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Like someone in love (A. Kiarostami)

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Message par Invité Jeu 20 Juin 2013 - 19:50

oui mais enfin là c'est plus que le pitch. je comprends dans quel sens disons humain, social, tu trouve sans doute dommage la situation du vieil homme. là-dessus d'accord.
mais la pensée de faire un film sur sa rencontre avec cette jeune étudiante prostituée, même avec tout ce qui en découle, de ramifications multiples et peut être jolies, me semble grossière, béotienne.
c'est pas la réalisation qui me déplaît - de quel droit ? - mais c'est l'idée transgressive, décomplexée et un peu obscène qui a présidé au film lui même.

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Message par Eyquem Lun 24 Juin 2013 - 21:56

C’est quand même embêtant de réduire le personnage de la jeune fille à celui d’une "jeune étudiante prostituée", alors que l’idée du film, c’est justement de laisser son identité flotter, de construire et de défaire celle-ci en fonction des rencontres. Avec le vieux professeur, elle est peut-être une call-girl, mais elle est aussi un objet d’étude, de curiosité scientifique (c’est un ancien professeur de sociologie) ou une élève avec qui parler boulot (elle fait aussi des études de sociologie), ou une compagnie pour rompre la solitude et ranimer des souvenirs de l’aimée que le vieux professeur a perdue. C’est pas forcément clair ce qu’il attend de sa soirée avec elle. Avec son copain jaloux, elle joue un autre rôle, celui de la fiancée soumise. Et quand ils se retrouvent tous les trois dans la voiture, elle en joue encore un autre, celui de la petite fille du vieux professeur, qui est devenu son grand-père et donne des conseils de vieux sage à l’amoureux. (Un des conseils qu’il donne, si je me souviens bien, c’est que quand on aime quelqu’un, on ne le met pas dans une situation où il serait forcé de mentir. En un sens, le fiancé jaloux, c’est un personnage qui pourrait figurer dans "Le Passé" de Farhadi ; il harcèle la jeune fille pour qu’elle lui dise tout le temps où elle est, avec qui, ce qu’elle fait. Le vieil homme, lui, semble reconnaître la sagesse à ce qu’elle ne sacrifie pas tout à la vérité.)

L’intéressant, c’est ce flottement entre les deux rôles opposés auxquels on veut assigner la jeune fille : la prostituée (celle qui se donne à tous) et la fiancée (celle qui ne se donne qu’à un seul). Il ne semble pas envisagé qu’elle puisse vouloir se donner à elle-même. La jeune fille ne veut être ni l’un ni l’autre des rôles qu’on lui impose : le film ne cherche pas à construire son identité, mais au contraire à la faire fuir dans une série de ressemblances (elle ressemble à la jeune fille qu’on voit sur une petite annonce de call-girl ; ou bien, elle ressemble à la jeune fille du tableau qu’on voit dans le salon du vieux professeur ; je crois qu’à ce moment-là, elle dit quelque chose comme : "tout le monde me dit que je lui rappelle quelqu’un".)

Like someone in love (A. Kiarostami) - Page 2 Kiaros10


Quand on regarde le film sans rien savoir (ce qui était mon cas quand je l’ai vu en salles), on met je ne sais combien de temps à comprendre qui est qui. Pour moi, c’est sur cette indécision que reposait la sorcellerie du film, en particulier la longue scène d’introduction dans le bar où on entend la jeune fille sans la voir et où on se demande qui elle est, où elle est (hors champ ? off ? dans le plan ? et si elle est dans le plan, quelle jeune fille est-elle parmi celles qu’on voit ?).

Kiarostami a répété dans ses entretiens que le film est né d’une seule image : l’image d’une jeune fille en robe de mariée, aperçue dans les rues de Tokyo. Les gens avec qui il était lui ont ensuite dit que c’était sans doute une étudiante qui se prostituait pour payer ses études. On ne sait pas ce qui l’aura marqué finalement dans cette image : l’apparition d’une mariée ou le fait d’apprendre que la mariée était en fait une prostituée.

Apparemment, ce souvenir remonte à presque 20 ans. Marin Karmitz raconte que Kiarostami lui avait parlé de faire un film au Japon dès la fin du tournage de "Ten", en 2002. Peut-être alors que c’est ce souvenir de la jeune fille du Japon qui transparaît déjà dans "Ten" : dans un des dix épisodes de ce film, la conductrice fait monter une prostituée dans sa voiture. Toute leur discussion tourne autour de ce que ça signifie, être une fiancée ou être une prostituée. La prostituée dit qu’on ne peut pas avoir confiance dans les hommes, qu’ils promettent un amour unique à la femme qu’ils aiment, tout en allant voir les prostituées en cachette. Loin d’opposer prostituées et fiancées, elle insiste sur ce qui les unit : au fond, dit-elle, les fiancées ne font que "vendre en gros" ce que les prostituées comme elle "vendent au détail".

On est d’abord embarrassé par son cynisme, et pourtant son discours rejoint, pour partie, ce que Mania (la conductrice) ne cesse de dire tout au long du film, à son fils ou à une amoureuse en pleurs qui se lamente parce que son fiancé l’a quittée : Mania répète que les femmes ont le droit d’exister et que ce droit à l’existence consiste à pouvoir se marier et divorcer, qu’elles ne doivent pas appartenir à leur mari, à un seul homme, qu’elles ne doivent donc pas pleurer parce qu’un homme les quitte de même qu’on ne doit pas leur reprocher de ne pas dépendre d’un être unique et de divorcer si elles le veulent. S’émanciper, dit-elle, ça commence par s’aimer soi-même plutôt que de se donner aux autres.

