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Le Ruban blanc - Michael Haneke

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Message par adeline Lun 9 Nov 2009 - 22:31

Ce que dit Bazin des enfants, d'un enfant surtout, chez Rosselini :

L'originalité profonde chez Rossellini est de s'être délibéreément refusé tout recours à la sympathie sentimentale, toute concession à l'anthropomorphisme. Son gosse a onze ou douze ans, il serait aisé et même souvent normal que le scénario et le jeu nous mettent dans le secret de sa conscience. Or, si nous savons quelque chose sur ce que pense et ressent cet enfant, ce n'est jamais par des signes directement lisibles sur son visage, pas même par son comportement, car nous ne le comprenons que par recoupements et conjectures. Certes, le discours du maître d'école nazi est directement à l'origine de l'assassinat du malade inutile ("il faut que les faibles laissent la place pour que vivent les forts"), mais quand il verse le poison dans le verre de thé, nous chercherions en vain sur son visage autre chose que de l'attention et du calcul. Nous n'en pouvons pas plus conclure à son indifférence et à sa cruauté qu'à son éventuelle douleur. Un instituteur a prononcé devant lui certaines paroles, elles ont cheminé dans son esprit et l'ont amené à cette décision, mais comment, au prix de quel conflit intérieur ? Ce n'est pas l'affaire du cinéaste, mais celle de l'enfant. Rossellini ne pouvait nous en proposer une interprétation qu'au prix d'un trucage, en projetant sa propre explication sur l'enfant et en obtenant de lui qu'il la reflète à notre propre usage. (...) C'est que tout simplement les signes du jeu et de la mort peuvent être les mêmes sur un visage d'enfant, les mêmes du moins pour nous qui ne pouvons percer son mystère. L'enfant saute à cloche-pied sur le bord d'un trottoir ébréché, il ramasse dans les pierres... (...)


Une autre chose que l'on peut remarquer à propos de l'instituteur d'Haneke, à part le fait qu'il est l'exact opposé de celui dont parle Bazin, c'est qu'il a un visage très poupon, et qu'il porte les caractéristiques un peu adolescentes que les enfants du pasteur et du régisseur ne portent pas (il est un peu timide, mal à l'aise, remet sa mèche en place, remonte ses lunettes, a le visage un peu gras, etc.)
J'ai l'impression que Haneke est à des kilomètres de Rossellini. Il suppose aux enfants mille intentions diverses, dissimulation, assurance, peur, timidité, rancœur, etc., et joue avec en les distribuant deci-delà.
L'innocence et la naïveté sont plutôt du côté de l'instituteur et d'Eva que de celui des enfants.
On peut penser au fils du pasteur qui défie dieu en faisant l'équilibriste sur le pont, quand on lit la description par Bazin du gamin d'Allemagne année zéro sur le bord du trottoir, en équilibre aussi.

Autre chose. On parle beaucoup de ce qui est fait aux deux enfants et au médecin, de la violence physique, de la violence de ces faits divers. Mais le film met en scène toutes sortes de violence : physique (les actes contre Karly et le fils du comte, contre le médecin, le fouet du pasteur, les coups du régisseur à son fils, la fenêtre ouverte au-dessus du bébé), psychologique (le médecin contre la sage-femme, le pasteur contre ses enfants), mais la plus importante et la plus profonde n'est-ce pas la violence des diverses dominations qui s'exercent sur les êtres ? La violence des hommes envers les femmes (domination masculine), la violence sociale envers la famille du paysan (les dominants contre les dominés, qui entraîne la ruine d'une famille et deux morts), la violence des parents envers les enfants en général, autant de conséquences d'un pouvoir que quelqu'un exerce sur quelqu'un d'autre.
Le film aurait pu s'appeler "La main droite de Dieu", l'idée que quand on veut trop faire le bien on fait le mal, et on parle toujours du "mal" qui est à l'œuvre dans le film. Dans le cas de la famille du paysan, quel est le mal ? Celui qui est à l'origine de la chute de la femme ? Où celui qui détruit les choux du comte ? Les deux événements ont la même importance dans le film si je me souviens bien.
Comme s'il y avait un "mal" qui faisait mal agir les gens. Mais la colère du fils aîné du paysan est juste, ça n'est pas "le mal", alors que ce qui a tué sa mère c'est l'injustice sociale. Or, qu'en fait le film ?

adeline

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Message par Borges Lun 9 Nov 2009 - 23:49

Merci de relancer, Adeline.
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Message par Borges Mar 10 Nov 2009 - 14:44

On peut aussi citer ceci, Daney dans la suite de Bazin; c'est dans "l'Exercice..." p. 238/239 :

italique pour daney

entre parenthèse, mes remarques,

souligné c'est Badiou....


