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DES hommes et DES dieux (X. Beauvois)

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Message par Borges Dim 19 Sep 2010 - 15:10

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Message par Borges Dim 19 Sep 2010 - 16:07






DES hommes et DES dieux (X. Beauvois) 17018-des_hommes_et_des_dieux







devant une image, devant cette image; on peut se demander : "où est la place du "spectateur"; "où est ma place", serait une question plus juste?

tout film nous assigne une place, quand il n'est pas émancipateur (dirait Rancière)


peut-on, se situer à la place de ces prêtres, pour regarder, observer, voir, un peu craintif, cette "rencontre"?

et cette lampe qui sépare les deux hommes, depuis quel dieu éclaire-t-elle?

des Dieux?

la division, dès le titre; que les hommes soient plusieurs, c'est évident; dieu, dans le monothéisme, c'est pas aussi simple; chacun croit le sien, le seul, l'unique, le bon, le vrai;



des dieux, pas Dieu et des hommes

il y aurait au moins deux dieu, pour ce film;


mais c'est aller trop vite,
c'est juste une image;
pourquoi l'avoir choisie;


en attendant d'y revenir on peut parler d'autres choses;



Avant de parler de cinéma, ou d'essayer d'en parler, comme si cela pouvait présenter le moindre intérêt; je crois qu'il peut être intéressant de révéler que Je viens de terminer deux nouvelles de Hemingway, qui me font détester les adversaires de la tauromachie. Comment voir en eux autre chose que de belles âmes qui voudraient vivre sans jamais se confronter à la puissance du néant? La seule personne dont j'accepterais l'avis en cette matière devrait avoir affronté un taureau; les autres tissent du vent, font de leur lâcheté un amour. L'amour des animaux, dont on ne sait plus rien, une fois qu'on les a domestiqués, réduit à rien; même choses avec les Indiens, les sauvages; faut voir « shining » ou lire le texte de DHLawrence pour savoir ce que l'indien a pu représenter dans l'imaginaire des colons, un démon rouge, au sens fort du mot; de vrais démons; le film de kubrick est le seul qui rende cette peur de l'indien, celle qu'avait si bien senti DHLawrence: en voici un passage :



The Aztec is gone, and the Incas. The Red lndian, the Esquimo, the Patagonian are reduced to negligible numbers.
0u sont les neiges d'antan?

My dear, wherever they are, they will come down again next winter, sure as houses.

Not that the Red Indian will ever possess the broad lands of America. At least I presume not. But his ghost will.


The Red Man died hating the white man. What remnant of him lives, lives hating the white man. Go near the Indians, and you just feel it. As far as we are concerned, the Red Man is subtly and unremittingly diabolic. Even when he doesn't know it. He is dispossessed in life, and unforgiving. He doesn't believe in us and our civilization, and so is our mystic enemy, for we push him off the face of the earth.

Belief is a mysterious thing. It is the only healer of the soul's wounds. There is no belief in the world.

The Red Man is dead, disbelieving in us. He is dead and unappeased. Do not imagine him happy in his Happy Hunting Ground. No. Only those that die in belief die happy. Those that are pushed out of life in chagrin come back unappeased, for revenge
.




Those that are pushed out of life in chagrin come back unappeased, for revenge




depuis cette phrase, que penser du retour de ces prêtres, reviennent-ils "for revenge"?
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Message par Eyquem Dim 19 Sep 2010 - 18:20

Je ne sais pas répondre. Voir les moines comme les Indiens de ce western ? Ce serait quand même le monde à l'envers. J'attends que tu en dises plus.

"Only those that die in belief die happy" : ce serait plutôt ça le film, non ?
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Message par Borges Dim 19 Sep 2010 - 18:22


si je vois pas mal de films ( et revois) je ne lis plus que de la fiction; comment parler de cinéma, alors que mon désir serait d'écrire une nouvelle qui tienne la distance face à Carver; mon désir actuel; je veux dire mon désir en ce moment même; c'est pas que je le tienne pour une mesure absolue en écriture; loin de là; après quelques textes, on s'en fatigue; on se dit que cette recherche de l'essentiel, manque tout de même de l'accidentel, du superflu, de tout le reste, de tout ce qui reste une fois que l'on a cru avoir atteint le fond sobre des choses, le « rien à dire, c'est comme ça » plein de poésie et de compassion.

Mais ces insuffisances(celles que je sens dans Carver) ne pèsent pas lourd face à ses leçon, à sa rhétorique et à sa morale; une morale d'ancien alcoolique : rester sobre, ne pas céder à l'ivresse, et au nihilisme; c'est une attitude qu' on retrouve dans Ford, même s'il avait plus de peine à tenir la ligne pure et sobre, où la danse devient une marche, où le secret s'affiche sur le visage et reste pourtant invisible; c'est curieux, comme les plus grands américains (les classiques hollywoodiens, qu'on nous ressort sans arrêt) touchent au zen, pas nécessairement ceux qui s'en réclament : ils racontent des histoires, sans se raconter des histoires; ils se débattent dans cette différence; même mouvement chez Beckett; bien entendu on peut appeler ça autrement que « zen « ;

alors, ce qu'il faut retenir de Carver : faire court, savoir placer ses points, ne pas théoriser, expliquer, analyser; un vrai défi.














