Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
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Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
BalourdnatiqueBuster a écrit:Je me posais au début la question du titre: pourquoi Budapest? La réponse est à chercher dans l'hôtel lui-même. Pour moi il symbolise la mère. Des preuves? D'abord l'origine du mot Budapest, composé de Buda, "eau", et de Pest, "grotte", ce qui renvoie à l'idée de matrice. Ensuite la scène où l'on vient arrêter M. Gustave (dans le hall de l'hôtel). Quelle est sa réaction? Il se met à courir. Mais pas vers la sortie, comme pour s'enfuir, non, vers les escaliers, comme s'il voulait se réfugier au fin fond de l'hôtel, autrement dit dans le giron maternel. Peur de l'enfant à l'idée d'affronter le monde, assimilé ici à une vaste prison dont on s'évade à l'aide d'outils miniatures (séquence hilarante), mais toujours à l'intérieur du cadre (pas de hors-champ, comme au temps du muet et du burlesque), pour mieux retrouver l'hôtel-matrice. Un retour aux origines pour M. Gustave (on pense à Eisenstein et son célèbre MLB, "plongée dans le sein maternel", emprunté à Ferenczi - tiens, un Hongrois - pour illustrer sa conception du cinéma comme régression), et pour Zero, le fils spirituel, un vrai voyage initiatique, mais dont il restera prisonnier. L'effroyable mélancolie est là, dans sa boucle sans fin. La perte de l'objet s'est transformée en une perte du moi. Un moi devenu mort, vide, zéro. Comme la mère. Comme l'hôtel Grand Budapest... Et c'est bouleversant.
En lisant ça, le grand buddha s'éveille en anglais et peste en français; autrement dit Buddha peste; tu n'es pas sérieux, dis, avec tes histoires de maman et de perte, et cette étymologie catastrophique.
A tes références on ajoutera, le bal des vampires, james bond, chaplin, kafka...(dans l'Amérique, Karl bosse comme groom à "L'Hôtel Occidental")...
sinon pourquoi WA a-t-il séparé les termes du fameux titre "grand hôtel" (que j'ai pas vu) par budapest? pourquoi budapest s'est-il introduit entre "grand" et "hôtel"?
on peut inventer bien des raisons, celle qui me semble la plus vraisemblable, élégante, simple, se trouve selon moi dans SZ (tiens, on dirait le titre d'un barthes; le dernier bouquin de sz, pas terrible, mais il est vrai plus qu'inachevé, est consacré à Balzac) : "la pitié dangereuse"...
qui commence comme le film : "« On ne prête qu’aux riches » – cette parole du Livre de la Sagesse, tout écrivain peut la reprendre à son compte : « On ne se raconte qu’à ceux qui ont beaucoup raconté. – Rien n’est plus faux que l’idée reçue selon laquelle l’imagination de l’écrivain est sans cesse à l’oeuvre, et qu’il trouve dans cette inépuisable réserve ses histoires et ses personnages. En vérité, au lieu d’inventer, il lui suffit de laisser venir à lui les figures et les événements : s’il a su préserver ce don qui lui est propre, de voir et d’entendre, ils viendront toujours différents se présenter au conteur qu’il est. Car à celui qui a souvent expliqué les destinées, beaucoup d’hommes viennent conter la leur."
On y trouve l'histoire de je ne sais plus quelle princesse qui, détestant sa famille, laisse presque toute sa fortune à sa dame de compagnie :
"C’est à elle que revenaient Kekesfalva, Orosvar, la sucrerie, le haras, le palais de Budapest. Les biens d’Ukraine et l’argent liquide, la vieille les avait légués à sa ville natale et ils devaient servir à la construction d’une église orthodoxe. Pour les parents, pas même un bouton. Elle le spécifiait d’ailleurs formellement d’une façon agressive en disant : « Parce qu’ils étaient pressés de me voir mourir. » » Ce fut un beau scandale. Les parents jetèrent les hauts cris, se précipitèrent chez des avocats et firent les oppositions d’usage. Selon eux la testatrice n’avait pas toute sa lucidité au moment de la rédaction du testament, car il avait été fait au cours d’une grave maladie et en outre elle se trouvait dans un état de dépendance pathologique envers sa dame de compagnie. Il n’y avait aucun doute que celle-ci, usant de ruse, avait fait violence à la véritable volonté de la malade. En même temps ils essayèrent de donner à cette histoire un caractère national. Des terres hongroises, en possession des Orosvar depuis l’époque d’Arpad, allaient passer aux mains d’étrangers, d’une Prussienne, et l’autre partie de la fortune de la princesse aux mains de l’Église orthodoxe. Pendant quelque temps on ne parla de rien d’autre à Budapest, les journaux en remplirent des colonnes entières."
"Le palais de Budapest" est devenu le "Grand Budapest Hotel".
Cinéma + littérature : Wes Anderson.
Balournatique a écrit:
Ensuite la scène où l'on vient arrêter M. Gustave (dans le hall de l'hôtel). Quelle est sa réaction? Il se met à courir. Mais pas vers la sortie, comme pour s'enfuir, non, vers les escaliers, comme s'il voulait se réfugier au fin fond de l'hôtel, autrement dit dans le giron maternel.
quand la sortie est barrée, on ne peut pas courir vers la sortie, à moins d’être chaplin, ou keaton... un roi du slalom burlesque...agatha fait la même chose, non pas pour aller vers le giron maternel, ou je ne sais quoi, mais pour tenter de trouver une autre ouverture, par exemple les fenêtres...
ça me semble logique
sinon, pas trouvé très bon le film...
le reverrai, sans doute, pour voir...
Borges- Messages : 6044
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
pas encore revu, mais revu, l'autre hôtel de wes anderson :
Borges- Messages : 6044
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
Hello,
J'ai pas assez lu Zweig pour voir ce qu'Anderson lui a emprunté. J'ai pensé à La Grande illusion, à cause de cette combinaison entre récit d'aventures, peinture des rapports de classes et fresque d'un monde finissant. Chez Renoir aussi, on récite de la poésie en s'évadant de prison, si je me souviens bien.
J'ai surtout été étonné par la noirceur du propos: il me semble qu'on meurt dans ce film beaucoup plus que dans les précédents. Et c'est jamais glorieux: empoisonné, mutilé, décapité, abattu, ou balayé par une grippe. Ce n'est pas nouveau, chez lui, cette friction entre un récit alerte, bondissant, façon roman d'aventures old school, et un autre, souterrain, menaçant, qui mine la maison de poupée de toutes parts. Mais ici, ça va plus loin, parce que les intrusions de la violence sont bien plus nombreuses et plus spectaculaires - et parce qu'Anderson lui donne une dimension historique, ce qui n'avait jamais été le cas avant, à ma connaissance.
En tout cas, très grand plaisir à le voir.
J'ai pas assez lu Zweig pour voir ce qu'Anderson lui a emprunté. J'ai pensé à La Grande illusion, à cause de cette combinaison entre récit d'aventures, peinture des rapports de classes et fresque d'un monde finissant. Chez Renoir aussi, on récite de la poésie en s'évadant de prison, si je me souviens bien.
J'ai surtout été étonné par la noirceur du propos: il me semble qu'on meurt dans ce film beaucoup plus que dans les précédents. Et c'est jamais glorieux: empoisonné, mutilé, décapité, abattu, ou balayé par une grippe. Ce n'est pas nouveau, chez lui, cette friction entre un récit alerte, bondissant, façon roman d'aventures old school, et un autre, souterrain, menaçant, qui mine la maison de poupée de toutes parts. Mais ici, ça va plus loin, parce que les intrusions de la violence sont bien plus nombreuses et plus spectaculaires - et parce qu'Anderson lui donne une dimension historique, ce qui n'avait jamais été le cas avant, à ma connaissance.
En tout cas, très grand plaisir à le voir.
Eyquem- Messages : 3126
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
Dans cet entretien, il dit que c'est La Pitié dangereuse qu'il a lu en premier:Borges a écrit:on peut inventer bien des raisons, celle qui me semble la plus vraisemblable, élégante, simple, se trouve selon moi dans SZ: "la pitié dangereuse"
That was maybe 8 years ago. Then I had been reading these Stefan Zweig books -- I'd never heard of them before -- I really loved them. From the first page of one of these books I read – 'Beware of Pity' was the first one I read and I started thinking, 'I'd like to do something like that.' I wanted to do a Zweigesque thing
http://www.comingsoon.net/news/movienews.php?id=115412
Sur le forum Fdc, les forumeurs conseillaient la critique parue dans Chronicart:
http://www.chronicart.com/cinema/the-grand-budapest-hotel/
Mais moi je trouve qu'elle prend tout à l'envers, avec des phrases comme :
Tout le texte est construit sur cette opposition vie/mort - et selon l'article, le côté miniaturiste, fétichiste, perfectionniste, du film "pue la mort".Avec The Grand Budapest Hotel, la célébration de la mort est devenu son sujet.
...
Pour Gustave, le dandysme nostalgique est un rempart contre la vie.
C'est plutôt l'inverse qu'il faudrait dire: le "dandysme" de Gustave, c'est un rempart contre la mort - et tout le film dit: la mort n'a aucun intérêt; la mort n'a aucun style; c'est vraiment pas intéressant d'être mort.
Il faut voir dans le film comment les cadavres sont traités: quand Gustave se penche sur celui de la vieille femme riche (Tilda Swinton), il s'émerveille des prouesses des embaumeurs, il se félicite qu'elle ait changé de vernis à ongles. Mais à ce moment-là, l'aventure l'appelle, et il lâche la main du corps de manière très négligente, comme si ce cadavre ne comptait plus pour rien.
L'autre moment, c'est quand l'avocat (Goldblum) trimballe le cadavre de son chat; il a l'air affecté; mais finalement, il le balance dans la première poubelle venue.
C'est vraiment tout le contraire d'une célébration ou d'un goût de la mort.
C'est la morale qui est dite à la fin du film: je ne me souviens plus des termes exacts, mais en gros, l'idée, c'est que si Gustave n'est pas mort plus tôt, c'est parce que son costume, son art de vivre, son goût pour la poésie romantique, le maintenaient en vie. Sans ça, il aurait été tout de suite balayé, lui et son monde, par l'histoire, par les pseudo-nazis, leur goût de la mort et leur absence de style.
Le style, le goût, c'est la vie même. C'est pas juste quelque chose qu'on saupoudre sur le reste pour rendre la vie plus agréable; c'est pas quelque chose dont on puisse changer comme d'un costume: le costume, c'est l'homme même. Le goût, avoir tel ou tel goût, c'est une manière de vivre, qui passe par tout le corps, s'empare de tous vos gestes, passe dans tout ce que vous dites. J'aime beaucoup quand Tilda Swinton montre son nouveau vernis à Gustave (R Fiennes): il dit que ça ne va pas du tout. Elle: "Vous n'aimez pas?" Lui: "Ce n'est pas que je n'aime pas: ça me révulse physiquement." Voilà: le style, le goût, ça va jusqu'à l'os, aux nerfs.
