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Quand Bernard-Henri Lévy libère la morale et la pensée du cinéma

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Quand Bernard-Henri Lévy libère la morale et la pensée du cinéma - Page 2 Empty Re: Quand Bernard-Henri Lévy libère la morale et la pensée du cinéma

Message par Eyquem Dim 14 Mar 2010 - 11:13

On nous a appris, à l’école, l’histoire de la Gorgone Méduse dont la face, avec ses énormes dents et sa langue protubérante, était si horrible qu’un simple regard posé sur elle transformait hommes et bêtes en pierre. Incitant Persée à tuer ce monstre, Athéna lui recommanda de ne jamais regarder sa face directement, mais de le faire seulement par l’entremise du reflet dans le bouclier poli qu’elle lui avait donné. Suivant ce conseil, Persée coupa la tête de la Méduse avec la faucille qu’Hermès lui avait procurée. La morale de ce mythe, c’est bien sûr que nous ne voyons pas, que nous ne pouvons pas voir les horreurs réelles, car elles nous paralysent d’une terreur aveuglante ; et que nous ne connaîtrons ce à quoi elles ressemblent seulement en regardant leurs images en tant que celles-ci reproduisent leur véritable apparence. (…) L’écran de cinéma est le bouclier réfléchissant d’Athéna.
Mais ce n’est pas tout. Le mythe suggère aussi que les images sur le bouclier ou sur l’écran sont des moyens pour une fin ; elles sont là pour permettre au spectateur – voire pour l’induire dans cette possibilité – de décapiter l’horreur qu’elles reflètent. (…) Elles appellent le spectateur à prendre et, donc, à incorporer en sa mémoire la face réelle des choses, ces choses trop terribles pour être vues dans la réalité. En faisant l’expérience des rangées de têtes décapitées, ou des civières sur lesquelles gisent les corps humains torturés, dans les films réalisés sur les camps de concentration nazis, nous sauvons l’horreur de son invisibilité derrière les voiles de la panique et du fantasme. Cette expérience est libératrice en ce qu’elle lève le tabou le plus puissant. La plus grande œuvre de Persée n’est peut-être pas de couper la tête de la Méduse, mais de surmonter sa peur et de regarder le reflet dans le bouclier. N’est-ce pas cet exploit qui lui aura permis de décapiter le monstre ?

(S. Kracauer, cité par Didi-Huberman, Images malgré tout, p220)
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Message par Invité Dim 14 Mar 2010 - 11:33

Voilà qui va faire plaisir à ccamille, merci mr BHL, le "débat" est relancé :

Shutter Island, mémoire et responsabilité

Shutter Island est, avant toute chose, un très grand film sur la folie. Il poursuit en cela la réflexion déjà engagée par Scorsese dans Aviator. Il est aussi, bien sûr, dans cette approche d’une conscience en déréliction, l’héritier de films plus anciens, à commencer par Taxi Driver et Raging Bull. Il est enfin le lieu où ces deux grandes thématiques scorsesiennes trouvent leur point de rencontre, se heurtent l’une à l’autre en un choc tectonique, trouvent leur apogée explosif : la folie, donc, et la violence – et avec elles, venant les articuler intimement, la question du mal. Non pas le mal surgi de l’esprit devenu fou. L’excuse, on la connaît, est trop facile. Non. La folie s’emparant de l’esprit qui fut le témoin impuissant du mal, et du mal absolu par excellence, la Shoah. C’est parce qu’il se confronte aux conséquences de ce témoignage-là, aux conséquences de cette mémoire-là – laquelle appartient en propre aux Américains, puisqu’ils participèrent à la libération des camps – que Shutter Island ne peut être un film révisionniste, ni même flirtant avec le révisionnisme. Bien au contraire. Il travaille au corps la question de la mémoire, il la creuse, cette mémoire, jusqu’au sang. Et il nous l’expose, là aujourd’hui, sous nos yeux, écorchée et à vif.

Avec Shutter Island, Scorsese ne se contente pas de nous faire observer la folie à l’œuvre, ne nous laisse pas nous réfugier dans la posture confortable de celui qui regarde le fou, bien à l’abri à l’extérieur de sa folie. Il utilise toutes les ressources, visuelles et temporelles, du cinéma pour nous faire expérimenter l’état de folie. Nous sommes, spectateurs, pour le temps du film, rendus fous – ou, du moins, nous sommes contraints, plus le film avance, de douter à chaque instant de ce que nous voyons, tout en en éprouvant, avec la plus grande force, l’irrémédiable réalité. Shutter Island est, littéralement, hallucinogène et n’est pas, en ce sens, dépourvu de résonances lynchiennes.