(...) "Allemagne année zéro". Film terrible, époustouflant, mais au fond très violent dans son idée. Cette idée quelle est-elle?

(le film c'est une idée; la critique doit la mettre en évidence; c'est une hypothèse qui vaut ce qu'elle vaut; on peut l'adopter, comme méthode pure; mais découvrir l'idée du film, c'est pas facile; presque impossible, en fait; comme dit Badiou c'est presque impossible de parler d'un film en tant que tel, axiomatiquement; c'est son expression; Daney et Badiou sont d'accord, il s'agit de l'idée; Badiou comprend cette idée depuis Platon, et le film comme passage de l'idée, visitation)


Et s'il est vrai que le cinéma traite l'Idée


(on remarquera la majuscule; le film c'est pas seulement une idée, mais l'idée de l'Idée, ou d'une Idée; Platon étant la référence, le rapport à l'Idée dans le film, à l'Idée, est toujours aussi une affaire d'oubli et de mémoire; l'impureté du cinéma, se double de celle de l'idée, comme ce qui est passé, comme passage... au cinéma, l'idée est toujours déjà passée... comme le génie de Rimbaud, nous nous la rappelons, et elle voyage... )

dans la guise d'une visitation, ou d'un passage, et qu'il le fait dans un élément d'impureté sans remède

(impureté essentiel du cinéma, qui n'est pas un art, mais le plus un de tous les arts, des autres arts; parler d'un film, c'est donc toujours aussi parler de ces arts; comme fait JM, du cirque, par exemple dans son texte sur le dernier Rivette; mais est-ce que le cirque est un art ? et de quel type ? c'est une grosse question; la question est alors celle de l'idée du film de Rivette et en quoi le cirque permet de la poser, de la mettre en scène, de la rendre sensible; on pourrait d'abord dire que le cirque, pour nous aujourd'hui, c'est ce dont l'existence s'opère sur le mode de la disparition, de l'évanouissement; le cirque c'est ce qui disparaît; mais c'est une autre affaire; l'essentiel est que le cinéma dans son impureté est sans remède; ça ne se soigne pas; pas de dr. House possible. )

parler axiomatiquement d'un film reviendra à examiner les conséquences du mode propre sur lequel une Idée est ainsi traitée par "ce" film.



Qu'un petit garçon croit tout ce qu'on lui dit, prend tout à la lettre, vit dans le monde transitif du "aussitôt dit, aussitôt fait" et en meurt

(c'est un peu ce qui se passe avec les gosses de Haneke, même s'ils semblent plutôt tuer; si on lit ce qu'écrit ici Daney, parlant de RR; on dirait presque que les gosses sont bêtes, ou du moins qu'ils ne font pas de différence, qu'ils sont dans l'immédiat, dans l'espace de l'immédiat, ou la lettre ne se sépare pas encore de l'esprit; on pense alors au ruban blanc qu'attache le pasteur à ses enfants; il a une fonction de mémoire, de signe, mais aussi de symbole, de métaphore, il doit matérialiser l'idée de l'innocence, de la pureté; symbole; est-il pris à la lettre, par les enfants? Ce qui rapproche Haneke de RR, c'est aussi sans doute l'intérêt pour la communication. Daney évoque ça; RR ne croit pas à la possibilité de la résistance de l'individu face aux puissances de la communication; référence chez les deux cinéastes à la télé, et à la pédagogie; tous deux ont aussi travaillé à la télé; le ruban blanc, ce fut d'abord un projet pour la télé...)

Que personne ne l'aime, parce qu'il est un remords vivant, un adulte déjà, sans enfance, sans "jardin secret", minauderies, enfantillages (pas de temps, pas d'espace), sans charme (c'est un chieur). L'idée de RR est qu'à situation perverse perversion de l'enfance (via l'instit pédophile nazi). Au fond, il faudrait que je module mon idée (c'est plus l'idée du film, c'est son idée, du film) pour dire : à partir de Rossellini, l'enfance (donc le cinéma)


