture » ou « d’éducation ». Elle l’est, sans nul doute pour ceux qui « à bon droit » s’en pénètrent parce qu’ils s'y reconnaissent (tant mieux pour eux). Pour les autres, ils ont autant "en fait qu’en droit" la liberté de ne pas y acquiescer et d’en faire, sur tous ces points, la critique, marquant le refus de cette « dialectique de la reconnaissance » frelatée et fausse: ou plutôt absente, chez Rohmer, pour toutes les raisons qu'on connaît.
J'avais par avance répondu à la pseudo objection de Claes: ce ne sont pas les situations empiriques des personnages - condition sociale, profession, etc - qui sont ici décisives, c'est le fait que, quelles que soient ses dernières, elles sont des figures abstraites ou indéterminées participant à un même idéal-type de "sujet".
Apprends à lire, Claës.
Tes trucs, aussi, sur la "philosophie du sujet" chez Kant, c'est navrant et plombant, c'est même (pas) digne de Luc Ferry et de son "homme-dieu".
T'façon ça sert à rien d'expliquer, t'en as rien à caler, tu fais de la "philo" pour salons tv à la Franz Olivier Giesbert, avec de grosses hypostases en guise de concepts.
Il se fait que j'ai pas mal réfléchi sur ces problèmes de la notion de "sujet" chez Kant. Mais laisse tomber, j'ai pas envie d'y réfléchir avec toi, et toi non plus; j'ai plus la patience ni l'énergie, avec des cuistres distingués - nez pincé, port altier, grands airs supérieurs et tranchants comme le diamant de l'intransigeance (envers les autres) assortie de mansuétude (envers soi-même).
Mais la mauvaise foi, comme de bien entendu, c'est de lire les posts d'un autre avec pour unique souci de réduire ces derniers à des positions "d'essence" conformes aux imaginations qu'on l'on a s'agissant de leur auteur. Au prix de contorsions sémantiques sans fin, bien entendu, car très peu lisent vraiment ce qui s'écrit et s'empressent d'y trouver un sens qui n'y est pas, mais s'accordant à leur vision de la "rigueur" - une rigueur, pouf pouf, qui ne doute pas, jamais. Et l'assertorisme de zazar, éternelles rodomontades sans inquiétudes n'inquiétant que les inquiets (ceux pour qui "penser" est une affaire difficile, voire douloureuse), ainsi que ses percées extralucides dans le champ critique, c'est tellement, tellement... courant dans la logosphère.
Pour toutes ces raisons, la "postitose" forumesque, j'ai quasiment laissé tomber. De simplement revenir lire "ce qui suit", quel que soit le "thème" ou le "site", ça me rend malade d'avance, de plus en plus (puisque je suis intégralement responsable de ce que j'écris et que cette responsabilité m'engage). C'est un signe. Signe qu'il faut donner une énergie limitée dans le temps à cet art du bavardage qui au fond n'apporte rien, jamais, hormis bien sûr des frustrations, des coups de sang et des dépits.
Autre chose:
Borges a écrit:je ne vois pas pourquoi un ouvrier ne pourrait pas aimer le cinéma de rohmer; à moins de réduire l'être de cet ouvrier à ses conditions empiriques d'existence, à moins de nier sa liberté, ce qui serait assez étonnant de la part d'un sartrien-kantien, y a pas d'ouvrier ou de prof, dans ce cas, dans l'esthétique, c'est la leçon de kant, sinon pour un partage policier du monde qui distribue les goûts, les places, les temps, et affirme sous le mode de l'analyse les normes dominantes : "l'opéra c'est pas pour les ouvriers"; énoncé repris, intériorisé, "mais c'est pas pour nous, ça mon bon monsieur"...
(cf critique de Bourdieu par Rancière; ce qui ne veut pas dire que bourdieu n'a pas raison, là où il a raison; un peu de rancière ne fait jamais de mal, quand il s'agit d'inclure tout le monde dans l'ordre de l'intime, de la pensée, de la psyché...Terminator n'est pas plus pour les "ouvriers" que Rohmer pour les gens "cultivés"... )
on ne peut pas programmer le destinataire d'un "texte";
Je m'attendais à ce que tu m'adresses ce type de remarque. lol. Afin de pouvoir répondre qu'évidemment non, je n'enferme pas qui que ce soit dans une "essence" ou un déterminisme, ni ne dénie à quiconque la liberté de s'en arracher pour s'intéresser à n'importe à quel type d'objet. Bien évidemment. Cela va sans dire.
Ce que je suggérais dans ma phrase, c'est précisément que, parce qu'un tel cinéma est, selon moi bien sûr, pétri de tels essentialismes et mobilisant un ordre de valeurs esthético-sociales très marquées (par delà les corps déterminés qui s'y prêtent), on voit mal qu'un tourneur-fraiseur chez Renault s'entiche de cet univers et des considérations qui y ont lieu - NON PAS, évidemment, qu'il ne le pourrait, si l'envie lui en prenait, mais parce qu'il y a de fortes chances qu'à juste titre il ne se sente pas concerné par des minauderies si bourgeoises. NON PAS, là encore évidemment, qu'un ouvrier serait condamné à ne goûter que les mets culturels selon un ordre de "goût" censément conforme à sa "classe sociale" (étagement du champ social que je récuse, justement, et profondément, sans nier que dans les faits, cela puisse ressortir d'un processus de "conditionnement" qu'il faudrait analyser comme le fait Bourdieu), MAIS parce qu'en vertu de sa liberté en situation, je le voyais plutôt dans mon exemple comme saisissant les déterminations de l'objet, en opérer la critique, et conclure que ce type d'objet ne le concerne pas: non parce qu'il serait "dépourvu" des codes que ce dernier mobilise, mais au contraire parce qu'il est à même de dégager que cette organisation des signes est l'expression d'une vision du champ social très clivée et clivante.
Voilà pourquoi, dans mon exemple, c'est au nom de sa liberté de s'arracher à toute détermination qui met de l'inertie dans le dynamique, que je ne vois pas pourquoi il "kifferait" l'univers de Rohmer.
A l'inverse, s'indigner de cette remarque en dénonçant une ligne de partage qu'à mon insu je tracerais et reproduirais entre "art majeur, distingué, raffiné, cultivé, etc, et "art" vulgaire, mineur, pauvre, etc (c'est vraiment pas mon genre, quand on me connaît un minimum, et je l'ai suffisamment dénoncé à de nombreuses occasions, y compris en forums), en lui imputant une logique d'intériorisation d'un ordre social dominant du jugement esthétique (donnée bourdieusienne très cadenassante par son "naturalisme" social, même si j'acquiesce à la critique de la domination qu'elle permet, dénoncer autrement dit les processus de "naturalisation" des classes sociales), c'est indirectement créditer le cinéma de Rohmer d'appartenir à la sphère de la "Haute culture".
Or je ne pense PAS que le cinéma de Rohmer soit synonyme d'ouvrages de haute culture s'adressant à des sujets éduqués (lui, le pense clairement, y a d'autres entretiens éloquents là-dessus). Je pense au contraire qu'il vise un certain type de "spiritualité" très normée, et gouvernée par des catégories de pureté qui se refusent justement à l'abandon des tels schèmes de distinction.
C'est bien pour cela que fraiseur ou pas chez Renault, génie au sens de Cavell ou autre, tout individu a la liberté critique élémentaire de ne pas s’enticher du cinéma de Rohmer, en refusant d’intérioriser, précisément (et c’est là la liberté), une certaine socio-typie normée (par delà les différences accessoires de conditions empiriques des esprits qui le peuplent et dont les préoccupations, donc, sont des idéalités présentées comme des catégories classiques d’une notion de « sujet » fort peu pensée par Rohmer, car sa vision de Kant comme de bien d'autres choses est un compendium de toutes les caricatures académiques en vigueur, même si manifestement ça en épate certains, qui sélectionnent avec discernement les motifs de leurs "épatages" divers).
Loin donc de valoriser à mon insu, selon un hiérarchisme socio-esthétique mal digéré, des facteurs d’aliénation intériorisée du type (« l’opéra, etc, ce n’est pas pour nous, pauvres prolétaires, mon bon monsieur), je dénonce les processus de distinction à l’œuvre dans le dispositif rohmérien, et qui voudraient nous faire croire "en fait comme en droit" (j'aime pas trop ces distinctions jésuitiques), à la « naturalité », « à la hiérarchie des essences » dont se nourrit de toute évidence son dispositif. Mais l’imitation des « beaux arts », ce n’est pas forcément les « beaux arts », c’est plus une intimidation insidieuse qu’autre chose, à l'attention de ceux qui croient aux "beaux arts" ou qu'on retrouve les catégories des beaux arts dans les "petites choses légères" (façon de réactiver le partage entre le "grand" et le "petit", car au fond il n'y a pas plus de "petites choses légères" que de "grandes choses profondes").
