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Message par Invité Mer 3 Fév 2010 - 9:01

après Badiou/Finkiel, Zizek/BHL :

http://bibliobs.nouvelobs.com/20100128/17335/bhl-et-slavoj-zizek-le-debat

Déjà vu l'autre jour à "Ce soir ou jamais", le Zizek médiatique est plutôt mou et brouillon (et s'épargne ici largement de répondre précisément aux multiples aberrations et fumisteries de BHL), ça fonctionne pas trop comme dans ses bouquin où il a sans doute plus de marge de liberté pour faire pétarader tout son "arsenal" de pensée...l'impression qu'il cherche sans arrêt un point d'ancrage positif dans les propos de l'"ennemi" mais bien souvent sans vraiment les faire éclater de l'intérieur par la suite, du coup on sait plus du tout où il se positionne..c'est peut-être de l'ordre de l'opération de charme, pour amener des lecteurs réfractaires vers ses bouquins plus radicaux, comme les plantes carnivores qui reproduisent un leurre de l'insecte pour attirer celui-ci dans son piège !

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Message par Borges Mer 3 Fév 2010 - 11:15

c'est peut-être de l'ordre de l'opération de charme, pour amener des lecteurs réfractaires vers ses bouquins plus radicaux, comme les plantes carnivores qui reproduisent un leurre de l'insecte pour attirer celui-ci dans son piège !


non, il est pas brillant à la télé Z; je l'ai vu deux ou trois fois, et c'était pas du tout ça...

Etrange stratégie, on dirait un politicien qui ratisse large, comme on dit...

ou alors ce serait le retour de la distinction ésotérique /exotérique... certains disent que les dialogues de Platon n'étaient qu'une manière de pub pour attirer les gens à ses cours, ici, ce serait la télé pour attirer aux bouquins...

méfions-nous des ruses du "penseur le plus dangereux d'occident", c'est l'argument de vente de son dernier livre

cela dit Derrida, bourdieu... n'étaient pas non plus à leur niveau à la télé, surtout derrida d'ailleurs...




dans "d'abord comme tragédie ensuite comme farce", des trucs très bien sur lanzmann, etc, à rapprocher du texte d'adeline sur valse avec...



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Message par Invité Mer 3 Fév 2010 - 17:35

zz c'est celui qui dit qu'il faut faire l'Europe sans les vieux trucs que sont les droits de l'homme et la démocratie ?
Un homme charmant ... et crédible avec ça !

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Message par Invité Mer 3 Fév 2010 - 21:16

Il me semble que le cas de la Chine est assez symptomatique du paradoxe dans lequel se trouve Zizek lorsqu'il est face à ses "ennemis" qui dénoncent, avec lui, le régime actuel, mais pas comme lui. On entre ici dans le terrier aux conduits sinueux de la nuance, que l'écriture autorise mais que la parole en "débat" sur un plateau tv ou presse fait s'écrouler sur lui-même. Le sujet, l'évolution du pays, passionne assez Zizek qui écrit fréquemment dessus depuis quelques années. On pourra lire, par exemple, son texte dans "Démocratie, dans quel état ?" (2009) dans lequel il revient assez longuement sur le cas de la Chine.

On y voit mieux en quoi ce qui l'inquiète à propos de ce pays est différent de la remarque lapidaire et réactionnaire de BHL ("Le monde du capitalisme globalisé, c'est le nôtre. Il n'y en a pas d'autre. En tout cas pour le moment. La question n'est donc pas de le rejeter ou non, mais d'entrer résolument dans cette mêlée-là pour agir, combattre sa part de sauvagerie - je pense notamment à celle du capitalisme chinois, le plus barbare et pilleur de ressources qui soit."), position qu'il traduit en quelque sorte dans son texte par ces quelques mots : "Pour conclure sur un soupçon à résonance stalinienne, on peut se demander si ceux qui s'inquiètent du manque de démocratie en Chine ne sont pas plus inquiets encore de constater le rapide développement qui fait de ce pays la prochaine superpuissance mondiale en menaçant la suprématie occidentale".

L'interprétation subtile que défend Zizek auparavant dans ce texte (et sans doute dans son dernier bouquin que je n'ai pas encore lu), loin des déclarations de principe pontifiantes sur la "barbarie" du régime chinois (entre parenthèses, on connaît suffisamment la position de principe de BHL dans certains contextes pour le disqualifier d'emblé comme honnête défenseur de l'universalité des droits de l'homme), c'est que, précisément, les remarques que fait BHL sur un capitalisme à "visage humain" occidental, façonné par les phases de luttes historiques ("Pour moi, il n'y a jamais eu de lien nécessaire entre capitalisme et démocratie. Ce qui fait que le premier s'est humanisé, c'est ce truc tout bête qu'on appelle les conquêtes sociales, les luttes syndicales, le travail de la gauche en somme."), oublient non seulement la phase historique "totalitaire" du premier capitalisme européen, certes par la suite localement régulé par interventions successives de mouvements de lutte acharnés, mais aussi l'aspect totalement pilleur, la caractère de "domination féodal et esclavagiste" actuellement inhérent au capitalisme mondial qui n'a rien de propre à la Chine. Pour Zizek, la Chine rejoue aujourd'hui, sur le mode de la "farce" (pour reprendre le mot fameux de Brecht), le contexte politico-économique du premier capitalisme occidental face à des démocraties parlementaires occidentales complètement à bout de force qui défendent, à bout de bras, l'ordre capitaliste malgré tout. La question est de savoir si cette "farce" peut être un "simple" anachronisme local de l'histoire, ou si cet anachronisme est, comme le signale quand même Zizek dans le débat, "précurseur", c'est-à-dire qu'il puisse faire des émules occidentaux parmi les gouvernements partisans du libéralisme qui ne verraient pas, ou plus, de lien nécessaire entre capitalisme et démocratie.

