Somewhere (S. Coppola)
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Re: Somewhere (S. Coppola)
Je crois que c'est une Porsche dans le film
Celle de Marco est une Ferrari noire.
Autre anecdote, dans Le Vent de la nuit, Beauvois dit "j'ai toujours entendu dire qu'une Porsche ça se conduit pas, ça se pilote. J'ai jamais compris la différence". Et le propriétaire de la voiture de répondre laconiquement : "Contente-toi de conduire"
Celle de Marco est une Ferrari noire.
Autre anecdote, dans Le Vent de la nuit, Beauvois dit "j'ai toujours entendu dire qu'une Porsche ça se conduit pas, ça se pilote. J'ai jamais compris la différence". Et le propriétaire de la voiture de répondre laconiquement : "Contente-toi de conduire"
Re: Somewhere (S. Coppola)
avant de continuer avec les voitures, et surtout la roue, je crois nécessaire de faire cette remarque dont l'importance ne peut être ignorée : de MA à Somewhere, SC passe d'un château à l'autre (oui, je sais, Céline aurait été plus rapide, il serait passé d'un château l'autre ; je déteste cette formule). Voyage dans le temps et l'espace, tout en restant en France, d'une certaine manière: le château de Versailles ; château Marmont. C'est le premier élément du film à m'avoir frappé, je me suis dit : "Curieux, on se retrouve dans un château ; c'est par là qu'il faut entrer dans le film". Qu'est-ce qu'un château aux USA, à Los Angeles, à hollywood ? Mais finalement c'est plutôt le cercle, la roue... la ligne qui l'ont emporté ; pour ceux qui ne sont jamais descendus à l'hôtel Marmont, un œil sur Wiki, surtout en anglais, ils verront les rencontres et les événement qu'ils ont ratés. Comme dit le "directeur" de l'Overlook : "all the best people".
Château ; dans le film, la fille de la star raconte une histoire de famille et de vampires ; le film serait venu à la place d'un autre ; SC désirait faire un film de vampires, et ça a donné "Somewhere"; on pense à son père... le comte...
“After ‘Marie Antoinette,’ I was thinking, Oh, I feel like it’s time for a vampire movie. So I was writing this vampire story, and then that character came in. It was before ‘Twilight’ and all that stuff… Yeah, he came into the story, but it was all set in Europe. And then I was writing the character of the daughter, and I asked my friend’s daughter what books she would be reading, and she was explaining to me the plot of ‘Twilight,’ and I didn’t know what it was. So that’s why we have the daughter talking about that"
L'intéressant ici, c'est le film à la place d'un autre, la trace du film pas fait dans le film fait, et aussi bien entendu le lien de l'Europe aux vampires. Un vampire, c'est d'abord un aristocrate, dans un château ; selon l'imagerie.
Où sont les vampires dans "Somewhere"?
Château ; dans le film, la fille de la star raconte une histoire de famille et de vampires ; le film serait venu à la place d'un autre ; SC désirait faire un film de vampires, et ça a donné "Somewhere"; on pense à son père... le comte...
“After ‘Marie Antoinette,’ I was thinking, Oh, I feel like it’s time for a vampire movie. So I was writing this vampire story, and then that character came in. It was before ‘Twilight’ and all that stuff… Yeah, he came into the story, but it was all set in Europe. And then I was writing the character of the daughter, and I asked my friend’s daughter what books she would be reading, and she was explaining to me the plot of ‘Twilight,’ and I didn’t know what it was. So that’s why we have the daughter talking about that"
L'intéressant ici, c'est le film à la place d'un autre, la trace du film pas fait dans le film fait, et aussi bien entendu le lien de l'Europe aux vampires. Un vampire, c'est d'abord un aristocrate, dans un château ; selon l'imagerie.
Où sont les vampires dans "Somewhere"?
Borges- Messages : 6044
Re: Somewhere (S. Coppola)
Mais c'est un film raté, alors que le Wenders est génial, c'est un film qui pose des choses (un film qui "pose" aussi) et qui ensuite les trahit par la musique pop façon Strokes qui émerge lentement, les larmes, la dernière scène, comme des faiblesses auxquelles elle n'arrive pas à résister, des pêchés mignons de réalisatrice mais vite insupportables à nos yeux. Un film qui voulait faire mal, qui voulait être lucide pour nous et que le spectateur finit par devancer. Sofia Coppola devrait faire des clips vidéo, un clip ne dit pas obligatoirement quelque chose, précisément comme ce film.
Re: Somewhere (S. Coppola)
largo a écrit:Je crois que c'est une Porsche dans le film
Celle de Marco est une Ferrari noire.