Si les héros de Wes Anderson s'inventent un personnage, un look, un style, une manière de vivre et de parler, c'est parce que sans ça, ils mourraient. Je pense à ce moment vraiment émouvant dans "Tenenbaum" où Luke Wilson retire son déguisement: il pose ses lunettes noires, il se coupe la barbe, les cheveux. On a alors la surprise de voir à quoi ressemble son "vrai" visage, mais juste à ce moment-là, quand il est mis à nu, il tente de se suicider.
Sur Independencia:
Ca c'est très juste. Et même, tout le film tient dans la parenthèse ouverte, au premier plan, par la jeune fille, qui s'assoit sur un banc, dans un cimetière, et commence à lire.Wes Anderson s’améliore à mesure qu’il devient un cinéaste du récit, et donc du temps. The Grand Budapest Hotel va loin sur ce plan-là. Son hôtel est un édifice narratif, aux fondements duquel on trouve plusieurs histoires enchâssées : une jeune fille s’asseoit sur un banc pour lire un livre, l’auteur du livre prend la parole pour raconter son séjour au Grand Budapest Hotel en 1968, il y rencontre M. Zero Moustapha qui fut en 1932 le lobby boy du réputé concierge M. Gustave. En même temps que les époques, ce sont les tempos qui s’entrecroisent. L’histoire de Zero et du maître d’hotel a beau filer à toute allure, dans un train, sur des skis, au milieu d’une fusillade, elle est toujours suspendue aux lèvre d’un vieux monsieur racontant son passé dans un hôtel vide.
http://www.independencia.fr/revue/spip.php?article889
Le film va à toute vitesse, mais au fond, c'est un voyage sur place. C'est peut-être pour ça que chez lui, on a toujours l'impression de voyager loin mais par une série de micro-déplacements. Dans le film, la vitesse et la précision des gestes sont souvent sidérants: soit le plan est fixe et les personnages vont à toute vitesse (mais souvent, c'est des petits gestes, rien de trop ample: ouvrir ou fermer une porte, servir du vin, ouvrir une lettre, etc. Les gestes les plus quotidiens, avec un maximum de stylisation: une comédie musicale des gestes quotidiens, en un sens; à ce titre, le corps des acteurs est beaucoup plus important que leur visage: le visage reste peu expressif voire impassible, la tête est peu mobile: c'est les bras, les mains, les jambes qui s'activent et font tout le travail); soit les personnages sont immobiles et c'est la caméra qui va de l'un à l'autre, par des mouvements toujours rapides et précis, comme ceux des personnages.
Le mouvement de caméra préféré d'Anderson, c'est pas le grand travelling avant ou arrière, façon Kubrick, comme exploration des profondeurs, c'est le travelling latéral, qui étire en surface, ou alors des séries très complexes de panoramiques (le panoramique, comme art de déplacer, de voyager sur place)
Eyquem- Messages : 3126
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
hello Eyquem, Borges,
personnellement, pour la première fois avec Anderson, je me suis plutôt ennuyé.
A partir du moment où ils quittent l’hôtel, où le récit commence à bifurquer, je n'ai plus réussi à me mettre au diapason. Il faut dire que je n'aime pas spécialement Ralph Fiennes, comme acteur lol.
L'autre raison serait peut être que Anderson nous dévoile un monde d'adultes; ce n'est plus un regard sur l'enfance, la fraternité. La solitude semble s'éprendre de tout, les liens ne sont plus que contractuels?
L'auteur averti le gamin au début de ne plus l'embêter. Et puis panoramique. Il y a une pièce vide en travaux. Le lieu de l'enfance? qui doit encore saisir aux sources de je ne sais quel univers des couleurs, des sons, des formes. Un espace qui désire qu'on le fonde, qu'on l'étaye, qu'on l'extirpe du chaos. L'être est il simplement un décor?
Gustave H., dans les moments de tension, se laisse aller à employer une langue moins fleurie, qui reflue hors de sa cosse mondaine; il le regrette par le suite, soit qu'il soit malmené, soit qu'il doive s'en excuser: cela, ce désordre, ce mayhem, anticipe souvent un accès de violence.
Le style, le goût dont il se fait le parangon semble parfois avant tout un corset, une forme d'hypocrisie qui dissimule mal avidité et arrivisme.
Il y a réellement des choses magnifiques mais je ne trouve pas le personnage d'Agatha très incarné; elle exprime juste ce que dit son nom.
personnellement, pour la première fois avec Anderson, je me suis plutôt ennuyé.
A partir du moment où ils quittent l’hôtel, où le récit commence à bifurquer, je n'ai plus réussi à me mettre au diapason. Il faut dire que je n'aime pas spécialement Ralph Fiennes, comme acteur lol.
L'autre raison serait peut être que Anderson nous dévoile un monde d'adultes; ce n'est plus un regard sur l'enfance, la fraternité. La solitude semble s'éprendre de tout, les liens ne sont plus que contractuels?
L'auteur averti le gamin au début de ne plus l'embêter. Et puis panoramique. Il y a une pièce vide en travaux. Le lieu de l'enfance? qui doit encore saisir aux sources de je ne sais quel univers des couleurs, des sons, des formes. Un espace qui désire qu'on le fonde, qu'on l'étaye, qu'on l'extirpe du chaos. L'être est il simplement un décor?
Gustave H., dans les moments de tension, se laisse aller à employer une langue moins fleurie, qui reflue hors de sa cosse mondaine; il le regrette par le suite, soit qu'il soit malmené, soit qu'il doive s'en excuser: cela, ce désordre, ce mayhem, anticipe souvent un accès de violence.
Le style, le goût dont il se fait le parangon semble parfois avant tout un corset, une forme d'hypocrisie qui dissimule mal avidité et arrivisme.
Il y a réellement des choses magnifiques mais je ne trouve pas le personnage d'Agatha très incarné; elle exprime juste ce que dit son nom.
Dernière édition par erwan le Lun 17 Mar 2014 - 10:55, édité 1 fois
Invité- Invité
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
Salut erwan
"Avidité, arrivisme", je ne dirais pas ça, mais c'est vrai que ces pères sont hantés par le déclassement: Hackman qui se retrouve liftier; Mr Fox se plaint sans cesse de se sentir pauvre et vole pour vivre au-dessus de ses moyens.
On ne sait pas trop dans quelle mesure Gustave est un escroc, mais quand on voit le cagibi dans lequel il dort, j'ai du mal à lui donner tort. lol
Ce qui fait la valeur de l'existence de ces personnages paternels, c'est pas l'honnêteté, la loyauté, ces choses-là: c'est l'intensité, un "air de panache". (Ceux qui ont des problèmes de conscience, qui veulent plus d'honnêteté, de loyauté, ce sont les fils qui arrivent derrière eux.).
Le style, chez lui, ça va avec le faux: ses figures paternelles sont souvent des crapules, de vrais escrocs: Gene Hackman dans Tenenbaum, Bill Murray dans La Vie aquatique, ou Mr Fox.erwan a écrit:Gustave H., dans les moments de tension, se laisse aller à employer une langue moins fleurie, qui reflue hors de sa cosse mondaine; il le regrette par le suite, soit qu'il soit malmené, soit qu'il doive s'en excuser: cela, ce désordre, ce mayhem, anticipe souvent un accès de violence.
Le style, le goût dont il se fait le parangon semble parfois avant tout un corset, une forme d'hypocrisie qui dissimule mal avidité et arrivisme.
"Avidité, arrivisme", je ne dirais pas ça, mais c'est vrai que ces pères sont hantés par le déclassement: Hackman qui se retrouve liftier; Mr Fox se plaint sans cesse de se sentir pauvre et vole pour vivre au-dessus de ses moyens.
On ne sait pas trop dans quelle mesure Gustave est un escroc, mais quand on voit le cagibi dans lequel il dort, j'ai du mal à lui donner tort. lol
Ce qui fait la valeur de l'existence de ces personnages paternels, c'est pas l'honnêteté, la loyauté, ces choses-là: c'est l'intensité, un "air de panache". (Ceux qui ont des problèmes de conscience, qui veulent plus d'honnêteté, de loyauté, ce sont les fils qui arrivent derrière eux.).
Eyquem- Messages : 3126
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
Hi;
On parle souvent de dandysme à propos du film sans très bien savoir ce qu'on entend par là; le gars qui fait de sa vie une œuvre d'art, dont les valeurs sont plus esthétiques que morales ? C'est la compréhension commune, générale, celle qui circule; il faudrait revenir aux sources, à Baudelaire, certainement, dandy raté, parce qu'il ne parvenait pas à plaire en déplaisant dit Benjamin, pour qui le dandysme était : "le dernier éclat de l’héroïsme dans les décadences"…
Benjamin ne se satisfait pas de cette analyse idéalisante, et trouve les origines du dandysme dans la domination commerciale du monde par les Britanniques : "le dandy est une création des Anglais, qui avaient alors un rôle dominant dans le commerce mondial. Le réseau commercial qui couvre la terre entière se trouvait aux mains des boursiers londoniens : ses mailles enregistraient les frémissements les plus divers, les plus ordinaires, les plus imperceptibles. Le négociant devait réagir à tous les mouvements sans trahir ses réactions. Les dandys reprirent à leur compte le conflit qui naissait ainsi en lui. Ils élaborèrent l'entraînement ingénieux qui était nécessaire pour le surmonter. Ils allièrent la réaction immédiate, rapide comme l'éclair, à la physiognomonie et à l'attitude détendues et même nonchalantes."
- comme il est question de bourse, on peut penser aux loups-dandys de Wall Street, qui, bossant par téléphone, n'ont rien à cacher visuellement, la triche et le masque passant dans la voix... mais ici le dandysme ne s'oppose plus à la décadence, le dandysme est décadence, les Rolling Stones sont passés par là, et le rap; faudrait creuser cette piste en pensant par exemple le personnage de l'Anglaise...