A ce titre, l'exemple de la France est saisissant, il semble désormais logique à tous que les prochaines élections des prochains mois, des prochaines années, vont révéler toujours moins de votants, toujours plus d'individus, non pas qui s'excluent d'eux même, mais exclus du vote par un dégoût légitime de l'inamovible système des partis en place et des techniques de plus en plus grossières pour les maintenir en place (le refus constater de rentrer dans les rangs allant du rejet en masse de la vaccination contre la Grippe H1N1, aux interventions les plus individuelles et saugrenues comme ces affiches de présentateurs TV qui nous proposent leur éternelle soupe sur les panneaux d'affichage des ville bariolées par des passants). Avec une gauche de plus en plus fragilisée et une droite maintenant bien en place, toutes les conditions sont réunis pour que ça dure. Et si la gauche, actuellement largement spectatrice (voire participante) des exactions de la droite reprenait les reines, ça serait, ça pourrait pas, être mieux, comme le disait ailleurs Zizek à propos des programmes de la succession de Thatcher et Major par des ministres travaillistes en Grande-Bretagne. Tout ce vers quoi BHL tente de rabattre la gauche est, bien sûr, idéologiquement, plus ridiculement que scandaleusement, orienté ("Pendant ce temps-là, la gauche poursuit sa régression. Elle recule sur le féminisme au nom du droit à la différence culturelle. Elle recule sur l'internationalisme au nom du souverainisme. Elle s'obstine à laisser le drapeau libéral à la droite comme une dépouille, un chien crevé.").

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Message par Borges Mer 3 Fév 2010 - 21:43

Etrange texte.


(pour reprendre le mot fameux de Brecht)

Plutôt Marx, non?
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Message par Invité Mer 3 Fév 2010 - 21:59

ah oui, oui, exact!

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Message par Eyquem Ven 5 Fév 2010 - 13:52

Un article stupide et désinformé, de bout en bout :

Communisme, un spectre philosophique
LE MONDE DES LIVRES | 04.02.10

Karl Marx refusait qu'on réduise le communisme à une idée. Prenant soin de distinguer sa doctrine et celle des socialistes "utopiques", il martelait que son programme ne saurait être confondu avec une fantasmagorie abstraite, née dans "le ciel embrumé de l'imagination philosophique". Depuis, ceux qui ont été formés à son école conservèrent souvent cette conviction : si le communisme est autre chose qu'une chimère, c'est parce qu'il épouse le cours impétueux de l'histoire dans ce qu'elle a de plus matériel - emballement des forces productives, déploiement de la lutte des classes.

Une telle façon de voir a structuré la polémique marxiste tout au long du XXe siècle. Ainsi, en 1995, lorsque l'historien François Furet publia son best-seller, Le Passé d'une illusion (Robert Laffont/Calmann-Lévy), ses détracteurs renouèrent avec cet argument. Furet prétend déconstruire la "mythologie" soviétique ? Fort bien, disaient-ils, mais son récit est exclusivement intellectuel ; sous sa plume, l'histoire est un drame métaphysique, qui méconnaît les rapports de force concrets recouverts par telle ou telle option doctrinale ; bref, il fait du communisme une "idée". Or "l'efficacité d'une "idée" ne se détache pas d'une dynamique sociale et politique", rappelait Claude Lefort dans La Complication (Fayard, 1999).

Et pourtant, par l'une de ces pirouettes ironiques dont le marxisme a le secret, le destin actuel de cette espérance semble donner raison à Furet : elle se confond de plus en plus avec une pure "idée". Car, du point de vue social et politique, le communisme représente désormais "un monde défait", pour reprendre le titre d'un ouvrage signé Bernard Pudal (voir page 7). Et si le fameux "spectre" hante encore nos consciences, c'est surtout sous la forme d'un fantôme philosophique. Son nom résonne moins dans les rassemblements de masse que dans les meetings savants. En témoigne le colloque organisé à l'université Paris-VIII par la Société Louise Michel et le philosophe Daniel Bensaïd (mort dix jours avant la réunion), les 22 et 23 janvier, sur le thème "Puissances du communisme". En atteste aussi le recueil collectif qui vient de paraître sous la direction des philosophes Alain Badiou et Slavoj Zizek, et qui rassemble les interventions d'une conférence internationale tenue à Londres en mars 2009. Son titre ? L'Idée du communisme.

