Habemus Papam ... en passant

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Message par Invité Ven 9 Sep 2011 - 19:21

j'attends vos réactions, pour moi un beau film, plein, émouvant dont, comme on peut s'attendre avec N.M. le sujet est forcément aussi le cinéma, sujet qui n'est pas le moins réussi dans le film.

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Message par Largo Sam 10 Sep 2011 - 12:02

Tâchons donc d'y revenir.

Quelques notes...

« L'Homme qui a voulu »

C'est l'histoire d'un pape qui renonce à être pape.

Certains ont été déçu par le film. Prêts à se délecter d'une charge ironique et cinglante contre le Vatican, ces pauvres spectateurs n'ont trouvé qu'une petite dose d'humour tendre dans cette histoire de vieux messieurs désemparés. Mais ces spectateurs-là, sont-ils vraiment restés jusqu'à la fin ? En effet, quoi de plus radical et de plus cinglant que de montrer le chef spirituel d'un milliard de personne fuir sa responsabilité pendant que s'élève en off le « Misere » d'Arvo Part ?



Moretti, comme avec Le Caïman, adopte la stratégie des hommes de La Planète des Singes : « C'est lui le meneur, descendez-le » (de son piédestal). Et il ne l'a pas raté. Simplement, on ne tire pas sur une ambulance au bazooka. Le cinéaste italien a une conception de la frappe chirurgicale qui diffère légèrement de celle des politiques et des militaires.

« La figure la plus récente du prêtre est le psychanalyste » (Deleuze, Mille-Plateaux)

Je connais trop mal Deleuze pour lire le film à partir de lui, de sa pensée. Contentons-nous de se dire que Moretti renvoie dos-à-dos la religion et la psychanalyse, en tant que médecins auto-proclamés spécialistes des maux de l'âme. Interprétant une nouvelle fois, un psy, « le meilleur », il se retrouve vite impuissant, à organiser des tournois de volley avec les cardinaux. Moretti sait mieux que personne que la meilleure thérapie imaginable passe par la comédie, le jeu, l'art... C'est comme ça qu'il est devenu ce qu'il est aujourd'hui.

Le film, en dépit de la pesanteur de son rythme (inévitable, vu les rituels qu'il met en scène et la « charge » - c'est le mot – qui échoit à Melville) se révèle être d'une limpidité virtuose dans sa construction. A partir de l'opposition classique entre l'art et la vie, tout s'emboîte, tout rentre dans cette logique binaire : le théâtre & le Vatican, la religion & la psychanalyse, le pape en fuite et le garde suisse qui le remplace pour faire illusion, le psychanalyste et sa femme... The world is a stage and the stage is a world, comme on dit pour les comédies musicales.

Pour sortir de sa condition, chercher les lignes de fuite, il faut endosser le costume d'un autre. Melville, habillé en civil, joue un rôle d'une certaine manière. Il découvre ce que c'est d'être simple spectateur, simple fidèle, parmi la foule, ce que c'est d'écouter les autres parler. Pendant ce temps, le garde suisse, en changeant de costume comme le valet se faisant passer pour un noble dans une pièce de Musset, prend conscience de cet écart entre le bas et le haut de l'échelle. Le Vatican est aussi une société comme une autre, avec sa hiérarchie, ses petits et grands pouvoirs. Il y a plusieurs scènes dans lesquelles il profite de l'abondance gastronomique, de la garde-robe, des appartements du pape, comme un enfant dans un palais à l'abandon ; et ces scènes-là sont très drôles, grâce à cet acteur rondouillard et plein de bonhomie. Mais cette veine farcesque, vaudevillesque (jouant sur le fait que les cardinaux croient que le pape est encore là, parmi eux) ne rend que plus cruelle la fin, quand le garde est contraint (et forcé) de quitter les appartements et le costume pour retourner à son poste. De la même manière, Melville, se prend au jeu de l'acteur récitant La Mouette dans les couloirs de l'hôtel, il espère ainsi faire ses preuves, obtenir une place, un rôle dans la pièce, monter sur scène, mais on le met vite de côté. Il restera simple spectateur.

Rappelons un passage de la pièce, c'est Sorine qui parle à l'acte IV :

« Moi, j'ai un sujet de nouvelle à donner à Kostia. Cela devra s'appeler « L'homme qui a voulu ». Dans ma jeunesse, j'ai voulu devenir littérateur et je ne le suis pas devenu ; j'ai voulu être éloquent, et je parle d'une façon répugnante (...), j'ai voulu me marier et je ne me suis pas marié ; j'ai voulu toujours vivre en ville et puis je finis ma vie à la campagne, et voilà tout. »

Jouer un rôle, nous fait du bien, nous épanouit, nous fait prendre du recul, mais ça ne dure qu'un temps, celui de la représentation. C'est la limite de la thérapie et ce qui fait la noirceur de la fable morettienne : il faut, tôt ou tard, redevenir soi-même. La fin du film nous dit qu'à un moment donné, il faut faire avec. Habemus Papam serait donc moins un film sur le renoncement, que sur l'acceptation. Accepter de n'avoir vocation à n'être ni pape, ni un personnage de Tchékhov, ni quoique ce soit, juste Melville. La magnifique chanson de Mercedes Sosa le dit : « Todo cambia ». Il ne faut pas céder sur ses désirs, mais aussi accepter que tout change, c'est-à-dire, faire avec les regrets et les vocations ratées.



Et puis quand même, dire deux mots de cette manière très élégante qu'a Moretti d'accompagner le pape Piccoli, de le faire entrer dans son film petit à petit, d'abord perdu au milieu des autres cardinaux dans l'immense chapelle, pour finir seul au balcon du Vatican. Moretti l'acteur est aussi là un moment, dans la première partie surtout, pour le guider, le réconforter, avant de s'effacer.