Je ne sais pas si ça a une importance : Marco conduit deux voitures dans le film. La première était une bmw je crois, et la seconde une ferrari. Sa voiture le lâche à un moment du film. Est-ce qu'il a acheté la deuxième, ou est-ce une voiture louée ? La voiture était sa seule possession au début du film, et il la perd. À la fin, il ne laisse derrière lui rien qu'il ait possédé.
Les vampires, c'est la pulsion de mort dont parlait Présence Humaine. On voit un livre twilight sur la bibliothèque lors de la fête chez Johnny Marco. On aurait l'impression que c'est la star qui est vampirisée par tous ceux qui se servent de son image. Dépassé par ce qui lui arrive sur scène en Italie, surpris par les filles qui se présentent nues un peu partout, vampirisé par ceux qui organisent chez lui une fête en son absence, Marco est utilisé par tout le monde, sauf par sa fille.
J'ai aimé deux scènes. Celle du cours de patin à glace, et celle dans la piscine. Le reste était d'un mortel ennui agaçant pendant le film. Mais c'est indéniable qu'il reste quelque chose après la projection. Je n'arrive pas à penser que le film est nul et creux.
adeline- Messages : 3000
Re: Somewhere (S. Coppola)
"Somewhere", c'est aussi une belle chanson de "West Side Story" :
"Somewhere
We'll find a new way of living
...
Somehow
Someday
Somewhere"
"Somewhere
We'll find a new way of living
...
Somehow
Someday
Somewhere"
Eyquem- Messages : 3126
Re: Somewhere (S. Coppola)
Le reste était d'un mortel ennui agaçant pendant le film. Mais c'est indéniable qu'il reste quelque chose après la projection. Je n'arrive pas à penser que le film est nul et creux.
Plus on en parle, et plus je me dis que c'est exactement ça.
Re: Somewhere (S. Coppola)
SC passe d'un château à l'autre (oui, je sais, Céline aurait été plus rapide, il serait passé d'un château l'autre ; je déteste cette formule). Voyage dans le temps et l'espace, tout en restant en France, d'une certaine manière: le château de Versailles ; château Marmont. C'est le premier élément du film à m'avoir frappé, je me suis dit : "Curieux, on se retrouve dans un château ; c'est par là qu'il faut entrer dans le film". Qu'est-ce qu'un château aux USA, à Los Angeles, à hollywood ?
"D'un château l'autre", c'est le titre de la critique de Malausa dans les Cahiers.
Sinon, je me disais que c'était encore mieux que ça : Lost in translation se passe dans un hôtel - Marie-Antoinette dans un château...Somewhere devait forcément se passer dans un "châtôtel", non ?
Est-ce que le château, c'est l'endroit où sont voués à vivre les riches et les puissants, même quand ils ne s'y sentent pas chez eux ?
Les stars/Le roi soleil... La première est censée dégager de la lumière mais en fait, elle est paresseuse, passive, elle ne fait jamais que la recevoir. Elle se contente de se mettre sous les feux des projecteurs et la moitié du travail est fait...
Re: Somewhere (S. Coppola)
on voit ce tableau dans le film; il est de ed ruscha; c'est lui qui aurait inspiré le titre du film; Badiou le trouverait-il meilleur que celui du dernier godard, "film, socialisme", qu'il aurait voulu plus parlant, signifiant?
Humberto Leon: I love the title of your movie, Somewhere. Where does it come from?
Sofia Coppola: Thanks. I love Ed Ruscha’s work, so was trying to think of something in that spirit, and the idea is that the main character needs to go somewhere else, but doesn’t know exactly where. It’s the vague idea of somewhere other than where he is right now.
un critique, écrit à propos de
In capital letters, "oof" floats against an empty blue backdrop, suspended somewhere between image and language and between iconicity and absurdity.
ça vaut évidemment pour le film;
oof
"argent"
en argot
Borges- Messages : 6044
Re: Somewhere (S. Coppola)
Dans le film, à en croire le script que je viens de lire, on voit deux livres sur une table, au début : Proust et Dostoïevsky; ce script nous dit aussi que Johnny croise dans les couloirs de son château deux filles déguisées en vampires; je me souviens pas.
Cut
Le questionnaire proust de sofia; quelques réponses sont intéressantes; m'intéressent.
salinger, bien entendu : on peut se souvenir qu'elle avait écrit avec son père, une histoire très salinger.
Nabokov : elle adore aussi l'affiche de lolita, son affiche favorite; la fille de johnny bien souvent est filmée comme une espèce de lolita; il y a un côté très pervers dans le film...presque "pédophile"...les moments avec le pote à johnny, quand ils jouent au tennis et aux héros de la guitare...
flaubert; pour le désir de faire un film sur le rien; un film où il n'y aurait que des images? j'avais plutôt senti quelque chose de mallarmé, je dois avouer : la rencontre de la mode et du néant...
