Tu ne feras point sécession (California de John Farrow, 1947)
Tu ne feras point sécession (California de John Farrow, 1947)
Très étrange film publicitaire pour la Californie et de propagande pour le parti républicain, l'église méthodiste et la toute puissance de l'Etat américain. Et le tout avec les grands moyens : Technicolor, chansons et scènettes musicales, figurants à la pèle, costumes éclatants, plans séquences très travaillés etc...
L'action du film, tournant autour du combat entre ceux qui veulent que la Californie intègrent l'Union et les indépendantistes, est joué comme une sorte de guerre de Sécession avant l'heure.
Les chefs des indépendantistes viennent d'ailleurs d'Etats du Sud ou sont des anciens marchands d'esclaves (Pharaoh, le cerveau, qui était le capitaine d'un navire négrier).
Le film déballe tous les clichés sur les habitants du Sud des Etats-Unis, reprenant même ceux de "Stagecoach" de Ford : ils sont tous aristocrates, ils n'ont pas l'esprit communautaire contrairement aux "vrais" pionniers du Nord, ce sont tous des tricheurs au jeu, ils ont tous fait fortune grâce à l'esclavage et les femmes sont vils et pécheresses.
De l'autre côté, chez les pro-ralliement à l'Union, il n'y a que des modèles de vertus. Certes, Trumbo a péché en désertant de l'armée pour une femme, mais il est pardonné. C'est d'ailleurs lui qui déloge les indépendantistes dans une séquence d'attaque d'hacienda qui ressemble à un Fort Alamo mais à l'envers. Symbole de la fin du règne mexicain sur l’État en 1845. Le film est sortit en 1946, à trois années près du centenaire de la conférence de Monterrey qui débouchera sur l'entrée de l’État dans l'Union en 1850. Si Trumbo n'est pas armé au début du film, quand il convoie les pionniers, il le devient quand il se transformera en propriétaire. Car, comme il le dit, il faut défendre son bien. D'ailleurs il n'aime que les forts, il a très peu de compassion pour les faibles.
Fabian, le politicien pro-Union qui l'est devenu par hasard, est une sorte de sosie de Lincoln. Lui aussi vient de la terre (il a apporté les vignes dans l'Etat), a un franc parlé déconcertant, est proche de l'idéologie républicaine et meurt assassiné par un opposant politique à la solde des indépendantistes. Mais il meurt dans ses vignes et son sang fertilisera la terre. On pourra tous communier en buvant le vin après les vendanges, hourrah. Une belle revanche uchronique, la Californie étant pourtant un bon bastion démocrate en 1850. Lincoln n'a d'ailleurs pas trop baronné dans l'Etat lors des élections de 1860, n'ayant remporté que 0.6% de plus que le démocrate Douglas.
C'est d'ailleurs drôle, pour un film se battant contre l'esclavage et parlant sans arrêt des Noirs on y voit pourtant aucune personne de couleurs. Il y en a bien juste un, mais c'est un valet de Pharaoh et il ne pipe mot. Le seul non WASP de premier plan est une star (Anthony Quinn). Au début du film, on aperçoit un indien parcourir furtivement une rue où des pionniers préparent leur chariot. Suite à son passage, la caméra effectue un panoramique et l'on voit Stanwick (le prototype de la Southern Belle vicieuse) se faire expulser par un groupe de femmes puritaines (là aussi, reprise de la séquence de "Stagecoach").
Les hommes de Pharaoh font tout pour épuiser les filons d'or de l’État, afin de ne laisser que quelques miettes aux pauvres prospecteurs. Le parallèle est drôle, quand on sait que c'est majoritairement de la Californie qu'arrivait l'or dans les coffres de l'Union pendant la guerre.
Autre détail amusant : les indépendantistes cachent leur armement dans une chapelle catholique. Hors, lors de la guerre civile, le journal hebdomadaire du diocèse de San Francisco était ouvertement pro-confédéré. Ils prévoyaient d'ailleurs une sécession de la Californie et de l’Oregon en vue de la création d'une "République du Pacifique". Dessein que les indépendantistes du film veulent réaliser, des années avant la guerre, en créant non plus une république mais un Empire du Pacifique.
Les mexicains, montré de manière ambiguë dans le film, formèrent d'ailleurs les principaux sympathisants et embrigadés de la seule milice pro-confédéré de l’État durant la guerre, le Los Angeles Mounted Rifles formé en mars 1861. Là aussi, le film de Farrow fait tout pour prémunir une tel provocation contre le gouvernement sans cesse divinisé pendant 1h37. C'est d'ailleurs comme si les USA, après s'être débarrassé de la guerre mondiale, revenait dans le temps afin de refaire le ménage. Comme si la Promised Land californienne devait se débarrasser de ses souillures passées afin de revenir la terre de Dieu (l'introduction du film n'est rien de moins que la Genèse appliquée à la Californie présenté comme le nouveau jardin d'Eden).