Comme la jeune fille de "Like someone in love", Mania, dans "Ten", voit son identité se transformer en fonction des rencontres, des points de vue. Quand elle est avec la prostituée, elle passe pour une de ces pauvres filles accrochées à leurs vieilles lunes, à l’idée de fidélité à un être unique, parce qu’elle a été mariée, qu’elle s’est remariée, qu’elle croit à l’amour. Mais quand elle est avec son jeune fils, qui lui reproche avec des mots très durs d’avoir divorcé, elle passe pour une conne, pour une femme qui ne sait pas jouer son rôle de mère, et, sans que ce soit dit explicitement, pour une traînée qui passe d’un homme à un autre. Le personnage, en se défendant, en répondant, en réfutant, se construit ainsi en fonction des relations qu’il établit avec ceux qui montent à bord de la voiture.


Like someone in love (A. Kiarostami) - Page 2 Close_10

On a assez dit que les fables de Kiarostami déployaient un univers de semblants, de doubles, de copies conformes. Les fins de ses films sont extraordinaires, des moments uniques, quand elles résolvent "miraculeusement" cette indécision en rendant soudainement co-présents les deux univers que la fable opposait mais qu'elle tenait jusque là suffisamment éloignés l’un de l’autre pour les rendre indistincts et ouvrir ainsi l’espace du questionnement, du doute, de la recherche. On ne peut pas oublier la rencontre du cinéaste et de son double à la fin de Close-up, ou la résurrection de Badi-î à la fin du Goût de la cerise. On ne peut pas oublier le gros plan sur la fleur conservée dans le cahier, à la fin de Où est la maison de mon ami ? – immanquablement, ce dernier plan me rappelle ces contes fantastiques où le personnage fait un beau songe et au matin se réveille, comprend qu’il n’a fait que rêver avant de s’apercevoir qu’il tient dans la main un fragment de son rêve, une chose de rien sans doute, brisée et sans valeur, mais qui atteste que son rêve n’était pas qu’un rêve. Cette fleur qui surgit dans le cahier ouvert, c’est l’apparition improbable, surnaturelle, du monde de l’amitié dans celui de l’école, des instituteurs et des parents, dont les injonctions continuelles, contradictoires, insolubles, semblent avoir pour seul but de vous rendre fous et de vous faire perdre pour toujours le chemin qui mène à la maison de l’ami. La fleur rappelle à l’écolier : "non, tu n’as pas rêvé ; c’est quand tu m’as trouvée que tu ne rêvais pas". (L’enfant, tout au long de sa quête, aura cherché la maison de son ami, sans la trouver – c’est comme dans le poème dont le film est inspiré : le cavalier du poème demande où est la maison de l’ami, et un passant lui indique le chemin : "tu iras jusqu’à cet arbre, dit-il, puis dans une ruelle, et au bout de cette allée, tu trouveras une fleur, puis près de cette fleur une fontaine, et de là, tu apercevras un pin, et sous ce pin, un enfant, et quand tu verras cet enfant, alors tu lui demanderas où est la maison de l’ami". La maison de l’ami n’est rien d’autre que ce chemin qui y mène toujours sans y aboutir jamais, et que suit inlassablement celui qu’oriente son questionnement, le sens de sa recherche.)

Quand l’enfant, au matin d’une nuit passée à chercher vainement la maison de l’ami, trouve cette fleur "oubliée" dans le cahier, c’est le témoignage que le songe de sa nuit d’errance "a été" ; comme si la maison de l’ami, vous ne la trouviez pas, jamais, vous ne pouviez que l’avoir trouvée – et perdue, hors cette fleur, ce souvenir, qui est tout ce qui vous en reste.

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Je ne sais plus pourquoi je parlais de ça, je me suis perdu en route.

Si : je parlais de la fin des films de Kiarostami (ceux que j’ai vus du moins, il m’en manque encore quelques-uns). La fin de "Like someone in love" n’est pas aussi frappante que celle de "Où est la maison" : c’est une pierre lancée de l’extérieur par l’amoureux jaloux, qui vient briser la vitre du salon du vieux professeur. Comme la fleur dans le cahier d’écolier, elle marque aussi la rencontre de deux univers qui co-existent dans le même plan pour s'y séparer. Mais alors que la fleur rappelait à l’enfant qu’il n’avait pas rêvé, la pierre semble vouloir rappeler à la jeune étudiante qu’il est temps de se réveiller. Vous avez remarqué : elle dort debout, dans le taxi, dans la voiture ; dès qu’elle arrive chez le vieux prof, elle se couche et s’endort. (Le vieux aussi, si je me souviens, s’endort au volant. Comme on est loin de la vitalité de l’enfant qui courait d’une maison à l’autre !) La jeune fille qui a passé tout le temps du film à utiliser le vieil homme et le jeune homme pour se jouer des identités que chacun d’eux lui donne, la voilà rappelée brutalement à la réalité, à la trivialité de sa situation : celle d’une petite étudiante prostituée surprise chez son vieux client par un fiancé jaloux. La pierre jetée par l’amoureux jaloux signifie à la jeune fille et au vieux prof qui se sont joués de lui : "Fini la comédie". C’était seulement le temps d’une nuit que la jeune fille pouvait jouer à être une autre, à n’être ni la prostituée ni la fiancée ; la ville de Tokyo elle-même, par ses reflets cinégéniques sur les vitres des voitures, semblait conspirer à ce jeu "superficiel" d’illusions et de semblants, qui n’est ni un beau rêve, ni un cauchemar, mais une sorte de somnambulisme, comme si la vie dans la grande ville ne pouvait rien offrir d’autre que cette glissade indéfinie dans un demi-sommeil qui n’est ni rêve ni éveil. Mais maintenant la vitre est brisée, il n’est plus temps de dormir : l’heure a sonné, certes, mais le film ne dit pas de quoi. Se réveiller, d’accord, mais pour quoi ? Est-ce que ça veut dire qu’il est temps pour la jeune fille de faire un choix, de se décider entre la vie de prostituée ou celle de fiancée ? Sans doute pas : ce ne serait pas un vrai choix puisqu’il ne lui propose que de se décider entre deux situations imposées qui ne lui conviennent pas ; ce ne serait pas un vrai réveil puisque ce ne serait que retomber dans ce monde où littéralement elle dort debout. Qu’est-ce que c’est que cet éveil, alors ?