(toujours chez Daney ce rapprochement, un peu débile; le cinéma c'est l'enfance)

a pu être dénaturée

(l'enfance, et donc aussi celle de Daney?; qui se réfère plutôt pour ses films enfance, aux enfants de Hollywood; mais ce qu'on doit dire, si on fait attention à cette idée de dénaturation, c'est que l'enfance a une nature, une essence; ce qui n'est tout de même pas assuré; ce qui est comique même, si par ailleurs, on sait que Daney n'aime pas trop le naturel, la nature, le naturalisme, et la naturalisation )


Pourquoi? Parce que le Edmund de Rossellini est le petit frère du héros de "Vecchia guardia", entièrement dévoué à la cause des grands. Ce qui est terrifiant dans Edmund, c'est qu'il est l'enfant idéal pour ceux qui n'aiment pas l'enfance :

(pour ceux qui ne sont pas comme Daney, donc; ceux qui ne défendent pas la cause des grands; qui ne sont pas dévoués aux grands)

il est un pur être de communication, c'est-à-dire qu'il obéit au langage comme à un ordre...










(...) "Allemagne année zéro". Film terrible, époustouflant, mais au fond très violent dans son "idée". Cette idée quelle est-elle? Qu'un petit garçon croit tout ce qu'on lui dit, prend tout à la lettre, vit dans le monde transitif du "aussitôt dit, aussitôt fait" et en meurt. Que personne ne l'aime, parce qu'il est un remords vivant, un adulte déjà, sans enfance, sans "jardin secret", minauderies, enfantillages (pas de temps, pas d'espace), sans charme (c'est un chieur). L'idée de RR est qu"à situation perverse perversion de l'enfance (via l'instit pédophile nazi). Au fond, il faudrait que je module mon idée pour dire : à partir de Rossellini, l'enfance (donc le cinéma) a pu être dénaturée. Pourquoi? Parce que le Edmund de Rossellini est le petit frère du héros de "Vecchia guardia", entièrement dévoué à la cause des grands. Ce qui est terrifiant dans Edmund, c'est qu'il est l'enfant idéal pour ceux qui n'aiment pas l'enfance :il est un pur être de communication, c'est-à-dire qu'il obéit au langage comme à un ordre...



Je relis, et je vois au moins trois idées

celle du film : Qu'un petit garçon croit tout ce qu'on lui dit, prend tout à la lettre, vit dans le monde transitif du "aussitôt dit, aussitôt fait" et en meurt

celle de RR : L'idée de RR est qu"à situation perverse perversion de l'enfance (via l'instit pédophile nazi)

celle de Daney : Au fond, il faudrait que je module mon idée pour dire





celle de daney, qui est évidement l'idée de toutes ces idées... l'idée d'une certaine idée de l'enfance, et de son lien au cinéma (le cinéma et l'enfance, qui se dénaturent quand ils se dévouent à la cause des grands) quand Haneke dit que l'innocence de l'enfance c'est le rêve romantique que les adultes se font des enfants, de l'enfance, cela doit quelque chose de son cinéma, qui n'aime pas les enfants, et ne se fait d'eux aucune idée romantique; position du pédagogue...









Daney :

Ce qui est terrifiant dans Edmund, c'est qu'il est l'enfant idéal pour ceux qui n'aiment pas l'enfance : il est un pur être de communication, c'est-à-dire qu'il obéit au langage comme à un ordre...



On retrouve ici, bien entendu Deleuze, et cette idée de l'idée, qui n'est affaire de communication, ni d'information...


Qu'est-ce qu'un acte de création ?






Eh bien, je me dis, vous voyez bien, avoir une idée, ce n’est pas de l’ordre de la communication, en tout cas. Et c’est à ca que je voudrais en venir, parce que cela fait partie des questions qui m’ont été très gentiment posées. Je veux dire à quel point tout ce dont on parle est irréductible à toute communication. Ce n’est pas grave. Ca veut dire quoi ? Cela veut dire, il me semble que, en un premier sens, on pourrait dire que la communication, c’est la transmission et la propagation d’une information. Or une information, c’est quoi ? C’est pas très compliqué, tout le monde le sait : une information, c’est un ensemble de mots d’ordre. Quand on vous informe, on vous dit ce que vous êtes sensés devoir croire. En d’autres termes : informer c’est faire circuler un mot d’ordre. Les déclarations de police sont dites, à juste titre, des communiqués ; on nous communique de l’information, c’est à dire, on nous dit ce que nous sommes censés être en état ou devoir croire, ce que nous sommes tenus de croire. Ou même pas de croire, mais de faire comme si l’on croyait, on ne nous demande pas de croire, on nous demande de nous comporter comme si nous le croyions. C’est ça l’information, la communication, et, indépendamment de ces mots d’ordre, et de la transmission de ces mots d’ordre, il n’y a pas de communication, il n’y a pas d’information. Ce qui revient à dire : que l’information, c’est exactement le système du contrôle.

