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AMOUR de Michaël Haneke

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AMOUR de Michaël Haneke Empty AMOUR de Michaël Haneke

Message par Invité Dim 4 Nov 2012 - 15:55

J'étais partagé avant d'aller voir le film : j'avais le sentiment que je n'allais pas aimer, que tout ce qui est mis sur le dos de Haneke allait me contaminer aussi, mais j'avais le secret espoir que la réception très favorable de sa Trilogie de la glaciation, puis Caché ou encore le remake de Funny Game allaient bien tracer un chemin en moi vers l'acceptation d' Amour.

Ca n'a pas été immédiat mais deux tirades, un peu théâtrales, sur les sentiments qu'on peut avoir au sortir d'un film d'une part, souvenir raconté par Trintignant non sur le film qu'il avait vu lui même, mais la réminiscence des sentiments auxquels il était plus attaché qu'au film qui les avait fait naître, puis d'autres part comment le professeur de piano joué par Emmanuelle Riva avait compté dans l'éclosion d'un jeune talent, Alexandre Tharaud, jouant son propre rôle, amplifiant ainsi l'émotion de cette scène où il joue dans leur salon à l'occcasion d'une brève visite entre deux concerts, un morceau qu'il n'a pas oublié depuis l'âge de onze ans où elle lui avait fait travaillé.

Deux vagues d'émotion qui m'ont submergé sur ces propos sur l'art. J'ai su alors comment le film allait consister à se retirer sur la pointe des pieds d'un monde le l'art vers un monde privé d'art par la force des choses, la vieillesse des protagonistes.

Pas tout à fait privé d'art pour le spectateur car il y a une jouissance du jeu à éprouver particulièrement celui qui est de toutes les scènes, sauf la première et la dernière, Trintignant.

Et c'est une deuxième forme d'art à laquelle nous sommes conviés par la construction du film d'abord, un long flash-back puis un court flash-forward dans la continuité, saisissable aisément, pas de voix off. Que du théâtre, de la musique, de la peinture, de l'écriture, de la photo ... qui foutent le camp, c'est comme ça.

Plaidoyer pour rien, condamnation d'encore moins rien, juste la sensation que le film donne à réfléchir sur rien de précis : l'amour ? Tout aussi bien la vie.

On peut voir en Haneke, ici encore, ce manipulateur - Tessé ne s'en prive pas dans les cahiers - il me semble que c'est un contresens. On peut aussi trouver bourgeois le film. Pour ma part j'y vois la volonté jusqu'à la dernière limite et en dépit des tragédies de l'âme humaine de rester élégant, ce qui est aussi objet de l'art.

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Message par Invité Dim 4 Nov 2012 - 18:27

il y a dans ce film comme dans Cesar doit mourir des références réelles aux oeuvres ou à l'art : du côté des Tavaiani la pièce de Shakespeare Jules César
ici des références à la musique bien sûr, ce pianiste, Schubert, un livre sur Harnoncourt, des tableaux, un appartement art déco etc...

On pense à Godard qui utilise Fritz Lang mettant un terme à la série des métafilms hollywoodiens où metteurs en scène, scénaristes ou réalisateurs n'étaient tout au plus que des personnage de fiction.

Un autre régime de l'art - dans l'art - se dessine.


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Message par Borges Dim 4 Nov 2012 - 19:21

curieux la double présence de E.Riva, dans le dernier film de Resnais (l''affiche de "Hiroshima, mon amour", et dans le titre bien entendu ), et dans "amour" (sans Hiroshima...); chez Resnais, l'amour ne vieillit pas; il n'a pas d'histoire, on oublie toujours déjà...


pas encore vu le film, mais je trouve assez ridicules les critiques (manipulation, absence d'amour du cinéaste pour le spectateur, ses acteurs, ses personnages...)

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Message par Invité Dim 4 Nov 2012 - 20:57

AMOUR de Michaël Haneke 9782848321011
je suis tombe sur ce bouquin au sommaire intéressant mais que je n'ai pas encore lu :un chapitre surtout m'a attiré Land Art, Earth Art et temporalité ( nature et culture ) essentiellement dédié à Kubrick

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Message par Invité Mar 6 Nov 2012 - 12:37

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Message par Invité Mer 7 Nov 2012 - 9:42

AMOUR de Michaël Haneke Jacqueline-Roberts
Jacqueline Roberts: Les Amants, 2011 (Tribute to Magritte) - Black Glass Ambrotype

Il y a bien quelque chose de romantique de cet ordre-là dans le final de Amour
quant à la façon qu'a Georges/Trintignant de quitter la scène comment ne pas en voir la finesse scénaristique et l'élégance de coeur.

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Message par Invité Mer 7 Nov 2012 - 9:59

c'est un des aspects distinctifs du cinéma d'Haneke que j'apprécie : le plus démesurément cru peut préluder sans transition au plus finement attentionné.

c'est un cinéma inspiré, habité qui fabrique sans l'imposer sa galerie d'images, son approche du néant, film après film.

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Message par Invité Mer 7 Nov 2012 - 10:05

ces variations de l'habitus sont pour moi la marque d'un cinéma non bourgeois, d'un cinéma où toute chose serait obstinément égale à elle même. il est curieux qu' "on" reproche tout à Haneke ... et son contraire !

