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A Touch of Sin/Tian Zhu Ding (le ciel l’a voulu) (Jia Zhangke; 2013)

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Message par Borges Ven 13 Déc 2013 - 10:47

Étonnant, pendant un long moment, j'ai senti et pensé qu'il s'agissait là du film de l'année, d'un grand film, puis, (je ne dirais pas dans la seconde partie, je sais pas très bien de combien de parties le film se compose) ce sentiment et cette pensée ont perdu de leur force; le moment le plus faible du film, c'est l'apparition de JZK, en nouveau riche...trop complaisant, dans cette scène, et puis il nous identifie trop au regard de tous ces cons quand il filme les jolies filles devenues pure spectacle érotique, images sans matière; sans doute, s'agit-il d'opposer deux "spectacles", deux regards, le populaire, lors des scènes de théâtres traditionnels chinois, et celui de ces nouveaux riches...

La violence, je pense pas que le film aille la chercher dans le cinéma américain, en tous les cas, pas chez eastwood, et encore moins chez tarantino (la violence de tarantino, c'est de la violence filmée, comme on parle de cinéma, ou de film filmé; ça n'existe pas); la violence du film de JZK est beaucoup trop liée à la réalité sociale, économique, politique pour être américaine...c'est une violence qui répond à la violence des injustices que doivent subir les personnages dominés... belle analogie entre la situation faite aux hommes et celles faite aux animaux; le cheval battu; on pense à celui de Turin, mais aussi aux chevaux de "Michael Kohlhaas" : c'est le même problème dans les deux films : celui de la justice dans une situation où le droit n'est plus juste... La fille, qui se refuse au mec qui pense que son fric peut tout acheter, est battue comme l'était le cheval au début du film; elle tue le type; le cheval ne peut se venger, répondre, on le fera pour lui...  


pour la violence, j'ai moins pensé à kitano (un des producteurs du film) qu'à leone, ou même à un truc français, "le vieux fusil"...




le jeux des rapprochements, en tenant compte des errances des personnages, et de la question de la justice : pourquoi eux, et pas moi...?

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un film libéral, celui des coen, l'injustice est sans cause, sans raison, on ne peut s'en prendre à personne; le dieu du livre de Job, disparu, rien ne rendra à llewyn davis son compagnon de duo, et il ne peut s'en prendre à personne s'il échoue dans le monde, et puis, musicalement, à qui s'en prendre si on n'a pas le génie "mythologisé" de dylan, ni de potentiel commercial?... Dans le film de JZK : le contraire, on peut toujours nommer une cause; ici, comme dirait Badiou, y a un monde...



en terme d'images marquantes : JZK a crée un personnage très fort, très fascinant, qui n'est pas un tueur en série,  pas un bandit social,  pas un gangster... une magnifique énigme :


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Dernière édition par Borges le Sam 14 Déc 2013 - 8:06, édité 3 fois
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Message par Borges Ven 13 Déc 2013 - 12:29

pib a écrit:C'est lui l'énigme, comme tu l'appelles, qui m'a immédiatement fait penser au dandysme d' Eastwood (dans une des meilleures scènes du film).
Mais le film manque singulièrement de liant, c'est une succession de moments, autonomes, parfois pleins, parfois creux.

Et on se perd en conjectures sur le point de vue de JZK.


exactement; le film manque de liant, d'unité; c'est pas non plus du désordre, ou une désorganisation volontaire, c'est un point faible, qui tient peut-être précisément à cette difficulté à saisir le point de vue de JZK; faut pas en abuser, mais là encore, je crois qu'il faut rappeler l'affirmation de badiou à propos du "point réel..."

"Selon Lacan, l’enjeu d’une cure analytique consiste à élever l’impuissance à l’impossible. Qu’est-ce que cela signifie ? Eh bien  cela signifie que pour échapper à la triade de la pulsion négative, de la nostalgie et de l’impuissance, il faut  trouver un point réel sur lequel tenir coûte que coûte."

JZK n'est pas dans l'impuissance, ni dans la nostalgie, comme le film de James Gray ou celui des Coen..., tous deux situés dans le passé, après tout faut être   lâche, refuser le présent,  pour nous raconter une histoire d'immigration située dans les années 1920, comme si ce phénomène était étranger à notre époque...même chose avec les Coen, qui ajoutent à la nostalgie folk, celle du peuple disparu, car, c'est ça la folk, l'impuissance du héros...

Pas d'impuissance, pas de nostalgie, chez JZK, du moins à première vue, mais une impossibilité à faire un corps de vérité, à la fois individuel et collectif; le film ne raconte pas comme "les raisins de la colère", une prise de conscience collective à travers un sujet, Fonda, mais une suite d'actes de violence, séparés, sans liens, sinon la cause, la violence sociale... on ne passe pas de l'impuissance  à l'impossible...la violence séparée de l'idée reste au niveau de la pulsion; la nostalgie peut-être se situe dans le titre, qui on le sait, cite King Hu : "a touch of zen".

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le sin est venu remplacé le zen; mais je ne sais pas si le zen peut constituer une réponse à la situation chinoise, mondiale...

comme les autres films de JZK, nous avons ici un film de la séparation...


ce qui manque dans ces trois films, moins dans le JZK, tout de même, c'est le peuple...



Dernière édition par Borges le Ven 13 Déc 2013 - 18:48, édité 1 fois
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Message par adeline Ven 13 Déc 2013 - 19:30

S'il n'y a pas de réel chez JZK, je me demande où il peut y en avoir… Un corps de vérité et le réel, c'est pas la même chose.