- les conflits que surmonte le dandysme du film ce sont les conflits de classe, les effets de la domination sur les corps, et les visages, qui ne doivent rien laisser deviner des antagonismes sociaux, de la servitude, du service... Ne rien laisser paraître, être toujours en représentation, sans coulisses (Erving Goffman), contrairement à Renoir, "La Règle du jeu"; on est loin du "Dernier des hommes", ou des grooms de Kafka dans "L'Amérique"... ou même de ceux de Proust,
chez WA, nous avons ça,
mais jamais ça
les apparences sont toujours sauves, même en prison; il ne s'agit pas à mon sens d'un sens extrême de la dignité, comme dans Chaplin, mais bien plutôt d'un déni, d'une négation de la violence du monde. Au fond de quoi parle-t-on quand on évoque la nostalgie d'une époque antérieure à la barbarie ? Comme si la barbarie était absente de ce monde avant la montée du nazisme... Là aussi faut se souvenir un peu de son Benjamin...
les deux images du film de Murnau ne s'opposent évidemment pas; il n'y a pas moins de violence, de négation de l'humanité, dans l'une que dans l'autre, de réduction de l'homme à rien, à un zéro...
il faudrait parler du zéro, bien entendu...
On parle souvent de dandysme à propos du film sans très bien savoir ce qu'on entend par là; le gars qui fait de sa vie une œuvre d'art, dont les valeurs sont plus esthétiques que morales ? C'est la compréhension commune, générale, celle qui circule; il faudrait revenir aux sources, à Baudelaire, certainement, dandy raté, parce qu'il ne parvenait pas à plaire en déplaisant dit Benjamin, pour qui le dandysme était : "le dernier éclat de l’héroïsme dans les décadences"…
Benjamin ne se satisfait pas de cette analyse idéalisante, et trouve les origines du dandysme dans la domination commerciale du monde par les Britanniques : "le dandy est une création des Anglais, qui avaient alors un rôle dominant dans le commerce mondial. Le réseau commercial qui couvre la terre entière se trouvait aux mains des boursiers londoniens : ses mailles enregistraient les frémissements les plus divers, les plus ordinaires, les plus imperceptibles. Le négociant devait réagir à tous les mouvements sans trahir ses réactions. Les dandys reprirent à leur compte le conflit qui naissait ainsi en lui. Ils élaborèrent l'entraînement ingénieux qui était nécessaire pour le surmonter. Ils allièrent la réaction immédiate, rapide comme l'éclair, à la physiognomonie et à l'attitude détendues et même nonchalantes."
- comme il est question de bourse, on peut penser aux loups-dandys de Wall Street, qui, bossant par téléphone, n'ont rien à cacher visuellement, la triche et le masque passant dans la voix... mais ici le dandysme ne s'oppose plus à la décadence, le dandysme est décadence, les Rolling Stones sont passés par là, et le rap; faudrait creuser cette piste en pensant par exemple le personnage de l'Anglaise...
- les conflits que surmonte le dandysme du film ce sont les conflits de classe, les effets de la domination sur les corps, et les visages, qui ne doivent rien laisser deviner des antagonismes sociaux, de la servitude, du service... Ne rien laisser paraître, être toujours en représentation, sans coulisses (Erving Goffman), contrairement à Renoir, "La Règle du jeu"; on est loin du "Dernier des hommes", ou des grooms de Kafka dans "L'Amérique"... ou même de ceux de Proust,
chez WA, nous avons ça,
mais jamais ça
les apparences sont toujours sauves, même en prison; il ne s'agit pas à mon sens d'un sens extrême de la dignité, comme dans Chaplin, mais bien plutôt d'un déni, d'une négation de la violence du monde. Au fond de quoi parle-t-on quand on évoque la nostalgie d'une époque antérieure à la barbarie ? Comme si la barbarie était absente de ce monde avant la montée du nazisme... Là aussi faut se souvenir un peu de son Benjamin...
les deux images du film de Murnau ne s'opposent évidemment pas; il n'y a pas moins de violence, de négation de l'humanité, dans l'une que dans l'autre, de réduction de l'homme à rien, à un zéro...
il faudrait parler du zéro, bien entendu...
Borges- Messages : 6044
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
à propos du zéro, sur wiki, ça m'a marqué : " Ce symbole, sous forme de petit cercle, est utilisé pour « garder le rang » (...) dans l’écriture des nombres en notation positionnelle".
à propos de cette violence, de ce déni dont tu parles, c’est ce que je me demandais. Eyquem dit que le costume, c'est l'homme même, mais qu'y a-t-il sous cet habillage? ce n'est plus l'homme? Même nu?
Il y a des choses qui me choque dans le film; la notion de marche, de course est essentielle, en ligne ou à angle droit (la scène de la ferme est un peu en décalage vis à vis de cela); ainsi la sœur du domestique qui vit dans un endroit sombre et miséreux a un pied bot, c’est ainsi qu'elle est déterminée, en bas de l'échelle sociale qu'elle ne pourra jamais gravir. L'ananké (d'ailleurs les 3 sœurs évoquent les moires peut être)? J'ai senti une sorte de complaisance dans l'univers, à travers les caricatures, les trognes des prisonniers etc ... enfin je sais pas.
à propos de cette violence, de ce déni dont tu parles, c’est ce que je me demandais. Eyquem dit que le costume, c'est l'homme même, mais qu'y a-t-il sous cet habillage? ce n'est plus l'homme? Même nu?
Il y a des choses qui me choque dans le film; la notion de marche, de course est essentielle, en ligne ou à angle droit (la scène de la ferme est un peu en décalage vis à vis de cela); ainsi la sœur du domestique qui vit dans un endroit sombre et miséreux a un pied bot, c’est ainsi qu'elle est déterminée, en bas de l'échelle sociale qu'elle ne pourra jamais gravir. L'ananké (d'ailleurs les 3 sœurs évoquent les moires peut être)? J'ai senti une sorte de complaisance dans l'univers, à travers les caricatures, les trognes des prisonniers etc ... enfin je sais pas.
Invité- Invité
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
hi erwan;
cette question de la violence, des violences, d'une violence qui en cache une autre me semble essentielle dans le film, enfin pour penser le film; d'un point de vue historique, et politique, c'est comme si la violence "nazie" devait cacher la violence de classe, la violence libérale, capitaliste, qui se traduit par la discipline des corps, des visages, une soumission complète, et sans reste... mais qui ne peut pas être totalement niée, il en reste une trace : le zéro, visible et invisible, parce que le film l'efface; au lieu de la violence de la discipline, de l'uniforme négateur de la singularité, réduisant les êtres à des zéros, on a un récit de formation, d'héritage, qui transforme un petit gars sans rien,, un être sans qualité, sans éducation, sans famille, sans expérience... en quelqu'un...
L'histoire de zéros qui deviennent quelque chose, ou quelqu'un à travers un héritage, ça peut marcher dans un conte, mais pas ici...
( notons que zero Moustafa cela ne peut pas ne pas rimer dans les têtes idéologiquement avec le ground zero)
y a d'autres violences dans le film, celle du tueur, celle de la prison, des prisonniers, celle de la maladie...y a pas mal de morts dans le film, comme le note eyquem...
histoire de costumes, d'uniformes, c'est important, comme dans le film de murnau; ici, il y a au moins deux uniformes, ceux des grooms, et ceux des soldats fascistes; le Z de zero se retrouve d'ailleurs redoublé chez eux (ZZ au lieu de SS), avec une allusion au fameux double zéro de james bond...
je n'ai pas aimé le film, je me suis embêté, alors que le précédent était absolument génial...trop de courses, trop de vitesse, trop de trucs qui ne sont pas des idées... mais je vais le revoir, pas de doute, avec le dernier jarmusch en tête; les deux films sont étrangement proches...c'est pas du grand JJ, c'est moins bon que le WA, mais humainement, je le préfère...
Ce qui manque au film de WA, c'est peut-être le deux que met badiou en évidence dans "le dernier des hommes"
Le dernier des hommes : Le film, réduit à son anecdote, est un mélodrame social. Mais quand on le voit, on se rend compte que ce que Murnau retient du dispositif classiste est la forme pure du Deux. Ce qui pourrait n'être que l'histoire sinistre d'une déchéance est l'exploration filmique des ressources de la dualité. Il y a deux espaces, l'hôtel Atlantic et le quartier populaire où vit le personnage principal. Et une bonne partie du film est consacrée à l'entre-deux. C'est le leitmotiv, constamment varié, du trajet qui mène le héros de l'un à l'autre des deux espaces. En outre, le Deux se réduplique sans cesse, comme si tout le visible l'avait pour loi. C'est ainsi que l'hôtel Atlantic est lui-même divisé en deux strates, celle des clients et de la direction, celle des employés, dont les lieux ne coïncident que pour des péripéties où ne s'opère nulle rencontre véritable. Mais à son tour, la strate des employés se divise : entre le statut de portier, que le héros vit glorieusement, et le statut de gardien des toilettes, il y a un abîme matériel, que nous présente le terrible escalier qui descend vers ces toilettes comme vers l'enfer. Enfin, cette récurrence du Deux est captée par ce qui en est le véritable signe filmique : les deux costumes, celui de portier, avec ses faux galons qui font que le héros l'arbore comme s'il était colonel, et la veste blanche de l'homme des toilettes. Comme pour le trajet de l'hôtel au quartier, le motif des deux costumes est le support de subtiles variations.
C'est que l'art de Murnau, dans ce film comme dans les autres, est très souvent d'extraire des différences spatiales ou sociales la pure opposition de deux emblèmes matériels. Ainsi le Deux est finalement concentré dans le changement de costume, qui métamorphose en signes la sociologie apparente des lieux et des fonctions. Par quoi Murnau parvient simultanément à retenir l'exactitude descriptive (on ne quitte pas l'infinie matérialité des classes sociales), et à installer le film dans une polarisation générale, esthétiquement transcendante à son matériau classiste, qui autorise un traitement formel, et finalement idéel, de l'espace, des signes, et de ce qui s'échange entre eux.[/i]
cette question de la violence, des violences, d'une violence qui en cache une autre me semble essentielle dans le film, enfin pour penser le film; d'un point de vue historique, et politique, c'est comme si la violence "nazie" devait cacher la violence de classe, la violence libérale, capitaliste, qui se traduit par la discipline des corps, des visages, une soumission complète, et sans reste... mais qui ne peut pas être totalement niée, il en reste une trace : le zéro, visible et invisible, parce que le film l'efface; au lieu de la violence de la discipline, de l'uniforme négateur de la singularité, réduisant les êtres à des zéros, on a un récit de formation, d'héritage, qui transforme un petit gars sans rien,, un être sans qualité, sans éducation, sans famille, sans expérience... en quelqu'un...
L'histoire de zéros qui deviennent quelque chose, ou quelqu'un à travers un héritage, ça peut marcher dans un conte, mais pas ici...