Donc parler du film de XB; tenter d'en parler, sans trop s'y intéresser tout de même; le film de beauvois n'est peut-être pas dans le film de beauvois;

penser ici que je dialogue avec l'idiot de macé; le pire des idiots peut donner de quoi penser; il lui suffit d'écrire des mots, « immanence », « service », « mort'.... « stromboli »....


de XB, je sais rien; peu; je n'ai vu que le petit lieutenant; le film existe, avec la force des film réactionnaires et nihiliste; la force de l'impuissance; une puissance terrible; mais c'est aussi un remake de madame bovary; transposé dans un monde de flics, ruinés par le vide, le nihilisme et l'alcool; on peut se poser la question de Rancière : qui donc a tué le petit lieutenant; la réponse est simple, presque trop simple : le cinéma; le jeune naïf a vu trop de films, et ça l'a tué; le cinéma est coupable; c'est un peu ce que disait flaubert; c'est la littérature qui a tué emma;

« police, cinéma », aurait pu être son titre, au lieu du « petit lieutenant »; l'inverse du film du roumain, (son nom m'échappe, police adjectif), mais un film, qu'aurait adoré wittgenstein; nous ne parlons pas le même langage dit le chef au jeune flic; et pour échapper au différend, à la différence, il se réfère à la loi du langage, à ce qu'il croit être la loi du langage; on n'entre dans la loi que par le langage; comme dit lacan, si nul n'est censé ignoré la loi, c'est qu'elle est la loi du langage; nous sommes d'abord soumis à sa Loi; c'est par elle que nous entrons dans le monde, dans la loi; le flic ne comprend pas non plus sa femme, l'usage des mots dans une chanson de variété; il veut de la précision; éliminer presque la figure, la métaphore, l'image; idéal cinématographique d'un auteur d'abord marqué par la littérature; comme c'est étrange;

qui a tué le petit lieutenant?

c'est la question de Beauvois : la mort (c »est la force de ses films, du seul que j'ai vu, en tous les cas); son problème; si ce problème est bien posé, il doit rencontrer son cinéma; après tout; il y a ceux qui se sauvent par leur art, et ceux qui en meurent, ou l'accusent de les avoir tués, arraché à la vie, etc;
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Message par Borges Dim 19 Sep 2010 - 18:32

hello; comme tu dis, ce serait le monde à l'envers; c'est juste une analogie, dont je dois moi-même réussir à tirer quelque chose; les moines seraient plutôt des "colons", ou du moins ceux qui cachent la colonisation (ce qu'on appelle les humanitaires) : le fameux sujet universel scindé, en victime (purement animal) et "sauveur", qui donnent leur vie pour...

en fait ma question aurait pu se passer de cette référence, l'essentiel c'est juste de demander : "pourquoi ces prêtres assassinés (même si on nous présente plutôt la chose comme une mort acceptée; répétition de la mort de Jésus) reviennent-ils, au cinéma, mais pas seulement, maintenant, dans le monde où "nous" sommes; de quel retour s'agit-il? celui de la vengeance, ou celui de la réconciliation, comme on dit; bien entendu cette question se pose depuis l'horizon de réception du film, la situation que" nous" vivons?






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Message par Borges Dim 19 Sep 2010 - 18:36

"Only those that die in belief die happy" : ce serait plutôt ça le film, non ?

bien entendu; c'est la croyance que veut nous faire partager le film; on rejoint la question essentielle, celle que macé dit centrale au cinéma de beauvois : qu'est-ce que mourir? l'être pour la mort (heideggerien); mourir, trouve-t-il son sens dans le service (conception assez fasciste)...
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Message par Borges Dim 19 Sep 2010 - 18:56

Beauvois a retourné stromboli, dit Macé;

on se demande un peu pourquoi, il aurait fait ça; un film tourné; pourquoi le retourner? C'est la question, dont Z se branle; lui, ce qui le choque c'est de rapprocher les deux cinéastes et le consensus autour du film : tout le monde crie au génie. C'est pas que la télé fasse triompher son esthétique, c'est que l'horizon de réception idéologique est très favorable; quelques critiques indépendants (independencia, qu'ils s'appellent) travaillent beaucoup à nous fabriquer une jugement cinéphilique religieux; le cinéma serait religieux par essence; de vrais prêtres de la critique;

il faut pas rejeter d'emblée les conneries de Macé; il faut juste penser à sa place les mots qu'ils utilise;

Z fait cette critique au rapprochement : ce qui distinguerait RR de XB, c'est que chez Rossellini, « y a pas de travail vers le public, vers ce que doit être le film pour le public, ni rien de pesant; chez Beauvois tout pèse, tout est pesé »; je ne dis pas que c'est faux; je dis que c'est n'importe quoi; Rossellini est comme tout le monde, et comme personne, il pèse

( peser, c'est l'acte même de la pensée; penser, c'est peser, le pour et le contre, le poids des choses, leur légèreté; la pensée, au cinéma, comme ailleurs, c'est la pesanteur et la grâce; là, je devrais me souvenir d'un très beau passage dans Nietzsche, mais c'est pas le cas)


et il vise un public, qu'il en atteigne un autre, d'autres, c'est pas de sa faute, c'est l'effet de ce qu'on appelle l'écriture, séparation du vouloir dire et de la conscience voulant dire;



donc, on vise tous, et on pèse; rhétorique du cinéma, de la pensée; de la création;


la question peut-être intéressante à débattre :

qui vise donc beauvois; à qui s'adresse-t-il? Et qui le voit malgré tout? C'est une question de cinéma, de politique, et bien entendu religieuse; des hommes et des dieux; des lieux (qu'est-ce qu'un lieu, dirait Heidegger, un lieu, quand il est lié au da-sein, quand il est le lieu de l'être, donc de la mort, c'est vers ça que tente de marcher Macé; sans le dire )



y a un lien à tisser entre RR et XB. Iils, font des films de prêtres ( Nietzche-spinoza-deleuze); c'est pas trop souvent dit; il faudrait là que je retrace mon histoire du néoréalisme; après avoir été fasciste, rossellini est devenu prêtre catholique.

On se souvient de l'alliance dénoncée par spinoza : le tyran, le prêtre, l'esclave; on la retrouve dans le parcours de Rossellini; d'abord il s'est allié aux tyrans, mussolini et hitler; les tyrans vaincus, sans rien changer à l'essentiel de son essence singulière, de son degré de puissance et de sa ruse, il est passé au service du prêtre et des esclaves. Dans tous les cas, il reste au service du ressentiment; en quel sens, ressentiment? Là, il suffit de bien regarder Stromboli pour le voir; c'est très simple; vous lisez quelques pages de Nietzsche, les bonnes, vous regardez ce film et vous saisissez le sens métaphysique, morale, éthique disons, du néoréalisme (dans ce film);

tout stromboli, rohmer la dit sans le dire, est construit, agencé comme une terrible machine de destruction, d'humiliation, de démolition; on sait l'histoire de la lettre d'amour envoyée par IB à RR; pour RR, ce ne fut pas une histoire d'amour, mais de vengeance; il s'agit d'humilier l'orgueil, la beauté, et la puissance de vie nordique, un degré de puissance libre, beau, rayonnant. Tout ce que peut incarner IB, une star hollywoodienne, américaine.

