Flight, 2013
Flight, 2013
Cela aurait pu être un grand film, s’il défendait ses personnages jusqu’au bout au lieu de les enfoncer.
L’idée de départ est intéressante, proche de l’idée de culpabilité du bien selon Lacan : un pilote de compagnie low-cost souffrant de multiples addictions, ne contrôlant plus grand-chose de sa vie, amoindrit l’impact d’une catastrophe aérienne non pas en dépit, mais grâce au fait qu’il était shooté dans la cabine et a eu la ressource mentale pour faire un looping, un vol plané, tirer le frein à main, inverser les boosters (etc...) au bon moment, alors que l'avion commençait à se désintégrer. Il était ‘high’ et restait à la fois déconnecté du réel, catatonique, somnolent, mais analytique pendant que tout le monde paniquait dès la première tempête un peu forte.
Légèrement blessé, les médias le fêtent comme un héros (un peu comme le pilote de l’Hudson) alors qu’il s’enfonce par contraste dans une aboulie comateuse au fur et à mesure qu’il réintègre son ancienne vie. Son syndicat assure sa défense pendant une enquête de police (plus pour éviter qu’il en mette en cause sa compagnie qui risque de mettre clé sous la porte que pour sauver sa réputation). Il traverse comme un passager un tas d'évènement: sa propre hospitalisation (où il essaye de nouer une romance avec une fille paumée, ex-actrice porno junkie qui elle essaye de se reprendre avec un peu plus d'énergie, et qu'il finira ensuite par insulter), l’enterrement de sa maîtresse (une hôtesse qui a péri dans le crash), une cure d’alcoolique anonyme, les magouilles de son syndicats et de son avocat pour enterrer le procès, une visite à l’hôpital où son co-pilote, chrétien « born again » mollasson et timoré, castré et dominé par sa femme, qui voit dans la défaillance mécanique de l’avion une punition divine pour l’addiction du pilote, que celui-ci a eu le mauvais goût d’empêcher.
Tout se passe et s’enchaîne rapidement dans une atmosphère de folie cotonneuse et informe, comme si (dans les quelques bons moments, 33% du film) Frank Capra faisait le remake d’un film de Lynch. Ce n’est pas inintéressant, cela rappelle Big Fish de Burton. On croit que le film va tirer un peu vers la critique de quelque chose (des médias, de la logique capitaliste et maffieuse des low-cost, du voyeurisme de séries comme "Mayday"), mettre en place une opposition entre la mollesse (et la psychose) du personnage principal et le monde. En faire une sorte de résistance sceptique , partiellement volontaire et assumée, partiellement inexplicable et incontrôlée, mais efficace à la solidarité elle-même diffuse entre les discours idéologiquement forts qu’on lui oppose (christiques, avec une vision la fois new-age et virilement conservatrice de la grâce qui absorbe le droit), sa médiatisation comme héros américain par des médias qui mènent en parallèle une seconde enquête hygiéniste sur son style de vie, l’influence de l’opinion sur les logiques judiciaires (à qui on demande de construire des récits, et non de comprendre des faits).
Cette mollesse débouche parfois sur des explosions de violence inattendues, qui se tiennent dans une zone indécise entre violence domestique et mise en cause de l’ordre social, échouent à constituer un discours, on voit que le personnage perd au retour de ces accès de violence , de minute en minute la capacité de raconter, déployer la fragile lucidité que ces accès lui ont peut-être permis d’apercevoir, et tourne en rond, qu'il étouffe plus en essayant de remonter à la surface qu’en se laissant porter. C’est assez émouvant, Denzel Washington est bon.
Mais finalement, cette indécision et ce flou sont dilués, le film finit par endosser un des discours « du système » contre lequel le personnage butte (le sujet du film c’est la conversion, que même l’absurdité démoralisante d’une catastrophes collective n’entrave pas): cette idée de grâce rédemptrice, à la fois consensuelle et virile, qui s’identifie à la fois à la vérité métaphysique et au droit.
