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Message par Eyquem Dim 27 Sep 2009 - 14:43

Miroir magique, disait le titre - et semble-t-il, autre référence au même poème de Pessoa, sur lequel je tombe pour les recherches d'aujourd'hui :
Je te revois encore, mais moi, hélas, je ne me revois pas !
Il s'est brisé, le miroir magique où je me revoyais identique,
et en chaque fragment fatidique je ne vois qu'une parcelle de moi.
une parcelle de toi et de moi !...
Extrait du "Gardeur de troupeaux" ici :
http://www.litt-and-co.org/citations_litteraires/20e-cita/l-q_20e/pessoa1.htm

L'inconnue du train n'est pas aussi aveugle que le dit Richard. Elle finit pas le regarder à la fin.
(je pense que Richard a lu le texte de Pierre Léon sur son blog, qui parle de ça)
Il y a quelque chose à faire de ces miroirs/regards.


(Quant à la boutade de Cocteau, elle est mise à toutes les sauces - à toutes les sauces boutades justement...
Je me méfie)
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Message par Borges Dim 27 Sep 2009 - 16:17

Je parlais de Platon, d’amour platonique.



Peut-être pas Rancière, mais Badiou, dont Pessoa (« personne », en portugais) est l’un des poètes ; j’ai relu le texte qu’il lui avait consacré dans son « petit manuel d’inesthétique ».

Selon Badiou, Pessoa est un poète décisif du siècle, surtout si on le pense depuis la possibilité de la philosophie ; « la philosophie ne pense pas encore à la hauteur de Pessoa » dit Badiou ; son importance ? échapper au mot d’ordre du siècle, dépassement, renversement du platonisme ; s’il est en avant de nous, c’est qu’il n’est ni platonicien ni antiplatonicien.


Quelques moments, quelques passages, de cet article, qui me semblent traverser vos différentes interventions (les sérieuses, je veux dire); je crois que cela peut aider à penser le film de O.


-Le dispositif fameux de l’hétéronymie ; quatre en un, ou un en quatre, qui selon Badiou va plus loin que l’idée du Livre Un de Mallarmé et l’anonymat du poète. Proximité des deux dans l’invention syntaxique.

-Logique distendue, usage de l’oxymore « déséquilibre toutes les attributions prédicatives » ; usage de la négation de telle sorte que l’on ne sait jamais quel terme est nié ; la négation es flottante, constante équivoque entre l’affirmation et la négation ; refus du principe de non-contradiction, et du tiers exclu. « Le cheminement du poème est en effet, diagonal, ce dont il traite n’est ni un rideau de pluie ni une cathédrale ; ni la chose nue ni son reflet ; ni le voir direct dans la lumière ni l’opacité d’une vitre. Le poème est alors là pour créer ce « ni ni », et suggérer que c’est encore « autre chose » que toute opposition de type oui/non laisse échapper. "

(Là, je crois presque lire, retrouver, ce que vous dites du film ; l’idée du simulacre, mais aussi la référence à Rancière)

-Affinité entre entre Caeiro et Parménide ; il s’agit de « restituer au poème une identité de l’être antérieure à toute organisation subjective de la pensée. Un arbre est un arbre ; il faut laisser venir dans l’être la pure présence de ce qui est ; laisser-être ; refus de l’idéalisation ; Caeiro ne cesse de se moquer de ceux qui voient dans la lune dans le ciel autre chose que la lune dans le ciel ; ce sont des poètes malades ; Badiou parle d’une poésie sans aura ; le poème de Pessoa ne cherche ni à séduire ni à suggérer ; il est sa propre vérité ; « Une chose est ce qui n’est pas susceptible d’interprétation, disait Pessoa ». Mais en même temps, cet antiplatonisme nous Badiou communique avec un grand platonisme (importance du mathématique), « assise ontologique archétypale du recours au visible ». (Il faut ici faire attention à un terme) : « en définitive ce n’est pas des singularités sensibles qu’il est question (…) mais de leur type, de leur onto-type (ici, suggérons un rapprochement entre deux titres de film « UN prophète », « singularité d’UNE jeune fille » ; tout doit se jouer dans cette singularité, dans ce UN ; on pense à Deleuze, bien entendu ; opposant « le « et « un » ; mais ici faut être plus modeste ; Badiou, Deleuze, et les deux autres, cela fait beaucoup ; mais l’idée, c’est bien le rapport de l’Idée, au sensible, du visible à ce qui ne le serait pas…sommes nous en route vers l’Eternité ? Cette jeune fille serait-elle, elle aussi, comme dans le film de Visconti une visitation de l’idée ; je veux parler de « Mort à Venise ». L’idée n’est pas séparée de la chose ; et comment cela serait-il possible, dans l’art ? Les choses sont identiques à leur idée ; idée donc de parcours des êtres-types.


Penser à la hauteur de Pessoa, (penser le dernier film de O ?) selon Badiou : « admettre la coexistence du sensible et de l’Idée, « mais » ne rien concéder à la transcendance de l’Un (Dieu est mort, autrement; c’est moi qui ajoute). Penser qu’il n’y a que des singularités multiples, « mais » n’en rien tirer qui ressemble à l’empirisme. »

C’est là que se joue le film, si je vous lis bien.

Un film qui permettrait entre Platon et ses anti de rendre sensible la singularité multiple, le vide, l’infinie.

Rendre justice à un monde sans les dieux ; dans leur trace ?
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Message par Borges Dim 27 Sep 2009 - 16:20

Je n'arrive plus à me souvenir de la phrase-aphorisme de MdeO, dans une discussion avec Godard.
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Message par Invité Dim 27 Sep 2009 - 16:53

"le cinéma, une saturation de signes magnifiques qui baignent dans la lumière de leur absence d'explication"

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Message par Invité Dim 27 Sep 2009 - 17:13

Borges a écrit:
Avant Emma B; il y a tout de même Don Quichotte, c'est là "l'origine" de la littérature, la première confusion, entre la vie et l'art, selon Rancière; et je ne pense pas que cela soit lu par Rancière comme une erreur, un péché, une faute... l'inverse même. On peut aussi aller du côté de Pygmalion (ce qui ouvre évidemment sur Vertigo, mais aussi sur l'amour de Swann; Proust disait quelque chose comme l'artiste fatigué (vieux) cherche l'art dans la vie, l'artiste (créatif) la vie dans l'art)

Dans un de ses derniers bouquins ("Second manifeste pour la philosophie"), Badiou se retourne, un peu sommairement peut-être et surtout brusquement au détour d'une page sans que le lecteur s'y attende, contre Proust, contre la forme de l'"amour de Swann". Pour être fidèle au contenu énoncé qu'il défend des "catégories" qu'il privilégie dans ses derniers ouvrages.



"(..) D'où la situation paradoxale de qui se proposerait de retrouver l'expérience traditionnelle ; car il lui faudrait d'abord renoncer aux expériences et suspendre la connaissance. Mais ce n'est pas pour autant que lui serait rendue l'expérience que l'on peut tout à la fois avoir et faire. De fait, l'ancien sujet de l'expérience n'existe plus ; il s'est dédoublé. A sa place, on trouve désormais deux sujets, qu'au début du XVIIe siècle un roman nous représente cheminant côte à côte, inséparablement unis par une recherche aussi aventureuse qu'inutile. Don Quichotte, l'ancien sujet de la connaissance, a été victime d'un sortilège : il peut faire l'expérience, mais sans l'avoir jamais. A ses côtés, Sancho Pança, l'ancien sujet de l'expérience, ne peut qu'avoir l'expérience sans jamais la faire. [..]