En 2007, dans le pamphlet qui a fait de lui une star médiatique, De quoi Sarkozy est-il le nom ? (Ed. Lignes), Alain Badiou avait tranché : "Sans l'horizon du communisme, sans cette Idée, rien dans le devenir historique et politique n'est de nature à intéresser le philosophe." Et voilà un signe d'époque : deux ans plus tard, c'est-à-dire vingt ans après la chute du mur de Berlin, le "communisme" est aussi redevenu un étendard pour des figures intellectuelles aussi connues que Jacques Rancière, Toni Negri, Terry Eagleton, Gianni Vattimo ou Jean-Luc Nancy. Lors de la conférence de Londres, tous ont affirmé leur attachement à ce "vieux mot magnifique" qui continue de nommer, par-delà la malédiction marchande, l'urgence d'une justice à venir.

Fable de philosophes, dira-t-on. Qu'importe, répond Badiou, car "l'Idée expose une vérité dans une structure de fiction". L'essentiel consiste à sauvegarder le grand scénario de l'émancipation. Ainsi chacun y va-t-il de sa propre séquence, pour esquisser le récit d'un monde où les libertés seraient mises en commun. "Le communisme ne relève donc pas de la politique, écrit Jean-Luc Nancy. Il donne à la politique un requisit absolu : celui d'ouvrir l'espace commun au commun lui-même." Le philosophe italien Toni Negri insiste également sur les "dispositifs du commun", et décrit l'éthique communiste comme "une articulation généreuse et créative de la puissance des pauvres, un désir commun d'amour, d'égalité et de solidarité". Quant à Jacques Rancière, il définit le communismecomme le "pouvoir de n'importe qui", et assure que "le futur de l'émancipation peut seulement consister dans le développement autonome de la sphère du commun créée par la libre association des hommes et des femmes qui mettent en acte le principe égalitaire". Commentant le théâtre de Shakespeare, le Britannique Terry Eagleton affirme de son côté le caractère sublime d'un communisme qui seul "peut nous permettre à nouveau d'éprouver physiquement nos corps".

Dans le ciel des Idées

Les corps, justement, parlons-en. A force de rabattre l'élan communiste sur le tranchant de la Vérité platonicienne, Badiou, Zizek et leurs hôtes oublient la dimension existentielle de l'engagement comme insurrection charnelle, comme soulèvement de l'âme. A force de se tenir dans le ciel des idées, ils contournent les débats stratégiques qu'engageraient l'épreuve du social et la confrontation avec le monde sensible. A force de généralités conceptuelles, de formalisme exalté, ils esquivent surtout cette douloureuse affaire : le pouvoir. L'Italien Alberto Toscano est le seul à évoquer frontalement cette dimension : "Précisément parce que le communisme ne peut être séparé du problème (...) de sa réalisation, il ne peut non plus être séparé de la question du pouvoir", rappelle-t-il.

De ce vieux questionnement, et de tous ceux qui vont traditionnellement avec (parti, discipline, violence...), les auteurs se tiennent soigneusement à l'écart. Cela vaut peut-être mieux, se prend-on à songer en observant les rares incursions qu'ils opèrent au sein de la politique profane : tandis que Zizek entonne une ode à l'autocrate populiste Hugo Chavez, la philosophe américaine Susan Buck-Morss plaide pour une écoute attentive des textes écrits par Sayyid Qutb (1906-1966), l'un des fondateurs de l'islam radical : "Ce n'est pas sa reprise de la charia mais son sauvetage du coeur révolutionnaire de la théologie qui fait l'universalité radicale de la position de Qutb", note-t-elle.

De génération en génération, l'"idée" communiste a mené ses amis sur quelques sentiers glorieux. Elle les a aussi entraînés dans maints combats douteux. Hier, cette ambivalence faisait l'objet de violentes querelles entre historiens, qui se déchiraient sur les crimes attachés aux noms de Staline ou de Mao. La voilà désormais en apesanteur dans les hautes sphères de la philosophie radical chic. Au risque d'une certaine amnésie et de quelques non-dits.

"Comptes non réglés"

"Ces contradictions et ces apories renvoient au refus de l'histoire et aux comptes non réglés avec le stalinisme", écrivait Daniel Bensaïd dans un texte consacré à Alain Badiou. De fait, il y a quelque chose de périlleux à relancer "l'hypothèse" communiste sans avoir tiré les leçons du sanglant XXe siècle. Or dans son introduction au présent recueil, la seule fois où Badiou évoque la critique du stalinisme, c'est pour affirmer que "Mao l'a plus qu'esquissée dans nombre de ses textes".


--------------------------------------------------------------------------------


L'IDÉE DU COMMUNISME. CONFÉRENCE DE LONDRES, 2009 sous la direction d'Alain Badiou et Slavoj Zizek. Ed. Lignes, 352 p., 22 €.


