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Alors quoi donc, qui donc... de Rozier

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Alors quoi donc, qui donc... de Rozier Empty Mais quoi, qui donc de Rozier

Message par Borges Ven 11 Déc 2009 - 14:05

jerzy pericolosospore a écrit:Rien à voir, mais je profite que "c'est dans l'air" [j'ai vu ça dans un texte où on fait des micro-allusions trans-territoriales à "ceux qui" , une forme intéressante et particulière de "duel", de "penser avec" et surtout "contre", moins transparente, plus aristocratique, moins salissante, plus idéelle, plus "signifiante", contre ceux qui n'ont pas ou plus d'idées, les pauvres, ou qui n'en ont jamais eu, à qui il manque décidément quelque chose, à qui le co-pensage manque, à qui quelque chose de la vie manque, ceux qui parlent de la nausée (de Sartre, comme ils disent, sans l'avoir jamais lu) - ahaa, fin limier, rien ne m'échappe, non, j'ai aucun mérite, c'est gros comme une baraque à frites Laughing, et en plus, c'est farpaitement faux, car j'ai lu 3 fois la Nausée - de Sartre - sans y comprendre un traitre mot, bien entendu], j'en profite donc pour déterrer un vieux post d'y a deux ans, complètement dénué de sens, enfin y a sûrement deux ou trois trucs fascistes, dans certaines tournures qui m'échappent, des énoncés nauséeux, imprononçables - sauf par des fascistes, mais bon j'en ai pris mon parti, sans idées je me rends pas bien compte, une incapacité quasi-ontologique de revenir réflexivement sur mon propre fascisme, je ne sais plus quoi penser car je ne suis plus co-pensé, mince, voilà que ça me reprend - le monologue insensé de l'idiot - je... Chuuut) :



Posté le: Jeu Aoû 02, 2007 4:20 pm Sujet du message:



- Maine Océan, de Jacques Rozier (Bon, ok, c'est 86. Pour moi, c'est "the" film, transfrontalier, transversal, de la bascule, du micro-événement, de l'impondérable. Mais c'est léger, loufoque, évident, frais. On rendra un jour justice à ce chef d'oeuvre oblique du cinéma français, et le siècle sera Rozien, du côté d'Orouet, ou quelque part au milieu des naufragés de l'île de la tortue).

[…]

Dans le registre "en échappée libre", de cette même famille d'un cinéma du "pas sur le côté", on pourrait encore citer "le chaud lapin" de Pascal Thomas (à l'époque assistant de Rozier) , "le passe montagne" et "double messieurs", de Jean-François Stevenin. Jean Marboeuf, un peu. René Allio, évidemment.


Pour moi, ce sont ces exemples, ainsi que les films cités dans mon post précédent, qui ont pratiqué un "devenir minoritaire" du cinéma. Rozier étant le meilleur exemple (cette "démocratisation" discrète des personnages, des espaces, des temps, des "petites" histoires, un "décalage" qui insinue et essaime de l'indétermination, des indécisions et de l'indécidable. Nulle part autant que dans Maine Océan, la langue se minorise, en patois, en zones d'insignifiance, en poches de "pas grand chose", une sorte de langue étrangère qui fait bégayer la langue majeure, le principe même de majorité, et les fait doucement basculer, imploser, sans tambour ni trompettes, vers une sorte de Babel mineure. Ce cinéma là est éminemment politique, concrètement politique.

[…]

Tu situes "le chaud lapin" sur une grille de classement préalable: "film français de vacance". J'ai suggéré que c'était le piège à contourner. Il y a un vrai cinéaste derrière, ce n'est pas un pur divertissement. Allons plus loin: c'est un film doux-amer autour des temps morts du désir, autour d'une certaine solitude des rapports entre les êtres. Je ne dis pas que c'est du Antonioni, mais c'est pas un "film de vacances", ou alors, si, un film sur "la Vacance". La Vacance du "minable" distingué (Menez) dans son rapport aux prolétaires (les jeunes filles et leur famille), des prolétaires qui sentent un peu comme un parfum de cendre de la SFIO, des congés payés, de ces petites gens pour qui la liberté ultime était de s'enfermer le temps d'un morceau d'été dans un camping-caravaning au milieu de la verdure...
Comme chez Rozier, l'enjeu du récit est le dérèglement d'un territoire, par un principe de "flottaison" des personnages, qui rend propice une "transgression" des rapports de classe et de leur clivage, un entremêlement dans une zone d'indiscernabilité.