Cut
Le questionnaire proust de sofia; quelques réponses sont intéressantes; m'intéressent.
Your favourite virtue: “honesty – liars bug me.”
Your favourite qualities in a man: “integrity, manners, humour, affection.”
Your favourite qualities in a woman: “grace, loyalty, kindness, style, humour.”
Your favourite occupation: “sleeping late.”
Your chief characteristic: “I don’t know, I asked my dad, who is sitting here, and he says – calm.”
Your idea of misery? “Directing X-Men 4.”
Your favourite colour and flower? “Navy blue or fuschia. Peony.”
If not yourself, who would you be? “Cyd Charisse. With Harold Pinter’s brain.”
Where would you like to live? “Paris and California.”
Your favourite prose authors: “Nabakov, Flaubert, J.D Salinger, A.M Homes.”
Your favourite poets: “Richard Brautigan.”
Your favourite painters and composers: “Ed Ruscha, Cy Twombly, Elizabeth Peyton.”
Your favourite heroes in real life: “Muhammad Ali.”
Your favourite heroines in real life: “Lady Antonia Fraser.”
Your favourite food and drink: “Steak. Ice-cold Ruinart champagne.”
Your pet aversion: “Giant sunglasses.”
What is your present state of mind: “Pretty tranquil – I’m hanging out at my parents’ in the country in Napa … but always a little restless.”
For what fault have you most toleration: “Vanity.”
Your favourite motto: “Rope-a-dope – Muhammad Ali. And ‘fake it till you make it.’”
salinger, bien entendu : on peut se souvenir qu'elle avait écrit avec son père, une histoire très salinger.
Nabokov : elle adore aussi l'affiche de lolita, son affiche favorite; la fille de johnny bien souvent est filmée comme une espèce de lolita; il y a un côté très pervers dans le film...presque "pédophile"...les moments avec le pote à johnny, quand ils jouent au tennis et aux héros de la guitare...
flaubert; pour le désir de faire un film sur le rien; un film où il n'y aurait que des images? j'avais plutôt senti quelque chose de mallarmé, je dois avouer : la rencontre de la mode et du néant...
Borges- Messages : 6044
Re: Somewhere (S. Coppola)
Présence Humaine a écrit:Somewhere me fait penser à "Alice dans les villes" de Wenders
'Lo Présence Humaine.
Du coup, je l'ai vu ! Merci d'en avoir parlé, c'était très bien. Même plus...
La grande différence entre les deux films, qui parlent beaucoup des mêmes choses (la vie sans goût sans avenir, les liens entre un homme qui a la trentaine et qui traine sa vie avec une petite fille qui fait pétiller la sienne, la vie en voiture, les voyages, l'Europe (Italie dans un cas, Europe du Nord dans l'autre), et l'Amérique, etc.) c'est la présence du monde dans le Wenders, alors que Sofia Coppola ne filme jamais le monde, pas un seul moment. Les lieux, intérieurs ou extérieurs, qu'elle filme sont des non-lieux, sans vie sans histoire (qui parlait ici de Hollywood boulevard à LA filmé comme n'importe quel boulevard américain sans intérêt?). Alors que Wenders fait exister New York et la Ruhr aussi fort l'un que l'autre, aussi fort qu'Amsterdam, et le dernier plan d'Alice dans les villes fait du film une idée du monde. Il est magnifique...
adeline- Messages : 3000
Re: Somewhere (S. Coppola)
Je suis contente que tu aies fait le chemin jusqu'à ce film et ça t'ait plu, c'est un film magnifique oui, et qui semble être mal connu (c'est mon impression) comme une bonne partie de la filmographie de Wenders. Il est peu diffusé en dehors de ses films les plus connus, on en parle rarement, mais c'est un réalisateur d'une profondeur inouïe, un cinéma d'écorché vif et d'une grande cohérence, ces films sont travaillés par le problème de la place de ses personnages dans le monde; problème qui est le prétexte pour un retour et une pensée du monde à travers ces personnages qui ont fait de gré ou de force un pas de côté par rapport au version du monde qu'ils habitent. Wenders filme énormément ses personnages regardant la ville à travers une vitre qui peut être comprise métaphoriquement: la vitre comme ce qui donne à voir et qui sépare en même temps, c'est le cinéma. Ces personnages sont des marginaux: des anges, des réalisateurs ratés (L'état des choses), des amnésiques, des écrivains qui ont cette juste distance qui permet de ne pas les faire sombrer dans l'acrimonie mais les fait déborder d'une tendresse mélancolique pour le monde qui semble les rejeter mais daigne quand même les bercer, l'errance c'est cette perte dans son étreinte. Je suis d'accord avec toi, Wenders fait exister le monde parce qu'il travaille à créer le sentiment du monde, le sentiment des hommes, le sentiment de la ville; Coppola tronque tout ça et l'absence ne suggère pas pour autant un horizon du monde. Je te conseille le premier film de sa trilogie sur l'errance : Faux mouvement qui est une adaptation libre du Wilhelm Meister de Goethe écrite avec Peter Handke.
