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Somewhere (S. Coppola)

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Message par Rotor Jeu 6 Jan 2011 - 13:10

Il y a actuellement une sorte de dispute autour de Somewhere, certains semblent n'y avoir trouvé qu'ennui et lassitude, d'autres y voient décrits avec subtilité la mélancolie de l'ultra-moderne solitude.
Pour ma part, après avoir copieusement détesté Marie Antoinette dont j'avais jugé la composition fautive (S.Coppola n'a jamais vu de peintures de sa vie et copiait pourtant des tableaux) et dont les plans m'avaient semblé autant ripolinés que bancals, je suis allé voir Somewhere, sans grande attente mais avec confiance.
Et je suis ressorti en baillant. Déçu par cette volonté de montrer des états de grâce, de féminiser le vide, et de faire du cinéma en enfilant des perles. Il m'a semblé que la réalisatrice avait été contaminé par l'ennui qu'elle dépeint et qu'ici le minimalisme dont Gus Van Sant arrive à tirer des effets retardés, tombait à plat.
Pire, je la soupçonne d'indifférence, et d'en être arrivée à vouloir faire de la photo froide, bien cadrée mais sans affect.

Je voudrais savoir ce que vous en pensez. Si vous sauvez le film ou si vous le laissez se perdre dans son propre reflet et sa vanité ?
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Message par Largo Jeu 6 Jan 2011 - 13:34

Welcome par ici Rotor !

J'ai vu le film hier et j'ai eu à peu près le même sentiment que toi.

L'impression de voir une huitre (pour le charisme) dans un bocal.

La comparaison avec Lost in translation est terrible à mon sens pour Coppola et encore pire pour Stephen Dorff. Quand on veut montrer une star à l'écran, c'est peut être pas une bonne idée de choisir un acteur de série B has been...

Un rien suffit à Murray pour occuper le cadre, susciter le rire, l'empathie, la fascination chez le spectateur. Tout le monde le sait et certains ont su s'en servir à merveille (elle et Jarmusch dans Broken Flowers). Quand Stephen Dorff fume une clope au fond de son canap' on ne voit rien d'autre que Stephen Dorff. Et effectivement l'ennui devient contagieux. Le film m'a paru durer des heures.

On sent très nettement une volonté d'assécher le récit, l'image, les personnages, mais l'absence de tension, d'enjeux, de rebondissements dessert complètement le film. Montrer l'ennui par la répétition des mêmes scènes ennuyeuses, les mêmes clichés et des plans sursignifiants (la voiture qui tourne en rond), on appelle ça comment ? Une tautologie ?

Il y a un seul plan que j'ai aimé et sur lequel j'ai bien envie de revenir, c'est celui sur le moulage du visage.
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Message par Rotor Jeu 6 Jan 2011 - 14:02

Il me semble que tout est dit sur ce film dans le plan où le personnage principal et sa fille mangent de la glace en regardant "Friends" en italien.
C'est clairement le signe d'un enfermement, d'une non-curiosité complète. Ils cherchent à retrouver ce qu'ils savent déjà. Rien ne peut plus les bousculer.
Seule une sorte de grâce semble pouvoir les sauver, mais cette grâce même est court-circuitée par l'absence de désir. On couche sans envie, on conduit sans joie, on voyage sans sortir de chez soi.
Alors, on fait un tour de manège dans de jolies images mais à distance, isolé et protégé par une vitre...
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Message par Largo Jeu 6 Jan 2011 - 16:14

Lu dans le LA Weekly :

The year's second masterful portrait of L.A. ennui as seen through the camera of Harris Savides (the other is Greenberg), Somewhere should be remembered as a game-changer for Sofia Coppola, the point at which she shrugged off the crutches — music video language and decorative design — that defined her first three films, adopting an entirely new stylistic approach while remaining true to her key concerns. Don't think of it as a movie about the rich, famous and beautiful from the perspective of a woman who has been all three since birth; think of it as a movie about what happens when you get everything you thought you wanted, and you're still miserable.

Mouais, le moment où le type pleure en réalisant qu'il est un moins que rien, on l'attend pendant une heure... C'est long.
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Message par wootsuibrick Jeu 6 Jan 2011 - 16:55

Je la trouve pas si jolie que ça, sophia coppola... dans le parrain trois lorsque tous les gars bavent dessus, je me suis dit, le papa il en fait un peu trop à propos de sa fille.
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Message par Rotor Jeu 6 Jan 2011 - 17:08

Personnellement, c'est surtout le sourire final de S.Dorff s'éloignant de sa Ferrari que j'attendais et avais prévu de longue date. J'étais persuadé que le film allait se conclure par une note douce amère et sauver in extremis le personnage.
Qu'après ce long immobilisme, S.Coppola allait choisir de dédramatiser par un haussement d'épaule, comme pour dire "ce n'est pas grave de vivre dans le désert émotionnel".
Alors que tout son film magnifie la dépression en en faisant la source d'un rapport au monde.

Et puis, il n'y a aucune révolte, aucun vice dans le film. Aucune folie. Pas d'alcool, pas de drogue et presque pas de sexe (ou derrière la porte sur un claquement de doigt, on consomme un corps gratuit). Rien n'a de valeur, car tout est déjà donné. Reçu passivement.

Pourtant, il n'y a une qualité indéniable à ce film, il donne envie de rester dans l'anonymat, plutôt que de devenir acteur et de brûler sa vie...

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Message par Leurtillois Ven 7 Jan 2011 - 10:56

Hello,

Moi j'attendais le moment où le copain plutôt sympa, plutôt marrant, allait dire, parlant d'une joueuse de tennis russe contre laquelle il joue sur playstation : "cette sale merde de communiste" (ou une insulte dans le genre). Je sais pas comment dire, mais Coppola semble ne prendre aucune espèce de distance avec tout ça.