Le néoréalisme est inséparable de la défaite italienne. Il est une réponse à cette défaite. Il procède d'un désir de vengeance contre les vainqueurs. Ca prendrait des heures à expliquer; quelques mots devraient aller à l'essentiel; c'est pas très compliqué, en un sens. Le fascisme italien visait le retour de la Rome impériale, une restauration; la défaite, la victoire des usa, qui se sont toujours vus dans le miroir de la Rome impériale, plus encore que dans celui de la grèce, la grèce, c'est plutôt les nazis qu'elle obsédait, a mis fin à ce rêve. Le spectre de rome dérobé par les américains, que va faire l'ancien fasciste Rossellini? Comment il va se consoler? Par le néoréalisme, l'alliance des prêtres et des miséreux contre les maîtres, contre les vainqueurs, Hollywood, et son cinéma, ses stars, ses gros moyens. Le surréalisme, c'est la revanche des faibles. C'est ce que raconte « stromboli » à travers la démolition de IB; c'est un vrai film de vengeance. Que veut le personnage joué par IB? Rien de bien compliqué. Vivre, être heureuse, jouir de la vie, ne pas être réduite à une existence nue, presque animale. Le mari et les pauvres villageois ne peuvent pas le supporter. Ils agissent comme de vrais monstres, de vrai vampires et tout le monde applaudit l' humiliation. Transposez l'histoire dans un village d'Afghanistan, ou un lieu du même genre, et les choses apparaissent autrement, ça donnerait quelque chose comme « jamais sans ma fille »;

stromboli est l'histoire d'un sacrifice au dieu des volcans (cf les liens des volcans et de dieu dans la bible, ancien testament);


Beauvois reste dans la même culture de la mort, du sacrifice; mais il est plus « nouveau testament »;
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Message par Borges Dim 19 Sep 2010 - 19:00

penser ce film avec "Hunger".
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Message par Invité Lun 20 Sep 2010 - 1:47

Hello !

Borges a écrit:penser ce film avec "Hunger".

Absolument ! Je n'ai pas vu le film de Beauvois mais c'est immédiatement à McQueen que j'ai pensé après avoir lu les propos du cinéaste dans les Cahiers (entretien absolument affligeant de la "doublette" Tessé-Beauvois). Mais je me le suis dit en m'attaquant moi-même (comme dirait l'autre, il est jamais trop tard pour corriger ses erreurs!), en me disant avoir eu peu de jugeote de ne pas avoir compris l'horizon des films de Beauvois que j'avais vu (comme j'ai perçu, par la suite, le mauvais côté de Hunger, à la lecture des commentaires de son auteur). Même Selon Matthieu. Ce qui intéresse essentiellement Beauvois, c'est le côté "homme", les "couilles" (sous une robe de bure, une jupe, un jean..), le sacrifice (plutôt que la cause qui est derrière). Il y a apparemment à la rédaction d'Independencia (de toute façon droitisante, pour des raisons, un "héritage", qui remontent à très loin) un mélange de complaisance et de déni pour tout ça (que l'on pense aussi aux tartines écrites sur le film de Bigelow).

penser ici que je dialogue avec l'idiot de macé; le pire des idiots peut donner de quoi penser; il lui suffit d'écrire des mots, « immanence », « service », « mort'.... « stromboli »....


Macé a écrit tout un tas (tout un tas, j'exagère car sa production raffinée et précieuse reste très sporadique, les sujets sont toujours bien ciblés, on sent que Macé écrit généralement en "spécialiste") de textes à propos du peuple et du cinéma dans les Cahiers à une époque, je me dis depuis quelque temps qu'il faudra relire tout ça éclairé par ses différentes contributions à Independencia qui donnent une idée du personnage (même si je crois que tu es déjà pas mal revenu dessus sur le forum des cdc Borges)... à faire, donc..


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Message par Largo Lun 20 Sep 2010 - 11:16

Hello,

A propos des nouvelles de Carver, on s'apprête peut-être à redécouvrir son fameux style...

http://www.telerama.fr/livre/dernieres-nouvelles-de-carver,60216.php
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Message par Van Stratten Lun 20 Sep 2010 - 16:42

Bonsoir,
Excusez, mais je ne comprends pas bien vos cas de conscience. Des Hommes et des dieux, c'est Stromboli "retourné", disiez-vous : c'est à peu près tout ce qu'il y a à retenir. Encore que
1° Il faudrait préciser : "retourné", parce que c'est un "remake" ("retaken" alors...), ou retourné, parce que "renversé" ? Ca demande réflexion. À l'envers, ou à rebours de Rossellini alors ? Non, je vois pas. "Les travellings sont affaire de morale", disait encore Beauvois dans la "presse" de Cannes. Je n'ai aucun reproche à lui faire de ce côté-là. Incorruptible.
2° Plutôt que Stromboli, auquel je n'ai pas pensé, j'ai songé surtout aux Fioretti (Francisco Giulare di Dio, cité d'ailleurs par l'ouvrage, posé sur le bureau du moine Lambert Wilson, dont j'ai oublié le prénom, évidemment...), et à Rio bravo. Entre la communauté Rossellinienne, compliquée, et la communauté Hawksienne, pas si simple que ça, mais disons primitive. Ah oui ! Les derniers plans m'ont rappelé Northern pursuit du père Raoul. Avec Errol Flynn. Les sujets sont très proches. Un des plus beaux films du monde. J'ai pensé à Ugetsu Monogatari (Mizoguchi) aussi, à la fin, davantage qu'à Stromboli. Enfin personnellement je trouve que, même s'il date un peu, Xavier Beauvois tient la barre, et qu'il fait remarquablement son boulot. Ils sont très rares de son acabit. Surtout que les autres sont de deux générations au-dessus, et qu'ils ne la tiennent pas toujours, la barre (qu'on pense à Eastwood ou à Scorsese, franchement, qu'ils sont tristes, ces deux-là). Et Chabrol est mort. Là c'est nous qui sommes tristes. Mais ça ne change rien. Au fait : Bellamy est son plus beau film. Je trouve. J'y pense sans cesse depuis. Mais là je me trompe de rubrique.
3° C'est donc Rossellini, cinquante ans après. Et l'on peut demander à juste titre : pour quoi faire ? Oui d'accord mais tout de même. Film très impressionnant, et surtout : au coeur des enjeux de son temps. Ca il faudra y revenir, tout de même ! Il fait son boulot Beauvois, et il traite son sujet, jusqu'au bout. C'est très impressionnant.
Ah oui, et aussi, c'est un film "couillu". Tout à fait d'accord. C'est ce que j'ai dit en sortant de la salle. C'était couillu.

