Le Jardin des Finzi-Contini (de Sica, 1970)
Le Jardin des Finzi-Contini (de Sica, 1970)
L'histoire des Finzi-Contini: la bourgeoisie juive de Ferrare est en apparence en bon terme avec la régime mussolinien, mais un jour les fils de famille sont exclus du club de tennis. Les Finzi-Contini, qui possèdent un immense domaine et un manoir, organisent un club de tennis parallèle et mixte, donc ouvert aux camarades fascistes des enfants (plus tard ils organiseront une bibliothèque universitaire parallèle). C'est politiquement une fuite en avant, à la fois un geste de résistance et l'espoir de sauver les apparences pour s'y maintenir. Les Finzi-Contini ont une fille, Mícol, un peu secrète et revêche, dont est amoureux depuis l'enfance Georgio, étudiant en lettre qui vient d’une famille de commerçant plus petite-bourgeoise habitant en ville. Il est piégé: il comprend l'ambiguïté du club, mais veut se rapprocher de Mícol.
Bien aimé (j’aime bien Bassani, à vrai dire je n'ai pas lu ce roman, mais juste « les Lunettes d’Or » et le « Héron »), même si le film se tient justement sur la frontière entre la mode esthétisante "rétro" dont parlaient Pasolini et Daney, et un point de vue plus profond et plus politique sur le fascisme et l'antisémitisme, l'articulation de la bourgeoisie et de la minorité.
Bassani a créé une œuvre proustienne sur le fait que la communauté juive de Ferrare est pendant le mussolinisme à la fois dans la classe sociale au pouvoir et sociologiquement dans la minorité de cette classe sociale, puis persécutée, elle même divisée (entre la bourgeoisie commerçante et la bourgeoisie intellectuelle, avec deux rapports différents à la foi, au pouvoir, mais en même temps avec une conscience de ce qui lie chacun). Les personnages ne discutent en fait « que » de cela, de ces scissions successives (qui déterminent pourtant finalement un rapport à la sexualité, à la politique et aussi un mode des relations parents-enfants dans la famille).
Le régime mussolinien, dans ses discours, dissimule cet ancrage bourgeois, et veut apparaître comme prolétarien. Les personnages des deux familles du film, les Finzi-Contini et la famille commerçante de Georgio, sont partagés de la même manière : ce silence ou cette dissimulation ressemblent à une protection quotidienne ("les vraies intention du régimes sont encore à venir..."), mais avec un peu de recul il se révèle bien-sûr une hypocrisie, de la même manière que le sont les lois raciales, que personne, à l’université ou dans le club de tennis, n’approuve visiblement, mais dont personne dans la société ne s’étonne non plus de l’absence de justification. L’éloignement de la société sur l’état n’empêche pas leur application.
Mais c’est justement parce qu’elles font la même analyse à partir de deux positions sociales différentes que ces deux familles en viennent à s’opposer (froidement, en ne se fréquentant pas). C’est un but des lois raciales : empêcher toute possibilité de complémentarité au sein de la minorité, créer de l’homogène qui empêche toute chance d’alliance, non pas entre soi et autrui, mais dans l’altérité elle-même.
On comprend que le personnage joué par Fabio Testi est fasciste quand il dit ; « j’aime bien Ferrare : la plupart des bourgeois sont fascistes et bien-pensants, sauf les Juifs bien entendus, mais le prolétariat est encore antifasciste, parfois communiste ». On comprend qu’il ne veut pas dire que le prolétariat est vivant, mais qu’il représente pour cette raison quelque chose qui reste encore à séduire (fantasmatiquement: par lui).
Ce qui est singulier c’est de voir qu’un film « centriste » des années 1970 devient finalement plus politiquement direct que disons les films récents de Bellochio sur l’historie de l’Italie dans le XXème siècle (Mussolini->la mort de Moro->Berlusconi), qui expriment des rapports de classe de manière allégorique. Ici pas d’allégorie. Ou peut-être sur un seul point, significatif dans le contexte de la gauche des années d’après 68 : le film se démarque de cette gauche, en faisant non pas des enfants mais des pères les pôles centraux de l’antifascisme. Le père de Georgio est proche de celui qui est montré dans Amarcord, qui de manière presque accidentelle n’est pas membre du parti, mais fini par être torturé et assume tout à coup sa singularité. C’est finalement le même personnage que le Général Della Rovere joué par de Sica (qui devient résistant en assumant le rôle du chef de famille par rapport à sa fausse veuve et ses enfants). On sent que c’est sur le père de Georgio que de Sica veut créer un lien de reconnaissance avec le spectateur, pas avec les personnages centraux (à l'inverse du roman, qui est plus ouvert sur ce plan, chez Bassani les vieux sont bien gâteux politiquement). Les fils (et les filles, du moins Mícol, seul vrai personnage féminin) sont placés en dehors de ce lien de reconnaissance, la seule questions qu’ils continuent à se poser, même persécutés, c’est celle de s’intégrer ou ne pas s’intégrer, trouver ou ne pas trouver sa place dans la société.
