Territoires de Cronenberg

Edi et Tom dans l'escalier.
Il se jette sur elle pour la forcer, se détourne, elle le rattrape, encore plus sauvage, et c'est elle qui le force.
Rewind.
Face au shérif, Edi et Tom, le couple basé sur la Loi familiale et sur la Loi étatique à travers la justice incarnée par Edi. Le shérif demande si il n'y a rien dans quoi il devrait mettre son nez, Edi répond que non. Comme Ford faisait dire à Earp : it's strictly a family affair. La différence, c'est que ça n'a jamais été autre chose pour Earp alors que c'est une grande nouveauté pour Edi. Elle vient de choisir une instance de la Loi contre une autre, divisant une Loi dont elle devrait incarner l'unité. Rupture existentielle. Tout de suite après, en conséquence, elle se fait prendre par/ prend son homme entre une porte, un seuil, et un escalier, voie de la transcendance. Encore après, elle est seule sur son lit et catastrophée par ce qui vient de se passer.
La séquence est bushiste peut-être mais elle n'est pas « que » bushiste. Elle supporte aussi toute une réflexion qui pioche ses notions chez d&g.

L'interview citée par BC informe que DC lisait déjà sur la schizo dans les années 60. en 72, au moment de la parution de L'Anti-Oedipe, il était en France. On peut trouver qu'il y a une certaine probabilité à ce qu'il ait lu les bouquins de d&g. Nouvel indice : son prochain film, A Dangerous Method, traite des rapports de Freud et de Jung, c-à-d du statut de chef d'école et de maitre de la Loi de Freud. Et bien sûr ça se passe à Vienne. Après AHV et L'Amérique, Eastern Promises et Le Procès, voilà Le Château – au moins la continuité ne fait sens que comme référence au Kafka de d&g. Toutes les « puissances diaboliques de l'avenir ».
Que l'un ait lu les autres, finalement je m'en fous. On peut dire que c'est une fiction. Soit tant de films de tel réalisateur : imaginer le lien le plus probable avec une pensée qui leur soit contemporaine. L'important est que la fiction, si fiction il y a, soit productive. Et tant qu'elle produit, la garder et la laisser produire, pourquoi pas ? Croire à la fiction devient une question de méthodologie. Car ce que je ne crois pas, c'est que DC soit guattrao-deleuzien ou que son cinéma soit schizo dans le sens donné par d&g. Par exemple, quand DC filme les « puissances diaboliques de l'avenir », il ne sait que les ramener au passé : les droits civiques, le stalinisme, l'hitlérisme. Et il ne parvient jamais à les brancher sur une machine sociale quelconque. Il se sert juste des concepts de Capitalisme et Schizophrénie pour se construire un petit château paranoïaque. C'est pourquoi j'écrivais qu'il se reterritorialise sur la déterritorialisation, ce qui apparait comme une contradiction ou un paradoxe mais indique aussi où je veux en venir.
Fiction ou réalité, c'est du pareil au même. Il y a une pensée qui peut se transcrire dans les termes de d&g jusqu'à un certain point, puis qui s'en écarte de plus en plus. La fonction paranoïaque Cronenberg. L'évolution de The Fly à AHV, comme dirait Borgès. Mesurer les conjonctions et mesurer l'écart. Qu'est ce qui s'est passé ? Qu'est-ce qui a mal tourné ? Comment part-on dans une direction en faisant face au point opposé ? Et comment cette trajectoire s'inscrit dans un mode particulier (même si le plus courant) de production des films ? C'est quoi, un cinéma schizo, du point de vue de ses conditions de production ?

DC est un petit bourgeois en mal d'ensauvagement, d'accord, mais ça n'explique rien. Surtout, ce n'est pas ça qui va nous éviter de nous laisser prendre, nous aussi, dans nos territoires de poche à fonction de survie. On n'est jamais trop prudent.

« ...montrer comment le désir peut être déterminé à désirer sa propre répression dans le sujet qui désire (d'où le rôle de la pulsion de mort dans le branchement du désir et du social). Tout cela se passe, non pas dans l'idéologie, mais bien en dessous. Un investissement inconscient de type fasciste, ou réactionnaire, peut coexister avec l'investissement conscient révolutionnaire. Inversement, il peut arriver (rarement) qu'un investissement révolutionnaire, au niveau du désir, coexiste avec un investissement réactionnaire conforme à un intérêt conscient. De toute manière, les investissements conscients et inconscients ne sont pas du même type, même quand ils coïncident et se superposent. Nous définissons l'investissement inconscient réactionnaire comme conforme à l'intérêt de la classe dominante, mais procédant pour son compte, en termes de désir, par l'usage ségrégatif des synthèses conjonctives dont Œdipe découle : je suis de la race supérieure. »