Si l’expérience scientifique consiste à construire une route sûre (une méthodos, une voie) qui mène à la connaissance, la quête conduit au contraire à reconnaître que l’absence de voie (l’aporie) est la seule expérience offerte à l’homme. Mais pour la même raison, la quête est aussi le contraire de l’aventure, qui à l’époque moderne se présente comme le dernier refuge de l’expérience. Car l'aventure présuppose qu'une voie puisse conduire à l'expérience, et que cette voie passe par l'extraordinaire et l'exotique (opposés au familier et au commun) ; alors que, dans l'univers de la quête, l'exotique et l'extraordinaire ne font que symboliser l'essentielle aporie de toute expérience. C'est pourquoi Don Quichotte, qui vit le quotidien et le familier (la Manche, son paysage, ses habitants) sur le mode de l'extraordinaire, est le sujet d'une quête parfaitement semblable à celles du Moyen Age."
G. Agamben

Pourquoi Oliveira n'a rien à fiche des voyages du garçon au Cap Vert ? Pourquoi le récit semble rivé à Lisbonne ?

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Message par Borges Dim 27 Sep 2009 - 20:12

"le cinéma, une saturation de signes magnifiques qui baignent dans la lumière de leur absence d'explication"

oui, merci; doublement impardonnable, je suis. oubli, et manque d'attention, l'énoncé se trouvait dans le texte de BC.


Dernière édition par Borges le Mar 29 Sep 2009 - 18:10, édité 1 fois
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Message par Borges Dim 27 Sep 2009 - 20:13

JM a écrit:
je ne suis pas chez moi, pendant un peu plus de deux semaines)


Bon voyage.

Wink

Merci; pas chez moi, mais avec quelques livres, tout de même.

Wink

C'était un message de JM que j'ai édité alors que je voulais citer; désolé.

(Borges)
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Message par Borges Dim 27 Sep 2009 - 20:21

Oui, Badiou contrairement à Proust pense l'amour avec la vérité.
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Message par Borges Dim 27 Sep 2009 - 20:56

Alberto Caeiro

XXXII - Ontem à Tarde


Ontem à tarde um homem das cidades
Falava à porta da estalagem.
Falava comigo também.
Falava da justiça e da luta para haver justiça
E dos operários que sofrem,
E do trabalho constante, e dos que têm fome,
E dos ricos, que só têm costas para isso.

E, olhando para mim, viu-me lágrimas nos olhos
E sorriu com agrado, julgando que eu sentia
O ódio que ele sentia, e a compaixão
Que ele dizia que sentia.

(Mas eu mal o estava ouvindo.
Que me importam a mim os homens
E o que sofrem ou supõem que sofrem?
Sejam como eu — não sofrerão.
Todo o mal do mundo vem de nos importarmos uns com os outros,
Quer para fazer bem, quer para fazer mal.
A nossa alma e o céu e a terra bastam-nos.
Querer mais é perder isto, e ser infeliz.)

Eu no que estava pensando
Quando o amigo de gente falava
(E isso me comoveu até às lágrimas),
Era em como o murmúrio longínquo dos chocalhos
A esse entardecer
Não parecia os sinos duma capela pequenina
A que fossem à missa as flores e os regatos
E as almas simples como a minha.

(Louvado seja Deus que não sou bom,
E tenho o egoísmo natural das flores
E dos rios que seguem o seu caminho
Preocupados sem o saber
Só com florir e ir correndo.
É essa a única missão no Mundo,
Essa — existir claramente,
E saber faze-lo sem pensar nisso.

E o homem calara-se, olhando o poente.
Mas que tem com o poente quem odeia e ama?


Pour ceux qui lisent le portugais; c'est le poème lu.

Ca rejoint l'idée de Badiou le rapprochement avec Parménide; l'être ne doit pas être pensé; il est ce qu'il est. Le poème donne la poétique du film, et donc sa politique.
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Message par Borges Mar 29 Sep 2009 - 18:27

Pourquoi personne ici n'évoque la dimension politique du film, depuis le poème de Pessoa-Caeiro, le travail, le chômage, la pauvreté; Pessoa n'avait rien de communiste, et pourtant, Badiou (le sachant) lie l'onto-politico-poétique de Caeiro au communisme; que faire des singularités du titre, si on les pense en relation avec ce énoncé de Badiou : "si communisme il y a ce ne peut-être que celui des singularités"(...) Ce qui se présente en politique relève (...) de ce que Alberto Caeiro, l'hétéronyme de Pessoa, appelle une chose. Une chose n'est pas même représentable dans sa différence. Une chose ne donne nulle prise à l'interprétation de sa différence, elle est, très exactement, la même chose que tout autre."

"Etre une chose, c'est ne pas être susceptible d'interprétation"

(Caeiro)

Tous nous cherchons à interpréter le film, mais en disant aussi qu'il n'y a rien à interpréter; derrière le voile et le dévoilement, il y a rien. Cette jeune fille n'est la métaphore de rien; pas plus que l'éventail, la fenêtre...?


Il me semble que c'est autour de ça que l'on tourne, et que c'est cette dimension que distingue BC, dans son opposition des deux temporalités; c'est le monde là, en tant que tel, dans sa pure manifestation, ne donnant lieu ni à l'amour ni à la haine... (pensons au poème lu)

Comme peu lisent ici en portugais Pessoa, le voici en anglais.



Yesterday evening a man of the cities
Talked at the door of the inn.
He talked to me, too.

He talked about justice and the fight for justice
And the workers who suffer,
And constant work, and those who are hungry,
And the rich, who only turn their back to it.

And, looking at me, he saw tears in my eyes
And smiled with sympathy, believing I felt
The hatred he felt, and the compassion
He said he felt.

(But I wasn’t even really listening to him.
What do I care about men
And what they suffer or think they suffer?
Let them be like me—then they wouldn’t suffer.
All the evil in the world comes from us bothering with each other,
Wanting to do good, wanting to do evil.
Our soul and the sky and the earth are enough for us.
To want more is to lose this, and be unhappy.)

What I was thinking about
When the friend of the people talked
(And what moved me to tears),
Was that the distant murmuring of cowbells
That evening didn’t seem like bells of a tiny chapel
Where flowers and brooks were at mass
With simple souls like mine.

(Praise be to God I’m not good,
And have the natural egotism of flowers
And rivers following their bed
Preoccupied without knowing it
Only with blooming and flowing.
This is the only mission in the World,
This—to exist clearly,
And to know how to do it without thinking about it.)

The man stopped talking and was looking at the sunset.
But what does someone who hates and loves want with a sunset?




Comment comprendre que Badiou "se réclame" de Caeiro, qui nous semble envoyer se promener l'ami du peuple et son souci pour les pauvres, les travailleurs, la justice?
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Message par balthazar claes Mer 30 Sep 2009 - 10:01

Pourquoi Oliveira n'a rien à fiche des voyages du garçon au Cap Vert ? Pourquoi le récit semble rivé à Lisbonne ?


Parce que le jeune homme, enfermé qu'il est dans sa perception, dans son univers pauvre en mondes, n'en a rien à fiche de son voyage, est incapable d'aller y voir quelque chose ; pour lui, ce Cap-vert n'existe pas, tout comme le projet de fuite caressé par le héros de Two Lovers n'a aucune réalité et n'aura jamais lieu.


