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Les petites fugues de Yersin, Rozier, et Rancière

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Message par Borges Jeu 11 Juil 2013 - 6:27

Baudouin II de Barvaux a écrit:


J'ai eu quand-même un beau cadeau: Les petites fugues, de Yves Yersin, en dvdrip. Un des plus beaux films suisses (à mon sens). Que je recommande depuis des années, et dont mon enr. sur VHS était pourri et pan&scané.
A ce propos, il me semble que c'est la version courte, hélas. Car le film dure 3h dans ma vieille copie.


Dernière édition par Borges le Jeu 11 Juil 2013 - 6:42, édité 1 fois
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Message par Borges Jeu 11 Juil 2013 - 6:28

breaker a écrit:
Baudouin II de Barvaux a écrit:
J'ai eu quand-même un beau cadeau: Les petites fugues, de Yves Yersin, en dvdrip. Un des plus beaux films suisses (à mon sens)...
A ce propos, il me semble que c'est la version courte, hélas. Car le film dure 3h dans ma vieille copie.

(...) pour la version de 3 heures du film, est-ce que tu nous fais pas une variante de Jocelyn Besniotaux? Dans tous les documents que j'ai réunis sur le film, Yersin n'en parle pas... Et puis je ne situe pas très bien les 40 minutes manquantes...
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Message par Borges Jeu 11 Juil 2013 - 6:28

careful a écrit:C'est également une version de 2H20 (et de 1Go55) que j'ai.

http://www.lespetitesfugues.ch/press.html
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Message par Borges Jeu 11 Juil 2013 - 6:29

breaker a écrit:

- Avez-vous eu des problèmes pour la sortie, lesquels?
- En France, le film a été considérablement normalisé parce qu'il était beaucoup plus long, il durait 2h30 et il se trouve que dans un circuit commercial normal il n'est pas possible de sortir un film de 2h30, surtout lorsqu'il s'agit d'un premier film...  Ce qui a réduit les rôles assez importants de deux personnages du film : Josiane tout d'abord, dont on apprenait dans ces scènes  qu'elle avait vécu à la ville, et Alain, le fils, dont les idées sont remises en question par sa fiancée. Le film était plus lourd, il disait plus de choses, plus laborieux à regarder.

Revue du Cinéma Image et Son (octobre 79, n°343)
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Message par Borges Jeu 11 Juil 2013 - 6:30

breaker a écrit:
Baudouin II de Barvaux a écrit:Le torrent que j'avais loadé depuis le chat d'enc. fait 2h10'22'' pour 1,42 go.
un truc de fou. Il existe trois versions, alors... Moi-aussi j'ai celle de 2H10.
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Message par Borges Jeu 11 Juil 2013 - 6:31

Baudouin II de Barvaux a écrit:rhôô, mais pauvres de nous. Y nous faut un lien (en mp - et qui fonctionne), careful! Very Happy


Bon, je vais essayer de remettre la main sur ma vhs pour vérifier la durée (forcément, en VHS, c'est un peu plus long que 2h30, phénomène connu).
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Message par Borges Jeu 11 Juil 2013 - 6:31

breaker a écrit:ouf, merci pour les précisions. J'ai failli me taper la lecture de tout le scénario(disponible en ligne) pour situer les scènes manquantes, mais je crois que ça n'a pas beaucoup d'intérêt. Le film de Yersin me paraît très bien dans sa version commerciale à vrai dire. En fait les scènes supprimées vont dans un sens que Yersin a quasiment barré dans son histoire ; sa première intention était de "faire un film de critique sociale". Le fait divers qui soutient le film est terrible :
"L'idée de ce film vient d'un fait divers que l'on m'a raconté : un ouvrier de campagne de 70 ans s'était acheté un vélomoteur avec sa retraite et cet achat lui avait permis de transformer sa vie et ses relations avec les autres gens puisqu'il pouvait aller voir les gens alors qu'avant il attendait ceux qui voulaient bien venir le voir. Cependant, il buvait, et on lui a retiré son vélomoteur, parce qu'il devenait un danger sur la route. Alors, il s'est pendu pour cette raison."
Le film est carrément à rebours de son fait divers, et on peut citer la scène extraordinaire où Pipe dispose enfin de sa machine et prend la route sous une pluie baptismale. Comment cet ouvrier de campagne en arrive à la transgression(quitter son travail), au dépassement de soi, à la philosophie,
on n'en connaît pas vraiment la cause, comme l'écrit la plutôt bonne critique de Positif(octobre 79) sur le film : "Ce que fut le premier contact de Pipe et de l'idée du vélo nous reste inconnu". L'article est signé d'Isabelle Jordan, avec cet excellent titre "Icare photographe" qui peut bien résumer en deux mots la poésie du film.