Re: Somewhere (S. Coppola)
oui, mais ce qui est à penser alors, c'est la différence entre les deux, l'écart; d'où vient que l'un parle du monde, et l'autre pas? qu'est-ce qui s'est passé? où est passé le monde? bien des penseurs disent qu'il y a plus de monde, par exemple; nancy, badiou, derrida...TM avait cru nous annoncer un nouveau monde, mais on attend encore, nous vivons dans l'absence de monde, sans direction...
Borges- Messages : 6044
Re: Somewhere (S. Coppola)
Où aller ? Vers où se porter ? Nous nous demandons comment commencer à marcher, vers le monde, c’est-à-dire sans tourner en rond et revenir sur nos pas.
(Derrida, Séminaire La Bête et le Souverain, II, p. 97)
parmi bien des thèmes, sujets, concepts abordés dans ce séminaire, assez bavard, et parfois ennuyeux (il y est question aussi de l'ennui), il y a celui du chemin, du cheminement, orientation, voie, route, notamment en dialogue avec Heidegger (Weg, Bewegung...)... ce qui nous reconduit, ramène à Wenders. Au début de Faux-mouvement, (Falsche Bewegung) je m'en souviens seulement, le héros, jeune écrivain en déréliction, existentielle et artistique, se coupe à la main en brisant la vitre de la fenêtre de sa chambre ; sa mère décide de le foutre à la porte, pour qu'il découvre le monde ; à un moment, il change son pansement, qu'on voit très bien au début de la superbe bal(l)ade à vélo.
La répétition, la roue, ici, c'est celle du tourne-disque ; le mec écoute les Troggs, en boucle comme on dit : i just sing, extrait d'une compilation, Singles, dans le film, mais que l'on trouvait "originairement" sur l'album, From Nowhere.
From nowhere to Somewhere, entre Wenders, les Troggs, et Sofia Coppola, les Strokes, qu'est-il arrivé au monde, au cinéma, à la musique, aux arts purs et impurs ?
Notons, dans son texte manifeste consacré à Faux-mouvement, Badiou ne dit pas un mot de la musique "pop"...
Comment parler de Wenders, sans parler du rock ?
Que signifie cette blessure à la main, dans les deux films ?
J'avais d'abord pensé à Hitch ; une autre piste ne serait-elle pas de suivre le miroir, l'image, le double...
Borges- Messages : 6044
Re: Somewhere (S. Coppola)
"Road to nowhere", c'est le titre du prochain film de Monte Hellman :
Sinon, c'est aussi une chanson des Talking Heads, mais je ne vous apprend rien, et puis si on commence à prendre toutes les chansons américains qui parlent de la route, on est pas sortis.
Sinon, c'est aussi une chanson des Talking Heads, mais je ne vous apprend rien, et puis si on commence à prendre toutes les chansons américains qui parlent de la route, on est pas sortis.
Re: Somewhere (S. Coppola)
oui, très intéressant, ce rapprochement...j'avais déjà parlé de MH, mais au passé...
l'important, c'est pas la chanson, c'est ce qu'elle dit de la route, ce qu'elle permet de penser de la vie, du monde, du temps, de l'espace...de l'orientation :qu'est-ce que s'orienter dans la vie, dans la pensée, dans le cinéma...?
il faut alors brancher la musique "pop" sur la pensée; c'est ça l'intéressant...
ce qui m'intéresse c'est ceci :
"
la question de l'orientation ne peut surgir, être posée en tant que telle qu'en un lieu et dans le moment d'une désorientation, dans l'expérience épochale d'une perte ou d'une suspension de toute certitude quand au mouvement (bewegung) ou quand au chemin (Weg)... "
(derrida, la bête..., 117)
la question de l'orientation surgit quand le bon sens, au double sens du mot, est perdu...quand le sens du sens est à l'écart de lui-même...quand on risque de faire fausse route...d'être pris dans un faux mouvement...
