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Vénus noire (A. Kechiche)

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Message par Invité Mer 10 Nov 2010 - 15:09

J'ai relu la fin du texte de Daney et ça me fait penser à un des personnages du narrateur de L'innommable de Beckett (cette idée que la reconnaissance de quelques uns lui permettrait peut-être enfin de finir, même si c'est sans doute plus compliqué et plus simple que ça), sauf que c'est beaucoup plus retors chez Beckett parce que toutes les histoires de masque social etc, tout est déjà intériorisé par le narrateur qui se pense en monstre (physiquement), alors que Lynch se pose pas de question très profonde là-dessus, il reste une ligne de démarcation claire entre le monstre et les autres qui est celle du physique, du corps. Ca reste vraiment à ras de regard il me semble, vous me direz c'est du cinéma. du coup on retombe sur ces histoires sans intérêt de pointer du doigt le(s) monstre(s) et quand on retourne le doigt conte soi, c'est de manière biaisée, pour des misérables histoires moralistes de voyeurisme, etc...

chez Beckett c'est par exemple le conditionnement du langage qu'on essaye désespérément de s'arracher, et ça passe par des formes de narrateur monstrueuses, ça va bien au delà d'une histoire de nom a porter, après tout les noms sont interchangeables : worm, Mahood et les autres. ...


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Message par Invité Mer 10 Nov 2010 - 15:34

quitte a faire de la critique littérère autant parler litérature, no n?

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Message par Eyquem Mer 10 Nov 2010 - 19:42

Pour en revenir à cette histoire d'humanité, on pourrait dire qu'à ce titre, le film de Lynch en reste à un partage très simple entre l'être et l'apparence. Extérieurement, c'est l'homme-éléphant ; intérieurement, c'est Roméo.
C'est un partage de conte bleu (la belle et la bête) ou de philosophie (Socrate comparé à un Silène : laid à l'extérieur, mais semblable à un dieu quand on l'ouvre en deux).

Le film de Lynch est aussi, typiquement, un de ceux dont on dirait que c'est un film humaniste. Il part avec une idée toute faite de l'homme ; et le problème du film, c'est d'opérer une traversée des apparences, fausses et monstrueuses, pour remonter jusqu'à cet être humain, Merrick tel qu'en lui-même, quand il n'apparaît plus comme un homme-éléphant, mais est le meilleur des hommes, aux yeux de ceux qui savent voir.

Ce qui fait qu'Elephant Man est un film regardable (pathétique, émouvant, et tout : c'est dur de pas pleurer à certaines scènes), c'est que Merrick est, au fond, tout comme nous : il connaît la Bible par coeur ; il aime sa mère ; il s'émeut à Shakespeare. Rien ne le sépare des autres, de nous, si ce n'est sa forme, et son extrême bonté.

Le film aurait posé des questions très différentes si Lynch avait eu l'idée de faire de Merrick un sale type, ou du moins un type plus ordinaire, pas toujours bon, pas toujours poli, pas toujours d'une patience d'ange.


Ce qui fait que "Vénus noire" est difficilement regardable (ce qui en fait un film beaucoup plus fort que celui de Lynch à mon avis), c'est qu'on ne puisse pas se raccrocher au personnage de Saartjie, qui reste toujours distante, fermée ; jamais elle n'est sympathique, jamais on n'a le sentiment d'une complicité avec elle, qui fait qu'on pourrait faire alliance avec elle contre les autres (ce qui nous permettrait, à nous, de supporter le film plus facilement, de nous émouvoir, de nous apitoyer sur son sort; d'être du bon côté). On se sent rejeté, tout seul, on se sent très con aussi, à se demander ce qu'on fout là. Mais bon, je crois que c'est ça la grande idée du film : de nous mettre dans cette position-là, qui est bien moins confort que celle qu'on a devant le Lynch.

En le regardant, je me disais parfois : "Mais c'est pas possible, qu'est-ce tu fiches là ! C'était bien la peine de refuser d'aller voir Dancer in the dark, de trouver The Changelling imbuvable, si c'est pour se retrouver devant un de ces autres calvaires féminins insupportables..." Mais ce qui rend The Changelling imbuvable, c'est d'avoir à supporter les yeux pleins de larmes d'Angelina Jolie, tellement belle et touchante (sans parler du discours débile du film). Et Bjork, elle est pas trop mignonne, avec ses grosses lunettes, son amour maternel chevillé au corps ? J'avais aucune envie de la voir se faire pendre (je crois que ça se finit comme ça).

Kechiche est moins hypocrite. Il veut pas nous faire croire que la Vénus était un ange, ou une femme admirable - parce que du coup, ce que le spectateur se serait dit, c'est : "C'est trop injuste ! Lui faire subir ça, à elle !"
Là, on est bien plus emmerdé ; on peut pas se réfugier derrière ce genre d'excuses. Saartjie est ni admirable, ni abominable : c'est juste une femme, on sait rien de plus ; humaine, mais d'une humanité quelconque.
Ce qu'elle subit n'est pas injuste, inhumain, parce que c'est elle, en tant qu'elle-même, qui le subit (et qui, à ce titre, et à nos yeux de spectateurs, le "mériterait", un peu, beaucoup, pas du tout, en fonction de ses qualités et de ses défauts individuels, de ses choix, de ses erreurs). C'est inhumain en tant que tel, en tant que les spectacles forains ou médicaux nient l'humanité d'une femme quelconque.

Le spectateur, devant le film, est un peu comme le journaliste qui s'exclame : "Dommage qu'elle soit pas une princesse !" Ben oui, c'est pas une princesse. Mais qu'est-ce que ça change ? Qu'est-ce que ça aurait changé ?
C'est comme cette histoire avec Sakineh, "la belle Iranienne", qu'il faudrait sauver d'autant plus qu'elle est belle. Comme si, si elle était moche, ça serait dommage, et on y réfléchirait à deux fois avant de passer du temps à défendre la liberté et les droits de l'homme.

