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Meek's cutoff et le désir du désert au cinéma.

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Message par Eyquem Mar 28 Juin 2011 - 23:43

J'ai regardé ça comme une fable (très bien d'ailleurs, surtout la dernière partie, et surtout la toute fin de la dernière partie : les derniers plans font le film, à mon avis). Et je découvre en rentrant qu'une bonne part du récit s'appuie sur des faits authentiques (du moins, aussi authentiques que puissent l'être des histoires du vieil Ouest).
J'avais jamais entendu parler de ce Stephen Meek, un vrai trappeur, mort de sa belle mort à près de 80 ans apparemment, alors que dans le film, on donne pas cher de sa peau vu qu'il a à peu près le sens de l'orientation d'un "Gerry".

Même cette histoire de guide indien a peut-être sa source ici :
Once they reached the long hill's summit, the exhausted groups set up camp for the night and prepared supper. During mealtime, an Indian walked into camp. The Indian and the emigrants eyed each other warily before someone presented the guest with food. After eating hurriedly, Meek and Tetherow, using jargon and hand signals, asked the Indian where they were and how best to get to the Crooked River and on to The Dalles. The Indian, a member of the Warm Springs tribe, showed them where water was and how to get to the Deschutes River :

An Indian came to us, pointed out the course to [The Dalles] to which he said it was 5 days journey, and so far from refusing to follow the advise of the Indian, at my request he was employed by Mr. Meek to pilot us to Crooked river, which he did for a blanket. (Solomon Tetherow)
http://www.oregonhistorictrailsfund.org/trails/showtrail.php?id=7


Pour ceux que la fin déçoit, le net apprendra que Solomon Tetherow est finalement arrivé à bon port :
Sol Tetherow was born in Tennessee in the year 1800. He was married to Ibbie Baker. They had fifteen children. Ten lived to reach old age. Three of the children were born after they came to Oregon.

Sol Tetherow crossed the plains, coming to Oregon in 1845, locating in Dallas, Oregon, November 16, 1845. He bought Sol Shelton’s squatter’s right to a section of land, or traded him a brindle ox named Bright for his square mile. Dallas is now located on that claim.
http://genealogytrails.com/ore/polk/biographies/polkcountypioneers2.html
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Message par Borges Jeu 30 Juin 2011 - 8:47

tout le monde s'excite autour de ce film, à coup de clichés débiles, féminisme et autre conneries; pas encore vu, mais le précédent de la fille m'avait pas trop impressionné; elle se réclamait du néoréalisme, du jeune cinéma allemand... mais ça sentait le vide, et l'artifice; de la pose, pas mieux, ni plus;


encore un film où l'on ne sous-titre pas l'"autre", l'altérité absolue, comme on dit; KR, explique son choix, assez bêtement : "I didn't want to give the audience any information that the immigrants didn't have. It's for you to read him in the other ways that we have to read people that are culturally different."

ça à l'air malin, mais ça part de l'idée complètement idéologique, basique, que l'audience est blanche, américaine... et que c'est à ces pauvres colons perdus que nous devons nous identifier, que nous soyons chinois, japonais... russe... Nous sommes tous des colons américains; nous sommes "le même", il est l'"autre"; l'inverse aurait été plus malin, et politiquement moins convenu...

(l'indien réel parlait un peu anglais)

selon un linguiste us, il n'y aurait plus au monde que trois personnes à parler le "downriver Nez Perce" , la langue qu'un Cayuse de l'époque aurait probablement parlé; et une 30, l'"upriver Nez Perce".





What's the Native American Man Saying in "Meek's Cutoff"?
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Message par Borges Jeu 30 Juin 2011 - 8:57

Eyquem a écrit:
à peu près le sens de l'orientation d'un "Gerry".


hello eyquem;

une discussion entre KR et GVS

Kelly Reichardt by Gus Van Sant





KR I was scouting for Wendy and Lucy in Tucson on Highway 10 in the middle of nowhere and this van blew a tire right in front of me and went into the ditch. So I pulled over. It was this Mexican woman, she was mid-forties, maybe my age. She had no shoes on, just socks. I asked if she had AA or a spare tire. No. Well, do you have a cellphone? Yeah, but they just turned it off. She said, “Before I bought this Pepsi, I had $20.” That’s where she was at. So I gave her a ride to the next exit which was about half an hour away and we borrowed a jack from a trucker and circled back around. So now I’m like an hour out of my day and trying to figure out how deep I’m going to get into this. But she was so unpanicked by her situation. She was going to visit her husband and she was very accustomed, clearly, to shit going down like this and having to scramble. She was on her knees on the side of the road getting this tire off when a cop stopped. The cop never made an effort to help her but he kept telling me to be careful. What she was doing was way more dangerous but he stood there and watched her and kept telling me to be safe and get out of the way. She just took the whole thing in stride, which really made an impression on me.

GVS So the cop wanted you to be safe because he identified you as someone he’s not used to talking down to.

KR Yeah, I think so. I’m driving a Subaru. I’m white, and he basically told me I should go on my way. He was doing nothing to assist her, and it was like, 110 degrees and her car was in a ditch on the side of Highway 10. This woman was not going to get community help. Whereas if she had been a middle-class white woman she would have—if not from the cop, then from the guys at the gas station. I mean, Michelle Williams would get help; let’s face it. And I’m asking myself how much I’m going to give her and how deep into it I’m going to get. That’s the question the mechanic and the security guard face in Wendy and Lucy: how much should each person give to the next person? What’s our responsibility to each other?



notons que la fille dans le film n'est ni Noire (plus haut elle parle de Katrina) ni mexicaine...


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Message par Invité Jeu 30 Juin 2011 - 13:42

!
Borges a écrit :


tout le monde s'excite autour de ce film, à coup de clichés débiles, féminisme et autre conneries; pas encore vu, mais le précédent de la fille m'avait pas trop impressionné; elle se réclamait du néoréalisme, du jeune cinéma allemand... mais ça sentait le vide, et l'artifice; de la pose, pas mieux, ni plus;


encore un film où l'on ne sous-titre pas l'"autre", l'altérité absolue, comme on dit; KR, explique son choix, assez bêtement : "I didn't want to give the audience any information that the immigrants didn't have. It's for you to read him in the other ways that we have to read people that are culturally different."

ça à l'air malin, mais ça part de l'idée complètement idéologique, basique, que l'audience est blanche, américaine... et que c'est à ces pauvres colons perdus que nous devons nous identifier, que nous soyons chinois, japonais... russe... Nous sommes tous des colons américains; nous sommes "le même", il est l'"autre"; l'inverse aurait été plus malin, et politiquement moins convenu...

(l'indien réel parlait un peu anglais)

selon un linguiste us, il n'y aurait plus au monde que trois personnes à parler le "downriver Nez Perce" , la langue qu'un Cayuse de l'époque aurait probablement parlé; et une 30, l'"upriver Nez Perce".



ouf !! voila un enterrement de première classe.

Wink

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Message par Eyquem Dim 3 Juil 2011 - 11:23

Je sors toujours de ces films avec un sentiment de malaise ; dans Old Joy, Wendy et Lucy, Meek’s cutoff, il ne se passe rien ou quasiment, et pourtant il plane dans chaque plan, dans chaque rencontre, le sentiment d’une menace, d’une possible agression. C’est un cinéma de la nuit, de la tombée du jour, c’est-à-dire du moment où les choses et les êtres perdent leurs contours familiers, deviennent méconnaissables et angoissants.