Borges- Messages : 6044
Re: Somewhere (S. Coppola)
Vu, comme à mon habitude, longtemps après et ne sachant à peu près rien du film.
C'est le premier de S. Coppola que je trouve vraiment réussi, pour ma part. Il y a quelque chose de très fort qui passe, là, dans la ténuité, et qui est maintenu de bout en bout. De l'ordre du souvenir que quelque chose a été oublié, on s'y souvient d'un oubli, de quelque chose, quelque part, qui n'a jamais eu lieu ou son lieu.
ça va bcp plus loin que "lost in translation", qui a mon sens était assez raté. Un des problèmes du film, parmi d'autres, c'était Murray, justement, qui se sentait obligé de compenser l'absence d'être-au-monde par une composition de clown triste, charmeur gauche, désarmant de pudeur, etc: tout ça était bien trop lourd d'intériorité signifiée, d'empathie suscitée, justement, et on restait dans le schéma du touriste promenant sa mélancolie touchante dans un pays étranger dont il est déconnecté. Le pas au delà, suite logique, plus radicale, que Somewhere franchit sans fléchir, c'est: avoir disparu sur place, d'emblée, n'avoir jamais été, être déconnecté de soi-même, à l'intérieur, de l'intérieur.
Largo déplorait l'absence de charisme de Stephen Dorff. C'est passer complètement à côté du film, car c'est justement ça qui lui donne toute son essence. C'est ça qui est réussi, et vraiment drôle, cette fois, tout en étant glaçant. C'était le choix parfait: le prototype de l'acteur de cinéma hollywoodien, inexistant, impersonnel, sans qualités, un homme-enfant inachevé, comme un morceau de cire à moitié fondue, une enveloppe congelée ou pétrifiée comme cette pâte à modeler, ce masque informe dont on recouvre son visage (plan fabuleux). Et quand Dorff dit, vers la fin, au téléphone, à une de ses nombreuses maitresses (qui s'en tape, et le congédie par cette formule cruelle qu'on imagine servie en gimmick aux stars qui dépriment: "pourquoi ne fais-tu pas du bénévolat?"), assis dans sa chambre, pleurant: "je suis rien, moins que rien", on y croit, et c'est bouleversant.
On dit alors que c'est un moment "téléphoné": peut-être, mais ce moment téléphoné est un moment vrai.
On dit encore: Murray savait, lui, qu'il n'était rien, il n'avait pas besoin de signifier cette tautologie, cette évidence était d'ailleurs rachetée par l'élégance de la pudeur, cette politesse du désespoir, etc. Justement, Dorff (ou son perso) ne le sait pas, il n'est pas lézardé comme Murray, alourdi de la conscience de cette lézarde, il est en deçà de toute réflexivité possible (la scène marrante de la séance de presse, où on lui pose notamment la question du "post-moderne"). C'est un homme sans esprit, pour qui toutes les répliques sont écrites à l'avance, et qui le reste du temps n'a rien d'intéressant à dire, jamais, aucune dérision particulière de lui-même. Ce n'est pas non plus le yuppie cynique de "less than zéro". C'est un homme quelconque, ni bon ni mauvais, sans point de vue sur lui-même ou sur les autres, pas nihiliste ni indifférent, plutôt gentil, gentiment fadouille, transparent. Aussi les seules phrases non sollicitées qui sortent de lui, affects vécus simplement d'un désespoir révélé qui ne séduit personne, c'est "pardon de ne pas avoir été là" et "je suis rien".
J'ai quelques réticences, bien sûr. Concernant ce "spleen des acteurs riches", j'ai senti cette possible couche catho-consolatrice derrière: "les riches ne sont pas heureux, leurs paradis sont artificiels, heureux les miséreux, les valets, qui sont dans l'authenticité", etc. Mais j'ai essayé de ne pas trop me braquer là-dessus. Le film adopte un point de vue très distancié, ne sollicitant ni l'empathie ni le rejet. Presque de l'ordre d'une contemplation ethnographique. C'est plus un film sur la machine cinéma, la condition de l'acteur, la disparition, le vide, dans la machine à fabriquer de l'apparition, du plein. Ce n'est pas neuf, bien sûr, comme thème. On connaît tous ces films sur le monde du cinéma, mais la tonalité, l'approche, sont plus inédites qu'on ne le prétend.
Surtout, il laisse une trace, après, vous laisse au dessus de cette faille, une blessure de l'exister qu'il titillait en creux, en négatif, à la fois obstinément et discrètement. C'est pas si souvent.