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Message par Borges Mer 10 Nov 2010 - 21:02

Sakineh, "la belle Iranienne", il est aussi important que ce soit une femme...la règle, bien entendu, c'est les femmes d'abord, surtout si elles sont belles... De même il est nécessaire qu'un irakien victime d'une bande de fascistes soit chrétien pour émouvoir les fascistes de l'autre bord; parce qu'un arabe chrétien, c'est déjà plus vraiment un arabe (grâce à la parabole des talents); de la même manière qu'un français musulman n'est pas vraiment un français...



ce que tu dis, eyquem, me fait penser à ce que disait kubrick, à propos de la peine de mort et de orange mécanique : "si je fais un film contre la peine de mort, je vais pas vous présenter un gars innocent, charmant, super humain et tout et vous dire ah, mais c'est pas bien de tuer ce mec...être contre la peine de mort, c'est être contre la peine de mort appliquée à un mec aussi ignoble que :
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Message par Présence Humaine Mer 10 Nov 2010 - 22:54

Eyquem a écrit:Pour en revenir à cette histoire d'humanité, on pourrait dire qu'à ce titre, le film de Lynch en reste à un partage très simple entre l'être et l'apparence. Extérieurement, c'est l'homme-éléphant ; intérieurement, c'est Roméo.
C'est un partage de conte bleu (la belle et la bête) ou de philosophie (Socrate comparé à un Silène : laid à l'extérieur, mais semblable à un dieu quand on l'ouvre en deux).

Le film de Lynch est aussi, typiquement, un de ceux dont on dirait que c'est un film humaniste. Il part avec une idée toute faite de l'homme ; et le problème du film, c'est d'opérer une traversée des apparences, fausses et monstrueuses, pour remonter jusqu'à cet être humain, Merrick tel qu'en lui-même, quand il n'apparaît plus comme un homme-éléphant, mais est le meilleur des hommes, aux yeux de ceux qui savent voir.

Ce qui fait qu'Elephant Man est un film regardable (pathétique, émouvant, et tout : c'est dur de pas pleurer à certaines scènes), c'est que Merrick est, au fond, tout comme nous : il connaît la Bible par coeur ; il aime sa mère ; il s'émeut à Shakespeare. Rien ne le sépare des autres, de nous, si ce n'est sa forme, et son extrême bonté.

Le film aurait posé des questions très différentes si Lynch avait eu l'idée de faire de Merrick un sale type, ou du moins un type plus ordinaire, pas toujours bon, pas toujours poli, pas toujours d'une patience d'ange.




Devant Elephant Man il y a eu pour moi une sorte de renversement: autant je n'aurais pas supporté le sale type, autant un certain type de faiblesse, de vulnérabilité ou de fragilité (appelons ça comme nous voulons) me dégoûte tout autant et empêche l'empathie ou la rend également difficile. Il y a un excès de bonté tout aussi répugnant qu'un excès de vice. Ca me rappelle l'insupportable rôle de Juanita Moore dans Imitation of life de Sirk

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Message par D&D Mer 10 Nov 2010 - 22:59

Je sais pas quoi citer dans le post de Borges, ou ce serait trop long.

En tout cas, je me suis déjà bien étranglé devant certains renvois d'Eyquem, mais là...
Je trouve ça épouvantable ce que t'as écrit Borges. Et triste.
Mais basta.
Et ce que tu as écrit n'a évidemment rien à voir avec ce que je questionne, ni avec ce qui interroge Largo (bien qu'on bute certainement sur la même chose).
Mais je n'ai plus le coeur, du tout, à repréciser.

Alors, elle est pas brillante, elle est pas joyeuse, mais c'est ma dernière intervention sur ce forum.
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Message par Eyquem Mer 10 Nov 2010 - 23:03

Sur ce que je dis d'Elephant Man, Jerzy a répondu ceci :

Jerzy a écrit:Lu à côté sous la plume d'Eyquem, qui se livre à une comparaison avec "elephant man":


Pour en revenir à cette histoire d'humanité, on pourrait dire qu'à ce titre, le film de Lynch en reste à un partage très simple entre l'être et l'apparence. Extérieurement, c'est l'homme-éléphant ; intérieurement, c'est Roméo.
C'est un partage de conte bleu (la belle et la bête) ou de philosophie (Socrate comparé à un Silène : laid à l'extérieur, mais semblable à un dieu quand on l'ouvre en deux).

Le film de Lynch est aussi, typiquement, un de ceux dont on dirait que c'est un film humaniste. Il part avec une idée toute faite de l'homme ; et le problème du film, c'est d'opérer une traversée des apparences, fausses et monstrueuses, pour remonter jusqu'à cet être humain, Merrick tel qu'en lui-même, quand il n'apparaît plus comme un homme-éléphant, mais est le meilleur des hommes, aux yeux de ceux qui savent voir.

[...]

Le film aurait posé des questions très différentes si Lynch avait eu l'idée de faire de Merrick un sale type, ou du moins un type plus ordinaire, pas toujours bon, pas toujours poli, pas toujours d'une patience d'ange.



Je n'ai pas vu 'la vénus noire", mais je ne partage pas du tout cette perception du film de Lynch.

Selon moi, John Merrick ne nous est pas présenté comme Roméo, le meilleur et le plus délicat des hommes "à l'intérieur, pour qui sait voir au delà des apparences, etc".

Ce sont là les constructions opérées sur John Merrick, et qu'il se réapproprie, on pourrait dire les "introjecte", en raison et à la mesure de sa soif inextinguible d'être apprécié, et plus encore reconnu "en tant qu'humain".

"Roméo", c'est la nomination effectuée par l'actrice de théâtre (Anne Bancroft), lorsqu'elle lui fait son numéro parfait d'actrice de théâtre: pas un cil ne bouge, maîtrise parfaite des muscles du visage, comme cela a été souligné, sublimation apparemment spontanée de cette "rencontre" qui est une opération de communication mondaine ou de prestige.
Il s'agit dans cette présentation, sollicitée par l'actrice, à l'homme-éléphant, d'inverser la perception spontanée par le "vulgaire", l'individu "non cultivé", "non éduqué", qui marque son dégoût sans contrôle de soi. Cette posture esthétique que Bourdieu analyserait en termes de stratégie de "distinction sociale".