Une histoire de foi. On peut penser à Jeanne la Pucelle aussi, un des plus beaux Rivette, sur le même sujet : certes de vieux couteaux, mais de fines lames, tout de même. Ce cinéma en est vraiment à son dernier souffle.

Borges, quand tu écris "mais qui vise Beauvois ?", tu veux dire avec un flingue, ou avec un institut de sondages ? parce que dans les deux cas, je pense que tu te mets le doigt dans l'oeil. Beauvois est un des derniers trafiquants d'images "mainstream" à ne viser personne, et à faire des films pour le spectateur. Non seulement ta question, mais le mot lui-même me semblent déplacés.

Van Stratten

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Message par Borges Lun 20 Sep 2010 - 21:25

hello VS; oui, bien entendu, mais comme disait l'autre, il suffit d'ouvrir son dico pour savoir que "viser", c'est pas seulement une affaire de flingue ou d'institut de sondage; je pensais à la question de "l'adresse"; c'est ce sens que je visais...

viser -latin visere, qui a donné "vision" "visible" et peut-être aussi visières;



DES hommes et DES dieux (X. Beauvois) Croix-tibhirine-tamie
Voici la nuit,
La longue nuit où l'on chemine,
Et rien n'existe hormis ce lieu,
Hormis ce lieu d'espoir en ruine :
En s'arrêtant dans nos maisons,
Dieu préparait comme un buisson,
La terre où tomberait le feu.

y avait longtemps que j'avais plus pleuré au cinéma
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Message par Borges Lun 20 Sep 2010 - 21:34

Largo a écrit:Hello,

A propos des nouvelles de Carver, on s'apprête peut-être à redécouvrir son fameux style...

http://www.telerama.fr/livre/dernieres-nouvelles-de-carver,60216.php

curieux, cette histoire;
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Message par Largo Lun 20 Sep 2010 - 23:55

Borges a écrit:
Largo a écrit:Hello,

A propos des nouvelles de Carver, on s'apprête peut-être à redécouvrir son fameux style...

http://www.telerama.fr/livre/dernieres-nouvelles-de-carver,60216.php

curieux, cette histoire;

J'ai été assez surpris aussi. D'après le journaliste, les changements sont loin d'être négligeables, c'est rare ce genre de découverte. Est-ce qu'il faudra comparer pas soi-même pour partir à la recherche du Carver authentique ?

Quant à Des hommes et des dieux, j'ai lu tellement d'avis contradictoires que je ne sais plus qu'en penser. Je sais que j'ai été très ému par Lonsdale, très impressionné par la photographie de Champetier, les tons gris, bleus.... Pour le reste...

Ah oui, un détail : 450 000 spectateurs en première semaine, les Oscars... On peut dire que c'est un "carton". Des films sur des moines qui ont autant de succès, ça court pas les cinémas... Et à mon avis l'enthousiasme de La Croix ne suffit pas à drainer les foules. Alors que vise Beauvois qui a pu susciter tant d'intérêt ?
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Message par Invité Mar 21 Sep 2010 - 8:00

Salut à tous !

J'aime bien Borges la photo que tu postes pour rentrer dans le film. Je trouve que c'est une entrée intéressante. Ce qui se passe entre ces deux-là dans cette séquence. A mon sens, XB n'a aucune idée de ce qu'est la foi - je veux dire : la fidélité à ce qui ne se voit que par les yeux de l'esprit. Et il peut s'agir de Dieu, de dieux, du monde spirituel ou de "visions" plus conceptuelles. Dans tous les cas, on a à faire à l'intellect, à la fine pointe de l'intellect où se trouve la petite étincelle de Maître Eckhart. Et dans cette séquence, le plus proche de la foi, c'est bien le terroriste qui reconnait la puissance des mots "Prince de la Paix" (puissance spirituelle et en aucun cas magique) et accepte l'Esprit, ne serait-ce que dans la médiation par le Livre. Une foi certainement embryonnaire, dévoyée, d'un intellect sous-développé (XB ne semble pas pouvoir en envisager une autre) - une foi qui ne reconnait pas d'autre violence que celle, décharnée, des armes. Et qu'y est-il opposé ? Non pas une foi plus violente, plus justement violente car d'une violence spirituelle (ce qui voudrait aussi dire politique), mais ce qu'on appelle religion, c'est à dire un investissement affectif dans un système de croyance, lui-même inclus dans tout un agencement social et idéologique. Dans la bouche du personnage joué par Lonsdale, l'amour de Dieu est tout simplement réajusté à l'état amoureux dans une version dites "plus grande" mais qui n'en est que l'exacerbation illimitée par le renouvellement infini de l'insatisfaction - différence de l'infini et de l'éternel que XB ne connait pas. Donc, ce qui s'oppose à la foi décharnée du terroriste, c'est cet investissement affectif sans nerf et larmoyant, d'un humanisme que je trouve assez dégueulasse et d'un courage inhumain. Car ils sont courageux, tous ces moines, comme c'est beau ! Ils ont peur et ils surmontent leur peur, tous individuellement et à titre personnel. Pas un lâche dans tout cela. Pas un de ces reniements à la Saint Pierre qui est la justice du christianisme. Pas la faiblesse du Stalker de Tarkovski. Pas un mot plus haut que l'autre mon frère. Pas une soumission à la communauté. Le tout culminant dans cette dernière cène soigneusement orchestrée pour faire sortir l'émotion. C'est là, dans cette apologie d'une force inhumaine vers la mort, que le film me parait dangereusement réactionnaire. Ce qui revient pour la vengeance ou la réconciliation, ça me parait être pas autre chose qu'une attitude bien-pensante et petite-bourgeoise, qui revient pour la vengeance ET pour la réconciliation, avec une perversité assez kafkaïenne.