Et c’est vrai, je dis des platitudes, c’est évident. C’est évident, sauf que ça nous concerne particulièrement aujourd’hui.



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Message par Borges Mar 10 Nov 2009 - 15:37

Ceci :


-la télé, les images, occupent une grande place dans le cinéma de Haneke; ce qui frappe dans ce film, ce qui en constitue une manière de vide, c'est l'absence de la télé; qu'est-ce qu'un monde sans télé? C'est la question.
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Message par Borges Mer 11 Nov 2009 - 16:19



Comme on discute, ici; passionnant, heureusement, qu'on peut aller ailleurs, voir ce qui se dit, s'écrit, se pense.


J’ai vu peu de films de Haneke, à peine trois, les plus connus, de plus. Après le dernier, je me suis dit qu’il fallait un peu m’intéresser à ce type. J’ai lu quelques articles, un peu partout et au hasard. Et le hasard, comme on sait aime l’indépendance, et l’art. C’est ainsi qu’il m’a conduit aux errances critiques de ER, qui, de Cannes, 20 mai 2009, à Paris, 28 octobre 2009, a mené une longue réflexion (non, je vais pas dire « complexe et passionnante », « long », c’est déjà pas mal) sur le ruban blanc, la chose, le film, le titre du film, et plus métaphysiquement encore, sur le cinéma et la lumière.

Tout n’est pas mauvais dans ce texte, y a même des choses pas mal, qui devront aider les plus jeunes, ou les critiques en panne, en manque d’inspiration, jouant les Artaud face à leur impuissance, à leur impouvoir, ou plutôt jouant les Fitzgerald, c’est plus cool, et classe. Dans ce texte, il y a une méthode critique pour écrire un texte.



Le résultat sans résultat, tient en un slogan : si « action réveille le blanc », la lumière révèle le Mal.

On le sait ER n’est pas hégélien; trop difficile, et encore plus difficile de ne pas l’être.

(Je pense revenir sur ces idées ; et les discuter, depuis Daney, et Derrida, qui me semblent animer un peu le mouvement de cette phénoménologie, où le vrai n’est pas dans le résultat, contrairement au foot, mais dans le devenir, dans le mouvement. L’essentiel c’est de jouer et de s’amuser. C’est bien, comme idée, même si c’est une morale d’oiseau pour les gosses qu’on cherche à consoler d’avoir perdu.)

« Mal », doit toujours s’entendre ici en un sens absolu ; quand la majuscule est oubliée, le lecteur est prié de la rajouter mentalement.


Si ER n’aime pas Haneke, il préfère de loin le douanier rousseau et les films hollywoodiens de Huillet et Straub, il admet que ce dernier est son meilleur. Ca ne vaut pas un huit, mais presque.

Faut tout reconnaître que c’est bien de consacrer tant de mois d’une vie à un metteur en scène que l’on n’aime pas particulièrement

En fait, s’il s’est intéressé si longtemps à ce film, c’est qu’il y a découvert, retrouvé, l’obsession de Haneke pour le mal absolu, la méchanceté fondamentale. Ca l’intéresse le mal absolu, il veut le voir en face.

Le mal absolu, pas tel ou tel mal (pas se faire mal à la jambe, avoir mal aux dents, comme Wittgenstein, pas même la mort) ; le mal absolument mal, sans la moindre relation, c’est-à-dire séparé de tout, de l’espace, du temps, des causes, des victimes, des bourreaux, un mal sans la moindre qualité, sans qualification (on peut rien en dire, rien montrer) ; ce mal absolu n’est ni « matérialiste » (pas la lutte des classes nous dit ER ; la lutte des classes et marx ne savent rien des esprits, du malin ; ils pensent tout réduire à la matière, à l’empirique) ni phénoménologique (pure manifestation, ou quelque chose comme ça).

Le mal en tant que tel, le mal en tant que mal, et son origine, c’est ça que le critique veut regarder en face(comme Gluksman, bernard henri, et d’autres du même genre), et pas tellement le film, afin de nous donner à le voir à notre tour, sous la forme d’un texte fait à l’image du film, avec des trous, des raccourcis, des errances, des vides, des vides… absolument nécessaires, car, c’est dans ces trous et ces raccourcis qu’est censé se cacher le mal absolu, qui évidement se cache absolument.