Si on veut décrire le dernier plan de manière plus précise, il faut dire qu’on ne voit pas qui jette la pierre à la fin : on sait que c’est l’amoureux mais par le choix du cadrage, le film suggère autre chose : la pierre ne vient pas seulement de l’extérieur de la maison pour briser la vitre du salon ; symboliquement, elle a l’air aussi de surgir de l’autre côté de l’écran et de le briser pour atterrir de notre côté, dans la salle : la pierre ne se contente pas de rester dans le même monde, de passer seulement de l’extérieur vers l’intérieur de la maison : le film suggère qu’elle change de monde, de dimension, qu’elle passe d’un monde dans un autre tout différent, révélant soudain une profondeur nouvelle dans ce film jusque là tout en surfaces. Ce serait un peu bête de n’y voir qu’un simple clin d’œil de Kiarostami, une manière de nous rappeler pour finir que ceci n’est qu’un film (on le sait, et il y a peu de films qui nous le rappellent aussi souvent que les siens. Pendant tout le temps de sa production, le film ne s’appelait d’ailleurs pas "Like someone in love" : il s’appelait "The end" : peut-être que Kiarostami a jugé que c’était un peu trop surligner son caractère réflexif. Quoi qu’il en soit, si le film tout entier n’est lui-même qu’une "Fin", ça me conforte dans l’idée que sa fin revêt une importance toute particulière). L’important, disais-je, dans ce dernier plan, c’est la suggestion d’une ouverture, d’une effraction, d’un univers qui d’un coup s’ouvre sur une autre dimension. Ce n’est certainement pas une fin aussi belle que cette image du cahier d’écolier s’ouvrant sur la fleur, ou celle de la fin du Goût de la cerise, où Badi-î se relevait d’entre les morts pour s’éveiller dans un monde enfin verdoyant, celui de la création, à tous les sens du mots (avec les créateurs du film en plein tournage, dans un monde que le printemps lui-même a recréé à neuf). Cette vitre qui se brise avec fracas, c’est comme pour réveiller ce monde de somnambules, et suggérer que le monde n'apparaît, ne s’ouvre à lui-même qu’en se séparant de lui-même.
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Message par Invité Mar 25 Juin 2013 - 11:41

très beau texte Eyquem, je crois que je vais revoir le film ...


Dernière édition par slimfast le Mar 25 Juin 2013 - 11:46, édité 1 fois

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Message par wootsuibrick Mar 25 Juin 2013 - 11:46

faudrait penser à le publier sur le site, non?
(avec quelques réaménagements)
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Message par Borges Mar 25 Juin 2013 - 12:25

oui, je le trouve aussi très bien : Wink
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Message par Invité Mar 25 Juin 2013 - 17:19

L'histoire rappelle apparemment beaucoup le roman "les Années Douces" d'Hiromi Kawakami (que j'avais moyennement aimé, un peu mièvre Neutral, même si la description des déambulations des personnages était déjà plus intéressante que celle de leur relation), est-ce qu'il y a un lien volontaire entre les deux?

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Message par Eyquem Mar 25 Juin 2013 - 18:19

'soir tous, merci pour vos retours,

Tony le mort a écrit:L'histoire rappelle apparemment beaucoup le roman "les Années Douces" d'Hiromi Kawakami. Est-ce qu'il y a un lien volontaire entre les deux?
Je n'ai pas trouvé de piste à ce sujet, en lisant des articles sur le film.
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Message par Eyquem Mer 26 Juin 2013 - 10:24

Film Comment: If you look across the contemporary filmmaking landscape, which peers would you name as allies, which are the ones whose work you cherish the most?
Michael Haneke: I’d have to say Kiarostami. He is still unsurpassed. As Brecht put it, “simplicity is the hardest thing to achieve.” Everyone dreams of doing things simply and still impregnating them with the fullness of the world. Only the best ones achieve this. Kiarostami has, and so has Bresson. But I must say that I see too few new films

C'est vrai que la première scène de "Like someone" m'avait fait penser à du Haneke (par exemple, la première scène de "Caché", qui repose aussi sur un point de vue problématique, et un brouillage entre off et hors champ).

Faut croire que les cinéastes qui cherchent à démonter le mécanisme même des intrigues, qui forcent le spectateur à scruter et interroger ce qu'il voit, sont justement ceux qu'on accuse d'être les pires des manipulateurs (pour Haneke, c'est une rengaine; pour Kiarostami je pense à l'article de Renzi sur Copie conforme, où il assimilait Kiarostami à un "dictateur" abusant d'un "pouvoir de contrôle quasi-total de la psychologie du spectateur").
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Message par Borges Mer 26 Juin 2013 - 18:09

Hi Eyquem...

