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Code Inconnu (de Michael Haneke)

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Message par Largo Lun 2 Nov 2009 - 11:21

Au commencement était le rythme

Alors que sort l’œuvre pour laquelle Michael Haneke aura été sacré comme l’un des plus grands cinéastes en activité, souvenons-nous que dans sa filmographie, deux films ont été un peu vite oubliés : Le Temps du loup (déjà présent à Cannes, quasi-unanimement critiqué) et Code Inconnu, premier film tourné en France et que j’ai découvert récemment. Il est temps, je crois, de le réévaluer. Il s’avère qu’il fait brillamment le lien entre sa « trilogie de la glaciation » et Caché, via le thème d’un pays hanté, rongé par son passé colonial. C’est donc aussi un film qui parle de la France et de ce que c’est que de n’être pas perçu comme un français comme les autres (1), au moment où Eric Besson lance ce qu’il appelle honteusement un « débat » sur « l’identité nationale ». Honteusement, en ce qu’il constitue surtout un prétexte pour réaffirmer un partage, pour mieux rappeler des « critères » qui toujours excluent plus qu’ils ne rassemblent.

Mais revenons au film. Commençons par affirmer que si Nulle part, terre promise (E. Finkiel, voir critique sur le blog) avait été réussi, le résultat ressemblerait probablement à Code Inconnu. Contrairement au cinéaste français, Haneke est passé maître dans l’art de la mise en scène distanciée et critique, il touche ainsi à une sorte de neutralisation de son propre regard qui lui permet de filmer le fils d’immigré africain, la mendiante venue des Balkans et la star de cinéma (Binoche) de la même manière. Son regard se pose sur eux à la même hauteur. Et surtout il leur accorde une parole et une place équilibrées dans le récit.
Là où Finkiel semblait condescendant, se désintéressant de ce que ses propres personnages pouvaient avoir à dire, Haneke n’affiche qu’une froideur de façade, qui agit comme un aimant, pour attirer à lui la chaleur des hommes et des femmes qu’il filme.
Haneke nous présente ses personnages en train de raconter d’où ils viennent, sans oublier de nous montrer où ils vont. Dès lors, leurs déplacements ne valent pas pour eux-mêmes mais en tant qu’ils révèlent la place que la société française (représentée par la police dans la scène nodale) accorde à leur histoire personnelle dans son organisation.

Quant à ses célèbres plans-séquence, ils font figure d’épais et rugueux blocs tranchés dans le vif du « réel » afin de porter au grand jour les racines profondes d’une société européenne postcoloniale. Il fait apparaître avec beaucoup d’acuité les nœuds d’un tissu social tendu, sans pour autant charger les scènes les plus dures d’une morale culpabilisatrice (ce dont il a souvent été accusé) ou d’une fausse bonne conscience humaniste, typique des « films d’auteur engagés » (cf. Finkiel).

Mais si le ton n’est pas sentencieux, il incombe en revanche au spectateur de faire le lien, de boucher les trous entre des scènes brutes, raccordées de manière souvent sauvage (personnages quasiment interrompus au milieu d’une phrase). Le cinéaste agence, juxtapose plusieurs fils narratifs qui se croisent autour d’un mystérieux bout de papier (procédé qui, chez Inarritu sert à reconstruire un suspens tout à fait artificiel) et c’est au spectateur de tirer les conclusions de ce qu’il voit ou entend. Cette construction, qui n’est pas sans rappeler les 71 fragments d’une chronologie du hasard, court le risque de passer pour opaque auprès des spectateurs qui auront été trop habitués à recevoir des images prémâchées.

Non, Haneke, lui, reconstruit une histoire commune. Il fournit des briques, mais c’est nous qui disposons du ciment. On pourra avec ça construire un mur d’incompréhension entre les hommes comme le suggère le titre et certaines scènes, ou alors, édifier une maison où le monde entier pourrait se retrouver pour chercher un langage commun. Car dans le film, c’est cette maison, cette tour de Babel qui manque. Les personnages, quand ils pénètrent dans l’espace public (métro, rue), sont sortis de leur communauté, de leur cercle familial privé. Dès qu’une rencontre s’engage le dialogue n’a pas le temps de se construire car chacun renvoie à l’autre les stéréotypes liés à son identité (princesse pour la star de cinéma, agresseur violent pour le jeune noir etc.), ce qui rend l’affrontement conflictuel inévitable : bagarre dans la rue, crachat dans le métro.
Une maison, qu’on pourrait présenter comme un espace à la fois public et intime, un endroit protégé pour faire connaissance. Mais concrètement à quoi cette maison pourrait ressembler ? On se souvient de la formule de Godard (reprenant Heidegger) dans Deux ou trois choses que je sais d’elle : « Le langage, c’est la maison où l’homme habite ». Sauf qu’on a bien vu combien le langage, pour les personnages, n’était pas une maison mais une ruine vétuste dans laquelle on n’accordait pas à tous une chambre de même taille. Même chez les enfants sourds muets, il ne suffit pas de parler la même langue, de connaître le même système de signes, pour se comprendre. C’est ce que montre la scène introductive au cours de laquelle une petite fille cherche, sans succès, à faire deviner aux autres le mot auquel elle pense.