A propos de mon usage de Rancière : ce sont des passages tirés du chapitre "Les paradoxes de l'art politique". JR oppose tout d'abord les deux modèles classiques d'un art à visée politique, il y a d'un côté "la pédagogie incertaine de la médiation représentative", c'est-à-dire le théâtre qui enjoint son public à reconnaître, "sous les formes de la fiction, les comportements des hommes, leurs vertus et leurs vices", "des modèles de pensée ou d'action à imiter ou à fuir", et c'est là la logique de la représentation ; et de l'autre, la pédagogie de "l'immédiateté éthique" : "ce qu'elle oppose aux douteuses leçons de la morale de la représentation, c'est simplement l'art sans représentation, l'art qui ne sépare pas la scène de la performance artistique et celle de la vie collective."

Opposition fondatrice tirée de la "polémique inaugurale de Platon, opposant au mensonge de la mimesis théâtrale, la bonne mimesis : la chorégraphie de la cité en acte, mue par son principe spirituel interne, chantant et dansant sa propre unité", produisant un modèle "archi-éthique".

Ce qui se tient entre les deux, entre le théâtre moral et la chorégraphie de la cité, entre le médiat et l'immédiat, c'est le régime de la suspension, le régime esthétique, celui qui tire une "efficacité paradoxale" du fait même qu'il produit une mise à distance, et même une "double distanciation". On pourrait dire de manière générale que ce mode esthétique, c'est : tout le roman, qui ajoute à la distanciation de l'écriture celle de la fiction. On pourrait dire peut-être aussi que c'est tout le cinéma, en un sens. Ce sont là des catégories très générales, le régime esthétique désigne chez Rancière tout ce qui rentre habituellement dans le champ de la modernité.

Mais ce qui m'a intéressé, et m'a entraîné à pratiquer ce forçage théorique, c'est que les premières descriptions de ce régime esthétique, apparaissent selon Rancière quand certains auteurs du XVIIIème siècle se retournent vers l'art antique, les statues grecques, et en font le motif d'une réflexion sur l'art où l'essentiel est dans la distanciation, précisément parce qu'il y a dans la contemplation de ces oeuvres d'un lointain passé une "suspension de toute relation déterminable entre l'intention d'un artiste, une forme sensible présentée dans un lieu d'art, le regard d'un spectateur et un état de la communauté", et donc brouillage du partage policier du sensible.

C'est là où j'en arrive au point de mon texte où je cite : "ces oeuvres sont désormais séparées des formes de vie qui avaient donné lieu à leur production". Et je ne peux pas m'empêcher d'en faire l'application ironique à celui que je définis dans mon texte comme précisément le presque-mort, le-cinéaste-le-plus-vieux-du-monde, le seul à pouvoir produire des oeuvres au passé antérieur, "désormais séparées des formes de vie qui avaient donné lieu à leur production". Encore : "la double temporalité de la statue grecque, qui est de l'art désormais dans les musées parce qu'elle n'en était pas dans les cérémonies civiques d'antan, définit un double rapport de séparation et de non-séparation entre l'art et la vie".

Au-delà de la boutade, cela renverrait aussi au thème de Godard de la mort du cinéma, sans doute.

Bref aller chercher Rancière ici, pour faire la démonstration que Singularités... relèverait d'un certain art "politique", c'est un peu comme utiliser un marteau pour casser un oeuf, ce n'est pas la meilleure méthode pour donner à voir les singularités de l'oeuf.

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Message par Borges Mer 30 Sep 2009 - 11:30

Pourquoi Oliveira n'a rien à fiche des voyages du garçon au Cap Vert ? Pourquoi le récit semble rivé à Lisbonne ?


Je pense qu'il faut surtout voir " Un film parlé" pour répondre à cette question; et on découvrira que la politique, et le monde selon MdeO, ce n'est pas Badiou, ni Rancière, ni Caeiro, c'est plus proche de la politique de la civilisation de Sarkozy que du cosmopolitisme. "Un film parlé ", l'un des trucs les plus puants réalisés après le fameux 11/9. A vomir; et je reste poli.







Je crois que tu emmêles un peu tout, BC; tu confonds les niveaux d'analyse.


Si tu dois utiliser les catégories de la pensée esthético-politique de Rancière, je crois que MdeO (dans son esprit, et ses intentions, par éthos, et croyance ) fait plutôt dans l'art éthique, représentatif, pédagogique, que dans le régime esthétique.


Mais ce qui m'a intéressé, et m'a entraîné à pratiquer ce forçage théorique, c'est que les premières descriptions de ce régime esthétique, apparaissent selon Rancière quand certains auteurs du XVIIIème siècle se retournent vers l'art antique, les statues grecques, et en font le motif d'une réflexion sur l'art où l'essentiel est dans la distanciation, précisément parce qu'il y a dans la contemplation de ces oeuvres d'un lointain passé une "suspension de toute relation déterminable entre l'intention d'un artiste, une forme sensible présentée dans un lieu d'art, le regard d'un spectateur et un état de la communauté", et donc brouillage du partage policier du sensible.

C'est là où j'en arrive au point de mon texte où je cite : "ces oeuvres sont désormais séparées des formes de vie qui avaient donné lieu à leur production". Et je ne peux pas m'empêcher d'en faire l'application ironique à celui que je définis dans mon texte comme précisément le presque-mort, le-cinéaste-le-plus-vieux-du-monde, le seul à pouvoir produire des oeuvres au passé antérieur, "désormais séparées des formes de vie qui avaient donné lieu à leur production". Encore : "la double temporalité de la statue grecque, qui est de l'art désormais dans les musées parce qu'elle n'en était pas dans les cérémonies civiques d'antan, définit un double rapport de séparation et de non-séparation entre l'art et la vie".

Faut pas confondre ces analyses, qui ne sont pas spécifiquement de Rancière (de vrais lieux communs de l'histoire de l'art) et l'attitude réactionnaire de Oliveira.


Vois "Singularités" depuis "Un film parlé"; c'est là qu'il thématise ces questions, ces problèmes classiques de notre rapport aux œuvres passées, séparées des formes de vies qui leur avaient donné naissance...."


J'ai beaucoup aimé les "singularités".
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Message par balthazar claes Mer 30 Sep 2009 - 12:34

ah scratch

Appliquer en toute naïveté de la pensée de gauche sur des artistes de droite ça doit être une de mes spécialités, déjà dans le temps je m'efforçais de retrouver Deleuze chez Rohmer.

En somme par exemple chez les deux cinéastes je vois mis en jeu un certain régime de contemplation, une possibilité de contemplation ouverte par une mise en suspens du sens, une façon de rompre avec certaines "évidences sensibles", celles qui relèvent du consensuel de Rancière (tel que je l'entends). Par exemple L'Astrée c'est un échec dans cette démarche, parce que ça renoue totalement, contrairement à Perceval, avec l'hypothèse d'un donné sensible naturel, irréfutable. Par contre dès que dans un film je trouve un effet d'étrangeté impossible à localiser, une espèce de glaciation générale produite par une mise à distance délibérée, c'est-à-dire un refus des effets de naturel et de naturalisme, j'ai tendance à sauter au plafond ; c'est là que moi je tombe dans la fascination, et que je me mets à vouloir défendre à tout prix mon bon objet, si pur, si propre, si froid. I guess.