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Message par Invité Mer 7 Nov 2012 - 17:04

Rumi, le poète soufi a écrit : "Au delà du bien et du mal, il y a un pays. C'est là-bas que je te retrouverai".

Beaucoup de personnes ne savent pas que ce lieu existe, elles ne connaissent que le monde de ce qui est juste ou ne l'est pas, de la punition et de la récompense, du bon et du mauvais.

Il est utile que nous soyons préparés à ce type de malentendu.

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Message par Eyquem Sam 10 Nov 2012 - 11:54

C’est un film vraiment remuant. Je suis pas fan d’Haneke, mais à chaque fois, c’est quand même bien puissant.
Baudouin de Barvaux a écrit:Dans Benny's video il n'y a pas d'"évasion" au Maroc, mais en Egypte (c'est important parce que ça a un sens précis pour le film)
Tu seras content, le film commence par un plan stupéfiant de Riva, littéralement momifiée.

Le film, à mon avis, porte moins sur la décrépitude des corps que sur les traces chiffrées que ceux-ci laissent de leur passage : des photos, des tableaux, des disques, un appartement plein de souvenirs. Cet appartement, c’est un tombeau, une crypte. C’est comme ça qu’il est filmé, dans la première scène (l’ouverture du tombeau, la découverte de la momie) et dans la toute dernière (Huppert qui hérite des lieux, et qui se retrouve là, dans ce lieu hanté par tout ce qu’on a vu, et pas vu). On lit ici ou là que c’est un film humaniste ou misanthrope : j’ai pas le sentiment que c’est ça qui intéresse Haneke. Ce qui l’intéresse, ce sont les lieux, les lieux clos, la présence du « caché » dans ces lieux, ce qui les hante et qui se transmet d’une génération à l’autre. La déchéance de Riva est certainement importante, mais pas si on la coupe des traces invisibles qu’elle laisse, du « caché » que sa disparition rend présent, et dont la génération des enfants hérite à la fin.

Donc, tout le film est construit comme un immense flash-back : que s’est-il passé ? Qu’est-il arrivé à Riva pour qu’on la retrouve comme ça, momie puante sur son lit de fleurs ? Quelque chose, un drame, a eu lieu dans cet appartement et le film en raconte l’histoire pour les vivants, au moment où ils ouvrent la crypte et trouvent cette momie. C’est donc à double titre que Riva et Trintignant sont des fantômes : quand l’histoire commence, ils sont déjà morts, et ce que le film décrit en détail, c’est comment ces fantômes sont morts.

La coupure temporelle, qui isole ces fantômes dans un passé qui n’est plus, se double d’une fermeture spatiale. Tout le film est pour ainsi dire un huis-clos et décrit en même temps la déchéance d’un corps et l’aménagement de son tombeau. Très vite, on ne sort plus de l’appartement. Mais ça ne suffit pas encore : il ne suffit pas que les deux vieux restent chez eux pour qu’ils soient coupés du monde et meurent en paix, si une telle chose est possible. Le monde ne vous lâche pas facilement : il y a le téléphone qui sonne, les visites intempestives des enfants, des concierges, d’un ancien élève. Les vieux sont sans cesse dérangés. Le principal souci de Trintignant, au bout d’un moment, ça va être de fermer encore plus ce lieu fermé : ne plus répondre au téléphone, ne plus ouvrir la porte, fermer la fenêtre, et même, pour finir, mettre du scotch autour des portes.
Mais au moment où l’appartement se ferme de plus en plus, aux bruits du monde, à la rumeur de la vie dehors, il s’ouvre en même temps sur une autre dimension. Je ne sais pas comment la nommer : disons, la dimension de l’invisible, de ce qui demeure par-delà la mort. Ce qui ouvre sur cette dimension, c’est la musique, évidemment, mais aussi les photos, les souvenirs que se racontent les vieux, ou bien les petits tableaux.

Le film joue ainsi sur des oppositions assez basiques. D’un côté, il y a Riva qui se fait dessus, qui bave, qui hurle. Et de l’autre, y a la grande musique, qui plane dans l’air comme venue d’on ne sait quel ailleurs, et dont le lien avec ce bas monde paraît totalement spectral : impossible de comprendre qu’une telle musique puisse s’élever dans ce monde où la seule chose qui domine, c’est la corruption des corps, la pesanteur des choses. D’un côté il y a donc la nuit terrifiante où les vieux s’enfoncent, où l’appartement s’enterre, où la mort, petit à petit, bouffe la vieille femme tout entière jusqu’à la tête, et de l’autre, il y a ces petits tableaux anonymes accrochés au mur, qui représentent des paysages ensoleillés, des marines, des pastorales d’un autre âge, avec de grands ciels traversés de rayons.

Vu comme ça, ça peut faire penser à une vanité, à un de ces tableaux de l’âge classique qui représentent, sur un même plan, des livres, un crâne, et un sablier, pour nous rappeler la vanité de tout savoir, le caractère transitoire des choses humaines, et qu’il n’y a de salut qu’en Dieu.