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Message par Borges Mar 21 Sep 2010 - 16:24




salut à tous :


-Les limites du film sont évidentes, idéologiquement; il appartient à ce que badiou avait appelé l'éthique, avec son fameux partage : d'une part l'Occident, le bien, de l'autre, son autre, ses autres (la barbarie ou la souffrance); l'algérie : soit le pauvre, le petit peuple des villageois dont les moines prennent soin (image des brebis, bien entendu), ils les soignent, les habillent, les nourrissent presque, et le violent fanatique, "islamiste", ou soldatesque;

recitons ce classique


« Qui ne voit que dans les expéditions humani­taires, les ingérences, les débarquements de légionnaires caritatifs, le supposé Sujet universel est scindé ? Du côté des victimes, l'animal hagard qu'on expose sur l'écran. Du côté du bienfaiteur, la conscience et l'impératif. Et pourquoi cette scission met-elle toujours les mêmes dans les mêmes rôles ? Qui ne sent que cette éthique penchée sur la misère du monde cache, derrière son Homme-victime, l'Homme-bon, l'Homme-blanc ?

la barbarie de la situation (...) est perçue, du haut de notre paix civile apparente, comme l'incivilisée qui exige du civilisé une intervention civilisatrice. Or, toute intervention au nom de la civilisation exige un mépris premier de la situation toute entière, victimes comprises. Et c'est pourquoi l'« éthique » est contemporaine, après des décennies de courageuses cri­tiques du colonialisme et de l'impérialisme, d'une sordide auto-satisfaction des « Occidentaux », de la thèse martelée selon laquelle la misère du tiers-monde est le résultat de son impéritie, de sa propre inanité, bref: de sa sous-humanité. »



l'Algérie, ce sera donc deux formes de la sous-humanités, le barbare et sa victime (des victimes dont ne serons pas les moines, naturellement)



-à cela on peut bien entendu ajouter qu'au cinéma, le corps souffrant digne, celui auquel on s'identifie, ne peut être représenté, incarné que par l'image d'un corps blanc, occidental; les seuls morts (ou tués) à l'image, ce sont les croates égorgés, les seuls dont on vive l'angoisse de la mort ce sont les moines;


à la fin du film sur les images du monastère désert, en off, mort, déjà, Christian de Chergé, lit sa lettre-testament : il demande que l'on sache associer sa mort à tant d’autres aussi violentes laissées dans l’indifférence de l’anonymat. Ma vie n’a pas plus de prix qu’une autre.

En conférant à cette mort une dignité (qui n'a pas plus de prix qu'une autre) une valeur, une supériorité qu'elle aura refusée, en l'exceptant, on trahit donc les dernières volontés de Christian; il ne demandait qu'une prière; ce film peut-il être cette prière? peut-il être vu, entendu, comme une prière, avoir force de prière, avoir la force de la prière demandée?

je ne crois pas, du moins, pas en tant qu'il fait de Christian, un héros;

c'est un peu ce que dit SP; en ce sens, c'est moins un film chrétien, dans la relation à la mort, qu'un film disons héroïque; la mort est maîtrisée; le film met en scène la mort du maître, des maîtres; toute maîtrise suppose la maîtrise du néant; c'est ainsi que l'on accède à la mort dite authentique, propre;


dans le partage algériens-moines, on retrouve la bonne distinction, classique, heideggerienne, entre la mort dite propre, et la mort impropre, ou inauthentique, la mort du on; d'une part (des centaines de milliers d'algériens); de l'autre, celle des moines, assumée, voulue; appropriée serait le mot juste; une mort qui les approprie, qui les identifie à ce qu'ils sont, à leur essence, à leur propre; ils meurent en chrétiens, de la seule manière dont un chrétien puisse mourir; la mort les fait chrétien; ou encore, ils deviennent chrétien par cette mort; qui bien entendu répète celle du christ, qui ne fut pas héroïque, mais "abjecte"(le film écarte l'agonie de la croix, le supplice, s'il filme les angoisses, la solitude de l'être devant la mort: les moines s'approprient leur mort (sublimée d'être hors de l'image, hors champ; notons qu'elle était impossible à filmer; pas seulement pour des raisons factuelles)


le film interroge cette mort, est-elle pure? Est-elle sans arrière plan narcissique, sans égo; est-elle réellement la mort chrétienne voulue; on retrouve ces questions dans « Hunger »;

l'un des moines demande aux autres, si nous restons pourquoi le faisons-nous? ne serait-ce pas un suicide? est-ce pour montrer qu'on est les meilleurs (nous en tant que chrétiens, en tant que « nous »...°); réflexion sur le sacrifice, le martyr, qui ne doit pas être recherché pour être authentique;


les limites de la mort dite propre, appropriée, c'est aussi qu'elle est non seulement liée à un désir de pureté (donc refus de l'altérité, absolue qu'est la mort; ou le mourir, mais c'est encore une autre histoire), c'est aussi qu'elle est essentiellement liée à un moi, à un je, à un égo qui tente d'atteindre à sa propre vérité en décidant de sa mort, en la voulant, en rendant possible l'impossible; ainsi la mort (finitude et passivité absolue, on ne peut jamais dire "je meurs", c'est pas un acte, une action) est liée au pouvoir, à l'extrême du pouvoir, dans un film qui lie le pouvoir au Mal; « donner la mort », et « se donner la mort », ou « se donner à la mort », n'est-ce pas toujours de pouvoir qu'il s'agit;

la mort propre, manque la mort de l'autre (dans le cinéma occidental (ses médias) ce ne sont jamais que des occidentaux qui meurent proprement) si les moines sont affectés par la mort des autres, c'est bien uniquement de l'angoisse devant leur propre mort qu'il est question pendant tout le film; la mort n'est pas seulement mienne, ma propre mort, c'est aussi celle de l'autre (dira contre Heidegger Levinas):
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Message par Borges Mar 21 Sep 2010 - 16:39