Il se joue quelque chose de très émouvant entre les deux hommes dans leur première rencontre. Ils sont encerclés par les cardinaux et gênés dans leur conversation, comme si les deux hommes étaient scrutés par le monde entier. On imagine Moretti lui dire : « voilà, je t'habille en pape, je sais que c'est très angoissant, mais il va falloir que tu essaies de jouer ce rôle-là, qui est immense et écrasant, mais tu sais aussi bien que moi que tu étais le seul à pouvoir l'endosser. ». Après Lindon/Cavalier dans Pater, voilà une deuxième très belle rencontre entre un acteur et un réalisateur, fascinés par les costumes, les vocations, le goût (ou pas) pour le pouvoir et les jeux de rôle.

Moretti le dit, Piccoli a cette lueur enfantine dans le regard qui rend possible les fugues les plus naïves. Et puis, plus qu'une lueur, c'est un acteur qui capte la lumière et qui la renvoie en irradiant toute la scène. On se réchauffe à son contact. Même fébrile, même irascible, même grimé en pape fantoche, il est notre Roi-Soleil.
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Message par Invité Sam 10 Sep 2011 - 15:55

salut Slimfast, Largo,

c'est sûr qu'il y a de quoi être touché par Piccoli exceptionnel dans ce personnage de Bartleby papal (et Largo l'a dit, il s'appelle Melville) qui préférerait mieux pas. mais notons qu'il n'est pas le seul et que c'est aussi le cas de tous les cardinaux. la séquence de son élection est d'ailleurs très construite de ce point de vue. on ne sait pas ce qui fait que ce soit lui, Melville, qui soit choisi. simplement, le choix fait suite à la scène où on entend les voix de tous les cardinaux priant pour que dieu leur épargne cette épreuve. je préfèrerais mieux pas. et c'est tout de suite après qu'un nouveau dépouillement égrène les bulletins : Melville, Melville, Melville. c'est Bartleby qui est élu parce qu'il était seul en lice. et Bartleby fait partie des schizos de D&G, pour rebondir là dessus.

il y a bien une lecture guattaro-deleuzienne à faire de ce film. je ne m'y essaierai pas immédiatement. plus tard, peut-être.

politiquement, le film est très fort malgré son aspect anodin. je pense à Gramsci parlant du pessimisme de la raison et de l'optimisme de la volonté.
le pessimisme : le Vatican et la psychanalyse ne sont pas les seuls à être agraffés. le journaliste au départ qui ne peut voir la couleur de la fumée que sur un écran et qui ne réussit qu'à répéter les annonces du porte-parole + le commentateur télé qui se perd dans ses improvisations : voilà pour la presse incapable de remplir son rôle. l'acteur devenu fou et la pièce qui ne parvient pas à se jouer + les acteurs remplaçant leurs paroles par le texte de l'auteur : voilà pour les artistes incapables aussi bien de faire oeuvre que de vivre vraiment.
là dessus, les psychanalystes qui portent aussi toute une anthropologie contrariée, comme dans la séquence où Moretti déclare très doctement le non-sens de la vie contre la foi avant de pleurer l'interruption du tournoi de volley qui lui enlève tout son sens : voilà pour les penseurs certifiés. et enfin le pape et tout le Vatican qui sont liés (sans identification) à Sarkozy, le chanoine de Latran : voilà pour les organes politico-idéologiques incapables de templir leur rôle.
c'est l'Etat dans son entier qui est en cause. mais Moretti le prend toujours dans les formes de la parole (journaliste, psychanalyste, acteur, prêtre), ce qui permet de le résumer dans le pape, le représentant du Verbe incarné. et de le récuser globalement. quand Melville quitte la fenêtre en laissant la foule orpheline, ce sont tous les corps politiques constitués qui s'évanouissent. et ça, c'est extrêmement fort.

c'est d'autant plus fort que c'est fait sans drame. l'Etat disparait et ce n'est pas un drame. youpi ! c'est le côté optimiste. rien ne vient remplacer cet Etat évanouissant. car ce qui pourrait le remplacer, ce serait encore lui évidemment. alors la fenêtre doit rester vide. mais ce n'est pas grave parce que le monde dans lequel cela se passe est dénué de toute méchanceté. ce n'est pas de la naïveté bien sûr, c'est un élément de fiction. mais c'est une façon pour que la mort ne vienne pas remplacer l'Etat. ce qui vient le remplacer, c'est la fragilité de Melville et la gentillesse de tous ceux que le pape rencontre. sauf le bistrotier qui lui refuse l'usage du téléphone qui est réservé au travail. la seule méchanceté est liée au travail. mais il y a tout de suite quelqu'un pour tendre son portable. c'est ça aussi qui vient remplacer l'Etat : le lien interpersonnel non constitué (à l'opposé, le mariage est un échec, comme toute relation amoureuse durable).
cette position là, à mon sens, est assez guattaro-deleuzienne.

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Message par Invité Sam 10 Sep 2011 - 15:57

trois leitmotivs du film :

-ça arrive
-je n'y arrive pas
-(après un accident) : ça va ? - oui ça va ? - vous ne vous êtes pas fait mal ? - Non. - Vu êtes sûr ? - Mais foutez-moi la paix à la fin ! [ça arrive au moins deux fois et c'est sûrement à rapprocher de la psy obsédée par la carence de soin durant la petite enfance]


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Message par Invité Sam 10 Sep 2011 - 16:01

rien à voir le Van Trier - ou en parfait négatif.