L’empathie avec Daniels/Laeddis, le personnage incarné par Di Caprio, est totale et c’est elle qui permet d’accéder à la vérité profonde de ses « visions », de faire nôtre cette mémoire déchirée. Le tissu du film entrelace les dimensions du réel avec une complexité qui s’aggrave à chaque plan – complexité à la fois géniale et perverse. Il y a d’abord le récit premier, qui s’ancre dans la tradition du film noir la plus classique. Deux policiers viennent enquêter sur la disparition de Rachel, une patiente infanticide. Très vite, cependant, le cas s’imprègne de mystère, voire d’impossibilité physique : comment Rachel aurait-elle pu sortir d’une chambre fermée de l’extérieur et pourvue de barreaux aux fenêtres ? Ce premier doute se nourrit de la singularité du lieu. Nous sommes, après tout, dans un pénitencier réservé aux malades mentaux les plus atteints. L’on voit, dès ces premiers moments, Daniels s’étonner que Rachel puisse avoir passé tant d’années enfermée dans un asile tout en étant persuadée d’être restée tout ce temps chez elle. Lorsqu’on apprend à la fin que Daniels, ou plutôt Laeddis, est justement celui qui, à l’instar de cette Rachel fictive, a oublié où et même qui il était, a oublié à quel point du réel se rattacher, son incrédulité primordiale devient alors, pour nous, vertigineuse. L’enfermement semble sans issue.

Ce récit premier, donc, se brouille progressivement. A l’histoire apparemment linéaire qui nous occupait viennent s’ajouter des strates, visuelles et temporelles, toujours plus nombreuses, et troublantes. L’enquête se poursuit mais les deux agents, Daniels surtout, se mettent à douter de la réalité de l’affaire, commencent à croire à un coup monté. Le spectateur bascule avec eux. L’on hésite un instant. Daniels est-il paranoïaque ? S’est-il laissé gagner par l’univers de folie qui l’entoure ? A la fin, l’empathie de regard que la caméra nous oblige à épouser nous le fait suivre dans sa remise en cause de ce qui se passe.

Et, de fait, toute cette affaire est bel et bien un coup monté. Daniels pense qu’on veut le faire passer pour fou et le faire enfermer à son tour. On veut, en réalité, le lui rappeler. Le docteur Cawley, tantôt inquiétant, tantôt rassurant – dualité qui n’est que le reflet de l’ambivalence de celui qui le regarde – veut ramener Daniels/Laeddis au souvenir de ce qu’il a vraiment vécu. Cette mise en scène où le film interroge sa propre vérité, interroge, autrement dit, la vérité du regard, du réel, et de ce qu’on en retient, est, au sens propre, un travail de mémoire. Il faut passer par le détour de l’illusion, et de l’illusion jusqu’à l’hallucination, pour atteindre aux profondeurs du traumatisme fondamental. Le périple de Daniels sur Shutter Island assiégée par un terrible typhon, devient, évidemment, un périple, plus dangereux et incertain, dans l’intériorité de cette conscience dévastée.

La vision source de cette fractale de visions collatérales qui donne sa forme au film est la seule qu’on ne verra jamais. C’est le souvenir inmontrable, le souvenir impossible à transmettre dans sa réalité brute. C’est le souvenir qui hante toutes les visions actuelles de Daniels, la mémoire intolérable qui a fait bouger sa conscience sur son axe, la mémoire en angle mort de ce qu’il a vu à Dachau. Or c’est précisément parce que ce moment, ce lieu fondateurs sont pour Daniels inmontrables, et occupent en même temps tout le champ de sa conscience, c’est précisément parce qu’il ne peut leur échapper, s’en extraire, que tout le réel autour est contaminé de doute, d’inconstance, de folie. Le réel, pour Daniels, est possédé, assiégé par cette vision du mal absolu. Ces images que le film montre de Dachau, ces images étranges, à la fois édulcorées et outrées dans leur horreur, ces images qui sonnent faux ne sont que le produit d’un esprit devenu incapable de regarder ce qui l’habite pourtant dans ses tréfonds. Elles sont la manifestation de cette contradiction insupportable qui l’écartèle et le dédouble. Scorsese, là, ne prétend nullement nous montrer la réalité des camps. Il filme un souvenir reconstruit par la folie qu’il a lui-même, ce souvenir, engendrée. Son personnage incarne cet autre aspect du crime contre l’humanité : l’immense responsabilité, qu’il faut porter jusque dans l’insoutenable, cette responsabilité inévitable qui travaille chaque être humain devant cette abomination dont ses semblables se sont rendus coupables.