( notons que zero Moustafa cela ne peut pas ne pas rimer dans les têtes idéologiquement avec le ground zero)
y a d'autres violences dans le film, celle du tueur, celle de la prison, des prisonniers, celle de la maladie...y a pas mal de morts dans le film, comme le note eyquem...
histoire de costumes, d'uniformes, c'est important, comme dans le film de murnau; ici, il y a au moins deux uniformes, ceux des grooms, et ceux des soldats fascistes; le Z de zero se retrouve d'ailleurs redoublé chez eux (ZZ au lieu de SS), avec une allusion au fameux double zéro de james bond...
je n'ai pas aimé le film, je me suis embêté, alors que le précédent était absolument génial...trop de courses, trop de vitesse, trop de trucs qui ne sont pas des idées... mais je vais le revoir, pas de doute, avec le dernier jarmusch en tête; les deux films sont étrangement proches...c'est pas du grand JJ, c'est moins bon que le WA, mais humainement, je le préfère...
Ce qui manque au film de WA, c'est peut-être le deux que met badiou en évidence dans "le dernier des hommes"
Le dernier des hommes : Le film, réduit à son anecdote, est un mélodrame social. Mais quand on le voit, on se rend compte que ce que Murnau retient du dispositif classiste est la forme pure du Deux. Ce qui pourrait n'être que l'histoire sinistre d'une déchéance est l'exploration filmique des ressources de la dualité. Il y a deux espaces, l'hôtel Atlantic et le quartier populaire où vit le personnage principal. Et une bonne partie du film est consacrée à l'entre-deux. C'est le leitmotiv, constamment varié, du trajet qui mène le héros de l'un à l'autre des deux espaces. En outre, le Deux se réduplique sans cesse, comme si tout le visible l'avait pour loi. C'est ainsi que l'hôtel Atlantic est lui-même divisé en deux strates, celle des clients et de la direction, celle des employés, dont les lieux ne coïncident que pour des péripéties où ne s'opère nulle rencontre véritable. Mais à son tour, la strate des employés se divise : entre le statut de portier, que le héros vit glorieusement, et le statut de gardien des toilettes, il y a un abîme matériel, que nous présente le terrible escalier qui descend vers ces toilettes comme vers l'enfer. Enfin, cette récurrence du Deux est captée par ce qui en est le véritable signe filmique : les deux costumes, celui de portier, avec ses faux galons qui font que le héros l'arbore comme s'il était colonel, et la veste blanche de l'homme des toilettes. Comme pour le trajet de l'hôtel au quartier, le motif des deux costumes est le support de subtiles variations.
C'est que l'art de Murnau, dans ce film comme dans les autres, est très souvent d'extraire des différences spatiales ou sociales la pure opposition de deux emblèmes matériels. Ainsi le Deux est finalement concentré dans le changement de costume, qui métamorphose en signes la sociologie apparente des lieux et des fonctions. Par quoi Murnau parvient simultanément à retenir l'exactitude descriptive (on ne quitte pas l'infinie matérialité des classes sociales), et à installer le film dans une polarisation générale, esthétiquement transcendante à son matériau classiste, qui autorise un traitement formel, et finalement idéel, de l'espace, des signes, et de ce qui s'échange entre eux.[/i]
Borges- Messages : 6044
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
Comme je le disais plus haut, une piste intéressante pour voir et penser le film politiquement serait celle du dandysme, dans sa version baudelairienne (en tentant de construire ses affinités avec une certaine idée esthétique du fascisme)
Le lien
http://francois.darbonneau.free.fr/confins/baudelaire.html
On parle de cadavres, d'embaumement, à propos du film, la formule fameuse : "Perinde ac cadaver" ("à la manière d'un cadavre") exprime selon Baudelaire l'éthique du dandy... qu'il rapproche de la fameuse secte des assassins; tout ce texte de baudelaire tisse d'étranges relations avec le film de wes anderson...
dans son chapitre sur le dandy dans "the world viewed", cavell utilse beaucoup ce texte de Baudelaire...
Le lien
http://francois.darbonneau.free.fr/confins/baudelaire.html
On parle de cadavres, d'embaumement, à propos du film, la formule fameuse : "Perinde ac cadaver" ("à la manière d'un cadavre") exprime selon Baudelaire l'éthique du dandy... qu'il rapproche de la fameuse secte des assassins; tout ce texte de baudelaire tisse d'étranges relations avec le film de wes anderson...
dans son chapitre sur le dandy dans "the world viewed", cavell utilse beaucoup ce texte de Baudelaire...
Borges- Messages : 6044
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
'soir Erwan, Borges, tous,
A sa première apparition, Zero et Gustave le regardent, il a un plan à lui; mais j'ai oublié ce que Zero et Gustave disent: sans doute qu'à ce moment, le gamin représente à leurs yeux tout ce qu'ils ne veulent pas devenir.
C'est comme si la détresse que le petit cireur représente, la violence dont il est victime, sans rien de dandy pour la dépasser, la transfigurer, le film la laissait, littéralement, à la porte du film, où elle n'a pas de place: reste à savoir pourquoi.
Je crois que Rancière, dans un article sur Lubitsch (je le retrouve pas), évoque un problème de ce genre : il parle d'un film où Lubitsch met à la porte du film un personnage comme le petit cireur: un mendiant, un syndicaliste, je ne sais plus, comme si un tel personnage n'avait pas sa place dans la fiction.
(je ne retrouve pas dans cette capture l'impression que le plan m'a fait quand j'ai vu le film)
EDIT: retrouvé l'article de Rancière, c'était pas dans ses livres, c'est dans les Cdc n°554: "La porte du paradis"
Oui, c'est vrai, mais ce que tu dis, du coup, je l'associe à une image qui m'est restée, je ne savais pas pourquoi: celle du gamin cireur de chaussures, qui a perdu une jambe. Il n'existe pas dans le film, à proprement parler: Zero et Gustave ne lui parlent pas, il n'a pas de rôle dans l'histoire, n'a aucune réplique, c'est juste un petit môme qu'on voit deux fois dans le film je crois, parce qu'il cire juste devant l'hôtel.Borges a écrit:
chez WA, nous avons ça,
mais jamais ça
les apparences sont toujours sauves, même en prison; il ne s'agit pas à mon sens d'un sens extrême de la dignité, comme dans Chaplin, mais bien plutôt d'un déni, d'une négation de la violence du monde.
A sa première apparition, Zero et Gustave le regardent, il a un plan à lui; mais j'ai oublié ce que Zero et Gustave disent: sans doute qu'à ce moment, le gamin représente à leurs yeux tout ce qu'ils ne veulent pas devenir.
C'est comme si la détresse que le petit cireur représente, la violence dont il est victime, sans rien de dandy pour la dépasser, la transfigurer, le film la laissait, littéralement, à la porte du film, où elle n'a pas de place: reste à savoir pourquoi.
Je crois que Rancière, dans un article sur Lubitsch (je le retrouve pas), évoque un problème de ce genre : il parle d'un film où Lubitsch met à la porte du film un personnage comme le petit cireur: un mendiant, un syndicaliste, je ne sais plus, comme si un tel personnage n'avait pas sa place dans la fiction.
(je ne retrouve pas dans cette capture l'impression que le plan m'a fait quand j'ai vu le film)
EDIT: retrouvé l'article de Rancière, c'était pas dans ses livres, c'est dans les Cdc n°554: "La porte du paradis"
Comme dans la chanson des KinksBorges, citant Benjamin, a écrit:
Ils allièrent la réaction immédiate, rapide comme l'éclair, à la physiognomonie et à l'attitude détendues et même nonchalantes."
Knockin' on the back door,
Climbing through the window,
Hubby's gone away,
And while the cat's away
The mice are gonna play.
Oh, you low down Dandy, Dandy.
Dandy
Dandy, you know you're moving much too fast,
And Dandy, you know you can't escape the past.
- Spoiler:
Eyquem- Messages : 3126
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
L'article de Rancière est là:
http://www.diagonalthoughts.com/wp-content/uploads/2012/08/ranciere-la-porte.pdf
C'est une séquence de "Haute Pègre" qu'il commente, où l'escroc met dehors un trotskyste qui s'apprêtait à dire ses quatre vérités à la milliardaire. L'argument de Rancière, c'est que le militant n'est pas mis à la porte comme un intrus qui n'a pas sa place, mais comme un complice avec lequel l'escroc est de connivence. Les deux sont de mèche parce qu'ils disent la même chose: que le monde d'illusions de la milliardaire n'est qu'une apparence charmante qui recouvre la violence sociale qui fait rage au dehors et sans laquelle ce monde brillant d'illusions, d'intrigues légères et inconséquentes ne pourrait exister.
En bref: sans lutte des classes, pas de Lubitsch touch.
http://www.diagonalthoughts.com/wp-content/uploads/2012/08/ranciere-la-porte.pdf
C'est une séquence de "Haute Pègre" qu'il commente, où l'escroc met dehors un trotskyste qui s'apprêtait à dire ses quatre vérités à la milliardaire. L'argument de Rancière, c'est que le militant n'est pas mis à la porte comme un intrus qui n'a pas sa place, mais comme un complice avec lequel l'escroc est de connivence. Les deux sont de mèche parce qu'ils disent la même chose: que le monde d'illusions de la milliardaire n'est qu'une apparence charmante qui recouvre la violence sociale qui fait rage au dehors et sans laquelle ce monde brillant d'illusions, d'intrigues légères et inconséquentes ne pourrait exister.
En bref: sans lutte des classes, pas de Lubitsch touch.
Eyquem- Messages : 3126
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
hi; merci pour le texte de rancière; je suis en train de revoir "to be or not to be", après ce sera "trouble in paradise". Je suis pas certain de lire la scène du sac comme le fait rancièreL. Dans N, c'est un chapeau qui joue un rôle assez proche; les apparences qui "déconstruisent" la vérité communiste :
après cette critique marxiste et non kantienne; amoureuse, elle portera le chapeau... si je souviens bien de ce que j'ai lu du film...
question : quelle est la fonction du tableau le gosse à la pomme (allusion aux jugements de Paris?) dans le film? sa valeur esthétique n'est jamais prise en considération, seulement la valeur marchande; et affective, à la fin...on ne peut dire qu'il soit exposé à la réception de l’hôtel devenu musée, ou plutôt "mausolée"; je crois que zweig a écrit un poème sur le "Taj Mahal"
concierge : ça me rappelle, en passant, les jugements d'aragon et barrès sur proust; deux types on ne peut plus différents, mais qui avaient la même image en causant de l'auteur de" la Recherche" :
"Ce qui s'appelle la pensée proustienne demande à être serré de près ; on s'aperçoit alors que c'est un bavardage de concierge. Saint-Simon (je reviens à cette prétention), mais Saint-Simon dit en trois lignes autant que Proust en trois livres"
(Aragon)
http://rene.merle.charles.antonin.over-blog.com/article-le-jeune-aragon-et-proust-101994090.html
"Un conteur arabe confiné dans la loge de sa concierge. (Barrès)
CONCIERGE, subst.