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Message par Borges Sam 14 Déc 2013 - 8:04

Jia Zhang-ke a écrit:
Le titre original, Tian Zhu Ding, signifie : « le ciel l’a voulu ». Il y a une dimension fataliste, une soumission aux événements qui est pessimiste. Mais le titre est aussi porteur de l’idée que la révolte est décidée par le ciel. Tian, « le ciel », signifie à la fois une force supérieure, extérieure, et le cosmos en tant que nous en faisons tous partie. Tien, c’est encore le siège des grandes idées, là où résident les notion de liberté, de justice. Le titre laisse ouvert le choix entre ces différentes acceptions. Tian Zhu Ding est aussi la formule qu’on trouve très fréquemment sur les réseaux sociaux en guise de commentaire à des événements de toute nature, crises politiques, drames humains, catastrophes en tous genres. Avec à nouveau un usage ambigu, fataliste chez certain, ironique chez d’autres.
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Message par Invité Sam 14 Déc 2013 - 10:04

adeline a écrit:S'il n'y a pas de réel chez JZK, je me demande où il peut y en avoir… Un corps de vérité et le réel, c'est pas la même chose.

La réponse n'est pas difficile : ailleurs. 
Le film ressemble plus à des installations, mises bout à bout, dans des décors au plus vilain sens du terme. C'est souvent symbolique, parfois filmé de façon perceptible comme des "cascades" ou des mises en scène bidon (comme le suicide) : pour moi vérité et réalité vont de pair. Le néo-réalisme en est l'illustration.

Je ne sais pas si tu as vu le film ; pour ma part je trouve que c'est dans cette contradiction ou cette retenue qui consistent à avoir filmé la violence tirée de faits réels en Chine, sans que cela fasse corps de vérité, comme dit justement Borges, mais en mettant le réel à distance, en ne disant plus maintenant grand chose de la Chine actuelle - : quoi ? des migrants qui vont et viennent à leur guise, voyageant dans des trains de luxe - tout en soldant les comptes de son cinéma passé comme les amours mort- nées mais,  en évitant aussi le film de genre, que réside l'intérêt du film qui semble être un tournant puisque le prochain film sera un film d'arts martiaux en costume.

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Message par DB Lun 16 Déc 2013 - 10:34

Un des meilleurs et plus beaux débuts de toute l'année.

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Message par pm Mar 17 Déc 2013 - 13:37

Beau et détonnant. On peut d’ailleurs plaisamment remarquer que la détonation qui fait sursauter l’homme à la tomate ne fait en revanche pas trembler la caméra !
Cela rappelle la critique rancérienne de Deleuze, dans La Fable Cinématographique (p155) où il se saisit du personnage de «  Scottie, qui bien que sujet au vertige, ne paralyse en rien la caméra de trouver l’occasion de réaliser un trucage spectaculaire nous le montrant accroché à une gouttière au- dessus d’un abyme vertigineux ». Pour le fun.
C’est peut- être parce qu’on n’accède au réel que par la forme, que Kiarostami ira jusqu’à dire qu’il n’existe pas de film documentaire. Une image ne représente pas une réalité supposée, elle est à elle-même toute sa réalité. Elle doit convaincre et non démontrer.
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Message par Invité Lun 23 Déc 2013 - 0:03

Pas mal, très intéressant. Cela m'a fait beaucoup penser à l'Argent de Bresson et plus encore à Kieslowski: le Décalogue pour le découpage en histoires qui illustrent chacune une valeur à la fois bafouée et exhaussée, voire Rouge pour l'histoire de l'accident du train. Mais surtout ce qui m'a rappelé Kieslowski c'est de relatives similitudes dans le contexte politique et social des films, et une manière de présenter une sorte de grâce religieuse déjà déployée, qui ne se trouve que dans le sacrifice,  comme une échappatoire possible contre la bureaucratie et la police. Il y a vous l'avez déjà relevé une symbolique très religieuse dans ce film, avec les serpents (même s'il s'agît aussi d'une citation de Tsui Hark), le portrait de la vierge trimballé sous la neige au milieu d'une cours d' usine, le bouddha sur le capot de la voiture dans une scène qui mène paradoxalement à l'abandon du personnage de la jeune fille qui pourrait être une planche de salut, mais ne l'est pas justement...,
Par contre je crois qu'il y a une certaine habilité politique chez Zanghke : dans the World il plaçait des slogans de Mao dans la bouche d'un employé du parc, leur donnant un premier degré optimiste qui s'opposait au tragique dickensien du film, ici la rhétorique de dénonciation des oligarques pourrait potentiellement un peu de la même manière cadrer partiellement avec la position officielle du PC chinois, qui s'appuie parfois sur la corruption de ses cadres pour les purger. Le film ne met finalement en cause que des intermédiaires dans la structure de commandement de la société chinoise, laissant ouvert le fait de savoir s'il faut remonter également au sommet hiérarchique. Il laisse aussi la police de côté, à l'extérieur de sa dénonciation de la corruption (même s'il est vrai que la police chinoise est spéciale: on sent que les flics de base sont aussi sans doute les premiers surveillés, perpétuellement évalués, et en même forment un sous-ensemble de la société)
Il y a peut-être dans le film un parallélisme entre la pureté religieuse que ses personnages trouvent dans l'abaissement puis dans une lutte désespérée, et le fait que les exercices du pouvoir et de la police semblent montré comme corruption d'un principe qui, ui, reste peut-être valide (ce n'est pas pour rien que ce sont les policier qui remettent à la jeune fille le couteau qui lui permet d’échapper au viol mais  qui la fait basculer, puis que ce soit ensuite cette police qui représente le seul "personnage" à qui elle peut s'adresser pour raconter...). Je crois qu'il ne s'agît pas de montrer dans le film l'idée d'unchangement de régime, mais de montrer au pouvoir quelle est la nature d'une réalité, quel est le fonctionnement de ses cadres intermédiaires, de ses usines, de ses contremaîtres, de ses nouveaux riches, en laissant à la fois la lettre et l'esprit de la loi intacte.
Ainsi de manière assez inattendue, le premier personnage, que l'on sent bien grillé avant que le film commence espèce naïvement que sa missive atteindra une sorte de commission éthique à Pékin, et sa vengeance est le substitut du non-envoi de cette lettre et donc de sa non-lecture par l'état. De même la troisième histoire s'arrête lorsque la jeune fille appelle la police (mais son sort est montré plus loin dans el film: à la place d'être emprisonnée, elle assiste à une sorte de représentation théâtrale légendaire de son propre crime qui est une sorte de catharsis. On a un peu l'impression que la police est invoquée pour jouer elle-même le rôle d'une sorte de distanciation brechtienne.