Comme on parle du secret de l'autre côté, je pense que l'on peut définir Kiarostami comme un metteur en scène du secret au sens de deleuze, mais pas du tout M.H... Haneke, c'est une éthique du soupçon, du dévoilement, en un sens, et des conditions politiques, sociales, médiatiques de la visibilité... pas Kiarostami...cinéma de l'évidence, du regard, comme dit JL Nancy...
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Message par Eyquem Jeu 27 Juin 2013 - 14:13

'jour Borges,
Kiarostami...cinéma de l'évidence, du regard, comme dit JL Nancy...
Même pour des films comme Close up ou Copie conforme ?
Je ne sais pas si tu seras très sensible à "Like someone in love" si tu dis que "Copie conforme" t'a laissé froid. En tout cas, pendant toute la première scène de ce film, on reste un long moment à se demander ce qu'on est en train de regarder et d'écouter; c'est pas évident à dire.
Mais je ne sais pas ce que Nancy met sous ce mot d'évidence.
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Message par wootsuibrick Jeu 27 Juin 2013 - 15:08

L'évidence, moi je collerai plus ce terme à la seconde scène du film (le long trajet en voiture accompagné des messages de la grand mère)... elle m'a plus touché que la virtuosité et les questions de la première scène. La simplicité de son dispositif s'oppose assez à la complexité de la première. La première scène fonctionne comme un moment où se détacherait de la confusion audio-visuelle, la forme, le visage de l'héroïne. Elle sort d'un chaos (pourtant très chorégraphié)... comme si il s'agissait d'un cadrage ou d'une mise au point entrain de se faire sur elle. Enfin je rapprocherais plus ça du geste du sculpteur qui détâche en taillant dans une matière au départ indistincte, la forme qui l'intéresse. Lorsqu'enfin la voix, l'image, le cadre se sont trouvés, se sont fixés au visage à incarner, suivre et habiter, le film commence à se vêtir de son personnage et de son histoire : La voix de la grand-mère qu'écoute la jeune fille filmée en gros plans fixes dans le taxi, nous donne un contexte de plus en plus précis, jusqu'à atteindre une forte identification qui aboutie à une situation quasi mélodramatique.
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Message par Borges Sam 29 Juin 2013 - 9:22

Eyquem a écrit:'jour Borges,
Kiarostami...cinéma de l'évidence, du regard, comme dit JL Nancy...
Même pour des films comme Close up ou Copie conforme ?
Je ne sais pas si tu seras très sensible à "Like someone in love" si tu dis que "Copie conforme" t'a laissé froid. En tout cas, pendant toute la première scène de ce film, on reste un long moment à se demander ce qu'on est en train de regarder et d'écouter; c'est pas évident à dire.
Mais je ne sais pas ce que Nancy met sous ce mot d'évidence.




Hi Eyquem,

la référence à JLN,   juste une manière de chercher à distinguer MH de AK, qui me semblent tout de même assez loin l'un de l'autre...


EVIDENCE

-D'ordinaire, l'évidence, c'est ce qui va de soi, ce qui est donné simplement, et  qui du côté du sujet ne nécessite aucun effort, de saisie, de compréhension, d'explication. Qui communique des évidences ne m'apprend rien, qui les filme non plus.  Mais l'évidence, c'est aussi le moment, l'instant parfois  fuyant où nous sommes frappés, saisis  par une chose, quelque chose, une vérité; le monde s'éclaire alors. On voit ce qu'on n'avait pas vu, et qui était pourtant si évident.

-L'évidence c'est donc à la fois la banalité, de ce qui est donné au sens commun, relevant du commun, et la puissance de ce qui saisit, frappe comme la foudre." Evidentia, comme le rappelle JLN,  fut pris en latin pour traduire le grec enargeia, qui parle de la blancheur puissante et instantanée de l'éclair: argos, éclat et vitesse ensemble."

-L'évidence n'est pas la donation immédiate de ce qui se montre de soi,  à tous, tout le temps, sans effort, sans attention, c'est ce qui se montre à qui regarde, à qui prend soin de regarder : c'est à la fois là, évident, donné, mais donné d'une donation qui nécessite  le regard, qui prend soi, le regard soucieux, en un sens non psychologique, évidemment; c'est le souci de l'être, le souci qui protège, abrite... L'évidence, c'est ce qui donne à qui prend  soin de regarder ce qui est, le réel, défini par une certaine forme de soustraction, de retrait,  de résistance "à l'absorption dans les visions (visions du monde, représentations, imaginations)."  

Par le regard qui prend soin, il ne s'agit bien entendu pas de lutter contre cette résistance, pour amener le réel à se montrer pleinement, sans retrait, en faire un objet de vision sans reste, au contraire,  l'évidence c'est l'in-évident, ce qui nie l'évidence et ce qui se tient en même temps dans l'évidence; l'évidence est inséparable de l'énigme de ce qui se donne, sans chercher sa résolution; on est loin en un sens des personnages de Farhadi, et de leur volonté de dévoilement, de tout comprendre, tout tirer au clair...Il y a de la métaphysique chez Kiarostami, ce qui le sépare absolument de Haneke... c'est bien entendu le sens de cette métaphysique qui doit être dégagé depuis l'évidence...

-Le sujet, comme regard, dans son rapport à l'évident, prend soin du réel, sans le dévoiler, il n'est pas à l'origine de la mise en évidence;  le réel, comme dit plus haut, est bien plutôt ce qui frappe, comme  la foudre. Cela touche en un instant, sans se laisse saisir, capter, capturer, mais dans cette saisie s'offre une chance, "pour du sens, un sens qui est moins dans la signification, le sens, la valeur, que dans le sens comme chemin (T'en parlais plus haut, de cette importance du chemin)... L'évidence c'est ce qui se donne lors d'une cheminement, d'un mouvement, celui de la bagnole, bien entendu, mais aussi le cheminement de la vie, de l'existence, l'existence comme mouvement sans fin...

"Le sens n'est ni narratif, ni téléologique; il n'est pas non plus répétitif: Peut-être n'est-il pas du tout un «sens », ou ne retient-il du « sens» que la signification directionnelle: on suit un chemin, ou on le cherche. D'une certaine manière, le chemin est lui-même la vérité, selon la leçon de tant de sagesses d'Orient et d'Occident, dont le mot de méthode (qui veut dire chemin de recherche) est l'abrégé philosophique. Le caractère des protagonistes est méthodique..."

(il mettra en rapport bien entendu l'évidence du film avec l'évidence cartésienne, comme évidence d'une existence, dans sa relation à une pensée du monde)

-Qu'est-ce qui se donne alors dans cette évidence qui nous saisit dans le cheminement, sur les étapes du chemin de la vie?   "une vérité, non pas en tant que correspondance avec un critère donné,  ou comme dévoilement", c'est là, c'est évident, c'est lumineux.

