The Sundance Movies Chronicles
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The Sundance Movies Chronicles
C'est en sortant de Welcome to the Rileys que j'ai pensé à ça. Un truc qui revient souvent dans les papiers de journalistes : les "Sundance Movies", du nom du célèbre festival (et de la chaîne de TV maintenant) chaperonné par Robert Redford.
Ce qui a fait la réputation du festival, c'est, je crois, surtout Tarantino & Jarmusch.
Aujourd'hui, l'étiquette "Sundance Movies" est quasiment devenu un genre à part entière pour parler d'un cinéma américain plus ou moins indépendant. En fait, ça correspond à tout ce qui sort du tout-venant des blockbusters. Ou plutôt, souvent, ça correspond à des films de jeunes cinéastes qui font leurs gammes dans l'espoir de se faire embaucher comme apprenti tâcheron par les grands studios.
Je ne sais pas s'il y a déjà eu des études ou des bouquins sur ce processus de cannibalisation des marges par Hollywood qui date des années 1990-2000. La marge, cinématographiquement, c'est à dire dans son économie et sa dramaturgie n'existe quasiment plus. Où sont les successeurs de Jarmusch ? Quels films pourraient avoir l'importance et l'originalité de Permanent Vacation ou Stranger than paradise aujourd'hui ? Je ne sais pas s'il y a vraiment une réponse à apporter. Je pense à Wendy and Lucy qui était loin d'être raté, mais qui semble tellement mineur en comparaison des premiers Jarmusch... Les seuls dépositaires connus de l'esprit new-yorkais, incarné par Cassavetes (et Jonas Mekas que je ne connais pas du tout), ce sont les frères Safdie qui ont repris le fameux motif de l'errance, les caméras super 8 et les BO jazzy, mais dont le travail s'apparente plus à une entreprise de recyclage de motifs connus, de gimmicks, ce qui n'est finalement pas forcément plus intéressant que ce que fait Honoré en France par rapport à la Nouvelle Vague.
Mais pire que ça, maintenant ce qu'on nous vend comme des "indie movies" ne sont que de purs produits des grands studios. Et leurs auteurs font un usage vicié de la forme du road-movie, un genre qui avait été par le passé le berceau des grandes fictions émancipatrices et révolutionnaires, depuis les années 1970 sur la Road 66 et ailleurs (Bonnie & Clyde, Easy Rider, Macadam à deux voies, Zabriskie Point jusqu'à Sailor & Lula ou My own private Idaho...). Précisons que Vincent Gallo (The Brown Bunny) et Bruno Dumont (Twentynine Palms) ont cherché avec succès à s'inscrire dans cet héritage des années 70.
La route est traditionnellement le repère des paumés, des marginaux, des artistes, des criminels, de tous ceux qui fuyaient le modèle étouffant des suburbs, celui du capitalisme consumériste qui a érigé la propriété comme condition du bonheur et signe extérieur de richesse. Tous les personnages qui ont construit l'imaginaire du road movie fuient le foyer américain, le petit pavillon habité par son honnête famille de travailleurs qui organise des barbecue party avec ses voisins sur la pelouse fraîchement tondue. Lynch et Burton dans les années 90 ont dépeint avec suffisamment de cruauté et d'humour cet univers, ce mode de vie, je vous apprends rien.
HOME SWEET HOME
Mais tout de même, dans les années 2000, ils sont nombreux les films américains à avoir inversé ces schémas-là. De mémoire, je pense à Old Joy, Little Miss Sunshine, Away we go, Sideways, et maintenant Welcome to the Rileys. On pourrait aussi rattacher The Darjeeling Limited même si ça se passe en Inde. Des films qui ont rencontré un certain succès. Que partagent-ils ? Les personnages sont tous bien insérés, ils ont ou projettent d'avoir une vie de famille épanouie, ils cherchent une certaine conception assez classique du bonheur, conçue autour d'une femme et d'un foyer. Et tous pourtant partent sur la route, non pas pour fuir ce modèle qu'ils cherchent à reproduire, mais plutôt comme thérapie, comme parenthèse, qui permet de cristalliser les névroses, les problèmes de couple... Le voyage, l'aventure, les rencontres fonctionnent comme révélateurs de ces dysfonctionnements, pour permettre un retour d'autant plus rapide à la norme, à la morale familialiste. On ne part plus pour se perdre, en quête d'un ailleurs, d'un idéal, d'un eldorado introuvable ; non, on part pour "se retrouver", "faire le point", faire un travail sur soi-même et mieux revenir aux fondamentaux. C'est comme les voyages de jeunesse de la génération Erasmus : partir à la découverte d'autres cultures pour mieux se connaître soi-même. On part pour un temps bien délimité pour ensuite revenir à ses moutons.