De même, le recours à des acteurs estampillés "cinéma de kermesse à la française" est une stratégie assumée de brouillage des catégories "grand film", "petit film".

On voit bien qu'elle déstabilise la ligne de partage entre cinéphilie (de bon goût, politique des "auteurs" et c°) et "cinoche du dimanche".

Le cinéphile bon teint, accroché à ses "distinctions" esthétiques autant que sociologiques (par lesquelles il cultive "à l'insu de son plein gré" son appartenance, réelle ou fantasmée, à une strate déterminée du champ social (bien sûr, la "cinéphilie" est un marqueur de différenciation sociale) aura tôt fait d'élire au travers de son tamis les bons objets et les mauvais objets de gratification. Les objets mixtes, impurs, traîtres à leur loi, s'en iront se faire voir ailleurs, et "quelque part", c'est tant mieux. C'est une bonne leçon sur l'ouverture du regard. C'est de la politique en situation, à l'épreuve du réel, un bon indicateur de ce qu'effectivement, le champ dit "critique" de l'esthétique continue à perpétuer un régime de valeurs distinctives et socialement aliénantes, un "apartheid" du "bon goût".
Lequel se redistribue aussi dans la substructure du "kitsch", du "second degré" et du "mauvais goût assumé". Le "mauvais goût" assumé, c'est classe: ça marque aussi la différence entre la fraction dominée de la classe dominée, qui adhère matériellement à ses objets, et la fraction dominante de cette classe, qui les consomme avec parcimonie ou distanciation: "on ne nous la fait pas". La classe dominante, elle, elle s'en fout, elle a autre chose à foutre de son temps. Elle consomme pas du capital symbolique, elle gère son patrimoine et ses flux boursiers).

La "Vacance": thème cher à Rozier: des contrôleurs de la sncf se retrouvent sans trop savoir pourquoi entre l'île d'Yeu et la côte, "avec toute la smala", une brésilienne ignorant le concept de "compostage de billet", une avocate confondant plaidoirie et sémiologie de la linguistique des "idiolectes", un marin "maraîchin", un producteur bidon de "show-biz" américain, etc. Ménez pense un temps abandonner son métier, tout quitter pour embrasser le statut du "roi de la samba". Il se retrouvera au milieu des sables, dans un extraordinaire panoramique, d'une longueur quasi expérimentale par son abstraction, flottant, là où il n'est plus qu'un point mobile, vacillant sur la ligne d'horizon et comme s'il faisait du "sur place", entre la mer et les rails de chemins de fer, plus loin, et on dirait qu'il danse une samba aléatoire, sur fond de piano/percussions brésiliens.


Eh bien, chez Pascal Thomas, et dans ce film, "le chaud lapin", c'est la même logique douce, triste et joyeuse, de dérèglement, de franchissement incertain et aléatoire de paliers: Menez est un abruti de la "haute" en vacances, avec sa raquette de tennis et sa belle décapotable, il entend bien honorer sa "libido".

Téléscopages de classes sociales dans une zone "vague", les campings, les abords de dancings de provinces.... Le récit mute, se dérègle, épouse une musardise des possibles, des temps déconnectés de la vie économique et sociale: des amitiés désœuvrées se nouent, on ne sait plus très bien ce qu'on veut, on invente de brèves utopies où on prend la clef des champs. Le no-man land "français" devient une ligne de flottaison flottante, entre la mer, la campagne et la ville. ... Oui, c'est un film de vacances et sur la vacance, mais on aura fait aussi un voyage poignant, transversal, en minor mood.
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Message par Borges Ven 11 Déc 2009 - 17:02

Quelques notes... encore...



