Broken Arrow: le cinéma américain c'est une seule fois naissance (et mort) d'une nation
Broken Arrow: le cinéma américain c'est une seule fois naissance (et mort) d'une nation
« La Flèche Brisée » de Delmer Daves (1950).
Souvent considéré comme le premier western « pro-indien ». Pas mal.
L'histoire: dans une région aride de l'Arizona en guerre avec les Apache, un éclaireur de l'Armée américaine, Jeffords (James Stewards), sauve la vie d'un jeune Apache blessé, est pris comme otage après une attaque américaine. Il est relâché, et revient en ville. On ne sait pas encore qu'il ne croit déjà plus à la justification morale du colonialisme ("nous apportons la civilisation"). La très belle voix off du film permet de faire progresser l'intrigue à partir de cette ambiguïté.
En ville, la bêtise "patriotique" de ses compatriotes l'effraie. Il se rend au camp de Cochise, le chef Apache principal, pour négocier une trêve. Cochise (très bon Jeff Chandler, à mon sens meilleur que Steward) est un leader à la fois charismatique, démocratique de façon posée et un bon soldat; il accepte une paix limitée à un arrêt des attaques de courrier entre le village blanc et Tucson. Jeffords tombe amoureux d'une vierge sacrée jouée par Debra Paget (-après être tombé amoureux du jeune Apache et de Cochise lui même - ).
La trêve tient plus ou moins, mais à chaque accrochage entre les Apaches et les Américains, Jeffords est menacé dans la ville. Arrive de Washington un général ("le général Chrétien") qui a un plan de règlement global du conflit (en fait: le parcage en réserve) et demande à Jeffords d'être un des négociateur. Il repart vers le camps de Cochise, négocie difficilement la paix, et obtient aussi le mariage avec la femme qu'il aime. Mais Cochise doit lui-même négocier (ou plutôt présenter le plan de paix dans une sorte de parlement) avec les tribus qui se sont fédérées sous son autorité. Géronimo, un lieutenant de Cochise, refuse le plan et avec une scission des Apache part au Mexique pour continuer la guerre (le film montre ça très bien). Finalement la princesse est tuée par une embuscade de cow-boy Américains auxquels les Apaches auraient volé des chevaux. Fin
La vision humaniste du film n’est pas ridicule parce que le discours du film est économe et neutre. Montage rapide, courte séquences, pathos jamais développé: on ne s'appesantit pas sentimentalement sur la mort au cours d'une bataille du jeune Apache qui permet la rencontre entre Jeffords et les Apaches, ou le lynchage du personnage principal est empêché de justesse, parce qu’une loi ou l'ordre des choses nesont pas un objet d’épanchement. D’où une impression bizarre: à la fois de la fadeur, et de l’élégance morale dans la réactivité éùmotive.
Mais de belles exceptions :la première arrivée de Jeffords/James Stewards au camp de Cochise –très beaux plans où les Apaches envahissent le paysage dans le dos de Jeffords, qui sais qu’ils sont là, tout en voulant garder le regard tourné vers le paysage vide-ce qui est peut-être sa position idéologique-, ainsi que la bataille centrale contre le convoi, très belle, très proche de Kagemusha de Kurosawa.
Le film ne dramatise pas ce à quoi il s’oppose : on ne montre ni la préparation des Américains pendant la bataille centrale contre le convoi (dernière occasion où Cochise peut avoir l’avantage militaire dans la configuration du cessez le feu : laisser passer le courrier, mais pas les convois militaires ou les colons), ni celle de la dernière embuscade pour tuer Cochise.
De même Jeffords échange et temps en temps avec Cochise et "le Général Chrétien" quelque mots sur son rôle passé dans l’armée américaine, sans que cela soit développé : c’est pourtant la mention « j’ai survécu à Apache Pass » qui lui vaut définitivement l’écoute de Cochise.
Une interprétation de l'hisoire, peut-être boursouflée : le film défend et illustre l’existence du libre arbitre et de la liberté, mais uniquement chez les Justes. La partie la plus raciste des Américains est dépourvue de mauvaise foi, son conservatisme est un essentialisme moral, mais non dépourvu d’un sens politique efficace, ou peut-être justement une essence fondée sur cette aptitude politique. Il n’y pas de dialectique entre le repli sur soi et l’ouverture à l’altérité car le conservatisme radical est lui-même, par rapport au sujet humaniste, une figure de l’altérité radicale et originaire.