Je ne partage pas les exécutions en règle plus haut: je trouve la fin très belle. La "parole vraie", dans la voiture, prononcée par sa fille au moment de le laisser et de partir sans sa colo d'enfant riche, enfant de star ("maman n'est jamais là, et toi non plus, tu n'es jamais là"), c'est la douleur de l'absence absolue dans la présence même. Leur absence au monde ensemble, l'homme-enfant et sa fille. "Pardon de ne pas avoir été là", dit-il (et c'est noyé dans le bruit des pales de l'hélicoptère), cad, bien sûr, aussi bien dans le passé que pendant ces vacances: en sa compagnie il n'a jamais été-là, et elle non plus n'a jamais été-là. Il n'étaient pas-là ensemble, et n'allaient jamais nulle-part (ou, ce qui revient au même, allaient toujours "quelque part" qui n'était nulle part).
C'est très différent d'Alice dans les villes, en effet (auquel le film est lié, par de nombreux jeux de renvoi, mais en inversant le propos): pas de périple, de "destinerrance" vécue à deux.
Dans le Wenders, la rencontre avec l'enfant est indissociable du voyage entrepris à deux, par lequel l'homme quitte l'état de déréliction (le paysage américain) et commence à exister dans un mouvement "vrai", à travers le paysage allemand, vers l'hypothétique grand-mère (s'esquisse déjà ce fantasme, chez Wenders, du voyage comme retour aux origines, à la Vieille Europe, après la désillusion du simulacre). Dans Somewhere, l'homme et l'enfant sont à l'inverse pris ensemble, d'un bout à l'autre, dans l'immobilité d'une inexistence qui ne va jamais nulle part, englués. L'origine, le point d'ancrage réel, le lieu natal, cette "italianité", sont eux-mêmes rendus à un simulacre, une irréalité soit purement cinématographique, un folklore imaginaire, sorte de mise en abyme, dans une dérision froide, de la "Famille Coppola" (Dorff est censé dire quelque chose d'un lien improbable avec Al Pacino. Plus tard, à Milan, seuls mots italiens qu'il peut dire, c'est "buongiorno " et "arrivederci"), soit télé-berlusconienne - un show inepte de remise de statuettes.
Et c'est au moment de leur séparation qu'un mouvement de mise en route est amorcé, par le constat douloureux et muet de cet échec que fut leur non-rencontre. C'est un film mélancolique, par soustraction. La mélancolie n'est jamais dans l'image.
On pourrait se dire, dans la dernière séquence, que cet homme sans Dasein, prenant congé de sa fille, séparation qui réouvre sa propre blessure d'enfance, commence enfin à tracer sa ligne de fuite, ex-siste, sort de la boucle tournant en rond du circuit automobile du début. Mais où va-t-il au juste? Vers l'avenir, le rien, sa fille, lui-même, le monde? On ne sait pas trop. Mouvement qui, de plus, ne consiste pas à "tailler la route", mais au contraire à soudain stopper net, à quitter le véhicule, dans une interruption qui est une sortie de route, une mise hors-circuit. (Il y a certes ce sourire, qu'on peut interpréter de différentes façons. Pour ma part, ça veut pas dire grand chose, en tout cas pas au point d'y réduire le film).
Je dirais: "un beau film américain", enfin, comme on peut les aimer. Complètement travaillé par le vide, la perte, l'absence, le dehors, d'autant plus discrètement poignant qu'il n'y a quasiment rien dans le cadre, aucune profondeur sous la surface, aucun dehors discernable, aucun paysage vécu, aucun voyage promis, aucun mouvement possible. Sinon dans la rencontre, après-coup, de deux douleurs se révélant l'une à l'autre, en miroir, au moment où elles repartent chacune vers leur solitude essentielle.
C'est le premier de S. Coppola que je trouve vraiment réussi, pour ma part. Il y a quelque chose de très fort qui passe, là, dans la ténuité, et qui est maintenu de bout en bout. De l'ordre du souvenir que quelque chose a été oublié, on s'y souvient d'un oubli, de quelque chose, quelque part, qui n'a jamais eu lieu ou son lieu.
ça va bcp plus loin que "lost in translation", qui a mon sens était assez raté. Un des problèmes du film, parmi d'autres, c'était Murray, justement, qui se sentait obligé de compenser l'absence d'être-au-monde par une composition de clown triste, charmeur gauche, désarmant de pudeur, etc: tout ça était bien trop lourd d'intériorité signifiée, d'empathie suscitée, justement, et on restait dans le schéma du touriste promenant sa mélancolie touchante dans un pays étranger dont il est déconnecté. Le pas au delà, suite logique, plus radicale, que Somewhere franchit sans fléchir, c'est: avoir disparu sur place, d'emblée, n'avoir jamais été, être déconnecté de soi-même, à l'intérieur, de l'intérieur.