Il y aussi une manière assez religieuse  de placer une sorte de dilemme existentiel à l'intérieur du politique, d'avancer en même temps l'idée que les  personnages "purs" moralement sont ceux qui sont vieillis par leur discours, alors que les formes d'aliénation ou de domination restent au contraire elles intactes et renvoient à du primitif (le fait que chaque personnage a un scrupule moral matérialisé par la vision d'un animal, y compris les poissons rouges de la prostituée, sauf celui qui se suicide justement, ou que le seul échange entre la jeune fille et une collègue soit sur le thème du suicide que  "même les animaux connaissent", mais que le film montre comme un lâcheté).
Au début je trouvais le film un peu trop didactique, mais il y a une espèce de torpeur somnambule qui s'installe au fur et à mesure que la violence du monde du film se généralise, qui est de plus en lus intéressante, qui est propre au cinéma et permet de dire quelque chose du réel, une sorte de rythme invisible du visible. La scène du meurtre "aux billets" et la dérive qui la suit, celle ou apparemment JZK met en scène son meurtre (intéressant d'ailleurs politiquement: son personnage et celui de sa femme sont plutôt sympa et semblent intègres, on ne sait pas de quoi ils sont punis, sauf peut-être , quelque part, de croire naïvement au style de vie de la petite bourgeoisie)  sont superbes, pas loin d'Hou Hsiao Hsen.
Bons acteurs aussi, qui arrivent par leur voix, leur geste à donner une épaisseur réaliste à des personnages qui sont quand-même des archétypes.


borges a écrit:
en terme d'images marquantes : JZK a crée un personnage très fort, très fascinant, qui n'est pas un tueur en série,  pas un bandit social,  pas un gangster... une magnifique énigme :

Spoiler:


Dernière édition par Tony le Mort le Ven 27 Déc 2013 - 20:08, édité 1 fois

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Message par Borges Lun 23 Déc 2013 - 9:56

Tonylemort a écrit:Par contre je crois qu'il y a une certaine habilité politique chez Zanghke : dans the World il plaçait des slogans de Mao dans la bouche d'un employé du parc (...) ici la rhétorique de dénonciation des oligarques pourrait potentiellement un peu de la même manière cadrer partiellement avec la position officielle du PC chinois, qui s'appuie parfois sur la corruption de ses cadres pour les purger. Le film ne met finalement en cause que des intermédiaires dans la structure de commandement de la société chinoise, laissant ouvert le fait de savoir s'il faut remonter également au sommet hiérarchique. Il laisse aussi la police de côté, à l'extérieur de sa dénonciation de la corruption (même s'il est vrai que la police chinoise est spéciale: on sent que les flics de base sont aussi sans doute les premiers surveillés, perpétuellement évalués, et en même temps en contact sous-ensemble de la société)

je suis d'accord; JZK n' est pas du tout le "résistant"  que l'on nous présente, rien de radical chez lui; sa critique se fait d'un point de vue très légitime (la morale du récit populaire, souvent évoqué, avec ses bandits d'honneur, la religion (bouddhisme et christianisme ( pas l'islam, bien entendu... enfin, j'en ai pas vu de trace dans le film), et "le communisme"... )

un truc que j'ai pas trop aimé, c'est le plan très bref où l'on voit quelques travailleurs africains..


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Message par Eyquem Lun 23 Déc 2013 - 10:13

Hello,
Borges a écrit:on ne passe pas de l'impuissance à l'impossible...la violence séparée de l'idée reste au niveau de la pulsion; la nostalgie peut-être se situe dans le titre, qui on le sait, cite King Hu : "a touch of zen".
J'ai trouvé ce film d'une incroyable noirceur. Certaines critiques parlent d'héroïsme, mais c'est plutôt l'impossibilité de toute figure héroïque que je vois dans le film: l'expédition punitive de M.Go est mise sur le même plan que le suicide du jeune gars, et finalement, ce qui frappe, c'est le caractère auto-destructeur de tous ces personnages, même quand leur violence est tournée contre les autres.
Il y a une nostalgie pour l'univers épique des guerriers, celui des bandits rétablissant la justice dans un monde injuste, et en même temps, dès qu'un personnage se transforme en guerrier, comme M.Go ou la femme-serpent, sa vengeance paraît totalement vaine, ou plutôt le personnage apparaît comme une figure déjà anachronique. Dès qu'ils ont accompli leur exploit, les "héros" retournent à l'anonymat: M.Go disparaît, je crois, et le dernier plan n'est pas pour lui mais pour le cheval qu'il a sauvé. Idem pour la femme-serpent, qui disparaît dans la nuit, puis dans la poussière, et enfin dans la foule. (ce qui manque, c'est justement ce qui pourrait venir après le dernier plan sur la foule de spectateurs: il faudrait que cette foule prenne une existence collective, se donne une orientation collective)
Alain Badiou a écrit:Dans les images contemporaines (cinéma, télévision, etc), on peut remarquer une nostalgie du guerrier, un regret imaginaire de la disparition du guerrier et l'invention de faux guerriers. Pourquoi cette nostalgie du guerrier dans l'imagerie contemporaine? A mon avis parce qu'elle est le signe de la décomposition de la figure du soldat. La figure contemporaine du soldat est décomposée sous la pulsion de l'individualisme nihiliste, et cette décomposition de la figure du soldat entraîne une nostalgie de l'ancienne figure épique du guerrier.
Les personnages du film ne sont ni des guerriers, ni des soldats: trop anonymes pour être des guerriers, trop individuels pour être des soldats.