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Message par Largo Sam 10 Sep 2011 - 16:41

c'est l'Etat dans son entier qui est en cause. mais Moretti le prend toujours dans les formes de la parole (journaliste, psychanalyste, acteur, prêtre), ce qui permet de le résumer dans le pape, le représentant du Verbe incarné. et de le récuser globalement. quand Melville quitte la fenêtre en laissant la foule orpheline, ce sont tous les corps politiques constitués qui s'évanouissent. et ça, c'est extrêmement fort.

Bien vu, ça, "le Verbe incarné" Wink j'y avais pas pensé
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Message par Invité Sam 10 Sep 2011 - 16:48

à dire vrai, j'ai chipé l'idée à Michel Guilloux dans cet article.
rendons à César...


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Message par Borges Sam 10 Sep 2011 - 16:55

politiquement, le film est très fort malgré son aspect anodin (...) le Vatican et la psychanalyse ne sont pas les seuls à être agrafés. le journaliste au départ qui ne peut voir la couleur de la fumée que sur un écran et qui ne réussit qu'à répéter les annonces du porte-parole + le commentateur télé qui se perd dans ses improvisations : voilà pour la presse incapable de remplir son rôle.


très honnêtement, n'est-ce pas des banalités médiatiques sur les médias?

(pas encore vu le film, sans doute, la semaine prochaine; j'espère que ce sera supérieur à la nullité de cavalier, pater, ou à celle d'almodovar...moins nulle, mais tout de même pas terrible... je ne supporte pas Michel P (depuis les années 1980) et ce que j'ai vu comme images me donne plus le sentiment d'un truc neuneu que de je ne sais quel prodige d'enfance naïve, innocente, ou je sais pas...)
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Message par Invité Sam 10 Sep 2011 - 18:00

je ne sais quel prodige d'enfance naïve, innocente
franchement, je n'ai pas vu ça dans ce film. tu nous diras si tu trouves ça neuneu. ce n'est pas impossible. on peut trouver ça neuneu mais je crois que c'est passé à côté du film. ou peut-être pas d'ailleurs. ça dépend si on s'arrête là. il y a toujours quelque chose de neuneu chez Moretti. c'est comme Jane Austen: on aime ou on aime pas.

pour les médias, ne te laisse pas tromper par la place qui leur est réservée dans ce que j'écris. ils n'en ont relativement pas autant dans le film. les autres (acteurs, Vatican, psys) sont beaucoup plus importants. ça me donne plutôt l'impression que Moretti considère ça comme une question réglée qu'il rappelle en passant.


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Message par Eyquem Dim 11 Sep 2011 - 12:49

Hello tout le monde,

Ca m'a impressionné, même si, en sortant, je n'aurais pas su dire de quoi le film parlait vraiment. Le film a la forme d'une énigme et déçoit ceux qui attendaient une bouffonnerie anticléricale (l'exemple du Caïman, auquel on fit les mêmes reproches, aurait pourtant dû les instruire que Moretti n'allait pas se contenter de compiler les scandales qu'on lit dans les éditoriaux).
L'énigme du film, celle qui fait que Melville "préfère ne pas", ne se confond pas pourtant avec une énigme de l'inconscient (on ne saura presque rien du passé du pape) ni avec celle de la foi (le pape dit que son hésitation n'est pas du tout une mise en question de sa croyance).

Stéphane a écrit:les formes de la parole (journaliste, psychanalyste, acteur, prêtre), ce qui permet de le résumer dans le pape, le représentant du Verbe incarné
C'est vrai ; l'espèce de vertige existentiel autour duquel tourne le film saisit chaque fois celui qui parle au moment où ce qu'il dit lui apparaît comme un texte, un ensemble de répliques, une partition - ce qu'il dit se détache d'un coup de lui, c'est une langue morte dans lequel rien d'authentique, de vivant, ne se dit (l'important dans le titre du film, c'est qu'il soit en latin : une langue morte). Dans le film, c'est comme s'il y avait ceux qui savent leur texte et ceux qui ne le savent plus. D'un côté, il y a la psychanalyste qui explique tout par "la carence de soins" ; il y a les acteurs qui connaissent le dialogue par coeur. Et puis de l'autre, il y a cet expert de plateau télé qui perd pied quand soudain il s'aperçoit que ce qu'il a dit ne veut rien dire, qu'il improvisait, et qu'il ne vaut mieux pas lui demander ce qu'il voulait dire par là car il n'en a aucune idée ; et bien sûr, il y a le pape, dont l'incapacité à se présenter urbi et orbi, au balcon, semble d'abord venir de ce qu'il ne sait pas le texte qu'il doit y prononcer et qu'il cherche à composer dans ses déambulations nocturnes (la très belle scène dans le bus de nuit).

La légère angoisse qui m'a pris en regardant le film, sans que ça m'empêche de rire, tient peut-être à ça : c'est un film qui a l'air de se demander constamment : mais qu'est-ce que tu racontes ? qu'est-ce que ça veut dire ? à quoi bon parler ? qu'est-ce que je pourrais bien dire, au fond ? qu'est-ce qu'il faut dire ? est-ce que j'ai quelque chose à dire ?
C'est un film qui paraît travaillé par un puissant désir de se taire - contre le cliché de l'Italien bavard - ou, peut-être, sans que ce soit incompatible, par un désir de dire en une fois tout ce qu'il y a à dire, sans qu'il n'y ait plus ensuite à y revenir (et c'est peut-être à ça que parvient le pape, par son discours final : un peu comme Chaplin à la fin du Dictateur ?)

Bon, c'est des pistes comme ça : mais la comparaison avec Le dictateur, ça pourrait donner des choses il me semble, pour comprendre cette espèce de dédoublement du pape ici.

(Un autre film auquel je pense, c'est Persona : une histoire d'actrice saisie d'un fou rire en pleine représentation et qui ensuite se tait. Aussi une histoire de doubles, avec pas mal de psychanalyse dedans, si je me souviens bien. Mais là, je vois moins où ça mènerait).