(on finira bien par comparer au cinéma de Malick : peut-être plus tard)

Le point de départ est toujours le même : on quitte la grand-route. Deux amis partent en forêt, se perdent, finissent par trouver le site qu’ils cherchaient, et rentrent chez eux (Old Joy). Une jeune femme a tout perdu, maison, boulot ; il ne lui reste plus que sa voiture et son chien (Wendy et Lucy). Un convoi de pionniers se perd dans le désert, cherche à rejoindre la piste, le convoi principal, cherche de l’eau, ne trouve rien de tout ça (Meek’s cutoff).

Qu’est-ce qui se passe quand on quitte la grand-route ?
Il se passe que vous vous retrouvez tout seul, dans une situation de totale vulnérabilité, à la merci de l’autre. L’autre y est d’abord perçu comme un possible danger ; même l’ami cesse d’être un ami, pour redevenir quelqu’un d’autre, un autre, quelqu’un que vous ne connaissez pas, que vous ne reconnaissez plus. C’est le sujet d’Old Joy et en un sens, c’est la question des trois films : qui est l’ami ? qui est l’ennemi ? Old Joy avait ceci de particulier qu’il racontait une amitié en déroute dont on ne savait pas trop sous quelle forme elle renaîtrait : histoire d’amour ou affaire de meurtre ; si bien que la scène où les deux amis parviennent à la source chaude, perdue au milieu des bois, et prennent ensemble un bain pour se détendre, cette scène est un grand moment de tension. Tout est suspendu, y compris le sens des gestes amicaux, dont il est impossible de dire alors s’ils sont guidés par l’amour ou s’ils préfigurent un meurtre. Finalement, il ne se passera rien, et les deux amis repartent comme ils sont venus. Peut-être alors que la question n’est pas « qui est l’ami, qui est l’ennemi ? » mais : qu’est-ce que l’autre quand il n’est ni ami ni ennemi ? qu’est-ce que nous sommes pour lui, qu’est-ce qu’il est pour nous ?
Il n’y a que dans les films de Kelly Reichardt (et de son scénariste, le même depuis Old Joy), il n'y a que dans leurs films que je vois se nouer ce type de relations assez indéfinissables, où l’autre n’est ni ami ni ennemi, mais quelqu’un dont on ignore ce qu’il nous veut, s’il nous veut quelque chose. Une bonne partie des trois films se consacre d’abord, il me semble, à mesurer l’étendue qui sépare l’un de l’autre : l’autre n’est pas le prochain mais le lointain ; une distance immense sépare les êtres, qui, même à deux pas les uns des autres, semblent s’observer avec des télescopes ; c’est une distance qui ne peut se rapporter qu’à celle qui sépare une étoile d’une autre – ce n’est peut-être pas un hasard si le ciel étoilé tient une grande place dans l’imaginaire de ces films.

On voit la différence avec le cinéma des années 60-70, auquel le cinéma de Reichardt est parfois comparé. Dans le cinéma de cette époque, quand vous quittiez la grand-route, vous trouviez un tas de copains. Des groupes s’organisaient, qui réunissaient tous ceux qui se reconnaissaient. Plus rien de tout ça ici. On se demande où sont les gens, où est la grand-route. Il n’y a presque plus personne, il n’y a plus que des routes secondaires qui se perdent dans les bois, une absence de piste sauf celle que vous tracez, égarés dans le désert ; et dans ce grand désert, des individus isolés, des monades nomades. L’indien aussi est tout seul dans Meek's cutoff. L’une des femmes tremble de peur à l’idée de voir surgir toute la tribu au sommet de la colline, tous les indiens sur leurs chevaux, comme dans un film de John Ford ; mais c’est fini tout ça, c’était une autre époque, et ce plan ne vient jamais. Les marges, c’est maintenant un lieu qui atomise les individus dans le désert. Fini les communautés, quelles qu’elles soient : vous êtes tout seul, et quand un autre se pointe vers vous, la question que vous vous posez, c’est d’abord : « qu’est-ce qu’il veut celui-là ? Qu’est-ce qu’il me veut ? »

Solitude, vulnérabilité, peur de l’autre : voilà les ingrédients de base. C’est comme si la société n’existait plus ou n’avait jamais existé et qu’il fallait tout reprendre à zéro : il s’agit d’apprendre ou de réapprendre à nouer avec l’autre les liens les plus élémentaires : se parler et s’écouter, faire ou recevoir un don, créer le début d’un intérêt (une chaussure recousue dans Meek’s cutoff) ou mieux, d’une amitié (quelques billets donnés, dans Wendy et Lucy).

Mais plus profondément, il me semble que si chacun de ces films s’emploie à mesurer la distance immense qui sépare les êtres, ce n’est pas pour la réduire ensuite patiemment à l’aide de petits gestes amicaux, de signes de sociabilité, comme si l’autre était quelqu’un qui soit à apprivoiser, à amadouer ; c’est comme si cette distance n’était creusée que pour être franchie d’un seul coup, d’un seul bond, par une sorte d’acte de foi. C’est en tout cas ce que j’ai compris de la fin de Meek’s cutoff.

Ce qui finit par impressionner dans ce film, c’est ça : un sentiment de profond abandon, de délaissement absolu. Il n’y a rien, ni dieu, ni personne qui puisse vous guider : vous êtes jetés là, dans le désert, perdus, et vous ne savez pas trop ce qu’il faut faire quand personne n’attend rien de vous à ce point. Vous êtes abandonnés au désert, à vous-mêmes, à un point tel que vous n’en avez pas encore pris la mesure. Mais cet abandon nécessite d’être redoublé, d’être ressaisi et approprié, comme la seule chose qui vous soit propre, comme la seule chose à laquelle vous puissiez vous en remettre, sans aucune preuve que ce choix de vous y abandonner soit le bon, soit la chose à faire.

Le film s’ouvre sur les premières pages de la Bible : le moment où Adam et Eve sont condamnés à travailler, chassés du jardin où se trouve l’arbre de vie, dont un ange gardera l’accès. Il se termine sur un arbre : un arbre perdu, isolé, qui a poussé là par on ne sait quel miracle en plein désert, encore vert dans ses branches basses, mais foudroyé à son sommet. C’est comme une vision, un signe : « Pour qu’un arbre pousse, il faut de l’eau ; est-ce que cela veut dire que nous sommes près de sortir de ce désert ? » Quel est le sens de ce signe ? Est-ce que c’est même un signe ? Le film ne répondra pas et s’arrêtera là.
Conufs, sur enculture a écrit:Se retrouver face à une dizaine de personnes huant la fin de La Dernière piste...c'est tendu
Les derniers plans sont pourtant très beaux et très forts parce qu’ils mettent l’héroïne face à un choix fondamental : il faut choisir, il n’y a pas le choix, mais comment choisir, que choisir, quand rien ne permet de choisir ? A droite, à gauche, où que vous tourniez la tête, c’est le désert : comment s’orienter ?
Le choix de l’héroïne est alors de choisir l’inconnu, de se donner l’inconnu pour guide : elle parie sur ce qu’elle ne sait pas, sur ce qu’elle ignore ; elle s’en remet totalement à l’indien sur qui elle n’a aucune prise, sur qui elle n’a aucune raison de parier. Elle franchit d’un bond toute la distance qui le séparait de lui, par un acte de foi qui ne peut se déduire, se conclure de rien.
(pour être précis, il faudrait dire que le film s’arrête avant que l’héroïne effectue ce choix : mais c’est ce choix que le dernier plan préfigure comme celui qu’il faut faire).

On peut discuter, comme tu fais Borges, de ce choix de représenter « l’autre » sous les traits d’un indien. Mais le mouvement important, à mon avis, c’est ce choix de s’en remettre à l’autre, les yeux fermés. Ce que le film dessine alors, c’est une sorte de mouvement régressif : c’est comme s’il essayait de dégager, au fur et à mesure du voyage, non pas ce qui vient au bout de toute relation à l’autre, ce qui se construit au fur et à mesure, mais ce qui en est à la base, l’acte de foi, la confiance aveugle par laquelle commence en fait toute relation à l’autre.