Largo déplorait l'absence de charisme de Stephen Dorff. C'est passer complètement à côté du film, car c'est justement ça qui lui donne toute son essence. C'est ça qui est réussi, et vraiment drôle, cette fois, tout en étant glaçant. C'était le choix parfait: le prototype de l'acteur de cinéma hollywoodien, inexistant, impersonnel, sans qualités, un homme-enfant inachevé, comme un morceau de cire à moitié fondue, une enveloppe congelée ou pétrifiée comme cette pâte à modeler, ce masque informe dont on recouvre son visage (plan fabuleux). Et quand Dorff dit, vers la fin, au téléphone, à une de ses nombreuses maitresses (qui s'en tape, et le congédie par cette formule cruelle qu'on imagine servie en gimmick aux stars qui dépriment: "pourquoi ne fais-tu pas du bénévolat?"), assis dans sa chambre, pleurant: "je suis rien, moins que rien", on y croit, et c'est bouleversant.
On dit alors que c'est un moment "téléphoné": peut-être, mais ce moment téléphoné est un moment vrai.
On dit encore: Murray savait, lui, qu'il n'était rien, il n'avait pas besoin de signifier cette tautologie, cette évidence était d'ailleurs rachetée par l'élégance de la pudeur, cette politesse du désespoir, etc. Justement, Dorff (ou son perso) ne le sait pas, il n'est pas lézardé comme Murray, alourdi de la conscience de cette lézarde, il est en deçà de toute réflexivité possible (la scène marrante de la séance de presse, où on lui pose notamment la question du "post-moderne"). C'est un homme sans esprit, pour qui toutes les répliques sont écrites à l'avance, et qui le reste du temps n'a rien d'intéressant à dire, jamais, aucune dérision particulière de lui-même. Ce n'est pas non plus le yuppie cynique de "less than zéro". C'est un homme quelconque, ni bon ni mauvais, sans point de vue sur lui-même ou sur les autres, pas nihiliste ni indifférent, plutôt gentil, gentiment fadouille, transparent. Aussi les seules phrases non sollicitées qui sortent de lui, affects vécus simplement d'un désespoir révélé qui ne séduit personne, c'est "pardon de ne pas avoir été là" et "je suis rien".
J'ai quelques réticences, bien sûr. Concernant ce "spleen des acteurs riches", j'ai senti cette possible couche catho-consolatrice derrière: "les riches ne sont pas heureux, leurs paradis sont artificiels, heureux les miséreux, les valets, qui sont dans l'authenticité", etc. Mais j'ai essayé de ne pas trop me braquer là-dessus. Le film adopte un point de vue très distancié, ne sollicitant ni l'empathie ni le rejet. Presque de l'ordre d'une contemplation ethnographique. C'est plus un film sur la machine cinéma, la condition de l'acteur, la disparition, le vide, dans la machine à fabriquer de l'apparition, du plein. Ce n'est pas neuf, bien sûr, comme thème. On connaît tous ces films sur le monde du cinéma, mais la tonalité, l'approche, sont plus inédites qu'on ne le prétend.
Surtout, il laisse une trace, après, vous laisse au dessus de cette faille, une blessure de l'exister qu'il titillait en creux, en négatif, à la fois obstinément et discrètement. C'est pas si souvent.
Je ne partage pas les exécutions en règle plus haut: je trouve la fin très belle. La "parole vraie", dans la voiture, prononcée par sa fille au moment de le laisser et de partir sans sa colo d'enfant riche, enfant de star ("maman n'est jamais là, et toi non plus, tu n'es jamais là"), c'est la douleur de l'absence absolue dans la présence même. Leur absence au monde ensemble, l'homme-enfant et sa fille. "Pardon de ne pas avoir été là", dit-il (et c'est noyé dans le bruit des pales de l'hélicoptère), cad, bien sûr, aussi bien dans le passé que pendant ces vacances: en sa compagnie il n'a jamais été-là, et elle non plus n'a jamais été-là. Il n'étaient pas-là ensemble, et n'allaient jamais nulle-part (ou, ce qui revient au même, allaient toujours "quelque part" qui n'était nulle part).
C'est très différent d'Alice dans les villes, en effet (auquel le film est lié, par de nombreux jeux de renvoi, mais en inversant le propos): pas de périple, de "destinerrance" vécue à deux.