D'autre part, à partir de là, le film poursuit son parcours dans ma tête, de plus en plus éloigné de sa matérialité, de plus en plus à apte à venir se loger dans la théorie qu'on voudra, ce n'est plus un film mais une idée de bon film. Ah, la fascination... Tout de même je le trouve chouette ce film, j'espère que ce n'est pas dû uniquement à une tendance à approuver béatement les effets de maîtrise.

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Message par Invité Jeu 1 Oct 2009 - 19:31

D'accord avec toi pour "Un film parlé" Borges.

Le Cap Vert, c'est l'histoire coloniale du Portugal en Afrique. Peut-on penser une seconde quelle idée Oliveira se fait d'un type qui part là-bas pour se faire du fric rapidement (on ne sait trop comment) puis revient ? En s'aidant aussi de sa position à propos du passé colonial du pays dans "Christophe Colomb", on peut sans doute se faire une vague idée..


Oliveira semble avoir été marqué par un cheval, une statue de cheval plus précisément.

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Message par Eyquem Jeu 1 Oct 2009 - 20:07

JM a écrit:
on peut sans doute se faire une vague idée..
Mais dis-moi, tu ne serais pas en train de nous faire une coquetterie mallarméenne, JM ?
(c'est au moins le 5e message où tu mets deux points de suspension au lieu de 3...)
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Message par balthazar claes Sam 3 Oct 2009 - 16:10

Singularités d'une autre jeune fille blonde :

https://www.youtube.com/watch?v=4aEW_Z5Va5s


On note le motif similaire de l'« encadrement » dans la scène de la cage ; c'est parce que l'objet est encadré, détaché, prélevé qu'il devient l'obscur objet du désir : l'objet scopique de Lacan. Pour Lacan, l'entrée dans l'Imaginaire se fait par le registre scopique, alors que l'entrée dans le Symbolique se fait par la Voix. Par exemple chez MdO le silence de l'oncle - figure paternelle, ses revirements sans justification, peuvent s'interpréter comme défaillance de la Voix, et privation de l'accès au registre symbolique pour Macario, qui n'entend pas le poème récité. C'est pourquoi il se retrouve à surinvestir le mode scopique et donc le registre de l'imaginaire. Puis ayant subi la perte de son objet, enfin castré, il pourra parler, avoir son propre récit.

Mais dans le cas cité ci-dessus il y a pourtant voix, la voix étant même le prétexte, la justification de l'image. Or que nous dit-on : il y a là l'histoire d'une femme se plaignant d'être traitée comme objet, traitée par l'homme comme dépendance rattachée à la maison et aux tâches ménagères ; excédée, elle décide pour se venger de sortir un soir, de trouver un autre partenaire sexuel pour torturer son conjoint par le récit de cette infidélité. C'est la revendication d'un féminin sauvage, bacchique dyonysiaque, comme résistance au phallocentrisme ordonnateur et exploiteur : la part animale de la féminité apparaît pendant la pleine lune, « there's a she wolf in your closet ». On a là un « féminisme » qui veut remplacer la femme-objet utilitaire et exploitée par une femme-animal irrationnelle, impétueuse et lubrique. A quelle distance se tient-on alors de MdO et de sa pie voleuse ?


En ce qui concerne la figure du voile, on a ici deux manières : le voile troué et le voile couleur chair, dans les deux cas on a production d'une indiscernabilité, d'un brouillage entre le voile et le dévoilement : là aussi le voile ne dissimule visiblement « rien ». L'objet a ne se rencontre pas, il n'existe qu'enveloppé dans un écrin. A mesure que l'écrin se réduit, l'objet semble se rapprocher, être à portée de main, l'hallucination n'en est que plus forte. Nous avons là certaines caractéristiques de l'exploitation libidinale : règne de l'imaginaire, régime de la pulsion scopique, échec de la castration par la perte de la Voix, hallucination de l'objet dévoilé.

balthazar claes

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Message par Borges Mar 6 Oct 2009 - 12:15

balthazar claes a écrit:Singularités d'une autre jeune fille blonde :

https://www.youtube.com/watch?v=4aEW_Z5Va5s


On note le motif similaire de l'« encadrement » dans la scène de la cage ; c'est parce que l'objet est encadré, détaché, prélevé qu'il devient l'obscur objet du désir : l'objet scopique de Lacan. Pour Lacan, l'entrée dans l'Imaginaire se fait par le registre scopique, alors que l'entrée dans le Symbolique se fait par la Voix. Par exemple chez MdO le silence de l'oncle - figure paternelle, ses revirements sans justification, peuvent s'interpréter comme défaillance de la Voix, et privation de l'accès au registre symbolique pour Macario, qui n'entend pas le poème récité. C'est pourquoi il se retrouve à surinvestir le mode scopique et donc le registre de l'imaginaire. Puis ayant subi la perte de son objet, enfin castré, il pourra parler, avoir son propre récit.

Mais dans le cas cité ci-dessus il y a pourtant voix, la voix étant même le prétexte, la justification de l'image. Or que nous dit-on : il y a là l'histoire d'une femme se plaignant d'être traitée comme objet, traitée par l'homme comme dépendance rattachée à la maison et aux tâches ménagères ; excédée, elle décide pour se venger de sortir un soir, de trouver un autre partenaire sexuel pour torturer son conjoint par le récit de cette infidélité. C'est la revendication d'un féminin sauvage, bacchique dyonysiaque, comme résistance au phallocentrisme ordonnateur et exploiteur : la part animale de la féminité apparaît pendant la pleine lune, « there's a she wolf in your closet ». On a là un « féminisme » qui veut remplacer la femme-objet utilitaire et exploitée par une femme-animal irrationnelle, impétueuse et lubrique. A quelle distance se tient-on alors de MdO et de sa pie voleuse ?


En ce qui concerne la figure du voile, on a ici deux manières : le voile troué et le voile couleur chair, dans les deux cas on a production d'une indiscernabilité, d'un brouillage entre le voile et le dévoilement : là aussi le voile ne dissimule visiblement « rien ». L'objet a ne se rencontre pas, il n'existe qu'enveloppé dans un écrin. A mesure que l'écrin se réduit, l'objet semble se rapprocher, être à portée de main, l'hallucination n'en est que plus forte. Nous avons là certaines caractéristiques de l'exploitation libidinale : règne de l'imaginaire, régime de la pulsion scopique, échec de la castration par la perte de la Voix, hallucination de l'objet dévoilé.


-Hello BC; je ne sais pas à quel point ton texte est sérieux; il y a pas mal de pistes, mais ton usage des concepts de Lacan est assez libre, je dois dire. Le symbolique c'est pas une affaire de Voix, mais de Loi, de signifiant, de culture, de parole, de pacte, de contrat...ne pas entrer dans le symbolique, c'est ne pas être humain; le partage imaginaire/symbolique, recoupe le partage humanité/animalité...(grand "débat" entre Derrida et Lacan sur ce sujet)...Macario est dans le symbolique (le travail, les comptes, rien de plus symbolique que le mathématique, les chiffres, les comptes, l'échange...) il en est distrait par la captation imaginaire, cette pure apparition...

-Le rapprochement avec le clip et la chanson (superbe; une de mes chansons favorites du moment; je peux pleurer, si je me laisse aller, lors du refrain;) de Shakira est tout de même tiré par les cheveux; je me demande si t'es sérieux; c'est pas du tout le même univers; c'est un thème classique, nous sommes dans l'imaginaire (la femme proche des bêtes, de la nature, sorcières...); on pense au célèbre livre "femmes qui courent avec les loups"; on est tout de même plus proche de la féline que des singularités...