Un film taillé sur mesure pour vos écritures, Jerzy et Borges.

________
Breaker(suce-boules)
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Message par Borges Jeu 11 Juil 2013 - 6:32

Baudouin II de Barvaux a écrit:


Breaker: totafé, ce film ne saurait mieux illustrer tout ce que j'ai pu raconter au sujet de rancière (enfin, mon approche de rancière). C'est un film ranciérien, sans déc. De la même manière que Maine océan l'est... Et j'ai puisé dans l'expérience de ce film, de longue date, la matière de plusieurs développements sur les questions traitées, eh oui. Comme quoi... Very Happy


(PS: quand on pense que Michel Robin avait 49 ans à l'époque. Soit 2 ans de plus que moi. L'horreur. Mais bon, il a toujours eu l'air vieux, alors que mezigue, ben... non. C'est ce que je me dis.)


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Message par Borges Jeu 11 Juil 2013 - 6:33

Baudouin II de Barvaux a écrit:Puisqu'on est dans les films suisses, on retrouve Dore Da Rosa pour un petit rôle (de 60 secondes) dans Sauve qui peut (la vie). C'est le liftier qui demande à Signor Godard (Dutronc) de le... sodomiser.




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Message par Borges Jeu 11 Juil 2013 - 6:33

slimfast a écrit:
Baudouin II de Barvaux a écrit:
Breaker: totafé, ce film ne saurait mieux illustrer tout ce que j'ai pu raconter au sujet de rancière (enfin, mon approche de rancière). C'est un film ranciérien, sans déc. De la même manière que Maine océan l'est... Et j'ai puisé dans l'expérience de ce film, de longue date, la matière de plusieurs développements sur les questions traitées, eh oui. Comme quoi... Very Happy

scuzi, c'est quoi un film rancérien ?
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Message par Borges Jeu 11 Juil 2013 - 6:34

Baudouin II de Barvaux a écrit:
slimfast a écrit:
scuzi, c'est quoi un film rancérien ?
Rancérien, j'en sais rien. Ranciérien, c'est une façon de parler, mais j'en rediscuterai une autre fois. Ou pas du tout. Si t'as suivi les débats, tu devrais comprendre ce que j'entends par là. ça veut pas dire que ce film "illustrerait" un propos de Rancière, bien entendu. Pas la peine de m'expliquer qu'un film est un film, etc, je sais tout ça...

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Message par Borges Jeu 11 Juil 2013 - 6:36

Baudouin II de Barvaux a écrit:
slimfast a écrit: Mais si j'ai envie maintenant d'en savoir un peu plus (fonction rechercher) c'est pour une chose que tu as dite : que Les petites fugues soit ranciérien ok, l'exploitation etc. ça à priori je peux admettre.
Mais où Maine Océan a-t-il sa place là dedans ?

Comme disait Thierry Lhermitte dans Les bronzés font du ski: "j't'expliquerai". Very Happy

Ce n'est pas "l'exploitation" qui serait pour moi la question essentielle ici, le thème qui me ferait relier ces deux films dans leur "esprit", leur "tonalité" si tu préfères. C'est plutôt, dans les deux cas, une expérience de dés-assignation des places assignées par le champ social et économique.