Il faudrait dire aussi que l’indien, à ce moment-là, ne représente pas seulement l’autre. S’il est l’autre, ce n’est pas seulement parce qu’il parle une langue différente, parce qu’il affiche tout un tas de signes d’altérité. C’est surtout parce qu’on ne sait pas vers quoi il guide le convoi : le salut ou la mort. Les pionniers ne cessent de se demander si cet indien est un guide valable : où les conduit-il ? vers un point d’eau ? vers sa tribu ? sait-il lui-même où il va ? est-ce qu’il les mène quelque part, hors du désert ? est-ce qu’il ne les guide pas vers leur mort ?
Le dernier plan dit aussi cela : l’indien qui s’éloigne, l’héroïne qui se demande si elle va le suivre, quelles raisons elle aurait de le suivre quand rien ne prouve s’il guide le convoi quelque part ou vers la mort. C’est aussi le choix qui se présente à ce moment-là : s’en remettre à l’indien, c’est aussi accepter sa propre mort à venir ; c’est accepter que la mort soit le guide, le maître, dès maintenant.
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Message par Invité Dim 3 Juil 2011 - 22:33

le film que tu décris dans ses moindres méandres a l'air très banal. Tu ne parles pas de cinéma non plus : il n'y en a pas, il n'y que ce qui est relaté ?

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Message par Borges Mer 6 Juil 2011 - 10:54

LA DERNIÈRE PISTE (MEEK’S CUTOFF) de Kelly Reichardt

8.3

La Dernière piste (Meek’s Cutoff) suit le calvaire de trois familles de classe sociale et d’appartenance différentes. Les Tetherow, Emily et son mari Solomon, sont vraisemblablement des paysans. Du couple Gately, Millie & Thomas, on devine qu’ils sont partis chercher de l’or. Il y a enfin les pieux White, Glory, William, et leur fils Jimmy. Cette petite société est d’abord aiguillée par le trappeur Stephen Meek. Celui-ci fut réellement à l’origine d’un désastreux périple au travers du désert de l’Oregon qui vit des voyageurs mourir de soif et de faim. Débarrassé du superflu, le quatrième long-métrage de Kelly Reichardt, depuis River of grass en 1994, est essentiellement un film d’action : une ligne droite parsemée de négociations. Il s’agit d’accompagner les pistards et s’y abandonner avec eux. Déployant une grande puissance littérale et minérale, La Dernière piste réinvestit les territoires américains plutôt que les images du western, et se réinscrit à l’origine en rendant le pouvoir de décision aux femmes.


Une des particularités de l’histoire du cinéma nord-américain est de s’être confondu avec la conquête de l’Ouest, tirant son identité, comme le territoire lui-même, de l’idéologie d’une destinée manifeste. C’est autre chose qui anime Meek’s Cutoff. En premier lieu, la satisfaction du surplace contre celle de la conquête : la nature est un endroit où l’on se prélasse, bercé par la beauté des gestes, des voix et des sensations. Old Joy (2006) témoignait de cette douceur musicale, où deux amis, dont Will Oldham, faisaient excursion dans la forêt sur des musiques de Yo La Tengo. Cette suffisance et cette matière dégagent pourtant une force d’immanence impressionnante, que la bande son hypnotique des instruments à vent contribuait à intensifier. Reichardt poursuit un sillon matérialiste donnant à ses drames des allures de confrontation environnementale. Sa rencontre avec le scénariste Jon Raymond lui a fait arpenter les paysages de l’Oregon. La nature est un décor indéniablement dramatique. La forêt semblait s’interposer personnellement entre l’amitié retrouvée des deux randonneurs d’Old Joy, et contrarier les premiers amours de Billie Joe et Bobbie Lee dans le court-métrage Ode (1999). Wendy & Lucy (2008) sondait également cette Amérique profonde, où l’héroïne cherchait du travail jusqu’au large de l’Alaska. Dans Meek’s Cutoff, la visite de l’Oregon métaphorise un bout d’histoire américaine et de géographie intime, accentuant la recherche picturale et photographique d’une Amérique des origines.


En un moment fort et poignant, le film croise la route d’un Indien Cayuse, issu d’une tribu de natifs américains originaire de l’Oregon. Emily Tetherow y voit d’abord un ennemi sanguinaire. Elle lui tend une gamelle de nourriture comme à un chien enragé. Puis recoud son mocassin cassé, espérant obtenir plus tard un service en échange. L’indien s’exprime dans une autre langue, communique par dessins et chants, prières et incantations qui viendront notamment sauver le mari assoiffé de Glory White. Le Cayuse devient la cause de rupture entre Meek et le reste du groupe. Dans une discussion précédente, Meek essaie de convaincre Emily de la différence fondamentale entre les femmes et les hommes : les femmes apportent le chaos, les hommes la destruction. Voulant illustrer sa théorie, il témoigne de toute sa violence envers l’Indien, qui finit pourtant par leur montrer la voie vers « l’arbre de vie » aperçu au fond de l’horizon final, et auquel le petit Jimmy White fait référence au début du film dans une de ses lectures bibliques. Ce début de fable religieuse laisse entrevoir une fausse piste malickienne : une voix exprimant l’autonomie de la nature et de la grâce dans le récit. Mais la littéralité du film l’emporte sur un éventuel discours cosmogonique. En cela, l’entreprise de Kelly Reichardt est à la fois plus modeste et plus ferme : la défaite du mâle dominant, Meek, dans le renversement de son discours raciste et sexiste. Quand Emily dialogue avec le Cayuse, c’est une jeune ouvrière qui décide d’abandonner en marche le train de la conquête pour écouter celui qui vit là, et dont elle est littéralement proche. C’est dans ce sens où Reichardt se fait autant historienne et politique que plasticienne, quand le groupe réaffirme une solidarité pour survivre, créant une micro-société démocratique emmenée par une héroïne au fusil chargé et à la parole douce.

Thomas Fioretti


http://www.independencia.fr/indp/8.3_MEEKS_CUTOFF_REICHARDT.html


c'est tellement bête et mal écrit ( je parle pas de style ou d'écriture mais juste du français, de la syntaxe...) qu'on se demande comment c'est possible...


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Message par Borges Mer 6 Juil 2011 - 11:00

ai vu le film, je dois dire que ça ne change pas mon avis sur KR; le début fait illusion, mais ensuite, le même sentiment d'artifice...il manque quelque chose à KR, une certaine "méchanceté", elle est trop gentille, ses films sont jolis, sans plus; je ne me sens concerné ni par le destin de ses personnages ni par les énigmes qu'elle construits... bien entendu cela n'interdit pas de penser le film...
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Message par Eyquem Mer 6 Juil 2011 - 13:55

Ce qui me gêne, y compris dans "Meek's cutoff", c'est que ça donne souvent le sentiment d'être trop maîtrisé, trop tenu. Elle ne se lâche pas assez.
Je pense à un plan en particulier, qui est souvent cité. La fille tombe sur l'indien et sonne l'alarme en tirant deux coups de feu. Kelly Reichardt choisit alors de montrer le temps que ça prend de recharger un fusil, à cette époque-là : charger le fusil, mettre la poudre, mettre la balle, tout un tas de gestes fastidieux, il doit se passer une minute entre les deux coups de feu. Elle enregistre cette minute-là, en un seul plan fixe.
Le film est plein de ce genre de scènes : le temps que ça prend de se faire un café chaud, le temps que ça prend de descendre trois chariots dans une vallée, etc.
On a bien compris ce qu'il s'agissait de montrer, vu que chaque fois, c'est la même chose : rompre l'épopée, retrouver la "vraie" durée des gestes et des déplacements dans l'espace. Mais le problème, c'est pas tant que ça a déjà été fait au cinéma, c'est que ce vouloir-dire encombre un peu trop ces plans qui visent pourtant une forme de vide, de raréfaction du sens.
Du coup, ces scènes deviennent un rien fastidieuses elles aussi, pas du tout parce qu'il s'y passe rien, mais par cette façon qu'elles ont de nous notifier un sens, et de pas durer au-delà.
Je ne sais pas si c'est clair. Mais en gros c'est ça : le film ne se laisse pas assez déborder, emporter vers quelque chose qui dépasserait ce qu'il cherche à dire.