Le film commence par une course, celle de Déjanira (quoi faire de cette référence à la mythologie ?), pour monter dans le train ; elle se trompe, arrivent les contrôleurs, un sympa, un autre à cheval sur les règlements (un fasciste, comme on dit ; le genre de fonctionnaire qui a du aider à ce que les trains arrivent à l’heure dans les camps d’extermination ; c’est tout de même pas une terroriste, lui dira son copain…le film est de 1986; avant ou après les attentats? ) ; elle a pas composté, elle est en première, elle parle ni le français, ni l’anglais; Menez, comme dirait Rancière, c’est le principe policier des partages, chacun à sa place, les chiens, les premières et les deuxièmes classes… et le film s’achève par une autre course, celle du contrôleur contaminé par le Brésil, la samba, mais qui aura raté son devenir, son changement, son devenir-brésilien dans la musique, par la musique, son devenir-artiste, nomade, mais aussi une certaine idée de la communauté, une certaine forme de solidarité ; ce n’est que quand il est complètement ivre qu’il songe à la misère de son existence, à cette vie, qui n’est qu’une ligne, son fameux Nantes-Paris, Paris-Nantes. Jamais il ne gagne à l’idée du collectif, du groupe, à l’idée de cette solidarité, qui pourtant est au principe de son retour ; les marins se réunissent, s’assemblent, gratuitement, pour qu’il regagne à temps son boulot ; sans parler du mec qui le prend en stop. Retour sur terre.

-Le manager, c’est pas du bidon, du faux (ou alors en un sens très large, Deleuze-Welles-Nietzsche), c’est bien des choses :

-D’une part, depuis la perspective de la langue, des langues, c’est un mode très complexe du langage performatif, magique, celui qui croit pouvoir transformer les êtres selon sa simple énonciation (la norme du type, c’est « si je dis que tu es ceci ou cela, tu l’es ; si je dis que tu peux, tu peux » ; c’est ce qu’il dit à la brésilienne quand elle ose lui résister en reconnaissant, en voulant lui faire comprendre qu’elle ne sait pas chanter, qu’elle est danseuse, ou modèle ; et c’est ainsi d’ailleurs que nous sont souvent présentés les grands producteurs hollywoodiens, par exemple dans les ensorcelés de Minnelli ; ils forment une matière, ils voient ce que personne ne voit… Welles dans Citizen Kane montre l’échec de cette volonté; le pouvoir ne suffit pas à faire une diva)

-Le manager-producteur se pose comme principe de vision, et de division ; il veut faire voir quelque chose en tant que… ; il dit « toi tu as du talent « ; un tel énoncé n’est évidement pas descriptif, ou pas simplement, il accomplit quelque chose ; tout énoncé est d’une certaine manière performatif, mais il est plus ou moins autorisé, légitime, par des titres, des institutions… (si je dis à un mec « t’es bête », c’est pas comme si son prof le lui dit, en le notant). La question est « qu’est-ce que c’est que le talent ? Est-ce une réalité interne, une propriété qu’un type très perspicace découvre, et aide à se développer, à s’affirmer, ou est-ce seulement l’effet d’une parole (autorisée, faisant autorité ; grande question évidement, celle de la critique, des prix, des expositions… ) ; le film ne décide pas, mais on voit que dès que le contrôleur est présenté par le manager comme le roi de la samba, le gars de la radio s’intéresse à lui…un manager qui tire son autorité de son origine « américaine » ; il y a là quelque chose du faussaire, ou du grand escroc…quelque chose d’une puissance du faux… mais sur le mode comique, sur le mode de l’ironie…Cette parole à prétention performative, il faut la comparer avec la véritable parole performative du film, celle du juge, qui peut parce qu’il a derrière lui l’institution, faire vrai en disant… On peut aussi se demander ce que veut dire petitgars quand il dit de Déjanira « c’est ma fiancée » ? A quel registre appartient cet énoncé ; on en rit.