La fin est vraiment ridicule, pire que Gérard Depardieu levant les bras au ciel sur sa moto à la fin de Mammuth...

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Message par Rotor Ven 7 Jan 2011 - 11:34

Un article de Next qui interroge avec justesse le film :

Aussi, comment ne pas, à un moment ou un autre, retourner Somewhere, en tant que titre comme en tant que question, à son auteur : d’où tu nous parles, Sofia ? A qui d’autre qu’à toi s’adresse chaque film un peu plus enfermé dans sa tour dorée, qui ne sort d’un hôtel sur Sunset Boulevard que pour se réfugier dans un palazzo à Milan ou dans une salle de casino rutilant à Las Vegas. Et chaque film n’est-il que la bulle d’éther que tu fabriques pour flotter encore, en suspension entre luxe et mélancolie, au milieu d’un monde qui économiquement s’effondre autour de nous ?

http://next.liberation.fr/cinema/01012311622-room-antique

PS : Leurtillois, je ne comprends pas ce que tu dis. Ça doit être ton humour qui m'échappe...
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Message par Largo Ven 7 Jan 2011 - 13:41

Rotor a écrit:Il me semble que tout est dit sur ce film dans le plan où le personnage principal et sa fille mangent de la glace en regardant "Friends" en italien.
C'est clairement le signe d'un enfermement, d'une non-curiosité complète.

Oui, certains des plus beaux moments de Lost in translation (seul film de SC pour lequel j'ai beaucoup d'affection) se déroulaient à l'extérieur, quand ils sortaient de leur chambre d'hôtel (le cours de confection de bouquet de fleurs en papier, le karaoké, le shooting photo...). A chaque fois il y a la barrière de la langue et des formules de politesse qui fait que l'échange a du mal à se faire, mais à chaque fois il se passe quelque chose, une rencontre, on sent une curiosité réciproque qui ne passe pas forcément par les mots mais ça ne parait pas si grave. Et puis, l'hystérie de la vie nocturne locale les sortaient de la neurasthénie, les faisaient relativiser leur petite crise existentielle, et le film trouvait son rythme entre des phases d'apathie et d'autres où tout s'emballe très sporadiquement.

Et puis il y avait cette "romance platonique" comme elle dit, cette ambiguïté constante entre elle et lui, qui nous incitait à guetter le moindre geste en se demandant si chaque caresse tenait de l'affection paternelle ou des prémisses d'une histoire d'amour.

Evidemment, on ne retrouve rien de tout ça dans Somewhere où tout coule de source, rien n'est jamais vraiment remis en question, la bulle n'éclate à aucun moment. Jamais, SC ne tourne en dérision ou montre son héros faisant preuve d'auto-dérision comme pouvait le faire Bill Murray. Ce dernier sait très bien qu'il n'est pas grand chose, voire moins que rien, et il n'en fait pas un mini-psychodrame ridicule.

Du reste, les seules scènes de Somewhere où dépasse un poil d'humour concernent à chaque fois des apparitions (les strip-teaseuses, la chanteuse sur le plateau) mais jamais Stephen Dorff ou sa fille. Et le pire c'est que c'est scènes ne sont que des variations déjà vues dans Lost in translation (le plateau tv avec l'animateur fou, la call-girl qui simule le viol...). Dans ces scènes-là, leur réussite tenait au fait que les personnages un peu délirants, excessifs butaient contre la placidité étonnée de Bill Murray qui se contentait de lever un sourcil en ajustant sa veste. Là, encore Stephen Dorff fait pâle figure à côté. La comédie sur le choc des cultures a viré au petit jeu de la caricature condescendante qui n'épargne que son héros. C'est bien triste.
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Message par Rotor Ven 7 Jan 2011 - 16:44

C'est tout à fait exact ce que tu écris.
Je ne vais pas insister davantage sur "Somewhere".
Mais alors que dans "Lost in translation", la mise en scène était inquiète, observatrice, minutieuse, elle est devenue un pur objet d'enregistrement. Le film est somnambule. La caméra constate.
Tout est filmé à égalité. Et même l'ironie qui existait dans "Lost" a disparu.
Etre ironique, c'est déjà avoir un point de vu, un oeil, une opinion.
Même l'horreur de la vulgarité de la télé berlusconienne est évacuée avant même de poser problème. L'ironie qui était une manière d'esquiver et de se défendre, de critiquer en sous-main s'est volatilisée. Maintenant, la laideur est juste subie et les personnages sont aveugles.
Ils passent leur temps à nager dans des piscines et ne voient plus que leurs yeux embués de chlore...

Ceci dit, je ne déteste pas ce film. Je suppose qu'à minuit, au calme, il doit pouvoir fonctionner comme une série de cartes postales élégantes.

PS : Tout cela me fait penser aux deux films derniers Jarmusch qui lui aussi est devenu assez austère, lisse et minimal. Mais avec une sorte de jansénisme (de rigueur) qui le sauve un peu de la vanité de l'ego. Bien qu'au fond, lui-aussi soit un peu victime du même symptôme...
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Message par Leurtillois Ven 7 Jan 2011 - 17:13

PS : Leurtillois, je ne comprends pas ce que tu dis. Ça doit être ton humour qui m'échappe...

Qu'est-ce que tu comprends pas ? Quel humour ?

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Message par Rotor Ven 7 Jan 2011 - 17:19

Je n'ai pas compris ta blague sur la playstation. Et je n'ai pas saisi non plus pourquoi tu parlais de Mammuth, en le comparant au film de S.Coppola.
Mais bon, je viens d'arriver sur ce forum (alors que je lis la revue depuis un an). Peut-être ne suis-je pas bien habitué à ses usages et à tes private joke...
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Message par Largo Ven 7 Jan 2011 - 17:39

Je crois que Leurtillois a juste été un peu choqué par la vulgarité très yankee de la remarque et l'absence de jugement de Coppola sur celle-ci (le "constat" lisse, l'absence d'ironie dont tu parles).