Quelque chose de remarquable, par contre, c'est sa manière de placer les voix, de ne pas les "cadrer" : il y a beaucoup de scènes chuchotées, de voix basses qu'il est difficile de "situer" (est-ce qu'elles sont dans le plan ? dans le hors-champ ? est-ce que ce sont les voix du plan suivant ?). Ca c'est très beau. Je pense là aussi à une scène en particulier : celle où les hommes se réunissent au bord du lac et débattent de la direction à suivre. Moment crucial, on sent que tout dépend de la décision qu'ils vont prendre. Mais la scène est filmée en retrait, du point de vue des femmes restées près des chariots, et pendues à leurs lèvres. Les voix des hommes, ce qu'elles ont de décisif, tout ça alors se perd à moitié dans le vent, se remplit de l'air environnant, finit par se confondre avec les bruits ambiants du désert. C'est très réussi.
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Message par Borges Dim 10 Juil 2011 - 10:47


oui, c'est mon sentiment aussi; un cinéma de la maîtrise; sans vrai courage, sans risques; plus haut, je disais qu'au fond elle n'est pas très différente du flic qu'elle critique; elle doit toujours passer par des "corps blancs", pour dénoncer certaines conditions d'existence politiquement intolérables; après tout, il était pas nécessaire de revenir aux héroïques colons du 19ème siècle, pour nous raconter des histoires d'errance, de faim, de soifs, de désert, il aurait suffit qu'elle filme des mexicains, tentant de rejoindre les usa, ou des africains, l'europe; c'est moins cinématographique...


Meek's cutoff et le désir du désert au cinéma. 006072011141453000000famine


La sécheresse qui touche la Somalie, l’Éthiopie et le Kenya pourrait mener « à une tragédie humaine aux proportions inimaginables ».


c'est godard qui avait ouvert, avec "film socialisme", le cinéma à la question de l'eau;





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Message par Borges Mer 13 Juil 2011 - 13:23


des notes, des brouillons;


ou bien "la dernière piste" ou bien "meek’s cutoff" ;

quel chemin prendre?


deux titres, pour un film ; il en est d’autres, dans d’autres langues ; je vais pas aller les chercher pour le plaisir de me compliquer la vie ; deux, c’est assez pour rendre la communication, sinon impossible, du moins complexe. C’est d’ailleurs l’un des problème du film, la dualité, celle de l’indien et des colons, des femmes et des hommes, des guides et des guidés, de la nature et des hommes, des images et des mots, surtout ceux de meek ;

deux titres, un film ;

je dis "un film" pour simplifier, parce qu’il est bien évident que seul l’unité du titre nous fait croire à l’unité du film; il n'y a œuvre, une œuvre, que là où il y a un titre ; c'est esthétique, et plus profondément ontologique ; la loi de l'œuvre ne se passe jamais de la loi de l'être ; l'être fonde l'œuvre, dans le titre ; c'est sa fonction ;


le titre rassemble, unit le film, en fait un ;


cette unité sera remise en cause, dans les doublages, les traductions, par de nouveaux titres, qui chercheront à s'approprier la chose nommée, ce qu'ils nomment ; à la maîtriser.

je pense à ceci :

2001, l'Odyssée de l'espace
2001 : A Space Odyssey

voyez les différences ; elles ne sont pas anodines ; une odyssée n'est pas l'odyssée ;

" :", ne sont pas une ","


Cela ne peut pas être le même film.


(je pense bien entendu aux analyses de Deleuze, sur "un", l'article indéfini ; "une odyssée de l'espace", n'est pas "l'odyssée de l'espace" ; se sont deux conceptions du temps qui s'énoncent dans cette différence ; le temps flottant de l'Aiôn, et le temps, comme Chronos. Le titre "américain" nous fait voir l'heccéité dans le film.

"Ce sont les heccéités qui s'expriment dans des articles et pronoms indéfinis, mais non indéterminés, dans des noms propres qui ne désignent pas des personnes, mais marquent des événements, dans des verbes infinitifs qui ne sont pas indifférenciés, mais constituent des devenirs ou des processus."

(l'Odyssée on s'en souvient, c'est d'abord un nom propre, Odysseus, le nom de personne, d'un nommé personne, le super inventeur... il faudrait suivre cette piste pour le cinéma de K)


le célèbre inventeur ; l'homme aux mille ruses, et trouvailles :

Meek's cutoff et le désir du désert au cinéma. Images?q=tbn:ANd9GcR_4NRYaYHEPbRszNwiEIueP3evegqrdKdcqv1m9QB3SeiEa2km

(j'ai souvent pensé que le monolithe était aussi une espèce de cheval de Troie ; qu'est-ce que c'est que ce truc ? un don des dieux, un piège…? )


(j'y pense, on traduit presque tous les titres, mais pas en musique, ceux des albums rock, pop, jazz, etc. "dark side of the moon", reste "dark side of the moon", "the wall" reste "the wall"… cela doit vouloir dire quelque chose, comme dirait snoopy ; mais quoi ? )


retour au titre

dans cette lutte des titres, on donne la priorité au titre original ; le vrai titre, dit-on ; il vient en premier ; le film qui trouve son unité dans le titre ne peut être nommé, bien nommé que dans le titre original ; c'est pas seulement le titre propre, approprié, c'est le titre où s'origine, où trouve son origine le film ;

ce titre détermine normativement l'horizon de perception ; on regarde la "joconde", on écoute "la neuvième" ;


ici ce vrai titre, celui qui nommerait proprement le film ce serait le titre américain, « meek’s cutoff » ;

belle illusion ; illusion transcendantale du titre, de la volonté de maîtrise de la nomination, dont, on s’en souvient ou pas, Nietzsche (après dieu) faisait la tâche des maîtres ; nommer, donner un titre, c’est toujours maîtriser, et d’abord le sens ; donner un titre, c’est maîtriser le sens de ce qui sans cela serait sans direction ; pure dispersion, errance ; on est dans le film, bien entendu ; je prends des détours, mais c'est du film que je parle, sans en avoir l'air ; on le verra mieux, tout à l'heure ;

Meek est un personnage, comme on dit, historique, il a réellement existé ; il nomme le film ;
le film porte son nom, le nom de sa piste, de son chemin ; avant de nommer le film, ces mots, "meek's cutoff" ont nommé la chose, la piste, la voie, où errent les personnages ; le titre est ironique ; il se moque de la légende, un peu comme "l'homme qui tua liberty… » ; le raccourci de meek n’a rien d’un raccourci, il n’existe même pas.




les titres offrent des pistes, des chemins, de voies pour penser les œuvres ; le titre français et l’anglais nous placent dans des univers très différents, même si tous les deux contiennent une certaine négativité ; une manière de fin ;

dans mon esprit, dans mon horizon : du côté du nom, "la piste", le titre français fait signe vers l’événement historique, de manière détournée : la piste de l’Oregon, « Oregon trail », dont le raccourci de meek n’est qu’une une variation, une bifurcation tragique ; c'est dans cette région des usa que se passe le cinéma de KR…

du côté du cinéma, du côté de l’adjectif, "la dernière" je pense à un western, que semblent réécrire l'époque, et KR ; un western de Delmer Daves, "la dernière caravane", "the last wagon" ; un film que j’ai vu, gosse, il y a trop longtemps pour m’en souvenir dans les détails ; j’aurais même pas pu raconter l’histoire sans google ; ce qui reste dans ma mémoire, en plus du titre, c’est des images, pas beaucoup, deux, ou trois, Widmark attaché à la roue d’un charriot, précipité dans un ravin, ou quelque chose dans le genre, une fille, jeune, blonde, en jeans.