Voir le mal en face, le colonel Kurtz pensait y être parvenu, mais c’était pas vraiment le mal absolu, juste un tas de petits bras, une montagne de petits bras d’enfants. Ca ne suffit pas aux critiques de cinéma, qui veulent de l’absolu, tout en sachant, hélas, que le cinéma est bien obligé d’obéir aux formes a priori de la sensibilité, le temps et l’espace, et que chercher à voir ce qui ne se donne pas dans le temps et dans l’espace, c’est rêver d’une intuition originaire, d’être dieu, qui ne sait rien du Mal, encore moins que l’instituteur, le critique, ou le cinéaste. Ce serait la vérité du Mal, de ce mal absolu, que le cinéma ne peut pas le montrer ; non, c’est seulement une connerie, car le cinéma ne peut rien montrer d’absolu, pas même la table absolu, la chaise absolu. Dire que le mal absolu est irreprésentable, c’est ne rien dire. Il sait bien ER, qui connaît sa différence entre noumène et phénomène, du moins la différence classique, pour philosophe débutant.


Texte diablement modeste, où le critique se met dans la peau de l’instit candide, qui avoue ne pas en savoir tant que ça sur ce qui s’est passé, ne pas avoir encore découvert les causes adéquates des événements qui ont remué son petit village; pourtant, à la différence du critique indépendant, ER, sait son Kant (le moral, le philosophique, le piétiste, le religieux…le mal radical, comme il sait des tas de choses sur la culture allemande et son amour des origines, des profondeurs, du mal, des refoulement, et défoulement ) comme il sait son Marx, et sa phénoménologie. Il maîtrise tellement son matérialisme phénoménologique kantien qu’il est incapable de se souvenir de trucs aussi débiles, et désuets qu’ « infrastructure », et « superstructure » ; voyez comment il oppose la structure à la superstructure.



« Haneke décrit de manière chirurgicale (le choix de l’adjectif est digne du dictionnaire des idées reçues) structure et superstructure du village. Côté structure. Le baron, la propriété foncière qui possède tout. Les contremaitres, juste au dessous du patron. Et les serfs, deux catégories : les pauvres paysans dont le labour assure au mieux la survie. Et les employés du baron (la nourrice, l’instituteur…) dont les existences sont tout aussi précaires que celles des paysans, à cette exception près que leur vie n’est pas liés aux caprices de la nature mais à ceux de la baronesse. Côté superstructure. Le voile de la culture protestante enrobe toutes les différences de classe. C’est dans le contraste entre la blancheur éblouissante de l’idéologie à l’intérieur de laquelle on est tous égaux et les maintes degrés de gris des échelles sociales qui se produit le conflit dont parle le film. »


Je dis pas qu’il faut passer maître dans ces deux trucs, ou dans les sciences occultes, pour faire de la critique de cinéma. C’est ER qui se réclame de la phénoménologie et du matérialisme, et qui nous fait des allusions à la pensée, et à la philosophie. Tout cela ce n’est rien, ne rien connaître à quoi que ce soit et faire semblant. C’est un jeu où nous nous aventurons tous. Le machin le plus redoutable dans le texte de ER, qui passe du naïf, le plus touchant à la prétention la plus amusante, c’est le passage sur la feuille à quatre censé nous donner la bonne méthode.


La bonne méthode pour écrire un texte. Prendre une feuille A4 et la plier en deux parties. Noter sur la colonne de droite toutes les informations concernant le film. Et sur celle de gauche toutes les idées sur le film. Après, procéder à un premier tri. Le type de film et le type d’article, indiquent d'abord quelles informations doivent impérativement être dans le texte. Le Ruban blanc est la palme d’or 2009. C’est important si j’écris un court texte pour un magazine italien, mais ce n’est pas une information prioritaire dans un texte pour Independencia. Il s’agit d’un film en noir et blanc. C’est une information à la fois banale et capitale. La preuve, elle invite immédiatement à concevoir une idée sur le film.







Ca ne semble pas terrifiant, mais bon, on ne doit pas juger trop vite. ER ne prétend pas avoir découvert l’Amérique et construit le port de New-York avec ce truc. Si une méthode se mesure à son résultat, hélas, comme on dit, même si on s’en tape, en réalité, même si on est bien content que ça ne marche pas : les résultats ne sont pas enthousiasmants. ER n’obtient pas grand-chose.