Largo a écrit: Je sais que j'ai été très ému par Lonsdale

ah, étonnant, c'est pourtant un personnage assez conventionnel, du moins dans le film, presque une caricature; moi, c'est plutôt LW-Christian de Chergé....un personnage extraordinaire, à qui le film ne rend pas justice absolument;

on le voit lire le coran en traduction, alors qu'il savait l'arabe; à un moment il reçoit un bouquin sur le soufisme, alors qu'il les fréquentait...


Sa vie en Algérie a été marquée, fécondée en particulier par un « ribat el salam », un « lien de paix » vécu avec des soufis de Médéa de la Tariqa alawiyya (sous forme de rencontres régulières) (1), mais de manière plus générale, par ses nombreuses et régulières rencontres avec des musulmans algériens. Christian de Chergé était lecteur du Coran, il citait régulièrement des sourates dans ses homélies, et il alla jusqu’à reconnaître que le message coranique est parole de Dieu adressée aux hommes (2), ce qui n’est sans doute pas le cas de beaucoup de chrétiens, pour ne pas dire la majorité, même si beaucoup sont adeptes du fameux dialogue interreligieux….
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Message par adeline Mar 21 Sep 2010 - 17:08

Salut ici,

voici la lettre du père Christian, dans sa version entière je crois (qui n'est pas celle du film) :

"S’il m’arrivait un jour - et ça pourrait être aujourd’hui - d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille, se souviennent que ma vie était donnée à Dieu et à ce pays. Qu’ils acceptent que le Maître Unique de toute vie ne saurait être étranger à ce départ brutal.

Qu’ils prient pour moi : comment serais-je trouvé digne d’une telle offrande ? Qu’ils sachent associer cette mort à tant d’autres aussi violentes laissées dans l’indifférence de l’anonymat. Ma vie n’a pas plus de prix qu’une autre. Elle n’en a pas moins non plus. En tout cas, elle n’a pas l’innocence de l’enfance. J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde, et même de celui-là qui me frapperait aveuglément.

J’aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout cœur à qui m’aurait atteint. Je ne saurais souhaiter une telle mort. Il me paraît important de le professer. Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre.

C’est trop cher payé ce qu’on appellera, peut-être, la "grâce du martyre" que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit, surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’Islam. Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement. Je sais aussi les caricatures de l’Islam qu’encourage un certain idéalisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes.

L'Algérie et l’Islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme. Je l’ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j’en ai reçu, y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l’Évangile appris aux genoux de ma mère, ma toute première église, précisément en Algérie, et, déjà dans le respect des croyants musulmans. Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison à ceux qui m’ont rapidement traité de naïf, ou d’idéaliste : "qu’il dise maintenant ce qu’il en pense !"

Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité. Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec Lui Ses enfants de l’Islam tels qu’Il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de Sa Passion, investis par le Don de l’Esprit dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences. Cette vie perdue, totalement mienne, et totalement leur, je rends grâce à Dieu qui semble l’avoir voulue tout entière pour cette joie-là, envers et malgré tout. Dans ce MERCI où tout est dit, désormais, de ma vie, je vous inclus bien sûr, amis d’hier et d’aujourd’hui, et vous, ô amis d’ici, aux côtés de ma mère et de mon père, de mes sœurs et de mes frères et des leurs, centuple accordé comme il était promis !

Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’aura pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je le veux ce merci, et cet "A-Dieu" envisagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux.

Amen ! Inch Allah !"

Père Christian de Chergé

Alger, 1er décembre 1993

Tibhirine, 1er janvier 1994

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Message par Van Stratten Mar 21 Sep 2010 - 18:32

propos de Borges
l'Algérie, ce sera donc deux formes de la sous-humanités, le barbare et sa victime (des victimes dont ne serons pas les moines, naturellement)

Je ne comprends pas. Les moines ne sont pas victimes ?

c'est un peu ce que dit SP; en ce sens, c'est moins un film chrétien, dans la relation à la mort, qu'un film disons héroïque; la mort est maîtrisée; le film met en scène la mort du maître, des maîtres; toute maîtrise suppose la maîtrise du néant; c'est ainsi que l'on accède à la mort dite authentique, propre;

la mort est maîtrisée ? Mais non. Elle est acceptée, et cela passe par la mise en question : 1 de la mort, 2 de la foi.

On peut juger le film naïf. Il est en outre ancré géopolitiquement dans une culture et un espace-temps judéo-chrétiens. Est-ce que ça en fait un film méprisable ? Critiquable oui, mais à ce point condamnable, moralement condamnable ? Je trouve que c'est se mettre en rogne à tout propos, non ?

C'est vrai que Xavier Beauvois nous arrive avec une pose de premier de la classe (je ne parle pas de son image personnelle, je ne l'ai pas vu depuis des années sur un écran) : il veut appliquer à la lettre la leçon de "ses maîtres". Il a donc un côté donneur de leçons irritant - mais on en connaît d'autres (certes beaucoup plus ambitieux) : straub-godard en particulier, mais vous aviez suivi mon regard. D'autant plus premier de la classe, que son film se veut à chaque plan irréprochable, ce qui le rend tout à fait anecdotique. Oui, le film est (très) limité, et sera vite oublié. Mizoguchi c'est éternel. Walsh c'est éternel. Rossellini, c'est Rossellini. Beauvois, c'est sympathique (moi je trouve) mais anecdotique... par les temps qui courent, ceux qu'on aime, c'est Jia, c'est Serra, c'est Van Sant - la plupart du temps.