Pour une approche psy-lacanienne, je crois que ce texte dit l'essentiel; la jeune fille est un kinder surprise; il faut suivre le mouvement qui mène de la surprise à la merde.



"
Passion du réel, passion du semblant

Slavoj Zizek [*]

Les Kinder Surprise – des coquilles d’œuf en chocolat vides enveloppées dans un papier aux couleurs vives – sont une des friandises les plus populaires d’Europe. Quand on les ouvre, on trouve à l’intérieur un petit jouet en plastique (ou des petites parties à assembler pour construire le jouet). La plupart du temps, l’enfant qui a acheté cet œuf s’empresse de l’ouvrir et de casser la coquille sans se soucier de manger le chocolat, uniquement anxieux de découvrir le jouet qui se cache au centre. Un tel amateur de chocolat n’illustre-t-il pas parfaitement la formule de Lacan : « Je t’aime, mais parce que, inexplicablement, j’aime en toi quelque chose plus que toi, l’objet a, je te mutile [2] » ? En effet, ne peut-on pas dire que ce jouet est le fameux objet a de Lacan, le petit objet qui remplit le vide au cœur du vide de notre désir, le mystérieux trésor au centre de la chose que nous désirons ?

Le vide matériel au centre de l’œuf en chocolat représente ce trou structurel qui explique qu’aucun objet n’est jamais « ça », qu’aucun produit ne satisfait les attentes qu’il avait suscitées. Le Kinder Surprise nous offre donc la formule de tous ces produits qui promettent toujours plus : « Achetez ce magnétoscope et recevez cinq dvd gratuits » ; ou bien, d’une manière encore plus explicite, voyez ces annonces qui promettent toujours plus du même : « Achetez ce dentifrice et bénéficiez d’un tiers de produit supplémentaire gratuit », sans parler de l’astuce à laquelle recourt Coca Cola sur ses bouteilles : « Regardez sous la capsule et découvrez que vous êtes peut-être l’heureux gagnant d’un de ces prix, une autre bouteille de Coca Cola ou une voiture neuve. » Ce plus vise à remplir le manque que crée un moins, à compenser le fait que, par définition, une marchandise ne réalise jamais ses promesses (fantasmatiques). En d’autres termes, l’ultime véritable marchandise serait celle qui n’aurait besoin d’aucun supplément, celle qui serait à la hauteur de ses promesses : « Vous en avez pour votre argent, ni plus ni moins. »

Ce vide au cœur de la friandise, ce vide qu’elle entoure a une longue histoire. Dans l’Angleterre élisabéthaine, le terme void désignait une confiserie, souvent en forme d’animal et vide en son milieu (plus tard, le terme désigna la pièce où se retiraient les convives pour déguster cette confiserie). On est tenté de relier cet emploi du terme void à l’aube de la modernité, à l’invention du zéro, invention qui, comme le remarque Brian Rotman, est liée à l’expansion des échanges de marchandises, au moment où la production des marchandises devient la forme hégémonique des productions, de telle sorte qu’il apparaît que le lien entre le vide (void) et la marchandise a toujours existé. Dans son analyse désormais classique du vase grec, « la Chose » que Lacan reprend dans L’éthique de la psychanalyse, Heidegger souligne que, en tant que chose emblématique, le vase se forme autour d’un vide central, n’est que le contenant de ce vide. On peut voir dans le vase grec et dans le Kinder Surprise deux moments de la Chose dans l’histoire occidentale, la Chose sacrée en son début, et la minable marchandise en sa fin : le Kinder Surprise est notre vase.

N’y a-t-il pas une nette homologie entre la structure de la marchandise telle que nous venons de la définir et celle du sujet universel moderne ? Le sujet des droits universels ne fonctionne-t-il pas comme un Kinder Surprise ? En France, il est encore possible de s’acheter un gâteau au nom raciste de « tête de Nègre » (une boule de chocolat vide comme la tête d’un Nègre) ; la réplique humaniste et universaliste à cette « tête de Nègre » ne serait-elle pas précisément une sorte de Kinder Surprise ? Avec les humains, le chocolat est tantôt noir, tantôt blanc, avec ou sans noisettes, mais à l’intérieur il y a toujours le même jouet en plastique (contrairement aux Kinder Surprise où c’est le jouet qui varie à l’intérieur d’une enveloppe qui reste toujours identique). Bien sûr, le jouet caché subira diverses perversions idéologiques : ceux qui croient en l’Amérique seront secrètement persuadés que, une fois débarrassés du chocolat sous toutes ses variations ethniques, ils trouveront immanquablement un jouet en plastique américain, même s’il est made in China. Tout au fond, sous notre peau, nous voulons tous être américains. L’humaniste moins ouvertement idéologique le formulerait de façon plus cryptique : nous sommes indéfiniment différents, certains sont noirs, d’autres blancs, certains sont grands, d’autres petits, certains sont de sexe féminin, d’autres de sexe masculin ; mais, au fond de chacun d’entre nous, sommeille le même équivalent moral du jouet en plastique, le même « je ne sais quoi », un X intangible qui explique la dignité de tous les humains.

Il existe bien évidemment une façon opposée d’exploiter l’exemple des Kinder Surprise et qui consisterait à souligner que si l’emballage est toujours identique, en revanche le jouet est toujours différent (ce qui justifie le nom de Kinder Surprise). Il en est de même avec les êtres humains. Ils se ressemblent, mais au fond gît le mystère du psychisme, en chacun une richesse intérieure insondable. Ce mystérieux X, ce trésor de l’être intérieur, peut tout aussi bien se révéler une monstruosité excrémentielle. L’association anale se justifie pleinement : la forme brute que prend cet intérieur est celle de la merde informe. Le petit enfant qui offre ses fèces a trouvé là un équivalent de son facteur X. Présenter les excréments comme la première forme de présent, comme l’objet intime que l’enfant offre à ses parents n’était pas de la part de Freud si naïf qu’il ne pourrait paraître. On sous-estime souvent, dans cette affaire, que ce morceau de moi-même que j’offre à l’autre oscille radicalement entre le sublime et l’excrémentiel (et non pas simplement le ridicule). D’après Lacan, un des traits qui distinguent l’homme de l’animal, c’est précisément le fait que l’évacuation de la merde pose un problème, non pas en raison de sa puanteur mais de son origine intérieure. Si les animaux ne connaissent pas ce problème, c’est parce qu’ils n’ont pas d’« intérieur » comme les humains. On peut penser ici à Otto Weininger qui, dans des fragments posthumes publiés sous le titre Ueber die letzten Dinge, désignait la lave comme « der Dreck der Erde ». Ce qui vient de l’intérieur est mauvais, criminel : « Das Innere des Koerpers ist sehr verbrecherisch ». On remarque ici la même ambiguïté spéculative qui entoure le pénis, organe de la miction et de la procréation : l’extériorisation de l’intérieur est toujours dégoûtante. On trouve l’équivalent de cette merde extériorisée dans le monstre qui colonise le corps humain, le pénétrant et le dominant de l’intérieur et qui, au point culminant du film de science-fiction, va surgir du corps par la bouche ou, mieux, par le torse. Hidden en propose une illustration plus probante encore que le Alien de Ridley Scott. Dans son film, Jack Sholder nous montre une créature en forme de gros ver qui sort du corps et ressemble à un étron : l’association anale est encore plus évidente dans la mesure où la créature contraint les humains qu’elle a pénétrés à manger voracement et roter de la manière la plus répugnante."