L'évident, ce n'est ni l'image juste, celle qui correspond à une vérité, ou qui est produite selon des normes, des critères, ni l'image qui dévoilé, met sous les yeux, ce qui jusque là était soustrait, refoulé, caché... " l'évidence garde toujours un secret ou une réserve essentielle: la réserve de sa lumière même, et d'où elle provient, qui est toujours un lointain"

( ce que tu appelais un éloignement).

Ce qui se donne, comme évidence, dans le saisissement de l'énigme, de la réserve de sens, se donne de loin, donne le lointain sans le nier, sans le rapprocher de nous, dans la distance .


Quelques extraits du bouquin...

JL Nancy, L'évidence du film a écrit:"

Cela se distingue de loin parce que cela se détache, se sépare - comme les deux taches ou la tache double de Tahereh et de son amoureux. Cela frappe par sa distinction: une image est aussi, toujours, ce qui se retranche d'un contexte et qui tranche sur un fond. C'est toujours une découpe, un cadrage. La découpe taille le regard, effile ses bords et sa pointe, éclaircit son acuité. Lorsqu'il cadre des espaces de choses - colline, route, tas de pierres, reflets de feuilles, flanc de camion, gravats, béton, tuyaux, lointains brumeux ou poudreux, moissons lourdes et chaudes -, le réalisateur saisit l'indistinct, le large et le confus, le mêlé, pour le rendre distinct, le rétrécir et le durcir, le polir, le faire réel au regard. Il s'agit que l'oeil ait affaire à un mur lézardé de telle sorte que la lézarde le traverse aussi, à la poussière soulevée sur les routes de terre de telle façon qu'elle nous affecte la vision.

"La force de l'évidence impose et emporte ce qui est plus qu'une vérité: une existence (...)

L'évidence du cinéma est celle de l'existence d'un regard à travers lequel un monde en mouvement sur lui-même, sans ciel ou sans enveloppe, sans lieu fixe d'amarrage ou de suspension, un monde secoué de tremblements et traversé de vents peut se redonner son propre réel, et la vérité de son énigme (qui n'est certes pas sa solution). C'est en quoi le cinéma de Kiarostami est une méditation métaphysique (pour rejouer le titre de Descartes). Mais cela ne signifie pas: un cinéma traitant de thèmes métaphysiques (au sens où le fait, par exemple, le Bergman du Septième Sceau); cela signifie: une métaphysique cinématographique, le cinéma comme lieu de la méditation, comme son corps et comme son aire, comme l'avoir-lieu d'un rapport au sens du monde.

Ni plus ni moins, sans doute, qu'il y eut toujours une telle méditation dans la projection d'images sur une paroi, depuis que les hommes du paléolithique disposèrent dans leurs grottes des ordonnances symboliques de figures. Mais une chose est la pérennité de la méditation - de la pensée -, une autre est le mouvement de ses mutations. Jusqu'à nous la paroi aux images était consistante et elle témoignait pour un dehors ou pour un tréfonds du monde (du moins à la manière dont nous avons cru jusqu'ici pouvoir interpréter le passé de l'humanité). Avec le cinéma, la paroi devient une ouverture pratiquée dans le monde sur ce monde même. C'est pourquoi la comparaison, qui fut faite à plusieurs reprises, du cinéma avec la caverne de Platon n'est pas pertinente: le fond de la caverne témoigne précisément pour un dehors du monde, mais en négatif, et installe par là même la déconsidération des images que l'on sait, ou l'exigence de considérer des images  plus hautes et plus pures, nommées " idées". Le cinéma opère à l'inverse: il ne reflète pas un dehors, il ouvre le dedans sur lui-même. L'image sur l'écran est elle-même l'idée.

(Mais pour autant, et par une autre différence avec des films à thème ou à thèse «métaphysique», la réalité sociale et politique, pratique et quotidienne, de l'Iran n'est jamais dissociable de la méditation dont je parle. Au contraire, elle ne cesse d'être présente de tant de manières qu'elle défie parfois même la simple compréhension d'un spectateur trop peu informé comme je le suis. Il suffit, pour se contenter d'un exemple assez clair pour moi, de penser au jeune soldat dans Le Goût de la cerise, dont on apprend qu'il est un paysan du Kurdistan, qui parle du travail non payé, etc. - sans oublier qu'un groupe de soldats occupera les dernières images du film, soldats au repos, heureux de la détente, fumant, cueillant des fleurs comme des signes chargés d'inverser ceux de la réalité militaire.)"




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Message par Invité Sam 29 Juin 2013 - 15:09

l'évidence qui n'est jamais vécue, ou non, par le sujet que dans ce qu'il a sous les yeux me semble difficilement transmissible : si tout à coup je prends conscience que les passants actionnent les bras et les jambes, marchent, se meuvent, sont mus par la vie, et que ça commence à me chauffer les sangs, il faudrait une énorme coïncidence pour que justement mon voisin se laisse lui aussi captiver par cette "métaphysique".

Et je ne vois pas comment, autrement que par une construction intellectuelle, la méditation métaphysique du cinéma de Kiarostami, pourrait se répandre comme une traînée de poudre en évidence , établissant comme Nancy et toi le laissez entendre, des hiérarchies assises sur ce seul critère, l'évidence, sans que le prélèvement sur cet objet, le cinéma de Kiarostami, qu'on va polir, fourbir, ne se fasse, je n'ai pas dit à tort, mais seulement peut être trop exclusivement, sachant que l'évidence est ce qui est, sans exclusive, partout.