La question de la foi maintenant. J'ai lancé (mais personne ne relève jamais, c'en est usant à la fin), j'ai lancé que ça me faisait penser à Jeanne la pucelle (en moins bien, encore et toujours, côté remake parfait, oui, moi aussi ça m'a soûlé...). Bon, le côté Jeanne de Rivette Bonnaire, c'est évidemment pour cette question de personnage et de foi. Ca excusez moi mais moi ça me passionne : 1° c'est rarissime au cinéma désormais qu'un personnage ait une chance d'exister un petit moment, de vraiment exister. 2° Si en plus c'est un personnage qui a un rapport à sa foi. La foi : qu'est-ce que la foi, c'est donné, c'est à prendre ? C'est révélé ou c'est à conquérir ? Personnages tous plus beaux les uns que les autres. De vrais personnages de cinéma, comme l'oncle Serge constatait qu'ils étaient en voie d'extinction. Beauvois en fait beaucoup, mais pour moi ces personnages ils existent : dans la scène de confession sur la colline, avec les aboiements de chiens en fond sonore, dans la cuisine avec Lonsdale lavant la vaisselle ("va te faire foutre"). Il y a effectivement aussi de nombreux "face à face" assez fordiens dans le film, où chacun des deux personnages (soit Christian et un terroriste, soit Christian et un militaire) reste à l'intérieur de son territoire, et s'adresse vraiment à l'autre. Vous avez vu combien de films récement où des personnages s'adressent vraiment l'un à l'autre ?

les limites de la mort dite propre, appropriée, c'est aussi qu'elle est non seulement liée à un désir de pureté (donc refus de l'altérité, absolue qu'est la mort; ou le mourir, mais c'est encore une autre histoire) (Borges)

Bon simplement : les deux photogrammes que tu as choisi de mettre en premier lieu de ce sujet ne sont-ils pas précisément, et tout au contraire de ton affirmation : acceptation radicale de l'altérité, dans ce qu'elle a de plus "inconciliable" ? Si Christian accepte de serrer la main qui lui est tendue, n'est-ce pas pour reconnaître que l'autre est l'autre ?
Enfin, bon, au-delà moi il me semble inutile d'épiloguer en citant Nieztsche ou Bergson, j'aime bien être simple et parler d'abord du film, mais là tu es libre, hein...

Bon pour finir, Borges, au sujet de ton dernier long message : l'idée que la mort est "très propre" comme tu dis, et en tout cas laissée au hors-champ, et aussi d'ailleurs à un hors-temps, celui de l'après-film, de l'au-delà du film, c'est vrai que c'est sacrément (c'est le cas de le dire) problématique.
C'est problématique d'abord parce que en effet on a vu auparavant, vu de nos yeux assez las de ce genre de connerie gore, d'ailleurs, il faut le dire, on a vu, à grand renfort de pâte à modeler et autre plastique hi-tech, des Croates se faire égorger (tiens, tiens, pourquoi des Croates ? Franchement, bon, c'est zarbi, passons...). Donc ceux-là on les voit et les autres pas.
Rossellini faisait exactement le contraire (tiens, tiens, le contraire, ah, là ça rejoint enfin l'idée du "retournage/retournement" strombolien) : Rossellini donc refusait de filmer la torture des anonymes, mais nous montrait de façon très mélodramatique, et artificielle, la mort de Magnani "en direct" et sous toutes les coutures. Inutile de rappeler (j'espère) pourquoi c'est d'une rare intelligence, mais en tout cas le geste "inverse" de Beauvois est tout à fait problématique, pour ne pas dire, con.
Oui là je te rejoins Borges. Bon du reste il faut ajouter que c'est problématique à un deuxième titre : en effet, Beauvois par la forme même de son film (les travellings affaire de morale, la grande rigueur classique, le classicisme, les poses de grand cinéaste etc.) se situe dans un passé formel, qui rend donc le film un peu vain, mais dans le même temps il convie dans son film des images "gore" très actuelles, dignes d'un DePalma en vacances en Irak (suivez mon regard, pour celui-là je n'ai pas de fleurs, ou alors une couronne d'enterrement).
Bien sûr que c'est problématique, et formellement je dirais que c'est d'un jésuitisme accompli : beauvois fait, face à la mort, un deux poids deux mesures tout à fait coupable. Là, zéro pointé.

C'est vrai que c'est problématique de traiter d'un sujet brûlant, et nous passionnant au premier chef, avec des personnages "de cinéma" surgis d'un autre espace-temps, et comme figés dans l'éternité, surtout lorsqu'ils acquièrent par là non seulement un autre statut que les autres "personnes" du film, mais aussi accèdent à un drôle de statut d'icônes face au tout-venant des images, moqué, sursaturé, ignoré, méprisé.
Le coup du mépris pour les autres images, non, c'est vrai que ça, pour le coup, c'est pas très propre, Monsieur Beauvois.
Oui tiens, pour le coup on peut dire que la discussion était fructueuse, Borges, et j'espère que tu seras là pour la poursuivre. Wink


Dernière édition par Van Stratten le Mar 21 Sep 2010 - 18:58, édité 2 fois

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Message par Eyquem Mar 21 Sep 2010 - 19:55

Van Stratten a écrit:Je ne comprends pas. Les moines ne sont pas victimes ?
Non, parce que leur mort est l'objet d'un choix.
La victime, ce serait celui qui meurt sans choisir de mourir ; celui qui est tué sans qu'on lui demande s'il est d'accord. Exemple, les Croates : égorgés par surprise sur leur lieu de travail, ils n'ont pas vu la mort venir, leur mort leur est prise, ils en sont comme dépossédés.

Or, c'est pas le cas des moines. Et la réplique centrale du film, c'est celle qui précède le photogramme choisi par Borges, quand Wilson répond au type qui le menace avec des armes en lui disant qu'il a intérêt à obéir vu qu'il n'a pas le choix : "Si j'ai le choix" dit le frère.