Dans le Wenders, la rencontre avec l'enfant est indissociable du voyage entrepris à deux, par lequel l'homme quitte l'état de déréliction (le paysage américain) et commence à exister dans un mouvement "vrai", à travers le paysage allemand, vers l'hypothétique grand-mère (s'esquisse déjà ce fantasme, chez Wenders, du voyage comme retour aux origines, à la Vieille Europe, après la désillusion du simulacre). Dans Somewhere, l'homme et l'enfant sont à l'inverse pris ensemble, d'un bout à l'autre, dans l'immobilité d'une inexistence qui ne va jamais nulle part, englués. L'origine, le point d'ancrage réel, le lieu natal, cette "italianité", sont eux-mêmes rendus à un simulacre, une irréalité soit purement cinématographique, un folklore imaginaire, sorte de mise en abyme, dans une dérision froide, de la "Famille Coppola" (Dorff est censé dire quelque chose d'un lien improbable avec Al Pacino. Plus tard, à Milan, seuls mots italiens qu'il peut dire, c'est "buongiorno " et "arrivederci"), soit télé-berlusconienne - un show inepte de remise de statuettes.
Et c'est au moment de leur séparation qu'un mouvement de mise en route est amorcé, par le constat douloureux et muet de cet échec que fut leur non-rencontre. C'est un film mélancolique, par soustraction. La mélancolie n'est jamais dans l'image.
On pourrait se dire, dans la dernière séquence, que cet homme sans Dasein, prenant congé de sa fille, séparation qui réouvre sa propre blessure d'enfance, commence enfin à tracer sa ligne de fuite, ex-siste, sort de la boucle tournant en rond du circuit automobile du début. Mais où va-t-il au juste? Vers l'avenir, le rien, sa fille, lui-même, le monde? On ne sait pas trop. Mouvement qui, de plus, ne consiste pas à "tailler la route", mais au contraire à soudain stopper net, à quitter le véhicule, dans une interruption qui est une sortie de route, une mise hors-circuit. (Il y a certes ce sourire, qu'on peut interpréter de différentes façons. Pour ma part, ça veut pas dire grand chose, en tout cas pas au point d'y réduire le film).
Je dirais: "un beau film américain", enfin, comme on peut les aimer. Complètement travaillé par le vide, la perte, l'absence, le dehors, d'autant plus discrètement poignant qu'il n'y a quasiment rien dans le cadre, aucune profondeur sous la surface, aucun dehors discernable, aucun paysage vécu, aucun voyage promis, aucun mouvement possible. Sinon dans la rencontre, après-coup, de deux douleurs se révélant l'une à l'autre, en miroir, au moment où elles repartent chacune vers leur solitude essentielle.
Invité- Invité
Re: Somewhere (S. Coppola)
jerzy P a écrit:Largo déplorait l'absence de charisme de Stephen Dorff. C'est passer complètement à côté du film, car c'est justement ça qui lui donne toute son essence. C'est ça qui est réussi, et vraiment drôle, cette fois, tout en étant glaçant. C'était le choix parfait: le prototype de l'acteur de cinéma hollywoodien, inexistant, impersonnel, sans qualités, un homme-enfant inachevé, comme un morceau de cire à moitié fondue, une enveloppe congelée ou pétrifiée comme cette pâte à modeler, ce masque informe dont on recouvre son visage (plan fabuleux). Et quand Dorff dit, vers la fin, au téléphone, à une de ses nombreuses maitresses (qui s'en tape, et le congédie par cette formule cruelle qu'on imagine servie en gimmick aux stars qui dépriment: "pourquoi ne fais-tu pas du bénévolat?"), assis dans sa chambre, pleurant: "je suis rien, moins que rien", on y croit, et c'est bouleversant.
On dit alors que c'est un moment "téléphoné": peut-être, mais ce moment téléphoné est un moment vrai.
Merci Jerzy, j'avais envie d'écrire un truc dans le genre à l'époque, mais je ne savais pas comment le tourner. tu me l'enlèves de la bouche. Si Borges serait un parfait journaliste, tu ferais un super dentiste
Pour moi aussi, c'était un choix important de confier le rôle à un acteur pas très connu, mais en même temps j'ai du mal à me justifier...
Dernière édition par py le Sam 2 Juin 2012 - 18:35, édité 1 fois
Invité- Invité
Re: Somewhere (S. Coppola)
Breaber a écrit :
pas vu, mais j'ai l'impression que Sofia fixe son horizon familial comme une glu, partout où elle va c'est disneyland, peut-être elle a cette révélation de l'artificiel, elle flotte dans sa piscine-océan où sa mère a ses extases de méditation zazen, et puis un drame survient, Francis est amoureux d'une autre femme, on fracasse les assiettes, c'est l'apocalypse chez les Coppola, les confitures de figues jaillissent comme des balles de guerre.
mais qu'a t-on à faire de la vie privée de ces gens là ?
Invité- Invité
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