Le grand poème de Pessoa, où il est question de chocolat, de fenêtre, de métaphysique, et de train, de déchirement entre la vie quotidienne et le rêve, de rien...d'un dialogue avec Descartes, sur la certitude, l'être, la pensée, la folie...




Bureau de Tabac


Je ne suis rien
Jamais je ne serai rien.
Je ne puis vouloir être rien.
Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde.

Fenêtres de ma chambre,
de ma chambre dans la fourmilière humaine unité ignorée
(et si l'on savait ce qu'elle est, que saurait-on de plus ?),
vous donnez sur le mystère d'une rue au va-et-vient continuel,
sur une rue inaccessible à toutes les pensées,
réelle, impossiblement réelle, précise, inconnaissablement précise,
avec le mystère des choses enfoui sous les pierres et les êtres,
avec la mort qui parsème les murs de moisissure et de cheveux blancs les humains,

avec le destin qui conduit la guimbarde de tout sur la route de rien.

Je suis aujourd'hui vaincu, comme si je connaissais la vérité;
lucide aujourd'hui, comme si j "étais à l'article de la mort,
n'ayant plus d'autre fraternité avec les choses
que celle d'un adieu, cette maison et ce côté de la rue
se muant en une file de wagons, avec un départ au sifflet venu du fond de ma tête,
un ébranlement de mes nerfs et un grincement de mes os qui démarrent.


Je suis aujourd'hui perplexe. comme qui a réfléchi, trouvé, puis oublié.
Je suis aujourd'hui partagé entre la loyauté que je dois
au Bureau de Tabac d'en face, en tant que chose extérieurement réelle
et la sensation que tout est songe, en tant que chose réelle vue du dedans.

J'ai tout raté.
Comme j'étais sans ambition, peut-être ce tout n'était-il rien.
Les bons principes qu'on m'a inculqués,
je les ai fuis par la fenêtre de la cour.
Je m'en fus aux champs avec de grands desseins,
mais là je n'ai trouvé qu'herbes et arbres,
et les gens, s'il y en avait, étaient pareils à tout le monde.
Je quitte la fenêtre, je m'assieds sur une chaise. A quoi penser ?

Que sais-je de ce que je serai, moi qui ne sais pas ce que je suis ?
Etre ce que je pense ? Mais je crois être tant et tant !
Et il y en a tant qui se croient la même chose qu'il ne saurait y en avoir tant !
Un génie ? En ce moment
cent mille cerveaux se voient en songe génies comme moi-même
et l'histoire n'en retiendra, qui sait ? même pas un ;
du fumier, voilà tout ce qui restera de tant de conquêtes futures.
Non, je ne crois pas en moi.
Dans tous les asiles il est tant de fous possédés par tant de certitudes !
Moi, qui de certitude n'ai point, suis-je plus assuré, le suis-je moins ?
Non, même pas de ma personne...
En combien de mansardes et de non-mansardes du monde
n'y a-t-il à cette heure des génies-pour-soi-même rêvant ?
Combien d'aspirations hautes, lucides et nobles -
oui, authentiquement hautes, lucides et nobles -
et, qui sait ? réalisables, peut-être...
qui ne verront jamais la lumière du soleil réel et qui
tomberont dans l'oreille des sourds ?

Le monde est à qui naît pour le conquérir,
et non pour qui rêve, fût-ce à bon droit, qu'il peut le conquérir.
J'ai rêvé plus que jamais Napoléon ne rêva.
Sur mon sein hypothétique j'ai pressé plus d'humanité que le Christ,
j'ai fait en secret des philosophies que nul Kant n'a rédigées,
mais je suis, peut-être à perpétuité, l'individu de la mansarde,
sans pour autant y avoir mon domicile :
je serai toujours celui qui n'était pas né pour ça ;
je serai toujours, sans plus, celui qui avait des dons ;
je serai toujours celui qui attendait qu'on lui ouvrît la porte
auprès d'un mur sans porte
et qui chanta la romance de l'Infini dans une basse-cour,
celui qui entendit la voix de Dieu dans un puits obstrué.
Croire en moi ? Pas plus qu'en rien...
Que la Nature déverse sur ma tête ardente
son soleil, sa pluie, le vent qui frôle mes cheveux ;
quant au reste, advienne que pourra, ou rien du tout...

Esclaves cardiaques des étoiles,
nous avons conquis l'univers avant de quitter nos draps,
mais nous nous éveillons et voilà qu'il est opaque,
nous nous éveillons et voici qu'il est étranger,
nous franchissons notre seuil et voici qu'il est la terre entière,
plus le système solaire et la Voie lactée et le Vague Illimité.

(Mange des chocolats, fillette ;
mange des chocolats !
Dis-toi bien qu'il n'est d'autre métaphysique que les chocolats,
dis-toi bien que les religions toutes ensembles n'en apprennent
pas plus que la confiserie.
Mange, petite malpropre, mange !
Puissé-je manger des chocolats avec une égale authenticité !
Mais je pense, moi, et quand je retire le papier d'argent, qui d'ailleurs est d'étain,
je flanque tout par terre, comme j'y ai flanqué la vie.)

Du moins subsiste-t-il de l'amertume d'un destin irréalisé
la calligraphie rapide de ces vers,
portique délabré sur l'Impossible,
du moins, les yeux secs, me voué-je à moi-même du mépris,
noble, du moins, par le geste large avec lequel je jette dans le mouvant des choses,
sans note de blanchisseuse, le linge sale que je suis
et reste au logis sans chemise.

(Toi qui consoles, qui n'existes pas et par là même consoles,
ou déesse grecque, conçue comme une statue douée du souffle,
ou patricienne romaine, noble et néfaste infiniment,
ou princesse de troubadours, très- gente et de couleurs ornée,
ou marquise du dix-huitième, lointaine et fort décolletée,
ou cocotte célèbre du temps de nos pères,
ou je ne sais quoi de moderne - non, je ne vois pas très bien quoi -
que tout cela, quoi que ce soit, et que tu sois, m'inspire s'il se peut !
Mon coeur est un seau qu'on a vidé.
Tels ceux qui invoquent les esprits je m'invoque
moi-même sans rien trouver.
Je viens à la fenêtre et vois la rue avec une absolue netteté.
Je vois les magasins et les trottoirs, et les voitures qui passent.
Je vois les êtres vivants et vêtus qui se croisent,
je vois les chiens qui existent eux aussi,
et tout cela me pèse comme une sentence de déportation,
et tout cela est étranger, comme toute chose. )

J'ai vécu, aimé - que dis-je ? j'ai eu la foi,
et aujourd'hui il n'est de mendiant que je n'envie pour le seul fait qu'il n'est pas moi.
En chacun je regarde la guenille, les plaies et le mensonge
et je pense : « peut-être n'as-tu jamais vécu ni étudié, ni aimé, ni eu la foi »
(parce qu'il est possible d'agencer la réalité de tout cela sans en rien exécuter) ;
« peut-être as-tu à peine existé, comme un lézard auquel on a coupé la queue,
et la queue séparée du lézard frétille encore frénétiquement ».