Dans le film, on a quand-même l’impression que Cochise se fait largement entuber, et perd son statut de chef pour devenir auxiliaire de police des Américains (ce que lui dit Stewards/Jeffords : "tu as déjà perdu, tu ne peux plus gagner, on n'est trop nombreux, si tu ne fais pas la paix maintenant tu auras les pires d'entre nous sur le dos "), cela correspond d’ailleurs à la réalité, où fort habilement il semblerait que Cochise ait demandé à Jeffords d’être le chef de la réserve Apache qui allait finalement être créée après l'histoire que raconte le film.
Mais belle idée à la fin, où Cochise lui répond, et précisément, reproche peut-être à Jeffords lui-même de n’avoir pas compris que la nécessité de son propre pardon à l’égard des Américains qui ont tué sa femme est une conséquence du plan politique qu’il a lui-même proposé aux Apache. Comme souvent le pardon est proposé comme solution morale par des hommes qui n’ont pas conscience qu’il est aussi un comportement politique. Le point aveugle de Jeffords: il croit représenter une "majorité morale" car il croit que le pardon doive apparaître pour créer un « partage », une reconnaissance égale et consensuelle, de la culpabilité, alors que c'est au contraire le pardon qui suppose que cette reconnaissance existe déjà.
De la même manière: il ne voit pas sa solitude par rapport aux Américains : il arrivent justement à les entraîner dans un accord politique car il n’a de relation qu’avec des personnages qui représentent l’autorité (le général Chrétien), la logistique (le postier) ou les communautés (l’Apache américanisé, que d’ailleurs il choisit comme instructeur sans qu'aucun lien d'amitié ne préexiste), mais pas avec des « vrais » personnages (ainsi le couple est un déracinement pour lui, un projet à constituer et à refaire, alors qu'à l'opposé sa sensibilité humaniste précède toujours l’action).
Apparemment ce serait une photo de tournage avec Debra Paget et Stewart, très belle.
Souvent considéré comme le premier western « pro-indien ». Pas mal.
L'histoire: dans une région aride de l'Arizona en guerre avec les Apache, un éclaireur de l'Armée américaine, Jeffords (James Stewards), sauve la vie d'un jeune Apache blessé, est pris comme otage après une attaque américaine. Il est relâché, et revient en ville. On ne sait pas encore qu'il ne croit déjà plus à la justification morale du colonialisme ("nous apportons la civilisation"). La très belle voix off du film permet de faire progresser l'intrigue à partir de cette ambiguïté.
En ville, la bêtise "patriotique" de ses compatriotes l'effraie. Il se rend au camp de Cochise, le chef Apache principal, pour négocier une trêve. Cochise (très bon Jeff Chandler, à mon sens meilleur que Steward) est un leader à la fois charismatique, démocratique de façon posée et un bon soldat; il accepte une paix limitée à un arrêt des attaques de courrier entre le village blanc et Tucson. Jeffords tombe amoureux d'une vierge sacrée jouée par Debra Paget (-après être tombé amoureux du jeune Apache et de Cochise lui même - ).
La trêve tient plus ou moins, mais à chaque accrochage entre les Apaches et les Américains, Jeffords est menacé dans la ville. Arrive de Washington un général ("le général Chrétien") qui a un plan de règlement global du conflit (en fait: le parcage en réserve) et demande à Jeffords d'être un des négociateur. Il repart vers le camps de Cochise, négocie difficilement la paix, et obtient aussi le mariage avec la femme qu'il aime. Mais Cochise doit lui-même négocier (ou plutôt présenter le plan de paix dans une sorte de parlement) avec les tribus qui se sont fédérées sous son autorité. Géronimo, un lieutenant de Cochise, refuse le plan et avec une scission des Apache part au Mexique pour continuer la guerre (le film montre ça très bien). Finalement la princesse est tuée par une embuscade de cow-boy Américains auxquels les Apaches auraient volé des chevaux. Fin
La vision humaniste du film n’est pas ridicule parce que le discours du film est économe et neutre. Montage rapide, courte séquences, pathos jamais développé: on ne s'appesantit pas sentimentalement sur la mort au cours d'une bataille du jeune Apache qui permet la rencontre entre Jeffords et les Apaches, ou le lynchage du personnage principal est empêché de justesse, parce qu’une loi ou l'ordre des choses nesont pas un objet d’épanchement. D’où une impression bizarre: à la fois de la fadeur, et de l’élégance morale dans la réactivité éùmotive.
Mais de belles exceptions :la première arrivée de Jeffords/James Stewards au camp de Cochise –très beaux plans où les Apaches envahissent le paysage dans le dos de Jeffords, qui sais qu’ils sont là, tout en voulant garder le regard tourné vers le paysage vide-ce qui est peut-être sa position idéologique-, ainsi que la bataille centrale contre le convoi, très belle, très proche de Kagemusha de Kurosawa.