Étymol. et Hist. 1195 cumcerge « celui qui a la garde d'un bâtiment important » (Cart. de Montiéramey, p. 140, Lalore ds Gdf.); ca 1220 concierge (G. Coinci, éd. V. F. Koenig, I Mir. 11, 2100). Prob. du lat. vulg. *conservius (cf. lat. médiév. consergius 1106 et 1190 ds Nierm.; cf. FEW t. 2, p. 1067 qui rend compte des formes conch- du pic.), issu du lat. class. conservus « compagnon d'esclavage » sous l'infl. du lat. serviens, sergent*. Un étymon lat. *conserviens (Baist ds Rom. Forsch., t. 16, p. 404) part. prés. de *conservire fait difficulté du point de vue phonét. Un étymon lat. *concerius dér. de cera « cire » (Lebel ds Fr. mod., t. 13, 1945, pp. 93-96; v. aussi Nierm.) manque de fondement.
concierge (n.)
1640s, from French concierge "caretaker, doorkeeper, porter" (12c.), probably from Vulgar Latin *conservius, from Latin conservus "fellow slave," from com- "with" (see com-) + servius "slave" (see serve (v.)).
caretaker :
Le concierge, celui qui garde, prend soin, sert... voilà qui pourrait nous conduire dans la direction de la garde de l’être et de la vérité, de l'oubli...
après cette critique marxiste et non kantienne; amoureuse, elle portera le chapeau... si je souviens bien de ce que j'ai lu du film...
question : quelle est la fonction du tableau le gosse à la pomme (allusion aux jugements de Paris?) dans le film? sa valeur esthétique n'est jamais prise en considération, seulement la valeur marchande; et affective, à la fin...on ne peut dire qu'il soit exposé à la réception de l’hôtel devenu musée, ou plutôt "mausolée"; je crois que zweig a écrit un poème sur le "Taj Mahal"
concierge : ça me rappelle, en passant, les jugements d'aragon et barrès sur proust; deux types on ne peut plus différents, mais qui avaient la même image en causant de l'auteur de" la Recherche" :
"Ce qui s'appelle la pensée proustienne demande à être serré de près ; on s'aperçoit alors que c'est un bavardage de concierge. Saint-Simon (je reviens à cette prétention), mais Saint-Simon dit en trois lignes autant que Proust en trois livres"
(Aragon)
http://rene.merle.charles.antonin.over-blog.com/article-le-jeune-aragon-et-proust-101994090.html
"Un conteur arabe confiné dans la loge de sa concierge. (Barrès)
CONCIERGE, subst.
Étymol. et Hist. 1195 cumcerge « celui qui a la garde d'un bâtiment important » (Cart. de Montiéramey, p. 140, Lalore ds Gdf.); ca 1220 concierge (G. Coinci, éd. V. F. Koenig, I Mir. 11, 2100). Prob. du lat. vulg. *conservius (cf. lat. médiév. consergius 1106 et 1190 ds Nierm.; cf. FEW t. 2, p. 1067 qui rend compte des formes conch- du pic.), issu du lat. class. conservus « compagnon d'esclavage » sous l'infl. du lat. serviens, sergent*. Un étymon lat. *conserviens (Baist ds Rom. Forsch., t. 16, p. 404) part. prés. de *conservire fait difficulté du point de vue phonét. Un étymon lat. *concerius dér. de cera « cire » (Lebel ds Fr. mod., t. 13, 1945, pp. 93-96; v. aussi Nierm.) manque de fondement.
concierge (n.)
1640s, from French concierge "caretaker, doorkeeper, porter" (12c.), probably from Vulgar Latin *conservius, from Latin conservus "fellow slave," from com- "with" (see com-) + servius "slave" (see serve (v.)).
caretaker :
Le concierge, celui qui garde, prend soin, sert... voilà qui pourrait nous conduire dans la direction de la garde de l’être et de la vérité, de l'oubli...
Borges- Messages : 6044
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
Borges a écrit:Comme je le disais plus haut, une piste intéressante pour voir et penser le film politiquement serait celle du dandysme, dans sa version baudelairienne (en tentant de construire ses affinités avec une certaine idée esthétique du fascisme)
Le lien
http://francois.darbonneau.free.fr/confins/baudelaire.html
On parle de cadavres, d'embaumement, à propos du film, la formule fameuse : "Perinde ac cadaver" ("à la manière d'un cadavre") exprime selon Baudelaire l'éthique du dandy... qu'il rapproche de la fameuse secte des assassins; tout ce texte de baudelaire tisse d'étranges relations avec le film de wes anderson...
dans son chapitre sur le dandy dans "the world viewed", cavell utilse beaucoup ce texte de Baudelaire...
Hi Borges et tous,
Très intéressant ce texte, mis en rapport avec toute l'oeuvre de WA, hantée par une idée du beau, un refus de la trivialité etc... Mais l'oeuvre demeure hantée par tout ça, ce qui peut la rendre belle, ou en tous cas donnant à penser. Il faudrait mettre WA en relation avec le film de Blaise Harrison, "L'Harmonie", dont parle DB; film où rien n'est hanté, habité, mais seulement manipulé par cette idée préconçue de l'harmonie. La simple représentation d'un regard, plus qu'un regard véritable, que possède à mon avis WA.
Je n'ai pas encore vu cet Hôtel de Budapest, mais j'ai hâte. Vous donnez envie de tailler un bout de gras...
Le lien entre WA et Lubitsch est très intéressant. Je crois que je vais moi aussi revoir "To be or not to be" et "Ninotchka".
dreampeace- Messages : 140
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
Hi dreampeace
sur la page facebook des spectres careful avait partagé un montage d'images wes anderson-kubrick...
puisqu'on cause concierge : un truc à quoi j'avais pas pensé, c'est la porte, objet, thème, signe, image, symbole... dont on sait l'importance chez lubitsch. Elle existe aussi avec sens et force chez wes anderson, et chez kubrick, bien entendu, je pense à shining, à orange mécanique, à 2001 (le monolithe on le sait est une porte aussi, la porte des étoiles, et un concierge, un gardien, une sentinelle, qui veille pour son bien peut-être sur l'humanité ). Derrière la porte, d'un côté ou de l'autre, souvent se trouve un danger, un loup... "The Wolf behind the Door", c'est d'ailleurs le titre d'un bouquin sur SK... Les portes, y a ceux qui les ouvrent avec violence (shining), par ruse (orange mécanique)...La porte enferme au-dedans ou au-dehors :
dans un vieux numéro des Cahiers, cette critique de N. :
NINOTCHKA
Prouve aux dépens de Lubitsch qu’il est plus facile de faire rire des Nazis que des Communistes. C'est un faux bon sujet que celui (traité par Lubitsch et Mamoulian en forme de comédie musicale) de l'amour triomphant de l'idéologie. Pourquoi Lubitsch ici échoue-t-il a faire rire vraiment? Parce que Ninotchka s’est trompée de civilisation et d'époque, et qu’elle se comporte dans le monde occidental comme si elle s'était égarée dans la principauté idéale de ≪ La Veuve Joyeuse≫. Car les différences entre monde capitaliste et monde communiste ne sont pas des différences de civilisation ni de mœurs, et comme c’est sur celles-ci que porte la métamorphose de Ninotchka, on ne peut guère y croire. La satire reste en surface. De plus Lubitsch (en dépit de sa réussite avec Pola Negri) n'est pas un " women's director". Il fait bien rire Garbo mais Cukor la fait rire encore mieux dans ≪ Two Faces Woman ≫. — J. D.
J.D. pour Jean Domarchi?
si on se base sur un passage de son entretien avec les cahiers, wes anderson semble ne pas distinguer le communisme du nazisme...
j'avais pas trop l'intention de discuter de ce film, par crainte qu'il ne m'éloigne de la route des étoiles; c'est fait, j'en ai bien peur. Plus haut, je me demandais si le tableau "le jeune homme à la pomme" était une allusion aux différents "jugements de paris" (le roi des dandys), qui faisait bien rire les hommes, les vrais, les gars virils, soldats et autres guerriers, achille, ménélas, hector... sans doute parce qu'il avait le truc extra qui le faisait aimer des filles...On peut aussi peut-être le reconduire à "fantastic mr fox".... :
croquer (la vie, une pomme, un tableau)
sur la page facebook des spectres careful avait partagé un montage d'images wes anderson-kubrick...
puisqu'on cause concierge : un truc à quoi j'avais pas pensé, c'est la porte, objet, thème, signe, image, symbole... dont on sait l'importance chez lubitsch. Elle existe aussi avec sens et force chez wes anderson, et chez kubrick, bien entendu, je pense à shining, à orange mécanique, à 2001 (le monolithe on le sait est une porte aussi, la porte des étoiles, et un concierge, un gardien, une sentinelle, qui veille pour son bien peut-être sur l'humanité ). Derrière la porte, d'un côté ou de l'autre, souvent se trouve un danger, un loup... "The Wolf behind the Door", c'est d'ailleurs le titre d'un bouquin sur SK... Les portes, y a ceux qui les ouvrent avec violence (shining), par ruse (orange mécanique)...La porte enferme au-dedans ou au-dehors :
dans un vieux numéro des Cahiers, cette critique de N. :
NINOTCHKA
Prouve aux dépens de Lubitsch qu’il est plus facile de faire rire des Nazis que des Communistes. C'est un faux bon sujet que celui (traité par Lubitsch et Mamoulian en forme de comédie musicale) de l'amour triomphant de l'idéologie. Pourquoi Lubitsch ici échoue-t-il a faire rire vraiment? Parce que Ninotchka s’est trompée de civilisation et d'époque, et qu’elle se comporte dans le monde occidental comme si elle s'était égarée dans la principauté idéale de ≪ La Veuve Joyeuse≫. Car les différences entre monde capitaliste et monde communiste ne sont pas des différences de civilisation ni de mœurs, et comme c’est sur celles-ci que porte la métamorphose de Ninotchka, on ne peut guère y croire. La satire reste en surface. De plus Lubitsch (en dépit de sa réussite avec Pola Negri) n'est pas un " women's director". Il fait bien rire Garbo mais Cukor la fait rire encore mieux dans ≪ Two Faces Woman ≫. — J. D.