J'ai fait de moi ce que je n'aurais su faire,
et ce que de moi je pouvais faire je ne l'ai pas fait.
Le domino que j'ai mis n'était pas le bon.
On me connut vite pour qui je n'étais pas, et je n'ai pas démenti et j'ai perdu la face.
Quand j'ai voulu ôter le masque
je l'avais collé au visage.
Quand je l'ai ôté et me suis vu dans le miroir,
J'avais déjà vieilli.
J'étais ivre, je ne savais plus remettre le masque que je n'avais pas ôté.
Je jetai le masque et dormis au vestiaire
comme un chien toléré par la direction
parce qu'il est inoffensif -
et je vais écrire cette histoire afin de prouver que je suis sublime.

Essence musicale de mes vers inutiles,
qui me donnera de te trouver comme chose par moi créée,
sans rester éternellement face au Bureau de Tabac d'en face,
foulant aux pieds la conscience d'exister,
comme un tapis où s'empêtre un ivrogne,
comme un paillasson que les romanichels ont volé et qui ne valait pas deux sous.

Mais le patron du Bureau de Tabac est arrivé à la porte, et à la porte il s'est arrêté.
Je le regarde avec le malaise d'un demi-torticolis
et avec le malaise d'une âme brumeuse à demi.
Il mourra, et je mourrai.
Il laissera son enseigne, et moi des vers.
A un moment donné mourra également l'enseigne, et
mourront également les vers de leur côté.
Après un certain délai mourra la rue où était l'enseigne,
ainsi que la langue dans laquelle les vers furent écrits.
Ensuite mourra la planète tournante où tout cela est arrivé.
En d'autres satellites d'autres systèmes cosmiques, quelque chose
de semblable à des humains
continuera à faire des espèces de vers et à vivre derrière des manières d'enseignes,
toujours une chose en face d'une autre,
toujours une chose aussi inutile qu'une autre,
toujours une chose aussi stupide que le réel,
toujours le mystère au fond aussi certain que le sommeil du mystère de la surface,
toujours cela ou autre chose, ou bien ni une chose ni l'autre.

Mais un homme est entré au Bureau de Tabac (pour acheter du tabac ?)
et la réalité plausible s'abat sur moi tout soudain.
Je me soulève à demi, énergique, convaincu, humain,
et je vais méditer d'écrire ces vers où c'est l'inverse que j'exprime.
J'allume une cigarette en méditant de les écrire
et je savoure dans la cigarette une libération de toutes les pensées.
Je suis la fumée comme un itinéraire autonome, et je goûte, en un moment sensible et compétent,
la libération en moi de tout le spéculatif
et la conscience de ce que la métaphysique est l'effet d'un malaise passager.

Ensuite je me renverse sur ma chaise
et je continue à fumer
Tant que le destin me l'accordera je continuerai à fumer.

(Si j'épousais la fille de ma blanchisseuse,
peut-être que je serais heureux.)
Là-dessus je me lève. Je vais à la fenêtre.

L'homme est sorti du bureau de tabac (n'a-t-il pas mis la
monnaie dans la poche de son pantalon?)
Ah, je le connais: c'est Estève, Estève sans métaphysique.
(Le patron du bureau de tabac est arrivé sur le seuil.)
Comme mû par un instinct sublime, Estève s'est retourné et il m'a vu.
Il m'a salué de la main, je lui ai crié: "Salut Estève !", et l'univers
s'est reconstruit pour moi sans idéal ni espérance, et le
patron du Bureau de Tabac a souri."



Comme je suis touché par ce poème, juste après avoir écouté Shakira.

Là-dessus je me lève. Je vais à la fenêtre.
Borges
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Message par Eyquem Mar 6 Oct 2009 - 17:23

un commentaire sur YouTube
pinsimori (il y a 28 minutes)

oh shakira. I love this girl.
but i still cant make out the reason you are dancing around like a spastic in what appears to be a sparkling intestinal tract.
lol
Y en a déjà un qui lui a collé "-1" : on voit qu'il a pas lu Zizek.
Eyquem
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Message par wootsuibrick Mer 7 Oct 2009 - 3:40

"D’après Lacan, un des traits qui distinguent l’homme de l’animal, c’est précisément le fait que l’évacuation de la merde pose un problème, non pas en raison de sa puanteur mais de son origine intérieure. Si les animaux ne connaissent pas ce problème, c’est parce qu’ils n’ont pas d’« intérieur » comme les humains. "

et les chats dans tout ça?
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Message par balthazar claes Jeu 8 Oct 2009 - 18:00

Hello Borges,

Oui, très libéré mon usage ; il y a une distinction que j'essaie de faire entre le regard et la voix, ou bien le visuel et le sonore ; quand j'utilise "imaginaire" et "symbolique" je ne sais pas trop ce que ces termes désignent exactement. J'ai juste lu quelque part cette phrase (d'un commentateur) "l'accès à l'Imaginaire est rendu possible par l'objet scopique, l'accès au symbolique par la Voix". Evidemment, le symbolique, tout les hommes y sont déjà parvenus, y compris le président Schreber. J'en étais juste à remarquer une chose : pas bien fini, le Macario. Quand il est en présence de son aimée, il bafouille pitoyablement, il ne sait pas parler. C'est un adolescent attardé, comme le héros de Two Lovers. C'est comme s'il avait manqué son rituel de passage à l'âge adulte, un rituel qui lui permettrait de donner du poids à sa parole. Le rituel finalement, ce sera son aventure avec Luisa. Car après ça il pourra au moins en faire le récit, il aura une histoire à raconter, l'histoire de la perte de ses illusions.

On peut autour de ces remarques opposer le regard et la parole, un regard de trop pour une parole qui manque, en rapport avec cette question de la maturité sociale, et de ce que MdO lui-même pense sans doute comme "vertu virile" ; la question étant tout autre en ce qui concerne la jeune fille. La question n'est d'ailleurs pas tant celle de la voix que celle d'un récit, d'une histoire portée par la voix et qui lui donne un motif, un prétexte. Car par exemple l'oncle n'est pas muet, il dit "non", puis "oui", ce qui manque c'est la raison de ses sentences. Il manque une raison, comme dans le comportement de Luisa.


A propos, mon texte mis sur le blog a comme problème de ne pas savoir ce qu'est exactement un moraliste. Rancière dit que c'est un prescripteur : par le bon exemple et le mauvais montrés dans leurs actes et leurs conséquences, il se propose d'inciter le public à améliorer ses moeurs. Rohmer revendique être moraliste ; peut-on en dire autant de MdO. A propos du Beau Mariage, un Rohmer typique, Daney disait que s'y affrontaient le Bien et le Mal, le Mal étant l'artificieux théâtre et le Bien l'irréprochablement objectif cinéma. Le Mal c'était le langage, qui rend possible le mensonge, la séduction, l'erreur et les folies de l'imagination. Le Mal c'est quand le langage tend à s'éloigner du vrai, quand le mot tend à se décoller de la chose : c'est pourquoi mieux vaut généralement ne pas trop parler, ne pas engager sa parole inconsidérément.

Or dans Singularités... c'est de l'oeil que vient le mal, et la parole fait défaut. MdO nous montre ici une chute qui précède la parole. De cette chute originelle il n'y a nulle morale à tirer ; c'est ainsi ; l'oeuvre n'invite pas à adopter des moeurs plus pures, mais plutôt à abandonner toute illusion sur la morale. Malgré toute la bonne moralité de Macario, sa chute est inévitable ; et sa chute c'est la femme, figure en soi démoniaque. En un sens le film nous invite seulement à nous mortifier sur la part irrémédiablement pervertie de la nature humaine.