On est passé de l'aller simple à l'aller retour.
Et ce mouvement de retour conservateur s'accompagne bien évidemment d'une standardisation de la forme, les films baignant par exemple tous plus ou moins dans quelques accords de guitare sèche, comme une réminiscence fort fort lointaine des soirées hippie au coin du feu. La petite escapade est d'ailleurs en général l'occasion pour les vieux de regoûter aux innocentes transgressions de leur jeunesse (un p'tit joint pour la route).
Dans Away we go (Sam Mendes), le jeune couple partait à la recherche du meilleur endroit pour élever leur enfant en gestation. Ils sillonnent l'Amérique pour finir par comprendre que ce qui leur faut, c'est la vieille maison où la femme a passé son enfance. Retour aux origines, tout ça.
Dans Welcome to the Rileys on retrouve ce besoin irrépressible d'une tanière, d'un mode de vie sédentaire, caché derrière l'esquisse de road-movie. C'est l'histoire d'un couple en deuil de sa fille. La mère ne sort plus de chez elle et le père se barre à la Nouvelle-Orléans jouer au papa poule avec une jeune stripteaseuse. Son premier réflexe est de retaper la bicoque dans laquelle elle vit, comme s'il fallait un nid douillet pour mener une existence plus saine. Une maison et une famille unie demeure l'horizon indépassable, on ne trouve rien d'autre au bout du chemin. Sauf que le jeune Jack Scott (de la famille de Ridley & Tony...) est assez malin pour ne pas nous servir le happy end que son pitch de départ pouvait laisser craindre. La pute ne remplacera pas la fille décédée. Au moins, la mère aura réussi à sortir de chez elle mais évidemment pour mieux y retourner. Le couple aura crevé l'abcès d'un deuil difficile et pourra reprendre leur petite vie pépère.
Et puis, on pourrait aussi évoquer (encore une fois) la reproduction du tropisme majoritaire blanc-éduqué-aisé... La dernière fois qu'un film sur les noirs a triomphé à Sundance, c'était je crois Precious dont le point de départ est suffisamment éloquent :
On a envie de se dire "tiens ils ont oublié unijambiste". D'ailleurs j'étais pas allé le voir mais doit ptet y avoir des liens avec la Vénu noire. La suite du résumé :
La fin, c'est plutôt Finding Forester & co :
Ce qui a fait la réputation du festival, c'est, je crois, surtout Tarantino & Jarmusch.
Aujourd'hui, l'étiquette "Sundance Movies" est quasiment devenu un genre à part entière pour parler d'un cinéma américain plus ou moins indépendant. En fait, ça correspond à tout ce qui sort du tout-venant des blockbusters. Ou plutôt, souvent, ça correspond à des films de jeunes cinéastes qui font leurs gammes dans l'espoir de se faire embaucher comme apprenti tâcheron par les grands studios.
Je ne sais pas s'il y a déjà eu des études ou des bouquins sur ce processus de cannibalisation des marges par Hollywood qui date des années 1990-2000. La marge, cinématographiquement, c'est à dire dans son économie et sa dramaturgie n'existe quasiment plus. Où sont les successeurs de Jarmusch ? Quels films pourraient avoir l'importance et l'originalité de Permanent Vacation ou Stranger than paradise aujourd'hui ? Je ne sais pas s'il y a vraiment une réponse à apporter. Je pense à Wendy and Lucy qui était loin d'être raté, mais qui semble tellement mineur en comparaison des premiers Jarmusch... Les seuls dépositaires connus de l'esprit new-yorkais, incarné par Cassavetes (et Jonas Mekas que je ne connais pas du tout), ce sont les frères Safdie qui ont repris le fameux motif de l'errance, les caméras super 8 et les BO jazzy, mais dont le travail s'apparente plus à une entreprise de recyclage de motifs connus, de gimmicks, ce qui n'est finalement pas forcément plus intéressant que ce que fait Honoré en France par rapport à la Nouvelle Vague.
Mais pire que ça, maintenant ce qu'on nous vend comme des "indie movies" ne sont que de purs produits des grands studios. Et leurs auteurs font un usage vicié de la forme du road-movie, un genre qui avait été par le passé le berceau des grandes fictions émancipatrices et révolutionnaires, depuis les années 1970 sur la Road 66 et ailleurs (Bonnie & Clyde, Easy Rider, Macadam à deux voies, Zabriskie Point jusqu'à Sailor & Lula ou My own private Idaho...). Précisons que Vincent Gallo (The Brown Bunny) et Bruno Dumont (Twentynine Palms) ont cherché avec succès à s'inscrire dans cet héritage des années 70.