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"la dernière caravane" raconte, une histoire banale, mais qui peut aider à dire des choses sur "la dernière piste". Richard Widmark tient le rôle cliché du western révisionniste du blanc-indien ; toutes les valeurs du noble sauvage dans un corps blanc ; seule manière de faire de l’Indien un héros de cinéma ; l’équivalent du côté des Indiens du blackface ; un redface, en somme ; les valeurs empruntés ne sont pas les mêmes ; c’est pas la danse, la puissance sexuelle, le dionysiaque, comme avec le Noir, ce qu’on prend à l’Indien, c’est le guerrier, le sauvage, l’expérience du wilderness ; ça commence très tôt, cette identification ; avec la tea party ;


il existe des centaines de films avec ces blancs-indiens (hombre, grand petit homme, le con de danse avec les loups, robert redford dans JJ, l’homme nommé cheval ; parmi tous ces mecs, une seule femme, je crois, celle du « soldat bleu »; pas un seul blanc-indien héroïque chez ford… des femmes, pour leur plus grand malheur ; et le jeune mec complètement fou des "deux cavaliers"... )


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donc « la dernière caravane » ; Widmark au début nous est présenté comme un sale type ; un shérif l’arrête pour avoir tué plusieurs blancs. Leur chemin croise celui d’une caravane ; le shérif est une ordure ; Widmark le tue ; des Indiens attaquent la caravane, massacrent tout le monde pour se venger d'un massacre blanc. Widmark, qui connaît la région comme sa poche, accepte de conduire les survivants à je ne sais quel endroit ; certains lui font confiance, d’autres pas ; finalement, on découvre que les mecs qu’il a tués, c’étaient des salauds ; ils avaient massacré sa femme indienne, et je crois ses enfants ; on lui pardonne, et il va vivre avec une fille de la caravane, une blanche, blonde même ;

c’est une constante dans ces films ; la femme indienne du blanc-indien est très souvent massacrée par des méchants blancs ; elle est vengée, dans le récit, mais la loi morale du film leur donne raison, en lui substituant une blanche comme nouvel amour du héros ; ce qui corrige l’erreur de départ : la mauvaise alliance. Je ne vois qu’une acception à cette règle, « little big man » ; la femme blanche est enlevé par des Indiens, le héros retrouve une autre femme, une indienne ; elle sera bien entendu assassinée.


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Message par Borges Jeu 14 Juil 2011 - 9:16


je continue mes brouillons, mes notes,


Il faudrait distinguer deux plans, deux types de plans, dans le film :

et il faut entendre ce mot « plan » avant sa signification cinématographique. Après tout le plan est antérieur au cinéma, et si on veut en retracer la généalogie il faut au moins remonter à l’idée platonicienne : le plan comme tracé de lumière, mesure d’une éternité, c’est largement ce que fait le cinéma, surtout celui que l’on dit « contemplatif ». Les idées sont faites pour la contemplation, elles configurent la forme de l’éternité ; elles déterminent un regard posée sur les choses, de manière détachée. Le plan contemplatif, c’est à la fois le son pur, l’image pure, et leur contraire, le son et l’image détachés de leur actualisation, de leur inscription sensible. C’est tout le problème, l’ambivalence de ce cinéma ; il est à la fois sensible, et idéel, lieu où le sensible est donné en lui-même, et en même temps délivré de son inscription empirique ; je ne pense pas que l’on puisse le dire proustien ; il ne s’agit pas de donner corps à l’idée ; son ambition est autre, moins claire. Le cinéma contemplatif n’est pas non plus le cinéma ontologique, néoréaliste, bazinien. Son rapport au vivant, à la vie, à l’être, ou à l’étant, n’est pas du même ordre. Manque au contemplatif, la violence, une certaine déchirure du réel.

Je ne sais pas si on peut classer le cinéma de KR dans le « contemplatif », ni ce que cela nous apprendrait de son projet fondamental, de le classer ainsi.

Le terme que l’on rencontre le plus souvent à son sujet, c’est plutôt « minimaliste ». Le cinéma de KR serait minimaliste, nous dit-on ; c’est pas faux ; mais c’est pas non plus vrai ; rien n’est faux, rien n’est vrai, tout est à penser.

On ne peut pas faire usage de ce terme sans définir ce qu’est fait le minimum du cinéma, son mode d’être le plus réduit, le plus petit. Je crois que ce terme en général doit faire signe vers une modalité de la disparition ; le cinéma devient minimal, quand il est proche de sa propre disparition, de son auto-annulation. Le cinéma devient minimal là où son existence devient presque imperceptible, là où il tente de saisir son être dans le degré évanouissant de sa manifestation.

Cet évanouissement concerne à la fois le récit, les personnages, le mode de traitement du temps, de l’espace… tout tend au non-être ; au néant, au vide ; ces mots n’ont pas le même sens, la même valeur.

On retrouve bien entendu ces valeurs chez KR ; comme l'a dit Eyquem ; ses personnages, un peu comme ceux de Beckett, sont pris dans un mouvement de dépossession, qui commence avant le récit ; ils sont sans repos, en errance, et perdent peu à peu tout ce qu’ils possèdent ; wendy perd tout, son argent, sa voiture, son chien ; avant le début du film, elle avait déjà perdu sa famille. Elle appartient à la figure essentielle du "sans"; c’est une « sans » ; sans amis, sans argent, sans-abri , presque sans parole ; ses rapports aux monde sont pratiquement sans rapport, et elle semble avoir perdu tout lien vrai à son propre être. Elle n’affirme rien; ce qui ne la prive pas de volonté ; au contraire, c’est avant tout un être de volonté ; elle n’est que volonté ; mais son but, la détache de tout ; présence-absence, parce que toujours dans le projet ; ailleurs. Quelques idiots avaient définis le da-sein comme être-là ; Heidegger les a corrigés, ce qui définit le da-sein, c’est précisément qu’il n’est jamais là, mais toujours à distance de lui-même, ailleurs.

Wendy est ailleurs ; jamais là.

Extrême de la faiblesse, et puissance obstinée. On pense aux personnages de kafka, si on veut. Je ne dirais pas de wendy que son errance, son étrangeté au monde, est liée à son obstination, mais on peut sentir quelque chose de genre. Dire qu’elle est exclue, c’est rendre ce qui s’affirme en elle, dérisoirement sociologique. Il y a de la politique, bien entendu, dans le cinéma de KR ou RK, je sais plus, une condamnation d’un système, mais c’est pas à ce niveau que peut se trouver la vérité de wendy. On peut la comparer à l’arpenteur de kafka, dans l’image qu’en donne Blanchot…si sur le plan du monde, sur le plan de la société, elle est une exclue, sur le plan de l’être, du cinéma, de l’art, c’est une petite sœur de l’arpenteur, une héroïne, impuissante, dénué de tout pouvoir, mais inflexiblement obstinée ; en elle, le passif et l’actif, le volontaire et l’involontaire, se confondent ; on peut à la fois affirmer qu’elle est exclue du mode d’existence moyen, ordinaire, de la vie au niveau du jour et de la lumière, et qu’elle refuse. "Dès le commencement, elle est hors du salut, elle appartient à l'exil, ce lieu où non seulement elle n'est pas chez elle, mais où elle est hors d’elle, dans le dehors même, une région privée absolument d'intimité, où les êtres semblent absents, où tout ce qu'on croit saisir se dérobe. »



On est plus proche d’abraham que de Moïse, la référence classique de l’expérience « américaine » de la conquête de l’ouest.