Et Rohmer ne me semble pas un type spécialement "cultivé" (pas non plus très "intelligent", sachant que la "culture" et "l'intelligence", quels que soient les sens qu'on prête à ces mots, ne sont pas subordonnées l'une à l'autre). Raffiné, peut-être, soucieux de ne pas perdre le "contact" avec la belle jeunesse dorée dont les mignardises insolentes (?) lui fouettaient la "libido mentale", sans nul doute. Rohmer, c'est et c'était surtout, pour moi, un gâteux avant l'âge, un peu maniaque, et plus je l'écoute parler dans les entretiens qui fleurissent désormais sur Dailymotion, plus je pense que ce type n'avait fondamentalement rien à dire d'intéressant. Rien de "bizarre" ni de "singulier", chez lui (comme se plaît à l'énoncer le toujours suave Luchini, dont le fantasme existentiel majeur est de lustrer perpétuellement les bottines des "grands" de ce monde qui l'émerveillent tant).
A ce titre et pour toutes ces raisons, je persiste et signe, à titre de "sartro-kantien" (lol) : je ne vois pas qu’un fraiseur-tourneur chez Renault s’entiche de l’univers de Rohmer, juste pour avoir à prouver qu’il n’est pas soumis à une essence « d’ouvrier »; sauf bien entendu à en « intérioriser » les effets de distinction, passivement ou activement, et se persuader que ce serait décidément là que gît le « raffinement », "la subtilité" dans la "légèreté" et toutes ces sortes de choses.
En résumé : je ne vois absolument pas en quoi aimer les films de Rohmer serait un signe ou un indice de « haute culture » ou « d’éducation ». Elle l’est, sans nul doute pour ceux qui « à bon droit » s’en pénètrent parce qu’ils s'y reconnaissent (tant mieux pour eux). Pour les autres, ils ont autant "en fait qu’en droit" la liberté de ne pas y acquiescer et d’en faire, sur tous ces points, la critique, marquant le refus de cette « dialectique de la reconnaissance » frelatée et fausse: ou plutôt absente, chez Rohmer, pour toutes les raisons qu'on connaît.
Invité- Invité
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
Borges a écrit:
je connais pas LM, mais pour rozier, je ne vois pas du tout ses personnages comme des losers; ceux de Rohmer non plus d'ailleurs.
étrange idée.
Oui, alors je disais "loseur", je voulais dire un membre de la majorité grise et silencieuse ; par exemple dans le monde des teen movies, il y a la minorité des mecs populaires, jocks et cheerleaders d'un côté, intrépides freaks et rebelles de l'autre, et la majorité des non-cools, des nerds et assimilés, le héros typique est un non-cool, non glorieux, savourant l'humiliation quotidienne de l'anonymat, de la non-existence sociale. L'avenir donnera éventuellement raison à ce sans-grade, ce non-cool, son inhibition se révélera intelligence, etc. "Loseur", terme générique pour désigner la majorité, un certain individu quelconque, et pas tant le perdant à vie. C'est un terme équivoque.
D'ailleurs le terme "débile" prête lui aussi à confusion ; si on l'emploie comme Stiegler, qui emprunte le mot à Deleuze, ça renvoie à la régression au stade pulsionnel, à la dé-sublimation, à la crétinerie voyeuriste organisée, téléréalité et pornographie. Evidemment ce n'est pas tout à fait ce que je voulais dire à propos de Rohmer.
balthazar claes- Messages : 1009
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
Disons qu'il y a souvent le tandem du "populaire" et du "loser". Pauline à la plage : Marion/Pauline : la bimbo voyante qui s'écoute parler / l'adolescente non flamboyante ; Pierre/Henri ; Pierre, bien que sportif, a une note fondamentale de niaiserie, de gaucherie / Henri est un requin social, un winner. La Delphine du Rayon vert est une loseuse, une tarte ; la Louise des Nuits de la pleine lune une branchée, une petite star des soirées guindées parisiennes.
On pourrait replier le problème en disant comme Jerzy qu'ils sont tous néanmoins des Marie-Chantal et des Jean-Hugues, et que c'est le plus important. Pourtant, il me semble qu'il n'y a pas que ça. Enfin il faudrait qualifier cette population de Marie-Chantals et de Jean-Hughes non pas en terme de "classe privilégiée", ce qu'ils sont bien sûr en un sens, mais en terme de "classe handicapée" ou quelque chose comme ça. S'il est si facile de se moquer d'eux, ce n'est pas en vertu du don qu'ont les pauvres pour railler les riches; c'est plutôt parce que leurs postures et leurs paroles sont en voie de momification. Ce sont leurs moeurs, leurs traditions, leur culture qui sont en train de sombrer dans l'obsolescence.
Ainsi les personnages rohmeriens ressemblent tous, cools ou loosers, au droïde C6PO: raides, guindés, protocolaires, aux articulations grippées et d'emblée ridicules. Rohmer perle de la grâce -chrétienne- mais les corps qu'il montre ne sont pas gracieux. Ou plutôt, ils n'ont pas la grâce du mouvement. Ils font de l'exercice, du tennis et de la planche à voile, mais c'est pour ne pas complétement s'atrophier. La scène où Blanche et Fabien font de la planche à voile sur le lac artificiel sans vagues de Cergy-Pontoise, est l'une des "scènes d'action" les plus molles de l'histoire du cinéma.
Branchés ou pas, ils sont quand même ringards. La célèbre scène des Nuits de la pleine lune où tout le monde danse sur Elli et Jacno: cette danse manque de vie, tout comme cette musique est atone.
Et ce n'est pas non plus parce qu'ils seraient "des intellectuels": c'est bien plutôt parce qu'ils manquent tous de vitalité.
Le Perceval 1978 sera une copie miniaturisée du modèle, un Tom Pouce en armure de chevalier, imberbe à la voix haut perchée. Il n'a pas beaucoup poussé ce petit Perceval.
Il en va d'une certaine idée de la dégénérescence civilisationnelle, un amoindrissement, une perte d'élan, une putréfaction des formes culturelles. Est-ce le refoulé de Rohmer, la tache aveugle dans son champ de vision, ou bien assume-t-il cette question?
Il montre des personnages fades, on pense à l'endive et au navet. On pense à un gâteau à la crème, légèrement trop sucré, trop écœurant, légèrement ranci.
Rohmer se tourne désespérément vers la jeunesse, mais il aime une jeunesse sans fraîcheur, timorée et pâle. Ce n'est pas celle de GVS par exemple. Elle est fondamentalement kitsch: le kitsch est l'opération qui consiste à dissimuler la pourriture sous du rose.
On peut parler d'un art malade. Truffaut parlait je crois de "grands films malades", mais c'est toute l'œuvre de Rohmer qui est un grand œuvre malade. Et encore une fois on retrouve beaucoup de ça sous une forme différente chez Rozier et Moullet.
On pourrait replier le problème en disant comme Jerzy qu'ils sont tous néanmoins des Marie-Chantal et des Jean-Hugues, et que c'est le plus important. Pourtant, il me semble qu'il n'y a pas que ça. Enfin il faudrait qualifier cette population de Marie-Chantals et de Jean-Hughes non pas en terme de "classe privilégiée", ce qu'ils sont bien sûr en un sens, mais en terme de "classe handicapée" ou quelque chose comme ça. S'il est si facile de se moquer d'eux, ce n'est pas en vertu du don qu'ont les pauvres pour railler les riches; c'est plutôt parce que leurs postures et leurs paroles sont en voie de momification. Ce sont leurs moeurs, leurs traditions, leur culture qui sont en train de sombrer dans l'obsolescence.
Ainsi les personnages rohmeriens ressemblent tous, cools ou loosers, au droïde C6PO: raides, guindés, protocolaires, aux articulations grippées et d'emblée ridicules. Rohmer perle de la grâce -chrétienne- mais les corps qu'il montre ne sont pas gracieux. Ou plutôt, ils n'ont pas la grâce du mouvement. Ils font de l'exercice, du tennis et de la planche à voile, mais c'est pour ne pas complétement s'atrophier. La scène où Blanche et Fabien font de la planche à voile sur le lac artificiel sans vagues de Cergy-Pontoise, est l'une des "scènes d'action" les plus molles de l'histoire du cinéma.
Branchés ou pas, ils sont quand même ringards. La célèbre scène des Nuits de la pleine lune où tout le monde danse sur Elli et Jacno: cette danse manque de vie, tout comme cette musique est atone.
Et ce n'est pas non plus parce qu'ils seraient "des intellectuels": c'est bien plutôt parce qu'ils manquent tous de vitalité.
Le Perceval 1978 sera une copie miniaturisée du modèle, un Tom Pouce en armure de chevalier, imberbe à la voix haut perchée. Il n'a pas beaucoup poussé ce petit Perceval.
Il en va d'une certaine idée de la dégénérescence civilisationnelle, un amoindrissement, une perte d'élan, une putréfaction des formes culturelles. Est-ce le refoulé de Rohmer, la tache aveugle dans son champ de vision, ou bien assume-t-il cette question?
Il montre des personnages fades, on pense à l'endive et au navet. On pense à un gâteau à la crème, légèrement trop sucré, trop écœurant, légèrement ranci.