Dans les deux films, différents dans leur facture je ne le nie pas, mais assez proches dans leur traitement des durées, on a affaire à des personnages qui sortent de leur "définition", liée à la valeur-travail: par une sorte de dérive, ou ligne de fuite (géographique autant que définitionnelle) qui les emmène dans le champ de l'esthétique (au sens kantien: finalité sans fin, plaisir désintéressé, universel sans concept - et goût du partage sensible associé).
Je ne vois pas tellement pour ma part le mouvement que Pipe opère en termes de "transgression", pour reprendre le terme de Breaker. Terme qui suggère une sorte de délibération consistant à contester un ordre établi. Mais plutôt en termes de "passage" d'un état dans un autre, un "devenir".
Tout est dans le passage, dans le "entre". Le devenir n'étant pas un processus d'identification, où l'on part d'un état x ou arriver à un état y, mais celui d'être entrainé (ou sur) la frontière, à (ou sur) la limite, de chacun des états ou territoires.



Pour le dire brièvement (sous condition d'un développement plus ample):

Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit bien de fugues ou de "petites fugues": deux types de "Travailleurs", le valet de ferme Pipe (prolétaire), les deux contrôleurs de la SNCF (petits fonctionnaires), se désintéressent de leur boulot, pour entrer dans un temps autre, un temps second, qui devient leur temps primordial: celui de la vacance, de la musardise, de la rêverie poétique...
Ils prennent la "clé des champs", se rêvent et se vivent autrement. Musiciens (le roi de la salsa pour Ménès). Pour Pipe, selon deux régimes successifs: motocyliste d'abord (cad en déplacement dans l'espace, voyageur), photographe ensuite (cad dans une action contemplative, immobile)...
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Message par Borges Jeu 11 Juil 2013 - 6:36

Tony le Mort a écrit:Il y a quand-même un gros mur voire une muraille de Chine dans cette lecture de Maine Ocean, c'est que les deux contrôleurs (qui ne sont pas les seuls personnages du film) rentrent dans ce dépaysement de façon contrainte, malgré eux (à la base il s'agît d'une vengeance contre eux, en espérant qu'ils se feront casser la gueule par les marins, leurs langues), (et les marins ne sont pas du tout dépaysés, ils restent dans leur bistrot), tandis que les niveaux sociaux supérieurs (l'avocate, même si elle s’efface à mesure que le film se déroule, son ami dans le manoir, le musicien, l'impresario) le font consciemment, d'une manière qui qui se veut exemplaire et pédagogique, ou bien restent eux-mêmes. Est-ce que c'est rancérien aussi, cette idée d'émancipation sans égalité, l'émancipation n'est-elle une confrontation à un impensé (ici le désir d'autrui de les revoir afin de se jouer d'eux) que pour les pauvres et les classes moyennes, est-ce que cela ne serait pas souvent l'inverse ?
Par contre "Adieu Philippine" est plus honnête, à la fois plus radical et plus subtil de ce côté là.
Je sais pas moi, un jour tu as taxé la Comédie du travail de raciste contre les chômeurs (parce que même dans la comédie ils restaient une foule) en décrivant avec force répugnance une scène réelle du film, j'aimerais que l'on m'explique la différence politique entre ce film et "Maine Océan"
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Message par Borges Jeu 11 Juil 2013 - 6:37

Baudouin II de Barvaux a écrit:
Tony le Mort a écrit:Il y a quand-même un problème dans Maine Ocean, c'est que les deux contrôleurs (qui ne résument pas le film) rentrent dans ce dépaysement de façon contrainte (et les marins pas du tout), tandis que les niveaux sociaux supérieurs (l'avocate, son ami, le musicien, m'imrpésario) le font consciemment, de manière pédagogique et qui se vaut exemplaire, ou bien restent eux-mêmes. Est-ce que c'est rancérien aussi, cette idée d'émancipation sans égalité?
Par contre "Adieu Philippine" est plus "pur" de ce côté là.

(si tu réédites ta réponse pendant que je rédige la mienne, on s'en sortira pas. De toute façon, on s'en sortira pas. Il ne s'agit pas d'avoir raison ou tort, de mesurer strictement ce que je dis à des oppositions entre les deux films, mais de se rendre sensible à un processus qui les relie, qui n'est ni dans un cas ni dans un autre univoque, "transparent" ou "pur", pour reprendre ce terme...)

Je ne vois pas tellement en cela un problème. Les personnages dans Maine Ocean sont pris dans cette sorte de "fugue", qu'elle ait été plus ou moins contrainte à l'origine est relativement secondaire.