Dernière édition par Eyquem le Dim 11 Sep 2011 - 13:20, édité 2 fois
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Message par Eyquem Dim 11 Sep 2011 - 12:52

Largo a écrit:cette veine farcesque, vaudevillesque (jouant sur le fait que les cardinaux croient que le pape est encore là, parmi eux) ne rend que plus cruelle la fin, quand le garde est contraint (et forcé) de quitter les appartements et le costume pour retourner à son poste
Tu as vu le film à Cannes ? Elle n'était pas dans le film que j'ai vu.
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Message par Eyquem Dim 11 Sep 2011 - 12:55

J'oubliais : cette histoire de pape/acteur n'est pas vraiment une invention de Moretti. Je croyais que c'était Benoît XVI mais en fait c'est Jean Paul II qui a eu une carrière d'acteur avant de faire carrière dans le pontificat :
Adolescent, Karol Wojtyła est passionné de littérature et de théâtre[G 1]. Il participe à des représentations théâtrales données par son lycée[A 1]. Il se lie d'amitié avec deux actrices de sa troupe, Halina Krolikiewicz et Guika Beer. Une communauté juive importante réside à Wadowice, que Karol Wojtyla côtoie quotidiennement[A 2]. Il joue dans de nombreuses pièces et obtient souvent les rôles principaux, remplaçant même au pied levé un acteur qui ne pouvait être présent[G 2]. Il rencontre Mieczysław Kotlarczyk[A 3], professeur d'histoire au lycée des filles de Wadowice et passionné de théâtre[G 3]. À partir de 1936, Kotlarczyk forme Karol Wojtyla à sa propre technique théâtrale, essentiellement fondée sur la force de la parole et du texte[G 3]. Il discute aussi avec lui de la place de la langue dans la culture et l'identité polonaise.

(wikipédia)
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Message par Eyquem Dim 11 Sep 2011 - 15:35

La chanson de Mercedes Sosa, c'est un poème d'exil de Julio Numhauser (un musicien chilien qui avait fui en Suède la dictature de Pinochet) :

Cambia lo superficial
Cambia también lo profundo
Cambia el modo de pensar
Cambia todo en este mundo

Cambia el clima con los años
Cambia el pastor su rebaño
Y así como todo cambia
Que yo cambie no es extraño

Cambia el mas fino brillante
De mano en mano su brillo
Cambia el nido el pajarillo
Cambia el sentir un amante

Cambia el rumbo el caminante
Aúnque esto le cause daño
Y así como todo cambia
Que yo cambie no es extraño

Cambia todo cambia
Cambia todo cambia
Cambia todo cambia
Cambia todo cambia

Cambia el sol en su carrera
Cuando la noche subsiste
Cambia la planta y se viste
De verde en la primavera

Cambia el pelaje la fiera
Cambia el cabello el anciano
Y así como todo cambia
Que yo cambie no es extraño

Pero no cambia mi amor
Por mas lejo que me encuentre
Ni el recuerdo ni el dolor
De mi pueblo y de mi gente

Lo que cambió ayer
Tendrá que cambiar mañana
Así como cambio yo
En esta tierra lejana

Cambia todo cambia
Cambia todo cambia
Cambia todo cambia
Cambia todo cambia

Pero no cambia mi amor...

Le superficiel change
et le profond change aussi
elle change, la façon de penser
tout change en ce monde
le climat change avec les années
le berger change son troupeau
et puisque tout change
il n'est pas étrange que moi-même je change.

Le brillant le plus fin change
son éclat de main en main.
L'oiseau change de nid.
Le ressenti d'un amant change.
Il change de destination, le voyageur,
même si cela lui cause un désavantage.
Et puisque tout change
il n'est pas étrange que moi-même je change.

Ça change, tout change
Ça change, tout change.


Le soleil change dans sa course
quand la nuit descend.
La plante change et
Le printemps s'habille de vert.
Elle change de pelage la bête sauvage.
Ils changent les cheveux du vieillard.
Et puisque tout change
il n'est pas étrange que moi-même je change.

Mais mon amour ne change pas
aussi loin que je me trouve,
ni le souvenir, ni la douleur
de mon village et de mes gens.
Et ce qui a changé hier
devra changer demain
tout comme je change moi-même
en cette terre éloignée.
Ça change, tout change
Ça change, tout change
Mais mon amour ne change pas
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Message par Borges Dim 11 Sep 2011 - 17:41

On parle de deleuze, de melville, je sais pas, je verrai, mais question pape, ce que vous dites du film me semble assez éloigné de ça :
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Message par Invité Dim 11 Sep 2011 - 19:14

le pape du film est assez éloigné de tout, d'ailleurs à bien y réfléchir, c'est le film lui même qui est comme détaché, désarrimé du réel. c'est une fable, d'une simplicité biblique, si je peux dire, où tout, vraiment tout est théâtre, univers des premiers films de Moretti et où tout est cinéma, Moretti prêtre ou psychanalyste vient se plaquer sur les images du film. en tout cas exit, la foi, la psychanalyse et la politique : que reste t'il ? un film au tempo parfait, à la durée des plans millimétrée et un travail d'orfèvre sur les émotions. si l'on pense comme moi qu'un film est un bloc d'émotions, Moretti plaît.