J.D. pour Jean Domarchi?
si on se base sur un passage de son entretien avec les cahiers, wes anderson semble ne pas distinguer le communisme du nazisme...
j'avais pas trop l'intention de discuter de ce film, par crainte qu'il ne m'éloigne de la route des étoiles; c'est fait, j'en ai bien peur. Plus haut, je me demandais si le tableau "le jeune homme à la pomme" était une allusion aux différents "jugements de paris" (le roi des dandys), qui faisait bien rire les hommes, les vrais, les gars virils, soldats et autres guerriers, achille, ménélas, hector... sans doute parce qu'il avait le truc extra qui le faisait aimer des filles...On peut aussi peut-être le reconduire à "fantastic mr fox".... :
croquer (la vie, une pomme, un tableau)
Borges- Messages : 6044
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
Hello,
Sur le tableau, je lis différentes choses:
http://www.theguardian.com/artanddesign/2014/mar/07/grand-budapest-hotel-boy-with-apple
Dans cet article, l'auteur signale que la pose du jeune homme (féminine: en principe, les codes de la virilité voudraient qu'il pose debout), le billet accroché au mur dans le fond, tout ça peut indiquer qu'il s'agit du portrait d'un jeune homme aimé par un autre homme.
Auquel cas (c'est moi qui l'ajoute), le tableau serait une version cryptée, masculine, du tableau par lequel il est remplacé sur le mur: "Two lesbians masturbating", le faux Egon Schiele, étant la version féminine, explicite.
Il y a de toute façon toute une série d'allusions à l'homosexualité dans le film, à propos de Gustave en particulier.
Dans cet article, Anderson indique ses sources pour le tableau:
http://galleristny.com/2014/02/wes-anderson-on-the-painting-at-the-center-his-grand-budapest-hotel/
Un des modèles du tableau serait alors un portrait de Lodovico Capponi, par Bronzino:
http://collections.frick.org/view/objects/asitem/999/3/primaryMaker-asc/title-asc?t:state:flow=948bba63-ffaa-499d-9d2f-978678ed09ce
Le plus intrigant dans le faux du film, outre la pomme, c'est la main du jeune homme, qui, moi, m'a fait penser aux tableaux maniéristes de l'Ecole de Fontainebleau (le tableau super célèbre de Gabrielle d'Estrées au bain par exemple, où la baigneuse pince le téton de Gabrielle comme le garçon pince sa pomme).
En tous les cas, les définitions du maniérisme, ça colle bien avec le style d'Anderson: "Mannerism is notable for its intellectual sophistication as well as its artificial (as opposed to naturalistic) qualities. Mannerism favours compositional tension and instability rather than the balance and clarity of earlier Renaissance painting. Mannerism in literature and music is notable for its highly florid style and intellectual sophistication." (wiki)
Borges, tu fais allusion au jugement de Paris. C'est vrai que dans les films d'Anderson, il y a toujours une histoire de rivalité, de rivalité entre des prétendants.
Sur le tableau, je lis différentes choses:
http://www.theguardian.com/artanddesign/2014/mar/07/grand-budapest-hotel-boy-with-apple
Dans cet article, l'auteur signale que la pose du jeune homme (féminine: en principe, les codes de la virilité voudraient qu'il pose debout), le billet accroché au mur dans le fond, tout ça peut indiquer qu'il s'agit du portrait d'un jeune homme aimé par un autre homme.
Auquel cas (c'est moi qui l'ajoute), le tableau serait une version cryptée, masculine, du tableau par lequel il est remplacé sur le mur: "Two lesbians masturbating", le faux Egon Schiele, étant la version féminine, explicite.
Il y a de toute façon toute une série d'allusions à l'homosexualité dans le film, à propos de Gustave en particulier.
Dans cet article, Anderson indique ses sources pour le tableau:
http://galleristny.com/2014/02/wes-anderson-on-the-painting-at-the-center-his-grand-budapest-hotel/
“Our reference was kind of Flemish painters. And Hans Holbein; I don’t know if it’s the younger or the elder. I like Brueghel, and another one that’s maybe connected to this is a Bronzino at the Frick. We were trying to suggest that it wasn’t an Italian Renaissance painting. That it was more northern.”
Un des modèles du tableau serait alors un portrait de Lodovico Capponi, par Bronzino:
http://collections.frick.org/view/objects/asitem/999/3/primaryMaker-asc/title-asc?t:state:flow=948bba63-ffaa-499d-9d2f-978678ed09ce
Le plus intrigant dans le faux du film, outre la pomme, c'est la main du jeune homme, qui, moi, m'a fait penser aux tableaux maniéristes de l'Ecole de Fontainebleau (le tableau super célèbre de Gabrielle d'Estrées au bain par exemple, où la baigneuse pince le téton de Gabrielle comme le garçon pince sa pomme).
En tous les cas, les définitions du maniérisme, ça colle bien avec le style d'Anderson: "Mannerism is notable for its intellectual sophistication as well as its artificial (as opposed to naturalistic) qualities. Mannerism favours compositional tension and instability rather than the balance and clarity of earlier Renaissance painting. Mannerism in literature and music is notable for its highly florid style and intellectual sophistication." (wiki)
Borges, tu fais allusion au jugement de Paris. C'est vrai que dans les films d'Anderson, il y a toujours une histoire de rivalité, de rivalité entre des prétendants.
Eyquem- Messages : 3126
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
hi;
oui, rivalité des prétendants; l'essentiel pour moi, dans l'économie du film, dans son mouvement, c'est la pomme et le jeune homme. Un jeune homme et une pomme, cela ne peut nous conduire que soit vers la bible, soit vers paris; la bible, c'est pas tellement intéressant, dans ce contexte, surtout que la pomme de paris est aussi une affaire de sexe, et de désir ( on rapproche souvent paris et adam). Tous les problèmes du film viennent d'un héritage, d'une attribution, d'un don, d'un tableau détourné de son chemin naturel, de ses destinataires premiers. Le tableau va à qui il ne devrait pas, ce qui provoque la guerre. La pomme comme origine de la guerre...
c'est sans grand intérêt, mais le chapitre 5 du bouquin de damisch "le jugement de paris" s'intitule : " souviens-toi de paris -généalogie de l'europe"
oui, rivalité des prétendants; l'essentiel pour moi, dans l'économie du film, dans son mouvement, c'est la pomme et le jeune homme. Un jeune homme et une pomme, cela ne peut nous conduire que soit vers la bible, soit vers paris; la bible, c'est pas tellement intéressant, dans ce contexte, surtout que la pomme de paris est aussi une affaire de sexe, et de désir ( on rapproche souvent paris et adam). Tous les problèmes du film viennent d'un héritage, d'une attribution, d'un don, d'un tableau détourné de son chemin naturel, de ses destinataires premiers. Le tableau va à qui il ne devrait pas, ce qui provoque la guerre. La pomme comme origine de la guerre...
c'est sans grand intérêt, mais le chapitre 5 du bouquin de damisch "le jugement de paris" s'intitule : " souviens-toi de paris -généalogie de l'europe"
Borges- Messages : 6044
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
Hi, tout le monde,
Il y a quelques pistes ici également au sujet du tableau, cette peinture de Michael Taylor. J'aurais bien aimé lire le premier texte de ce Alain Korkos via le site d'A.S.I
http://www.arretsurimages.net/breves/2014-03-06/Wes-Anderson-et-la-peinture-un-mysterieux-mystere-id17038
Dans La Liste de Schindler, Ralph Fiennes ne jouait il pas le bourreau ? (jamais vu le film en entier)
Tout au long du film j'ai vu cet hôtel comme un sanatorium, ceux de Davos par exemple. Une copine collectionnait de vieilles cartes postales de ces lieux. Certains ont vu le ventre de maman, moi un sonatorium à Davos avec Hitler planqué derrière une porte, lol.
Celui de Schatzalp par exemple ou bien Clavadel.
Justement, sur des forums anglo-saxons évoquant le film de W.A, j'ai lu à plusieurs reprises la référence au livre de Thomas Mann , La Montagne magique, qui se passe dans un sanatorium...
http://perceval.over-blog.net/article-1912-le-sanatorium-ou-la-montagne-magique-110274189.html
EDIT: c'était évident qu'il avait vu The Moral Storm (de F.Borzage avec James Stewart) ; je viens de vérifier cela via un canard us. Certes, ce jeu de recherche n'est pas passionnant.
Cette idée autour de la "porte, objet, thème, signe, image, symbole" est intéressante... je me demande bien jusqu'où peut elle emmener. Le texte de Baudelaire Le Peintre de la vie moderne , également.
"Les bonnes manières sont un mode de résistance d'une profonde vanité."
W.A
La naissance de l' Europe ou bien sa fin ?
Il y a quelques pistes ici également au sujet du tableau, cette peinture de Michael Taylor. J'aurais bien aimé lire le premier texte de ce Alain Korkos via le site d'A.S.I
http://www.arretsurimages.net/breves/2014-03-06/Wes-Anderson-et-la-peinture-un-mysterieux-mystere-id17038
Dans La Liste de Schindler, Ralph Fiennes ne jouait il pas le bourreau ? (jamais vu le film en entier)
Tout au long du film j'ai vu cet hôtel comme un sanatorium, ceux de Davos par exemple. Une copine collectionnait de vieilles cartes postales de ces lieux. Certains ont vu le ventre de maman, moi un sonatorium à Davos avec Hitler planqué derrière une porte, lol.
Celui de Schatzalp par exemple ou bien Clavadel.
Justement, sur des forums anglo-saxons évoquant le film de W.A, j'ai lu à plusieurs reprises la référence au livre de Thomas Mann , La Montagne magique, qui se passe dans un sanatorium...
http://perceval.over-blog.net/article-1912-le-sanatorium-ou-la-montagne-magique-110274189.html
- Spoiler:
- "Dans la version originale, La Montagne magique s'intitule "Der Zauberberg" et les germanophones trouveront une certaine ressemblance avec tout d'abord "Der Zauberlehrling", à savoir "L'apprenti sorcier" de Goethe que tout le monde connaît et dont le rapport avec Hans Castorp "expérimentant la séduction de la maladie et de la mort" semble assez évident (bien que le roman fasse clairement et ouvertement des appels du pieds à une autre œuvre de Goethe, à savoir Faust, comme par exemple "la nuit des Walpurgis"), et d'autre part avec "Die Zauberflöte", à savoir "La Flûte enchantée" de Mozart. L'argument de cet opéra n'est pas sans rappeler certains éléments marquants du livre (le héros égaré dans un pays lointain et inconnu, la survenue du portrait de Pamina, qui ici prendrait immanquablement les traits de Clawdia Chauchat et de sa radio des poumons, etc.) et j'ai plaisir à deviner Tamino sous Hans Castorp "
EDIT: c'était évident qu'il avait vu The Moral Storm (de F.Borzage avec James Stewart) ; je viens de vérifier cela via un canard us. Certes, ce jeu de recherche n'est pas passionnant.
Cette idée autour de la "porte, objet, thème, signe, image, symbole" est intéressante... je me demande bien jusqu'où peut elle emmener. Le texte de Baudelaire Le Peintre de la vie moderne , également.
"Les bonnes manières sont un mode de résistance d'une profonde vanité."