AMOUR de Michaël Haneke Sk-a-2205

Mais la leçon d’Haneke n’est pas celle des vanités ; chez lui, il n’y a pas de salut en Dieu, il n’y a de salut que dans l’art ou dans l’amour. C’est seulement par ça que les hommes « échappent » à la mort, c’est-à-dire s’aperçoivent qu’ils sont autre chose qu’un saccus merdae promis à la dégradation et à la corruption. D’où le montage silencieux sur les petits tableaux lumineux, qui promettent un ailleurs, une lumière, un paysage apaisé, qui ne se trouvent nulle part ailleurs que dans ces tableaux. Ou bien la fin, que je trouve très belle : Riva faisant la vaisselle, disant « Tu as le temps de te chausser. Tu devrais mettre ton manteau », et les deux petits vieux s’en vont, comme pour leur promenade du dimanche. Finalement, pour eux, c’est pas la mort qui a le dernier mot.

Ce qui fait peur dans le film, c’est que cet appartement, ces tableaux, ces souvenirs, tout cela qui atteste le passage des deux vieux, et qui, d’une certaine manière, leur assure une forme d’immortalité, tout cela est, en même temps, l’héritage pesant, obsédant, que la génération suivante va devoir se coltiner. C’est le côté fantastique du film, et aussi ce qui rappelle le plus les autres films d’Haneke : le problème de l’héritage, de ce qui se transmet d’une génération à l’autre, comme un cadeau empoisonné. C’est ce qui fait que, quand Huppert, dans le dernier plan, vient prendre possession des lieux, on a envie de lui dire de se sauver, de prendre ses jambes à son cou : qui aurait envie d’habiter cette crypte ? Les fauteuils sont encore à leur place, et elle s’assoit dans l’un d’eux : ça pourrait être le début d’un film d’horreur. On se dit que les fantômes ont pas fini de la visiter.
C’est ça le mouvement du film : on voit Riva dans des plans parfois difficiles à supporter, on voit la nuit manger peu à peu tout l’appartement ; mais à la fin, ce sont les morts qui se sauvent, à tous les sens du mot ; ils fuient les lieux, tandis que ce sont les vivants qui s’installent dans le tombeau. Le plus terrifiant, à mon sens, n’est atteint qu’au tout dernier plan, au moment où Huppert prend possession des lieux, et où on se dit que c’est plutôt l’inverse qui va se produire : c’est elle qui va être « possédée » par les spectres du lieu, par ce qui s’y est passé.


Dans les critiques que j’ai lues, les textes se focalisent trop sur les images de la déchéance de Riva. Je dirai pas qu’elles posent pas problème, mais se demander si elles sont sublimes ou abjectes, je trouve que c’est pas un bon problème pour comprendre le film. En un sens, ce sont des images qui font écran. Elles montrent, elles montrent même « plein cadre » (c’est globalement ce qu’on leur reproche), mais au fond, elles font écran : elles empêchent de voir. C’est des images-limites : limites au sens familier où elles vont « trop loin », mais limites, aussi, au sens où elles doivent permettre de voir au-delà, au-delà du point de butée qu’elles atteignent. Trintignant le dit lui-même : de la déchéance de Riva, « y a rien à voir ». Il dit ça à sa fille, quand il a fermé la chambre pour l’empêcher de voir la mère : « Tu verras pas ta mère dans cet état ; y a rien à voir ». Y a rien à voir, et pourtant Haneke le montre. C’est trop vite fait de mettre ça sur le compte d’un Père fouettard qui prend plaisir à nous infliger des images pas regardables. Le problème de ses films, c’est vraiment de saisir que les images cachent, et ce qu’elles cachent.
Si le film est si oppressant, ça ne tient pas seulement aux cris lancinants de Riva. Ca tient à la pesanteur des choses, des corps en général. Les images montrent les choses, les corps, les lieux, jamais comme ce qu’il faut voir (y a rien à voir), mais toujours comme des obstacles contre quoi elles butent, des écrans qui s’interposent, de tout leur poids de choses, de toute leur opacité. La légèreté, la lumière, elles, ne transparaissent que dans les petits tableaux, dans les souvenirs que les vieux se racontent, ou dans la musique.

C’est intéressant, à ce titre, de voir comment Haneke filme la musique : jamais comme quelque chose qui est joué par quelqu’un, mais toujours comme un son fantomatique, venu d’on sait où. Cf la scène du concert au début, où on ne voit pas le pianiste ; ou bien les scènes où les vieux écoutent des disques. Cf surtout la scène avec Tharaud : un ami me faisait remarquer : « Bizarre ! Pourquoi aller chercher Tharaud, alors qu’on ne le voit pas jouer ? Il n’y a même pas de plans sur ses mains. » C’était une remarque très juste : dans les films, les acteurs passent en général des heures à s’entraîner pour faire semblant de savoir jouer. Et là, Haneke a un pianiste hors pair, et il ne prend même pas la peine de nous montrer que c’est bien lui qui joue la musique qu’on entend. A mon avis, c’est pas pour rien : c’est comme si Haneke voulait que la musique ne soit pas de ce monde, mais sonne toujours comme venant d’ailleurs, frappée sur un piano invisible par des mains invisibles, qui ne peuvent pas être le piano qu’on a sous les yeux, les mains que l’image nous montre.