Jean Birnbaum
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Message par Invité Ven 5 Fév 2010 - 21:20


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Message par Largo Mar 9 Fév 2010 - 11:37

http://www.mediapart.fr/journal/france/080210/le-rappeur-hame-et-la-partouze-patriotique#

"partouze patriotique", il a toujours le sens de la formule, Hamé.
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Message par ^x^ Mar 9 Fév 2010 - 11:52

j'imagine


Dernière édition par Karim le Mar 4 Mai 2010 - 9:33, édité 1 fois
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Message par Largo Mar 9 Fév 2010 - 12:18

Justement non, personne ne l'est et en plus c'est un itw vidéo...
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Message par Largo Lun 15 Fév 2010 - 10:24

http://www.rue89.com/2010/02/14/nouvelle-intervention-de-la-police-dans-une-salle-ugc-138404
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Message par Eyquem Mer 17 Fév 2010 - 18:18

Le courage du présent, par Alain Badiou
LE MONDE | 13.02.10

Le temps présent, dans un pays comme le nôtre, depuis presque trente ans, est un temps désorienté. Je veux dire : un temps qui ne propose à sa propre jeunesse, et singulièrement à la jeunesse populaire, aucun principe d'orientation de l'existence.

En quoi la désorientation consiste-t-elle précisément ? Une de ses opérations importantes consiste en tout cas à rendre illisible la séquence antérieure, la séquence qui, quant à elle, était bel et bien orientée. Cette opération est caractéristique de toutes les périodes réactives, contre-révolutionnaires, comme celle que nous vivons depuis la fin des années 1970.

On peut par exemple noter que le propre de la réaction thermidorienne, après le complot du 9 Thermidor et l'exécution sans jugement des grands Jacobins, avait été de rendre la séquence robespierriste antérieure illisible : la réduction de celle-ci à la pathologie de quelques criminels buveurs de sang en interdisait toute compréhension politique. Cette vision des choses a perduré pendant des décennies, et elle visait à désorienter durablement le peuple, qu'on tenait, qu'on tient toujours, pour virtuellement révolutionnaire.

Rendre une période illisible, c'est autre chose, c'est beaucoup plus que de simplement la condamner. Car un des effets de l'illisibilité est de s'interdire de trouver dans la période en question les principes mêmes aptes à remédier à ses impasses. Si la période est déclarée pathologique, il n'y a rien à en tirer pour l'orientation elle-même, et la conclusion, dont nous constatons chaque jour les effets délétères, est qu'il faut se résigner, comme à un moindre mal, à la désorientation.

Posons par conséquent, concernant une séquence antérieure et visiblement close de la politique d'émancipation, qu'elle doit pour nous rester lisible, et ce indépendamment du jugement final que l'on porte sur elle.

Dans le débat concernant la rationalité de la Révolution française, sous la IIIe République, Clemenceau a produit une formule célèbre : "La Révolution française forme un bloc." Cette formule est remarquable en ce qu'elle déclare la lisibilité intégrale du processus, quelles qu'aient été les péripéties tragiques de son développement.

Aujourd'hui, il est clair que c'est à propos du communisme que le discours ambiant transforme la séquence antérieure en pathologie opaque. Je m'autorise donc à dire que la séquence communiste, incluant toutes les nuances, du pouvoir comme de l'opposition, qui se réclamaient de la même idée, forme elle aussi un bloc.

Quel peuvent être alors aujourd'hui le principe et le nom d'une orientation véritable ? Je propose en tout cas de l'appeler, par fidélité à l'histoire des politiques d'émancipation, l'hypothèse communiste.

Notons au passage que nos critiques prétendent jeter aux orties le mot "communisme" sous prétexte qu'une expérience de communisme d'Etat, qui a duré soixante-dix ans, a tragiquement échoué. Quelle plaisanterie ! Quand il s'agit de renverser la domination des riches et l'hérédité de la puissance, qui durent depuis des millénaires, on vient nous objecter soixante-dix ans de tâtonnements, de violences et d'impasses ! En vérité, l'idée communiste n'a parcouru qu'une portion infime du temps de sa vérification, de son effectuation.

Qu'est-ce que cette hypothèse ? Elle tient en trois axiomes.

D'abord, l'idée égalitaire. L'idée pessimiste commune, qui domine à nouveau ces temps-ci, est que la nature humaine est vouée à l'inégalité, qu'il est d'ailleurs dommage qu'il en soit ainsi, mais qu'après avoir versé quelques larmes à ce propos, il est essentiel de s'en convaincre et de l'accepter. A cela, l'idée communiste répond non pas exactement par la proposition de l'égalité comme programme - réalisons l'égalité foncière immanente à la nature humaine -, mais en déclarant que le principe égalitaire permet de distinguer, dans toute action collective, ce qui est homogène à l'hypothèse communiste, et donc a une réelle valeur, et ce qui la contredit, et donc nous ramène à une vision animale de l'humanité.

Vient ensuite la conviction que l'existence d'un Etat coercitif séparé n'est pas nécessaire. C'est la thèse, commune aux anarchistes et aux communistes, du dépérissement de l'Etat. Il y a eu des sociétés sans Etat, et il est rationnel de postuler qu'il peut y en avoir d'autres. Mais surtout, on peut organiser l'action politique populaire sans qu'elle soit soumise à l'idée du pouvoir, de la représentation dans l'Etat, des élections, etc.