Rohmer se tourne désespérément vers la jeunesse, mais il aime une jeunesse sans fraîcheur, timorée et pâle. Ce n'est pas celle de GVS par exemple. Elle est fondamentalement kitsch: le kitsch est l'opération qui consiste à dissimuler la pourriture sous du rose.
On peut parler d'un art malade. Truffaut parlait je crois de "grands films malades", mais c'est toute l'œuvre de Rohmer qui est un grand œuvre malade. Et encore une fois on retrouve beaucoup de ça sous une forme différente chez Rozier et Moullet.
balthazar claes- Messages : 1009
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
'soir Balthazar,
Ca, c'est une image bien parlante.
Je suis quand même pas d'accord sur tout, et par exemple sur cette idée de pourriture : "terne", "gauche", ce n'est pas la même chose que "pourri" ou "dégénérescent".
Arielle Dombasle est peut-être super tarte dans "Pauline à la plage", mais quand Rohmer la filme de dos, en train de s'éloigner de la piste de danse pour aller boire un verre, elle a tout de suite une autre allure, grande comme elle est, avec sa jupe super courte. Le plan est tout sauf "terne" ou "gauche" à ce moment-là.
Je pourrais citer plein d'autres exemples.
Ses personnages sont peut-être un peu mornes, manquent peut-être de vitalité : mais Rohmer, il a l'oeil, comme on dit ; il n'a pas l'oeil morne. Ce sont ses cadrages qui tranchent dans le vif.
lolAinsi les personnages rohmeriens ressemblent tous, cools ou loosers, au droïde C6PO
Ca, c'est une image bien parlante.
Je suis quand même pas d'accord sur tout, et par exemple sur cette idée de pourriture : "terne", "gauche", ce n'est pas la même chose que "pourri" ou "dégénérescent".
Peut-être, mais la vitalité passe ailleurs dans ce cas : à mon avis, dans sa façon de filmer les femmes. C'est ce qui fait que son cinéma n'est pas si dévitalisé que ça.c'est bien plutôt parce qu'ils manquent tous de vitalité.
Arielle Dombasle est peut-être super tarte dans "Pauline à la plage", mais quand Rohmer la filme de dos, en train de s'éloigner de la piste de danse pour aller boire un verre, elle a tout de suite une autre allure, grande comme elle est, avec sa jupe super courte. Le plan est tout sauf "terne" ou "gauche" à ce moment-là.
Je pourrais citer plein d'autres exemples.
Ses personnages sont peut-être un peu mornes, manquent peut-être de vitalité : mais Rohmer, il a l'oeil, comme on dit ; il n'a pas l'oeil morne. Ce sont ses cadrages qui tranchent dans le vif.
Eyquem- Messages : 3126
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
Simon Cussonaix a écrit:
Je m'attendais à ce que tu m'adresses ce type de remarque. lol. Afin de pouvoir répondre qu'évidemment non, je n'enferme pas qui que ce soit dans une "essence" ou un déterminisme, ni ne dénie à quiconque la liberté de s'en arracher pour s'intéresser à n'importe à quel type d'objet. Bien évidemment. Cela va sans dire.
Ce que je suggérais dans ma phrase, c'est précisément que, parce qu'un tel cinéma est, selon moi bien sûr, pétri de tels essentialismes et mobilisant un ordre de valeurs esthético-sociales très marquées (par delà les corps déterminés qui s'y prêtent), on voit mal qu'un tourneur-fraiseur chez Renault s'entiche de cet univers et des considérations qui y ont lieu - NON PAS, évidemment, qu'il ne le pourrait, si l'envie lui en prenait, mais parce qu'il y a de fortes chances qu'à juste titre il ne se sente pas concerné par des minauderies si bourgeoises. NON PAS, là encore évidemment, qu'un ouvrier serait condamné à ne goûter que les mets culturels selon un ordre de "goût" censément conforme à sa "classe sociale" (étagement du champ social que je récuse, justement, et profondément, sans nier que dans les faits, cela puisse ressortir d'un processus de "conditionnement" qu'il faudrait analyser comme le fait Bourdieu), MAIS parce qu'en vertu de sa liberté en situation, je le voyais plutôt dans mon exemple comme saisissant les déterminations de l'objet, en opérer la critique, et conclure que ce type d'objet ne le concerne pas: non parce qu'il serait "dépourvu" des codes que ce dernier mobilise, mais au contraire parce qu'il est à même de dégager que cette organisation des signes est l'expression d'une vision du champ social très clivée et clivante.
Voilà pourquoi, dans mon exemple, c'est au nom de sa liberté de s'arracher à toute détermination qui met de l'inertie dans le dynamique, que je ne vois pas pourquoi il "kifferait" l'univers de Rohmer.
Il y aurait tant de choses à dire (tout ces problèmes sont passionnants) mais en m'en tenant à ce passage, à ce qui est écrit ; que la pensée soit trahie ou pas, c'est une autre affaire...
-Cela va s'en dire, mais tu continues à parler de "fraiseur-tourneur"; bien plus, à te lire, on ne peut être un fraiseur-tourneur libre qu'en n'aimant pas le cinéma de Rohmer, donc en partageant ton jugement sur son cinéma ; tu identifies la liberté de ce mec à ta propre liberté ; ce qui est gênant, même s'il n'est qu'une fiction, ta fiction ; tu fais de la pensée élargie à l'envers, comme dirait Hannah Kant ; tu n'imagines pas une pensée différente de la tienne, tu inventes un tourneur-fraiseur (un vrai personnage sans liberté) pour qui tu détermines le cinéma de Rohmer (minauderies si bourgeoises, clivé-clivant...), et qui serait con, pas libre, s'il l'aimait ; donc, fondamentalement, tu maintiens des partages mondains, sociologiques, pour déterminer la relation esthétique ; de même que tu définis l'œuvre de Rohmer comme essentiellement bourgeoise, expression... Tu définis ce mec essentiellement comme tourneur-fraiseur, selon une catégorie sociale ; or, si on s'en tient à un kantisme très simple, je ne suis jamais ni prof, ni acteur, ni Noir, ni ouvrier, dans ma relation à l'œuvre d'art, je ne suis rien de déterminé, je ne suis pas, pas plus que n'est l'œuvre, nous ne sommes pas sur le plan de l'étant, du réel, dirait sartre, mais de l'imaginaire, de l'irréel ; dans ma relation à l'œuvre je suis aussi irréel que l'est l'œuvre, si bien que je peux me sentir, pauvre, concerné par les problèmes d'un riche, Noir, par ceux d'un Blanc, etc., parce que tout cela n'a plus de sens dans l'expérience esthétique ; la liberté en situation dirait encore Sartre est une imagination en situation, une puissance déréalisante, néantisante ; tu dis que le mec ne vas pas se sentir concerné par ce monde bourgeois, or, c'est précisément ce non "concernement" qui détermine l'expérience esthétique ; dans l'expérience esthétique, je ne suis pas concerné ; c'est ça le désintérêt ; rien de ce qui détermine mon existence (ma religion, ma classe, mes idées politiques, ma situation financière, ma nation...) ne peut, ne doit intervenir... On ne peut donc pas continuer à parler de tourneur-fraiseur, parce que le personnage que tu as inventé ne l'est plus, une fois qu'il est libre...
Autrement (ce qui pourrait permettre de confronter Sartre aimant un art populaire, et ce tourneur-fraiseur, qui ne serait libre que de ne pas aimer Rohmer), il faudrait causer de Sartre et du cinéma (adaptation, scénarios, quelques textes critiques, amour du cinéma us, mépris pour le français, critique de Welles, trop intellectuel) de son expérience du cinéma, comme expérience d'un art populaire;
« Dans l 'inconfort égalitaire des salles de quartier, j'avais appris que ce nouvel art était à moi, comme à tous"
(Les Mots)
« Nous entrions à l'aveuglette dans un siècle sans traditions qui devait trancher sur les autres par ses mauvaises manières et le nouvel art, l'art roturier, préfigurait notre barbarie. Né dans une caverne de voleurs, rangé par l'administration au rang des divertissements forains, il avait des façons populacières qui scandalisaient les personnes sérieuses ; c'était le divertissement des femmes et des enfants ; nous l'adorions, ma mère et moi, mais nous n'y pensions guère et nous n'en parlions jamais : parle-t-on du pain s'il ne manque pas ? Quand nous nous avisâmes de son existence, il y avait beau temps qu'il était devenu notre principal besoin . »
(Les Mots)
" [ . . . ] tout un vaste milieu bourgeois regardaient encore le cinéma comme "un divertissement de bonniches" ; à l'École Normale, Sartre et ses camarades avaient conscience d'appartenir à une avant-garde quand ils discutaient avec gravité des films qu'ils aimaient. J'étais moins mordue que lui mais je le suivais quand même avec empressement dans les salles d'exclusivités, dans les petites salles de quartier où il avait repéré des programmes alléchants ; nous n'allions pas là seulement pour nous divertir ; nous y apportions le même sérieux que les jeunes dévots d'aujourd'hui quand ils entrent dans une cinémathèque."