Pas tant contrainte: Rego a envie de partir, il est déjà un peu poète-musicien à la base; Ménès traine la patte au début, mais c'est celui qui va véritablement faire l'expérience d'une dés-assignation de sa définition, le temps d'une "fugue", avant de retourner à sa condition, on imagine, après avoir fait son "petit tour en mer": par paliers successifs obéissant au temps lent de la pêche, jusqu'au rivage.
Quant à l'avocate, elle abandonne assez rapidement toute prétention pédagogique (dans laquelle elle se montrait d'une incompétence burlesque) pour se laisser entrainer dans la salle des fêtes.

L'impresario est plutôt une sorte de mythomane sympathique (enfin, "sympathique"... Il n'est pas méchant, juste un peu... énergique), qui n'est pas plus imprésario que la Brésilienne n'est chanteuse: il n'a pas une identité propre, c'est un vecteur de transformations. C'est lui qui propose aux autres de changer de "place" et de "fonction", de s'inventer, de faire, performer de nouvelles identités & fonctions.
Ce qui est très différent de "jouer un rôle", voir plus bas, puisque tu reviens à Moullet: quand on "joue un rôle", c'est de la comédie, on fait semblant. C'est un masque, qui peut devenir une "seconde nature", comme "le garçon de café" décrit par Sartre. Mais le "garçon de café" sait qu'il n'est pas "garçon de café". Son adhésion à une nature en soi du "garçon de café" est de l'ordre de la mauvaise foi, par laquelle il étouffe sa liberté (de ne pas être ceci ou cela).
Quand on "joue un rôle", on ne devient pas véritablement quelqu'un d'autre, entrainé dans un devenir-musicien ou danseur, etc, comme c'est le cas de Ménès. Peu importe s'il y est nul, est le seul à ne pas se rendre qu'il s'y rend ridicule. Ce qui compte, c'est qu'il croit vraiment, a vraiment cru, à ce moment là (ensorcelé par les énoncés performatifs de l'impresario: "je te déclare" ou "je te baptise" roi de la samba, comme on dit: "je vous déclare mari et femme") qu'il changeait de vie, de nature, de fonction, etc. Il jouait son rôle de contrôleur, avec la même mauvaise foi que le "garçon de café", mais cette auto-définition de sa nature s'est révélée si friable qu'il se voit entrainé dans un tout autre devenir, ouvert, indéterminé. Même, ce n'est pas tant qu'il désire soudain devenir "chanteur" ou "danseur" de Samba, à proprement parler. La vague qui l'emporte, à ce moment-là, c'est que sa vie entière bascule dans un autre régime: un régime esthétique. L'acmé de son "devenir" est ainsi le moment, dans la dernière séquence, et qui s'étire presqu'à l'infini, où il n'est plus que ce point mobile quasi-imperceptible qui semble danser sur la ligne d'horizon...

Il y a donc dans ce film l'expérience d'une perte et d'un changement de nature, rôle, fonction, par une indétermination des repères et des rôle sociaux préexistants, mais aussi une indétermination planant sur les compétences performatives des uns et des autres. Susceptibles de se penser, de s'envisager et de se vivre autrement, même s'ils reviennent à la fin à leur fonction première. Parce qu'ils ont été traversés par l'expérience d'un changement, d'un passage. Le devenir, pour redire ce que je disais plus haut, étant le processus de passage: il ne s'agit pas de devenir ceci ou cela, mais d'expérimenter une zone "entre" les états fixes.