Stanwick est écarté de la communauté. Elle essaie de s'introduire dans la danse des pionniers, qui chantent en choeur des noms d'Etats nordistes. Ils s'écartent lors de son passage. Ses origines sudistes lui font défaut.
Répétitions des tirs manqués.
Fabian, le Lincoln californien
L'action du film, tournant autour du combat entre ceux qui veulent que la Californie intègrent l'Union et les indépendantistes, est joué comme une sorte de guerre de Sécession avant l'heure.
Les chefs des indépendantistes viennent d'ailleurs d'Etats du Sud ou sont des anciens marchands d'esclaves (Pharaoh, le cerveau, qui était le capitaine d'un navire négrier).
Le film déballe tous les clichés sur les habitants du Sud des Etats-Unis, reprenant même ceux de "Stagecoach" de Ford : ils sont tous aristocrates, ils n'ont pas l'esprit communautaire contrairement aux "vrais" pionniers du Nord, ce sont tous des tricheurs au jeu, ils ont tous fait fortune grâce à l'esclavage et les femmes sont vils et pécheresses.
De l'autre côté, chez les pro-ralliement à l'Union, il n'y a que des modèles de vertus. Certes, Trumbo a péché en désertant de l'armée pour une femme, mais il est pardonné. C'est d'ailleurs lui qui déloge les indépendantistes dans une séquence d'attaque d'hacienda qui ressemble à un Fort Alamo mais à l'envers. Symbole de la fin du règne mexicain sur l’État en 1845. Le film est sortit en 1946, à trois années près du centenaire de la conférence de Monterrey qui débouchera sur l'entrée de l’État dans l'Union en 1850. Si Trumbo n'est pas armé au début du film, quand il convoie les pionniers, il le devient quand il se transformera en propriétaire. Car, comme il le dit, il faut défendre son bien. D'ailleurs il n'aime que les forts, il a très peu de compassion pour les faibles.
Fabian, le politicien pro-Union qui l'est devenu par hasard, est une sorte de sosie de Lincoln. Lui aussi vient de la terre (il a apporté les vignes dans l'Etat), a un franc parlé déconcertant, est proche de l'idéologie républicaine et meurt assassiné par un opposant politique à la solde des indépendantistes. Mais il meurt dans ses vignes et son sang fertilisera la terre. On pourra tous communier en buvant le vin après les vendanges, hourrah. Une belle revanche uchronique, la Californie étant pourtant un bon bastion démocrate en 1850. Lincoln n'a d'ailleurs pas trop baronné dans l'Etat lors des élections de 1860, n'ayant remporté que 0.6% de plus que le démocrate Douglas.
C'est d'ailleurs drôle, pour un film se battant contre l'esclavage et parlant sans arrêt des Noirs on y voit pourtant aucune personne de couleurs. Il y en a bien juste un, mais c'est un valet de Pharaoh et il ne pipe mot. Le seul non WASP de premier plan est une star (Anthony Quinn). Au début du film, on aperçoit un indien parcourir furtivement une rue où des pionniers préparent leur chariot. Suite à son passage, la caméra effectue un panoramique et l'on voit Stanwick (le prototype de la Southern Belle vicieuse) se faire expulser par un groupe de femmes puritaines (là aussi, reprise de la séquence de "Stagecoach").
Les hommes de Pharaoh font tout pour épuiser les filons d'or de l’État, afin de ne laisser que quelques miettes aux pauvres prospecteurs. Le parallèle est drôle, quand on sait que c'est majoritairement de la Californie qu'arrivait l'or dans les coffres de l'Union pendant la guerre.
Autre détail amusant : les indépendantistes cachent leur armement dans une chapelle catholique. Hors, lors de la guerre civile, le journal hebdomadaire du diocèse de San Francisco était ouvertement pro-confédéré. Ils prévoyaient d'ailleurs une sécession de la Californie et de l’Oregon en vue de la création d'une "République du Pacifique". Dessein que les indépendantistes du film veulent réaliser, des années avant la guerre, en créant non plus une république mais un Empire du Pacifique.
Les mexicains, montré de manière ambiguë dans le film, formèrent d'ailleurs les principaux sympathisants et embrigadés de la seule milice pro-confédéré de l’État durant la guerre, le Los Angeles Mounted Rifles formé en mars 1861. Là aussi, le film de Farrow fait tout pour prémunir une tel provocation contre le gouvernement sans cesse divinisé pendant 1h37. C'est d'ailleurs comme si les USA, après s'être débarrassé de la guerre mondiale, revenait dans le temps afin de refaire le ménage. Comme si la Promised Land californienne devait se débarrasser de ses souillures passées afin de revenir la terre de Dieu (l'introduction du film n'est rien de moins que la Genèse appliquée à la Californie présenté comme le nouveau jardin d'Eden).
Stanwick est écarté de la communauté. Elle essaie de s'introduire dans la danse des pionniers, qui chantent en choeur des noms d'Etats nordistes. Ils s'écartent lors de son passage. Ses origines sudistes lui font défaut.
Répétitions des tirs manqués.