Le récit final de Macario est, de son point de vue à lui, moral : ne pas se fier aux apparences, la plus belle femme peut se révéler la plus mauvaise, l'intérieur et l'extérieur ne sont pas en rapport, tout ce qui brille n'est pas or, etc. Mais faisant son récit, il reste encore le naïf qu'il était au début ; de naïf optimiste il est devenu naïf pessimiste, toujours coincé dans les images d'Epinal. Mais le film, lui, insiste sur le côté irrémédiable de cette chute. En quelque sorte il fait un pas de plus dans la descente vers les profondeurs : il descend dans le puits du temps, et c'est la jauge de la mort qui lui sert à évaluer ce qu'il en est des apparences et de la vérité. Ce n'est pas le point de vue de Sirius, c'est celui de Pluton, à partir duquel ce ne sont pas seulement les apparences qui révèlent leur vanité, mais aussi l'autre côté des choses, les vérités profondes de la morale : tout cela finira également enterré. C'est là la sagesse de "Bureau de tabac". La "pathologie" (comme dit MdO) de Luisa n'entre pas dans les catégories morales, elle est un Mal qui remonte à la nature première, archaïque de l'homme et sur laquelle la raison n'a aucune prise ; la parole ne saurait faire plus que d'en rendre compte ; Luisa n'est pas un mauvais exemple, elle est, c'est tout.

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Message par Borges Jeu 8 Oct 2009 - 18:19

Hello, je vois plus clair; je vais lire, et répondre.




"L'essentiel est que nous sachions voir,
voir sans penser
Voir quand on voit
Et non pas penser quand on voit
Ni voir quand on pense"

(Pessoa)



Ah, chez moi voir est une pervesion sexuelle.

(Pessoa)


Oui, Luisa est, il faut juste arriver à la voir, comme elle est; mais alors ne pas l'aimer, ni la détester; c'est la morale immanente du film; le fameux dire "oui" à l'être de l'étant.
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Message par balthazar claes Jeu 8 Oct 2009 - 19:53

Lumineuse interprétation de Maurice Darmon (©️Careful):

C'est l'histoire que se rejoue un homme qui a voulu, sur un coup de tête, rêver sa vie comme dans un film, et c'est l'histoire du prix que peut coûter semblable production: inévitablement il s'agit de se lancer dans l'aventure, fréquenter les soirées mondaines et les cocktails chez des notaires ou la tartufferie des cercles littéraires, jouer à la roulette en fermant aussi longtemps que possible les yeux sur les larcins de la vulgaire petite voleuse — que deviendrait le rêve si je me mettais à percevoir? —, abandonner la confortable sécurité du comptable, rompre avec sa famille qui ne veut pas entendre parler d'un rejeton cinéaste, se contenter d'une chambre sordide dans un hôtel borgne pour y écrire son scénario, croire aux amis, monter des combinaisons compliquées pour réunir l'argent nécessaire à la romance, déifier la starlette, ouvertement kleptomane pourtant, et s'aveugler (ou s'hypnotiser) à son tour pour l'amour d'un accessoire éventail, devoir sortir encore et toujours son portefeuille pour régler la note du projet avorté et des caprices de la star déchue, c'est la fin du film, le retour à l'ordinaire. Alors, des rails vers l'infini plein la mémoire, nous quittons le cinéma.

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Message par Le_comte Ven 9 Oct 2009 - 19:06

Pas encore vu le film, vous lire en donne plus qu'envie. Comment le voir quand on est belge ? Quelqu'un a un truc ?

Sinon, j'ai vu Un film parlé, que j'ai récupéré sur ebay par chance il y a une semaine, et c'est effectivement assez...comment dire... mauvais (pardon) ; je n'ai pas compris ce tourisme cinématographique grotesque. Bref, a+

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Message par ^x^ Ven 9 Oct 2009 - 20:28

Pourtant il se trouve tout près de chez toi...
^x^
^x^

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Message par Le_comte Lun 12 Oct 2009 - 11:19

Je ne vais ici qu'ajouter des graviers à l'édifice de cette brillante discussion, grâce à laquelle j'ai encore beaucoup appris (merci).

Peut-être que Luisa est une fleur qui cherche à rayonner le plus longtemps possible, sa singularité réside aussi dans cette volonté d'être elle-même dans le regard de l'autre, en l'occurrence Macario. Elle s'est s'y sent bien, elle oublie sa kleptomanie pour vivre comme une fleur. J'ai beaucoup pensé aux estampes japonaises, dans lesquelles la femme et la fleur forment souvent une seule et même entité. Le magnifique poème de Caerio pourrait résonner dans ce sens, comme vous l'avez bien montré je crois. Le rêve d'Oliveira est de retrouver cette simplicité, ce fait que les choses sont ce qu'elles sont, où ce qu'elles devraient être dans leur pureté, leur idéalité sensible donc.

Mais ce rêve est illusoire, ce rêve du cinéma, ce rêve de l'artiste, de l'amoureux, qui pensent tenir cette perfection incarnée. La fleur fane, irrémédiablement, elle se recroqueville sur elle-même dans l'attente du nouvelle saison (le superbe plan final). Or, on peut pas dire qu'on soit entièrement dans l'apparence, que Luisa soit l'objet d'un fantasme; elle a cru a l'amour, cru à sa possible éclosion fleur pessoenne (le superbe plan de la jambe relevée dit tout). Ce sont les deux temporalités que dégage BC, ou la confrontation entre l'idéalité et les "affaires" sensibles (la scène de la table, où l'harmonie est brisée par une dissonance). Borges parle bien de Pessoa, j'ai du mal à rebondir dessus, et notamment sur le texte de Badiou : le film d'Oliveira pense-t-il à hauteur de Pessoa ? Ce n'est pas impossible, plutôt Pessoa que Caerio alors, en sachant que l'ontologie de ce dernier n'est pas atteinte.

La beauté du film réside alors dans cet écart qui nait, à la fin, entre Macario et Luisa. Deux singularités. Lui non plus ne vivra pas comme une fleur. Comme tous les artistes, rêveurs, cinéastes et hommes "mystiques", perdre la beauté, découvrir sa vérité cachée, entraîne un geste violent, un reniement sec et douloureux. Je n'ai jamais vu une telle précision dans l'approche. On pense bien sûr à Mort à Venise, que le film de Oliveira, pour moi, dépasse. Ce n'est pas la mort qui pointe au bout de l'histoire, mais la violence, la résignation déçue. Le retour vers une vie sans goût.

La beauté (bis) du film, on la retrouve aussi dans cette volonté de ne jamais regarder dans le passé (bien vu, comme d'hab, BC). Le premier désir qui orchestre le mouvement, c'est le désir de vivre et croire à son existence, au dépassement de celle-ci, à son élévation. On ne voit pas souvent une telle configuration entre le rêve, la beauté et l'"élan vital".

De ce fait, on pourrait revenir à l'esthétique du film, qui n'a plus rien d'aristocratique ou de je ne sais quoi. J'avais plutôt pensé, à un moment, à du post-naturalisme deleuzien, reprenant d'une nouvelle manière l'articulation entre le monde originaire et le monde dérivé. L'image-pulsion trouverait elle aussi une nouvelle définition, n'étant plus propagation, mais image-sublimation qui capterait tous les flux du désir (un truc du genre (drunken ). Je pense également à Lyotard du fait de la grande picturalité de Oliveira : le désir comme mouvement et révélation de l'événement.

(c'est pas très intéressant)

Le_comte

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