[ Ainsi de Pipe, le valet de ferme, qui ne devient pas "motocyliste" ni "photographe", mais fait l'expérience d'un passage entre son état "x" et des états "y" et "z".
A la frontière entre ces mondes: par exemple, il croise le monde des "motards" (qui font du rallye-cross), mais ne devient pas l'un d'eux. Il offre une pomme au vainqueur (moment magnifique). Il se croit intéressé par l'exploration des sommets, des hauteurs: le voyage en hélicoptère au dessus du mont Servin. Mais ce voyage le déçoit. Dans la mesure même, semble-t-il, où ce n'est pas ça qui l'intéresse vraiment, le sommet ou la hauteur comme territoire fixe à conquérir. Ce qui le meut, le véhicule, c'est le passage, à la frontière.
Il s'adonne ensuite à la photographie. Non pour "fixer" ou "conserver" les choses de son environnement, mais là encore: comme expérience d'une transformation, d'un passage entre l'objet et sa représentation photographique, qui le fascine. Il est condamné à l'immobilité, à la stase (après la phase "moto"), mais il fait de son nouvel état (statique) un nouveau champ d'expérience qui lui permet de déjouer cette stase pour continuer à éprouver, sous une modalité nouvelle, de la métamorphose.
Pour moi, ce personnage, Pipe (du moins dans le film, donc), c'est le contraire d'un Icare: il ne se brûle pas les ailes à force de trop vouloir s'élever vers les sommets inatteignables, c'est pas son processus. Ces sommets l’ennuient, une fois qu'il en a fait le tour, donc. Ce ne sont pas des territoires qu'il chercherait à conquérir, puis dans l'échec de cette tentative ou de ce désir, retomberait tragiquement à terre. Son processus, c'est un déplacement perpétuel hors de l'état où il était fixé à la base. ]


Dans Maine Océan, les pêcheurs restent des pêcheurs, certes, mais c'est pas la question. Le film, pour le redire, n'est pas censé "illustrer" ou "appliquer" point par point, au micro-poil une théorie de l'émancipation ou de l'égalité, celle de Rancière en particulier. Ce n'est donc pas en ce sens que je parle de films "ranciériens".
Le monde de la pêche est juste la toile de fond du récit. Et dans l'économie de ce récit, le pêcheur Marcel Petigas, parce qu'il se trouve à un moment précis (au tribunal) court-circuité entre différentes strates sociales, univers hétérogènes qui vont se télescoper, va être l'élément déclencheur du processus des rencontres, de la dérive ou de fugue, ou de "déterritorialisation", des autres (son projet de leur faire faire à tous "un petit tour en mer"), et principalement chez le personnage principal qui était le plus "territorialisé" (Ménès).

Dans ce que je suggère, il faut se garder là encore d'une "application mécanique": je ne dis pas que ces films "illustrent" la pensée ranciérienne de l'émancipation et de l'égalité, je dis juste qu'on peut y ressentir un processus qui fait penser à ce que Rancière essaie de penser quand il parle de "partage du sensible" et de subordination du champ social à un mouvement à la fois esthétique et politique qui déplace ses identités assignées (et que je relie ici, comme je n'ai cessé de le faire, à la pensée de Deleuze sur le Désir, le devenir, etc)...



tony le mort a écrit:
Je sais pas moi, un jour tu as taxé la Comédie du travail de raciste contre les chômeurs (parce que même dans la comédie ils restaient une foule) en décrivant avec force répugnance une scène réelle du film, j'aimerais que l'on m'explique la différence politique entre ce film et "Maine Océan"

Je n'ai pas dit cela: j'ai dit que la représentation du travailleur immigré dans ce film de Moullet est raciste, et je le maintiens absolument. Pour le reste, c'est pas une muraille de Chine qui sépare ce film de Moullet des deux autres films dont je parle ici, c'est carrément un océan. Strictement aucun rapport entre l'univers de Moullet et les univers de Rozier ou Yersin.

Moullet a créé son "personnage" (dans ses autres films, documentaires "parodiques"), sur le mode de l'auto-dérision, mais qui campe toujours dans une forme de jugement (en surplomb) assez peu aimable pour les gens qu'il filme ou observe.
Ce même mépris en sourdine caractérise cette fiction qu'est La Comédie du travail. "Comédie" en effet: chacun y joue, semble nous dire Moullet, son petit "rôle". Le chômeur joue le rôle du "chômeur", le "placeur" joue le rôle de "placeur", le "salarié" joue le rôle de "salarié". Chacun jouant son "rôle" nous est montré comme hypocrite. (Sauf le travailleur immigré, le cantonnier qui, lui, ne semble pas jouer un "rôle": il est en effet montré de façon assez proche d'un singe, causant "petit-nègre" et avec la gestuelle désordonnée d'un grand enfant spontané et hilare. C'est la vision caricaturale, ethnocentrée, que Moullet semble avoir de l'Afrique et des Africains, et il ne me semble pas du tout qu'elle soit parodique dans la mesure où elle se distingue très précisément du traitement des autres figurants du film, qui sont présentés comme des caricatures jouant un "rôle". Ici, c'est bien une caricature d'être humain, mais elle nous est présentée comme "naturelle", "spontanée").
Mais il ne s'agit jamais chez Moullet de quitter ces rôles, de quitter la place qu'assignent socialement ces rôles: c'est un jeu. La société est un "jeu de rôles". Un jeu où chacun semble finalement bien tenir sa place, dans un petit monde au fond bien ordonné, celui de Moullet. Vision assez statique et droitière de la "société".