C’est aussi ce qui fait que j’adhère pas vraiment à ce film. Le film joue sur des oppositions très simples et fortes (le bas corporel / le haut spirituel, la crudité des corps qui pourrissent / le beau idéal qui transparaît dans les peintures, la musique, ou dans les souvenirs) mais cette opposition frontale ne met rien en mouvement : on se demande comment la création, l’amour sont possibles dans le monde qu’Haneke dépeint. Il ne filme pas la création en train de se faire, il ne filme pas l’amour en train d’advenir : tout est déjà passé, et comme coupé de notre monde par un hiatus infranchissable, une béance incomblable. Toutes les œuvres d’art qu’on voit ou qu’on entend appartiennent au passé. Même quand on entend du Schubert en son direct, on se demande d’où ça vient tellement ça semble venir de loin. Pour les vieux, c’est pareil : ils appartiennent au temps révolu d’un flash back ; et leur amour lui-même ne tient plus qu’à des souvenirs que la mort travaille à éloigner d’eux de plus en plus.
Le film semble placer ses espoirs dans l’amour et dans la création, qui seuls sauvent du néant, mais on a du mal à imaginer comment de telles choses sont encore possibles, dans le monde pesant et opaque qu’il filme. Les deux mondes (celui des choses et des corps d’un côté, celui des œuvres et des sentiments de l’autre), ces deux mondes coexistent, mais sans solution de continuité, totalement séparés l’un de l’autre.
Pour le dire autrement, on dirait que chez Haneke, le temps est totalement à l’arrêt : la création et l’amour ne sont plus que des tombeaux vides, des vestiges qui hantent les vivants. Le temps n’est plus mis en mouvement par ceux qui aiment et qui créent ; le seul temps qui passe encore, c’est le temps biologique, celui qui soumet les corps à la décrépitude. Mais le temps en mouvement de l’art et de la création paraît, lui, suspendu. Ceux qui ont créé sont morts : Beethoven, Schubert, les peintres dont on voit les tableaux, tout ça n’est plus. Ceux qui se sont aimés, les deux vieux, sont morts aussi, et pour la jeune génération, ça n’a pas l’air d’aller très fort (d’après ce que raconte Huppert de sa vie de couple). Il y a eu des œuvres d’art, il y a eu des histoires d’amour, mais c’est comme si le film en montrait les derniers feux, avec ces deux vieux qui meurent. Tout ça paraît fini, terminé, tout ça appartient au passé. Ce qui reste, c’est un appartement-tombeau, des vestiges de ce temps où l’art et l’amour étaient possibles.

C’est pour ça qu’à mon avis, le sujet essentiel du film, c’est le problème de l’héritage, figuré dans le film par cet appartement que la génération qui disparaît transmet à ses enfants. Le temps est à l’arrêt, Huppert jette un regard curieux, inquiet, autour d’elle, sur ces pièces, ces tableaux, ces livres qui ne sont plus pour elle qu’un décor vide, sans vie, qui ne se rattache à rien, sinon à une absence, à une histoire dont elle a été exclue parce que ses parents n’ont rien eu de plus pressant que de lui signifier que ce qui se passait entre eux, dans cet appartement, ça ne la regardait pas, y avait rien à voir. S’ouvre alors le temps immobile des spectres, le temps où on ouvre des pyramides, et où l'amour n'est plus qu'une momie qui vient vous hanter.
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Message par Invité Sam 10 Nov 2012 - 12:21

Eyquem a écrit :

Le film, à mon avis, porte moins sur la décrépitude des corps que sur les traces chiffrées que ceux-ci laissent de leur passage : des photos, des tableaux, des disques, un appartement plein de souvenirs. Cet appartement, c’est un tombeau, une crypte. C’est comme ça qu’il est filmé, dans la première scène (l’ouverture du tombeau, la découverte de la momie) et dans la toute dernière (Huppert qui hérite des lieux, et qui se retrouve là, dans ce lieu hanté par tout ce qu’on a vu, et pas vu). On lit ici ou là que c’est un film humaniste ou misanthrope : j’ai pas le sentiment que c’est ça qui intéresse Haneke. Ce qui l’intéresse, ce sont les lieux, les lieux clos, la présence du « caché » dans ces lieux, ce qui les hante et qui se transmet d’une génération à l’autre. La déchéance de Riva est certainement importante, mais pas si on la coupe des traces invisibles qu’elle laisse, du « caché » que sa disparition rend présent, et dont la génération des enfants hérite à la fin.

Tu fais un beau tour d'horizon de la fabula.
J'ajouterai qu'ici, de façon archaique et sacralisée Huppert vient mettre fin au film, à la disparition prochaine de deux monstres sacrés du cinéma : elle promet le décor à sa disparition. Le plateau va être nettoyé.
Place à la postérité.
Celle de Tharaud - associé à Schubert - est elle même aussi assurée. Le pianiste ne pouvait pas n'être pas connu, une pure et simple création scénaristique comme chez Audiard.
Chez Haneke une "chose" est une chose. On dit souvent son cinéma cérébral ( j'avais écrit son sentiment cérébral, cela convenait aussi ). C'est faux, il est terre à terre fait de la plus insigne et à la fois la plus insignifiante pâte humaine qui ne trouve d'exutoire, comme dans la tragédie, que dans des actes violents.
Pour moi Dumont est celui qui lui ressemble le plus - et un peu Doillon.
En tout cas on ne peut pas se tromper, et s'enorgueillir aussi, c'est un cinéaste européen, le premier, chronologiquement, peut-être.