Un beau motif revient souvent dans ce film : pour les enfants la lumière ne peut venir que de l’extérieur (des arbres du parc, même le jour de l’arrestation). Le père de Georgio lui est toujours montré à l’intérieur. Comme dans Della Rovere : de Sica devient le résistant qu’on lui a demandé d’usurper quand il accepte la prison, ou plutôt, accepte de ne plus revoir la lumière de l’extérieur. Il se met à alors fonctionner en chef résistant (et comprend que la lutte impose le silence), un peu comme le père de Georgio, au départ plutôt quanlunquiste, qui tout à coup écoute la BBC et livre des analyse serrées sur le régime. Il y a quelque chose d’un peu christique, mais décalé : le père, plutôt que le fils devient lui-même la lumière.
A l’inverse, l’arrestation des Finzi-Contini est précédée par une des rares scènes où l’on voit le père de Mícol dehors (surveillant la plantation d’un arbre, qu’il a dû il est vrai se faire livrer en ville) : Mícol qui le voit de sa fenêtre fait une moue pour indiquer sa réprobation (Dominique Sanda parvient très bien a exprimer l'idée "quel con..." rien qu'avec les yeux), : que c’est là un signe d’aveuglement, qu’il commet un geste qui le met en danger, ainsi que toute sa famille.
Il y a peut-être cette idée dans le film : les personnages investissent le signe plutôt que la sexualité ou le corps, mais cela devient du fait de la contrainte extérieur une forme de résistance. Mícol affirme sa lucidité politique et sa force de caractère en revendiquant, puis en dernière instance refrénant sa sexualité, jusque dans la froideur , comme si le but de la sa séduction devait être la frigidité (la scène où elle prend la main de Georgio, et la lâche, fait suite au flashback sur la drague sur l’échelle, qui est liée au désir de quitter la villa). La charge potentiellement subversive de l’homosexualité de son frère est un peu de la même manière annulée par le fait qu’il meurt de tuberculose. Très belle situation : le film montre ces revendications, ces luttes pour exister individuellement en s’annulant, mais aussi le fait que personne ne peut plus les relever, qu’elles tombent dans le silence (sauf peut-être le père de Georgio comprend en fait mieux Mícol que Georgio lui-même).
L'erreur de Mícol, elle parvient bien à démonter ce qu'elle croit être la seule à ressentir. Pour cela tout ce qui est de l'ordre de l'érotisme, du corps, lui apparaît comme déjà vieilli: elle a la force d'une vieille femme digne. Ce n'est qu'à la fin qu'elle a un geste de jeune fille: corriger son prénom que les chemises brunes écorchent: Nicole.
Pour tout le monde, déjà, le pouvoir s’exerce directement sur les corps, y compris pour les gens qui vivent dans la norme, qui devient alors directement un objet joué par l’histoire, même pas un projet ou un refuge . L’aliénation et la domination par le fascisme ne sont jamais ressenties au présent, elle sont une fausse mémoire, une fausse tradition. Ce qui sépare les résistants des fascistes : peut-être que les premiers investissent le signe politiquement (le passage de la frontière française vu avec espoir, le fait de lire des journaux étrangers, finalement les chant hébraïques vu aussi comme des limites franchies), alors que pour ceux qui sont politiquement neutralisés, le signe est la limite de ce que la politique peut investir (la scène du cinéma, ou Georgio déclenche un scandale sur les images de propagande montrant les chefs allemand, puis se fait traiter de juif par un public qui ne soupçonne pas en fait son judaïsme : ce à quoi son ami fasciste ajoute : « doit à ton dieu qu’ils ne pensent pas réellement ce qu’ils disent : c’est ce qui fait que tu es encore vivant »). Ils savent quel est le Dieu des autres, qu’ils reconnaissent même où il se cache ou s'ignore, mais pas quel est le leur.