En partageant sa feuille (A4, le seul format autorisé, qui garantisse quelque chose) en deux, il découvre que le ruban blanc a remporté un prix à Cannes, et que c’est un film en noir et blanc.

Même si on n’est pas très exigeant, en matière d’informations, on est bien obligé de s’avouer, que ça n’apporte rien ce pliage, en deux, il aurait peut-être fallu la plier, en quatre, ou en cinq… ou je ne sais pas.


Peu importe, on ne peut pas espérer aller loin avec une méthode qui ne nous découvre que des choses que l’on savait déjà. On dira que les magiciens ne font pas mieux (et Platon et Socrate et bien d’autres encore) et que le lapin doit être dans le chapeau pour en être tiré ; bien entendu; je me demande juste si le critique de cinéma doit recourir à la magie (même quand il doit rendre compte d’un film consacré au mal absolu) et s’amuser avec des feuilles format A4 ; un sain matérialisme nous inviterait plutôt à nous détourner de ces explications mystico-mystérieuses, car, comme disait le vieux Marx ; « Tous les mystères qui détournent la théorie vers le mysticisme trouvent leur solution rationnelle dans la pratique humaine et dans la compréhension de cette pratique. »


Oui ; bien entendu. Mais ER sait les limites des infos obtenus par cette méthode.

Que le film de Haneke ait eu la « palmes d’or » à Cannes, c’est pas un scoop, pour les gens d’ Independencia, pour eux c’est pas une information, surtout plusieurs mois après le festival, ER, le sait, mais nous dit-il, sans ironie, du moins qui me soit perceptible, cela peut-être une informations pour les Italiens. Pourquoi pour les Italiens ? Parce qu’il parle italien, vient d’Italie, écrit dans des trucs italiens, parce que les Italiens s’intéressent particulièrement aux palmes, à l’or…parce qu’une information concernant Cannes, et ses prix, ne leur parvient…Je ne sais pas…Je ne dis pas que tous les Italiens sont à la pointe du savoir cinématographique, comme les gens de Independencia, mais tout de même….

-Que c’est du noir et blanc ; c’est rien, dira-t-on, c’est encore plus évident que la récompense à Cannes, après tout il suffit d’avoir des yeux pour le voir, alors que le prix à Cannes, c’est absolument impossible à découvrir depuis le film. Sans doute, c’est banal, ce noir et blanc, mais selon ER, c’est capital, parce que ça invite à avoir une idée sur le film, et cela « immédiatement » ; si le film avait été en couleur, il n’aurait pas invité ER a avoir une idée, du moins pas aussi rapidement, il aurait pu prendre son temps, un temps encore plus long que ces longs mois qu’il lui a fallu pour aller au-delà de la comparaison, vers la métaphore, et cette identification (audacieuse) du ruban à la pellicule ; le Ruban, le film, c’est le ruban, le truc que le pasteur attache à ses gosses. Quelle idée.


Tout ce long texte peut se lire comme le mouvement d’une errance critique, d’un subjectivité critique, à la recherche de l’idée, et de la méthode ; et c’est pas idiot cet effort, qu’il n’aboutisse à rien, ou seulement à l’équivalence métaphorique d’un ruban et d’une pellicule ne le rend pas vain ; bien au contraire. Notons : beaucoup de critiques de cinéma croient avoir atteint le sommet de leur existence et de l’intelligible quand ils ont découvert que le film c’est le film, que le cinéma c’est le cinéma, que le film parle du film, et le cinéma du cinéma. Voyez le passage sur l’Eglise qui se transforme en salle de cinéma, comment on passe d’un peuple à l’autre. C’est un cliché moderne, qui fonde même la modernité critique, et esthétique, et qui se résume en une belle tautologie ; les arts deviennent eux-mêmes, quand ils n’ont plus affaire qu’à eux-mêmes, quand ils sont sans objets, sans référents, sans rien, quand la peinture ne parle que de la peinture, la musique de la musique, le cinéma du cinéma. Les critiques de cinéma, qui ne sont pas les plus malins, réduisent ça à un cliché encore plus cliché que le précédent. Dans le moindre film, dès qu’il y a une salle, ou une miroir, un écran, n’importe quoi qui rappelle que nous sommes devant un film, le critique épaté, sans même se rendre compte de son idiotie, se jette dessus pour nous apprendre qu’un film est un film, et que la pipe est une pipe… Tout le long mouvement phénoménologique (je ris), du texte de Renzi aboutit à cette niaiseries, en identifiant le mot et la chose, le ruban du titre au ruban que le pasteur attache aux bras de ses gosses ; mais pour y parvenir, relisez son texte, il est obligé d’ignorer la couleur de ce ruban ; ce qui n’est pas rien ; je pense y revenir plus tard ou seulement quand les poules auront des dents)



-Too much philo tue das Kino ?; demande Renzi, qui jongle en virtuose avec trois langues.