(Simone de B, la force de l'âge)
Borges- Messages : 6044
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
Eyquem a écrit:quand Rohmer la filme de dos, en train de s'éloigner de la piste de danse pour aller boire un verre, elle a tout de suite une autre allure, grande comme elle est, avec sa jupe super courte. Le plan est tout sauf "terne" ou "gauche" à ce moment-là.
Je pourrais citer plein d'autres exemples.
Ses personnages sont peut-être un peu mornes, manquent peut-être de vitalité : mais Rohmer, il a l'oeil, comme on dit ; il n'a pas l'oeil morne. Ce sont ses cadrages qui tranchent dans le vif.
Extrêmement tranchant l'oeil de Rohmer. Ce n'est jamais le plan qui est terne ou gauche. C'est justement la cruauté du regard de Rohmer qui met impitoyablement en lumière la misère des corps qui s'agitent sous ses yeux.
Marion n'est pas terne, c'est plutôt un lampadaire, et le film dégouline certes de lumière, de chair et de couleur. Elle est à la fois supposée incarner un terrible sex appeal, mais c'en est l'idée et pas la chose. Daney parle de horsexe à propos de Rohmer. Son regard tranchant s'acharne à réduire ce "sex appeal" à une espèce d'infériorité ; il révèle que la posture de Marion consiste à se présenter comme jument raisonneuse, comme corps triomphant absurdement accolé à une cervelle humaine.
Rohmer évolue beaucoup, à cet égard, dans la manière dont il filme les corps. Une seule fois ou presque, dans le prologue de la Collectionneuse, il présente un beau corps comme tel, comme terriblement désirable. Là, le regard tranchant du cadreur découpe le corps en morceaux : un genou, un cou, une taille ; sans parvenir à réduire son éclat. Le regard fasciné par la beauté corporelle est un regard pervers qui ne voit pas la totalité de l'être , qui découpe sans vergogne dans la chair ; un regard gouverné par la pulsion scopique. La folie pointe sous cette fascination : cf l'un des premiers court-métrages de ER, Bérénice, adaptation de Poe, qui est le récit d'une telle fascination pour la beauté, conduisant à la folie meurtrière.
Les dandys de la Collectionneuse tentent de théoriser cette fascination, pour la rejeter ("c'est quand tu es la plus jolie que tu deviens la plus ignoble", disent-ils en substance à la collectionneuse) ; mais ils ne peuvent s'empêcher d'y succomber. Le Genou de Claire est le point de rupture en ce sens, quand le désir devenu misérable, s'attache à des objets dérisoires, des miettes de contact. Rohmer dès lors renonce à montrer un désir qui ne soit pas contrarié, interdit ou voilé, les corps deviennent horsexe et la sensualité tabou.
Dans PàP (de Particulier à Particulier, tiens) les peaux lisses et cuivrées appellent une fascination mais celle-ci est toujours mise hors-jeu. Pierre est beau mais surtout niais, Marion est belle mais surtout vaniteuse, Henri est beau mais surtout vil, Pauline est belle mais c'est surtout une enfant, une innocence et cette innocence est le bien le plus précieux. L'entrée dans la ronde des corps sexués est une déchéance.
Rohmer au fil des ans tend à appliquer le tranchant de son regard, de sa cruauté, à stériliser l'image, à en extraire toute sensualité "simple". La sensualité en ressort (elle ressort toujours, comme le naturel) mise au carré, transformée en abstraction, c'est-à-dire en perversion d'un niveau supérieur du fait de ce déplacement supplémentaire;
En gros Rohmer condamne le corps, le désir spontané. C'est lui qui juge qu'il y a quelque chose de pourri dans ce royaume. Est-ce simplement l'idée chrétienne du péché originel ? C'est ce qu'il semble quand on voit le scénario du Perceval, où Rohmer a rajouté une passion christique qui n'était pas chez Chrétien de Troyes. Le problème, c'est que la chute originelle est liée à la chair, et que ce film est le plus artificiel, le plus désincarné qui soit. Avec ce film et ses arbres en carton-pâte, Rohmer contredit à la fois son credo bazinien et la filiation chrétienne. Il y a du sensuel chez les chrétiens, comme dans la dévoration de la chair et du sang du Christ. Mais c'est comme si Rohmer trouvait la chair faisandée, elle lui fait "horreur".
balthazar claes- Messages : 1009
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
nul besoin d'être grand clerc pour ça, ni de se laisser abuser par quelques références grotesques au "transcendantal" kantien (j'ai vu ce conte comme tous les autre Rohmer, y a longtemps: c'est une soi-disant prof de philo (dans le civil) et bien proprette qu'il fait parler, et on imagine donc facilement que c'est son dialogue à elle - ce qu'elle a confirmé dans un entretien que j'avais vu à la tv, entre deux passages de serpillère: Rohmer était très "impressionné", disait-elle, par ses "compétences philosophiques": il l'a laissée improviser ce passage sur "Kant" -. Le problème, c'est juste que son laïus est d'un ridicule achevé.
Maintenant que j'y repense, le "laïus" de la prof de philo dans le film en question ne concerne pas du tout le transcendantal kantien, mais la possibilité que ses élèves, issus de la classe ouvrière, s'intéressent à la philosophie. Les fils et filles de tourneurs-fraiseurs, explique-t-elle en somme, ne considèrent pas la philo de la même manière que les maths ou la littérature, ils y mettent plus d'amour-propre, car il y va "de tout leur être pensant" qui est mis sur la sellette, et non pas simplement leur connaissance d'un langage, d'un code culturel. On peut donc, affirme-t-elle, les intéresser et même les "passionner" avec des questions de philosophie. Comme quoi... Hélas, tout ça serait paraît-il "d'un ridicule achevé".
D'autre part : bon, Rohmer dit : les ménagères passaient leur serpillière en regardant la télé d'un oeil distrait, et au lieu de leur feuilleton, elles tombaient sur une émission éducative destinée à la télévision scolaire ; les élèves, supposés être le public légitime de l'émission, ne la voyaient pas, donc c'étaient elles qui bénéficiaient de la possibilité imprévue de se cultiver un peu. Scène : une dame en cheveux, serpillière à la main, qui se fige et se met à contempler d'un air sceptique son poste, dans lequel se joue un débat serré sur les démêlés de Mallarmé avec la poésie. Rires indulgents. Allez faire un procès à Rohmer après ça, au nom de son insupportable mépris pour la classe ménagère : il va jusqu'à affirmer son existence. Son coeur visiblement ne se serre pas de douleur à l'idée que la serpillière existe, et qu'on oblige, encore de nos jours, des gens à s'en servir ; et l'impudent ne s'en cache même pas ! Et même, ça le fait ricaner... C'est accablant. Il ne dit pas non plus "des hommes et/ou des femmes de ménage", mais bel et bien, réécoutez le passage, "des femmes de ménage", dans une répugnante démonstration de phallogocentrisme décomplexé. On a là un indice qui révèle à coup sûr à quel point le bougre était réactionnaire. Pris sur le fait ! L'habile déconstruction de cet indécent déboutonnage ne devrait quand même pas trop troubler son sommeil éternel.
balthazar claes- Messages : 1009
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
Comme prévu, l'"âpre" entretien Rohmer/Cahiers datant d'Avril 70 (#219) :
Invité- Invité
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
Borges:
... mwouais. Je pourrais passer un peu de temps à montrer que c'est un little-procès en byzantinisme déguisé en déconstruction lucide de mes "catégories" sémantiques.
Quand je dis "tourneur fraiseur", c'est juste un exemple auquel moi je n'accorde pas de valeur ni de sérieux, mais que j'ai employé à dessein parce que, selon moi, dans l'esprit de Rohmer ce serait une "catégorie" à laquelle il n'imagine pas s'adresser, parce que justement son "discours" sur ses films dresse de telles "catégories" (dissimulées derrière le recours "neutralisant" aux notions classiquement kantiennes de "désintérêt", et comme j'ai cherché à le montrer plus haut) - auxquelles pour ma part je ne crois pas, qui ne sont pas les miennes, consciemment ou même à mon insu (car je crois être doté, bis rep., d'un minimum de réflexivité dans le choix de mes expressions).
En ce qui me concerne, je ne crois ni au pur "désintérêt" kantien qui gouvernerait l'expérience esthétique, ni à la pure "détermination" sociale qui, chez Bourdieu, la gouvernerait, après avoir exhibé les motifs sociaux insus commandant les distinctions transcendantalement "pures" de Kant.
Je crois, en simplifiant au maximum, et c'est du reste une position de "sagesse" critique, en la contamination indécidable de l'empirique et du transcendantal, s'il faut employer ces mots qui sont surtout, rappelons-le, des convenances conceptuelles didactiques, dont l'usage ne devrait pas amener à "croire" que les "plans" qu'ils dégagent sont des réalités d'essence originaires et/ou purs. N'est-ce pas du reste la réticence qu'exprime un Derrida aussi bien à l'égard d'une détermination strictement empirique du Socius qu'à l'égard d'une détermination strictement transcendantale des concepts?