Sur la fin (désir d'évasion blabla), elle est effectivement aussi ridicule et lourdement symbolique que la scène où Depardieu semble planer sur sa bécane dans Mammuth.

Nulle private joke là-dedans je crois Wink
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Message par Largo Lun 10 Jan 2011 - 9:49

Je recopie ici un autre son de cloche trouvé sur Facebook, de Viguen Shirvanian :


Même si "Somewhere" n'invente peut-être pas de nouvelles propositions de mise en scène, c'est vraiment un film radical et fascinant dans sa personnalité unique. J'aime beaucoup comment Sofia filme le vide existentiel de Johnny Marco, elle p...arvient ça à rendre ça avec sobriété et sans jamais tomber dans le pathos ou le désespoir. On baigne dans une ambiance vaporeuse et dépouillée pendant que tout semble tourner autour de l'artifice et de la superficialité.

En fait, le vrai sujet de "Somewhere", c'est le pouvoir de fascination à travers les images. Est-ce qu'une star (ou même Hollywood tout court) a encore la même fascination qu'avant? Qu'est-ce qui produit la fascination d'une image, qu'elle soit sincère ou fabriquée? Pourquoi est-ce qu'il suffit que Johnny Marco regarde sa fille en train de faire du patinage pour être enfin fasciné et éprouver les sentiments qu'il lui manquait? (scène incroyablement belle, je m'en remets pas encore...)

Cette question de la fascination s'applique également aux lieux : Pourquoi le Chateau-Marmont exerce-t-il plus de fascination qu'un hôtel trop luxueux et bling-bling? De même, Sunset Boulevard est filmée comme une avenue banale, démythifiée. On y ressent l'atmosphère terne et un peu déshumanisée de la Californie, ces autoroutes qui traversent le désert de la Californie jusqu'à Las Vegas (carrément démythifiée). A la toute fin du film, il y a une belle accumulation de plans sur des routes de plus en plus désertes, et c'est finalement la route déserte où s'arrête Johnny Marco à la fin du film qui lui semble la plus "vivante" (ce qui explique selon moi pourquoi il s'arrête pour marcher un tour, mais ce n'est que ma propre interprétation).

Je pense que c'est faire un faux procès au film que de lui reprocher de se focaliser sur des petits problèmes de riches et de porter un regard superficiel et condescendant sur le monde, ou d'accumuler les scènes où il ne se passe rien pour bien expliquer au spectateur qu'en effet, il ne se passe rien dans la vie de Johnny Marco. Alors pourquoi est-ce que le film me fascine autant?

Là où Bill Murray dans "Lost in Translation" suscitait immédiatement la sympathie par son humour pince-sans-rire et détaché face aux japonais hystéros, je trouve Stephen Dorff plus attachant, plus humain, car beaucoup plus fragile aussi. Et cette fragilité-là a sans doute irrité les détracteurs du film, qui se sont soudain sentis avoir une longueur d'avance sur un personnage aussi immature et superficiel, rendant donc le film pénible à leurs yeux.

Exemple : la scène de lapdance (les deux, en fait). Evidemment, on comprend tout de suite l'intention (comme dans tout le film), mais là n'est pas l'important : la beauté de la scène vient aussi de la fascination purement artificielle qu'exerce la danse pourtant "mécanique" des jumelles blondes (alors qu'il serait facile d'y voir une redondance, un effet facile ou un manque d'inspiration du genre "ouais c'est bon Sofia, on a compris il est déprimé et regarde du pole dancing, okay, sale gosse de riche, on peut passer à la scène suivante?"). Mais Sofia ne triche pas avec ça, je la trouve parfaitement honnête et inspirée en faisant bien durer certains plans, alors même que son film semble au premier abord ne pas être du tout inspiré ! Il suffit de voir juste après ce plan tout à fait ironique des jumelles qui remballent leur matériel après avoir fait leur taf, sans oublier le fait que Marco s'endorme la première fois mais se montre enthousiaste la seconde fois quand elles ont leurs tenues de tenniswoman.

Il y a surtout cette incroyable douceur tout au long du film, et surtout ce sens du burlesque qui peut surgir à tout moment sans que ça dénote avec le ton du film (les reproches qu'on fait sur la caricature des italiens sont aussi bidons que ceux qu'on faisait sur les japonais de "Lost in Translation". Je l'ai déjà dit mais ça me surprendra toujours qu'on puisse en même temps adorer "Lost in Translation" et détester "Somewhere". Ces films sont aussi différents que similaires mais ils sont tous les deux stimulés par un même plaisir total de cinéma.

Même le tout premier plan, qui apparaît comme le symbole trop évident d'une "voiture qui tourne en rond pour résumer la vie qui tourne en rond", je suis fasciné pour sa science du cadre qui réussit pour moi à concilier le burlesque (la contradiction dans la profondeur de champ, impression d'une vitesse différente alors que non) et le mythologique : le cadre choisi évoque clairement le mythe de Sisyphe, là où un médiocre cinéaste aurait juste filmé en plan large une voiture qui tourne en rond, ce qui aurait été insupportable....

Quant à Elle Fanning, elle n'est jamais agaçante dans le rôle casse-gueule de la petite fille qui fait la cuisine pour son papa paumé (et donc la scène où Dorff revient tout seul au Marmont et cuisine des pâtes, ça peut sembler démonstratif, mais je trouve ça très beau, très simple, pas du tout lourd, allez savoir pourquoi...). Leur relation à eux deux est merveilleuse, et je crois que ça me touche encore plus que Murray-Johansson, qui fonctionnait plus sur une forme de séduction décalée (mais j'adore les deux films, hein...)
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Message par Borges Lun 10 Jan 2011 - 16:16

J’ai toujours cru que l’on pouvait penser un film sans l’avoir vu, sans même avoir vu le moindre film de son auteur ; c’est une évidence ; de même qu’il est évident que le cinéma de SC mérite d’être pensé. Il appelle la pensée, plus encore que la critique ; il la convoque, en un lieu qui reste encore indéterminé, un lieu lui-même à penser.