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Message par Invité Sam 29 Juin 2013 - 15:56

Borges a écrit:
[...]
-L'évidence n'est pas la donation immédiate de ce qui se montre de soi, à tous, tout le temps, sans effort, sans attention, c'est ce qui se montre à qui regarde, à qui prend soin de regarder : c'est à la fois là, évident, donné, mais donné d'une donation qui nécessite le regard, qui prend soi, le regard soucieux, en un sens non psychologique, évidemment; c'est le souci de l'être, le souci qui protège, abrite... L'évidence, c'est ce qui donne à qui prend soin de regarder ce qui est, le réel, défini par une certaine forme de soustraction, de retrait, de résistance "à l'absorption dans les visions (visions du monde, représentations, imaginations)."
[...]


Un des plus frappantes, pour ne pas redire "évidentes", illustrations de la justesse de ceci, est son film Five (dedicated to Ozu). Tout en plans séquences qui rappellent d'une certaine façon la manière du news from home de Chantal Akerman (sans la voix off par intervalles courts et espacés).
Notamment une infinie procession de canards sur une plage (une expérience cinématographique qui pour moi fait de ce film un des quatre ou cinq chefs d’œuvre de Kiarostami), que véritablement on se prend à simplement regarder, d'un regard qui n'est pas paresseux, indifférent, etc, mais tout le contraire. On accorde une attention de plus en plus vive, soutenue, contemplative, amusée, interloquée, etc, de l'ordre d'un étonnement, d'un recueillement, qui ne cessent de croître jusqu'à une forme d'allégresse, à cette lente (ou rapide, je sais plus trop, en fait, mais ô joie, y a des torrents qui trainent ça et là) procession, où chaque passage de canard dans le champ devient un événement, dans toute sa singularité, délesté du poids des attentes, projections psychologiques, d'une téléologie du sens et du récit. Pourtant, ce n'en est pas moins un récit, on pourrait presque dire qu'on "lit" - si on s'accorde de commencer à regarder, enfin, sans "pré-texte narratif", si on accepte l'expérience de la durée de ces plans -, un récit primordial, la prose du monde lui-même, une "archi-fiction", d'une force poétique extraordinaire...

Film expérimental, proposition d'expérience (de 75 minutes), qui me rappelle irrésistiblement le court-métrage (déjà posté) des deux Suisses Fischli & Weiss: Der Lauf der Dinge ("le cours des choses"), même si le dispositif est l'exact inverse. Fondé ici non sur le hasard, mais sur une prédétermination millimétrée des enchainements d’événements en un vaste plan séquence, ce qui ne produit pas moins cette même ouverture du regard, ce même "thaumazein" primordial, devant ce qui "arrive".
De façon étonnante, le deux dispositifs, par des cheminements inverses, conduisent à une expérience au bout de compte fort proche: l'étonnement du regard devant une "logique du hasard" qui serait en même temps le "hasard de la logique". Der Lauf der Dinge produisant cette expérience poétique de l'événément sous l'angle "la plus grande détermination/logique n'abolira jamais le sentiment du hasard"; Five la produisant sous l'angle "le plus grand hasard n'abolira jamais le sentiment d'une logique/détermination". J'étais tenté là aussi de parler d'archi-fiction, film contenant en quelque sorte tous les films possibles: d'action, de contemplation, de lenteur, de vitesse, de suspense, burlesques, etc etc):

Der Lauf der Dinge:

Five est introuvable sur youtube et autres, on trouve par contre le making off. Et juste des micro-extraits, qui n'ont plus aucun sens puisque la durée est primordiale.


A la place, juste ceci, tiens: une "intro de 4 minutes sur Kiarostami", où on peut lire dans les inserts l'appréciation de quelques confrères prestigieux (Godard, Scorsese, Haneke).



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Message par Invité Sam 29 Juin 2013 - 16:27

ton histoire de canard, ok, très bien, mais faire de Kiarostami l'intercesseur nécessaire et exclusif de ça, non 1 - je peux "voir" sans lui 2 - je peux "voir" avec d'autre que lui, sans encore une fois bouder mon plaisir à ses plans.

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Message par Invité Sam 29 Juin 2013 - 16:33

parfois je me demande si on confond pas trop critique et géopolitique

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Message par Invité Sam 29 Juin 2013 - 16:56

slimfast a écrit: faire de Kiarostami l'intercesseur nécessaire et exclusif de  ça, non 1 - je peux "voir" sans lui 2 - je peux "voir" avec d'autre que lui, sans encore une fois bouder mon plaisir à ses plans.

Je ne fais nulle part de Kiarostami l'intercesseur nécessaire et exclusif de ça. J'essaie juste de montrer que c'est un cinéaste chez qui c'est fort sensible, et je mets cela en rapport avec d'autres cinémas et cinéastes (je cite News from home, Der Lauf der Dinge, on pourrait en citer d'autres: ça reste cependant une approche cinématographique assez rare, minoritaire), donc ce n'est ni nécessaire, ni exclusif.

Par contre, je suis d'accord avec Borges pour dire que la manière de Haneke est différente (y compris dans l'usage des longs plans fixes et des plans séquences): il s'agit bien chez Haneke d'aller, par l'image, "derrière" l'image, pour y faire affleurer quelque chose, qui s'y raconte, latéralement, de façon "cachée", quelque chose qui n'est pas dans l'image (un "hors-champ" dans le champ). Soit encore interroger l'image comme "média", dans un rapport à l'image qui est celui d'une tradition du "soupçon critique" - dévoiler un régime de significations que l'usage narratif traditionnel de l'image occulterait.