Cette clause d'indétermination, qui inquiète la légitimité de tous les champs qui prétendent dégager "leur" plan comme fondateur, les amenant ainsi sur le terrain de la "métaphysique" dogmatique à laquelle ils souhaitent se soustraire (que ce soit sociologisme radical ou transcendantalisme radical), je la fais mienne et la pratique depuis fort longtemps
Donc, foin de faux-procès et de simplification opportuniste de mon propos destinés à "exhiber" mes naïvetés essentialistes: par ce type de faux-exemple "ab absurdo", je me moque principalement et explicitement des catégories et des clivages essentialistes non-situables empiriquement, qui sont ceux de Rohmer, en imaginant et en construisant, justement, une catégorie d'essence caricaturalement "située": un "tourneur-fraiseur chez Renault" qui aurait la liberté de ne pas goûter au cinéma de Rohmer.
C'est tout, et c'est suffisamment clair; il est vain d'éplucher mes mots et mes expressions comme autant d'"oignons" qui, couches par couches, révéleraient assez aisément ce que seraient mes propres catégories et essentialisations que je dévoilerais tout en les cachant.
Et à quoi bon m'"éclaircir" sur ces classiques données de la théorie kantienne de l'esthétique, puisque justement mon propos visait - entre autres - à introduire dans ces dernières - dans le cadre de cet exemple "forcé" pour répondre ironiquement à la théorie de l'esthétique très classiquement kantienne de Rohmer - des éléments de "critique sociale du jugement" de type bourdieusien, et qui sont justement refusées au nom de son irénisme du "désintéressement du sujet".
Donc, tu te trompes de cible, une fois encore, et ton "système" de décodage textuel - que je connais bien - se révèle une fois de plus suffisamment ambigu pour que tu puisses soutenir une chose et son contraire: m'accuser de sociologisme "naturaliste" d'un côté, si j'introduis pour les besoins de mon propos un "fraiseur tourneur", en m'invitant à considérer la critique de Rancière adressée à Bourdieu, et en tentant de démontrer que je fonctionne par classements essentialisants; et inversément, critiquer quand l'occasion s'en présente les catégories trop abstraitement kantiennes du "spectateur" ranciérien, le renvoyer à Bourdieu.
Ce qui m'amène (ce n'est pas que ça m'amuse mais tu m'y contrains ici, comme en d'autres occasions) à poser la question délicate, discutable autant que n'importe quel sujet, de ta "méthode" de lecture se voulant déconstructrice de tout propos. A mon sens, plutôt que déconstruction rigoureuse, c'est parfois (pas toujours, il est vrai) de sophistique subtile dont tu uses et même abuses, grâce à quoi tu ne prives pas - régulièrement - d'asserter des positions très tranchées qui pourtant s'annulent régulièrement l'une l'autre, dans un temps parfois très court.
On dira éventuellement que c'est parce que tu te prononces depuis un espace critique de déconstruction à partir duquel tu ne tranches ni du "vrai" ni du "faux" de la position que tu défends selon une configuration "x" ou "y" d'énoncés. Mais c'est pas si simple ni aisé. Selon moi, cette "méthode" qui ne s'énonce pas forcément pour ce qu'elle est, constitue en diverses occasions une façon "euphémisante" d'énoncer successivement des positions contradictoires aussi tranchées que dogmatiques. Par exemple, sur Rohmer, mais pas seulement. Il suffit de lire tes premiers propos, tes "liminaires" à ce sujet, pour ensuite examiner comment, en fonction du désir que tu as de dénier la pertinence de propos circonstanciés d'autres interlocuteurs, tu en viens à soutenir une position qui dément farouchement la première, laquelle, pourtant, était farouchement soutenue.
Dois-je rappeler ton "incipit", qui fait fort dans la critique massive, et emportait tout tel un torrent de lave ne faisant guère dans le détail? Et qui pointe à juste titre le racisme fondamental autant que le culte d'une beauté abstraite? Mais toi seul, apparemment, as le droit de critiquer, parce que toi seul, apparemment et à t'en croire, disposes les justes éléments pour critiquer.
Malheur à qui viendrait se mêler d'y ajouter ses vues, surtout si elles en constituent une manière de prolongement: tu te mettras alors en devoir de détecter au laser les signes de ses propres préjugés sociaux et esthétiques irréfléchis, non pensés ou non déconstruits, et c'est alors que, soudain, par volte-face mystérieux, tu es prêt à accorder à l'objet de ta sévère contemption énoncée en amont, nombre de qualités auxquelles on ne rendait pas assez justice. En rappelant en l'occurrence, sur le ton du maître d'école, les réquisits d'un kantisme de base sur l'expérience esthétique et la non-situabilité du sujet de cette expérience, ainsi que, au besoin, les limites "naturalistes" et les "essentialismes" sociologiques cernant le locuteur qui est bien mal avisé d'en prononcer si maladroitement la critique. Critique que tu te fais pourtant fort, dans d'autres contextes similaires, de mobiliser radicalement. Pourquoi ces variations de traitement? Simplement parce que toi seul, à tes yeux, sembles avoir le droit d'en discuter sans te "contredire".
Et ça vaut pour pas mal de choses... Mais tu n'as pas le monopole de la cohérence, loin s'en faut et même si ça ne fait pas plaisir, disons qu'un de tes péchés mignons est d'ainsi toujours t'assurer d'être le seul à avoir raison en tout et in fine, par la pratique chorégraphique des entre-chats et des pas de côté. Car rien ne semble te déplaire aussi souverainement que l'on dise blanc quand tu as dis blanc ou noir quand tu as dit noir. Tu mobiliseras alors toutes les ressources de ta "dialectique" (admirable, il est vrai) pour établir que tu disais blanc quand tu disais noir et noir quand tu disais blanc. Ou gris.
C'est là une figure de coquetterie récurrente: assigner l'autre sans jamais être assigné, ou encore déconstruire sans être jamais déconstruit. C'est tout un art, je ne dis pas.
Mais je ne vois pas pourquoi je devrais y souscrire religieusement, quand ça s'applique à mes propos, comme si s'imposait la nécessité naturelle de se soumettre à l'infaillibilité d'une pensée qui distribue, avec une assurance qui donne à penser, aussi, sur son désir de toute puissance, les bons et les mauvais points .
C'est bien d'y repenser maintenant. Maintenant, tu peux aussi revoir la séquence et lier les deux aspects de son "petit cours", dont les deux motifs (que tu disjoins de façon arbitraire) forment un ensemble cohérent (par rapport à sa "qualité" de "prof de philo" dans la structure du récit).
Elle "explique" bel et bien le "transcendantal kantien", à l'adresse de quelqu'un (en l'occurrence la cocotte parfumée représentée par Arielle Dombasle) qui confond avec "transcendant". Et ce qu'elle en dit, de son propre cru, est en effet un "laïus" des plus académiques et déréalisant, circonscrivant ce genre de "questions" philosophiques à un débat d'école ou de cuisine rustique, une "leçon de choses" édifiante appliquée au "quotidien" (et dont tout le monde se branle dans la scène, c'est juste un stratagème ô combien subtil pour donner aux "femmes de ménage" et aux "cocottes parfumées" - qui a dit qu'il parlait des hommes? - une occasion, encore, et de bon aloi, de se cultiver), une espèce d'exercice de culture abstraite servant de bruit de fond lors d'un bon déjeuner entre gens de bonne compagnie.
Mais y a aussi toute une "tonalité" de la scène, en phase avec ce recadrage académique frugal: la philosophe qui répond à Dombasle représente en contrepoint la bonne robustesse carrée des braves filles d'la campagne, qu'ont la tête bien vissée sur les épaules, qui n'ont pas été corrompues par les affèteries capiteuses et les manoeuvres calculatrices de la séduction des cocottes évaporées et écervelées des villes. Elle est d'ailleurs assez "hommasse", dans le maintien comme dans la coupe et le ton, une sorte de Jeanne d'Arc en route vers "l'asexué" (selon l'imagerie très convenue que Rohmer se fait des identités sexuelles, bien sûr, pas selon mes critères), adéquate en cela à l'imagerie d'Epinal du rude Concept. C'est pourquoi son cœur est pur et vaillant, comme Tintin, et l'homme qui saura la conquérir l'aimera pour son pur être "désintéressé" aimant et pensant. Rien là que de très rohmérien et confirmant son goût des éternels stéréotypes abstraits en symétrie binaire, adéquats à leur "fonction" ou "idéal-type".
Elle a beau assortir son laïus d'une défense et illustration de l'enseignement de la philosophie à des fils et filles de la classe ouvrière qui, selon l'antienne, s'y investissent davantage, "corps et âme", parce qu'il en irait de tout leur "être pensant" mis "sur la sellette", dame oui, et c'est tout leur amour-propre qui se trouve convoqué, dans les profondeurs de l'être-essence, au delà de la "simple" connaissance du langage et des codes culturels qui au fond ne les concernent que superficiellement, ces "êtres pensants" farouches et fiers (c'est Ferry + Comte Sponville + James Ellroy : quand t'as décidé de braire des âneries, toi, tu mets vraiment le pilotage automatique, hein), cela ne change strictement rien à mon propos.