Mais le démontage de la psychologie politique du fascisme n'est pas tellement au centre du film, c'est plutôt un contexte pour ce qui est, malgré sa justesse, fondamentalement un récit d’initiation morbide, je crois que le roman, écrit entièrement en flashback depuis les années 50 (ce que le narrateur croyait avoir refoulé) est plus direct là-dessus.
Bien aimé (j’aime bien Bassani, à vrai dire je n'ai pas lu ce roman, mais juste « les Lunettes d’Or » et le « Héron »), même si le film se tient justement sur la frontière entre la mode esthétisante "rétro" dont parlaient Pasolini et Daney, et un point de vue plus profond et plus politique sur le fascisme et l'antisémitisme, l'articulation de la bourgeoisie et de la minorité.
Bassani a créé une œuvre proustienne sur le fait que la communauté juive de Ferrare est pendant le mussolinisme à la fois dans la classe sociale au pouvoir et sociologiquement dans la minorité de cette classe sociale, puis persécutée, elle même divisée (entre la bourgeoisie commerçante et la bourgeoisie intellectuelle, avec deux rapports différents à la foi, au pouvoir, mais en même temps avec une conscience de ce qui lie chacun). Les personnages ne discutent en fait « que » de cela, de ces scissions successives (qui déterminent pourtant finalement un rapport à la sexualité, à la politique et aussi un mode des relations parents-enfants dans la famille).
Le régime mussolinien, dans ses discours, dissimule cet ancrage bourgeois, et veut apparaître comme prolétarien. Les personnages des deux familles du film, les Finzi-Contini et la famille commerçante de Georgio, sont partagés de la même manière : ce silence ou cette dissimulation ressemblent à une protection quotidienne ("les vraies intention du régimes sont encore à venir..."), mais avec un peu de recul il se révèle bien-sûr une hypocrisie, de la même manière que le sont les lois raciales, que personne, à l’université ou dans le club de tennis, n’approuve visiblement, mais dont personne dans la société ne s’étonne non plus de l’absence de justification. L’éloignement de la société sur l’état n’empêche pas leur application.
Mais c’est justement parce qu’elles font la même analyse à partir de deux positions sociales différentes que ces deux familles en viennent à s’opposer (froidement, en ne se fréquentant pas). C’est un but des lois raciales : empêcher toute possibilité de complémentarité au sein de la minorité, créer de l’homogène qui empêche toute chance d’alliance, non pas entre soi et autrui, mais dans l’altérité elle-même.
On comprend que le personnage joué par Fabio Testi est fasciste quand il dit ; « j’aime bien Ferrare : la plupart des bourgeois sont fascistes et bien-pensants, sauf les Juifs bien entendus, mais le prolétariat est encore antifasciste, parfois communiste ». On comprend qu’il ne veut pas dire que le prolétariat est vivant, mais qu’il représente pour cette raison quelque chose qui reste encore à séduire (fantasmatiquement: par lui).
Ce qui est singulier c’est de voir qu’un film « centriste » des années 1970 devient finalement plus politiquement direct que disons les films récents de Bellochio sur l’historie de l’Italie dans le XXème siècle (Mussolini->la mort de Moro->Berlusconi), qui expriment des rapports de classe de manière allégorique. Ici pas d’allégorie. Ou peut-être sur un seul point, significatif dans le contexte de la gauche des années d’après 68 : le film se démarque de cette gauche, en faisant non pas des enfants mais des pères les pôles centraux de l’antifascisme. Le père de Georgio est proche de celui qui est montré dans Amarcord, qui de manière presque accidentelle n’est pas membre du parti, mais fini par être torturé et assume tout à coup sa singularité. C’est finalement le même personnage que le Général Della Rovere joué par de Sica (qui devient résistant en assumant le rôle du chef de famille par rapport à sa fausse veuve et ses enfants). On sent que c’est sur le père de Georgio que de Sica veut créer un lien de reconnaissance avec le spectateur, pas avec les personnages centraux (à l'inverse du roman, qui est plus ouvert sur ce plan, chez Bassani les vieux sont bien gâteux politiquement). Les fils (et les filles, du moins Mícol, seul vrai personnage féminin) sont placés en dehors de ce lien de reconnaissance, la seule questions qu’ils continuent à se poser, même persécutés, c’est celle de s’intégrer ou ne pas s’intégrer, trouver ou ne pas trouver sa place dans la société.