W.A
Borges a écrit:c'est sans grand intérêt, mais le chapitre 5 du bouquin de damisch "le jugement de paris" s'intitule : " souviens-toi de paris -généalogie de l'europe
La naissance de l' Europe ou bien sa fin ?
- Spoiler:
capture via cette vidéo (à 0.40 et 3.53)
careful- Messages : 690
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
Hi
merci, pour ces montages...
comme pour toutes les idées émises sur ce topic, c'est bien la question; car, penser, écrire, faire des montages, des agencements, même si on se le dit pas, c'est pour aller quelque part, arriver à quelque chose... toutes ces remarques sont intéressantes, et elles le seraient encore plus, si elles pouvaient être rassemblées, et orientées; c'est de la matière à former, penser, des pistes à explorer; des portes à ouvrir, violemment ou par ruse, en espérant ne pas se retrouver dans la fameuse chambre de l'overlook face à barbe-bleu se teignant la barbe
merci, pour ces montages...
Carefu a écrit:
Cette idée autour de la "porte, objet, thème, signe, image, symbole" est intéressante... je me demande bien jusqu'où peut elle emmener. Le texte de Baudelaire Le Peintre de la vie moderne , également.
comme pour toutes les idées émises sur ce topic, c'est bien la question; car, penser, écrire, faire des montages, des agencements, même si on se le dit pas, c'est pour aller quelque part, arriver à quelque chose... toutes ces remarques sont intéressantes, et elles le seraient encore plus, si elles pouvaient être rassemblées, et orientées; c'est de la matière à former, penser, des pistes à explorer; des portes à ouvrir, violemment ou par ruse, en espérant ne pas se retrouver dans la fameuse chambre de l'overlook face à barbe-bleu se teignant la barbe
Borges- Messages : 6044
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
Je ne voulais pas le voir mais j'ai raté un rendez-vous et le voir était une façon de meubler un temps mort (rien d'autre au cinéma ne me tentait).
C'est nullissime et insignement faible (et pourtant j'avais bien aimé la "Vie Aquatiquee et surtout "Darjeeling Limited", pas vu d'autres Anderson), tant esthétiquement que moralement, idéologiquement.
Le film est apparemment le film du mois au Cahiers, qui détaille longuement mais vaguement deux séquences dans sa critique (le meurtre de la soeur et la poursuite non pas en ski mais en luge), c'était un mauvais signe, car ces séquences étaient déjà traitées dans le texte comme des idées plus que comme de images, mais permettent d'éviter de parler de l'idée générale du film.
Formellement c'est assez nul: le film ne tiendrait pas sans la musique,(un comble vu que le film joue sur plusieurs régime d'image, mais dans chacun desquels il s'épuise vite), qui exprime diirectement les émotions des personnages, détermine la perception du spectateur (cela a toujours été le cas dans les autres films d'Anderson, en plus le sentiment était complètement réduit à la connivence des goûts culturels, mais au moins la mmusique était écoutable), et installe un faux suspens dans ce qui n'est que la mise en scène d'un décors statique. La musique masque le manque de rythme dans le jeu des acteurs (Fiennes Dafoe Brody pénibles, et donnant tous l'impression de faire leurs huit heures ), et permet à chaque personnage de demeurer une esquisse unilatérale.
Formellement, politiquement on oscille entre la réprésentation clichéede la Mitteleuropa comme lieu par excellence directement déterminé par l'idéologie et l'histoire façon BD de Bilal et Christin (au détriment du reste: par exemple le film parle d'un vrai-faux Taganyka néerlandais comme un réfuge édenique, il faut opposer le monde lui-même à cette saturation de la culture et du quotidien par l'histoire et l'idéologie, que le film montre comme implacable mais complètement locale, voire folklorique), Quick et Flupke et Papy fait de La Résistance. Je ne vois pas trop la filiation avec Murnau et Lubitsch (si ce n'est que ces deux cinéastes étaient de culture germanique et se sont exilés pur continuer à filmer -mais justement Grand Budapest Hotel est au contraire un film qui tient en postulant l'impossibilité de l'exil). Chez Lubitsh, il ya quand-même une très grande sensibilité pour l'irréductibilité et le manque dans l'amour, la description simultanée de la complémentarité de l'autre et l'échec de la relation. Ici au contraire, c'est l'inverse: les personnages se reconnaissent spontanément, sont introduits sur la scène par leur propre histoire (le passé est l'élément de la relation entre soi et l'autre, pas le désir - et le passé fait l'objet d'un discorus analytique qui l'épuise: toutes les maîtresses de Gustav sont ainsi passées en revue), il ya bien une irréductibilité et une séparation, mais seule la mort l'amène ("la Grippe prussienne").
Un truc aussi: das l'interview dans les Cahiers, Anderson qualifie en effet de la même manière nazisme et communisme comme deux forces de destruction simultanées , mais le film est bien forcé de rendre compte, même dans la marche balkanique imaginaire du film, que le communisme a suivi le fascisme et expliquer que l'hôtel est resté une propriété privée dans les années 60: Zero Mustafa a choisi de vendre à l'état les richesses qu'il avait pour garder cet hôtel. C'est singulier de proposer cette fiction de la vente du patrimoine à l'état, alors qu'une spoliation pure et simple de l'hôtel aurait été plus crédible historiquement. Mais en fait c'est la position du film: il n'oppose pas une critique à une idéologie, mais un patrimoine à l'idéologie c'est ce patrimoine (et non par exemple le déracinement) qui donne le privilège de pouvoir résister à l'idéologie.
Peut-être que je parle trop d'un film mineur. Wes Anderson dit qu'il a fait ce film à partir de l'idée qu'un Texan qui n'aurait jamais été en Europe se ferait de l'histoire de l'Europe. C'est en fait assez réussi. Le film a provoqué une sensation d'énervement chez moi du même tyoe que celle que j'aurais lu en lisant un supplément féminin ou fashion d'un journal (comme Victoire pour le Soirr) qui lorsqu'il écrit sur votre propre ville, tente de vous refiler les meilleurs adresses de boulangerie de café, des itinéraires de promenades à raconter, même si vous savez que votre ville n'a que deux rues, que c'est peut-être son charme de n'avir que deux rues, ils en inventeront de toute manière une troisième imaginaire, mais plus hype.
Quant à la remise en perspective avec Zweig: elle n'est pas vraiment le fruit d'un travail, le film cite encore plus lourdement sa filiation avec Zweig que Myazaki ne le fait avec Valery dans "le Vent se Lève". Ceci dit justement ces deux films ont un point de vue assez proche sur l'histoire : même période, même personnages ambigus face au fascisme, qui ne l'aiment pas, en décodent l'esthéétiquue, mais vivent dans une institution que le fascisme tolère et utilise. En fait ils peuvent se permettre de ne pas se laisser séduire par le fascisme car celui-ci a besoin d'eux (c'est l'inverse du cinéma rétro des années 70, mais cela revient au même, la séduction a gardé la même valeur politique).
L'hôtel-sanatorium est d'ailleurs central dans les deux histoires. Mais celui de Myazaki est beaucoup plus construit et riche, il utilise la littérature pour pouvoir entrer à l'intérieur du monde qu'il recrée (il y a une très belle idée sur la palce de la Littérature dans "le Vent se Lève": le personnage qui ne comprend pas en fait le vers de Valery sur lequel il bute et qui le fascine, qui ne perçoit pas que c'est directement Thomas Mann qu'il croise, la vérité, le pouvoir d'objectivation de la littérature lui est délivré comme un privilège, qu'il ne saisit pas) , tandis que chez Anderson le nom (la marque?) "Zweig" c'est juste une convention culturelle pour se positionner soi-même en auteur.
C'est nullissime et insignement faible (et pourtant j'avais bien aimé la "Vie Aquatiquee et surtout "Darjeeling Limited", pas vu d'autres Anderson), tant esthétiquement que moralement, idéologiquement.
Le film est apparemment le film du mois au Cahiers, qui détaille longuement mais vaguement deux séquences dans sa critique (le meurtre de la soeur et la poursuite non pas en ski mais en luge), c'était un mauvais signe, car ces séquences étaient déjà traitées dans le texte comme des idées plus que comme de images, mais permettent d'éviter de parler de l'idée générale du film.
Formellement c'est assez nul: le film ne tiendrait pas sans la musique,(un comble vu que le film joue sur plusieurs régime d'image, mais dans chacun desquels il s'épuise vite), qui exprime diirectement les émotions des personnages, détermine la perception du spectateur (cela a toujours été le cas dans les autres films d'Anderson, en plus le sentiment était complètement réduit à la connivence des goûts culturels, mais au moins la mmusique était écoutable), et installe un faux suspens dans ce qui n'est que la mise en scène d'un décors statique. La musique masque le manque de rythme dans le jeu des acteurs (Fiennes Dafoe Brody pénibles, et donnant tous l'impression de faire leurs huit heures ), et permet à chaque personnage de demeurer une esquisse unilatérale.
Formellement, politiquement on oscille entre la réprésentation clichéede la Mitteleuropa comme lieu par excellence directement déterminé par l'idéologie et l'histoire façon BD de Bilal et Christin (au détriment du reste: par exemple le film parle d'un vrai-faux Taganyka néerlandais comme un réfuge édenique, il faut opposer le monde lui-même à cette saturation de la culture et du quotidien par l'histoire et l'idéologie, que le film montre comme implacable mais complètement locale, voire folklorique), Quick et Flupke et Papy fait de La Résistance. Je ne vois pas trop la filiation avec Murnau et Lubitsch (si ce n'est que ces deux cinéastes étaient de culture germanique et se sont exilés pur continuer à filmer -mais justement Grand Budapest Hotel est au contraire un film qui tient en postulant l'impossibilité de l'exil). Chez Lubitsh, il ya quand-même une très grande sensibilité pour l'irréductibilité et le manque dans l'amour, la description simultanée de la complémentarité de l'autre et l'échec de la relation. Ici au contraire, c'est l'inverse: les personnages se reconnaissent spontanément, sont introduits sur la scène par leur propre histoire (le passé est l'élément de la relation entre soi et l'autre, pas le désir - et le passé fait l'objet d'un discorus analytique qui l'épuise: toutes les maîtresses de Gustav sont ainsi passées en revue), il ya bien une irréductibilité et une séparation, mais seule la mort l'amène ("la Grippe prussienne").