La question de l'héroïsme est soulevée explicitement dans le dialogue du film. Au moment où l'hôtesse discute avec sa collègue, elle évoque un proverbe: "Mieux vaut une longue vie qu'une mort glorieuse" - c'est peut-être l'inverse, j'ai oublié, mais peu importe: le proverbe pose bien la question du choix entre, d'un côté, une vie longue mais vouée à l'oubli, et de l'autre, une vie brève mais destinée à une gloire immortelle (c'est la même question que celle d'Achille).

L'intéressant, c'est que c'est dans cette même scène qu'il est question du suicide des animaux. L'hôtesse regarde un documentaire animalier et demande à sa collègue quelque chose comme: "Tu savais, toi, que les animaux se suicident?". C'est à ce moment-là, si je me souviens bien, qu'elle cite le proverbe sur la vie longue ou héroïque.

C'est assez curieux comme enchaînement, je ne suis pas sûr de bien le comprendre. Dans l'univers épique, mettre en jeu sa propre vie dans le combat, c'est s'élever au-dessus de la commune humanité; c'est devenir une sorte de dieu, du moins se rapprocher d'eux, accéder à une forme d'immortalité (dans la mémoire collective) grâce à ses exploits dont les générations suivantes se souviendront.
Dans l'univers du film, le choix de l'héroïsme n'est pas présenté comme un choix humain (comme un choix des hommes pour se dépasser eux-mêmes); il est présenté comme un choix dont les animaux sont capables: les animaux aussi se suicident, les animaux peuvent préférer une mort glorieuse.

J'imagine qu'il faut penser cet extrait du dialogue avec l'association de chaque personnage du film à un animal précis. Mais je ne sais pas trop comment développer tout ça. C'est comme si la question du film, ce n'était pas: comment faire émerger une figure héroïque? (les conditions ne semblent pas réunies pour que naissent des héros); elle paraît bien en-deçà: c'est peut-être: comment ne pas vivre comme des bêtes?

Tony le mort a écrit:chaque personnage a un scrupule moral matérialisé par la vision d'un animal, y compris les poissons rouges de la postituée, sauf celui qui se suicide justement
Celui qui se suicide est associé à l'oiseau, par son surnom, "QQ" (prononcé comme "cuckoo"): son suicide est aussi un envol qui ne marche pas.
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Message par Borges Lun 23 Déc 2013 - 10:40

hi Eyquem; très intéressant tout ce que tu dis; j'avais presque oublié cette thématique du suicide, de la vie glorieuse... à propos de taxi driver, deleuze disait de de niro, "il ne sait pas ce qu'il pourrait faire, tuer le politique, se suicider, finalement, il se décide pour une tuerie plus ou moins héroïque en sauvant la gamine prostituée"...on a dans "touch of sin" les mêmes bifurcations possibles...les mêmes issues à une violence sans idée, qui n'a donc pour moi pas grand-chose à voir avec la violence des bandits d'honneur, des personnages des films de sabre, ou d'art martiaux...

c'est peut-être l'impossibilité d'un tel film qu'est "touch of sin", même si JZK ne semble pas avoir abandonné l'idée...

faudrait revoir le film pour décider de la place des animaux dans le film, et de la place de l'homme et de la morale par rapport à ces animaux...le cheval battu, je pense beaucoup à celui de BT, qui avait "rendu fou" Nietzsche...BT montrait la vie misérable du propriétaire, ici, le type est descendu, mais le cheval résistait déjà à la violence, ce n'est qu'une fois son maitre mort qu'il se remet en mouvement...(je me souviens bien?)...

Eyquem a écrit:
Celui qui se suicide est associé à l'oiseau, par son surnom, "QQ" (prononcé comme "cuckoo"): son suicide est aussi un envol qui ne marche pas.

un envol impossible, l'envol des héros des films de KH, la lourdeur du sin empêche les envolées, la légèreté zen...

dans "the world", si je me souviens, un ouvrier se tuait en tombant d'un immeuble en construction...

faudrait revoir le film...




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Message par Invité Lun 23 Déc 2013 - 13:30

Le plan sur les travailleurs africains, je ne sais pas s’il faut l’interpréter comme raciste. Je ne connais pas vraiment la Chine, mais il y a un an j’avais passé une semaine à Pékin. J’avais visité le parc de la Moisson du Ciel, qui est un lieu de promenade le week-end. C’est la réplique d’un complexe de temples où l’Empereur sacrifiait tous les printemps du bétail pour demander une bonne moisson aux Dieux. Le parc est en fait moyennement grand, il y a une foule mais on ne sent pas quelque chose d’oppressif : il y a un brassage social, des familles qui promènent avec leur enfant et parlent, des groupes de Chinois qui ont l’air de faire des voyages organisés depuis la Province, des touristes étrangers en groupe organisés aux aussi, des personnes âgées qui jouent sous d'un réseau de galeries et de pergolas aux échecs, des musiciens en groupe ou seuls. L’atmosphère est bon enfant, me rappelait étonnamment des impressions d’enfance (cela rappelle vraiment le parc de la Citadelle à Lille par exemple). J’étais avec deux collègues africains, qui dès que l’on s’éloignait de la guide « officielle », se faisaient photographier avec intensité. On leur demandait sans cesse de poser, c’étaient la première fois apparemment que beaucoup voyaient des noirs. Il y avait des femmes âgées sur le ton d’une demande amusée et timide, des jeunes plus dans l’apostrophe, parfois la curiosité semblait sans malveillance, parfois plus moqueuse. Au début nous nous prêtions au jeu, au bout d’une vingtaine de minutes c’était pesant…Il faut reconnaître qu'ailleurs en ville, le contact avec les commerçants et les passants était plus naturel, c'est sans doute liée à un différence de réalité sociologique entre ce parc (un lieu touristique pour les Chinois eux-mêmes) et le reste de la ville.
Peut-être que JZK entend montrer une nouvelle réalité dans un pays qui était lui aussi soumis à des logiques coloniales, d’émigration, qui devient une puissance . Ce n'est pas la même histoire que l'Europe, le même rapport à l'Afrique (où par ailleurs l'influence polltiqu chinoise peut être parfois assez ancienne et durable, comme en Tanzanie, où on sent qu'une partie de l'organisation de l'état et le rapport de l'état aux ethnies ont été bâties en reprenant partiellement ce qui prévalait dans la Chine de Mao.