Et n'importe quel enseignant en philo digne de ce nom fait son boulot, sans se gargariser de codes langagiers et culturels, c'est élémentaire, et surtout sans se croire obligé d'y adjoindre ce genre de "paternalisme" réductionniste et catéchistique à tendance "spiritualiste" sauce sainte-Thérèse (la "philo" comme "nourriture spirituelle" s'adressant par toutes ses fibres au "noumène" de "l'être pensant", au delà de la "connaissance" par le langage et les codes conventionnels).
Car l'enseignement de la philo, quand ça respecte l'interlocuteur (je te rassure tout de suite, ici, on n'enseigne pas la philo "on line": point n'est besoin de fantasmer ce "cadre" dans un contexte "dialogique" ou "interlocutoire" purement scriptural, par écran interposé, où chacun fait ses projections et ses interprétations seul devant son écran, dans une communication directe des âmes qui consiste surtout à rebondir sur la sienne - ce qui éventuellement ravirait un Platon numérique), ça sert aussi, concrètement, à clarifier les concepts, un langage, à poser des cadres et des codes sans pour autant qu'y soit sacrifié, on ne voit pourquoi, "l'engagement de tout l'être pensant", et comme si l'amour-propre n'était pas mobilisé là autant que partout ailleurs.
Décidément, t'as une idée de la philo, et plus encore, de l'enseignement de la philo, bien lénifiante, pour rester poli. Maintenant, puisque tu parles d'amour-propre, le problème de tes gesticulations sémantiques pour me prendre perpétuellement au mot, démontrer point par point que je ne sais pas de quoi je parle ou encore, éventuellement, retourner ce discours contre lui-même, ainsi que tes "reconstructions" esthético-éthico-mentales du cinéma de Rohmer, ça traduit surtout dans ton cas moins l'amour-propre que la vanité ennuyeuse et vétilleuse "de faire feu de tout bois" pour renvoyer "mon" discours dans le "champ" du "vacarme". De la part d'un prosateur qui fait sempiternellement dans les abstractions d'école et l'intello-référentialisme assez imbu de sa "maîtrise" (sur laquelle il ne souhaite pas plus céder que sur son désir), d'un Fregoli du concept qui tricote des napperons imités tantôt de Deleuze, tantôt de Lacan, dans une sorte d'hyper-technicité à quoi rien de virtuosement creux ne manque, excepté le poids du réel, ça vaut toujours son pesant de cacahuètes.
Pour le reste - ce qui suit - tes exégèses des films de Rohmer que tu cites, ne dépassent guère le cadre de la disputatio jésuitique sur la couleur d'un emballage de pralines, c'est juste de la gymnopédie mentale. Tu branlottes à l'envi sur du vide avec de beaux raisonnements creux, n'hésitant jamais à cultiver le paradoxe (pour avoir l'air fin et subtil du gars qui sait voir "derrière" les apparences convenues), et agençant de faux problèmes dont la portée excède difficilement le carré brodé d'on ne sait quelle cinéphilie germanopratine, et tout ça pour quoi? J'ai mon idée. A mon avis, tu ferais pareil avec n'importe quel "matériau" de circonstance. Tu te prends, par imitation (je n'ai rien contre les imitations, faut-il le rappeler, juste qu'il y a des imitations sans talent), pour un maître déconstructeur ou es "soupçon", et visiblement, tu déploies ce que tu imagines vraisemblablement être une fine ironie mordante teintée d'anti-phrastique (pas réussi: trop collet-monté, trop sûr de sa brillance: on "bâille") aux fins de rabattre ici le caquet des mes critiques si "convenues" (mais les as-tu seulement comprises? Non, tu en fais une caricature simplifiée et inadéquate, à partir de laquelle tu as beau jeu pour disposer ta rhétorique paradoxale corpuchic).
M'enfin, si t'es content avec ça, ça te donne l'occasion, peut-être, encore et encore, de montrer que je ne suis que "bruit" insane, sans poids ni masse, ni réel.
Anyway, de mon côté, tes "dilections" autant cinématographiques que littéraires me laissent généralement, et plus souvent qu'à mon tour, non pas perplexe (ça voudrait dire que ça m'interpelle), mais songeur sur la vacuité des beaux-esprits, et je trouve formidable la plupart des trucs que tu exècres (bizarrement, surtout, dans le cinéma dit de "grand public" ou de "divertissement", et pour des tas de raisons fuligineuses au bord du dandysme torturé par son voulant-être "politique", enfin j'imagine), tout comme à l'inverse je pige pas bien que tu puisses trouver si formidables soit des trucs vains et sophistiqués tortillant du c..., soit des manifestes raides et didactiques comme des notices pharmaceutiques... et qui à mes sens ne valent pas tripette. C'est dire que si tu me trouves sympathique, moi aussi, je te trouve très sympathique.
Bien cordialement.
A la semaine prochaine, peut-être (pas). lol
... mwouais. Je pourrais passer un peu de temps à montrer que c'est un little-procès en byzantinisme déguisé en déconstruction lucide de mes "catégories" sémantiques.
Quand je dis "tourneur fraiseur", c'est juste un exemple auquel moi je n'accorde pas de valeur ni de sérieux, mais que j'ai employé à dessein parce que, selon moi, dans l'esprit de Rohmer ce serait une "catégorie" à laquelle il n'imagine pas s'adresser, parce que justement son "discours" sur ses films dresse de telles "catégories" (dissimulées derrière le recours "neutralisant" aux notions classiquement kantiennes de "désintérêt", et comme j'ai cherché à le montrer plus haut) - auxquelles pour ma part je ne crois pas, qui ne sont pas les miennes, consciemment ou même à mon insu (car je crois être doté, bis rep., d'un minimum de réflexivité dans le choix de mes expressions).
En ce qui me concerne, je ne crois ni au pur "désintérêt" kantien qui gouvernerait l'expérience esthétique, ni à la pure "détermination" sociale qui, chez Bourdieu, la gouvernerait, après avoir exhibé les motifs sociaux insus commandant les distinctions transcendantalement "pures" de Kant.
Je crois, en simplifiant au maximum, et c'est du reste une position de "sagesse" critique, en la contamination indécidable de l'empirique et du transcendantal, s'il faut employer ces mots qui sont surtout, rappelons-le, des convenances conceptuelles didactiques, dont l'usage ne devrait pas amener à "croire" que les "plans" qu'ils dégagent sont des réalités d'essence originaires et/ou purs. N'est-ce pas du reste la réticence qu'exprime un Derrida aussi bien à l'égard d'une détermination strictement empirique du Socius qu'à l'égard d'une détermination strictement transcendantale des concepts?
Cette clause d'indétermination, qui inquiète la légitimité de tous les champs qui prétendent dégager "leur" plan comme fondateur, les amenant ainsi sur le terrain de la "métaphysique" dogmatique à laquelle ils souhaitent se soustraire (que ce soit sociologisme radical ou transcendantalisme radical), je la fais mienne et la pratique depuis fort longtemps
Donc, foin de faux-procès et de simplification opportuniste de mon propos destinés à "exhiber" mes naïvetés essentialistes: par ce type de faux-exemple "ab absurdo", je me moque principalement et explicitement des catégories et des clivages essentialistes non-situables empiriquement, qui sont ceux de Rohmer, en imaginant et en construisant, justement, une catégorie d'essence caricaturalement "située": un "tourneur-fraiseur chez Renault" qui aurait la liberté de ne pas goûter au cinéma de Rohmer.
C'est tout, et c'est suffisamment clair; il est vain d'éplucher mes mots et mes expressions comme autant d'"oignons" qui, couches par couches, révéleraient assez aisément ce que seraient mes propres catégories et essentialisations que je dévoilerais tout en les cachant.
Et à quoi bon m'"éclaircir" sur ces classiques données de la théorie kantienne de l'esthétique, puisque justement mon propos visait - entre autres - à introduire dans ces dernières - dans le cadre de cet exemple "forcé" pour répondre ironiquement à la théorie de l'esthétique très classiquement kantienne de Rohmer - des éléments de "critique sociale du jugement" de type bourdieusien, et qui sont justement refusées au nom de son irénisme du "désintéressement du sujet".
Donc, tu te trompes de cible, une fois encore, et ton "système" de décodage textuel - que je connais bien - se révèle une fois de plus suffisamment ambigu pour que tu puisses soutenir une chose et son contraire: m'accuser de sociologisme "naturaliste" d'un côté, si j'introduis pour les besoins de mon propos un "fraiseur tourneur", en m'invitant à considérer la critique de Rancière adressée à Bourdieu, et en tentant de démontrer que je fonctionne par classements essentialisants; et inversément, critiquer quand l'occasion s'en présente les catégories trop abstraitement kantiennes du "spectateur" ranciérien, le renvoyer à Bourdieu.