La contrainte libératrice de l'action organisée peut s'exercer de l'extérieur de l'Etat. Nous en avons de nombreux exemples, y compris récents : la puissance inattendue du mouvement de décembre 1995 a retardé de plusieurs années les mesures antipopulaires concernant les retraites. L'action militante avec les ouvriers sans papiers n'a pas empêché nombre de lois scélérates, mais a permis qu'ils soient largement reconnus comme une composante de notre vie collective et politique.

Dernier axiome : l'organisation du travail n'implique pas sa division, la spécialisation des tâches, et en particulier la différenciation oppressive entre travail intellectuel et travail manuel. On doit viser, et on le peut, une essentielle polymorphie du travail humain. C'est la base matérielle de la disparition des classes et des hiérarchies sociales.

Ces trois principes ne constituent pas un programme, mais des maximes d'orientation, que n'importe qui peut investir comme opérateur pour évaluer ce qu'il dit et fait, personnellement ou collectivement, dans sa relation à l'hypothèse communiste.

L'hypothèse communiste a connu deux grandes étapes, et je propose de dire que nous entrons dans une troisième phase de son existence.

L'hypothèse communiste s'installe à vaste échelle entre les révolutions de 1848 et la Commune de Paris (1871). Les thèmes dominants sont ceux du mouvement ouvrier et de l'insurrection. Puis il y a un long intervalle, de près de quarante années (entre 1871 et 1905), qui correspond à l'apogée de l'impérialisme européen et à la mise en coupe réglée de nombreuses régions du globe. La séquence qui va de 1905 à 1976 (Révolution culturelle en Chine) est la deuxième séquence d'effectuation de l'hypothèse communiste.

Son thème dominant est le thème du parti avec son slogan majeur (et indiscutable) : la discipline est la seule arme de ceux qui n'ont rien. De 1976 à aujourd'hui, prend place une deuxième période de stabilisation réactive, période dans laquelle nous sommes encore, et au cours de laquelle on a notamment vu l'effondrement des dictatures socialistes à parti unique créées dans la deuxième séquence.

Ma conviction est qu'inéluctablement une troisième séquence historique de l'hypothèse communiste va s'ouvrir, différente des deux précédentes, mais paradoxalement plus proche de la première que de la seconde. Cette séquence aura en effet en commun avec la séquence qui a prévalu au XIXe siècle d'avoir pour enjeu l'existence même de l'hypothèse communiste, aujourd'hui massivement déniée. On peut définir ce qu'avec d'autres je tente de faire comme des travaux préliminaires pour la réinstallation de l'hypothèse et le déploiement de sa troisième époque.

Nous avons besoin, dans ce tout début de la troisième séquence d'existence de l'hypothèse communiste, d'une morale provisoire pour temps désorienté. Il s'agit de tenir minimalement une figure subjective consistante, sans avoir pour cela l'appui de l'hypothèse communiste qui n'est pas encore réinstallée à grande échelle. Il importe de trouver un point réel sur lequel tenir coûte que coûte, un point "impossible", ininscriptible dans la loi de la situation. Il faut tenir un point réel de ce type et en organiser les conséquences.

Le témoin-clé de ce que nos sociétés sont évidemment in-humaines est aujourd'hui le prolétaire étranger sans papiers : il est la marque, immanente à notre situation, de ceci qu'il n'y a qu'un seul monde. Traiter le prolétaire étranger comme venant d'un autre monde, voilà la tâche spécifique dévolue au "ministère de l'identité nationale", qui dispose de sa propre force de police (la "police aux frontières"). Affirmer, contre un tel dispositif de l'Etat, que n'importe quel ouvrier sans papiers est du même monde que soi, et en tirer les conséquences pratiques, égalitaires et militantes, voilà un exemple type de morale provisoire, une orientation locale homogène à l'hypothèse communiste, dans la désorientation globale à laquelle seule sa réinstallation pourra parer.

La vertu principale dont nous avons besoin est le courage. Cela n'est pas universellement le cas : dans d'autres circonstances, d'autres vertus peuvent être requises de façon prioritaire. Ainsi à l'époque de la guerre révolutionnaire en Chine, c'est la patience qui a été promue par Mao comme vertu cardinale. Mais aujourd'hui, c'est incontestablement le courage. Le courage est la vertu qui se manifeste, sans égard pour les lois du monde, par l'endurance de l'impossible. Il s'agit de tenir le point impossible sans avoir à rendre compte de l'ensemble de la situation : le courage, en tant qu'il s'agit de traiter le point comme tel, est une vertu locale. Il relève d'une morale du lieu, avec pour horizon la lente réinstallation de l'hypothèse communiste.
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Message par Borges Mer 17 Fév 2010 - 19:18

Traiter le prolétaire étranger comme venant d'un autre monde, voilà la tâche spécifique dévolue au "ministère de l'identité nationale

Ce qui confirme bien que district9 est un film du "ministère de l'identité nationale";
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Message par glj Jeu 18 Fév 2010 - 13:00

ma compagne m'a offert " Eloge de l'amour " de Badiou pour la saint valentin...
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Message par Invité Jeu 18 Fév 2010 - 16:50