Ce qui m’a frappé le plus en Chine, c’est le système des « 4 boutons » : à Pékin, on arrive dans un aéroport énorme, grand et bien organisé, des métros récents qui marchent impeccablement. A l’arrivée ol y a une file où des douaniers (souvent très jeunes) doivent tamponner le visa. En gros on arrive devant un comptoir, on tend son passeport à un douanier, il fait « Tchak », on dit peut-être merci, vous ne vous regardez pas. Cela doit durer 15 secondes. Mais on est invité à évaluer électroniquement son douanier par un petit système de 4 boutons qui se répète souvent (que je n’ai jamais remarqué, il y avait pourtant des bandeaux lumineux rouges qui défilaient au dessus des comptoirs d'arrivée pour présennter le système que je n’ai pas vu: trop grospour être visibles ) avec des icônes pour indiquer son contentement ou son insatisfaction (un peu comme les bonhommes de Télérama). D'autres postes moins exposés (comme les marchand de l'aéroport, qui sont sans doute des employés d'état) snt soumis au même système.
Le surveillant est le premier surveillé: système tient en partie parce que chacun peut envoyer en tôle (ou du moins avoir un impact négatif sur sa carrièe) la personne qui peut elle-même le faire pour vous. On retrouve cela un peu dans le film avec l’histoire de la dénonciation qui passe par la poste sur des milliers de kilomètres et qui est claironnée par Mr Go..

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Message par adeline Lun 30 Déc 2013 - 19:38

Long entretien de JZK sur le site du New York Times :

http://sinosphere.blogs.nytimes.com/2013/10/18/q-a-jia-zhangke-on-his-new-film-a-touch-of-sin/?_r=0

http://sinosphere.blogs.nytimes.com/2013/10/20/q-a-jia-zhangke-on-his-new-film-a-touch-of-sin-part-2/

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Message par adeline Sam 4 Jan 2014 - 15:45

Quand j'avais vu le film, je m'étais dit qu'il était possible lire le film selon l'opposition ou les liens faits entre les hommes et les bêtes. C'est d'une évidence crasse, bien sûr.
J'essaye de me souvenir de toutes les présences d'animaux dans le film et de ce qui y a trait.

Première histoire :
- le cheval que son maître bat
- le tigre sur la serviette (Dahai en devient l'homme-tigre)
- l'échange entre Dahai et son neveu, "comment dit-on "bête" en anglais"

Deuxième histoire :
- le taureau sur le bonnet de Zhou San (Zhou San serait l'homme-taureau)
- les vaches, ou taureaux, qu'il suit à un moment en mobylette

Troisième histoire :
- la femme-serpent
- le serpent que Xiao Yu croise sur la route (c'est en fait Xiao Yu la femme serpent)
- le singe sur l'épaule de l'homme qu'elle croise sur la route
- les vaches qu'elle croise sur la route

Quatrième histoire :
je ne me souviens pas de la présence d'animaux dans cette histoire, mais bien de Bouddha.

Qu'en faire ? D'autant qu'il paraît difficile de comprendre que JZK en dit lui-même. Dit-il que les hommes sont devenus des bêtes en Chine ? Qu'ils se comportent d'une manière pire que celle des bêtes (l'homme qui bat son cheval, Dahai qui abat l'homme) ? J'imagine qu'il faudrait aussi savoir ce que chaque bête représente ou peut représenter dans la culture chinoise…

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Message par Borges Sam 4 Jan 2014 - 15:57

Hi;
-Eyquem avait fait remarquer le lien entre le jeune type et l'oiseau, son surnom, pseudo, c'est "petit oiseau"; la fille joue sur les deux sens du terme, à un moment...

-puis y a les poissons, que la fille va délivrer...(elle-même est un poisson)

chinoise ou bouddhiste...


la dernière scène est assez curieuse : la voix off du juge (de l'opéra) sur les spectateurs (et le film) semblent inviter chacun des spectateurs (et nous avec) à examiner ses péchés, ses fautes...



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Message par Invité Sam 4 Jan 2014 - 21:24

Dans la troisième histoire, il y a surtout la discussion entre les deux hôtesses sur le documentaire animalier et la question du suicide des animaux, tranchée par cette maxime "les animaux ne comprennent pas qu'il vaut mieux une vie de merde qu'une belle mort" . Cette scène représente le seul moment où la jeune fille a un rapport d'égalité avec quelqu’un (à part peut-être son amant, mais il est mort hors-champs), où une question ouverte lui est posée par autrui, et c'est justement sur la discussion de la mort qu'elle gravite. C'est une scène assez forte, car à ce moment la jeune fille est déjà en train de vivre l'enfer, mais ne comprend pas qu'elle doit tout quitter pour s'en sortir. Pendant quelques secondes elle a encore l'impression que "cela va se tasser" et qu'elle pourra reprendre la vie d'avant, avoir des rapports qui la situent dans une groupe social "normal", alors que le spectateur comprend que c'est déjà foutu.

