"Pour mémoire : la forge" Jean-Daniel Pollet
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"Pour mémoire : la forge" Jean-Daniel Pollet
C’est une forge, dans le Perche, qui semble sortie tout droit du XIXe siècle.
D’abord, il y a les mains. Les pieds. On ne comprend pas. On sent. Les mains travaillées par le travail, aux gestes extraordinairement minutieux. Puis la forge. Un flash. Un ballet étrange d’hommes et de monstres en forme de grues.
C’est en noir et blanc.
Puis entre la voix. « C’est un matin, le début d’un cycle... ». Elle dit le travail, l’histoire du travail. Elle dit les forces qui pèsent sur la forge. Un maître caché, une volonté secrète guident ces hommes. Ces hommes qui ont pouvoir sur les choses, façonnent, et arrachent le monde à l’informe.
Une autre voix. Voix de femme qui dit le temps qui passe, le temps qui a changé le travail. Un ouvrier est filmé comme en entretien, avec douceur et attention. C’est un cadre qui l’aurait attendu des semaines jusqu’à temps qu’il soit prêt à parler du travail. Timide et doux. Il dit l’orgueil du travail, du travail bien fait. Travail dur mais humain, dit-il. « Ça m’plaît de couler, même de suer, j’ai fait mon travail... »
Dans la forge enfumée les hommes sont des ombres ; oui, étrange ballet.
Couleur.
Couleur douce.
Couleur pour dire les étincelles du feu, l’or de la fonte.
L’après-midi, ils fondent. Lentement, prudemment, sans hâte, attentifs à la fonte qui vit, à la fonte qui ne demande qu’à s’étaler. Ils sont des dieux nous dit la voix de femme. Ils sont des ouvriers nous dit la voix de l’homme. Poésie, esthétisme, salaire, et le patron... « Tu ne peux pas les réduire à la simple misère du salariat, dit la voix, ils ne sont pas que des pions. Le travail est unique ici, toute position dure ne ferait que les appauvrir encore... »
Alors quoi ?
La forge se fait sous-marin, bâtiment, navire qui semble bientôt ne plus pouvoir se mouvoir. Les gestes meurent, il n’est pas de confiance possible en la machine...
Le bateau s’ensable, il est si vieux, face au durcissement progressif du monde.
« Et ne me dis pas que quelques vieux chênes tiennent encore. »
Ils savent trop de choses, ces Vulcains burinés, ils savent trop de choses, c’est leur malédiction.
« Et ne me dis pas que quelques vieux chênes tiennent encore. »
Les mégots qui vivaient à leurs lèvres sont éteints. La pluie, la neige remplacent la fumée de la forge. Les pièces à fondre s’entassent.
Il y avait les mains.
D’abord, il y a les mains. Les pieds. On ne comprend pas. On sent. Les mains travaillées par le travail, aux gestes extraordinairement minutieux. Puis la forge. Un flash. Un ballet étrange d’hommes et de monstres en forme de grues.
C’est en noir et blanc.
Puis entre la voix. « C’est un matin, le début d’un cycle... ». Elle dit le travail, l’histoire du travail. Elle dit les forces qui pèsent sur la forge. Un maître caché, une volonté secrète guident ces hommes. Ces hommes qui ont pouvoir sur les choses, façonnent, et arrachent le monde à l’informe.
Une autre voix. Voix de femme qui dit le temps qui passe, le temps qui a changé le travail. Un ouvrier est filmé comme en entretien, avec douceur et attention. C’est un cadre qui l’aurait attendu des semaines jusqu’à temps qu’il soit prêt à parler du travail. Timide et doux. Il dit l’orgueil du travail, du travail bien fait. Travail dur mais humain, dit-il. « Ça m’plaît de couler, même de suer, j’ai fait mon travail... »
Dans la forge enfumée les hommes sont des ombres ; oui, étrange ballet.
Couleur.
Couleur douce.
Couleur pour dire les étincelles du feu, l’or de la fonte.
L’après-midi, ils fondent. Lentement, prudemment, sans hâte, attentifs à la fonte qui vit, à la fonte qui ne demande qu’à s’étaler. Ils sont des dieux nous dit la voix de femme. Ils sont des ouvriers nous dit la voix de l’homme. Poésie, esthétisme, salaire, et le patron... « Tu ne peux pas les réduire à la simple misère du salariat, dit la voix, ils ne sont pas que des pions. Le travail est unique ici, toute position dure ne ferait que les appauvrir encore... »
Alors quoi ?
La forge se fait sous-marin, bâtiment, navire qui semble bientôt ne plus pouvoir se mouvoir. Les gestes meurent, il n’est pas de confiance possible en la machine...
Le bateau s’ensable, il est si vieux, face au durcissement progressif du monde.
« Et ne me dis pas que quelques vieux chênes tiennent encore. »
Ils savent trop de choses, ces Vulcains burinés, ils savent trop de choses, c’est leur malédiction.
« Et ne me dis pas que quelques vieux chênes tiennent encore. »
Les mégots qui vivaient à leurs lèvres sont éteints. La pluie, la neige remplacent la fumée de la forge. Les pièces à fondre s’entassent.
Il y avait les mains.
adeline- Messages : 3000
Re: "Pour mémoire : la forge" Jean-Daniel Pollet
Borges a écrit:C'est très bien; je pense.
Deux satisfecit alors
Invité- Invité
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