Je soupçonne Moullet, je l'avais déjà dit, d'être politiquement très réactionnaire. Une sorte de Rohmer qui serait doté de davantage d'humour noir, de méchanceté, d'auto-dérision (apparente) et surtout de dérision des autres (flagrante).
Le film de Moullet participe pour moi d'une forme d'humour franchouillard-égrillard, du registre de la fable, ou moquerie, ironiques ou sarcastiques. Aucun personnage n'y existe, ils sont tous saisis comme des stéréotypes peu ou prou méprisables.
C'est tout le contraire des deux autres, qui sont des films de lenteur, de contemplation, de déplacement, de dérèglement en douceur, de l'ordre de la dérive poétique, et mus par une profonde tendresse pour tous leurs personnages, qui existent comme personnes.
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Message par Borges Jeu 11 Juil 2013 - 6:38

slimfast a écrit:
Baudouin II de Barvaux a écrit:

C'est tout le contraire des deux autres, qui sont des films de lenteur, de contemplation, de déplacement, de dérèglement en douceur, de l'ordre de la dérive poétique, et mus par une profonde tendresse pour tous leurs personnages, qui existent comme personnes.

Maine océan est sorti en 86. Je l'ai vu fin 85, à peine terminé, projeté en avant première à la semaine des cahiers. Pour les spectateurs présents il n'a fait aucun doute que la longue dérive de Ménés dans les passes et les bancs de sable pour parler de l'issue du film était un rappel ému à la mémoire de Truffaut mort un an auparavant.

Je ne peux pas voir autre chose dans ce film sous la comédie, du langage d'abord, qu'un hommage d'une sensibilité et d'une sincérité extrêmes de Rozier envers son aîné sans l'expliquer formellement.
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Message par Borges Jeu 11 Juil 2013 - 6:38

Baudouin II de Barvaux a écrit:
slimfast a écrit:

Maine océan est sorti en 86. Je l'ai vu fin 85, à peine terminé, projeté en avant première à la semaine des cahiers. Pour les spectateurs présents il n'a fait aucun doute que la longue dérive de Ménés dans les passes et les bancs de sable pour parler de l'issue du film était un rappel ému à la mémoire de Truffaut mort un an auparavant.

Je ne peux pas voir autre chose dans ce film sous la comédie, du langage d'abord, qu'un hommage d'une sensibilité et d'une sincérité extrêmes de Rozier envers son aîné sans l'expliquer formellement.


Si tu veux. C'est possible, mais je dois dire que cette mise en rapport me parait assez hasardeuse.
Il y a une différence essentielle entre ces deux scènes, qui fait que celle de Rozier n'a rien de truffaldien. L'univers de Truffaut et celui de Rozier étant déjà à mon sens de nature fort différente.

Dans le Truffaut, le final est une course éperdue, une errance de Doinel vers la mer, dont la tonalité affective est foncièrement triste, de l'ordre de la perte, de la déréliction. Dernier plan, il erre sur le rivage, et adresse au spectateur un regard caméra, qui exprime le désarroi muet d'un enfant abandonné.
C'est pas du tout ça, la tonalité, ni l'expérience, que donne à ressentir la séquence finale du Rozier. Déjà, elle dégage une sorte d'euphorie, de joie pure ou objective - j'entends par "objective" que l'éloignement de Menès vers la ligne d'horizon (alors que la séquence de fin des 400 coups est une séquence où le corps se rapproche de la caméra) donne la sensation d'une impersonnalisation heureuse, comme s'il était délesté du poids de sa subjectivité, comme s'il se fondait dans l'espace selon un "devenir imperceptible" dont parle Deleuze. Enfin, moi, j'ai ressenti vivement cette euphorie ou cette joie. Je jubilais dans mon fauteuil.
Il y a dans cette séquence, presque expérimentale, quelque chose qui déplace le film sur sa fin vers une autre dimension, quelque chose de l'ordre d'une pure sensation de flottement dans l'espace, le sentiment d'un flux.
Épousant le rythme fondamental de la musique de piano, guitare et percussions (celle de la séquence de la salle des fêtes), il s'agit bien alors d'une danse aléatoire, d'une danse enfin réalisée, impersonnelle, sans intention ni témoin, sans sujet ni objet.