Du coup il y a un malaise : le film défend l’idée que du point de vue de cette grâce tout comme pour la justice procédurière (mise en place par la compagnie aérienne, l’administration aérienne et finalement la télé), vivre c’est gagner, mourir c’est perdre . La défense du personnage principal : seuls « 6 des 108 passagers sont morts », n’est pas tactique, il s’agît de mentionner un taux de réussite réel, une performance mystérieuse mais quantifiable qui est comprise finalement de la même manière par le scepticisme nihiliste du personnage principal, et par des croyants qui y voient le signe d’une grâce divine. La seule chose plus réelle que cette grâce, c’est l’évaluation de ses résultats. Il y a un très beau passage dans le film : celui de la mort des hôtesses, qui ont fait preuve d’héroïsme, mais que le pilote n’arrive pas à pleurer, dont il n’arrive pas à parler, alors que la seule question à son réveil porte sur elles. L’une d’elle était sa maîtresse, le début du film la montre se rhabillant dans sa chambre le matin du vol, sans intimité, alors que le pilote s’embrouille au téléphone avec son ex-femme . Mais in-fine, le pilote craque et réintègre le droit chemin (avoue qu’il est coupable non du crash, mais de son style de vie, de son nihilisme, et de son manque de professionnalisme) quand il comprend que son refus d’ avouer ses fautes (qu'il ne veut pas non plus cacher) déteignent sur l’image de sa maîtresse, accusée d’être la droguée de l’histoire. La notion de deuil est alors annulée, absorbée dans l’idée de rédemption : le deuil n’est plus que ce dont la grâce triomphe, il n'existe pas pour lui-même. Le recul du personnage sur le réel que la mise en scène installait était une manière de montrer le réel lui-même comme une métaphore et un signe de valeurs morales. Ainsi le sexe est toujours montré au sein d’un régime d’image pornographique ;, jamais central, mais sans variation non plus; comme pour indiquer que la mort du sexe serait la principale et la plus efficace réfutation de la pornographie.
En fait le film mentionne involontairement quelque chose de la mélancolie politique de notre époque: nous ne désinvestissons pas politiquement des échecs, mais au contraire des victoires politiques dont ne jouissons pas (ainsi l’étrange silence du film sur la condition noire aux USA : il semble aller de soit que le père du pilote ait pu être un pilote héroïque pendant la guerre de Corée et du Viet Nam, et en même temps qu’il en ait été réduit à gérer une petite affaire d’avions d’épandage alors qu’il aspirait à mieux : la mi-chemin entre l’aliénation et pleine reconnaissance est montré comme une place juste) , les médias sont le discours de cette non-jouissance, discours légitime, insuffisant, mais purement factuel pour le film. Ce film c’est aussi le capitalisme qui se fout roublardement du consommateur (les passagers de l’avion sont montrés comme des cons, qui auraient mérité d’y rester), la foi qui se fout du croyant (le rôle du co-pilote, trop chargé), les bons sentiments qui giflent Mickey pour sa fâloterie, la neige qui conchie le flocon etc...
Pourtant il y avait moyen de faire quelque chose (montrer qu'une série peut certes montrer le réseau et le réseaux du trafic de drogue, la distribution, la fabrication mais que seul un film peut montrer l'addiction elle-même), le film a quelques belles scènes : le crash lui-même (surréel et trippant , l’avion se plante en plein milieu d’un cercle formé par une congrégation religieuse réunie en sous-vêtement dehors, qui ressemble à un peuple de Lemmings jouant au football dans la plaine de la vérité, la nuit dans un motel où la crise de manque provique une vision mystique, térrassante et ridicule, le dialogues décousus des patients d’hôpitaux qui essayent d'avoir l'ascendant sur les autres pendant la pause cigarette, une réunion d’alcooliques anonyme où la trop grande empathie de l’assemblée devient une torture. Mais derrière ces contradictions et accrocs, il n’y a justement rien pour Zemeckis: il n'a de sympathie pour la marge que dans la mesure où il incombe à celle-ci de n'énoncer que le vide.