Dans cette perspective de sublimation hypocrite, si on veut (surtout un défi de "performance" très gratifiant pour son narcissisme de comédienne en cote), il s'agit bien sûr d'aller directement à l'autre extrême, en occultant le corps: la valeur du pur esprit, l'Ange dans la bête, le simulacre grotesque de la rencontre miraculeuse entre la Belle et la Bête, Roméo le séducteur irrésistible dans le corps de Quasimodo, etc.

Le traditionnel et platonicien dualisme âme/corps n'est en rien dépassé, les termes en sont seulement permutés. Et on sait avec Deleuze que renverser le platonisme, ça ne consiste pas simplement à le répéter en mettant le "bas" à la place du "haut" et le "haut" à la place du "bas", ou par un mouvement de transgression consistant à loger "le très haut" dans" le très bas" et inversement, ce qui ne change pas grand chose, bien au contraire, entretient et réitère plus encore la puissance d'imprégnation de cette pure distinction duale, du modèle binaire.

L'énormité de la "triche" est tellement patente dans la scène de "Roméo" que Merrick lui-même en rit avec Bancroft. Les deux semblent presque plaisanter de cette mise en scène "hénaurme". On sent selon moi que Merrick, là, est prêt à payer le prix de la comédie, de l'hypocrisie mondaine. Un travestissement ou simulacre de sentiments, d'affects, car c'est la seule possibilité pour lui d'être accepté dans le "beau monde", de ne pas retourner dans les "bas-fonds" de la société. Il n'en est non seulement pas dupe, mais c'est le "deal" implicite: poursuivre sa carrière de "freak exhibé", dans la bonne société londonienne; c'est plus luxueux, plus confortable que d'être exhibé dans les foires.

Et, limite, on est autorisé à en rire avec lui. Autre exemple: quand Treeves lui présente sa nouvelle "garde-robe", de si élégants costumes. "Mes amis, oh, mes amis, mes amis", s'exclame Merrick et il ne peut réprimer un rire devant le burlesque de la situation, lié à l'écart entre le "type" et la "norme".
Seul devant son miroir, il "se la joue" en parodiant jusqu'à la moquerie les manières de la bonne société: "oh ma chère, oh mais c'est exquis", etc. Il s'en enchante tout en se foutant de lui-même, de toute cette comédie. Le gardien de nuit ne manquera pas de lui rappeler de quel côté de la barrière il est, dans le partage du sensible et des classes. Et là, la confrontation au miroir sera tout autre: un retour massif, brutal, sans métaphore et pour cela expérience de terreur, du refoulé.

Dans d'autres occasions, Merrick semble méditer sur le terme même d'ami, lorsqu'il le répète avec insistance devant Treeves: "my friend...". Avec quelque chose de noir, de cynique, dans le regard.


Dans ce régime de signes gouverné par une aliénation fondamentale, Merrick est pris. Il n'a pas une "intériorité" qui lui serait propre: il se mimétise dans le personnage raffiné, affecté, dont il comprend très vite que c'est la seule stratégie viable. D'un bout à l'autre du film, Merrick n'est jamais Merrick, cet homme raffiné et sublime "à l'intérieur", il reste l'homme-éléphant, bien sûr, j'entends par là celui dont l'intériorité n'existe et ne s'élabore qu'en fonction du regard et de la nomination de l'autre.
Comme tout le monde, dira-t-on. Ici, c'est maximalisé parce que, simplement, il ne peut pas se réapproprier, intégrer l'image de soi dans le miroir, même au prix d'un auto-aveuglement massif. Le "self" de Merrick, pour le dire autrement, est constamment et de pied en cap menacé d'effondrement, il ne dispose pas d'un pôle équilibrant dans le système de la reconnaissance de l'affection partagées; l'obstacle à cette possibilité est beaucoup trop violent.

Le retournement de la "bête" en "ange" est non seulement ce leurre décrit plus haut, qui opère déjà dans la récitation des versets de la bible au début, juste après l'entrevue avec le directeur de l'hôpital (pour le séduire, le retenir), mais on comprend aussi qu'il opère bien en amont, dans le rapport au visage de la mère, céleste, sublimé dans le médaillon, ainsi que le récit qu'il en propose.
Montrer le médaillon à ses hôtes deviendra un rite obligé des visites de courtoisie dans son petit intérieur bichonné, en écho symétrique aux récits de légende de son précédent "protecteur". Le spectacle continue: voyez d'où je viens... voyez ce que je suis... Ma mère, d'une beauté d'ange, sauvagement piétinée par des éléphants...).

Si Merrick connaît des versets de la bible par cœur, s'il se vit déjà bien à titre d'âme pure dans le pire des corps, ce n'est pas parce qu'il serait - par ailleurs - un homme cultivé etc, une pépite de noblesse dans un monde de "brutes vulgaires", c'est parce que la violence de son handicap le condamne de tous temps à cette sublimation forcenée.
Il s'exhorte lui-même, bien avant la rencontre avec Treeves puis Bancroft, à se vivre à travers le dualisme âme/corps. Il rêve de beauté, de pureté, de raffinement, de fanfreluches et de bonnes manières.

Là encore, non par un éthos de classe auquel il participerait par héritage (ce médaillon, d'ailleurs, n'est ce pas le cœur du leurre? Ce portrait de femme raffinée, est-ce bien sa mère, n'est-ce pas un objet trouvé et approprié dans une légende personnelle dorée? Un "truc" à la Kaspar Hauser?), mais justement parce que ce n'est PAS son éthos, ni son monde. C'est le lieu par excellence inaccessible, aux antipodes, un paradis perdu de toute origine.

D'où cette aptitude à cultiver, par compensation, consolation, jusqu'à l'hypertrophie, l'imitation des attributs de la classe aisée, sa généalogie fantasmée, ses "semblables" identifiés à la "mère" du médaillon.

Il ne peut PAS se vivre et se comporter comme un "sale type": sauf à déchoir et s'effondrer psychiquement; c'est une condition basique de survie pour lui que de s'identifier à un pur esprit, calqué sur le modèle de l'aristocratie londonienne.