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Message par Borges Jeu 11 Juil 2013 - 6:39

slimfast a écrit:je suis d'accord avec toi sauf que je n'ai pas jubilé, au contraire j'ai été attristé par cette solitude de plus en plus irrémédiable qui l'amène à franchir le styx avec charon. j'ai trouvé cela poignant cette trajectoire du contrôleur, qui trouve un temps le bonheur et qui se perd.

je ne faisais aucun rapprochement avec les 400 coups, pas avec un film de Truffaut, avec Truffaut lui même. Quand on connait le lien de Rozier avec lui, le rapprochement ne semble pas si hasardeux.

Cette route qu'il rejoint à Noirmoutier s'appelle le passage du gois qui couvre à marée haute et découvre à marée basse. Rozier a choisi sa marée.
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Message par Borges Jeu 11 Juil 2013 - 6:39

Baudouin II de Barvaux a écrit:
slimfast a écrit:je suis d'accord avec toi sauf que je n'ai pas jubilé, au contraire j'ai été attristé par cette solitude de plus en plus irrémédiable qui l'amène à franchir le styx. j'ai trouvé cela poignant cette trajectoire du contrôleur, qui trouve un temps le bonheur et qui se perd.

je ne faisais aucun rapprochement avec les 400 coups, pas avec un film de Truffaut, avec Truffaut lui même. Quand on connait le lien de Rozier avec lui, le rapprochement ne semble pas si hasardeux.


Ben je peux rien dire, alors, si toi tu as ressenti là de la tristesse, une histoire de solitude et de Styx, ça t'appartient, comme on dit.
Chaque fois que je la revois, moi, je suis euphorique, et disons que ça m'appartient aussi. Nous nourrissons ce que nous voyons de nos histoires et de notre horizon d'affects associés, of course.


Je sais pas, vraiment, si ça a lieu d'être saisi comme un hommage à Truffaut. C'est placer la saisie de cette séquence sur un plan référentiel et interfilmique, ce que pour moi elle n'est pas. Ce dont elle est même le contraire, je trouve. Tu penses trop, slimfast, tu interprètes, théorises et analyses trop en termes de sens, de référence, et d'hommages. Laisse toi aller, va, laisse toi aller à la sensation, à la sensualité, sans y greffer toute cette intellectualisation, que diable! Very Happy
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Message par Borges Jeu 11 Juil 2013 - 6:40

slimfast a écrit:ce n'est pas seulement cette scène, c'est tout le film sans qu'aucune péripétie ne soit repérable dans un film de Truffaut mais que tout dans le ton laisse à penser qu'il y a une infinie tendresse qui plane comme celle qu'on destine par dévotion presque à un ami attachant, en l'ayant à l'esprit l'air de rien, mais c'est bien là.
Rozier fait acte ici de choisir son camp dans le groupe que tous ceux de la nouvelle vague ont formé. Il est le seul suffisamment à fleur de peau pour avoir métaphoriquement filmé à Truffaut des funérailles cinématographiques. Il y a un travail de deuil dans ce film ; les illusions, la loi, la nature, sa langue, tout ça fait deuil.
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Message par Borges Jeu 11 Juil 2013 - 6:40

Baudouin II de Barvaux a écrit:Travail de deuil... A métaphoriquement filmé à Truffaut des funérailles cinématographiques... Je vois pas ce film, mais alors pas du tout, comme ça. Pour moi, tu surinterprètes, tu "psychanalyses"... Enfin, bon, je peux pas te "prouver" qu'y s'agit pas de ça.


slimfast a écrit: Rozier a choisi sa marée.