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Message par Eyquem Dim 11 Sep 2011 - 20:58

On s'est trompé de Melville : c'est pas Herman, c'est Jean-Pierre. Moretti le dit ici (tout en rappelant qu'au fond, Jean-Pierre avait pris ce nom à Herman...) :
http://www.lexpress.fr/culture/cinema/habemus-papam-interview-de-nanni-moretti_1027895.html


Pour le volley, je ne sais pas, mais vous saviez, vous, que le Vatican avait sa coupe du monde de foot ? La Clericus Cup.

http://www.laici.va/content/laici/fr/sezioni/chiesasport/clericus_cup.html

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La squadra des séminaristes de Redemptoris Mater exulte après sa victoire en finale par 1-0 contre l'équipe des North American Martyrs.
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Message par Largo Dim 11 Sep 2011 - 22:43

Eyquem a écrit:
Largo a écrit:cette veine farcesque, vaudevillesque (jouant sur le fait que les cardinaux croient que le pape est encore là, parmi eux) ne rend que plus cruelle la fin, quand le garde est contraint (et forcé) de quitter les appartements et le costume pour retourner à son poste
Tu as vu le film à Cannes ? Elle n'était pas dans le film que j'ai vu.

Ah oui, en fait, je crois que c'est une scène qu'il a supprimé (même avant Cannes, j'ai aussi vu un montage non-définitif en fait). La scène montre le garde suisse se débattant, refusant de quitter les confortables salons du pape. On lui attrape les pieds et les jambes et il est foutu dehors comme un malpropre.

La coupe du monde du Vatican, c'est pas mal Very Happy

Très juste ce que tu dis du rapport au texte, c'est vraiment ce que j'avais senti dans le film sans le "verbaliser". lol
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Message par Borges Lun 12 Sep 2011 - 9:40

en lisant les niaiseries de serge t, Comment faire pour que le cinéma, qu’il soit documentaire ou de fiction, s’approche au plus près du plus important rituel symbolique au monde, celui de l’élection d’un nouveau Pape, (il n'en doute pas, que c'est le plus grand du monde), je me suis dit que tout le monde s'excite devant ce pape qui refuse d'être élu; rappelons qu'il y a rien de plus conforme à l'esprit biblique, c'est le premier geste des prophètes; le refus de la responsabilité de l'élection; le plus célèbre de ces refus, c'est celui de Jonas, le mec qui a fini dans le ventre d'un grand poisson, d'une baleine, et qui bien entendu n'est pas absent de la grande histoire aquatique de melville...moby dick :




les films sur les papes sont assez rares, ou avec des papes, je crois; là, je vois seulement le parrain, et un autre, qui ressemble un peu à celui de M, mais d'un ton très différent; sans psy ni rien de ce genre; les souliers de saint pierre, avec anthony Q; pas vu, mais lu le livre, d'un auteur sans intérêt...


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Message par Invité Lun 12 Sep 2011 - 10:59

Eyquem a écrit:C'est un film qui paraît travaillé par un puissant désir de se taire - contre le cliché de l'Italien bavard - ou, peut-être, sans que ce soit incompatible, par un désir de dire en une fois tout ce qu'il y a à dire, sans qu'il n'y ait plus ensuite à y revenir (et c'est peut-être à ça que parvient le pape, par son discours final : un peu comme Chaplin à la fin du Dictateur ?)

Bon, c'est des pistes comme ça : mais la comparaison avec Le dictateur, ça pourrait donner des choses il me semble, pour comprendre cette espèce de dédoublement du pape ici.
c'est marrant que tu dises ça. en y repensant, et en réfléchissant à la manière de Moretti en général, je me disais qu'il a une manière assez spéciale de construire des images puissantes à partir des réalités les plus triviales, de l'intensité la plus basse. et le rapport à Chaplin s'est imposé : moins celui du Dictateur d'ailleurs, et de ses autres longs métrages, que le tout simple Charlot des courts métrages du début. ceci dit, je n'aime pas beaucoup Chaplin, même si je l'admire comme cinéaste, parce que je n'aime pas sa morale politique. mais là encore, il doit y avoir des points communs entre les deux. chez Chaplin, il n'y a pas de système social et politique à proprement parler (justement dans le Dictateur), et c'est une grande différence avec Moretti. mais il y a chez les deux une générosité du simple - qui est justement donné comme morale politique par Moretti et affirmé comme morale naturelle chez Chaplin - ce qui fait que je préfère infiniment l'un à l'autre. y compris du point de vue des affects : la morale chaplinienne est franchement lyrique et larmoyante parce qu'il s'agit toujours de sauver l'humanité entière à travers un de ses exemplaires. alors que Moretti se "contente" d'interroger le système et traite l'humanité avec une légèreté un tantinet scandaleuse.


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Message par Invité Lun 12 Sep 2011 - 11:08

Eyquem a écrit:On s'est trompé de Melville : c'est pas Herman, c'est Jean-Pierre. Moretti le dit ici (tout en rappelant qu'au fond, Jean-Pierre avait pris ce nom à Herman...) :
http://www.lexpress.fr/culture/cinema/habemus-papam-interview-de-nanni-moretti_1027895.html
merci pour l'info, Eyquem. ci-dessous le passage de l'interview en question :
Le personnage d'Habemus papam s'appelle Melville. Comme Herman Melville, l'auteur de Moby Dick?
Non, comme le réalisateur Jean-Pierre Melville. Au moment où j'écrivais le scénario d'Habemus papam, j'avais organisé une rétrospective Melville au festival de Turin, que j'ai dirigé pendant deux ans. C'était un nom provisoire mais, petit à petit, je m'y suis attaché.

Melville est un excellent cinéaste mais l'explication est frustrante. Moby Dick est l'animal inaccessible par excellence. L'illusion, le rêve, Dieu...
En général, les gens pensent à Melville pour Bartleby, qui dit tout le temps : "J'aimerais autant pas." Mais, en fait, il paraît que Melville, le cinéaste, dont ce n'était pas le vrai nom, a choisi ce patronyme lorsqu'il était dans la Résistance en hommage à l'écrivain. Si c'est vrai, la boucle est bouclée [l'anecdote est véridique].
en fait, c'est bien l'un et l'autre. et Moretti pense à Melville pour Bartleby (et pas "les gens" qui auraient peut-être plus tendance à s'intéresser à une baleine monstrueuse qu'à un gars qui en fout pas une rame, croyez pas ? Wink ).