Vers la fin du film, on l'a souligné également, la représentation théâtrale (un déluge de fanfreluches et de mauvais goût "bourgeois-kitsch", une féérie en toc, d'un certain point de vue désopilant) émeut, se dit-on de prime abord, Merrick au plus profond. Il en sort son mouchoir de manière affectée, mais ses larmes ne sont pas feintes.

Pleure-t-il de l'émotion suscitée par ce spectacle enchanteur? Oui et non. C'est ambigu et là est l'intelligence de Lynch. Le pathos est à double tranchant. Il le sera plus encore dans la scène où Merrick se lève au balcon, présenté par Bancroft sous les applaudissement nourris du tout Londres.
On est autorisé à penser que ce sur quoi Merrick pleure en regardant le spectacle, c'est sur sa mort prochaine, sur l'illusion persistante qu'a été sa vie: le rêve transi d'un état de sublimité, suspensive, limbique ("in heaven, everything is fine", chantait la dame dans le radiateur), qui lui a toujours été refusé et qu'il n'atteindra jamais. Il pleure peut-être de ressentir à quel point ce spectacle étincelant ne saurait se substituer, dans l'artifice de l'art (fût-il pompier), à sa vie passée, présente et future.

Eyquem a écrit:
Kechiche est moins hypocrite. Il veut pas nous faire croire que la Vénus était un ange, ou une femme admirable


En fonction de la perception différente que je propose du film, je ne crois pas, donc, que le film de Lynch joue la carte d'un humanisme aussi édifiant, compassé et frelaté, qu'il viserait à nous rendre captif d'une image de John Merrick l'homme d'exception, homme admirable emprisonné dans une enveloppe monstrueuse, digne enfant du Royaume adopté par "sa majesté" britannique, prouvant ainsi sa générosité et sa compassion envers ses sujets les plus humbles, les plus malheureux et les moins gâtés par la vie.

Ce dont Lynch parvient à nous rendre captif, ce serait bien plutôt, selon moi, des stratégies de survie, au total pathétiques, vaines, illusoires, d'un homme quelconque, tout à fait quelconque. Sa laideur effrayante ne fait pas de lui, par antithèse ou culture de l'antinomie, un homme exceptionnellement bon ou vertueux selon la carte postale stéréotypée opposant le "haut" et le "bas". Elle le contraint à épouser ce cliché. C'est différent.
En cela, tout homme quelconque est invité à se reconnaître: à reconnaître en John Merrick non pas l'être d'exception défiant un destin déterminé dont il s'arrache avant de mourir, reconnu et aimé de tous à proportion de cette "admirable" hauteur d'âme, mais l'homme quelconque qui va vers sa mort, solitaire et sans recours.
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Message par Largo Mer 10 Nov 2010 - 23:05

D&D a écrit:
Alors, elle est pas brillante, elle est pas joyeuse, mais c'est ma dernière intervention sur ce forum.

?! Ah, non, tu vas pas t'y mettre toi aussi. T'as pas le droit de partir comme ça.
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Message par Eyquem Mer 10 Nov 2010 - 23:11

D&D a écrit:Je sais pas quoi citer dans le post de Borges, ou ce serait trop long.

En tout cas, je me suis déjà bien étranglé devant certains renvois d'Eyquem, mais là...
Je trouve ça épouvantable ce que t'as écrit Borges. Et triste.
Mais basta.
Et ce que tu as écrit n'a évidemment rien à voir avec ce que je questionne, ni avec ce qui interroge Largo (bien qu'on bute certainement sur la même chose).
Mais je n'ai plus le coeur, du tout, à repréciser.

Alors, elle est pas brillante, elle est pas joyeuse, mais c'est ma dernière intervention sur ce forum.
Comment ça ?! Mais c'est fou. J'ai fait un seul renvoi, et j'ai dit pourquoi. Je pars des mêmes questions que toi et que Largo, pour voir avec vous ce qui fait question dans le film. Y a vraiment aucun procès d'intentions. C'est quoi cette histoire !

Depuis le début, on manipule des mots piégés : "humanité", "victime", etc. C'est un travail de déminage. C'est normal si y a des malentendus, des erreurs, des reprises, des maladresses, des imprudences. La vérité du film va pas nous tomber toute prête comme ça.

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Message par careful Mer 10 Nov 2010 - 23:30



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Message par Largo Mer 17 Nov 2010 - 10:39

Master class Kéchiche au Forum des images

Pas encore regardé.
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Message par adeline Jeu 18 Nov 2010 - 12:40

Hello tous,

Je suis enfin allée le voir il y a plus d’une semaine. Sorry d’avoir mis tant de temps à écrire, alors même que j’en avais tellement envie en sortant du film. Pour l'instant je dis juste pêle-mêle les trucs qui me sont passés par la tête depuis.

C’est vraiment très triste que la discussion ait blessé D&D. Il n’était dans tout ça question que d’idées, et comme le disait Eyquem, les mots et les idées que ce film-là induit sont vraiment chauds comme des marrons.

C’est d’autant plus triste que la discussion a pris un tour qu’à mon avis le film n’appelle pas. Toute cette histoire autour de l’humanité de Saartje n’a, je crois, rien à voir avec le film. On peut y arriver si on pense à côté du film, mais dans le film non. Pour preuve, tout ce qui fait la vie de Saartje hors des deux scènes du spectacle et de la science : elle entre dans un magasin pour s’acheter un chapeau, et elle est reçue comme une dame, ce qu’elle est. Elle parle peu, mais elle n’est absolument pas mutique ; elle parle un très bon afrikaaner (?) et apprend l’anglai. Elle est appelée comme témoin à la barre du tribunal, et le fait même qu’on veuille la défendre contre l’esclavagisme de son maître montre qu’elle est pour la justice un être humain. Il ne semble jamais que les hommes qui couchent avec elle aient l’impression de transgresser quelque chose, ils couchent avec une magnifique femme. Saartje est, dans sa vie et avec les gens qui la connaissent, comme vous et moi. C’est ainsi que le film la montre.