Il ya quand-même un truc dans ce film: il montre (ou met en scène et construit) des logiques et des systèmes  sociaux forts (l'usine artisanale ou tu peux rembourser une blessure que tu as causée à ton collègue par le chômage technique, puis l'usine gérée par les taïwanais sur le mode patronat paternaliste, les bordels plus ou moins de luxe et le personnel nombreux qui en vit, les convois d'ouvrier, le racket, la mine, la famille resté en ville et le père exilé en province poutr travailler etc...), mais le seul fait d'avoir conscience de la mort exclu très vite le personnage central de tous ces environnements, d'un seul coup et pour tout l'ensemble .
il y a chez JZK une sorte de logique d'exclusion sociale mais pré-politique, liée au fait que la société exige  de taire cette conscience de la mort pour fonctionner, ce refoulement est générateur de violence contre la personne qui ne s'en accommode pas (et souvent, celle-ci n'a pas choisi de ne pas s'en accommoder, cela lui tombe dessus comme une malédiction). JZK déploie ensuite une sorte de critique sociale (des nouveaux riches, de la corruption, de l'aveuglement envers autrui institutionnalisé par la police et les rapports de travail) mais elle tombe un peu à plat du fait que l'exclusion réelle des personnages est en fait à ce moment là déjà jouée, et n'est peut-être pas un fait politique, mais un fait purement moral. En même temps il semble que pour lui la société a un destin, tandis que le seul fait d'avoir conscience de la mort est ce qui va priver l'individu de destin. La lucidité et le courage face à la mort sont  montrés comme un accident (on ne sait pas ce que deviennent Mr Go et le tueur à gage, ni d'où ils viennent, ni l'historie du cmion d'orange renversé, ni la cause de l'explosion, le retour de la jeune-fille à la fin est plus un symbole, mais l'adolescent décide de se suicider en suivant une sorte d'injonction de la personne qu'il a blessée et qui l'a retrouvé, qui elle est montrée comme un mécanisme complètement déployé et achevé).


Dernière édition par Tony le Mort le Sam 4 Jan 2014 - 23:59, édité 1 fois

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Message par Invité Sam 4 Jan 2014 - 23:53

En fait on a l'impression que JZK critique une rupture avec une sorte d’organisation traditionnelle de l'économie, rupture qui fragilise l'individu, l'exile ou le contraint à s'autodétruire, mais qui est plus causée par la conscience de cette mort et de la finitude qu'elle ne l'implique (à mon avis cela se traduit dans le film par le fait de laisser dans l'ombre si la patron de la première usine, où il y a l'accident du doigt coupé, est un salaud ou un patron pragmatique et protecteur, qui fait toujours payer mais ne renvoie jamais, les deux sont possibles, c'est indécidable), ce que JZK filme  n'est pas une opposition entre l' idéal communiste passé et la réalité capitaliste actuel, dérégulée, structuré par classes hermétiques, mais entre une économie traditionnelle qui n'a pas la conscience de sa finitude, et une économie chinoise actuelle qui est paradoxalement contrainte de l'acquérir du fait de sa propre expansion et de sa propre mobilité.

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Message par adeline Dim 5 Jan 2014 - 16:40

Merci de ces précisions, j'avais écrit beaucoup trop vite.

Pour aller plus, il vaut mieux s'aider de ce que d'autres ont déjà écrit.

Ici, un article de Marie-Pierre Duhamel, qui a fait la traduction pour la version sous-titrée français du film :
http://mubi.com/notebook/posts/cannes-2013-consistency-in-a-filmmakers-world-jia-zhangkes-a-touch-of-sin

Là, ce que quelqu'un déploie à partir de cet article :
http://zhongguowenhua.free.fr/phpBB3/viewtopic.php?f=11&t=1055&start=10

Je reprends donc ma liste du bestiaire avec plus de précisions :
Première histoire :
- le cheval que son maître bat
- le tigre sur la serviette (Dahai en devient l'homme-tigre)
- l'échange entre Dahai et son neveu, "comment dit-on "bête" en anglais"

Deuxième histoire :
- le taureau sur le bonnet de Zhou San (Zhou San serait l'homme-taureau)
- les vaches, ou taureaux, qu'il suit à un moment en mobylette
- le canard qui attend sa mort puis on voit le moment où il est tué
- la carcasse de bœuf sans doute en gros plan qui surgit d'un coin de rue
- je crois qu'on y voit aussi un cochon à ce moment-là

Troisième histoire :
- la femme-serpent
- le serpent que Xiao Yu croise sur la route (c'est en fait Xiao Yu la femme serpent)
- le singe sur l'épaule de l'homme qu'elle croise sur la route
- les vaches qu'elle croise sur la route
- la discussion à partir du documentaire animalier sur le suicide des animaux

Quatrième histoire :
- les surnoms des deux gamins : Petit Oiseau pour Xiao Hui et je crois quelque chose avec un poisson pour Lianrong
- les huit poissons rouges relâchés dans la rivière

Essayons à l'aide des deux articles cités ci-dessus qui expliquent les significations chinoises, de voir quel sens porte chacun des animaux :

Le tigre de Dahai :
C'est l'animal qui accompagne sur la serviette Dahai dans sa marche mortelle. Le tigre, c'est évidemment l'un des animaux de l'astrologie chinoise. C'est aussi l'un des quatre pouvoirs dans ce système et il y est associé à la puissance militaire. C'est l'animal de pouvoir. Quelques expressions :
laoshi du forum cité plus haut a écrit:un 虎饱 [hǔ bǎo] « tigre repu », par exemple, c’est un fonctionnaire, 虎政 [hǔ zhèng], c’est un régime autoritaire ; « taquiner la moustache du tigre », c’est chercher des ennuis en bravant le pouvoir des grands.
Plus important, la troupe de théâtre en représentation devant laquelle Dahai passe et se fait humilier joue une pièce appelée Ye zhu lin, Forest of the Wild Boar, une histoire tirée du roman classique du XIVe siècle Shui hu zhuan, Water Margin, Au bord de l'eau. On voit un personnage qui s'appelle Lin Chong, héros de ce roman et militaire (le manteau que porte Dahai est un manteau de l'armée). Mais le tigre de la serviette de Dahai le lie à un autre personnage de cette fresque, Wu Song, qui tue un tigre mangeur d'hommes à mains nues. Au bord de l'eau a aussi été adapté par Chang Che en plusieurs films Water Margin, Outlaw of the Forest, All Men Are Brothers, 1972-1975, des wu xia pian, des "films de chevalier errant". Le lien avec le pouvoir et la puissance militaire est important, puisqu'à un moment quelqu'un (mais qui ?) dit à Dahai qu'il est né trop tard et qu'à une époque antérieure il aurait été un grand général.