L’errance ici n’est pas conquérante ; elle ne forme pas une nation ; mais une communauté d’êtres sans rapports vrais.

Les films de KR ne s’achèvent pas ; elle suspend la fin , prive ses personnages de la fin ; de leur destination, eux, qui ne sont que désir de la fin, de la finalité ; ils n’arrivent pas au bout de leur voyage, de leurs errances. Le récit, qui par destination, définition, vise toujours une fin, s'achève avant que celle-ci ne soit atteinte. Les personnages sont ainsi coupés de leur fin (cutoff). Les héros de ford s’en vont, un certain espace conquis, une communauté fondée. KR suspend l’achèvement de la figure mythique du héros fondateur, et de la communauté rassemblée, à quoi tient encore ford, même si ce n’est pas sans ambivalence. Il suffit de comparer la figure de meek à celle des héros mêmes sombres, maudits, de ford ; Ethan a une grandeur qui est totalement refusé à meek ; ford on le sait tient au rêve américain, à la légende, même là où elle est séparée de la vérité ; ou peut-être mieux, pour lui les faits ne sont pas la vérité ; la légende imprimée par les journalistes n’est pas celle de ford, mais il doit composer avec eux, ils oeuvrent ensemble dans le même sens; ils mentent au profit des USA. deux formes de mensonges, mais un même désir.

côté, western, même le dernier film des Coen n’échappe pas au héros; un héros puant, au-delà de la morale, séparée de la justice, entièrement défini par ses capacités, son audace; ses couilles.


Chez KR, il y a pas de héros, « aucune figure qui assume et présente à elle seule l'héroïsme de la vie et de la mort des êtres communément singuliers. » (JLNancy)


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Message par Borges Jeu 14 Juil 2011 - 9:58


on continue :



On peut donc distinguer deux plans, dans le film, dans tout film, peut-être.


De quel plan veux-je parler ? Veux-je vraiment en parler ? pas seul, en tous les cas.

Deux plans, donc :

Y aurait d’une part, un plan que Deleuze nomme « plan d’organisation », qui concerne les formes et leur développement, la formation des sujets, dans deux sens du terme, au moins, car des sens, on peut en trouver bien d’autres au « sujet » ; le plan d’organisation nous conduit à une morale, une vérité, à une terre promise ; c’est le mouvement d’une pédagogie où le sujet (du film) se forme dans la formations des sujets (les personnages, mais aussi les spectateurs ; là où un personnage se forme en sujet, de l’autre côté de l’écran, une identification a lieu, se forme ; le sujet-personnage ne peut se former sans former un spectateur à son image, à sa ressemblance).

Il y a un trajet, un chemin, qui mène à un degré supérieur d’existence : la fin heureuse, le happy end ; le cinéma, le récit en général, se confond avec ce plan d’organisation, qui rend bien entendu un mode de production, une manière de faire du cinéma. Les personnages s’organisent en sujets, en communauté, entre eux, avec le public ; ce plan d’organisation touche au plaisir, c’est le plan du plaisir, au sens de Kant, mais aussi de Freud-Lacan ; un minimum de tension, pas de troubles, d’inquiétudes. Le cinéma organise le plaisir du spectateur, dans la forme, inséparable du plaisir. On se souvient de l’opposition entre les textes de plaisir et les textes de jouissance que faisait Barthes ; l’opposition est lacanienne ; le cinéma de KR est un cinéma de la maîtrise, dans sa forme ; tout semble contrôlé ; mais c’est aussi un cinéma, qui, du côté de ses personnages, regarde vers la jouissance, vers un cinéma où le principe de reconnaissance, de recognition, ne règne plus, vers un un espace-temps où s’affirme l’obscurité du dehors, l’errance, l’inquiétante familiarité des choses, la part étrangère, irréductible, hostile, dans tous les objets, même les plus familiers. Lacan nomme ça la chose. On retombe sur ce qu’avait écrit plus haut Eyquem, à propos de l’ami et de l’ennemi, de l’ami qui contient en soi un ennemi possible, une zone inconnue, une agression possible, une mort possible, mais aussi sur la fin impossible. « Il y a dans le prochain un noyau irréductible à toute reconnaissance qui l'appréhende non seulement comme étranger, mais aussi comme ennemi. Cette part inconnue qui est en même temps le pôle d'aimantation pour le sujet, c'est le souverain bien, et en même temps le lieu de perdition du sujet comme tel, car s'il était atteint, ce serait la fin de la quête, la fin du désir, donc la fin du sujet. » (FChaumon)


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Message par Borges Jeu 14 Juil 2011 - 11:51

Qu’est-ce qu’il y a de commun entre « wendy et lucy » et « la dernière piste »?

Le désert, sous ses deux formes, la forme disons naturelle, propre, et la forme humaine, sociale…

dans son livre sur l’Amérique, Baudrillard met en rapport ces deux déserts : l ’Amérique, c’est le désert, dit-il, en gros, et en détail ; mieux, le cinéma, c’est le désert ;

« Le déroulement du désert est infiniment proche de l'éternité de la pellicule. »

Je ne sais pas si cet énoncé peut faire sens, en dehors de l’image, et de la métaphore ; après tout, il y a eu du désert avant le cinéma ; sans doute, mais dirait Baudrillard, il y a désert et désert ; le désert biblique n’est pas le désert américain ; ce qui est un peu exagéré ; au cinéma, le désert américain est toujours aussi un désert biblique, une expérience de vie et de résurrection ; une épreuve, une sélection ; un survival religieux, en un sens, et en l’autre, totalement biologique, physique.

Les élus doivent être les plus forts s'ils veulent survivre.

- le mouvement des colons, dans Meek's cutoff est biblique ; il a la structure du récit fondateur, que l'on retrouve chez Malick : paradis, traversée du désert, paradis retrouvé (ou pas) ; le mouvement réel est redoublé virtuellement dans le texte biblique... les deux formes de la vie et de la survie sont inséparables. Au début le texte biblique nous parle de l'arbre de vie, la fin nous montre un arbre, synonyme de vie, d'eau. La religion est dans les mots, le cinéma dans les images ; le réel, et la transcendance, sont ainsi séparés. Il faut préciser, mais c'est essentiel. Là dialoguent le film de Malick et celui de KR. Comment filmer "un arbre de vie", qui soit plus qu'un arbre, sans que le cinéma ne perde son lien au réel, " documentaire".

Comment filmer un Indien qui ne soit pas un Indien, l'Autre?

C'est le même question, car l'Indien de KR est aussi l'ange qui se tient devant l'arbre de vie ; il est même dieu, symboliquement, en tant qu'autre, ne pouvant faire objet que d'une foi, d'un pari. On ne communique pas avec dieu, on parie chez KR, chez Malick on prie, interroge... perdus dans les deux cas...