Un beau motif revient souvent dans ce film : pour les enfants la lumière ne peut venir que de l’extérieur (des arbres du parc, même le jour de l’arrestation). Le père de Georgio lui est toujours montré à l’intérieur. Comme dans Della Rovere : de Sica devient le résistant qu’on lui a demandé d’usurper quand il accepte la prison, ou plutôt, accepte de ne plus revoir la lumière de l’extérieur. Il se met à alors fonctionner en chef résistant (et comprend que la lutte impose le silence), un peu comme le père de Georgio, au départ plutôt quanlunquiste, qui tout à coup écoute la BBC et livre des analyse serrées sur le régime. Il y a quelque chose d’un peu christique, mais décalé : le père, plutôt que le fils devient lui-même la lumière.
A l’inverse, l’arrestation des Finzi-Contini est précédée par une des rares scènes où l’on voit le père de Mícol dehors (surveillant la plantation d’un arbre, qu’il a dû il est vrai se faire livrer en ville) : Mícol qui le voit de sa fenêtre fait une moue pour indiquer sa réprobation (Dominique Sanda parvient très bien a exprimer l'idée "quel con..." rien qu'avec les yeux), : que c’est là un signe d’aveuglement, qu’il commet un geste qui le met en danger, ainsi que toute sa famille.
Il y a peut-être cette idée dans le film : les personnages investissent le signe plutôt que la sexualité ou le corps, mais cela devient du fait de la contrainte extérieur une forme de résistance. Mícol affirme sa lucidité politique et sa force de caractère en revendiquant, puis en dernière instance refrénant sa sexualité, jusque dans la froideur , comme si le but de la sa séduction devait être la frigidité (la scène où elle prend la main de Georgio, et la lâche, fait suite au flashback sur la drague sur l’échelle, qui est liée au désir de quitter la villa). La charge potentiellement subversive de l’homosexualité de son frère est un peu de la même manière annulée par le fait qu’il meurt de tuberculose. Très belle situation : le film montre ces revendications, ces luttes pour exister individuellement en s’annulant, mais aussi le fait que personne ne peut plus les relever, qu’elles tombent dans le silence (sauf peut-être le père de Georgio comprend en fait mieux Mícol que Georgio lui-même).
L'erreur de Mícol, elle parvient bien à démonter ce qu'elle croit être la seule à ressentir. Pour cela tout ce qui est de l'ordre de l'érotisme, du corps, lui apparaît comme déjà vieilli: elle a la force d'une vieille femme digne. Ce n'est qu'à la fin qu'elle a un geste de jeune fille: corriger son prénom que les chemises brunes écorchent: Nicole.
Pour tout le monde, déjà, le pouvoir s’exerce directement sur les corps, y compris pour les gens qui vivent dans la norme, qui devient alors directement un objet joué par l’histoire, même pas un projet ou un refuge . L’aliénation et la domination par le fascisme ne sont jamais ressenties au présent, elle sont une fausse mémoire, une fausse tradition. Ce qui sépare les résistants des fascistes : peut-être que les premiers investissent le signe politiquement (le passage de la frontière française vu avec espoir, le fait de lire des journaux étrangers, finalement les chant hébraïques vu aussi comme des limites franchies), alors que pour ceux qui sont politiquement neutralisés, le signe est la limite de ce que la politique peut investir (la scène du cinéma, ou Georgio déclenche un scandale sur les images de propagande montrant les chefs allemand, puis se fait traiter de juif par un public qui ne soupçonne pas en fait son judaïsme : ce à quoi son ami fasciste ajoute : « doit à ton dieu qu’ils ne pensent pas réellement ce qu’ils disent : c’est ce qui fait que tu es encore vivant »). Ils savent quel est le Dieu des autres, qu’ils reconnaissent même où il se cache ou s'ignore, mais pas quel est le leur.
Mais le démontage de la psychologie politique du fascisme n'est pas tellement au centre du film, c'est plutôt un contexte pour ce qui est, malgré sa justesse, fondamentalement un récit d’initiation morbide, je crois que le roman, écrit entièrement en flashback depuis les années 50 (ce que le narrateur croyait avoir refoulé) est plus direct là-dessus.
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