La mariée était en noir, mais la marée est plutôt blanche et virginale.
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Message par Invité Jeu 11 Juil 2013 - 22:18

Epic fail, slim.

Rozier préfère Godard à Truffaut Wink 

(En tout cas, le dit benoîtement en 1986: cad précisément lors d'une interview pour la sortie de M.O., et avec un air pas spécialement traumatisé ni ému, ou d'écorché vif, à fleur de peau, endeuillé, prince d'Aquitaine à la tour abolie, ou quoi ou qu'est-ce....

Alors, tes projections douloureuses et romanesques en diable: "Rozier fait acte ici de choisir son camp dans le groupe que tous ceux de la nouvelle vague ont formé. Il est le seul suffisamment à fleur de peau pour avoir métaphoriquement filmé à Truffaut des funérailles cinématographiques. Il y a un travail de deuil dans ce film"; "Pour les spectateurs présents il n'a fait aucun doute que la longue dérive de Ménés dans les passes et les bancs de sable pour parler de l'issue du film était un rappel ému à la mémoire de Truffaut mort un an auparavant"; "... hommage d'une sensibilité et d'une sincérité extrêmes de Rozier envers son aîné"; et autres "quand on connait le lien de Rozier avec lui, le rapprochement ne semble pas si hasardeux"  -  scuzi, ma... lol.  
- Et, j'osais pas le dire, mais: en épousant ta perception de cette séquence si triste et poignante ("au contraire j'ai été attristé par cette solitude de plus en plus irrémédiable qui l'amène à franchir le styx avec charon. j'ai trouvé cela poignant cette trajectoire du contrôleur, qui trouve un temps le bonheur et qui se perd"), la musique de cette séquence (et décisive pour sa tonalité) aurait plutôt dû être ceci * ou, je sais pas moi, cela ** )





*
spoiler:


**
spoiler:

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Message par Invité Ven 12 Juil 2013 - 11:06

Rozier dans son habituel foutage de gueule ... fallait le voir et l'entendre après cette première. qu'est-ce-que c'est ces preuves audio-visuelles ? Je n'ai pas vu le film depuis longtemps mais ça m'étonnerait que je me tape les cuisses.
Au fond tu ris de voir un pauvre type dans la mouise du moment que ton frigo et ton disque dur sont pleins.
tu m'ouvres des horizons, voir les choses comme si elles n'existaient que par les mots qui sont derrière. d'ailleurs les films qu'il cite je ne sais pas si ils appartiennent plus à godard qu'à truffaut. en tout cas ce sont des films que naturellement et au contraire truffaut n'attaque pas dans son célèbre article sur les films de la qualité française, des films ou l'image ne s'est pas nourrie de mots avant, où il y a du flottement, où on n'adapte pas, on s'adapterait plutôt. exactement ce que fait rozier dans océan, la langue est une cacophonie qui mène la danse pas une succession d'emprunts millimétrés à la godard. alors c'est un fait ce film appartient à l'univers de truffaut et pas à celui de godard (tu dis ça pour faire monter la mayonnaise ). Après cette vidéo Rozier avait peut être peur de se faire casser la gueule par godard ou se faire piquer son fric à ne pas préférer son cinéma. Cool

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Message par Invité Ven 12 Juil 2013 - 12:18

d'autre part il donne une clef dans la vidéo en disant aimer l'argent car il n'en n'a pas.
c'est comme aimer le cinéma de godard car il n'est lui même pas du tout dans cette tradition/ou modernité là.

mais encore une fois il ne dit rien sur les hommes, godard, truffaut, qu'il a côtoyés. et puis c'est truffaut qui venait de mourir alors on peut penser qu'il ait éprouvé un sentiment à cette occasion, une certaine sensibilité créatrice.

godard est sur ses deux jambes alors Marcel remballe ton démonte-peneu.

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Message par Invité Ven 12 Juil 2013 - 13:02


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Message par Invité Ven 12 Juil 2013 - 13:04

slimfast a écrit:je n'ai pas jubilé, au contraire j'ai été attristé par cette solitude de plus en plus irrémédiable... j'ai trouvé cela poignant cette trajectoire du contrôleur...
Slim, c'est pas rien d'être le roi de la samba...  est-ce qu'on parle bien de Maine Océan de Jacques Rozier?




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