Néanmoins je trouve que son cinéma n'est pas inspiré qu'il est toujours tel qu'en lui même, sanglé dans un certain classicisme d'où rien ne doit dépasser.

Si à la fin la caméra s'était reculée en traveling arrière pour laisser découvrir que l"espace était un scène de théâtre comme le suggère le filmage frontal, j'aurais fait : oh !

En fait il tire le meilleur parti des limites qu'il s'est imposées, et auxquelles il réduit son cinéma. On peut toujours contester ce dogme.

Les dogmes sont les avatars européens de la puissance américaine tous azimuts. Pour l'instant leur champ de visibilité, de lisibilité, leur passage au réel est limité.

Je ne suis pas du tout d'accord avec la fin de ton texte.
1- tu occultes complètement le romantisme exacerbé du film. Tu ne fais mine de penser que ce n'est sentimental que dans la pourriture des corps, le reste étant dévolu "aux idées", le patrimoine, la transmission, etc ... le tombeau hindou ( ?! ) : fariboles. C'est toujours un homme et une femme longtemps après.
2 - tu parles d'eux comme deux "vieux" : tu n'as jamais été vieux ! En revanche eux ont été jeunes et ont eu une vie chargée d'affects. L'invisible " dont tu parles est surtout là et Tharaud dans cette magnifique scène dans leur salon, bâtie comme un impromptu musical, est là surtout pour nous faire comprendre comment elle a raté sa vie, bref sa carrière de pianiste, un plan fantasmatique du regard de Trintignant, très court sur elle au clavier nous l'enseigne. Tu parles soit disant d'art avec tes vanités et leurs petits cadres bien disposés au mur et leur bouquin sur Harnoncourt - c'est moi qui rajoute - mais elle c'est un succédanée, l'art il n'est pas dans ces acquisitions, l'art pour elle c'est cette carrière de pianiste qu'elle n'a pas faite, et d'ailleurs elle est handicapée de la main, cette main avec laquelle elle aurait pu jouer. Tu intellectualise ce qui est du domaine du sensible. La précision d'Haneke t'aveugle.
3 - Quant au temps comment peut on dire qu'il soit figé dans ce film ce qui est encore une fois tout le contraire. Je viens d'en dire un mot, sur le contenu, quant à la forme au contraire et je pèse mes mots j'ai rarement vu un film ou le temps coule avec autant de simplicité et dans avoir recours à des artifices de cinéma d'aucunes sortes.
Non, tu es victime de tes préjugés.
Wink

pour le temps immobile c'est quand même très fortement lié au manque d'action.
un épisode marque cette fluidité/coagulation de temps, c'est l'épisode du robinet qui coule au début marquant, le premier malaise de Riva. Quand le robinet est fermé elle revient à elle. Ce bruit est insupportable car il amplifie l'arrêt du fonctionnement normal de son cerveau.
Combien de temps ça dure difficile à dire, un moment, le temps que le malaise commence à lanciner le spectateur...

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Message par Invité Dim 11 Nov 2012 - 9:14

en classe de première mon prof de français nous avait montré Thérèse Desqeyroux. Ce film qui a exactement 60 ans et son interprète, Emmanuelle Riva, ont, je crois, été à l'origine de mon goût pour le cinéma.
On peut le voir là :

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Message par Borges Dim 11 Nov 2012 - 11:23

beau texte Eyquem; mais j'ai pas trop été sensible comme toi à ce aspect hantise, héritage... plutôt à l'enferment, mais à un enferment de classe (après tout les pyramides c'était pas donné à tout le monde); c'est un film sur la bourgeoisie, et moins sur l'héritage que sur les héritiers, l'héritage des biens, de la culture... cet aspect classe, et rapports de classes est marqué, souligné (les pompiers, les infirmiers, et infirmières, les concierges...souvent d'origine étrangère, comme on dit), parfois même très lourdement.

A leur retour de concert, ils trouvent que l'on a essayé de pénétrer dans leur appartement; la femme dit que si quelqu'un s'introduisait chez eux alors qu'ils dorment, elle en mourrait de terreur... je crois pas ce mot dit au hasard... pour moi il faut entendre là la terreur politique... (quelle est l'origine de son "attaque"? N'est-ce pas cette peur du dehors, du voleur, de l'étranger. Importance du jeux sur les deux sens du mot).

Ces deux bourgeois (c'est pas seulement un effet de l'âge) sont complètement coupés du monde, de la vie, de l'extérieur; la seule nature est la nature représentée, en tableau, ou évoquée par la parole; de la fenêtre on ne regarde jamais au dehors, une seule fois quand la fille regarde la rue... (importance du pigeon).