Et non, comme chez K ou d'autres (dans certains de ses films, pas tous), en quelque façon proposer une expérience de l'image-durée par "soustraction" d'un régime de significations. Bien sûr, ce n'est pas aussi simple ou oppositionnel que cela. Je soutiendrais, pour ma part, que dans certains de ses films (notamment ceux de la période autrichienne), Haneke s'approche aussi de cela (de cette "soustraction"), à sa façon. Alors que dans ses derniers films, il s'éloigne plutôt à la fois de cette "soustraction" et de cette "interrogation critique sur le statut de l'image", se faisant davantage conteur d'histoires, si on veut (y compris dans Amour, vu récemment: pas mal du tout, mais ça m'a un peu indifféré je l'avoue...).
A l'inverse, je ne vois pas tellement que Kiarostami, même dans ses films les plus "signifiants" (comme close-up), a des préoccupations analogues à celles de Haneke, en termes de réflexion critique sur le statut de l'image. Ils n'en sont pas moins importants, l'un et l'autre, à mes yeux.

En bref: pointer des différences ne signifie pas ici que l'un manquerait ce que l'autre réussirait. Il ne s'agit pas ici, une fois de plus, de dégager une façon de faire du cinéma qui serait exemplaire ou devrait servir de modèle pour les autres, de choisir l'un contre l'autre, d'élire ceci contre cela, de choisir un "camp"... On peut avoir un rapport pluriel, multiple, aux cinémas, sans à tout prix vouloir "dialectiser", subordonner et hiérarchiser. Mais faut-il rappeler cette évidence (considérant par exemple que je suis fan de séries américaines que tu abhorres, de films d'horreur de série z, et de mille types de cinéma différents les uns des autres)? Wink


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Message par Invité Sam 29 Juin 2013 - 17:14

le seul truc qui me vient à l'esprit là maintenant c'est que dans un plan de Kiarostami il y a très souvent comment dire, un supplément d'âme, dont je trouve sans doute l'explication ici, qui n'est ni de la psychologie, ni de la matière fictionnelle ou pas forcément mais une manière de livrer dans le plan quelque chose de singulier et qui l'élève. une sensibilité au cinéma de sa part et que j'ai ressenti dans la vidéo que tu as postée. mais s'il y a sa qualité de cinéaste il y a un truc d'Iran, on peut pas le nier.

j'abhorre, j'abhorre c'est un grand mot !

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Message par Invité Sam 29 Juin 2013 - 17:29

slimfast a écrit:le seul truc qui me vient à l'esprit là maintenant c'est que dans un plan de Kiarostami il y a très souvent comment dire, un supplément d'âme, dont je trouve sans doute l'explication ici, qui n'est ni de la psychologie, ni de la matière fictionnelle ou pas forcément mais une manière de livrer dans le plan quelque chose de singulier et qui l'élève. une sensibilité au cinéma de sa part et que j'ai ressenti dans la vidéo que tu as postée. mais s'il y a sa qualité de cinéaste il y a un truc d'Iran, on peut pas le nier.

Je suis d'accord avec toi, je ressens ça très fort, même si "supplément d'âme" est assez connoté, lol. Mais ni de la psychologie, ni de la matière fictionnelle, oui, je verrais ça comme ça aussi.

J'en profite pour ajouter que mon rapprochement entre le court-métrage de F & W et Five ne doit pas occulter qu'un trait marquant des autres films de Kiarostami (essentiellement ses films iraniens, n'ayant vu jusqu'ici que "copie conforme" qui m'a pas convaincu du tout, même si, etc), c'est leur impact émotionnel, et, souvent, leur fin incroyable (comme le souligne fort justement Eyquem). A la fois elliptique et comme le surgissement in extremis d'une grâce, d'une "miséricorde" absolue, sans conditions - enfin, quelque chose de cet ordre, fort difficile à définir, une forme de compassion, d'amour, gigantesque, qui semble surgir de nulle part, sans cause ni relation ni objet, du dehors, sans émetteur ni récepteur, ni décision (oui, peut-être peut-on parler de grâce) -: d'une puissance déflagratrice qui a provoqué chez moi physiquement des crises de larmes (Où est la maison, Close up, notamment, Le passager...).
Mais dans ce dernier cas [spoiler], sous forme d'une déception tellement immense qu'elle submerge tout, emporte tout sur son passage, y compris - peut-être- la déception elle-même de l'enfant, qui a placé pendant tout le film, toute son énergie, toute sa ruse, tous ses espoirs, pour faire ce voyage en car qui le mènera à Téhéran: à la grande finale du match de foot tant rêvé. Trop d'énergie, trop d'espoir, trop de fébrilité. Parvenu à son but, enfin, une heure avant le début du match, une fatigue terrible s'abat sur lui. Il se rend dans un parc tout proche, et s'y endort presque aussitôt. Il se réveille. Court vers le stade. C'est le dernier plan/panoramique. Il n'y a plus personne, seulement des papiers froissés emportés par le vent, et lui qui court dans les travées, vu de dos. On ne sait donc pas dans quel état il est exactement, on ne verra jamais la déception ou la tristesse sur son visage. C'est simplement un corps qui court, au loin, indéchiffrable. Là encore, une des plus belles fins de film que je connaisse, qui prend à la gorge ...





j'abhorre, j'abhorre c'est un grand mot !

Tututuuut, cher slimfast, mes fiches du politburo (ordonnées dans le casier de ma tête) m'indiquent que c'était le mot plutôt approprié.

Spoiler:

Juste pour en rire, en passant. Et passons, si tu veux bien, pour ne pas saboter ce topic. lol


Dernière édition par Baudouin II de Barvaux le Sam 29 Juin 2013 - 21:39, édité 1 fois

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Message par Invité Sam 29 Juin 2013 - 21:13

t'as une mémoire d'éléphant : c'est déprimant !  Cool

Le passager, pas vu, mais tu as bien fait de me raconter cette fin poignante ; j'aime connaître la trame d'un film avant de le voir, c'est pas ça qui m'intéresse au cinéma.

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Message par Invité Sam 29 Juin 2013 - 21:38

Tu me rassures, je m'inquiétais du fait que j'aurais mettre un "spoiler".

Je vais quand-même rééditer en ce sens.