Au début du film de KR, les colons tentent de communiquer avec l’Indien ; ils offrent des trucs en échange de quoi ils demandent qu’il les conduise à un point d’eau. Ils tentent de l’inscrire dans un système d’échange, dans une communication. Je te donne ça, tu me donne ça ; on échange des mots, des signes, des choses ; on crée ainsi un système social, une communauté basée sur l’échange des biens ; le libre échange, ou pas si libre que ça. C’est la nécessité qui pousse à l’échange. Le problème est que cela ne semble pas marcher ; l’Indien semble refuser ce système ; cette communication, cette structure où les êtres se lient les uns aux autres par une manière de dette. C’est pas un contrat social, c’est autre chose. C’est une autre figure, ni Hobbes, ni Spinoza, ni Rousseau. On est beaucoup plus proche de Levi-strauss.

Dans le western on veut bien échanger avec l’Indien, on échange souvent, mais il y a un tabou, un interdit : l’échange des femmes ; les sangs ne doivent pas se mélanger ; plutôt l’inceste, semble dire Ethan Edwards, et donc le retour à la nature, à la chose.

La dette : c’est bien le projet de la femme quand elle recoud le mocassin ; elle ne le fait pas par humanité, par bonté, mais par calcul : « je veux qu’il me doive quelque chose » ; d’abord ce mocassin, la nourriture, puis la vie, quand elle s’interpose entre lui et Meek, qui veut le tuer ; on connaît cette logique, dans bien des films où sont mis en scène des sauvages ; quand on leur sauve la vie, on les prive de tout, ils vous sont redevables de tout ; ils seront vos esclaves.

L’Indien ne semble pas dupe ; l’est-il ? je sais pas ; l’évident est qu’il échappe à la structure des échanges ;




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Message par Borges Jeu 14 Juil 2011 - 19:26

Avant de continuer, je vais reprendre la question posée plus haut : qu’est-ce qu’il y a de commun, entre « wendy et lucy », et « la dernière piste » ;

J’avais répondu « le désert », sous ses deux formes, la forme naturelle, propre, et la forme moderne ; dans son livre sur l’amérique baudrilard met en rapport ces deux ; désert ; l ’amérique, c’est le désert, dit-il, en gros, et en détail ; mieux, le cinéma, c’est le désert ;

« Le déroulement du désert est infiniment proche de l'éternité de la pellicule. »




l'attrait, l'attraction du désert, c’est pas seulement une affaire d'histoire, d'expérience; si les américains reviennent au désert, c’est pas seulement pour se ressourcer au contact du vide, pour atteindre, dans l’isolement, le silence, une vérité de l’être ; comme on le voit dans le dernier Sofia Coppola, qui se termine dans le désert ; un désert existentiel cédant la place au désert des origines.

Au fond, les américains n’ont jamais quitté le désert ; leur vie est toujours un désert, vidée, sans signe, sans marque, sans trace ; pure surface dévastée par la lumière ; celle de la gloire, des stars.

Comme on en cause ailleurs, en passant, notons que kubrick commence son histoire de l’humanité dans le désert, et la finit humainement dans une chambre, dans la solitude de la mort, et de la renaissance ; parcours classique , et optimiste ; l’expérience, l’odyssée du désert ne se termine pas toujours aussi bien ; il n’en est pas ainsi dans Gerry, par exemple, à qui on compare avec raison, le film de KR, même si en examinant profondément le film de GVS, on peut y déceler, à travers le thème du double et du meurtre, à travers le meurtre du double, un thème qui n’est pas étranger à 2001.

Mais c’est pas vraiment le sujet, ici ; ce qui m'intéresse c'est de suggérer comment le passage de "wendy et lucy" à "meek’s cutoff", est une parfaite démonstration, une démonstration hasardeuse, aussi, de l'idée de Baudrillard : "l’amérique est héritière des déserts"; pas du désert, des déserts, c’est important ; il faudra montrer pourquoi ; de toute manière le désert n’est jamais seul, un, le désert, espace de la dispersion est toujours au pluriel ; il y a des déserts ; et ces déserts ne sont pas « une nature en contrepoint des villes, ils désignent le vide, la nudité radicale qui est à l'arrière-plan de tout établissement humain. Ils désignent les établissements humains comme une métaphore de ce vide, et l' oeuvre de l'homme comme la continuité du désert. Le désert réel, donne une image à la forme désertique mentale, à la désertion sociale. Ce que la désertion sociale a de froid et de mort (dans wendy et lucy) retrouve, dans meek’s cutoff, la chaleur du désert, sa forme contemplative Le transpolitique trouve là, dans la transversalité du désert, dans l'ironie de la géologie, son espace générique et mental. L'inhumanité de notre monde ultérieur, asocial et superficiel, trouve d'emblée ici sa forme esthétique et sa forme extatique. Car le désert n'est que cela: une forme extatique de la culture, une forme extatique de la disparition. Il a même fallu que les Indiens en soient exterminés pour que transparaisse une antériorité encore plus grande que celle de l'anthropologie: une minéralogie, une géologie, une sidéralité, une facticité inhumaine, une sécheresse qui chasse les scrupules artificiels de la culture, un silence qui n'existe nulle part ailleurs. »

(c’est un mot important, « extatique » ; il est utilisé par KR (ou un de ses équivalents, dans un entretien, dont j’arrive pas à retrouver la trace)







avant de continuer, il faut le dire : il est complétement idiot de comparer ce film aux westerns de Hellman.


notons aussi, que ce film rencontre les derniers textes de rancière; celui notamment consacré à "Inland", une affaire de désert, bien entendu... le cinéma serait-il entré dans "la sagesse des surfaces"?

"le désert grandit, malheur à qui protège le désert, disait Nietzsche."

ce qui grandit, c'est aussi l'errance, le désert est l'espace de l'errance; je cite deux titres : "nowhere", "road to nowhere"...




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Message par Eyquem Ven 15 Juil 2011 - 0:20

salut Borges,
Meek est un personnage, comme on dit, historique, il a réellement existé ; il nomme le film ;
le film porte son nom, le nom de sa piste, de son chemin ; avant de nommer le film, ces mots, "meek's cutoff" ont nommé la chose, la piste, la voie, où errent les personnages ; le titre est ironique ; il se moque de la légende, un peu comme "l'homme qui tua liberty… » ; le raccourci de meek n’a rien d’un raccourci, il n’existe même pas.
Il a fallu que je consulte plusieurs dicos avant de trouver que "cutoff" signifiait bien "raccourci" (apparemment, c'est propre à l'anglais des us). "Raccourci", c'est "short cut" le plus souvent.

Le sens le plus courant de "cutoff", c'est : "seuil, limite" (reach the cut-off point). C'est le sens que tu retrouves dans ta phrase :
Les personnages sont ainsi coupés de leur fin (cutoff)
Le titre français, avec son idée de fin, de "dernière" piste, n'est donc pas totalement injustifié.
En tout cas, l'idée de seuil, de limite, paraît plus riche que l'idée de raccourci : ça rejoindra peut-être ce que tu diras de l'extatique, être hors de.