Il est évident qu’il faut faire la comparaison avec Elephant Man, même si certaines choses ne sont pas aussi évidentes. Déjà, le fait que l’humanité de Saartje est acquise au début du film, alors que Elephant Man montre justement comment Merrick doit la conquérir. Ce qui serait « monstrueux » chez Saartje est invisible, et n’est d’ailleurs jamais directement montré par le film, alors que Merrick porte sa difformité sur son visage. Elephant Man montre les liens entre le monde forain, la médecine et les beaux salons, alors que Vénus noire montre également la scène de la justice, et la médecine y vaut pour toutes les sciences de l’homme.

Et surtout, l’histoire du film, dont on a peu parlé ici jusqu’à présent, est celle, très classique, très racontée, d’une jeune fille qui tombe dans la prostitution et en meurt. Rien de plus, je crois, que « Vivre sa vie ». Et pour moi, le racisme, et tout ce qu’induit le fait que le personnage principal est précisément Saartje dont l’histoire est historique, est un élément parmi d’autres d’une réflexion sur l’"objectivation" d’un être humain. Le film ne parle que de ça, comment tous instrumentalisent Saartje d’une manière ou d’une autre, et comment, malgré sa résistance incroyable et les limites qu’elle tracent sans cesse et tient quand elle le peut, elle est peu à peu broyée au nom de mille intérêts différents, et convergents. Mais c’est une instrumentalisation qui n’est pas faite au prétexte que l’être en question ne serait pas humain, sauf dans le cas des scientifiques, et il est intéressant justement de voir qu’ils construisent cette inhumanité dans leur recherche des origines de l’être humain alors qu’elle est sinon acquise sans problème aucun. C’est l’instrumentalisation de l’acteur par son metteur en scène, celle de la prostituée par le maquereau, celle de la victime par son défenseur, celle de l’objet de son étude par un scientifique. La dernière scène montre que dans la cas de Saartje, dont l’histoire regroupe tous ces cas de figure, cette objectivation a eu lieu au sens propre après sa mort, alors que la limite des limites est transgressée par le scientifique qui la dépèce pendant que le moulage de son corps devient une statue.

J’ai trouvé le film époustouflant. Limpide, direct, évident, et insupportable, comme le dit Eyquem. Je n’ai jamais eu l’impression que la même scène était répétée en vain, mais que chaque scène de spectacle et de danse était une étape de plus dans ce qu’on fait à Saartje. Et la scène de du tribunal, les scènes avec les scientifiques sont au même niveau que les scènes de danse. Toute la question que pose le film est celle du respect des limites édictées par celui dont le corps est utilisé dans un spectacle ou l’autre. Saartje ne cesse de mettre une limite. Elle est pour mille raisons contraintes de céder, d’aller un peu plus loin à chaque fois. Et le rôle de peintre est alors simplement de montrer qu’on peut écouter celui qu’on peint, qu’on met en scène, qu’on baise ou qu’on dissèque, et que l’écouter c’est le respecter. Le peintre l’écoute, et la respecte, ce qu’aucun des autres personnages du film ne fait, quand bien même certains sont moins horribles que les autres.

L’aller-retour constant entre le point de vue de Saartje et de ceux qui regardent permet de comprendre comment tous les liens se tissent, et comment on peut aussi prendre conscience de ce qu’on fait, comme lorsque le premier metteur en scène assiste au premier spectacle chez les bourgeois de Paris. Il voit alors le rôle qu’il jouait avant. Si on sent tout ce que subit Saartje, on est aussi chaque spectateur, et je trouve ça très fort de réussir à nous faire sentir les deux côtés de la scène à chaque fois (au tribunal aussi).

Sur la manière dont Saartje se comporte, le fait qu’elle semble inexpressive et fermée. Je vois ça comme la conséquence directe, dans sa vie mais aussi dans le film, de la répétition des scènes de danse : elle est épuisée, détruite et défaite dès le début du film, car on veut tirer d’elle tout ce qu’il est possible de tirer. Elle boit pour tenir, elle fait ce qu’elle peut, mais je ne sens dans son visage si fermé qu’une immense fatigue.

Je suis très impressionnée par la manière dont Kechiche raconte cette histoire, une descente aux enfers, une déchéance, sans jamais que Saartje ne soit avilie, salie, humiliée dans le regard que le film porte sur elle. C’est en tous cas ainsi que je l’ai vécu.

adeline

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Message par glj Ven 19 Nov 2010 - 23:50

salut à tous,
pas vu le film
mais ce que tu dis Adeline sur Saartje et son état de fatigue me semble à mettre sur le même niveau que le personnage du vieil homme (dont j'ai oublié le nom) qui veut ouvrir un restaurant sur une péniche à Marseille dans La Graine et le Mulet. Personnage lui aussi assez fermé, parlant mais parlant très peu, fatigué par la vie mais courant après elle jusqu'à la fin (la dernière scène de poursuite des jeunes en mob' perdue d'avance et jusqu'à bout de souffle dans les quartiers populaire de Marseille), personnage fatigué par sa vie d'ouvrier, d'homme exploité tout au long de sa vie.

On sait aussi que chez Kechiche, la scène est le lieu ou tout est sur le fil du rasoir, ou tout tient par miracle et ou la vérité des êtres éclate à la vue de tous : elle représente ce qui doit en rien et sous aucun prétexte se fissurer, lieu du lien social et de la reconnaissance, elle dit ce qui s’intègre ou pas.




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Message par balthazar claes Lun 22 Nov 2010 - 22:26


Doc Les zoos humains
envoyé par fanstes. - Plus de vidéos de blogueurs.


un documentaire d'arte sur le sujet

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Message par Largo Dim 28 Nov 2010 - 15:15

(Elephant Man, mardi 19h, à la Filmothèque, pour ceux que ça intéresse Wink)
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Message par Présence Humaine Dim 28 Nov 2010 - 15:19

th th, c'est lundi 19h,
mais c'est pas un film que j'ai envie de revoir, il est encore très clair dans ma tête.
Tiens y'a Dune après, j'ai jamais vu Dune. C'est comment?
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Message par Largo Dim 28 Nov 2010 - 15:32

Oups Embarassed

Dune, c'est...une curiosité quoi. Ca a sacrément mal vieilli dans mon souvenir.
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Message par Présence Humaine Dim 28 Nov 2010 - 15:56

pour se tromper dans les horaires ça n'arrive qu'avec l'Officiel des spectacles.
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Message par Borges Dim 28 Nov 2010 - 17:53

adeline a écrit:


Et surtout, l’histoire du film, dont on a peu parlé ici jusqu’à présent, est celle, très classique, très racontée, d’une jeune fille qui tombe dans la prostitution et en meurt. Rien de plus, je crois, que « Vivre sa vie ».


c'est largo qui demandait pourquoi ce titre "la vénus noire"; adeline donne ici la raison, je crois; le film de godard bien entendu retravaille le livre de zola, "nana","la vénus blonde",






mais c'est surtout au film de josef von s qu'il faut penser : la vénus blonde






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Message par Borges Dim 28 Nov 2010 - 17:58

Largo a écrit:

Dune, c'est...une curiosité quoi. Ca a sacrément mal vieilli dans mon souvenir.

dune, c'est plus que mauvais; rien que penser à sting ça donne pas envie ; mais y a des choses bien, dans ce truc "inachevé"
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Message par Présence Humaine Dim 28 Nov 2010 - 18:05

bon alors j'irai voir Le dernier voyage de Tanya.
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Message par Borges Lun 29 Nov 2010 - 11:40

Borges a écrit:
adeline a écrit:


Et surtout, l’histoire du film, dont on a peu parlé ici jusqu’à présent, est celle, très classique, très racontée, d’une jeune fille qui tombe dans la prostitution et en meurt. Rien de plus, je crois, que « Vivre sa vie ».


c'est largo qui demandait pourquoi ce titre "la vénus noire"; adeline donne ici la raison, je crois; le film de godard bien entendu retravaille le livre de zola, "nana","la vénus blonde",






mais c'est surtout au film de josef von s qu'il faut penser : la vénus blonde







ai vu le film après avoir écrit ça; comment dire mon étonnement : tout le monde connaît la scène de "vivre sa vie" où nana est au cinéma, et voit jeanne d'arc; dans le film de K on retrouve ces deux prénoms lors de la scène du pari (qui boira le plus) : nana et jeanne; pendant tout le film, surtout lors de la partie parisienne, j'ai pensé à baudelaire, c'est seulement maintenant, que je me souviens que sa célèbre maîtresse, muse, (métisse, comme on dit), s'appelait jeanne, jeanne duval; il la surnommait "vénus noire"; elle fut à l'origine de quelques poèmes, dont un de mes favoris de baudelaire (cité en d'autres circonstances par eyquem) :





Le Cygne
A Victor Hugo



I

Andromaque, je pense à vous! Ce petit fleuve,
Pauvre et triste miroir où jadis resplendit
L'immense majesté de vos douleurs de veuve,
Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,

A fécondé soudain ma mémoire fertile,
Comme je traversais le nouveau Carrousel.
Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une ville
Change plus vite, hélas! que le coeur d'un mortel);

Je ne vois qu'en esprit tout ce camp de baraques,
Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts,
Les herbes, les gros blocs verdis par l'eau des flaques,
Et, brillant aux carreaux, le bric-à-brac confus.

Là s'étalait jadis une ménagerie;
Là je vis, un matin, à l'heure où sous les cieux
Froids et clairs le Travail s'éveille, où la voirie
Pousse un sombre ouragan dans l'air silencieux,

Un cygne qui s'était évadé de sa cage,
Et, de ses pieds palmés frottant le pavé sec,
Sur le sol raboteux traînait son blanc plumage.
Près d'un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec

Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,
Et disait, le coeur plein de son beau lac natal:
"Eau, quand donc pleuvras-tu? quand tonneras-tu, foudre?"
Je vois ce malheureux, mythe étrange et fatal,

Vers le ciel quelquefois, comme l'homme d'Ovide,
Vers le ciel ironique et cruellement bleu,
Sur son cou convulsif tendant sa tête avide
Comme s'il adressait des reproches à Dieu!

II

Paris change! mais rien dans ma mélancolie
N'a bougé! palais neufs, échafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.

Aussi devant ce Louvre une image m'opprime:
Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous,
Comme les exilés, ridicule et sublime
Et rongé d'un désir sans trêve! et puis à vous,

Andromaque, des bras d'un grand époux tombée,
Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,
Auprès d'un tombeau vide en extase courbée
Veuve d'Hector, hélas! et femme d'Hélénus!

Je pense à la négresse, amaigrie et phtisique
Piétinant dans la boue, et cherchant, l'oeil hagard,
Les cocotiers absents de la superbe Afrique
Derrière la muraille immense du brouillard;



A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve
Jamais, jamais! à ceux qui s'abreuvent de pleurs
Et tètent la Douleur comme une bonne louve!
Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs!

Ainsi dans la forêt où mon esprit s'exile

Un vieux Souvenir sonne à plein souffle du cor!
Je pense aux matelots oubliés dans une île,
Aux captifs, aux vaincus!... à bien d'autres encor!





dommage que K n'ait pas développé cette thématique, du cygne, de l'analogie antique...

Vénus noire (A. Kechiche) - Page 3 Images?q=tbn:ANd9GcSs6C61tMCkX8f7WafDfv6GJi36DQb57phFID6BR17R-onkdpHZ

JD par manet
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Message par Borges Lun 29 Nov 2010 - 14:09

http://volfilm.com/watch.php?v=18019

le début de Monsieur Klein; le travail d'un descendant de cuvier
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Message par Borges Lun 29 Nov 2010 - 17:30

Largo a écrit:


« Vénus noire » de Kechiche : le spectacle de l'humanité avariée
Par Eugenio Renzi | Independencia.fr | 27/10/2010 | 16H55


A l'occasion de la sortie en salles, ce mercredi, du film « Vénus noire » d'Abdellatif Kechiche, nous rediffusons l'article écrit en septembre 2010 par notre partenaire Independencia.fr lors de la présentation du film à la Mostra de Venise. Pas vraiment dans le consensus… (De nos archives)

(De Venise) Chaque spectacle a son type d'applaudissement. Vendredi, Manoel de Oliveira, qui a un court-métrage dans la section Orizzonti, a été accueilli par une double ovation : d'abord quand il est entré dans la sala Perla, ensuite lorsque [le directeur artistique de la Mostra] Marco Müller l'a présenté.