L’idée de départ est intéressante, proche de l’idée de culpabilité du bien selon Lacan : un pilote de compagnie low-cost souffrant de multiples addictions, ne contrôlant plus grand-chose de sa vie, amoindrit l’impact d’une catastrophe aérienne non pas en dépit, mais grâce au fait qu’il était shooté dans la cabine et a eu la ressource mentale pour faire un looping, un vol plané, tirer le frein à main, inverser les boosters (etc...) au bon moment, alors que l'avion commençait à se désintégrer. Il était ‘high’ et restait à la fois déconnecté du réel, catatonique, somnolent, mais analytique pendant que tout le monde paniquait dès la première tempête un peu forte.
Légèrement blessé, les médias le fêtent comme un héros (un peu comme le pilote de l’Hudson) alors qu’il s’enfonce par contraste dans une aboulie comateuse au fur et à mesure qu’il réintègre son ancienne vie. Son syndicat assure sa défense pendant une enquête de police (plus pour éviter qu’il en mette en cause sa compagnie qui risque de mettre clé sous la porte que pour sauver sa réputation). Il traverse comme un passager un tas d'évènement: sa propre hospitalisation (où il essaye de nouer une romance avec une fille paumée, ex-actrice porno junkie qui elle essaye de se reprendre avec un peu plus d'énergie, et qu'il finira ensuite par insulter), l’enterrement de sa maîtresse (une hôtesse qui a péri dans le crash), une cure d’alcoolique anonyme, les magouilles de son syndicats et de son avocat pour enterrer le procès, une visite à l’hôpital où son co-pilote, chrétien « born again » mollasson et timoré, castré et dominé par sa femme, qui voit dans la défaillance mécanique de l’avion une punition divine pour l’addiction du pilote, que celui-ci a eu le mauvais goût d’empêcher.
Tout se passe et s’enchaîne rapidement dans une atmosphère de folie cotonneuse et informe, comme si (dans les quelques bons moments, 33% du film) Frank Capra faisait le remake d’un film de Lynch. Ce n’est pas inintéressant, cela rappelle Big Fish de Burton. On croit que le film va tirer un peu vers la critique de quelque chose (des médias, de la logique capitaliste et maffieuse des low-cost, du voyeurisme de séries comme "Mayday"), mettre en place une opposition entre la mollesse (et la psychose) du personnage principal et le monde. En faire une sorte de résistance sceptique , partiellement volontaire et assumée, partiellement inexplicable et incontrôlée, mais efficace à la solidarité elle-même diffuse entre les discours idéologiquement forts qu’on lui oppose (christiques, avec une vision la fois new-age et virilement conservatrice de la grâce qui absorbe le droit), sa médiatisation comme héros américain par des médias qui mènent en parallèle une seconde enquête hygiéniste sur son style de vie, l’influence de l’opinion sur les logiques judiciaires (à qui on demande de construire des récits, et non de comprendre des faits).
Cette mollesse débouche parfois sur des explosions de violence inattendues, qui se tiennent dans une zone indécise entre violence domestique et mise en cause de l’ordre social, échouent à constituer un discours, on voit que le personnage perd au retour de ces accès de violence , de minute en minute la capacité de raconter, déployer la fragile lucidité que ces accès lui ont peut-être permis d’apercevoir, et tourne en rond, qu'il étouffe plus en essayant de remonter à la surface qu’en se laissant porter. C’est assez émouvant, Denzel Washington est bon.
Mais finalement, cette indécision et ce flou sont dilués, le film finit par endosser un des discours « du système » contre lequel le personnage butte (le sujet du film c’est la conversion, que même l’absurdité démoralisante d’une catastrophes collective n’entrave pas): cette idée de grâce rédemptrice, à la fois consensuelle et virile, qui s’identifie à la fois à la vérité métaphysique et au droit.