Comment ?


C’est là la grande difficulté, surtout si on ne sait rien du film, en dehors des rumeurs qui circulent sur le Net, ces jugements dérivés dont la valeur est surtout de marquer la sensibilité du temps ; il faut garder la rumeur telle qu’elle est, en tant qu’elle passe et fonde l’horizon où la pensée prend appuie ; on ne discute pas un film, sans discuter les discussions qui le font, et que le film défait, nécessairement.

Penser un film sans l’avoir vu, c’est le penser depuis le titre, et les a priori sensibles et idéels que cristallise le nom de son auteur.

Sans rien savoir d’un film, on en sait au moins le titre ; c'est la première forme de relation que l’on a avec lui, avec un œuvre en générale. La première rencontre.


On pourrait comme ça, pour s’amuser, s’amuser dans la forme de la pensée, tenter de créer une politique du titre, ce qui ne serait pas absurde, toute politique étant du titre.

Le titre et l’auteur, c’est la politique du cinéma dans toutes ses dimensions, de création, de consommation et de marchandise.


Somewhere, c’est le titre.

Les procédures artistiques de SC visent toujours, d’une manière ou d’une autre à créer un lieu, un espace, une chambre d’hôtel, un palais… où vivre, quand la vie ne peut plus réellement s’installer, prendre place, avoir lieu. On ne peut pas s’ancrer, chez elle. Son cinéma est sans densité, sans consistance, trop léger, vide, pour certains, mais aussi, peut-être, un espace sans lieu, sans place, où pour notre temps se cherche, entre le spleen et de l’idéal, un chez soi (home). En ce sens, ce cinéma est un cinéma métaphysique, mais quand la nature est dépassée, ici, par la mode, le suicide, ou d’autres procédés, ce n’est pas l’idée qui est donnée, mais le manque de l’idée, l’idée comme manque de l’idée.

Habiter une idée, c'est pas simple, une absence d'idée, c'est impossible ; restent les "affects", mais on ne peut s'installer dans un "affect"; un affect ne s'habite pas. Il passe ; degré de puissance, avec ses hausses et ses baisses.



Nous manquons d’idée, c’est l’affirmation du cinéma de SC ; nous manquons d’idées pour dépasser les affects négatifs, mais si peu. C’est visible et sensible à beaucoup de ses admirateurs.

De manière presque imperceptible, quelque chose se produit dans ses films qui les met à la hauteur d’une certaine tonalité platonicienne, le philosophe de l’adolescence.

Où est le cinéma, demandait Platon ?

Où est l’idée demande SC ?

Dans les deux cas, une question de lieu, qui ne reçoit pas de réponse, ou alors aussi vague chez l’une que l’autre : dans le ciel des idées ; quelque part (somewhere).


Moins une affaire de temps, que de lieu : une recherche du lieu ; mais comme nous l'a appris le poète du cygne, le lieu ne se donne pas à l'artiste, il lui faut le créer, le chanter, le peindre, le filmer, ce que fait SC, selon des procédures artistiques fines, si fines qu’elles semblent n’avoir rien en commun avec l’art, pour le dire en cliché.

Mais l’en commun avec l’art ici se nomme cinéma comme indiscernabilité de l’art et du non art. Car le cinéma ne dialogue pas seulement avec les arts nobles, mais aussi avec ces formes de création de nos existences, généralement dépréciées, la mode, la musique pop, la publicité. SC ne fait pas de la publicité à la place du cinéma ; elle se demande : « quel est le lieu du cinéma quand il entre en contact avec la publicité, comme forme idéale de vie, comme invention d’une forme idéale de vie ? »

Où vivent les personnages de la publicité ? Quelque part, peut-on répondre, un lieu sans lieu. La publicité est notre utopie ; celle qui a pris la place de l’utopie politique. La publicité est le seul lieu où vivre, le seul lieu où la vie n’a pas de contraire ; le lieu sans négatif ; en ce sens, le cinéma de SC crée la distance minimale avec la publicité ; non, dit-elle, le cinéma, c’est pas la publicité. Le régime esthétique du cinéma n’ignore pas l’impureté de la vie, même quand la vie est vécue dans sa forme la plus éclatante. Une révolution est toujours possible. Qu’on pense à son amour dans le parrain. La publicité, le lieu idéale de la vie idéale, risque toujours de rencontrer la violence sicilienne ; la folie et la violence de l’opéra.

Mais cette violence ne peut venir dans le visible chez la fille que dans sa forme subtilisée, sa forme menacée par le publicitaire.

Le cinéma de SC est toujours à la recherche d’un lieu, où le cinéma, en prenant place, semble aussi tendre vers sa propre annulation, sa subtilisation dirait Burdeau.

C’est pas une artiste dit-on ; oui, mais on peut aussi dire qu’elle réussit là où Flaubert avait échoué, être à la fois Flaubert et madame Bovary ; ne pas séparer l’art de la vie. Être artistiquement kitsch. Deux formes de suicide ou de meurtre.


Somewhere, c’est le titre ; un titre à la fois riche et vide, comme le cinéma de SC ; quelque part, c’est nulle part, en un sens, aucun lieu situé, déterminé ; où que l’on soit chez SC on n’est nulle part, juste quelque part, un lieu quelconque, hautement déterminé, sans détermination pourtant. Si les Beatles ont chanté le nowhere man, le nowhere boy, SC configure le somewhere.


« La vraie vie est absente » disait Rimbaud, le poète adolescent, « l’homme habite poétiquement » disait Hölderlin, un autre poète adolescent, SC dit la même chose, selon les moyens de son art ; où habiter quand la vie est absente là où elle se vit ? Il faut des lieux, mais SC ne peut pas les nommer ; quelque part, voilà sa réponse ; partout et nulle part.