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Message par Invité Dim 21 Fév 2010 - 10:03

https://www.dailymotion.com/video/xbwgs8_alain-ehrenberg-la-soci%C3%A9t%C3%A9-du-malai_news

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Message par Largo Mar 23 Fév 2010 - 13:26

Nikita Mikhalkov : “Poutine, que vous méprisez tant, a rendu aux Russes leur dignité perdue

http://www.telerama.fr/cinema/nikita-mikhalkov-poutine-que-vous-meprisez-tant-a-rendu-aux-russes-leur-dignite-perdue,52792.php
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Message par wootsuibrick Mar 23 Fév 2010 - 16:56

Largo a écrit:Nikita Mikhalkov : “Poutine, que vous méprisez tant, a rendu aux Russes leur dignité perdue

http://www.telerama.fr/cinema/nikita-mikhalkov-poutine-que-vous-meprisez-tant-a-rendu-aux-russes-leur-dignite-perdue,52792.php

énorme ce type, incroyablement vulgaire. lol
j'ai vu aucun de ses films, ceci dit. je me souviens juste de la bande annonce du barbier de Sibérie.
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Message par Eyquem Jeu 25 Fév 2010 - 11:10

Une réponse à Badiou, dans Le Monde.

Spoiler:

Jérôme Batout
Né le 1er mars 1979. Maître de conférences à la London School of Economics, et à Sciences Po, doctorat en philosophie à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. Secrétaire général adjoint du Parti socialiste.

Membre du Conseil d'administration de la Société des lecteurs du Monde.
Il me semble que cette réponse ne fait que jouer sur les mots :
- de "spectre" à "sceptre"
- il oppose "acteur" à "témoin" (mais que veut dire "témoin" chez Badiou ?)
- il retient un sens du nom "hypothèse" ("proposition avancée provisoirement, et qui doit être ultérieurement contrôlée ") en oubliant les autres ("Proposition reçue, indépendamment de sa valeur de vérité, et à partir de laquelle on déduit un ensemble donné de propositions. Synon. principe" // "MATH. Proposition fournie comme donnée d'un problème, ou qui, sans avoir besoin d'être démontrée, sert de base à la démonstration d'un théorème par voie logique")

L'accusation, en fin d'article, est particulièrement basse :
La fétichisation de l'immigré sans papiers ouvre la voie à la métamorphose du spectre du communisme en un sceptre, assurant à ses titulaires une confortable rente en ces temps de désarroi idéologique, et accessoirement un redoutable ascendant sur les "témoins-clés" de l'histoire.


Dernière édition par Eyquem le Jeu 25 Fév 2010 - 11:44, édité 1 fois
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Message par Borges Jeu 25 Fév 2010 - 11:42

Jérôme Batout...ou comment prendre ses désirs pour de la pensée : Jérôme ne bat rien.


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Message par balthazar claes Jeu 25 Fév 2010 - 12:39

Le prolétaire est tout d'abord dépourvu de tout moyen d'action, il est d'abord défini par une passivité dont il lui faut s'arracher. De même le "prolétaire sans papiers". Il n'y a pas d'un côté un "héros" chez Marx et une "victime" chez Badiou qu'on pourrait lui opposer dialectiquement. Prendre ainsi le discours de Badiou, c'est faire le sophiste.

Mais c'est encore pire quand on conclut par un sous-entendu diffamatoire : "Autrement dit, le prolétaire de Badiou, "témoin-clé", a l'intéressante propriété d'être placé en garde-à-vue." Là ce n'est plus simplement le sophisme, c'est un jeu de mots crapuleux, c'est de la basse propagande.

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Message par Borges Jeu 25 Fév 2010 - 14:17

vous êtes pas sérieux, ce mec ne connaît pas plus marx, que badiou; à quoi bon faire comme si...?



*







Pour terminer le séminaire de cette année, je vais vous donner des nouvelles du film que je prépare sur la Vie de Platon.

Je vais vous en décrire 5 séquences.

1. La séquence d'ouverture sera un gros plan sur la plaque d'une rue parisienne, la rue Platon. C'est une toute petite rue, près de la rue Falguière, qui mène à un foyer d'ouvriers africains. Le film montrera une réunion politique qui s'y tient. Différents points sont à l'ordre du jour : les papiers, la possibilité de loger des parents, les manœuvres du gérant et, à un moment donné, Platon qui est manifestement un sujet revenant régulièrement dans les discussions.

2. Dans une autre séquence, on verra Platon entouré de ses assistants à l'Académie. L'un d'entre eux parle admirativement d'un disciple particulièrement brillant, remarqué aux cours pour ses interventions à la fois pertinentes et sophistiquées, un type du nom d'Aristote. Platon reste cependant réservé, puis finit par avouer : « C'est peut-être vrai tout ça, mais je ne l'aime pas ! »

3. On verra également l'expédition chez le tyran de Sicile. C'est la partie proprement péplum du film, avec des bateaux reconstitués, des bagarres sur le port, une partie dont le financement n'est pas encore assuré.