Du coup il y a un malaise : le film défend l’idée que du point de vue de cette grâce tout comme pour la justice procédurière (mise en place par la compagnie aérienne, l’administration aérienne et finalement la télé), vivre c’est gagner, mourir c’est perdre . La défense du personnage principal : seuls « 6 des 108 passagers sont morts », n’est pas tactique, il s’agît de mentionner un taux de réussite réel, une performance mystérieuse mais quantifiable qui est comprise finalement de la même manière par le scepticisme nihiliste du personnage principal, et par des croyants qui y voient le signe d’une grâce divine. La seule chose plus réelle que cette grâce, c’est l’évaluation de ses résultats. Il y a un très beau passage dans le film : celui de la mort des hôtesses, qui ont fait preuve d’héroïsme, mais que le pilote n’arrive pas à pleurer, dont il n’arrive pas à parler, alors que la seule question à son réveil porte sur elles. L’une d’elle était sa maîtresse, le début du film la montre se rhabillant dans sa chambre le matin du vol, sans intimité, alors que le pilote s’embrouille au téléphone avec son ex-femme . Mais in-fine, le pilote craque et réintègre le droit chemin (avoue qu’il est coupable non du crash, mais de son style de vie, de son nihilisme, et de son manque de professionnalisme) quand il comprend que son refus d’ avouer ses fautes (qu'il ne veut pas non plus cacher) déteignent sur l’image de sa maîtresse, accusée d’être la droguée de l’histoire. La notion de deuil est alors annulée, absorbée dans l’idée de rédemption : le deuil n’est plus que ce dont la grâce triomphe, il n'existe pas pour lui-même. Le recul du personnage sur le réel que la mise en scène installait était une manière de montrer le réel lui-même comme une métaphore et un signe de valeurs morales. Ainsi le sexe est toujours montré au sein d’un régime d’image pornographique ;, jamais central, mais sans variation non plus; comme pour indiquer que la mort du sexe serait la principale et la plus efficace réfutation de la pornographie.
En fait le film mentionne involontairement quelque chose de la mélancolie politique de notre époque: nous ne désinvestissons pas politiquement des échecs, mais au contraire des victoires politiques dont ne jouissons pas (ainsi l’étrange silence du film sur la condition noire aux USA : il semble aller de soit que le père du pilote ait pu être un pilote héroïque pendant la guerre de Corée et du Viet Nam, et en même temps qu’il en ait été réduit à gérer une petite affaire d’avions d’épandage alors qu’il aspirait à mieux : la mi-chemin entre l’aliénation et pleine reconnaissance est montré comme une place juste) , les médias sont le discours de cette non-jouissance, discours légitime, insuffisant, mais purement factuel pour le film. Ce film c’est aussi le capitalisme qui se fout roublardement du consommateur (les passagers de l’avion sont montrés comme des cons, qui auraient mérité d’y rester), la foi qui se fout du croyant (le rôle du co-pilote, trop chargé), les bons sentiments qui giflent Mickey pour sa fâloterie, la neige qui conchie le flocon etc...
Pourtant il y avait moyen de faire quelque chose (montrer qu'une série peut certes montrer le réseau et le réseaux du trafic de drogue, la distribution, la fabrication mais que seul un film peut montrer l'addiction elle-même), le film a quelques belles scènes : le crash lui-même (surréel et trippant , l’avion se plante en plein milieu d’un cercle formé par une congrégation religieuse réunie en sous-vêtement dehors, qui ressemble à un peuple de Lemmings jouant au football dans la plaine de la vérité, la nuit dans un motel où la crise de manque provique une vision mystique, térrassante et ridicule, le dialogues décousus des patients d’hôpitaux qui essayent d'avoir l'ascendant sur les autres pendant la pause cigarette, une réunion d’alcooliques anonyme où la trop grande empathie de l’assemblée devient une torture. Mais derrière ces contradictions et accrocs, il n’y a justement rien pour Zemeckis: il n'a de sympathie pour la marge que dans la mesure où il incombe à celle-ci de n'énoncer que le vide.
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