Je me disais aussi qu'on pouvait interpréter différemment le "s" possessif du titre : "Meek's cutoff", ça pourrait (presque) être une abréviation de "Meek is cut off" (ou de "Meek has cut off").
Plein d'autres sens apparaissent ; "to be cut off", c'est :
* être coupé du monde, isolé
* mourir plus jeune que la normale
* être privé de ressources
Evidemment, il y a aussi, dans le verbe, l'idée de coupure : idée qui revient à deux reprises au moins dans le film : si je me souviens bien, Meek raconte à un gosse l'histoire d'un ours scalpeur, et si on en croit l'article que tu citais au-dessus, c'est une des premières choses que l'indien dirait à Meek ("I know you, Boston. You've skinned all the beaver. You'll beskinned one day! You'll be skinned forever!").
Le fait est que la tête de Bruce Greenwood dans le film, c'est un appel au scalp :
Meek's cutoff et le désir du désert au cinéma. Bruce-greenwood1513


A part ça, "meek" ça peut aussi être un adjectif : "doux, humble, docile" (meek as a lamb). Mais on ne voit pas à qui ça pourrait s'appliquer dans le film : peut-être au film lui-même, pas assez méchant, comme tu disais.
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Message par Invité Ven 15 Juil 2011 - 9:52

une traduction possible de Meek's cutoff serait : La circoncision des humbles ! Laughing


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Message par Borges Sam 16 Juil 2011 - 8:34

hello eyquem, SP, je reviendrai sur vos remarques, comme on dit : "revenir sur ses pas"
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Message par Borges Sam 16 Juil 2011 - 9:09

Je parlais de deux plans, j’ai donné le premier ; le plan d’organisation ; c’est bien entendu un terme deleuzien ; le deuxième plan ce serait le fameux plan d’immanence, que tout le monde semble comprendre, en dehors de derrida, parce qu’il le pense contrairement à ceux qui se servent de ce terme comme s'il n'y avait rien là à penser, à saisir, à construire, comme si ce mot ne réservait pas en son centre impossible l'énigme de la vie et de la pensée de deleuze, comme celui d'être, rassemble la vie pensante de

Heidegger; des mots aux concepts, des concepts à la chose même disait heidegger; entendre les cris sous les concepts disait Deleuze;


le terme immanence est devenu un tel cliché qu’on ose plus l’utiliser ; pour le moment, je vais le laisser de côté, à sa puissance d’énigme.

Mais où vais-je alors chercher mon deuxième plan ?

comment vais-je tirer mon plan, pour trouver un deuxième plan ?

j’ai parlé de plaisir et de jouissance ; le plan d’organisation, c’est toujours une plan de plaisir, une manière où l’autre de prendre son plaisir, sans risque bien entendu ; le plaisir est sécuritaire ; la sécurité est son principe. Le second plan, qui est à chercher, à construire, ce serait un plan de jouissance, d'insécurité, de risque.

Comment les distinguer, autrement que je ne l'ai déjà fait, sans avoir à y passer des heures ?

Par une image ; disons très vite, trop simplement, que les touristes cherchent en général le plaisir, alors que les mecs de « délivrance » cherchent la jouissance, quelque chose de plus sublime, un plaisir où la négativité n’est pas loin, un plaisir proche de l’annulation de soi, (personne, individu, groupe) : une expérience du plaisir proche de la mort, grande ou petite.

Dans le même ordre, je pense au film inquiétant, au documentaire, « Life without Death »( Frank Cole) : un type, bouleversé par la mort de son grand-père, décide de traverser seul le sahara, pour se délivrer du trauma; il filme son expérience, des images en noir et blanc du grand mère insiste lors du voyage, reviennent; dans les plus beaux moments, dans les montages les plus forts, les raccords deviennent pensant, on ne sait plus si c'est le grand-père qui voit le fils traverser le sahara, ou si ce sont des souvenirs du petit-fils, si c'est la vie qui pense à la mort, ou la mort à la vie; la distinction des deux devient complexe; comme si le film se situait, comme le veut le titre, dans un espace de vie où la mort n'a plus sa place; une vie sans mort; les morts et les vivants communiquent; l'intériorité subjective du souvenir se confond avec la mémoire de la "pellicule"; le cinéma devient cet espace sans mort; le seul possible.

Le malheur du personnage est qu'il la recherche ailleurs, parce que le film n'est rien pour lui, pas plus que l'exploit physique; il ne s'agit ni de savoir ce que peut un corps, et d'entrer dans les records, dans les enregistrement, ni de savoir ce que peut le cinéma.

Il s’agit d’affronter la mort, de lui survivre, de lui échapper, de la regarder en face; de la porter en soi, après l’avoir vu à l’oeuvre dans l’agonie du grand-père ; il s'agit de savoir ce que peut la vie, si elle peut l'impossible : si elle peut la mort.

La réponse n'est pas surprenante : la vie ne peut pas la mort;

le type meurt lors de sa deuxième tentative de traversée le désert.



tout le problème est de savoir si cette expérience lutte contre la mort, ou la recherche, tente d'échapper à l’angoisse de l’être-pour-la-mort en la précipitant;

Il est très difficile de dire s’il s'agit d'une oeuvre morbide, folle, fascinée par la mort ou d'une oeuvre contre la mort; le problème est sans doute que le film, pour le dire en des termes hégéliens, se situe sur le plan de l’entendement, il entend séparer la vie de la mort, les opposer.

Or la vie de l’esprit, au contraire, intègre la mort dans la vie. La vie de l’esprit, c’est quand la vie porte la mort en elle ; que veut dire porter la mort?

Faudrait ici développer les analyses de derrida, qui joue sur tous les sens de ce mot "porter", mais c'est peut-être pas le lieu.


Pensons plutôt à ce passage de logique du sens : « A mon goût de la mort, dit Bousquet, qui était faillite de la volonté, je substituerai une envie de mourir qui soit l'apothéose de la volonté"

Sans doute le personnage, héros, réalisateur d'"une vie sans mort" ne parvient pas à accomplir cette substitution; c'est là qu'il échoue; au lieu de tenter de dégager quelque chose de vivant, d'éternel, d'internel, de la mort du grand-père : l'événement, il tente de le vivre, de vivre sa mort.

il manque l'événement dans ce qui arrive, ce qui est arrivé :

"Que veut dire alors vouloir l'événement? Est-ce accepter la guerre quand elle arrive,
la blessure et la mort quand elles arrivent? Il est fort probable que la résignation est encore une 6gure du ressentiment, lui qui possède tant de figures en vérité. Si
vouloir l'événement, c'est d'abord en dégager l'éternelle vérité, comme le feu auquel il s'alimente, ce vouloir atteint au point où la guerre est menée contre la guerre, la blessure,
tracée vivante comme la cicatrice de toutes les blessures, la mort retournée: voulue contre toutes les morts. Intuition volitive ou transmutation."

il reste prisonnier de l'angoisse, n'opère pas la transmutation;

(ce film fait très fort penser à celui d'Herzog, sur le devenir-ours; le même échec à opérer la transmutation, en cherchant la jouissance dans la mort; )


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Message par Invité Sam 16 Juil 2011 - 12:31

hello, Borges !
mon message était surtout une plaisanterie (même si ta réflexion sur Abraham lui donnait un bon lieu : mais une pertinence purement humoristique de ma part) ; en fait, le film n'est pas encore passé près de chez moi. et maintenant, je ne sais pas si je le verrai jamais... dommage.


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Message par Eyquem Mer 7 Mai 2014 - 12:10

KURT-The thing is... Is that I have my own theory. It's that the universe is falling, man. That's what explains it all. The entire universe is in the shape of a falling tear. Dropping down through space. I'm telling you man. I don't know how it happened, but that's just the way that it works. This tear, it's been dropping down for ever, just doesn't stop...
C'est dans "Old Joy". Je le cite pour remonter le topic et en réponse à ce que tu dis, Borges, sur le topic de "Night Moves":
Borges a écrit:Rien à voir avec Thoreau ou Emerson non plus, d'ailleurs, avec les transcendantalistes comme on les appelle, sans avoir jamais lu la moindre page d'eux. La nature chez KR ne figure pas l'innocence, le sens, l'expression d'une divinité, l'origine heureuse, le lieu d'une morale, supérieure à la morale instituée. Ses forêts sont tristes, moches, sombres; ce sont des espaces de menace. Plus on s'enfonce en elles, plus on s'enfonce dans l'inconscient, dans l'archaïque.
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