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Message par Invité Mar 13 Sep 2011 - 11:59

je ne sais pas si c'est la fièvre ou les drogues, ou si je deviens dingue, mais je me retrouve très peu dans ce que je lis ici et là sur le film.
j'ai souri bien sûr à plusieurs reprises, j'ai trouvé ça drôle, mais je n'ai pas ri.
de la même façon, je n'ai pas été vraiment touché par Melville, son destin de personnage m'intéressant infiniment moins que ce qu'il supporte.
finalement, c'est peut-être l'inquiétude dont parlait Eyquem qui m'a le plus tenu. mais... disons que j'ai été déconcerté. c'est très souvent avec les films de Moretti. je commence par être presque déçu mais je me rends compte que dès que je suis sorti de la salle, le film est encore là, accroché à mes basques, et me suis partout. ce n'est qu'ensuite, au revisionnage, que je peux commencer à rire ou à être ému.
ça doit avoir à faire avec ce truc de Moretti, qui parait faire toujours la même chose et fait toujours quelque chose de différent, de subtilement différent.


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Message par Invité Mar 13 Sep 2011 - 15:01

on peut partir de cet échange de posts :
Borges a écrit:
On parle de deleuze, de melville, je sais pas, je verrai, mais question pape, ce que vous dites du film me semble assez éloigné de ça :
Habemus Papam ... en passant Innocent

slimfast a écrit:le pape du film est assez éloigné de tout, d'ailleurs à bien y réfléchir, c'est le film lui même qui est comme détaché, désarrimé du réel. c'est une fable, d'une simplicité biblique, si je peux dire, où tout, vraiment tout est théâtre, univers des premiers films de Moretti et où tout est cinéma, Moretti prêtre ou psychanalyste vient se plaquer sur les images du film. en tout cas exit, la foi, la psychanalyse et la politique : que reste t'il ? un film au tempo parfait, à la durée des plans millimétrée et un travail d'orfèvre sur les émotions. si l'on pense comme moi qu'un film est un bloc d'émotions, Moretti plaît.
une alternative que je voudrais reformuler.

D'abord, ce n'est pas vrai que « tout est théâtre » dans le film. Je veux dire que tout ce qui est filmé relève peut-être du théâtre, de la représentation, de la parole, etc., mais pas le film lui-même qui va tout à fait ailleurs. Moretti filme des personnages qui sont dupes de la parole, ou du théâtre, et au milieu il met celui qui ne parvient plus à être dupe. Ce n'est pas qu'il ne veut pas, c'est qu'il ne peut plus. Et la parole est pour les institutions (l'état) alors que son absence est une démission qui est aussi une sortie du théâtre. Melville dit « je suis acteur » au lieu de « je suis pape » mais en renonçant à l'un, il renonce à l'autre. (et de toutes façons, l'acteur, ce n'était pas lui, c'était sa soeur.)

(ce qui me déplaît chez Chaplin, c'est sa foi dans la parole, dans le théâtre ;
« me déplaît », « mi dispiace », répété plusieurs fois dans le film)

extinction de la parole chez Melville qui est aussi celle du film. Je n'invente rien :
Eyquem a écrit:
La légère angoisse qui m'a pris en regardant le film, sans que ça m'empêche de rire, tient peut-être à ça : c'est un film qui a l'air de se demander constamment : mais qu'est-ce que tu racontes ? qu'est-ce que ça veut dire ? à quoi bon parler ? qu'est-ce que je pourrais bien dire, au fond ? qu'est-ce qu'il faut dire ? est-ce que j'ai quelque chose à dire ?
C'est un film qui paraît travaillé par un puissant désir de se taire - contre le cliché de l'Italien bavard - ou, peut-être, sans que ce soit incompatible, par un désir de dire en une fois tout ce qu'il y a à dire, sans qu'il n'y ait plus ensuite à y revenir (et c'est peut-être à ça que parvient le pape, par son discours final : un peu comme Chaplin à la fin du Dictateur ?)

à l'extinction de la parole du personnage correspond une extinction du cinéma dans le film. Mais sans pathos ni maniérisme minimaliste qui se signifierait lui-même de façon bavarde. Au contraire, tout est apparemment très simple.

Extinction du récit : je parlais de Jane Austen et il y a vraiment quelque chose de commun avec son dernier roman, Persuasion, où il ne se passe strictement rien : dès le début ils s'aiment et il n'y a aucun obstacle à leur mariage – et à la fin ils se marient sans aucun rebondissement dans l'histoire. Dans Habemus Papam, dès le départ il ne peut pas, et la fin est juste la déclaration publique de cette impossibilité, sans qu'on puisse affirmer qu'il ait rien vécu entretemps qui justifie sa décision de faire cette déclaration. C'est moins une déclaration qu'un passage à l'acte (déclaration performative). L'entremêlement des segments (acteurs, psys, médias, conclave, garde suisse) n'implique aucune progression dramatique, aucune organicité du film. Ça avance bien d'une séquence à l'autre mais par pur hasard (comment on passe de l'un à l'autre ?) et ça ne va nulle part, ça commence avec la disparition d'un pape, ça continue par la disparition d'un pape, ça finit avec la disparition d'un pape.