Somewhere

Ce titre bien entendu procède par subtilisation ; au somewhere manque tout, même la détermination la plus indéterminée l’« over the rainbow ».


Nous sommes somewhere, nous y sommes encore.


Tant que le lieu n'aura pas de nom, nous serons quelque part ; somewhere.



Somewhere (over the rainbow)



C'est Straub qui disait : "Il faut le dire et redire sans cesse, FF Coppola est plus dangereux que Goebbels."

Et sa fille?


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Message par Invité Lun 10 Jan 2011 - 20:38

à mon avis elle ne peut pas être plus dangereuse que huillet Laughing

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Message par Largo Mar 11 Jan 2011 - 21:49

Chez Balloonatic :


Système de la mode.

Vu Somewhere de Sofia Coppola. Voilà un film à la fois exaspérant - on peut même dire qu’il cultive l’art de l’exaspération - et intrigant, tant il semble se dérober en permanence, vous glissant entre les doigts, drôle d’objet lisse et mou, dont on peut dire qu’il n’a strictement aucun intérêt, si ce n’est que cette absence d’intérêt est aussi, paradoxalement, ce qui en fait l’intérêt. Intérêt, maigre mais réel, qui tient à la capacité qu’a Sofia Coppola à ne jamais déroger à son principe esthétique de départ, celui, léonardien, d'un monde ouaté et vaporeux, qu’elle décline obstinément de film en film, quelle que soit la figure choisie. Film déceptif, forcément déceptif (c’est l’aspect durassien du cinéma de Sofia Coppola), Somewhere est surtout un modèle de désamorçage narratif (une séance de moulage, un passage à la télé italienne..., ne sont rien d'autre pour le "héros" que des cases de plus dans la grille, toujours plus vide, de son existence). Que le monde que S. Coppola nous décrit soit baigné par ses souvenirs d’enfance (expliquant que la drogue y soit absente et le sexe surtout vu de l’extérieur), que cette vie de "poor little rich girl" (dont le nullissime Life without Zoe de Francis Ford, sur un scénario de Sofia, représente en quelque sorte la matrice) se retrouve dans cette langueur esthétique, cela ne fait aucun doute, et à ce titre le cinéma de Miss Coppola ressemble, du moins pour l’instant, à un long dialogue avec le père, mais réduire son œuvre à ce seul trait biographique, c’est aussi passer à côté de l’essentiel: le goût chez elle du neutre. "Dans le Système de la mode, l'opposition signifiante ne passe pas entre telle ou telle couleur, mais massivement entre le coloré et l'incolore: incolore ne veut pas dire "transparent" mais précisément: de couleur non marquée, "neutre", de couleur "indistincte"..." (Barthes) Ce qui rend Somewhere dérangeant, provocant, voire scandaleux, se situe exactement là. Il y a une difficulté à penser le cinéma autrement que dans son rapport entre, disons, réel et fiction, forme et récit, drame et comédie, contemplation et action, etc., autant d'oppositions parfaitement marquées. Chez S. Coppola, le curseur est déplacé, l'opposition se joue davantage entre le marqué et le non marqué, le distinct et l'indistinct... Certes, dans ce registre du neutre, des films comme Virgin suicides et Lost in translation offraient plus de séduction, mais peut-être aussi parce que le jeu des oppositions n'y était jamais totalement aboli. Ici tout finit par se déliter, même le rapport entre distinct et indistinct, nous plongeant ailleurs, quelque part, somewhere, en pleine indistinction, à l'image du sourire final, et mystérieux (toujours Léonard), du héros, personnage sans qualité, désertant un film qu'il n'a fait que traverser.

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Message par Borges Jeu 13 Jan 2011 - 13:11


On peut parler d’un film sans l’avoir vu, et après l’avoir vu ; mais alors ce n’est plus le même film ; pas un autre pour autant.

Voir, nécessite d’avoir-vu avant de voir, sans quoi on n’y verrait rien. (Martin Heidegger)


Deux films sur trois commencent par une bagnole, dit Badiou. Des statistiques exagérées, même si « Somewhere » s’ouvre sur le long plan d’une superbe voiture prise dans le retour éternel du même, ou, plus précisément, de l’inconsistance du présent. Ça tourne, on tourne. On est bien au cinéma, du moins c’est ce que voudrait nous faire croire SC. Le plan dure pour nous en convaincre. Ça n’impressionne pas, pourtant. On sent trop la volonté, le désir que ça dure, que ça fasse effet. Pas facile de faire durer un plan, depuis une nécessité interne ; la durée comme qualité. Le long plan est devenu un artifice. Moins la construction d’un présent, que l’affirmation vide d’un effet de mise en scène. Ce qui dure ici, ce n’est pas le cinéma, mais l’ennui. On dira que ce n’est pas rien ; c’est vrai, même quand cette durée de l’ennui atteint le spectateur.

(J’y pense. On peut distinguer, à partir de ce film et de « Vénus noire », deux films, dont le sujet, même s’ils n’habitent pas le même espace, est assez voisin…

(l’acteur, le jeu, la représentation, la famille décomposée… l’être chez-soi… La vénus noire croit trouver à l’étranger un chez-soi glorieux dans l’espace de la scène, de l’imaginaire ; Johnny Marco, est chassé de chez lui par la gloire de l’imaginaire ; la star a toujours été le mode sublimé de l’étrangeté au monde, d’où la fascination qu'elle exerce sur ceux qui s'y sentent étranger ; est-ce un hasard si elle a été inventée dans un pays qui s’est défini par l’immigration ; Johnny Marco est un étranger, et une star, doublement étranger au monde, jamais chez lui… Il revient à ses « origines » pour y retrouver une série américaine, doublée en italien ; les mêmes images, une autre langue ; ce qui sépare les images désormais, c’est la langue qui les double, qui les commente… )