La musique pour moi sert surtout à marquer la sublimation, le refoulement du monde, de la matière, du corps, du sensible, et à marquer la différence de classe, la distinction (sarcasme de JLT quand il parle de la secrétaire et de son radiocassette jouant les beatles, yesterday); ou plutôt, la musique (art de l'intérieur, piano, et de l'intériorité, proximité à soi) dans le film peut être lue en deux sens, inverses, soit comme négation-sublimation (meurtre) du sensible, du corps, soit comme expression sociale, politique, morale (bourgeois) d'un désir de contrôle, de maîtrise de la nature, en soi, et hors de soi...(Adorno)

-lire bourdieu (le texte sur Barthes)

Tout se passe en un lieu clos, fermé, dans un appartement, bourgeois (comme l'amour, ou la relation entre l'homme et la femme). On peut rassembler tout son propos dans le terme "proprius" , qui comme l'a souvent rappelé derrida signifie à la fois "propre", contraire de la saleté, propre (à soi), et proche...la voix (le son, l'écoute) est le paradigme :

"Le proprius", présupposé dans tous les discours sur l'économie, la sexualité, le langage, la sémantique, la rhétorique, etc., ne répercute sa limite absolue que dans la représentation sonore."

" ce qui me dépossède et m'éloigne de moi, ce qui rompt ma proximité à moi-même, me salit : je m'y départis de mon propre. Propre est le nom du sujet proche de soi — qui est ce qu'il est —, abject le nom de l'objet, de l'oeuvre à la dérive. J'ai un nom propre quand je suis propre. L'enfant n'entre sous son nom dans la société occidentale — d'abord à l'école —, il n'est vraiment bien nommé que quand il est propre. Cachée sous sa dispersion apparente, l'unité de ces significations, l'unité du propre comme non-souillure du sujet absolument proche de soi, ne se produit pas avant l'époque latine de la philosophie (proprius se rattache à prope) et pour la même raison, la détermination métaphysique de la folie comme mal d'aliénation ne pouvait pas commencer à mûrir"

(parole/écriture; JLT passe de la parole, de la narration, à l'écriture, à la fin; histoire du pigeon...allusion bien évidemment au récit de Süskind;http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Pigeon_%28roman%29 )

-le mot "amour" est prononcé une fois je crois, lors de la lecture par ER de son horoscope...

-On pense bien entendu à "Intouchables", ou "une séparation"...

Borges
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Message par Borges Dim 11 Nov 2012 - 11:30

-salut slimfast; pour moi, le rapport du film à ce que tu appelles "romantisme" est complexe, ambivalent, lisible en deux sens; on peut voir le film comme une déconstruction, du romantisme, de l'amour romantique...

-une question : pourquoi ER demande-t-elle à JLT d'arrêter le CD de son élève?
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Message par Invité Dim 11 Nov 2012 - 11:46

tes fragments me passionnent et résonnent beaucoup en moi mais je m'interroge sur ta façon de relater le film d'Haneke par un enchâssement d'idées plutôt que par les sentiments qu'il fait naître ou les choix techniques qu'il utilise.

La question que je te pose est celle ci : quels éléments font que tu réserves, que tu choisis pour un auteur une grille de lecture plutôt qu'une autre ?

Car tel que tu le décris le film ressemble à beaucoup d'autres ; or il est singulier et tu ne cherches qu'à l'assimiler à tel ou tel autre ou à tel ou tel héritage alors que tu commences par dire que tu ne crois pas pour ce film à cette question de l'héritage.

De quel côté est ta vérité ?

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Message par Invité Dim 11 Nov 2012 - 11:55

Borges a écrit:-salut slimfast; pour moi, le rapport du film à ce que tu appelles "romantisme" est complexe, ambivalent, lisible en deux sens; on peut voir le film comme une déconstruction, du romantisme, de l'amour romantique...

-une question : pourquoi ER demande-t-elle à JLT d'arrêter le CD de son élève?

La réponse à cette question est pour moi une évidence : cette demande traduit des besoins chez elle jamais satisfaits. On peut imaginer un besoin d'avoir été virtuose ( on peut aussi penser à sa propre réflexion sur sa carrière d'actrice, par un figure de style dont le nom ne me vient pas maintenant ).

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Message par Borges Dim 11 Nov 2012 - 11:59

C'était aussi ma lecture; il s'agit alors de ressentiment à l'égard de son élève; on se souvient de l'autre film de MH sur la musique, et le piano...(avec la prof qui bousille intentionnellement la main de l'une de ses élèves)

(ressentiment de ceux qui ne sont pas devenus artistes, on pense bien entendu au père de TOL)
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Message par Invité Dim 11 Nov 2012 - 12:10

on n'a jamais de ressentiment qu'envers soi même.
déjà, dès le début, la "maladie" la gagne, si l'on peut dire cela car a t'elle jamais été en bonne santé - contrairement à Georges ?

Les cahiers se trompent : ce film n'est pas misanthrope, mais misogyne !!

L'épisode du pigeon le montre : il peut entrer dans le périmètre de Georges, il aura la vie sauve. Mais Anne non.

On est d'ailleurs surpris et à la fois excité par la soudaineté et la brutalité de la scène ( les jambes qui battent l'air ).

Je trouve qu'il réussit là une scène de "boulevard" quasiment !

Je t'aime, j'te tue ; Haneke est incorrigible. Je l'adore.


Dernière édition par slimfast le Dim 11 Nov 2012 - 12:22, édité 1 fois

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Message par adeline Dim 11 Nov 2012 - 12:22

Slimfast, tu te poses la question des sentiments que le film fait naître chez ceux qui en parlent.