C'est pareil pour le filmage, entre autres dans sa façon d'utiliser des figures télévisuelles d'emphatisation à des moments sans grand enjeu affectif ou narratif (les ralentis sur le tournoi de volley) alors qu'il reste dans l'ensemble très sobre dans les effusions de sentiments et dans ce qui pourrait provoquer une tension dramatique : la fuite du pape, l'internement de l'acteur, les aveux du porte-parole, et par dessus tout le final où tout le pathos est expédié par un mouvement chorégraphié des cardinaux qui installe un maximum de distance.

Alors à mon sens il y a bien un rapport entre le pape de Moretti et celui de Bacon mais en tenant compte que l'un est un film de 2011 et l'autre une peinture de 1953. D'une part, Bacon peignait dans un cadre social très marqué idéologiquement alors que Moretti filme au temps du triomphe sans partage du capitalisme. D'autre part, il s'agit dans un cas de peinture, avec toute une tradition de commentaire des anciens, et c'est là que Bacon s'inscrit quand il fait filer son Velasquez modèle. Alors que Moretti, relevant d'une tradition ciné plus jeune, donne son modèle en même temps qu'il qu'il le décale et le met en fuite. Je crois que c'est ça qui permet autant de vues différentes : il y a bien de quoi rire, de quoi toucher, du théâtre, etc., mais ça reste au niveau du modèle – alors qu'à un niveau, plus essentiel et moins métaphorique, les enjeux sont complètement différents.


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Message par Invité Mar 13 Sep 2011 - 19:28

Pas vu, bien sûr (puisque je ne vais pas au cinéma).


Mais il me semble qu'on met un peu Bartleby et sa "formule" à toutes les sauces. Ce qui caractérisait le personnage Bartleby, c'était son effacement "ontologique, si on peut dire, le fait qu'il n'accédait pas même à l'existence personnelle, individuelle ou sociale. Et il n'y avait aucune relève réflexive de ça, d'où la violence (du comique) du bazar.

Un "puissant désir de se taire" travaillerait ce film, à rebours du "bavardage italien", dis-tu Eyquem. Pourquoi pas. Notons d'ailleurs que toute la première partie du cinéma de Moretti faisait "travailler" ça précisément dans la profusion du bavardage ( "je suis un autarcique", "ecce bombo", "palombella rossa"). Mais chez Bartleby, puisqu'on y fait référence, il n'y a ni désir ni puissance. On est dans quelque chose qui est plus de l'ordre du "trou noir", du côté de la zone du "neutre". Un a-logisme, une anomalie, un "squid", ou un "bug" (au sens du TLB de Hellman) qui crée le silence, la stupeur, l'affolement et le chaos autour de lui. "Non pas une volonté de néant, mais la croissance d'un néant de volonté", écrit Deleuze. "Bartleby a gagné le droit de survivre, cad de se tenir immobile et debout face à un mur aveugle. Pure passivité patiente, comme dirait Blanchot" (p.92, in 'critique et clinique").

Et si "Bartleby n’est pas une métaphore de l’écrivain, ni le symbole de quoi que ce soit", il semblerait que la tendance actuelle soit de remplir ce "trou noir" pour y loger des métaphores (du pouvoir, du capitalisme, de la vocation, etc) et des symboles ( de la résistance, du refus, etc).

On se plait aujourd'hui à voir des "Bartleby" un peu partout, et singulièrement dans les sphères du pouvoir (des gens qui "ont été", mais qui voudraient "ne plus être", ou plus modestement, "être autre chose"): des pdg bartlebiens, des papes bartlebiens...

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Message par Eyquem Mar 13 Sep 2011 - 20:51

Jerzy a écrit:On se plait aujourd'hui à voir des "Bartleby" un peu partout, et singulièrement dans les sphères du pouvoir (des gens qui "ont été", mais qui voudraient "ne plus être", ou plus modestement, "être autre chose"): des pdg bartlebiens, des papes bartlebiens...
Tu fais bien de le dire. Mais je ne pense pas que la comparaison soit si fausse.
D'abord, le seul souhait qu'exprime Melville-le-pape, c'est de disparaître. Il ne veut pas juste être un pape discret, être pape mais pas trop : non seulement il ne veut pas être pape du tout, mais il voudrait même disparaître. C'est ce qu'il demande explicitement au conclave : "Laissez-moi disparaître".
(comme dit très justement Stéphane, ce n'est même pas qu'il ne veut pas être pape : ce serait encore trop de volonté ; c'est qu'il ne peut pas être pape, il n'y arrive pas. La nuance est importante et juste. C'est comme s'il ne voulait plus que s'asseoir et regarder : peut-être pas un mur aveugle, comme Bartleby, mais pas très loin : s'asseoir, dans un bus, dans une salle de théâtre, et regarder)

Par une astuce de mise en scène, Melville déboule en plein conclave comme s'il avait été téléporté là par un pur hasard. Ce n'est pas un homme de pouvoir, un intrigant, ce n'est pas non plus une éminence grise regrettant d'être soudain projetée sur le devant de la scène. Il a vraiment l'air de se retrouver là sans avoir rien demandé. L'astuce de mise en scène est toute bête : on ne voit jamais Piccoli avant que son nom ne soit mentionné dans les votes et qu'il apparaisse comme le vainqueur de l'élection. Il apparaît dans le film comme par magie : ce sont les autres qui l'y appellent et d'un coup, on s'aperçoit qu'il était là.


On peut toujours se dire : "certes, mais il ne se retrouve tout de même pas là par hasard ; il est quand même cardinal ; c'est pas la même chose que d'être copiste dans un obscur cabinet juridique". C'est vrai, mais dans le film, la différence ne paraît pas si grande. A voir Piccoli, c'est à se demander comment il a pu arriver là. Rien n'est dit de son parcours, sinon qu'il est entré dans les ordres par défaut, parce qu'il a raté le concours d'entrée d'une école de théâtre : c'est comme s'il était devenu cardinal comme il aurait pu faire n'importe quoi d'autre ; ça n'apparaît pas du tout comme l'aboutissement d'un long parcours, ni même comme une vocation.
(d'ailleurs, pour les autres cardinaux, c'est un peu pareil : on se demande ce qu'ils ont fait pour être là, et sans doute qu'ils se le demandent aussi. On les voit jouer aux cartes, au volley, faire du vélo d'intérieur, prendre des gouttes, et c'est à peu près tout : il n'y en a pas un seul qui lise la bible : le seul type qui ouvre la bible, c'est le psy).