C'est d'ailleurs un enthousiasme qui n'est nullement lié au film. En effet, la fin de « Painéis de Sao Vicente de Fora, Visao Poética » (un film extraordinaire, sur lequel je reviendrai) a été salué par des applaudissements polis. Probablement Manoel aurait-il préféré l'inverse.

Toujours dans la catégorie applaudissements avant le film, il y aussi celui, en général bref, qui salue l'apparition du nom du réalisateur ou d'un acteur. Ça a été le cas pour le film de Vincent Gallo -un mélange entre hommage à l'artiste et impatience de voir le film.

Il y a un troisième mouvement. Il y a trois ans, ayant raté la projection presse de « La Graine et le mulet », j'ai assisté à la projection publique dans la Sala Grande. Applaudissements polis à l'arrivée d'Abdellatif Kechiche, alors peu connu en Italie -« L'Esquive » avait été distribué de façon très confidentielle, doublé (sic), et affublé du titre : « La Schivata » (qui ne veut rien dire). Pourtant, une longue ovation a retenti à la fin de l'interminable séquence de danse du ventre. Un vrai triomphe.

Quel regard portons-nous sur le spectacle ? Vide ? Plein ? Bienveillant ? Malveillant ? Le thème de « Vénus noire » [le nouveau film d'Abdellatif Kechiche inspiré de l'histoire vraie de la « Vénus hottentote », cette Sud-Africaine exhibée dans les salons européens au début du XIXe siècle, ndlr] c'est exactement cela.
Une galerie de spectacle

Le film est une galerie de spectacles. Eternel retour de l'identique : spectacle de la science dans l'amphithéâtre d'une université au moment de la Restauration ; spectacle de cirque dans un petit théâtre londonien où un Afrikaner exhibe une femme callipyge, la Vénus noire. Spectacle de la même Vénus noire, cette fois dans la bonne société londonienne, puis parisienne.

Dans chacun de ces théâtres, socialement très différents, la caméra de Kechiche se meut de façon identique. Ses séquences, mais ce n'est pas nouveau, sont étirées jusqu'aux limites du supportable.

Alors que ses cadrages s'entassent rapidement, soulignant tantôt les expressions de désarroi, de souffrance de la Vénus Noire, tantôt les visages soit surpris, soit hilares des regardeurs. Le jeu qui alterne scène de spectacle et d'appartement n'est pas exactement un champ contre-champ. (Voir la bande-annonce)


Volontairement confus et bavard, le découpage de Kechiche cherche bien plus à malmener l'axe central, l'avant-scène, sur lequel se croisent et s'opposent les regards du public et des acteurs ; et, dans le même temps, de suggérer la sensation qu'il n'existe qu'un seul champ, plat, qui, comme les vitrines d'un musée d'histoire naturelle, accueille et range les différentes espèces.

Que les choses soient claires : chez Kechiche, les spectateurs ont toujours les yeux rivés sur la scène. Dans le champ opposé, les acteurs ont toujours les yeux rivés sur la salle. Mais que voient ces yeux ?

Un exemple. Gros plan sur un spectateur. Contre-champ : détails, en gros plan ou en très gros plan, sur la Vénus. Le contre-champ est trop serré pour représenter la subjectivité du champ. Ou encore, l'œil du film ne se confond, ni ne représente jamais celui du public ou des artistes. Tous ces champs appartiennent à un observateur extérieur à la scène : le cinéaste. Le seul à voir ce qu'il faut voir, c'est lui et vous avec lui.
Une humanité avariée

Que voit Kechiche, que voyez-vous ? Des choses laides, mes amis. Une humanité avariée. Sale, grossière, édentée (le sous-prolétariat londonien) ou alors lascive et sophistiquée (les salons de la Restauration) enfin rigide, ampoulée, parvenu (les savants). Et malgré cette diversité, ces différentes couleurs, c'est une humanité privée de différences morales. Son regard, observez bien, est toujours le même.

Et le vôtre ? « Vénus noire » est le film le plus radical et le plus théorique de Kechiche. Cette danse du ventre vers laquelle tout le film précédent tendait est ici isolée, atomisée, et répétée pendant trois heures.

Et vous vous souviendrez que là aussi, le public n'était pas des plus sympathiques. Pas même enveloppée par quelque cape obscure, mais au contraire illuminée, l'avant scène était une dissection sans pitié : rires grossiers, faces décomposées, ventres et regards affamés de notables de province. Et sur scène une jeune fille, pas moins souffrante que notre Venus, à agiter un ventre gonflé.

Vous regardez une humanité qui n'est pas très différente. Toute aussi prompte à toucher, sectionner, mesurer le corps de la Vénus callipyge. Kechiche réitère du début à la fin la même impatience positiviste. En commençant par un discours scientifique. Dessins, mesures, preuves…

En appuyant la thèse que la Callipyge est une être plus proche du singe que de l'homme. Un bocal en verre contenant ses parties génitales circule dans l'amphithéâtre. Les auditeurs se le font passer et le regardent avec attention. Le film aurait pu s'arrêter là. A partir de cet instant et ensuite, il n'arrivera rien d'autre que la réitération de ce que j'ai déjà décrit.

Sinon la mise en scène de cette curiosité morbide pour la dissection, le détail et la mesure du corps, à travers une Europe cassée, jusqu'à retourner dans cette salle.

Celui qui a vu le film dira maintenant : et l'artiste ? Bien sûr il y a un artiste. Le seul qui regarde Vénus avec respect et intérêt. Le seul à ne pas lui ôter trop rapidement sa culotte. Le seul qui l'a peint dans son entièreté. Dans une scène, deux actions opposées se confrontent au travers d'un montage parallèle.

Alors que le corps médical dissèque la Vénus et qu'ils arrivent à leurs conclusions scientifiques, l'artiste reconstruit son corps, grâce au crayon, puis au pinceau qui le colore amoureusement.
Le moment-clé est raté

La première chose qui saute aux yeux, c'est que la séquence en question qui aurait pu être très belle, est totalement ratée. A cause d'un cinéma qui ne connaît ni le montage, ni l'ellipse, le moment-clé est résolu de façon étrangement rapide et gâchée.