Mais tout de même, il y a une scène qui rythme littéralement le film et qui offre un élément de réponse. En extérieur, un groupe de personnes, d’apparence hétéroclite (âge, sexe, couleur de peau…) joue des percussions. A la fin, le son de leurs tambours recouvre la bande-son de tous les personnages qu’on suit, marchant dans la rue, vaquant à leurs occupations, après s’être croisés l’espace d’un instant.

Un rythme, comme le battement d’un gros cœur commun qui irriguerait les rues de nos villes anonymes. L'image est poétique. Et séduisante.

Certes, un rythme, en musique, ça ne suffit pas pour écrire des paroles et jouer ensemble de son instrument, mais Michael Haneke mettra tout le monde d’accord en rappelant que c’est absolument nécessaire pour composer un morceau, un tube de rock ou une symphonie lyrique. Avec lui, quelque soit le sujet ou l’approche, on repart toujours des fondations, des bases. Avec Code Inconnu, on pourrait donc dire : au commencement était le rythme.

(1) En complément, on pourra utilement lire le témoignage de M. Kessous : http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/09/23/ca-fait-bien-longtemps-que-je-ne-prononce-plus-mon-prenom-quand-je-me-presente-au-telephone_1244095_3224.html


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Message par Largo Lun 2 Nov 2009 - 11:24

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Message par Invité Lun 2 Nov 2009 - 13:06

Hello Raphaël,

C’est donc aussi un film qui parle de la France et de ce que c’est que de n’être pas perçu comme un français comme les autres, au moment où Eric Besson lance ce qu’il appelle honteusement un « débat » sur « l’identité nationale ». Honteusement, en ce qu’il constitue surtout un prétexte pour réaffirmer un partage, pour mieux rappeler des « critères » qui toujours excluent plus qu’ils ne rassemblent.

faudra bien sûr revenir là-dessus plus sérieusement.
Pour le reste je n'ai pas vu le film. Je vois assez mal où tu veux en venir.. le langage comme maison où l'homme habite, oui, mais il ne s'agit pas de l'ériger ou de croire qu'on peut en faire une auberge espagnole, enfin je crois pas. Le truc du rythme, de la chorale (comme les films) ça m'échappe un peu je dois dire. On dirait la fin de ce film de Bacri et Jaoui.. Il faut revenir à ce qu'il y a d'originaire et universel (Chomsky) dans le langage pour percer un lien entre les hommes, enfin je crois. Ne pas confondre "langage" et "langue". La langue est terrain nationaliste par excellence. Le langage est la maison où le petit enfant habite, la langue est la maison où l'homme se démène. C'est cette idée de ruine qui justement est importante et qu'il ne faut pas écarter, enfin il me semble. Je pense au dernier Rivette..

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Message par Largo Lun 2 Nov 2009 - 13:23

Hello JM,

J'en profite pour te dire que j'avais bien lu ta note sur Voyages de Finkiel (que tu avais postée en commentaire de ma critique de Nulle Part...). Comme je n'avais pas vu le film, j'avais pas grand chose à ajouter d'autant qu'on pense apparemment la même chose du monsieur.

langage comme maison où l'homme habite, oui, mais il ne s'agit pas de l'ériger ou de croire qu'on peut en faire une auberge espagnole, enfin je crois pas.


Ce que montre Haneke et ce que j'essaie d'expliquer c'est que justement, il ne suffit pas d'adopter un langage commun pour se comprendre. D'où l'idée du langage comme ruine...

Après l'histoire du rythme, c'est une proposition que fait le film est qui est d'ordre poétique, on va dire, pas une proposition politique. On apprécie ou pas.

Sur les différences langage/langue, on en avait déjà parlé à l'époque je crois, c'est le genre de distinction que je manie maladroitement, au feeling. C'est vrai qu'il faut faire attention.
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Message par Borges Lun 2 Nov 2009 - 14:41

Tout cela n'a rien à voir avec la linguistique, Chomsky...langage, langue...

« Mais l'homme n'est pas seulement un vivant qui, en plus d'autres capacités, posséderait le langage. Le langage est bien plutôt la maison de l'être en laquelle l'homme habite et de la sorte ek-siste, appartenant à la vérité de l'être dont il assume la garde (hütend gehört).


(Heidegger)
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Message par Largo Ven 4 Déc 2009 - 9:19

Au hasard de mes lectures, dans Le livre du rire et de l'oubli de M. Kundera, je retrouve d'abord cette citation : "Même la musique la plus compliquée est encore un langage". Puis :

"Schonberg est mort, Ellington est mort, mais la guitare est éternelle. L'harmonie stéréotypée, la mélodie banale et le rythme d'autant plus lancinant qu'il est monotone, voilà ce qui est resté de la musique, voilà l'éternité de la musique. Sur ces simples combinaisons de notes tout le monde peut fraterniser, car c'est l'être même qui crie en elles sont jubilant : je suis là. Il n'est pas de communion plus bruyante et plus unanime que la simple communion avec l'être. Là-dessus les Arabes se rencontrent avec les Juifs et les Tchèques avec les Russes. Les corps s'agitent au rythme des notes, ivres de la conscience d'exister. C'est pourquoi aucune oeuvre de Beethoven n'a été vécue avec une aussi grande passion collective que les coups uniformément répétés sur les guitares."
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