La route est traditionnellement le repère des paumés, des marginaux, des artistes, des criminels, de tous ceux qui fuyaient le modèle étouffant des suburbs, celui du capitalisme consumériste qui a érigé la propriété comme condition du bonheur et signe extérieur de richesse. Tous les personnages qui ont construit l'imaginaire du road movie fuient le foyer américain, le petit pavillon habité par son honnête famille de travailleurs qui organise des barbecue party avec ses voisins sur la pelouse fraîchement tondue. Lynch et Burton dans les années 90 ont dépeint avec suffisamment de cruauté et d'humour cet univers, ce mode de vie, je vous apprends rien.
HOME SWEET HOME
Mais tout de même, dans les années 2000, ils sont nombreux les films américains à avoir inversé ces schémas-là. De mémoire, je pense à Old Joy, Little Miss Sunshine, Away we go, Sideways, et maintenant Welcome to the Rileys. On pourrait aussi rattacher The Darjeeling Limited même si ça se passe en Inde. Des films qui ont rencontré un certain succès. Que partagent-ils ? Les personnages sont tous bien insérés, ils ont ou projettent d'avoir une vie de famille épanouie, ils cherchent une certaine conception assez classique du bonheur, conçue autour d'une femme et d'un foyer. Et tous pourtant partent sur la route, non pas pour fuir ce modèle qu'ils cherchent à reproduire, mais plutôt comme thérapie, comme parenthèse, qui permet de cristalliser les névroses, les problèmes de couple... Le voyage, l'aventure, les rencontres fonctionnent comme révélateurs de ces dysfonctionnements, pour permettre un retour d'autant plus rapide à la norme, à la morale familialiste. On ne part plus pour se perdre, en quête d'un ailleurs, d'un idéal, d'un eldorado introuvable ; non, on part pour "se retrouver", "faire le point", faire un travail sur soi-même et mieux revenir aux fondamentaux. C'est comme les voyages de jeunesse de la génération Erasmus : partir à la découverte d'autres cultures pour mieux se connaître soi-même. On part pour un temps bien délimité pour ensuite revenir à ses moutons.
On est passé de l'aller simple à l'aller retour.
Et ce mouvement de retour conservateur s'accompagne bien évidemment d'une standardisation de la forme, les films baignant par exemple tous plus ou moins dans quelques accords de guitare sèche, comme une réminiscence fort fort lointaine des soirées hippie au coin du feu. La petite escapade est d'ailleurs en général l'occasion pour les vieux de regoûter aux innocentes transgressions de leur jeunesse (un p'tit joint pour la route).
Dans Away we go (Sam Mendes), le jeune couple partait à la recherche du meilleur endroit pour élever leur enfant en gestation. Ils sillonnent l'Amérique pour finir par comprendre que ce qui leur faut, c'est la vieille maison où la femme a passé son enfance. Retour aux origines, tout ça.
Dans Welcome to the Rileys on retrouve ce besoin irrépressible d'une tanière, d'un mode de vie sédentaire, caché derrière l'esquisse de road-movie. C'est l'histoire d'un couple en deuil de sa fille. La mère ne sort plus de chez elle et le père se barre à la Nouvelle-Orléans jouer au papa poule avec une jeune stripteaseuse. Son premier réflexe est de retaper la bicoque dans laquelle elle vit, comme s'il fallait un nid douillet pour mener une existence plus saine. Une maison et une famille unie demeure l'horizon indépassable, on ne trouve rien d'autre au bout du chemin. Sauf que le jeune Jack Scott (de la famille de Ridley & Tony...) est assez malin pour ne pas nous servir le happy end que son pitch de départ pouvait laisser craindre. La pute ne remplacera pas la fille décédée. Au moins, la mère aura réussi à sortir de chez elle mais évidemment pour mieux y retourner. Le couple aura crevé l'abcès d'un deuil difficile et pourra reprendre leur petite vie pépère.
Et puis, on pourrait aussi évoquer (encore une fois) la reproduction du tropisme majoritaire blanc-éduqué-aisé... La dernière fois qu'un film sur les noirs a triomphé à Sundance, c'était je crois Precious dont le point de départ est suffisamment éloquent :
Claireece "Precious" Jones, une jeune fille noire, obèse et analphabète de seize ans, vit à Harlem avec sa mère, une femme sans emploi, qui la violente physiquement et mentalement. Elle a une petite fille trisomique de son propre père, Carl, qui abuse d'elle sexuellement.
On a envie de se dire "tiens ils ont oublié unijambiste". D'ailleurs j'étais pas allé le voir mais doit ptet y avoir des liens avec la Vénu noire. La suite du résumé :
"Afin de fuir une réalité trop dure pour elle, Claireece s'invente un monde où elle est la star et où tout le monde l'aime."