4. Mme Platon sera bien entendu présente. Vous trouverez peut-être cela saugrenu étant donné le lien emblématique établi entre le nom même de Platon et l'amour des jeunes gens. A quoi je répondrai a) que l'homosexualité masculine ouvertement affichée par l'élite intellectuelle grecque de ce temps n'est pas incompatible avec une vie familiale incluant épouse et enfants; b) surtout, je fais l'hypothèse que Platon aimait beaucoup sa femme. On le verra écrire le Banquet et s'entretenir avec elle au moment où il bute sur la rédaction du passage dans lequel Socrate va exposer sa conception de l'amour. « Tu devrais faire dire ça par une femme, lui dit-elle, ça fera un scoop ». Et c'est ainsi que nous avons le discours de Diotime.

5. Enfin, je m'appuie sur la légende qui veut que Platon ait écrit des tragédies qu'il a brulées à la mort de Socrate. Dans mon film, un fragment d'une tragédie perdue de Platon est retrouvé et donne lieu à une représentation filmée.







[1] Dans le film que j’ai l’intention de consacrer à la Vie de Platon, je pense, après avoir apprécié sa performance dans L’assassinat de Jesse James, que Brad Pitt serait excellent dans le rôle de Platon. Dicaprio serait très bien dans celui d’Alcibiade, mais je ne vois pas bien encore quel comédien pourrait interpréter celui d’Aristote.


cette note est assez délirante (comme le projet de ce film); mais la question reste intéressante, qui pour jouer le rôle d'aristote?



http://www.entretemps.asso.fr/Badiou/07-08.htm
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Message par Invité Sam 3 Avr 2010 - 19:08

http://www.lavie.fr/hebdo/2010/3370/michel-sabbah-le-hamas-nous-protege-30-03-2010-4921_116.php

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Palestine
Michel Sabbah : "Le Hamas nous protège"


Laurent Grzybowski - publié le 01/04/2010

Tranchant sur le pessimisme ambiant, l’ancien patriarche latin de Jérusalem, 77 ans, veut toujours croire à la cohabitation harmonieuse avec l’islam.


Quelle est la situation des chrétiens de Palestine ?
Elle est la même que pour tous les Arabes de Palestine. Chrétiens ou musulmans, nous faisons partie d’un même peuple, d’une même culture, d’une même histoire. Un peuple qui est en conflit avec un autre peuple. Un peuple occupé militairement qui n’a pas besoin de compassion, mais de justice. Dans un contexte politique très tendu, nous essayons de faire face au même défi. Qu’est-ce qu’être chrétien ? C’est être envoyé à une société, à un monde que nous n’avons pas choisi parce qu’il nous est donné. Notre vocation est donc d’être chrétien dans une société arabe et majoritairement musulmane. C’est une expérience que nous connaissons bien, nous avons plusieurs siècles d’histoire commune derrière nous.

Pourtant, aujourd’hui, on parle de persécutions antichrétiennes…
Des incidents individuels entre musulmans et chrétiens peuvent parfois prendre une dimension communautaire. Dans ce cas, il existe des médiateurs, des familles reconnues pour leur sagesse et leur autorité, capables de régler les conflits. Mais, je peux en témoigner, en Palestine, cela n’est jamais allé plus loin. Aucun massacre, aucun attentat contre les églises, aucune persécution ouvertement antichrétienne. Même à Gaza, les chrétiens sont protégés par le Hamas, souvent présenté comme une organisation terroriste.

Est-ce la même chose en Irak ?
Non, là-bas les chrétiens sont victimes de la violence et sont tués parce qu’ils sont chrétiens. Mais il s’agit de motivations politiques, non religieuses. Les extrémistes espèrent ainsi déstabiliser le pays. Beaucoup de sunnites ou de chiites sont tués pour les mêmes raisons. Il ne sert à rien d’accuser l’islam de tous les maux. Travailler à la paix et à la justice, en Irak comme ailleurs, est le meilleur moyen d’éviter un exode massif des chrétiens d’Orient. Un problème politique doit trouver une solution politique.

Que répondez-vous à ceux qui défendent l’idée d’un choc des civilisations ?
Il y a un choc, mais il n’est ni religieux, ni culturel. Il est politique. L’Occident traite l’Orient, et ceux qui y habitent, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, comme des mineurs. Tant qu’il y aura ce rapport de dominant à dominé, on ne sortira pas de la spirale de la violence. Les racines du terrorisme mondial sont là. L’Orient n’est pas libre de son destin, il est soumis à la domination occidentale. Le problème, ce n’est pas l’islam, c’est la confrontation entre l’Orient et l’Occident. Le colonialisme historique a cédé la place à un autre colonialisme, plus larvé, mais non moins réel.

Vous n’avez donc pas peur de l’expansion de l’islam ?
C’est un fantasme alimenté par ceux qui ne comprennent pas l’Orient, en général, et l’islam, en particulier. Tant que les Palestiniens se sentiront opprimés, tous les musulmans du monde se sentiront solidaires avec eux et pourront causer des perturbations à l’intérieur des sociétés où ils vivent. Il faut mettre fin à ce rapport du fort au faible entre l’Occident et le monde musulman et mener des actions d’éducation à la citoyenneté, au respect de l’autre. Développons une culture de coexistence active, apprenons à nous connaître, à vivre et à agir ensemble.