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Message par Invité Dim 30 Juin 2013 - 0:41

(Je viens de revoir la scène des canards. C'est énorme. Very Happy )

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Message par Invité Dim 30 Juin 2013 - 9:51

je cherchais le mot, c'est immanence. K. laisse surgir à l'écran une modalité du sensible dans un plan d'immanence, sans justification, sans métaphysique, sans arrière monde ...
sinon le canard est très connoté : en Asie, symbole d'union, de félicité conjugale, de puissance vitale (le mâle est la femelle nagent toujours côte à côte, lol). Pour les indiens d'Amérique, le canard est le guide infaillible, aussi à l'aise dans l'eau que dans le ciel ...

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Message par Eyquem Dim 30 Juin 2013 - 11:40

salut Borges, merci pour ta réponse,
Borges a écrit:-L'évidence c'est donc à la fois la banalité, de ce qui est donné au sens commun, relevant du commun, et la puissance de ce qui saisit, frappe comme la foudre." Evidentia, comme le rappelle JLN,  fut pris en latin pour traduire le grec enargeia, qui parle de la blancheur puissante et instantanée de l'éclair: argos, éclat et vitesse ensemble."

-L'évidence n'est pas la donation immédiate de ce qui se montre de soi,  à tous, tout le temps, sans effort, sans attention, c'est ce qui se montre à qui regarde, à qui prend soin de regarder : c'est à la fois là, évident, donné, mais donné d'une donation qui nécessite  le regard, qui prend soin, le regard soucieux, en un sens non psychologique, évidemment; c'est le souci de l'être, le souci qui protège, abrite...
A la fin de « 10 on Ten », Kiarostami passe d’un plan d’ensemble sur le paysage à un gros plan sur la route, qui fait apparaître des fourmis occuper à mettre des graines à l’abri.

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Et il récite ce poème, dont il ne précise pas la source (impossible de la trouver sur le net):

« Attise le feu pour que je te montre quelque chose à voir, qui est invisible si tu ne veux pas voir, et qui est inaudible si tu ne veux pas entendre le souffle de sa respiration »

Ce qui reprend l'idée dont tu parles: l'évidence qui se donne à qui veut voir.
(Par contre, je ne sais pas ce que c'est que ce feu qu'il faut attiser: ce n'est pas la même chose que la foudre dont tu parles.)

Spoiler:
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Message par Eyquem Dim 30 Juin 2013 - 21:48

'soir Baudouin,
Un des plus frappantes, pour ne pas redire "évidentes", illustrations de la justesse de ceci, est son film Five (dedicated to Ozu). Tout en plans séquences qui rappellent d'une certaine façon la manière du news from home de Chantal Akerman (sans la voix off par intervalles courts et espacés).
Notamment une infinie procession de canards sur une plage (une expérience cinématographique qui pour moi fait de ce film un des quatre ou cinq chefs d’œuvre de Kiarostami), que véritablement on se prend à simplement regarder, d'un regard qui n'est pas paresseux, indifférent, etc, mais tout le contraire. On accorde une attention de plus en plus vive, soutenue, contemplative, amusée, interloquée, etc, de l'ordre d'un étonnement, d'un recueillement, qui ne cessent de croître jusqu'à une forme d'allégresse, à cette lente (ou rapide, je sais plus trop, en fait, mais ô joie, y a des torrents qui trainent ça et là) procession, où chaque passage de canard dans le champ devient un événement, dans toute sa singularité, délesté du poids des attentes, projections psychologiques, d'une téléologie du sens et du récit. Pourtant, ce n'en est pas moins un récit, on pourrait presque dire qu'on "lit" - si on s'accorde de commencer à regarder, enfin, sans "pré-texte narratif", si on accepte l'expérience de la durée de ces plans -, un récit primordial, la prose du monde lui-même, une "archi-fiction", d'une force poétique extraordinaire...

Film expérimental, proposition d'expérience (de 75 minutes), qui me rappelle irrésistiblement le court-métrage (déjà posté) des deux Suisses Fischli & Weiss: Der Lauf der Dinge ("le cours des choses"), même si le dispositif est l'exact inverse. Fondé ici non sur le hasard, mais sur une prédétermination millimétrée des enchainements d’événements en un vaste plan séquence, ce qui ne produit pas moins cette même ouverture du regard, ce même "thaumazein" primordial, devant ce qui "arrive".
De façon étonnante, le deux dispositifs, par des cheminements inverses, conduisent à une expérience au bout de compte fort proche: l'étonnement du regard devant une "logique du hasard" qui serait en même temps le "hasard de la logique". Der Lauf der Dinge produisant cette expérience poétique de l'événement sous l'angle "la plus grande détermination/logique n'abolira jamais le sentiment du hasard"; Five la produisant sous l'angle "le plus grand hasard n'abolira jamais le sentiment d'une logique/détermination". J'étais tenté là aussi de parler d'archi-fiction, film contenant en quelque sorte tous les films possibles: d'action, de contemplation, de lenteur, de vitesse, de suspense, burlesques, etc etc):
Je n'ai pas vu "Five", mais c'est marrant que tu cites "Der Lauf der Dinge": si tu te souviens, dans "Close up", il y a déjà un long plan où Kiarostami filme la dégringolade d'une bombe aérosol sur le pavé de la rue comme une scène à suspense ("jusqu'où va-t-elle rouler? Elle va s'arrêter, là... non, elle repart!")
Mais il fait encore mieux dans "Le vent nous emportera": l'homme lâche une pomme qui roule sur la terrasse, redescend, pivote, bute contre un bord, recule, glisse dans la gouttière, et tombe dans la rue, où l'enfant la rattrape du pied.
C'est fait en 3 plans (un sur l'homme, un sur la cascade, un sur l'enfant), mais sans trucage au montage. Ca ne dure pas assez longtemps pour captiver comme les canards, mais juste assez pour susciter cet émerveillement devant ce qui arrive dont tu parles.

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