Ce qui tue le cinéma, la critique, la philo, c’est pas assez de pensée
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Message par Borges Mer 11 Nov 2009 - 16:20

Alors le comte, toujours pas fini ton texte sur le transcendantal chez Haneke.

Wink
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Message par Le_comte Mer 11 Nov 2009 - 17:57

Non non, je n'ai pas encore commencé, j'ai beaucoup de travail en ce moment, peut-être vendredi Smile) (Sinon, très intéressant ce que vous racontez, sans avoir tout lu encore)

Le_comte

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Message par Largo Mer 11 Nov 2009 - 22:58

Ce qu’il y a d’admirable dans Le Ruban blanc, pour moi, c’est qu’on a rarement vu représentée, avec une telle acuité, une structure sociale viciée de l'intérieur, sans pour autant transformer l’étude en une chasse aux sorcières, sans chercher à faire porter toute la responsabilité du drame sur un « méchant » tout désigné et facile à exorciser, qu’il soit un personnage historique (Hitler ou n’importe quel homme portant un uniforme nazi) ou une figure allégorique (Mabuse, Nosferatu…).
A partir de là, on constate que ce Ruban blanc se déroule suivant une logique inverse à celle d'M le maudit. En effet, Fritz Lang y disséquait les dysfonctionnements d’un mécanisme de contrôle social (la police, l’Etat) mis en place pour éradiquer le fauteur de troubles, le monstre immoral, et faire régner la justice, donc le bien. Le spectateur assistait alors à la mise en place d’un système alternatif pourtant illégal (le syndicat du crime) mais bien plus efficace dans sa traque. Dans le film d'Haneke, c'est au contraire la rigueur des instances de répression des mœurs (l’Eglise, le Comte) qui finit par susciter et pérenniser les crimes que la société réprouve.
Haneke nous montre qu'à force d’être traqué partout pour le refouler, le mal comme un virus finit par contaminer tout le monde. Il est sans visage, insaisissable, omniprésent et invisible, quelque part au milieu des visages blonds et impassibles qui viennent s’aligner silencieusement en face du spectateur dans le dernier plan. Terrible plan-miroir tendu au spectateur. C’est aussi ce qui fonde le pessimisme philosophique d’Haneke : le mal fait partie de l’Homme, il est en nous, parmi nous. On a beau prétendre le cerner, s’en approcher, lui accrocher un ruban blanc pour ne pas perdre sa trace, impossible de l’en déloger. De même qu’il est impossible de dépasser le partage religieux et moral du bien et du mal.

balthazar claes a écrit:


Mabuse je ne sais pas mais n'y a-t-il pas des films américains de Lang dont c'est bien le propos ? Je ne suis pas un spécialiste, mais je crois que c'est ce dont il s'agit dans Fury.

Borges a répondu :




C'est un jugement faible, il y a rien d'admirable dans cette position, en tant que telle, ce qu'il faut, c'est penser sa valeur, sa spécificité... est-ce mieux de dire "tous les hommes sont mauvais"?

N'oublions pas que le film ne montre pas que des méchants, y a des personnages positifs, l'instituteur, sa copine, les femmes en général, les paysans...




Où est le problème?
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Message par Eyquem Sam 21 Nov 2009 - 11:52

J'ai mal vu le film (dans de mauvaises conditions), je peux donc difficilement en juger.

C'était juste pour dire qu'effectivement, on ne sait pas quel est le point de vue dans certaines scènes. Qui voit ? Ou même : qui surveille ? Mais c'était déjà toute la question de "Caché" : Auteuil recevait des cassettes, des images vidéo de sa maison (ce sont les toutes premières images du film) ; mais on ne saura jamais qui les a filmées (sinon que le dernier plan du film, déjà, suggérait une complicité des enfants dans le "complot" ?).