D’autre part, le manager, l’impresario, c’est un principe d’improvisation, un homme qui improvise, qui fait quelque chose avec du rien, des riens ; on avait déjà ce personnage dans » adieu Philippine », et c’est sans doute, Rozier lui-même, sa poétique, ses bricolages, qui est mise en scène dans la fameuse scène de la samba ; comment se fait le morceau de musique ? il faut régler mille problèmes, qui évidemment ne se rencontrent pas quand on a du fric, quand on bosse dans un système : il faut un lieu, trouver le piano, quelqu’un qui en joue, sans en jouer vraiment… le guitariste arrive, il a le sens du rythme, mais il faut une guitare, ou trouve la guitare, mais il ne sait pas lire la musique, on lui lit… la brésilienne doit chanter, elle ne sait pas… elle refuse, fait ce qu’elle sait faire, elle danse, petit à petit tout s’organise, prend place, là, c’est un autre principe de distribution, différent de celui du début du film ; comme dirait deleuze chacun s’empare de sa puissance, de son désir, trouve sa place, et s’agence aux autres, pour un tout plus fort que ses parties constitutives, de tout ça peut naître une œuvre collective…

-lors de la « fête », si le contrôleur participe bien, se libère, grâce à la musique, à l’alcool, il révèle aussi ce qu’on pourrait appeler son projet fondamentale : « devenir roi » ; le petit contrôleur se veut roi ; pathétique ; L’impresario le nomme si je me souviens bien « Le nouveau Maurice chevalier », bien entendu, c’est l’idée américaine de l’artiste français, et la représentation est très clichée, mais dans le registre de la volonté de pouvoir, on doit aussi se souvenir que Maurice Chevalier ne fut pas un modèle de résistance pendant l’occupation.

-Quand il lui dit « T’es le nouveau Maurice chevalier » ; bien entendu, le manager n’y croit pas ; il rit, quand le pauvre type gobe un truc aussi immense ; un tel mensonge ; il est le seul à ne pas se rendre compte qu’on se fout de sa gueule.

A la fin du film, il se comporte un peu comme le de Funès de la grande vadrouille, en maître chez lui, incapable de saisir quoi que ce soit à cette incroyable solidarité qui se met en place pour l’aider à regagner son boulot, à temps. Mais l’image se « venge », venge la brésilienne ; elle réduit cette prétention à la royauté à ses modestes proportions ; le roi de la samba n’est rien, un petit point… la samba est reine…

Rozier, c’est une héritier de Vigo ; on le sait, il lui a consacré un grand documentaire ; Vigo, comme on dit, le Rimbaud du cinéma, l’anarchiste, mais aussi l’élément aquatique ; l’eau, qui serait selon Deleuze l’élément français du cinéma ; le cinéma français (Renoir, Epstein, Grémillon, Vigo…et Rozier, dont il ne parle pas trop), c’est l’eau, par rapport à l’expressionnisme, allemand, à l’image action, rêve américain, par exemple ;

Ici, il faut relire bien entendu les pages de Deleuze sur ce cinéma français de l’eau, et voir comment on retrouve dans « Maine Océan » : « cette confrontation non dualiste, qui fait le cinéma français, entre deux types d’images – perception : les images liquides qui effectuent le système objectif total de l’universelle interaction, et les images solides, terrestres, qui effectuent le système de la variation limitée par rapport à un centre d’immobilité ; il faut chacun fois que le système terrestre sort des eaux, que les eaux reconquièrent, se reconquièrent sur le système terrestre. "

Là on se dit qu’il parle vraiment de la fin du film de Rozier.


La samba, c’est bien entendu, la danse des esclaves…






« Je veux saisir les instants, les secondes insignifiantes où les choses basculent et se décident. »
(Rozier)

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Message par Invité Ven 11 Déc 2009 - 21:19

le film s'est fait immédiatement après la mort de François Truffaut et il faut y voir sa propre trajectoire.
Ca fait partie des amitiés non feintes des cahiers.

J'étais dans la salle quand Rozier a présenté son film a la semaine des cahiers. un moment solennel.

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Message par Invité Dim 13 Déc 2009 - 18:47

Borges tu n'es plus inspiré par l'artillerie ?

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Message par Borges Dim 13 Déc 2009 - 20:46

si, si, mais je veux revoir "adieu p", terminer "les naufragés"... (le début est assez catastrophique, je dois dire) avant de continuer...cela dit tout le monde peut participer...
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Message par Leurtillois Mer 3 Mar 2010 - 13:06

Alors quoi donc de la fin des Naufragés...? Pourquoi tu trouves le début catastrophique?

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