Je m'attendais, après en avoir beaucoup lu de choses allant en ce sens, à un film qui ne serait pas un film d'Haneke. Je m'attendais à un film émouvant, marquant, bouleversant, sur l'amour, la mort, les sentiments, la force d'un couple confronté à la mort, etc. Je me demandais même si j'arriverais à supporter (ce sont des questions qui nous touchent, forcément tous, un jour ou l'autre, de très près).

Or, j'ai été très peu touchée par le film (sauf lors de deux scènes). J'ai trouvé d'emblée le couple antipathique, je n'ai pas aimé leur relation alors que tout allait bien, je les trouvais l'un et l'autre durs envers l'autre, vite agacés, peu aimables, peu aimants. Tout ceci évidemment ne va qu'en s'aggravant au fil du film. Et la distance de ce couple envers les choses, envers eux-même, envers le monde, elle est aussi celle à laquelle Haneke tient les spectateurs. Je ne dis pas que ce qu'on voit, la maladie, le corps qui flanche, n'est pas dur. Mais la manière dont Haneke filme ça n'est pas fait pour émouvoir, pour apitoyer, loin de là. Et je l'ai trouvé beaucoup moins dur, beaucoup moins dur avec ses spectateurs que dans d'autres films (Le Ruban blanc, La Pianiste, Funny Games). Pour moi, il n'y a pas réellement de volonté de jouer avec le spectateur dans ce film-ci. On est assez des sentiments, des émotions, comme il convient à la manière d'être bourgeoise, et on assiste à l'enfermement de ce couple dans un rapport au monde délirant.

Une chose est étonnante. Dans les attaques que subit Anne, deux capacités ne sont pas touchées, la vue et l'ouïe. Elle peut lire après la première attaque, car elle est encore consciente et capable, et écoute encore de la musique (George au piano qui s'interrompt soudain sans qu'on sache pourquoi). Mais après la seconde attaque, plus une note de musique n'est entendue dans la maison. Or, c'est la seule chose dont elle est encore capable de profiter. Et même cette évasion-là, Haneke la lui refuse. Pourquoi donc ?

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Message par Borges Dim 11 Nov 2012 - 12:25

slimfast a écrit:on n'a jamais de ressentiment qu'envers soi même.
déjà, dès le début, la "maladie" la gagne, si l'on peut dire cela car a-t-elle jamais été en bonne santé - contrairement à Georges ?

Les cahiers se trompent : ce film n'est pas misanthrope, mais misogyne !!

"Les cahiers" n'existent pas, ce qui existe c'est le mec qui a écrit le texte à quoi tu fais allusion;

-oui, mais où est la haine de l'homme ou de la femme (en tant qu'êtres sensibles, en tant qu'autres); n'est-ce pas déjà le fait des personnages? Haine du corps, de la passivité, de la finitude (fondée sur un idéal de la personne, comme autonomie; refus du "supplément" dirait derrida), du vieillissement (cf levinas, "autrement qu'être au-delà de l'essence")

-c'est à partir de cette passivité du temps (qui passe, en nous rendant de plus en plus dépendants, de moins en moins autonomes, sujet donc) qu'il faut comprendre la durée dans le film; passivité du temps qui s'oppose au temps de l'intentionnalité, du sujet; le temps que l'on maîtrise, par exemple musicalement, par la mémoire, le souvenir, dans le projet...ou dans la trace que l'on laisse (écriture, peinture, objets...)

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Message par Invité Dim 11 Nov 2012 - 12:27

slimfast a écrit:

Je t'aime, j'te tue ; Haneke est incorrigible. Je l'adore.

mais c'est le cycle même de cette vertueuse vie : je l'aime, elle me tue !

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Message par Borges Dim 11 Nov 2012 - 12:34

Je t'aime, j'te tue ; Haneke est incorrigible. Je l'adore.

"tu me tues, tu me fais tu bien", disait la voix de riva dans "hiroshima, mon amour";

mais le problème ici est de déterminer le "tu" à qui s'adresse cet amour, est-ce la personne elle-même, là, dans sa finitude, ou à l'idée de la femme, idéalisée... le meurtre est déjà là, je crois que c'est le propos de MH, dans une certaine idée de l'amour, l'amour courtois...( faut tenir compte du fait que ce sont des êtres musicaux...); faut garder les deux valeurs de l'idéalisation, l'indécidable du film et de la culture, du cinéma...



Dernière édition par Borges le Dim 11 Nov 2012 - 18:59, édité 1 fois
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Message par Eyquem Dim 11 Nov 2012 - 13:09

hello,
Borges a écrit:le meurtre est déjà là, je crois que c'est le propos de MH, dans une certaine idée de l'amour, l'amour courtois...
C'est cohérent avec Le Ruban blanc, ou la tension vers l'idéal est déjà ce qui justifie la cruauté, le châtiment des enfants, le dégoût pour le corps, etc. Tu en avais parlé, je me souviens, en citant des entretiens où Haneke présentait ce désir du Bien comme un pas décisif vers le totalitarisme, le terrorisme...


Sinon, c'est très bien ce que tu dis sur l'enfermement de classe, ça donne sens à plein de choses dans le film.