J'ai lu ici ou là (pas dans le topic, mais ailleurs) que Haneke jouait au "petit malin" en frustrant le spectateur de ce savoir, en lui dérobant l'identité des "coupables".
Il me semble que c'est prendre les choses à l'envers, plaquer ses attentes sur le film ; tout l'enjeu, c'est justement de "trouer" la fiction, de faire apparaître ce "caché" et de tenir le paradoxe que ce "caché" est là, sans qu'on puisse jamais le voir, par définition.

Je crois que l'une des préoccupations de Haneke, c'est justement d'introduire ce point de vue un peu monstrueux dans ses films, difficilement assignable : sans trop réfléchir, je l'appellerais : "point de vue de la machine".


Borges demandait au début du topic quel est le rôle des enfants chez Haneke et citait l'entretien du cinéaste (de mémoire : "l'innocence enfantine est une projection des adultes").
A ce titre, j'ai juste envie de citer une image du film (j'aime bien les images
Wink ), celle que Largo a choisie pour son article, sur le blog.

Le Ruban blanc - Michael Haneke - Page 2 Le-ruban-blanc-45913

Elle est très belle, et elle "cristallise" bien des aspects du film.
Le champ de choux - où naissent les enfants purs.
Et tout de suite, la Mort, avec sa faux.
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Message par Borges Sam 21 Nov 2009 - 15:22

Dans "au hasard baltazhar", de Bresson (le film sommet de Haneke) ce thème est traité de manière bien plus fine, plus riche, plus pensante, il y a un meurtre dans le village... quelques personnages sont convoqués par les flics...on ne sait pas qui, qui a été tué, si c'est un meurtre, même le film ne s'y intéresse pas plus que ça...c'est ainsi dans la vie, dit Bresson...


le top ten de Haneke,

1. Au hasard Balthazar (Bresson)
2. Lancelot du Lac (Bresson)
3. Mirror (Tarkovsky)
4. Salò (Pasolini)
5. The Exterminating Angel (Buñuel)
6. The Gold Rush (Chaplin)
7. Psycho (Hitchcock)
8. A Woman under the Influence (Cassavetes)
9. Germany Year Zero (Rossellini)
10. L'eclisse (Antonioni)



La faux, c'est les révoltes paysannes, c'est la révolution; Haneke connaît sa philosophie, c'est pas seulement l'image-symbole de la mort, un homme et une faux, par la médiation des choux, on va vers Hegel; haneke dit vouloir dénoncer les extrêmes de gauche comme de droite...(surtout ne pas vouloir le bien, ça conduit au totalitarisme, on connaît la chanson); voilà ce que Hegel écrivait de la terreur révolutionnaire et de la guillotine :


"L’unique oeuvre et opération de la liberté universelle est donc la mort... C’est ainsi la mort la plus froide et la plus plate, sans plus de signification que de trancher une tête de chou ou d’engloutir une gorgée d’eau".
Borges
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Message par Le_comte Mer 28 Avr 2010 - 19:25

Je me promène en ce moment dans La fable cinématographique de Rancière, en tentant de comprendre son texte sur Rossellini, "La chute des corps", dont Zizek souligne l'importance pour sa propre réflexion sur le cinéma (cf : entretien aux cahiers). Il lie en effet ce texte au cinéma hollywoodien, il dit avoir eu une révélation (celle, justement, qu'on pouvait penser très sérieusement le cinéma hollywoodien). Je n'ai pas compris ce rapport, au vu du texte, quelqu'un pourrait me l'expliquer ?

(Question subsidiaire : pourquoi Rancière n'écrit pas sur le cinéma comme il écrit généralement sur la politique, la parole, la démocratie, le partage du sensible ? Pourquoi ne cherche-t-il pas des modèles de pensée ? Il y a toujours un écart chez lui. Bien sûr, il ne cherche pas à réifier le cinéma, ni à faire de sa pensée une scolastique. Mais c'est étrange quand même)

Sinon, quel lien entre ce texte et Le ruban blanc ? Adeline avait proposé le rapprochement, à juste titre, avec les films de Rossellini. Un peu par hasard, j'ai retrouvé dans le texte Rancière exactement le même sentiment que j'ai eu par rapport au Ruban blanc. Il dit, à un moment, à propos d'Allemagne année zéro, que le film n'était pas le récit des effets pervers d'une éducation et de l'idéologie dominante. Que son cœur, en somme, se jouait ailleurs, dans une autre lecture des gestes de l'enfant, et que ses états d'âme n'étaient pas exactement (très peu ?) le résultat des pressions de son éducations. Je crois qu'il s'agit de la même chose pour Le ruban blanc, dont les véritables enjeux se déroulent ailleurs.

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