Deux manières de faire durer le plan, celle de « Vénus noire », jusqu’à l’insupportable, celle de SC, jusqu’à l’ennui, au vide. Deux modes aussi de l’enferment, de la construction du plan, le modèle de la cage de zoo, et celle des super palaces. Une cage d’or reste-t-elle une cage ? C’est la question que pourrait poser « la vénus noire » à Johnny Marco. Trop de matière, de corps, de lourdeur, trop de réel, d’un côté ; de l’autre, aucune matière, pas de corps, de lourdeur… L’insupportable inconsistance du non-être…)

On ne peut même pas se mettre en colère contre le film de SC. On ne peut que lui être indifférent, mais pour cela, il faut ne pas l’avoir vu, ne pas le voir. Une fois vu, il ne reste plus qu’à tenter de transformer le sentiment de n’avoir rien vu en un exercice de pensée du vide. Le film n’offre aucune prise, aucun obstacle, il refuse la lutte, le combat, la violence, il les fuit ; en cela, il a quelque chose de zen, de bouddhiste. Gandhi n’offre pas seulement la morale du film, il en détermine la philosophie, la procédure de construction, l’image. Une image non-violente, qui se suffit à elle-même ; une image non-violente et autonome. Mais la pensée de Gandhi n’est plus qu’une image, une histoire d’indépendance transformée par la télé, la mobilité inconsistante du vide. Il y a longtemps que pour la pensée indienne, le monde n’est qu’image ; ce qui faisait dire à Peter Sloterdijk, que la télé nous transformera tous bientôt en bouddhiste ; en nihiliste, dans les termes de la critique nietzschéenne.
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Message par Présence Humaine Jeu 13 Jan 2011 - 13:28

hier j'étais à un débat qui suivait le documentaire "Images de femmes" (Espace Saint Michel) il y avait deux psychanalystes et le réal, ancien prof de philo. Une des psychanalystes qui raffolait de nous raconter sa vie a dit que Somewhere était une mise en scène de la pulsion de mort, chose très difficile à mettre en scène, et Sofia Coppola y parvenait.

sinon j'ai pas vu le film, je vous lance cette info un peu comme ça.
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Message par Borges Jeu 13 Jan 2011 - 14:05

Donc, les premières images ; celles qui restent.

La voiture tourne ; le cercle qu’elle parcourt est incomplet, sur les bords de l’écran ; elle disparaît, revient ; seul le son maintient alors la constance de son être. Le son du moteur, ce n'est pas du bruit, c'est pas une voix, c'est pas de la musique ; c'est autre chose, peut-être ce qui reste de la pensée d’Aristote affirmant qu’il faut bien s'arrêter. Oui, il faut bien s’arrêter, on ne peut pas passer infiniment d’une cause à l’autre, il faut une cause finale, première ; un premier moteur qui ferait tout tourner, et qui serait lui-même immobile. Il faut bien s’arrêter, c’est ce que comprend le personnage finalement, mais pas entièrement ; il arrête sa voiture sur le bord de la route déserte, il en descend et marche.

Le moteur continue à tourner, la voiture est immobile. On peut voir là une des formes contemporaines du premier moteur aristotélicien.



Johnny Marco s’arrête, sans vraiment s’arrêter ; son impératif, c’est : "Arrêter de tourner, de passer d’un hôtel à l’autre, d’une fille à l’autre, d’un film à l’autre…"

Il doit mettre fin à sa mobilité immobile, sans événement ; il ne fait rien, ne prend aucune décision ; tout en faisant tout tourner autour de lui. Pour son petit monde, il est un premier moteur ; la fin de bien des mouvements. On ne cesser d’aller à lui.


Le dernier plan fait rimer le premier ; c’est une variation sur l’image du temps. Au début, nous avons le temps dans la forme du cercle ; on ne peut lui échapper ; Johnny Marco tourne, et finalement s’arrête. À la fin du film, autre image du temps, plus chrétienne, le temps comme ligne droite, orientée ; elle doit s’achever à la fin des temps. Le pauvre Johnny Marco bien entendu ne peut arriver à la fin des temps ; si le cercle n’a pas de fin, la ligne droite, non plus ; je pense à la nouvelle de JLBorges, où il oppose deux formes de labyrinthe, la traditionnelle, et la paradoxale, la ligne droite sans fin, du désert. Ne voyant pas la fin de sa ligne droite, Johnny arrête sa bagnole, en descend ; il est dans le désert, le lieu traditionnel des opérations mystiques. Mais la chose est filmée de telle manière que l’on comprend que le vrai piège, c’est l’image ; la scène rappelle trop les pubs ; on s’attend presque à ce qu’au plan suivant une jolie fille dans une superbe bagnole s’arrête et prenne notre star en stop.

Il va au désert pour ne plus être vu ; mais il y a encore les caméras de SC, qui ne lui permet aucune vraie soustraction.

Donc, des premières images, aux dernières, SC nous propose deux images du temps ; le cercle, la ligne ; deux prisons, labyrinthes, qui prennent sens dans la figure plus puissante de l’image.

Quelle image du temps pour notre temps ?

Notre labyrinthe ?
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Message par Rotor Jeu 13 Jan 2011 - 15:13

C'est pas faux, ce que tu écris sur la linéarité du film, qu'il fonctionne comme une ligne droite qui fait labyrinthe.
Car en effet, alors que la voiture pour les américains a toujours été le signe du mouvement, de l'évasion et du road-movie (de la rupture), avec S.Coppola la voiture devient un simple moyen de locomotion, un moyen expéditif pour aller d'un point à un autre.
En fait, c'est plutôt un film sur les voyages en train, ou un film sur les passagers de la plage arrière. L'auto a beau être une Ferrari, elle est pilotée en mode automatique... Et la caméra est spectatrice.