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Message par Largo Sam 8 Mai 2010 - 12:50

De l'obscurantisme contemporain, par Alain Badiou
LEMONDE | 07.05.10 | 14h31

Comment nommer les extraordinaires constructions intellectuelles que sont les oeuvres de Darwin, de Marx et de Freud ? Elles ne sont pas strictement des sciences, si même la biologie, y compris contemporaine, se pense dans le cadre darwinien. Elles ne sont pas non plus des philosophies, si même la dialectique, ce vieux nom platonicien de la philosophie, a reçu avec Marx une impulsion neuve. Elles ne sont pas réductibles aux pratiques qu'elles éclairent, même si l'expérimentation vient confirmer Darwin, si la politique révolutionnaire tente de vérifier l'hypothèse communiste de Marx et si la cure psychanalytique installe Freud aux lisières toujours mouvantes de la psychiatrie.

Appelons "XIXe siècle" le temps qui va de la Révolution française à la révolution russe. Je propose alors de nommer ces trois tentatives géniales des dispositifs de pensée, et de dire que, en un sens, ces dispositifs identifient ce que le XIXe siècle apporte, comme puissance neuve, à l'histoire de l'émancipation de l'humanité. A partir de Darwin, le mouvement de la vie et l'existence de l'espèce humaine, irréversiblement séparés de toute transcendance religieuse, sont rendus à l'immanence de leurs lois propres.

A partir de Marx, l'histoire des groupes humains est soustraite à l'opacité de la providence comme à la toute-puissance des inerties oppressives que sont la propriété privée, la famille et l'Etat. Elle est rendue au libre jeu des contradictions où peut s'écrire, fût-ce dans l'effort et l'incertitude, un devenir égalitaire. A partir de Freud, on comprend qu'il n'y a pas d'âme, dont la formation serait toujours moralisante, d'avoir à s'opposer aux désirs primordiaux où l'enfance se passe à faire advenir ce qu'on sera. C'est au contraire au plus vif de ces désirs, notamment sexuels, que se joue la liberté possible du sujet, tel qu'il est en proie au langage, ce résumé de l'ordre symbolique.

Depuis longtemps, les conservatismes de tous bords se sont acharnés contre ces trois grands dispositifs. C'est bien naturel. On sait comment aux Etats-Unis, encore aujourd'hui, on fait souvent obligation aux institutions éducatives d'opposer le créationnisme biblique à l'évolution au sens de Darwin. L'histoire de l'anticommunisme recoupe pratiquement celle de l'idéologie dominante dans tous les grands pays où règne, sous le nom de "démocratie", le capitalo-parlementarisme. Le positivisme psychiatrique normalisateur, qui voit partout des déviances et des anomalies à contrarier par la brutalité chimique, tente désespérément de "prouver" que la psychanalyse est une imposture.

Pendant tout un temps, singulièrement en France, ce sont cependant les immenses effets émancipateurs, dans la pensée et dans l'action, de Darwin, de Marx et de Freud, qui l'ont emporté, au travers bien entendu de discussions féroces, de révisions déchirantes et de critiques créatrices. Le mouvement de ces dispositifs dominait la scène intellectuelle. Les conservatismes étaient sur la défensive.

Depuis le vaste processus de normalisation mondiale engagé dès les années 1980, toute pensée émancipatrice ou même simplement critique dérange. On a donc vu se succéder les tentatives visant à extirper de la conscience publique toute trace des grands dispositifs de pensée, qu'on a pour la circonstance appelés des "idéologies", alors qu'ils étaient justement la critique rationnelle de l'asservissement idéologique. La France, selon Marx "terre classique de la lutte des classes", s'est hélas trouvée, sous l'action de petits groupes de renégats de la "décennie rouge" (1965-1975), aux avant-postes de cette réaction. On y a vu fleurir les "livres noirs" du communisme, de la psychanalyse, du progressisme, et en définitive de tout ce qui n'est pas le bêtisier contemporain : consomme, travaille, vote et tais-toi.

Parmi ces tentatives qui, sous couvert de "modernité", recyclent les vieilleries libérales remontant aux années 1820, les moins détestables ne sont pas celles qui se réclament d'un matérialisme de la jouissance pour tenir, en particulier sur la psychanalyse, des propos de corps de garde. Loin d'être en rapport avec quelque émancipation que ce soit, l'impératif "Jouis !" est celui-là même auquel nous ordonnent d'obéir les sociétés dites occidentales. Et ce afin que nous nous interdisions à nous-mêmes d'organiser ce qui compte : le processus libérateur des quelques vérités disponibles dont les grands dispositifs de pensée assuraient la garde.

Nous appellerons donc "obscurantisme contemporain" toutes les formes sans exception de mise à mal et d'éradication de la puissance contenue, pour le bénéfice de l'humanité tout entière, dans Darwin, Marx et Freud.
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