Ce qui m'amène (ce n'est pas que ça m'amuse mais tu m'y contrains ici, comme en d'autres occasions) à poser la question délicate, discutable autant que n'importe quel sujet, de ta "méthode" de lecture se voulant déconstructrice de tout propos. A mon sens, plutôt que déconstruction rigoureuse, c'est parfois (pas toujours, il est vrai) de sophistique subtile dont tu uses et même abuses, grâce à quoi tu ne prives pas - régulièrement - d'asserter des positions très tranchées qui pourtant s'annulent régulièrement l'une l'autre, dans un temps parfois très court.
On dira éventuellement que c'est parce que tu te prononces depuis un espace critique de déconstruction à partir duquel tu ne tranches ni du "vrai" ni du "faux" de la position que tu défends selon une configuration "x" ou "y" d'énoncés. Mais c'est pas si simple ni aisé. Selon moi, cette "méthode" qui ne s'énonce pas forcément pour ce qu'elle est, constitue en diverses occasions une façon "euphémisante" d'énoncer successivement des positions contradictoires aussi tranchées que dogmatiques. Par exemple, sur Rohmer, mais pas seulement. Il suffit de lire tes premiers propos, tes "liminaires" à ce sujet, pour ensuite examiner comment, en fonction du désir que tu as de dénier la pertinence de propos circonstanciés d'autres interlocuteurs, tu en viens à soutenir une position qui dément farouchement la première, laquelle, pourtant, était farouchement soutenue.
Dois-je rappeler ton "incipit", qui fait fort dans la critique massive, et emportait tout tel un torrent de lave ne faisant guère dans le détail? Et qui pointe à juste titre le racisme fondamental autant que le culte d'une beauté abstraite? Mais toi seul, apparemment, as le droit de critiquer, parce que toi seul, apparemment et à t'en croire, disposes les justes éléments pour critiquer.
Malheur à qui viendrait se mêler d'y ajouter ses vues, surtout si elles en constituent une manière de prolongement: tu te mettras alors en devoir de détecter au laser les signes de ses propres préjugés sociaux et esthétiques irréfléchis, non pensés ou non déconstruits, et c'est alors que, soudain, par volte-face mystérieux, tu es prêt à accorder à l'objet de ta sévère contemption énoncée en amont, nombre de qualités auxquelles on ne rendait pas assez justice. En rappelant en l'occurrence, sur le ton du maître d'école, les réquisits d'un kantisme de base sur l'expérience esthétique et la non-situabilité du sujet de cette expérience, ainsi que, au besoin, les limites "naturalistes" et les "essentialismes" sociologiques cernant le locuteur qui est bien mal avisé d'en prononcer si maladroitement la critique. Critique que tu te fais pourtant fort, dans d'autres contextes similaires, de mobiliser radicalement. Pourquoi ces variations de traitement? Simplement parce que toi seul, à tes yeux, sembles avoir le droit d'en discuter sans te "contredire".
Et ça vaut pour pas mal de choses... Mais tu n'as pas le monopole de la cohérence, loin s'en faut et même si ça ne fait pas plaisir, disons qu'un de tes péchés mignons est d'ainsi toujours t'assurer d'être le seul à avoir raison en tout et in fine, par la pratique chorégraphique des entre-chats et des pas de côté. Car rien ne semble te déplaire aussi souverainement que l'on dise blanc quand tu as dis blanc ou noir quand tu as dit noir. Tu mobiliseras alors toutes les ressources de ta "dialectique" (admirable, il est vrai) pour établir que tu disais blanc quand tu disais noir et noir quand tu disais blanc. Ou gris.
C'est là une figure de coquetterie récurrente: assigner l'autre sans jamais être assigné, ou encore déconstruire sans être jamais déconstruit. C'est tout un art, je ne dis pas.
Mais je ne vois pas pourquoi je devrais y souscrire religieusement, quand ça s'applique à mes propos, comme si s'imposait la nécessité naturelle de se soumettre à l'infaillibilité d'une pensée qui distribue, avec une assurance qui donne à penser, aussi, sur son désir de toute puissance, les bons et les mauvais points .
balthazar claes a écrit:
Maintenant que j'y repense, le "laïus" de la prof de philo dans le film en question ne concerne pas du tout le transcendantal kantien, mais la possibilité que ses élèves, issus de la classe ouvrière, s'intéressent à la philosophie. Les fils et filles de tourneurs-fraiseurs, explique-t-elle en somme, ne considèrent pas la philo de la même manière que les maths ou la littérature, ils y mettent plus d'amour-propre, car il y va "de tout leur être pensant" qui est mis sur la sellette, et non pas simplement leur connaissance d'un langage, d'un code culturel. On peut donc, affirme-t-elle, les intéresser et même les "passionner" avec des questions de philosophie. Comme quoi... Hélas, tout ça serait paraît-il "d'un ridicule achevé".
C'est bien d'y repenser maintenant. Maintenant, tu peux aussi revoir la séquence et lier les deux aspects de son "petit cours", dont les deux motifs (que tu disjoins de façon arbitraire) forment un ensemble cohérent (par rapport à sa "qualité" de "prof de philo" dans la structure du récit).
Elle "explique" bel et bien le "transcendantal kantien", à l'adresse de quelqu'un (en l'occurrence la cocotte parfumée représentée par Arielle Dombasle) qui confond avec "transcendant". Et ce qu'elle en dit, de son propre cru, est en effet un "laïus" des plus académiques et déréalisant, circonscrivant ce genre de "questions" philosophiques à un débat d'école ou de cuisine rustique, une "leçon de choses" édifiante appliquée au "quotidien" (et dont tout le monde se branle dans la scène, c'est juste un stratagème ô combien subtil pour donner aux "femmes de ménage" et aux "cocottes parfumées" - qui a dit qu'il parlait des hommes? - une occasion, encore, et de bon aloi, de se cultiver), une espèce d'exercice de culture abstraite servant de bruit de fond lors d'un bon déjeuner entre gens de bonne compagnie.
Mais y a aussi toute une "tonalité" de la scène, en phase avec ce recadrage académique frugal: la philosophe qui répond à Dombasle représente en contrepoint la bonne robustesse carrée des braves filles d'la campagne, qu'ont la tête bien vissée sur les épaules, qui n'ont pas été corrompues par les affèteries capiteuses et les manoeuvres calculatrices de la séduction des cocottes évaporées et écervelées des villes. Elle est d'ailleurs assez "hommasse", dans le maintien comme dans la coupe et le ton, une sorte de Jeanne d'Arc en route vers "l'asexué" (selon l'imagerie très convenue que Rohmer se fait des identités sexuelles, bien sûr, pas selon mes critères), adéquate en cela à l'imagerie d'Epinal du rude Concept. C'est pourquoi son cœur est pur et vaillant, comme Tintin, et l'homme qui saura la conquérir l'aimera pour son pur être "désintéressé" aimant et pensant. Rien là que de très rohmérien et confirmant son goût des éternels stéréotypes abstraits en symétrie binaire, adéquats à leur "fonction" ou "idéal-type".
Elle a beau assortir son laïus d'une défense et illustration de l'enseignement de la philosophie à des fils et filles de la classe ouvrière qui, selon l'antienne, s'y investissent davantage, "corps et âme", parce qu'il en irait de tout leur "être pensant" mis "sur la sellette", dame oui, et c'est tout leur amour-propre qui se trouve convoqué, dans les profondeurs de l'être-essence, au delà de la "simple" connaissance du langage et des codes culturels qui au fond ne les concernent que superficiellement, ces "êtres pensants" farouches et fiers (c'est Ferry + Comte Sponville + James Ellroy : quand t'as décidé de braire des âneries, toi, tu mets vraiment le pilotage automatique, hein), cela ne change strictement rien à mon propos.
Et n'importe quel enseignant en philo digne de ce nom fait son boulot, sans se gargariser de codes langagiers et culturels, c'est élémentaire, et surtout sans se croire obligé d'y adjoindre ce genre de "paternalisme" réductionniste et catéchistique à tendance "spiritualiste" sauce sainte-Thérèse (la "philo" comme "nourriture spirituelle" s'adressant par toutes ses fibres au "noumène" de "l'être pensant", au delà de la "connaissance" par le langage et les codes conventionnels).
Car l'enseignement de la philo, quand ça respecte l'interlocuteur (je te rassure tout de suite, ici, on n'enseigne pas la philo "on line": point n'est besoin de fantasmer ce "cadre" dans un contexte "dialogique" ou "interlocutoire" purement scriptural, par écran interposé, où chacun fait ses projections et ses interprétations seul devant son écran, dans une communication directe des âmes qui consiste surtout à rebondir sur la sienne - ce qui éventuellement ravirait un Platon numérique), ça sert aussi, concrètement, à clarifier les concepts, un langage, à poser des cadres et des codes sans pour autant qu'y soit sacrifié, on ne voit pourquoi, "l'engagement de tout l'être pensant", et comme si l'amour-propre n'était pas mobilisé là autant que partout ailleurs.