Le buffle de San'er :
C'est aussi un animal du bestiaire de l'astrologie chinoise, "image de la résignation mais aussi de l'obstination stupide". Sur des sites d'astrologie, on dit qu'il "peut être sectaire jusqu'au fanatisme". Mais il fut aussi un symbole des travaux des champs, de l'agriculture (dans la mythologie chinoise, Shen Nong, le divin laboureur, a une tête de buffle et invente l'agriculture). Là où habite San'er on voit des petits jardins, comme une réminiscence de la Chine rurale, seul moment du film où elle apparaît.

Le serpent de Xiao Yu :
C'est à nouveau un animal du bestiaire de l'astrologie chinoise, et aussi un animal important dans la mythologie. De nombreuses légendes racontent la transformation de serpents en belles femmes, évidemment dangereuses. Sa principale caractéristique serait l'ambivalence et il n'aurait évidemment pas très bonne presse (flagornerie, ruse, etc.) Là, j'ai aussi pensé au fait que c'est un des animaux archétypiques des arts martiaux, ce qui a son sens puisque l'histoire de Xiao Yu fait des références directes aux films de kung fu.

Le petit oiseau de Xiao Hui ? ou les poissons de Lianrong ? :
L'oiseau est bien l'un des quatre animaux ou quatre pouvoirs de l'astrologie chinoise, mais là ça ne colle pas du tout, c'est un oiseau lié au feu, je ne voix pas comment le lier à Xiao Hui. Il faudrait plutôt regarder la présence des poissons, qui sont le symbole de l'abondance, de la richesse et aussi un symbole bouddhique. Dans le sachet plastique de Lianrong, on compte 8 poissons, et 8 est aussi le chiffre de la richesse. Toute cette symbolique de la richesse sera mise à l'eau…

Restent le singe, le canard et le cochon tués avant le nouvel an et le cheval. Le singe, autre animal du zodiac, c'est un symbole de la noblesse de la liberté et aussi une divinité plutôt sympa qui peut aider en cas de malchance. Le cochon est aussi un animal du zodiaque, mais là il est lié au canard, deux animaux que l'on tue avant le nouvel an. Rappel d'anciens sacrifices ?
Le cheval a aussi sa place dans la mythologie chinoise, mais je trouve sa place plus surprenante selon cette grille de lecture. Il n'est là que comme victime, martyr.

Ça, c'est pour la signification des animaux selon les personnages dans une lecture je crois plutôt taoïste ou antérieure, et populaire, traditionnelle, ancienne.
Plus tard j'essaierai de synthétiser ce que les deux articles disent de la géographie dans ce film. En fait, je suis en train de reprendre les faits énoncés par ces articles, tout ce que je ne connais pas de la culture chinoise que eux connaissent, mais sans en reprendre forcément les explications, parce que je ne suis pas forcément toujours d'accord avec ce qu'ils en font dans la compréhension du film.

Juste encore quelques infos :

La pièce qui clôt le film, à nouveau dans le Shanxi (au même endroit que là où le film débute), est une représentation d'une pièce traditionnelle de l'opéra de Pékin : La Femme conduite au tribunal ou Su San conduite au tribunal, adaptée d'une histoire traditionnelle datant des Ming. C'est aussi, comme ça l'était pour la première pièce, une histoire adaptée au cinéma, par King Hu : L'Histoire de Su San, le premier film de King Hu.

On voit aussi deux extraits de films (merci au forum de dvdclassik) :
- Exilés de Johnnie To (extrait dans le bus où San'er et l'amant de Xiao Yu se croisent.
- Green Snake de Tsui Hark (extrait dans la salle de repos du sauna où Xiao Yu passe un moment après qu'elle a été tabassée). Un film qui met en scène deux serpents qui se transforment en femmes pour vivre des émotions proprement humaines et qui ont deux ennemis, un moine taoïste et un moine bouddhiste.
Deux films de Hong Kong.

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Message par adeline Lun 6 Jan 2014 - 19:47

Je continue ma petite balade dans le film en compagnie de mes articles spécialistes de la Chine…

On sait tous que les lieux, le paysage, les villes, les moyens de transports sont importants pour JZK. En filmant, il construit aussi une géographie spécifique de la Chine, d'autant plus remarquable dans Touch of Sin que les quatre histoires se passent dans des lieux différents tout en se rejoignant par moment. (Je paraphrase vraiment beaucoup l'article de Marie-Pierre Duhamel, toutes mes excuses)

Dahai à Wujinshan :
la première histoire commence dans le Shanxi, d'où JZK est originaire. Le nom de la ville où travaille Dahai est Wujinshan. Il existe un parc naturel, créé par une entreprise minière, du même nom, est-ce au même endroit ? On se souvient que les travailleurs migrants de Still Life viennent du Shanxi (comme de nombreux personnages des films de JZK, la liste en est donnée dans l'article de MPDuhamel). C'est ici qu'à la fin du film Xiao Yu arrive pour chercher du travail, dans l'entreprise minière même dont Dahai a tué le patron, Shengli, entreprise tenue depuis lors par la femme de ce patron.