En le voyant, j'ai pensé plusieurs fois aux publicités Air France et à leur légèreté confortable. Aux aéroports qui sont des lieux d'attente et de transit.
S.Coppola souhaiterait-elle devenir hôtesse de l'air ?

Sinon en réponse à Présence Humaine, le film n'est pas du tout agité par une pulsion de mort. C'est le contraire. Tout y est sujet à se conserver, à se maintenir. C'est un film sur l'absence total d'accidents. L'accidentel est complètement banni. C'est un film sur l'hygiène, le conformisme et la prudence.
On attache sa ceinture, et on se laisse porter...




Dernière édition par Rotor le Jeu 13 Jan 2011 - 15:35, édité 1 fois
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Message par Largo Jeu 13 Jan 2011 - 15:32

Hello Borges, Rotor,

Oui, d'une certaine manière le film de Coppola dans son détournement du road-movie, pourrait rentrer dans la catégorie des "sundance movies" que j'évoquais il y a quelques temps :


Dans les années 2000, ils sont nombreux les films américains à avoir inversé ces schémas-là. De mémoire, je pense à Old Joy, Little Miss Sunshine, Away we go, Sideways, et maintenant Welcome to the Rileys. On pourrait aussi rattacher The Darjeeling Limited même si ça se passe en Inde. Des films qui ont rencontré un certain succès. Que partagent-ils ? Les personnages sont tous bien insérés, ils ont ou projettent d'avoir une vie de famille épanouie, ils cherchent une certaine conception assez classique du bonheur, conçue autour d'une femme et d'un foyer. Et tous pourtant partent sur la route, non pas pour fuir ce modèle qu'ils cherchent à reproduire, mais plutôt comme thérapie, comme parenthèse, qui permet de cristalliser les névroses, les problèmes de couple... Le voyage, l'aventure, les rencontres fonctionnent comme révélateurs de ces dysfonctionnements, pour permettre un retour d'autant plus rapide à la norme, à la morale familialiste. On ne part plus pour se perdre, en quête d'un ailleurs, d'un idéal, d'un eldorado introuvable ; non, on part pour "se retrouver", "faire le point", faire un travail sur soi-même et mieux revenir aux fondamentaux. C'est comme les voyages de jeunesse de la génération Erasmus : partir à la découverte d'autres cultures pour mieux se connaître soi-même. On part pour un temps bien délimité pour ensuite revenir à ses moutons.

https://spectresducinema.1fr1.net/t688-the-sundance-movies-chronicles
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Message par Borges Jeu 13 Jan 2011 - 16:49

Hello à tous;



On y revient, la voiture tourne. On tourne. La roue, la caméra.

Où sommes-nous donc ? Les voitures d’ordinaire ne tournent de la sorte que dans un circuit, en compétition. Ici, ça tourne dans le vide, sans résistance. Il n’y a pas d’adversaire. C’est le drame de Johnny Marco ; un nom assez invraisemblable, très italo-américain, très western spaghetti.

Johnny Marco n’existe pas, c’est peut-être pour ça qu’il n’a pas d’ennemi, pas même sa femme ; rien ne lui résiste, pas même le hasard, il gagne à tous les coups, mais ses coup de dés n’affirment ni n’abolissent le hasard. Pas d’autres ; pas d’adversaires ; pas de réel, comme impossible, le monde de Johnny Marco se compose de flatteurs, d’admirateurs… et de jolies filles, séduites d’avance, moins par lui que par l’idée de la star, à qui tout est possible, tout est marchandise. Quelle glace acheter ? Toutes, le goût décidera ensuite de la meilleure. Que ce soit le chocolat ou la vanille, c’est finalement indifférent. Équivalence de toutes choses ; norme marchande et nihiliste.

Ce n’est pas que rien ne vaut, c’est que Johnny Marco ne vaut rien, n’est rien. Il n’expérimente pas le nihilisme actif de celui qui doit détruire pour créer, mais le nihilisme du dernier homme. Star et dernier des hommes ; équivalence de toute chose.

L’essentiel, et le malheur, est qu’il n’y a pas à choisir, ce qui rend le choix impossible, ou mieux, inexistant. L’essentiel est qu’on peut s’offrir les quatre sortes de glaces, n’étant pas pris dans les contraintes d’une situation, économique, ou dans la forme de la finitude d’un « quelque part », d’un lieu où quelque chose doit se décider.

Les jolie filles, c’est comme les glaces, elles ont autant d’être ; moins encore : elles se ressemblent toutes, plus ou moins, et puis, pour leur malheur, elles s’offrent, là où les glaces présentent encore une résistance marchande.

Toutes différentes, la même pourtant. S’il ne sait jamais le nom de celles qu’il baise dans la plus grande indifférence, presque par ennui, elles ne savent de lui que son nom, un nom réduit à l’image, qui le fait nécessairement paraître plus grand qu’il ne sera jamais. Drame d’être une image, sans idées, comme le découvre le jeune acteur, sans rien à dire, comme le film ne cesse de nous le montrer, mais aussi sans volonté ; rien à décider, rien à vouloir ; tout est mis en scène par ceux qui dirigent sa carrière ; sa vie est aussi un film, au sens le plus vide, si bien que les lieux ne peuvent être que des décors et les autres, des figurants.

La vie des riches, des puissants, des séduisants est toujours l’occasion d’une morale pour les pauvres, en tout. L'argent ne fait pas le bonheur ; l’essentiel c’est la famille, l’amour ; les sentiments vrais. Ah le pauvre Zuckerberg, seul, milliardaire, sans amis, cherchant vainement à ajouter son amour à ses amis.

Le film inconsistant joue la famille contre l’inconsistance du vide ; il nous faut de l’être, contre l’apparence et l’avoir, qui ne nous fait pas plus heureux.