Un truc aussi: das l'interview dans les Cahiers, Anderson qualifie en effet de la même manière nazisme et communisme comme deux forces de destruction simultanées , mais le film est bien forcé de rendre compte, même dans la marche balkanique imaginaire du film, que le communisme a suivi le fascisme et expliquer que l'hôtel est resté une propriété privée dans les années 60: Zero Mustafa a choisi de vendre à l'état les richesses qu'il avait pour garder cet hôtel. C'est singulier de proposer cette fiction de la vente du patrimoine à l'état, alors qu'une spoliation pure et simple de l'hôtel aurait été plus crédible historiquement. Mais en fait c'est la position du film: il n'oppose pas une critique à une idéologie, mais un patrimoine à l'idéologie c'est ce patrimoine (et non par exemple le déracinement) qui donne le privilège de pouvoir résister à l'idéologie.
Peut-être que je parle trop d'un film mineur. Wes Anderson dit qu'il a fait ce film à partir de l'idée qu'un Texan qui n'aurait jamais été en Europe se ferait de l'histoire de l'Europe. C'est en fait assez réussi. Le film a provoqué une sensation d'énervement chez moi du même tyoe que celle que j'aurais lu en lisant un supplément féminin ou fashion d'un journal (comme Victoire pour le Soirr) qui lorsqu'il écrit sur votre propre ville, tente de vous refiler les meilleurs adresses de boulangerie de café, des itinéraires de promenades à raconter, même si vous savez que votre ville n'a que deux rues, que c'est peut-être son charme de n'avir que deux rues, ils en inventeront de toute manière une troisième imaginaire, mais plus hype.
Quant à la remise en perspective avec Zweig: elle n'est pas vraiment le fruit d'un travail, le film cite encore plus lourdement sa filiation avec Zweig que Myazaki ne le fait avec Valery dans "le Vent se Lève". Ceci dit justement ces deux films ont un point de vue assez proche sur l'histoire : même période, même personnages ambigus face au fascisme, qui ne l'aiment pas, en décodent l'esthéétiquue, mais vivent dans une institution que le fascisme tolère et utilise. En fait ils peuvent se permettre de ne pas se laisser séduire par le fascisme car celui-ci a besoin d'eux (c'est l'inverse du cinéma rétro des années 70, mais cela revient au même, la séduction a gardé la même valeur politique).
L'hôtel-sanatorium est d'ailleurs central dans les deux histoires. Mais celui de Myazaki est beaucoup plus construit et riche, il utilise la littérature pour pouvoir entrer à l'intérieur du monde qu'il recrée (il y a une très belle idée sur la palce de la Littérature dans "le Vent se Lève": le personnage qui ne comprend pas en fait le vers de Valery sur lequel il bute et qui le fascine, qui ne perçoit pas que c'est directement Thomas Mann qu'il croise, la vérité, le pouvoir d'objectivation de la littérature lui est délivré comme un privilège, qu'il ne saisit pas) , tandis que chez Anderson le nom (la marque?) "Zweig" c'est juste une convention culturelle pour se positionner soi-même en auteur.
Dernière édition par Tony le Mort le Jeu 20 Mar 2014 - 22:23, édité 1 fois
Invité- Invité
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
Eyquem a écrit:
Il y a de toute façon toute une série d'allusions à l'homosexualité dans le film, à propos de Gustave en particulier.
En revanche, l'hétérosexualité du personnage de Zero Mustafa auquel on invite le spectateur à s'identifier est lourdement signifiée (d'autant plus lourdement et absolument qu'il n'a en fait pas de sexualité). A côté le sparadrap collant de Tintin et Haddock c'est Tombeau pour 200 000 Soldats
Invité- Invité
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
revu le film; seconde vision, de loin supérieure à la première
Borges- Messages : 6044
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
Excusez-moi d'ête chiant, mais j'ai du mal à être intéressé par la fascination d'Anderson pour les marques, et voir dans ce cinéma autre chose qu'un truc de hipster demi-cultivé bloqué en 1997. Pour moi ce film c'est le versant chic de ce que qui chez Jeunet est peut-être plus populiste, mais c'est la même esthétique, le même univers, la même lumière.
Dans Darjeeling Limited le père est effacé derrière sa vieille Porsche, tout ce qu'il lègue à sa mort, tout ce que l'on voit de lui. Oui mais en plus le film nous fait comprendre que c'est une 911 "S", attention pas un truc de plébéiens ou de nouveaux riches comme une 911 "T" ou une 911 "E" mais le modèle le plus exclusif, le plus originel, celui dont parlent avec le plus de révérence les revues automobiles, et que cela l'absout d'avoir été un mauvais père (en fait les différences entre les modèles sont pratiquement invisibles à l'oeil nu, la S avait juste une petite entrée d'air métallique en dessous des phares, là où les autres l'avaient en plastique noir, c'est juste le réglage du moteur qui différait). La définition de l'innocence chez Anderson: être le passé du hype, ou encore: être survécu par sa propre distinction.
Chez Lubitsch, je crois qu'on comprend que le mari d'Angel est riche et perdu, à la fois veule et émouvant, sans que l'on nous explique exactement dans quelle voiture il roule, s'il a choisit Hothckiss, Lincoln ou Citroën.
Et Maurice Chevalier veut "la" baignoire de Louis XIV, chez Anderson la même histoire deviendrait celle d'un homme qui veut "une" baignoire de chez "Machinbrols & Sons".
Lorsqu'Anderson parle de Holbein et de Bosch on dirait que ce sont des marques. Un Holbein oui mais attention celui de la Fricks, pas celui du musée de Vesoul ou de Springfield (qu'il n'est pas intéressant de donner à voir, car justement personne ne l'a vu).
Dans ce film, mêmes les marques imaginaires sont contrebalancées par des marques réelles. Mend'l fait ses livraisons dans un triporteur Vespa rose "So Cute" ( la pizzeria fermée à côté de mon travail sur la nationale a le même, mais en rouillé). La voiture de Tilda Swinton a l'air d'être une vieille berline Mercedes bricolée pour être allongée et sembler une limousine de fantaisie, mais on nous montre aussi de manière fétichiste, pour compenser, une Citroën C6 parfaitement restaurée. Il faut fourger au spectateur à la fois l'imaginaire et la marchandise, mais en montrant en fait deux fois un seul objet. Les insignes des pata-SS sont des logos, par contre le communisme kroutchévien déplaît et est mal situé car il n'a pas pas de logos (juste des instructions dans l'hôtel sur les différents lieux, ce qui est bien vu, mais en fait faux, le communisme avait bien des sortes de logos, le réel fonctionnait dans son esthétique comme un logo, mais le cinéma d'Anderson est en dessous de cette subtilité et de cette perspicacité, il est tellement snob qu'il prend les signes symboliques d'aliénations comme des choses littérales, et vice-versa).
Et je ne comprends pas comment vous avez pu résister à la musique, à côté de laquelle Goran Bregovic et son armée de tubas c'est Daughters of the Lonesome Isle ou l'ambiant façon KLF
Dans Darjeeling Limited le père est effacé derrière sa vieille Porsche, tout ce qu'il lègue à sa mort, tout ce que l'on voit de lui. Oui mais en plus le film nous fait comprendre que c'est une 911 "S", attention pas un truc de plébéiens ou de nouveaux riches comme une 911 "T" ou une 911 "E" mais le modèle le plus exclusif, le plus originel, celui dont parlent avec le plus de révérence les revues automobiles, et que cela l'absout d'avoir été un mauvais père (en fait les différences entre les modèles sont pratiquement invisibles à l'oeil nu, la S avait juste une petite entrée d'air métallique en dessous des phares, là où les autres l'avaient en plastique noir, c'est juste le réglage du moteur qui différait). La définition de l'innocence chez Anderson: être le passé du hype, ou encore: être survécu par sa propre distinction.
Chez Lubitsch, je crois qu'on comprend que le mari d'Angel est riche et perdu, à la fois veule et émouvant, sans que l'on nous explique exactement dans quelle voiture il roule, s'il a choisit Hothckiss, Lincoln ou Citroën.
Et Maurice Chevalier veut "la" baignoire de Louis XIV, chez Anderson la même histoire deviendrait celle d'un homme qui veut "une" baignoire de chez "Machinbrols & Sons".
Lorsqu'Anderson parle de Holbein et de Bosch on dirait que ce sont des marques. Un Holbein oui mais attention celui de la Fricks, pas celui du musée de Vesoul ou de Springfield (qu'il n'est pas intéressant de donner à voir, car justement personne ne l'a vu).
Dans ce film, mêmes les marques imaginaires sont contrebalancées par des marques réelles. Mend'l fait ses livraisons dans un triporteur Vespa rose "So Cute" ( la pizzeria fermée à côté de mon travail sur la nationale a le même, mais en rouillé). La voiture de Tilda Swinton a l'air d'être une vieille berline Mercedes bricolée pour être allongée et sembler une limousine de fantaisie, mais on nous montre aussi de manière fétichiste, pour compenser, une Citroën C6 parfaitement restaurée. Il faut fourger au spectateur à la fois l'imaginaire et la marchandise, mais en montrant en fait deux fois un seul objet. Les insignes des pata-SS sont des logos, par contre le communisme kroutchévien déplaît et est mal situé car il n'a pas pas de logos (juste des instructions dans l'hôtel sur les différents lieux, ce qui est bien vu, mais en fait faux, le communisme avait bien des sortes de logos, le réel fonctionnait dans son esthétique comme un logo, mais le cinéma d'Anderson est en dessous de cette subtilité et de cette perspicacité, il est tellement snob qu'il prend les signes symboliques d'aliénations comme des choses littérales, et vice-versa).
Et je ne comprends pas comment vous avez pu résister à la musique, à côté de laquelle Goran Bregovic et son armée de tubas c'est Daughters of the Lonesome Isle ou l'ambiant façon KLF
Invité- Invité
Re: Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)
Tony le Mort a écrit:En revanche, l'hétérosexualité du personnage de Zero Mustafa auquel on invite le spectateur à s'identifier est lourdement signifiée (d'autant plus lourdement et absolument qu'il n'a en fait pas de sexualité). A côté le sparadrap collant de Tintin et Haddock c'est Tombeau pour 200 000 SoldatsEyquem a écrit:
Il y a de toute façon toute une série d'allusions à l'homosexualité dans le film, à propos de Gustave en particulier.
C'est une jolie manière de décrire une histoire d'amour, dire que "l'hétérosexualité est lourdement signifiée". Dire de Zero Moustafa qu'il n'a pas de sexualité sans préciser que c'est le cas de tous les personnages de WA c'est un peu court. Un garçon qui se marie, a un enfant, dort avec son amie, l'embrasse, a de fait une sexualité. Par contre, la mise en scène de WA gomme tout désir de toute situation. En ce sens, la sexualité, mais le corps aussi, sont absents de son cinéma en général.
C'est intéressant ce que tu dis sur les marques chez Anderson, mais son cinéma ne se résume quand même pas à ça. Pas de problème si tu n'es pas touché hein
adeline- Messages : 3000
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