La fin, c'est plutôt Finding Forester & co :
(wikipedia)
"Lorsqu'elle tombe enceinte de son deuxième enfant, elle est renvoyée de son école. Mais la directrice de l'établissement refuse de l'abandonner et lui donne les coordonnées d'une école pour adolescents en difficultés. Grâce à sa nouvelle institutrice, mademoiselle Blue Avers, Claireece va apprendre à lire et à écrire et voir le monde d'un œil nouveau."
Re: The Sundance Movies Chronicles
Cas typique d'assez bon Sundance Movie : Garden State (2004) de l'acteur Zach Braff, qui pour moi a ouvert la porte au reste.
Sinon je suis d'accord concernant les frères Safdie, leur film sont trop "poseurs" pour être appréciés sans arrière-pensées, "Lenny and the Kids" était assez insignifiant en dehors d'une scène comme une brèche d'étrangeté au milieu du film: le père avait fait prendre des somnifères à ses enfants qui mettent plusieurs jours à se réveiller, voilà tout ce qui avait à retenir du film. L'histoire se termine aussi quand il se fait expulser de son logement.
Je n'avais jamais vu ça comme ça, l'aller simple qui devient aller retour, c'est pas mal. Personnellement je ne me bouge plus jamais pour aller voir un Sundance Movie, les "familles détraquées mais tellement gentilles" m'ennuient profondément. Je pense qu'on s'est trop épanché sur le constat que tout le monde avait sa névrose, Sideways était insupportablement lisse. Les films des années 70 que tu cites, c'était quand même autre chose, on avait devant soi de vrais adultes qui agissaient contre le monde, aujourd'hui on a juste une belle génération gentille drôle et cultivée qui a des problèmes d'adaptation au monde: la question de l'adaptation ne s'est jamais posée pour les mecs de Macadam à deux voies ou Bonny and Clyde, on ne fera pas de bandits avec la famille de Little Miss Sunshine.
Sinon Precious est sans intérêt, une sorte de teen-movie loufoque-tête à claques.
Sinon je suis d'accord concernant les frères Safdie, leur film sont trop "poseurs" pour être appréciés sans arrière-pensées, "Lenny and the Kids" était assez insignifiant en dehors d'une scène comme une brèche d'étrangeté au milieu du film: le père avait fait prendre des somnifères à ses enfants qui mettent plusieurs jours à se réveiller, voilà tout ce qui avait à retenir du film. L'histoire se termine aussi quand il se fait expulser de son logement.
Je n'avais jamais vu ça comme ça, l'aller simple qui devient aller retour, c'est pas mal. Personnellement je ne me bouge plus jamais pour aller voir un Sundance Movie, les "familles détraquées mais tellement gentilles" m'ennuient profondément. Je pense qu'on s'est trop épanché sur le constat que tout le monde avait sa névrose, Sideways était insupportablement lisse. Les films des années 70 que tu cites, c'était quand même autre chose, on avait devant soi de vrais adultes qui agissaient contre le monde, aujourd'hui on a juste une belle génération gentille drôle et cultivée qui a des problèmes d'adaptation au monde: la question de l'adaptation ne s'est jamais posée pour les mecs de Macadam à deux voies ou Bonny and Clyde, on ne fera pas de bandits avec la famille de Little Miss Sunshine.
Sinon Precious est sans intérêt, une sorte de teen-movie loufoque-tête à claques.
Re: The Sundance Movies Chronicles
Cas typique d'assez bon Sundance Movie : Garden State (2004) de l'acteur Zach Braff,
Ah ? Pas vu. Qu'est ce que t'as aimé là-dedans ? De loin, ça avait l'air un peu mièvre..
Re: The Sundance Movies Chronicles
Quand je l'ai vu j'avais 13 ans, donc ça remonte à assez loin et je ne me souviens pas l'avoir revu ou alors des bribes. Je ne sais pas s'il s'agit du premier film de ce genre mais pour moi c'était un monde neuf et à taille humaine, construit sur quelques bonnes idées et une histoire modeste comme ma vie de collégienne pouvait l'être (ah ah). Il y a une sorte de progression dans la bizarrerie qui pourrait me crisper aujourd'hui mais qui en 2004 me convenait. Et surtout la bande originale était grandiose : The Shins (de la pop "Haribo"), Nick Drake, Simon and Garfunkel. Il y a une prédominance de la bande originale dans ce genre de films qui fonctionne comme un accélérateur d'émotions et qui témoigne de l'insuffisance de ces films, comme on ne peut pas en demander beaucoup à l'histoire on met Nico à fond (Wes Anderson).
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