La seconde observation que l'on pourrait faire, plus importante, c'est que par rapport à ces deux mondes qui agissent en parallèle, l'un reconstruisant, l'autre disséquant, Kechiche se place nettement dans le camp de la science et de ses doctes disséqueurs.

L'affiche de "Vénus noire" d'Abdellatif KechicheA aucun endroit du film (et on pourrait le dire pour l'ensemble des films de Kechiche) vous ne trouverez une scène qui réponde, qui incarne le prototype respectueux et créatif de l'artiste ; au contraire, chacun des plans du film est l'émanation directe du discours des doctes : nous devons mesurer la tête, le nez, la mâchoire.

Ces trois longues heures n'ont alors pas été vaines, si nous avons compris ce qui dans ses films précédents était uniquement déductible. Avec la « Vénus Noire », les cartes sont sur table. Qui ne veut pas les voir est soit menteur, soit aveugle.

Dans le générique de fin, une surprise. Des images télévisuelles montrent le retour du corps de la Callipyge à Cape Town, fêté à coup de danses africaines. Ce bonus démonstratif était absolument gratuit d'un point de vue narratif. L'épilogue contemporain de l'aventure avait déjà été raconté par de sobres didascalies. Mais il fallait les images. Il fallait encore des ventres et des pennacchi. Cette fois vrai. Il est difficile de dire si Kechiche se rend compte qu'à partir du moment où il rend une image aussi terne du monde, il se place à la tête de l'humanité qu'il décrit.
Un film où chaque regard est raciste

De ce que j'ai lu, il croit avoir fait un film sur le racisme, sur le fait que chaque enfant à un regard. Moi je n'ai vu qu'un film où chaque regard est raciste. Et ça ne me semble pas la même chose.

Je ne sais pas ce qu'il s'est passé dans la Sala Grande. A la projection presse, le film a été accueilli de façon glaciale. Peut-être les spectateurs ont-ils été gelés par l'émotion. Qui peut le dire ? Parmi les journalistes, j'ai recueilli ces dernières heures des avis très opposés. Parions qu'un peu par devoir et, comme avec le « Carlos » d'Assayas, on ne lira bientôt que des commentaires admiratifs. Les seuls à avoir osé mettre un bémol (bien que vague et ambigu) ont reçu un texto de mise en garde de la part des attachés de presse.

Traduction : Valentina Novati

► Article initialement publié le 11/09/10

► Correction le 12/9/2010 à 23h30. Modification du dernier paragraphe par l'auteur.

http://www.rue89.com/cineindependencia/2010/09/11/venus-noire-dabdellatif-kechiche-le-spectacle-de-lhumanite-avariee-1661

voici un texte sur lequel il faudra revenir, le relisant, je me marre; le critique indépendant et lamentablement paresseux, reproche à K son regard raciste, scientifique, d'être du côté des doctes; lisez le texte et vous verrez que c'est le rêve du mec, son idéal, il joue au critique scientifique, technique, et même au docte; il ne dit jamais le nom ni le prénom de la vénus noire, il préfère la désigner par un terme grec, après tout vénus était d'abord grecque : callipyge; hélas, le mec est aussi fort en grec qu'en cinéma :

la vénus Callipyge,

Vénus noire (A. Kechiche) - Page 3 200px-Callipygian_Venus_Barois_Louvre_MR1999


La Vénus callipyge (en grec ancien Ἀφροδίτη Καλλίπυγος, soit Aphroditê Kallipygos) est un type particulier de statue grecque représentant la déesse Vénus, ou plus exactement Aphrodite, soulevant son péplos pour regarder ses fesses, forcément superbes (kalos = beau, pygos = fesse), par dessus l'épaule.


la"vénus noire" n'est pas callipyge, mais bien plutôt stéatopyge



Vénus noire (A. Kechiche) - Page 3 180px-Hotentoci-zOrgelbranda

La stéatopygie est une hyperplasie génétique du tissu adipeux de la région fessière, s'étendant souvent à la partie antéro-latérale des cuisses et parfois jusqu'au genou.


c'est toujours une affaire de cul, mais pas exactement le même; voilà le problème du mec, pourquoi il en veut tellement au cinéaste, il rêvait de beau cul, et on lui montre un gros cul; quoi de plus raciste; à moins que cela ne soit de l'ironie, le même que celui des spectateurs et des "maîtres" de SB; vénus est blanche et ressemble à une statue grecque...dans l'esprit du petit con d'independencia;




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Message par adeline Lun 29 Nov 2010 - 18:44

Hello Borges,

il en avait été question dans les commentaires de l'article sur rue 89, quelqu'un avait relevé l'erreur :
http://www.rue89.com/cineindependencia/2010/09/11/venus-noire-dabdellatif-kechiche-le-spectacle-de-lhumanite-avariee-1661?page=1#commentaires

Il semblerait que ce soit un choix de la traductrice, qui trouve mieux "callipyge". Si tant est que "sonner mieux" soit ce qui doit guider le choix en traduction... Elle dit aussi que "callipyge" est utilisé par Kechiche. Faudrait voir le terme que Renzi a utilisé en italien.



Et vous vous souviendrez que là aussi, le public n'était pas des plus sympathiques. Pas même enveloppée par quelque cape obscure, mais au contraire illuminée, l'avant scène était une dissection sans pitié : rires grossiers, faces décomposées, ventres et regards affamés de notables de province. Et sur scène une jeune fille, pas moins souffrante que notre Venus, à agiter un ventre gonflé.

Lorsque je lis ces mots de Renzi, je me dis que c'est lui qui a un soucis, et non pas les films de Kéchiche. Hafsia Herzi est sans doute épuisée de devoir danser jusqu'à ce que le couscous arrive au restaurant. Mais elle ne souffre pas. Elle est souveraine et méprise son public. Tout l'inverse de Saartje. Et surtout, elle n'"agite pas un ventre gonflé", une phrase inique, et de Renzi, elle danse magnifiquement. Lorsqu'on se cambre, dans la danse du ventre, on n'en a pas pour autant le ventre gonflé. C'est une étrange manière de décrire une danseuse du ventre.

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