La fenêtre du film qui joue le plus grand rôle n'est qu'un "puits de lumière": elle donne sur rien. Dans le film, Trintignant passe son temps à la fermer. Quand il retrouve Riva, au pied de la fenêtre, parce qu'elle est tombée de son fauteuil, mais aussi, peut-être, parce qu'elle se languit de cette lumière, c'est le moment, je crois, où on a le sentiment que Riva préfèrerait mourir plutôt que de continuer à vivre comme ça.


Je me demande qui a choisi le titre du film, si c'est Haneke ou ses producteurs. Dans les articles des Cahiers, on voit que le film a eu plein d'autres titres: "Quand la musique s'arrête", "Ces deux-là", "Les vieux".
En tout cas, "Amour", je trouve que c'est un parfait trompe-l'oeil: ceux qui admirent le film disent que c'est un beau film d'amour, comme si le mot allait de soi, alors que le film vaut justement comme mise en question de ce qu'on met sous ce terme.
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Message par Invité Dim 11 Nov 2012 - 13:31

alors Borges je te dirai que Amour pas plus que les Cahiers n'existe : n'existe que l'imagination d'Haneke qui par la tangente peut rencontrer la notre et notamment sur ce que nous entendons chacun par amour et qui doit être, je le pense, j'en suis certain, à géométrie variable.

( à propos il n'est pas innocent que ce "tu me tues, tu me fais du bien" soit dit au Japon dont beaucoup de films de l'époque et là-bas, va donc savoir pourquoi sont l'illustration ... ).

Adeline la question que je posais était l'angle d'attaque d'un film qui il faut bien l'avouer est le fruits de bien de présupposés.
Mais je demandais aussi quels sentiments pouvaient bien naître à la vision du film. J'ai fait, en gros hein, les mêmes constations que toi. Deux scènes ( maintenant je n'ai plus le souvenir desquelles ) ou l'émotion m'a submergé puis encéphalogramme plat. Mais je pense que pour que vive l'amour il faut un tiers. Dans la vie cela peut être n'importe quoi, un repas au resto, ou l'annonce d'un bébé, je prends les premières idées qui me viennent. Dans le film le tiers est incarné par la caméra et nous sommes émus par l'amour aux mêmes moments ceux qu'a choisi Haneke ( après gna gna on nous dit qu'Haneke nous manipule, foutaises, nous sommes faits du même bois ).
Une fois que la caméra a montré les sentiments, l'amour se terre, c'est le choix d'Haneke de ne pas faire de son film un catalogue "nous deux". Ca se justifie, les attaques d'Anne comme tu dis, ses yeux par lesquels nous ne voyons jamais, et ses oreilles par lesquelles nous n'entendons jamais. Que voit elle ? Qu'entend-elle ? Sur ce point on peut penser qu'elle a capitulé depuis longtemps et qu'elle ne veut plus rien entendre. Elle est entièrement dans son abri. Lui chausse ses baskets dans l'appartement et ne fait aucun bruit jusqu'à ce geste qu'il signera par du scotch. Histoire que sa fille ( avec qui il aura eu une relation fondée sur la sincérité ne vienne pas - en cela Huppert, Eva à la fin, c'est nous, le spectateur, comme eux au début dans la salle de spectacle sont les spectateurs de ce qui va suivre, il y a toujours quelqu'un pour voir, quand ça n'est pas la caméra, Haneke continuant le travail qu'il a déjà bien amorcé sur le voyeurisme ) ne vienne pas dire qu'elle a rêvé : on ne rêve jamais le rêve de quelqu'un d'autre ( d'où cette refllexion sur le voyeurisme : et contrairement à ce que pense Borges, nous sommes les bons gros bourgeois qui entrons au début chez eux comme par effraction, pour nous rincer l'oeil, pas l'inverse !!!

Le scotch d'ailleurs il doit la prendre pour un pigeon et ne veut pas qu'elle s'échappe, qu'elle s'envole. Pour moi c'est un beau geste, un geste plein d'amour comme ne saurait pas dire Eyquem Wink

( Eyquem, sûr si ça s'appelait La soupe au chou on le verrait autrement. Mais comme dit Borges il faut que les choses soient propres pour bien les nommer ).

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Message par Invité Dim 11 Nov 2012 - 17:17

J'ai apprécié amour car Haneke a su m'ouvrir une voie vers son imaginaire. J'ai ressenti avec force son besoin de me faire partager la vie qui est en lui.
Maintenant je ne pense pas pour autant que son cinéma soit inspiré ( j'ai aussi mes limites comme spectateur, de toutes façons ... ).
On parle toujours de son cinéma comme s'il était étanche et protégé par une membrane. C'est idiot. Haneke est arrivé tard au succès. Il a du douter et encore maintenant.
Mais là il me semble que la carapace craque, car, beaucoup des ingrédients présents dans son film d'entre les morts et dont nous avons parlé, l'amour, la mort, le caractère obsessionnel de son auteur, la frustration, l'envie, la jalousie, la vieillesse, perdre la tête, la construction en flash-back et flash-forward, l'artiste qui joue son rôle sont déjà dans Sunset Boulevard, dont on peut raisonnablement dire qu'il a effleuré la pensée de Michaël Haneke.

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