Témoin d’un crime qu’il n’a pas pu empêcher, Daniels revit sans cesse cette culpabilité, cette complicité existentielles. Lorsqu’il revoit en rêve la mort de sa femme, c’est un corps en cendres qui s’effondre dans ses bras. Lorsqu’il revoit sans la reconnaître sa fille morte qui lui reproche de ne pas l’avoir sauvée, c’est dans le tas de cadavres s’écoulant, glacé, figé par la conscience prostrée sur sa mémoire, des wagons à bestiaux de Dachau. La vision de Laeddis. Laeddis, qu’il accuse du meurtre de sa femme. Laeddis, le pyromane. Laeddis, la véritable identité de Daniels. Cette projection fantasmée de son moi profond a le visage déchiré par une énorme cicatrice, le visage d’un monstre, qui fait écho à celui, grotesquement sanglant, de l’officier allemand dans ses visions de Dachau. Lorsqu’il se revoit, enfin, au moment de la libération du camp, lui et ses frères d’armes exécutent les SS qui viennent de se rendre, ajoutant les cadavres des bourreaux aux cadavres des victimes. Cet événement, le docteur Cawley le lui apprendra à la fin, n’a jamais eu lieu. Mais la conscience écartelée de Daniels, face à l’impossible réparation du crime de ses semblables, se veut complice, invente sa propre complicité ; ce geste fantasmé, il le dit, n’était pas justice, mais meurtre. Comme si la violence, le mal sans fin dont il fut témoin, il le retrouvait, par un effet de miroir, en lui. Et c’est ce qui le rend fou.

La conscience de Daniels, cette identité qu’il s’est à lui-même donnée pour survivre au traumatisme de sa mémoire, est habitée, tout au long du film, par le souci de sauver l’autre. Sauver Rachel, sauver Noyce, un autre patient, sauver Chuck, son collègue. Et, pour chacun, il échoue. Comme il a échoué à sauver ses enfants et sa femme. Comme il a échoué à sauver les morts de Dachau. Comme il échouera, bientôt, à se sauver lui-même. Mais il continue, il se rattache à ce contrepoint rédempteur de sa folie.

Shutter Island dissèque avec une acuité sidérante la question de la responsabilité qui fonde chacun de nous dans son humanité. Scorsese expose sous nos yeux une âme brisée, irréparable après le crime inoubliable. Déchirure résumée par les derniers mots de Daniels, au moment de sacrifier sa conscience à la lobotomisation, sans doute en toute lucidité bien que feignant le contraire : Mieux vaut mourir en héros que vivre en monstre. La mise en scène, entendue dans son sens le plus noble et le plus vrai, en nous faisant éprouver cette brisure insondable, ce point de non retour, nous contraint à endosser, définitivement, pour nous-mêmes, cette responsabilité. Shutter Island est, incontestablement, un film qui œuvre pour la mémoire de la Shoah, qui la rend, cette mémoire, terriblement actuelle, terriblement vive. Peu de films de fiction y étaient à ce point, avant lui, parvenus.

http://laregledujeu.org/2010/03/14/1087/reponse-a-bernard-henri-levy/

ça fait sourire parce que cette personne s'attache a démontrer un peu vainement que BHL a tort sur le Scorsese en utilisant son point de vue (le Mal absolu, l'irreprésentable, blablabla), elle est prête pour cela à tordre le film dans n'importe quel sens (oser nous dire que Scorsese cautionne cette idée d'irreprésentable alors même qu'il passe plusieurs mètres de pellicule à donner une représentation de Dachau, celle d'un "fou", et alors ?), alors que c'est le point de vue même de BHL qui est contestable, donc en résumé elle nous dit combien, au fond, BHL a raison. Ca c'est du débat "intellectuel" !

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Message par Eyquem Dim 14 Mar 2010 - 12:11

Oui, le souvenir "inmontrable", refoulé, ce n'est pas le camp, c'est le meurtre de sa femme, la mort de ses enfants.
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Message par Eyquem Dim 21 Mar 2010 - 14:08

PENDANT CE TEMPS...


Le Mémorial de la Shoah organise une exposition :
EXPOSITION : FILMER LES CAMPS,
JOHN FORD, SAMUEL FULLER, GEORGE STEVENS
de Hollywood à Nuremberg

exposition du 10 mars au 31 août 2010



http://www.memorialdelashoah.org/a_actus/getDetailsAction.do?actuId=529
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