"Remplacez l’avoir par l’être" ; c’est l’image morale de la fin du film ; pour ceux qui n'ont rien, et ne sont vraiment rien, ni personne, cela ne doit pas poser trop de problèmes ; n'ayant rien, ils sont ; il ne leur reste plus qu'à être heureux.

On se souvient que « Film socialisme » nous demandait de remplacer le verbe « être » par le verbe « avoir ».


"Somewhere" : film capitaliste, ou sur le capitalisme ?


A la fin du film, s’étant rendu compte qu’il n’était rien, ne manquant de rien, sinon de la famille, de sa famille, Johnny Marco, suivant l’exemple de Gandhi, laisse tout, ses biens, son hôtel, sa voiture...


On peut rire, sourire, ou alors se dire, avec Badiou, cette banalité :

« Que vous achetiez une voiture, une femme ou toute autre marchandise, aux fins d’en jouir, ce que vous achetez n’est en définitive jamais que son emballage. Et dans l’achat de l’emballage, la jouissance en tant que telle est nécessairement manquée. Ce qui est vendu est littéralement rien. Comme on se fait régulièrement avoir avec de tels achats, on se débarrasse ensuite de l’objet, ce qui aboutit à transformer le monde en un tas de déchets ou d’emballages. L’impératif libéral du jouir est une doctrine de l’emballage. C’est la possibilité, sous l’idée de faire acheter la jouissance, d’acheter un emballage de la jouissance, qui contrairement à la jouissance elle-même, peut être varié et substitué, est indéfiniment remplaçable. Au moins aura-t-on vendu l’emballage. Alors c'est donc là aussi un nihilisme : ce qui est vendu est rien, au regard de la promesse de ce que c’est, que l’emballage de ce rien et évidemment à force de vendre des emballages, qu’il faut ensuite jeter, d’une manière ou d’une autre, alors là on fait du monde lui-même un déchet. La maxime du jouir libéral, c’est transformer le monde en déchet, en tas d’ordures, en tas d’emballages, sur des jouissances abstraites ou manquantes.»

Notons que pendant la majeure partie du film, le poignet de Johnny Marco est emballé ; image d’une certaine impuissance ; c’est aussi sur cet emballage que sont écrites des déclarations d’amour, par exemple. Johnny est l'emballage du vide, comme le film de SC.

(Le plâtre de James Stewart dans « Fenêtre sur cours », c’est l’idée d’un certain cinéma ; annonce du relâchement sensori-moteur ; possibilité de l’image optique et sonore pure ; le héros ne peut plus, ou presque, transformer la situation ; ici, il n'y a plus de situation, seulement une volonté qui peut tout, et rien. Que rend possible ce nouveau plâtre ? Il commence avec une chute ; du haut du vertige de quelle impossibilité d’être. La voiture, les roues ; vertigo ; une femme vous manque...)



La pulsion de mort, c’est la pulsion du déchet ; passer de la gloire, à la sainteté vécue dans l’absence de regard, hors de l’image ; dans le désert.


La dolce vita ?


Pourtant, il semblait l’aimer, cette voiture.

La voiture est presque inséparable du cinéma ; elle est l’un des moyens de création du mouvement cinématographique ; c’est aussi un cliché ; le cliché mobile de nos existences, c’est pourquoi l’imagerie de la voiture est l’une des épreuves du cinéma, l’une de celles qu’il doit relever afin d’être un art contemporain. Parmi les cinéastes qui y réussissent, il y a Kiarostami, selon Badiou, qui transforme la voiture en espace de dialogue, de conversation ; la procédure artistique de SC est plus complexe. En un sens, elle n’existe pas, sinon dans le souvenir, dans la réminiscence de quelques films, par exemple Bullit, par le son, le film de Monte Hellman pour le néant, même si le néant a depuis changé de forme, d’image. Le néant, c’est la télé italienne. Rien de jubilatoire ici, l’espace n’est pas en expansion, et la voiture ne fait signe vers aucun horizon perdu, aucune liberté. Il n’y a pas de lieu où aller. La mère disparaît, sans qu’on sache où, ni quand elle reviendra ; la fille va en colonie, dans une espèce de désert, et le père erre, tourne en rond, jusqu’à ce qu’il quitte enfin sa voiture, pour marcher.

Où en sommes-nous avec les voitures, avec le désir, l’image, la célébrité, le cinéma, la mort et la finitude ? Ce sont les questions que le film construit sur le mode propre à notre temps, au cinéma de SC : l’absence de profondeur, la superficialité, que l’on saisit le mieux, en rapprochant « Somewhere » et « Last Days ».

Il faudrait aussi comparer cette voiture avec celle de Deathproof, et à la Gran Torino de Eastwood.

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Message par Borges Jeu 13 Jan 2011 - 16:55

Rotor a écrit:

Sinon en réponse à Présence Humaine, le film n'est pas du tout agité par une pulsion de mort.

La pulsion de mort habite évidemment le film; n'oublions pas que SC c'est aussi VS, et la mort de MA... la fin du film peut-être comprise comme "un suicide"...

La sagesse de l'orient, gandhi ou la mort; pensons aux beatles, à tous les faux spiritualismes qui animent la vie des stars hollywoodiennes...


Last days; somewhere.
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Message par Leurtillois Ven 14 Jan 2011 - 9:31

Il y a une voiture que j'aime bien, dans "Le Vent de la nuit", un film de Philippe Garrel.

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Faudrait vérifier, mais il me semble que c'est la même que celle de Johnny Marco (voiture de sport, qui fait un bruit pas commun), mais en rouge, ce qui n'est pas la même chose. La voiture traverse tout le film. Elle est conduite par un type plutôt mystérieux dont on ne sait pas grand chose sinon qu'il "a fait mai 68". À la fin, le conducteur de la voiture rouge se gare en bas de chez lui à Paris (avant il s'est baladé avec en Italie, en Allemagne), monte dans sa chambre, s'enferme et se tue. (un autre nihilisme peut-être)

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