Une des questions du film, c'est la question du choix. Les moines doivent répéter le choix qui leur a fait choisir cette existence, cette vie-là, mais cette fois en fonction de la situation nouvelle, où tout le monde (les meurtriers des montagnes ou des bureaux gouvernementaux) ne cesse de leur dire que de toute façon, ils n'ont pas le choix, ils doivent partir.
Le point nodal autour duquel tournent les débats des moines, c'est d'établir que si, il y a bien un choix à faire. Dans la situation qui ne laisse pas le choix, ils font un premier choix, qui est justement de s'accorder la liberté de choisir.

C'est en ce sens qu'on peut parler des moines comme de "héros", et non de victimes. Ils ont choisi, c'est leur mort à eux et bien à eux, on la leur a pas volée, c'est leur "mort propre" comme écrit Borges.
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Message par Invité Mer 22 Sep 2010 - 0:34

Salut,

Pendant ce temps-là (pendant que le film du "petit-blanc" déplace apparemment les foules), Rachid Bouchareb a-t-il enfin trouvé les mots magiques pour que les français aillent voir son film après la campagne de dénigrement dont il a fait l'objet ?

Indigènes a permis de dénoncer la question des pensions des anciens combattants africains. Hors-la-loi a-t-il lui aussi un but politique ?

Non, les deux films n’ont pas la même vocation. Indigènes était une façon de servir la cause de ces soldats, j’avais même glissé un carton à la fin pour expliquer la situation. Hors-la-loi n’est pas un film politique, c’est une épopée avec une forme romanesque qui emprunte au film de gangster et au western. S’il pousse les familles à discuter de l’Algérie, de la colonisation... alors tant mieux !

http://www.metrofrance.com/culture/rachid-bouchareb-hors-la-loi-n-est-pas-un-film-politique/mjiu!OjMwua7g6pymI/

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Message par Van Stratten Mer 22 Sep 2010 - 5:08

Oui, Eyquem, à te lire, il me semble que je comprends mieux l'expression "une mort en propre". C'est donc la leur.
Mais alors quid du héros ? Il me semble dès lors que le film qui renvoie Des hommes et des dieux à ses limites (indéniables, quoique nous les cherchions) ce serait Les sept samouraïs. Qu'en pensez-vous ?

Revu récemment Witness de peter weir. C'était un bon film, profondément fordien. C'est pas le cas du film de Beauvois : le rapport à l'autre y est biaisé, mais le problème est nié.

Dans Copie conforme en revanche, le rapport à l'autre est tout le temps filtré, réfracté ou empêché ou retardé (film passionnant) mais c'est vraiment le sujet du film.

À plus.

PS : entendu Bouchareb sur fce culture, et il m'a convaincu d'aller voir de quoi il retourne. Propos très impressionnant de clairvoyance.

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Message par Eyquem Mer 22 Sep 2010 - 14:21

Van Stratten a écrit:ceux-là on les voit et les autres pas
Borges a écrit:les seuls morts (ou tués) à l'image, ce sont les croates égorgés
Il ne faut pas oublier la scène à la morgue, où Wilson prie pour le chef torturé et assassiné - plans pour lesquels Beauvois dit s'être inspiré du "Christ" de Mantegna :

DES hommes et DES dieux (X. Beauvois) Mantegna_Christ_mort-622b5-e2955
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Message par Invité Mer 22 Sep 2010 - 15:09

Qu'est-ce qu'il aura servi ce Christ de Mantegna. Franchement, est-ce que les ayants-droits touchent des royalties ?

Borges a écrit:

ils meurent en chrétiens, de la seule manière dont un chrétien puisse mourir; la mort les fait chrétien; ou encore, ils deviennent chrétien par cette mort; qui bien entendu répète celle du christ, qui ne fut pas héroïque, mais "abjecte"

Je retourne la question. Devenir chrétien, mourir en chrétien, c'est devenir et mourir comme le Christ. Est-ce que la réponse des moines de XB à l'imminence de la mort est équivalente à celle du Christ ? Je ne crois pas. Car le Christ redoute la mort : il crie de désespoir sur la Croix ("Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" - c'est quelque chose de la part d'un "fondateur de religion"). Et puis il y a la scène au Jardin des Oliviers, où il prie pour ne pas être sacrifié et conclue par "ce que Tu voudras". C'est-à-dire qu'il n'accepte pas sa mort mais la décision de Dieu. Et qu'en plus il connait cette décision car il est Dieu et Homme. Mais l'important, c'est qu'il ne décide pas comme les moines décident, il ne passe jamais dans ce courage inhumain. Et c'est cette inhumanité qui fait que la mort des moines est la mort héroïque, infilmable sans risquer de dévoiler soit leur inhumanité, soit l'inanité de leur posture de courage précédente. C'est bien parce qu'ils choisissent chacun pour son propre compte et personnellement que leur mort n'est pas chrétienne (bizarrement, un contenu "chrétien" de la mort des Croates m'apparaitrait plus défendable) et n'a rien à voir avec une motion de foi, qu'elle soit laïque ou religieuse. Ils ne sont fidèles à rien, ils sont juste enfermés sur eux-mêmes. A partir de là, à partir du moment où XB filme cet enfermement sans le questionner, tout le discours "éthique" signalé par Borges devient inévitable. C'est la fermeture qui préside au filmage des rapports post-coloniaux comme au filmage des personnages.

Bon, ça n'empêche pas non plus une belle photo (merci Champetier), un rythme qui tient le coup, et des acteurs valables (mais pas Wilson, en tous cas pas après la première heure de film). Le film n'est pas nul. Il est juste réac'.

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Message par Invité Mer 22 Sep 2010 - 15:50

XB s'affiche-t-il chrétien ? Il me semble qu'il se déclare laïc.
En tous cas, la disparition des moines dans la brume fait moins penser à la mort du Christ qu'à l'assomption de Moïse sur le Mont Nébo (moins la proximité de la Terre Promise... quoique...). Plutôt l'Ancien Testament que le Nouveau, pour reprendre une remarque de Borges.

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