Décidément, t'as une idée de la philo, et plus encore, de l'enseignement de la philo, bien lénifiante, pour rester poli. Maintenant, puisque tu parles d'amour-propre, le problème de tes gesticulations sémantiques pour me prendre perpétuellement au mot, démontrer point par point que je ne sais pas de quoi je parle ou encore, éventuellement, retourner ce discours contre lui-même, ainsi que tes "reconstructions" esthético-éthico-mentales du cinéma de Rohmer, ça traduit surtout dans ton cas moins l'amour-propre que la vanité ennuyeuse et vétilleuse "de faire feu de tout bois" pour renvoyer "mon" discours dans le "champ" du "vacarme". De la part d'un prosateur qui fait sempiternellement dans les abstractions d'école et l'intello-référentialisme assez imbu de sa "maîtrise" (sur laquelle il ne souhaite pas plus céder que sur son désir), d'un Fregoli du concept qui tricote des napperons imités tantôt de Deleuze, tantôt de Lacan, dans une sorte d'hyper-technicité à quoi rien de virtuosement creux ne manque, excepté le poids du réel, ça vaut toujours son pesant de cacahuètes.
Pour le reste - ce qui suit - tes exégèses des films de Rohmer que tu cites, ne dépassent guère le cadre de la disputatio jésuitique sur la couleur d'un emballage de pralines, c'est juste de la gymnopédie mentale. Tu branlottes à l'envi sur du vide avec de beaux raisonnements creux, n'hésitant jamais à cultiver le paradoxe (pour avoir l'air fin et subtil du gars qui sait voir "derrière" les apparences convenues), et agençant de faux problèmes dont la portée excède difficilement le carré brodé d'on ne sait quelle cinéphilie germanopratine, et tout ça pour quoi? J'ai mon idée. A mon avis, tu ferais pareil avec n'importe quel "matériau" de circonstance. Tu te prends, par imitation (je n'ai rien contre les imitations, faut-il le rappeler, juste qu'il y a des imitations sans talent), pour un maître déconstructeur ou es "soupçon", et visiblement, tu déploies ce que tu imagines vraisemblablement être une fine ironie mordante teintée d'anti-phrastique (pas réussi: trop collet-monté, trop sûr de sa brillance: on "bâille") aux fins de rabattre ici le caquet des mes critiques si "convenues" (mais les as-tu seulement comprises? Non, tu en fais une caricature simplifiée et inadéquate, à partir de laquelle tu as beau jeu pour disposer ta rhétorique paradoxale corpuchic).
M'enfin, si t'es content avec ça, ça te donne l'occasion, peut-être, encore et encore, de montrer que je ne suis que "bruit" insane, sans poids ni masse, ni réel.
Anyway, de mon côté, tes "dilections" autant cinématographiques que littéraires me laissent généralement, et plus souvent qu'à mon tour, non pas perplexe (ça voudrait dire que ça m'interpelle), mais songeur sur la vacuité des beaux-esprits, et je trouve formidable la plupart des trucs que tu exècres (bizarrement, surtout, dans le cinéma dit de "grand public" ou de "divertissement", et pour des tas de raisons fuligineuses au bord du dandysme torturé par son voulant-être "politique", enfin j'imagine), tout comme à l'inverse je pige pas bien que tu puisses trouver si formidables soit des trucs vains et sophistiqués tortillant du c..., soit des manifestes raides et didactiques comme des notices pharmaceutiques... et qui à mes sens ne valent pas tripette. C'est dire que si tu me trouves sympathique, moi aussi, je te trouve très sympathique.
Bien cordialement.
A la semaine prochaine, peut-être (pas). lol
Invité- Invité
Re: Rohmer est mort : le reste est beauté
Alors si j'ai bien suivi, mon bon Jerzy, d'un côté tu te permets de parler au nom des tourneurs-fraiseurs, que tu ne connais pas du tout, je parie, et de l'autre tu tapes sur les doigts de quiconque fait mine de s'approcher de ta philo chérie, en prenant la pose du brahmane offensé. Tu as beau avoir le style blouson noir, c'est encore plus pédant que Rohmer en un sens. Et c'est même pas Dombasle dans la scène. Hâte de lire ta mise au point souriante et décontractée. Victime du net, va.
Je me disais que le complot des cahiers consistait en une variante du complexe du corn flakes : il s'agissait de faire honte au cinéma français, de le traiter de ringard, la NV est un atlantisme. Les Anglais ont les Stones et les Beatles, les Français ont les jeunes Turcs. Tout ça c'est des actes d'allégeance culturelle à l'empire. Rohmer le hawksien est marrant quand il dit "Je ne suis pas fous de westerns... ces mandolines, ces poursuites, ces éternels bons garçons et leur fruste bravoure, ont bon droit de lasser quiconque, en ce vieux monde, porte, dans son bagage, plus retentissant et plus lointain passé." Cette superbe est un gag dès le début, une pose qui doit le faire rire lui-même.
A l'arrivée que sera son cinéma, une espèce de remake perpétuel des Affinités électives revisitées par le regard pragmatique d'un Usien. Les Français sont petits, touchants, ridicules, maniérés, avec leurs délicatesses, leurs vapeurs, leurs scrupules... Le Français devient l'attendrissant Hobbit de l'Usien. Grâce à Rohmer, on peut enfin voir sur la même image, sur la vaste fresque du cinéma, John Wayne et un mignon petit Français, filmé à l'échelle. Un excellent produit d'exportation, qui fait fureur à New York.
D'ailleurs c'est Deleuze qui parle d'"image miniaturisée" à propos de Rohmer. Enfin son cinéma s'inscrit dans une forme fondamentalement pop. Il en est toujours resté à l'heure où Godard de son côté faisait A Bout de souffle, jusqu'à la caricature de lui-même. Son snobisme est celui de l'orfèvre pop, pour qui lo-fi et budget zéro sont une recherche, un aboutissement. Comment faire tenir, c'est-à-dire faire voir, un film sans moyens, sans action, par la seule grâce de sa construction.
Borges a écrit:
« Dans l 'inconfort égalitaire des salles de quartier, j'avais appris que ce nouvel art était à moi, comme à tous"
(Les Mots)
« Nous entrions à l'aveuglette dans un siècle sans traditions qui devait trancher sur les autres par ses mauvaises manières et le nouvel art, l'art roturier, préfigurait notre barbarie. Né dans une caverne de voleurs, rangé par l'administration au rang des divertissements forains, il avait des façons populacières qui scandalisaient les personnes sérieuses ; c'était le divertissement des femmes et des enfants ; nous l'adorions, ma mère et moi, mais nous n'y pensions guère et nous n'en parlions jamais : parle-t-on du pain s'il ne manque pas ? Quand nous nous avisâmes de son existence, il y avait beau temps qu'il était devenu notre principal besoin . »
(Les Mots)
" [ . . . ] tout un vaste milieu bourgeois regardaient encore le cinéma comme "un divertissement de bonniches" ; à l'École Normale, Sartre et ses camarades avaient conscience d'appartenir à une avant-garde quand ils discutaient avec gravité des films qu'ils aimaient. J'étais moins mordue que lui mais je le suivais quand même avec empressement dans les salles d'exclusivités, dans les petites salles de quartier où il avait repéré des programmes alléchants ; nous n'allions pas là seulement pour nous divertir ; nous y apportions le même sérieux que les jeunes dévots d'aujourd'hui quand ils entrent dans une cinémathèque."
(Simone de B, la force de l'âge)
Je me disais que le complot des cahiers consistait en une variante du complexe du corn flakes : il s'agissait de faire honte au cinéma français, de le traiter de ringard, la NV est un atlantisme. Les Anglais ont les Stones et les Beatles, les Français ont les jeunes Turcs. Tout ça c'est des actes d'allégeance culturelle à l'empire. Rohmer le hawksien est marrant quand il dit "Je ne suis pas fous de westerns... ces mandolines, ces poursuites, ces éternels bons garçons et leur fruste bravoure, ont bon droit de lasser quiconque, en ce vieux monde, porte, dans son bagage, plus retentissant et plus lointain passé." Cette superbe est un gag dès le début, une pose qui doit le faire rire lui-même.
A l'arrivée que sera son cinéma, une espèce de remake perpétuel des Affinités électives revisitées par le regard pragmatique d'un Usien. Les Français sont petits, touchants, ridicules, maniérés, avec leurs délicatesses, leurs vapeurs, leurs scrupules... Le Français devient l'attendrissant Hobbit de l'Usien. Grâce à Rohmer, on peut enfin voir sur la même image, sur la vaste fresque du cinéma, John Wayne et un mignon petit Français, filmé à l'échelle. Un excellent produit d'exportation, qui fait fureur à New York.
D'ailleurs c'est Deleuze qui parle d'"image miniaturisée" à propos de Rohmer. Enfin son cinéma s'inscrit dans une forme fondamentalement pop. Il en est toujours resté à l'heure où Godard de son côté faisait A Bout de souffle, jusqu'à la caricature de lui-même. Son snobisme est celui de l'orfèvre pop, pour qui lo-fi et budget zéro sont une recherche, un aboutissement. Comment faire tenir, c'est-à-dire faire voir, un film sans moyens, sans action, par la seule grâce de sa construction.
balthazar claes- Messages : 1009
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