Fabian, le Lincoln californien
Dernière édition par Dr. Apfelgluck le Ven 6 Déc 2013 - 5:24, édité 1 fois
Dr. Apfelgluck- Messages : 469
Re: Tu ne feras point sécession (California de John Farrow, 1947)
hello doc,
vu le film; Farrow oppose deux mots qui reviennent souvent dans les dialogues, clean et dirty.
Stanwyck, alors que l'eau est vitale aux pionniers en route vers l'eden californien, en use pour se laver, afin de préserver son apparence: elle est dans le jeu social, le jeu du pouvoir et de la domination; Trumbo le lui reproche vivement. Les pionniers sont sales, ils puent, ils sont en cela plus proche de la terre, d'une nature panthéiste, d'un idéal moral et religieux: le territoire de la conquête de l'ouest est un jardin qu'il s'agit d'entretenir, de préserver, dans son unité fondamentale; l'Union.
L'or trouvé dans le limon du fleuve en est le fruit défendu.
Farrow semble s'interroger sur la possibilité d'y vivre en communauté dans cet eden, en considérant les forces qui luttent entre elles, celles qui acceptent le donné, le travail et celles qui craignent la mort (l'angoisse existentielle de "Coffin" (Pharao) quand il entend le bruit d'un horloge, ou d'autres sons à la fois anodins et macabres), ou de se salir les mains, littéralement. L'histoire de la guerre civile investit tous ces champs, en une répartition parfois très marquée en effet, un peu grossière. La destinée manifeste est inscrite dans les mots même de la bible. C'est au delà d'une lutte politique.
Farrow semble apprécier ces histoires d'influence morale et amoureuse, une femme prise entre deux hommes, qui doit choisir entre deux images de l'Amérique, et ses films semblent vouloir nouer les contradictions et les luttes qui ne peuvent que naître de ses deux représentations. On ne peut habiter ni l'une ni l'autre; peut être co-habiter?
Il utilise beaucoup le plan séquence, comme pour sonder le monde à l'intérieur duquel vit chaque personnage, le suivre tandis qu'il le marque de ses pas et de ses regards.
Un autre de ses westerns, Copper Canyon, ressemble beaucoup à California, même acteur principal. Cette fois c'est l'après guerre civile, à nouveau le fantasme de l'or et le ressentiment de la guerre, la difficulté à vivre en commun. La forme du film est bizarre, passe par de nombreux genres, parfois dépassés, comme le serial. Finit lui aussi par la prise d'un bastion.
Dans sa filmographie je préfère un film plus simple, qui n'est pas alourdit par sa narration comme cela se révèle être le cas de ces deux westerns, a bullet is waiting de 54 avec une Jean Simmons très touchante.
vu le film; Farrow oppose deux mots qui reviennent souvent dans les dialogues, clean et dirty.
Stanwyck, alors que l'eau est vitale aux pionniers en route vers l'eden californien, en use pour se laver, afin de préserver son apparence: elle est dans le jeu social, le jeu du pouvoir et de la domination; Trumbo le lui reproche vivement. Les pionniers sont sales, ils puent, ils sont en cela plus proche de la terre, d'une nature panthéiste, d'un idéal moral et religieux: le territoire de la conquête de l'ouest est un jardin qu'il s'agit d'entretenir, de préserver, dans son unité fondamentale; l'Union.
L'or trouvé dans le limon du fleuve en est le fruit défendu.
Farrow semble s'interroger sur la possibilité d'y vivre en communauté dans cet eden, en considérant les forces qui luttent entre elles, celles qui acceptent le donné, le travail et celles qui craignent la mort (l'angoisse existentielle de "Coffin" (Pharao) quand il entend le bruit d'un horloge, ou d'autres sons à la fois anodins et macabres), ou de se salir les mains, littéralement. L'histoire de la guerre civile investit tous ces champs, en une répartition parfois très marquée en effet, un peu grossière. La destinée manifeste est inscrite dans les mots même de la bible. C'est au delà d'une lutte politique.
Farrow semble apprécier ces histoires d'influence morale et amoureuse, une femme prise entre deux hommes, qui doit choisir entre deux images de l'Amérique, et ses films semblent vouloir nouer les contradictions et les luttes qui ne peuvent que naître de ses deux représentations. On ne peut habiter ni l'une ni l'autre; peut être co-habiter?
Il utilise beaucoup le plan séquence, comme pour sonder le monde à l'intérieur duquel vit chaque personnage, le suivre tandis qu'il le marque de ses pas et de ses regards.
Un autre de ses westerns, Copper Canyon, ressemble beaucoup à California, même acteur principal. Cette fois c'est l'après guerre civile, à nouveau le fantasme de l'or et le ressentiment de la guerre, la difficulté à vivre en commun. La forme du film est bizarre, passe par de nombreux genres, parfois dépassés, comme le serial. Finit lui aussi par la prise d'un bastion.
Dans sa filmographie je préfère un film plus simple, qui n'est pas alourdit par sa narration comme cela se révèle être le cas de ces deux westerns, a bullet is waiting de 54 avec une Jean Simmons très touchante.
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