Donc le rapprochement avec Bartleby a quand même quelque chose de fondé. Dans le film, les cardinaux, c'est juste des types qui sont là : c'est tombé sur eux, pas de bol, et toute leur ambition semble être de se faire oublier, de se faire le plus petit, le plus anonyme possible.

(à partir de là, on peut s'interroger sur cette curieuse manière de présenter le Vatican, dont les prérogatives dépassent encore, il me semble, celles des gentils pensionnaires qu'on voit dans le film).
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Message par Invité Mar 13 Sep 2011 - 21:37

Sans doute, sans doute, mais dans l'exemple que tu donnes, tout est dans ce:

non seulement il ne veut pas être pape du tout, mais il voudrait même
disparaître. C'est ce qu'il demande explicitement au conclave :
"Laissez-moi disparaître".



Ce volontarisme, au sens d'"exprimer un souhait (fut-il de disparaître), un désir de ne pas, au sens de cette "volonté de néant" et non "croissance d'un néant de volonté", donc, est radicalement étranger au "cas" Bartleby.


Bartleby, ce n'est pas quelqu'un qui simplement refuse (ou qui par ce refus exprimerait un souhait); il ne dit ni "oui" ni "non", ou plutôt à la fois "oui" et "non". Sa fameuse formule tient dans cette anomalie "agrammaticale" par laquelle il annonce en même temps une préférence possible et son impossibilité. Quelque chose d'une psychose et non d'une hystérie. Tout le contraire d'un "laissez-moi disparaître" que j'imagine facilement théâtral.

Tes précisions renforcent mon sentiment que la comparaison est non seulement "de surface" mais encore qu'elle affadit le trouble bartlebyen, le rendant du côté de l'anecdote: on suggère apparemment une vague affaire de "vocation contrariée" (pour le théâtre). Et pour les autres, des "types qui sont juste là", qui n'avaient pas demandé, qui ne savaient pas trop, qui auraient sans doute "préféré" faire autre chose...

Bartleby, ce n'est pas "juste un type qui était là", comptable par défaut, un désœuvré qui aurait pu faire autre chose. Il n'a pas de parcours. Et il ne se demande pas ce qu'il fait là. C'est un type qui était juste "pas là", qui ne pouvait ni faire ceci ni faire cela, et qui de toute façon n'aurait pas pu faire autre chose. Imagine-t-on B. ayant désiré entrer dans une école de théâtre? Dans le passé, il était "préposé aux lettres au rebut"..."homme au rebut", médite l'avoué dans un élan de compassion, mais même ça, c'est une interprétation vaine, une tentative de définition en excès sur l'énigme de Bartleby.


Il faudrait se garder, aussi, de faire de B. un "héros" deleuzien dans le sens d'une vulgate univoquement vitaliste, un exemple de production de désir au sens de cette vulgate: l'insérer dans la "ligne de fuite" d'un "devenir imperceptible" etc, etc. Des choses bien difficiles et obscures qui deviennent un peu, dans les discours très formels qu'on tient en s'y référant, des figures de rhétorique vides de sens, des "gimmicks" et des "bidules" (à l'occasion, une espèce de tambouille vaguement "guattaro-deleuzienne" dont les ingrédients "optimisme de la volonté" et "politique des acteurs" font davantage penser à une recette de cuisine de Jean-Pierre Coffe).

Deleuze lui-même, s'il dégage une perspective vitalisante de ce récit de catatonie, insiste tout autant sur la dimension tragique, la figure du "trou noir" et du "neutre" (c'est pour ça que je cite l'allusion à Blanchot).

On s'éloigne un peu de la "hype" germanopratine où on se donne du "Bartleby", de Daniel Pennac à Philippe Delerm ("quelque chose en lui de Bartleby") en se faisant des clins d'oeil; B., le "héros" des procrastinateurs, de tous ceux qui font de la résistance passive, un éloge de la paresse, quasi une ode à la douceur de vivre, youpi, c'est chouette, etc. ***





Si B. est pour Deleuze une sorte de "prophète", c'est moins du côté de Dionysos que du crucifié: non pas "malade" mais "médecin d'une Amérique malade, le nouveau Christ ou notre frère à tous".


Je ne vois pas tellement, a priori, que le pape dont il est question ici ait un quelconque rapport avec cette figure tragique et christique...


Ceci ne préjuge nullement des qualités de ce film, bien entendu. C'est juste une réaction devant l'enthousiasme avec lequel on fait de ce "pape qui voulait pas être pape" un "Bartleby", et en vertu d'un propos superficiel de Moretti qui relève plutôt du clin d’œil et de la mignardise littéraire.







(*** à ce propos, je suis tombé sur ce truc ahurissant, sidérant: une pantalonnade genre "comédie rigolarde sur le travail" du samedi soir, qui fonce tête baissée dans ce contresens absolu.

Spoiler:


Faudrait qu'on ressorte le "Bartleby" de Maurice Ronet, avec Lonsdale et Maxence Mailfort. Je n'imagine pas pour B. un autre visage et une autre voix que ceux de Maxence Mailfort)

Habemus Papam ... en passant Bartleby020319781g

Les 10 premières minutes visibles là:

http://www.myskreen.com/film/44674-bartleby

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