San'er de Chongqing (Sichuan) à Yichang :
San'er rend visite à sa famille dans un village près de la ville de Chongqing à l’extrémité est du lac créé par le barrage des Trois-Gorges. On est plus au sud que dans le Shanxi, au centre de la Chine de l'est. Chongqing est une ville neuve, sortie de terre depuis la construction du barrage pour reloger les personnes déplacées par la montée des eaux du lac. On le voit sur un bateau sur le lac, où il croise le collègue de Dahai, mineur revenu du Shanxi pour rendre visite à sa famille à Fengjie (une petite ville sur les bords du lac à mi-chemin entre Chongqing et Yichang qui a été submergée par les eaux du lac), alter ego de Han Sanming de Still Life. Mais il termine son aventure dans un car qui le mène pas loin de Yichang.

Xiao Yu à Yichang (Hubei) vers Canton :
on est à l'autre bout du lac, à l'endroit même du barrage des Trois-Gorges. (la suite plus tard)


Dernière édition par adeline le Mar 7 Jan 2014 - 19:56, édité 3 fois

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Message par Eyquem Lun 6 Jan 2014 - 20:07

En regardant le film, on a vraiment l'impression que JiaZhangke revient sur les lieux même de ses films précédents, dans l'ordre: dans le 1er épisode, on reconnaît les maisons de brique de Xiao Wu et de Platform; dans le 2nd, c'est le barrage de Still Life; l'hôtel clinquant où travaille "Petit oiseau" fait penser au parc de The World...

En dehors de King Hu dont tu parles, JZK évoquait aussi souvent "Terre jaune":
I was 21 years old when I saw Huang tu di (Yellow Earth, 1984) by Chen Kaige. It turned out to be a defining moment for me; the point at which I decided to become a filmmaker. I saw the film in Taiyuan, which is the capital of the province of Shanxi where I grew up – part of the ‘yellow earth’ region of northern China to which the film’s title refers.

The epilogue of the four-chapter A Touch of Sin shows Xiao Yu (Zhao Tao) arriving where the film had begun: in director Jia Zhangke’s native Shanxi province. A dust storm envelops her figure in a brume of ochre as she walks into the barren landscape. It’s a clue that it’s spring in the region—that formidable “yellow wind,” which swirls in from the northern deserts and migrates south through the country seasonally, overlaying the path taken by many workers in China, and followed throughout the course of the film. [...] actress Zhao Tao always evokes all of Jia’s previous films, but the ending to A Touch of Sin also recalls the images of the rain ritual in final shattering moments of Chen Kaige’s Yellow Earth (1984).
http://www.reverseshot.com/article/touch_sin

Sur les animaux, j'avais trouvé cet article:
http://eastasia.fr/2013/12/13/dossiers/la-rage-du-tigre-animalite-et-bestialite-dans-a-touch-of-sin-de-jia-zhang-ke/
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Message par incubé Lun 6 Jan 2014 - 21:36

Borges a écrit:

la dernière scène est assez curieuse : la voix off du juge (de l'opéra) sur les spectateurs (et le film) semblent inviter chacun des spectateurs (et nous avec) à examiner ses péchés, ses fautes...

curieuse et belle : ce vieux théâtre de fortune semble être la porte des cieux - de ce qui manque chez JZK - et ou elle semble se fondre dans la foule, y trouver refuge ; pas de ciel chez JZK, du matérialisme.

Spoiler:

au bout du mouvement.

incubé

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Message par Baldanders Mar 7 Jan 2014 - 0:17

Spoiler:

Je suis le seul à trouver cette image d'une laideur innommable ?
Baldanders
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Message par incubé Mar 7 Jan 2014 - 8:27

allo, quoi ?
lol


caviarder le topic sur JZK : déjà que t'es pas en odeur de sainteté.


(et ça !
A Touch of Sin/Tian Zhu Ding (le ciel l’a voulu) (Jia Zhangke; 2013) 160-41
c'est joli ?)

incubé

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Message par adeline Mar 7 Jan 2014 - 20:03

Xiao Yu à Yichang (Hubei) puis vers Canton :
on est à l'autre bout du lac, à l'endroit même du barrage des Trois-Gorges, dans la ville de Yichang. Là ou Xiao Yu rend visite à sa mère se trouve le chantier d'un aéroport. Du sud du pays, de Canton, arrive l'amant de Xiao Yu.

Les deux histoires centrales encadrent donc le lac du Barrage des Trois-Gorges, dont MPDuhamel explique qu'il est the huge controversial symbol of  a country's official politics of "modernization."

Xiao Hui de Canton vers Dongguan :
Xiao Yu ne rejoint finalement pas son amant à Canton où il vit avec sa femme. Canton est tout au Sud de la Chine, sur la Mer de Chine méridionale, pas loin de Hong Kong. Xiao Hui travaille dans l'usine de textile de l'amant de Xiao Yu. Il quitte cette usine pour retrouver un ami à Dongguan, encore un peu plus au sud-est, près de Shenzen. On y trouve des "zones économiques spéciales" et elle est composée de quatre sous-districts. C'est une ville de plus de 8 millions d'habitants, proche de Hong Kong et de Macao, qui abrite un nombre incroyable d'usines en tout genres et qui accueille beaucoup d'investissements étrangers.

Retour dans Shanxi :
La dernière séquence du film se passe à nouveau dans le Shanxi, à Wujinshan. Sans doute après son jugement et peut-être du temps en prison, Xiao Yu se retrouve à passer un entretien d'embauche sur les lieux mêmes où Dahai a tué le patron de son usine.


Dernière édition par adeline le Sam 11 Jan 2014 - 19:01, édité 1 fois

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Message par sokol Mer 8 Jan 2014 - 10:01

"Underground" chinois.
JZK, le nouveau Kusturica.
Quel gâchis !

sokol

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