Le film ne dramatise pas ce à quoi il s’oppose : on ne montre ni la préparation des Américains pendant la bataille centrale contre le convoi (dernière occasion où Cochise peut avoir l’avantage militaire dans la configuration du cessez le feu : laisser passer le courrier, mais pas les convois militaires ou les colons), ni celle de la dernière embuscade pour tuer Cochise.
De même Jeffords échange et temps en temps avec Cochise et "le Général Chrétien" quelque mots sur son rôle passé dans l’armée américaine, sans que cela soit développé : c’est pourtant la mention « j’ai survécu à Apache Pass » qui lui vaut définitivement l’écoute de Cochise.
Une interprétation de l'hisoire, peut-être boursouflée : le film défend et illustre l’existence du libre arbitre et de la liberté, mais uniquement chez les Justes. La partie la plus raciste des Américains est dépourvue de mauvaise foi, son conservatisme est un essentialisme moral, mais non dépourvu d’un sens politique efficace, ou peut-être justement une essence fondée sur cette aptitude politique. Il n’y pas de dialectique entre le repli sur soi et l’ouverture à l’altérité car le conservatisme radical est lui-même, par rapport au sujet humaniste, une figure de l’altérité radicale et originaire.
Dans le film, on a quand-même l’impression que Cochise se fait largement entuber, et perd son statut de chef pour devenir auxiliaire de police des Américains (ce que lui dit Stewards/Jeffords : "tu as déjà perdu, tu ne peux plus gagner, on n'est trop nombreux, si tu ne fais pas la paix maintenant tu auras les pires d'entre nous sur le dos "), cela correspond d’ailleurs à la réalité, où fort habilement il semblerait que Cochise ait demandé à Jeffords d’être le chef de la réserve Apache qui allait finalement être créée après l'histoire que raconte le film.
Mais belle idée à la fin, où Cochise lui répond, et précisément, reproche peut-être à Jeffords lui-même de n’avoir pas compris que la nécessité de son propre pardon à l’égard des Américains qui ont tué sa femme est une conséquence du plan politique qu’il a lui-même proposé aux Apache. Comme souvent le pardon est proposé comme solution morale par des hommes qui n’ont pas conscience qu’il est aussi un comportement politique. Le point aveugle de Jeffords: il croit représenter une "majorité morale" car il croit que le pardon doive apparaître pour créer un « partage », une reconnaissance égale et consensuelle, de la culpabilité, alors que c'est au contraire le pardon qui suppose que cette reconnaissance existe déjà.
De la même manière: il ne voit pas sa solitude par rapport aux Américains : il arrivent justement à les entraîner dans un accord politique car il n’a de relation qu’avec des personnages qui représentent l’autorité (le général Chrétien), la logistique (le postier) ou les communautés (l’Apache américanisé, que d’ailleurs il choisit comme instructeur sans qu'aucun lien d'amitié ne préexiste), mais pas avec des « vrais » personnages (ainsi le couple est un déracinement pour lui, un projet à constituer et à refaire, alors qu'à l'opposé sa sensibilité humaniste précède toujours l’action).
Apparemment ce serait une photo de tournage avec Debra Paget et Stewart, très belle.
Dernière édition par Tony le Mort le Sam 24 Nov 2012 - 19:33, édité 2 fois
Invité- Invité
Re: Broken Arrow: le cinéma américain c'est une seule fois naissance (et mort) d'une nation
Jeff Chandler a bien la même apparence que ce Cochise-là. Par contre là où le film triche, c'est qu'il avait déjà 62 ans dans la réalité et allait bientôt mourir, le film renforce l'imrpession d'un rapport de force égal entre Cochise et les Américains.
Le roman d'Elliott Arnold doit être intéressant...
Invité- Invité
Re: Broken Arrow: le cinéma américain c'est une seule fois naissance (et mort) d'une nation
La qualité est pourrie, et l'extrait ne permet pas de restituer le rythme du film qui le rend beau, mais le fondu à la 45ème seconde sur le feu qui déchire le ciel, devient ensuite un foyer de campement, puis finalement l'immobilité de la caméra qui en fait le point de vue d'une subjectivité inexistante (encore à créer) sur un Apache dans le dos de Steward est bouleversant. Plus moderne que la fin de the Shooting d'Hellman.
C'est aussi du superbe cinéma muet.
Invité- Invité
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