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Ils ne savent ni écouter ni parler : Quai d'Orsay (Tavernier, 2013)

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Message par Borges Dim 10 Nov 2013 - 17:57



On ne connaîtrait pas le sens du mot cinéma, s’il n’y avait pas de mauvais films.

Autant le dire  : Quai d'Orsay c'est pas les fragments d'Héraclite, pas même Tintin, c'est une suite de sketches très théâtre de boulevard, avec Thierry Lhermitte qui fait son show. Il est pas nul. Il est même amusant deux ou trois fois, mais à la longue, ça lasse, les portes qui claquent, les feuilles qui s'envolent, l'énergie speed, les formules et les aphorismes bidons, toute cette agitation maniaque du grand homme, qui nous rappelle de Funès en plus de Villepin, plus que les personnages des comédies de Hawks.

Les bons livres font souvent se lever la tête, disait Barthes, on pense, imagine, intériorise, on dérive et rêvasse ; les mauvais films, c'est pareil, mais pas pour les mêmes raisons, on regarde le plafond, à gauche, à droite, on ferme le yeux, en se demandant ce que l'on fout dans la salle et ce que le film fait sur l'écran.

Pourquoi il a fait ce truc, Tavernier ?

Quel est son but ?

Quel intérêt ?

J'en doute pas, on le lui a demandé et il a dû donner une excellente réponse mais qui ne doit pas nous distraire, car, comme disait Héraclite, ce n'est pas le réalisateur qu'il faut écouter et regarder, mais son film, et le film, il donne pas le sentiment de répondre à un vrai désir, pas plus que le discours à New York du ministre. On est loin de Mr Smith.  

Les acteurs imitent des clichés ; l'histoire, la 4e dimension que Marker opposait à la 3D, il n'y en a pas, pas plus que dans Gravity : un jeune type, sorti de l'ENA ou d'une école au même prestige attrape-nigaud, est engagé par le ministre des Affaires étrangères pour écrire ses discours. Dans les années 1960/1970, en France, on aurait eu un thriller politique où un jeune idéaliste se serait fait buter après avoir découvert les dessous sales des relations internationales, le cinéma classique américain nous aurait donné à voir le triomphe d'un jeune idéaliste, représentant du sens commun, sur les institutions séparées de la croyance fondatrice de la démocratie américain. Ici, on n'a rien. Le jeune, qui par moment ressemble à Tom Cruise, n'est animé par aucune conviction, aucune idée.

Si vos personnages n'ont pas d'idées, vous risquez de ne pas en avoir non plus ; et pourtant le sujet était riche, encore fallait-il le découvrir, et avoir la capacité de le rendre visible par une mise en scène. Tavernier aurait pu filmer les difficultés de l'écriture, le conflit de la forme et du fond, le désir de la signature et les contraintes du monde, la généalogie d'une parole, d'un discours politique. Il n'en fait rien, pour toutes les raisons qu'il vous plaira de trouver, et pour une, que je ne cesse de rappeler, parce qu'elle me frappe à chaque fois : le cinéma français a un rapport complètement faussé, nul, à la parole, à l'écriture, si on excepte les grands de la Nouvelle Vague, qui ont su, savent filmer les vertus cinématographiques de la parole, et de l'écriture, là même où ils semblent leur faire leurs adieux. Plus les cinéastes sont médiocres, ou moyens, plus ils prennent au sérieux quelques banalités sur l'essence silencieuse de l'image cinématographique. On me dira que le film parle énormément. Oui, mais ce qui est filmé, c'est, de manière satirique, le vide de la parole ; jamais elle n'est prise au sérieux, jamais elle n'est filmée comme pouvoir, comme magie, comme séduction… Des mots, des mots…

On pourrait me rétorquer que Tavernier dénonce cet état de chose, la fragmentation de la langue, ses manipulations... je n'en crois rien. Si telle avait été son intention, il aurait pris ses distances avec le personnages de Thierry Lhermitte, il n'aurait pas cédé au prestige idéologique de la vitesse, au fantasme de l'énergie des grands hommes. Tout est là pêle-mêle, le savoir des experts, l'inexpérience du jeune type, le romantisme narcissique à la Don Quichotte du ministre, le monde que l'on dit ordinaire, les conflits en Afrique, en Orient, les sans-papiers, les pécheurs et leurs anchois… On ne sait pas très bien de qui, de quoi on se moque ; de qui, de quoi on rit ; et avec qui. Le film est sans point de réel, sans perspective, sans affirmation ni courage. Tavernier ne décide rien, non pas par désir héraclitéen d'épouser les contradictions de l'être, et du cinéma, plutôt par manque de foi. À la politique des néocons, il ne parvient à opposer, politiquement et cinématographiquement, qu'un film assez con et conservateur, dans sa forme, son ton, du très mauvais cinéma français de mec.

C'est pas seulement une affaire politique, c'est une affaire de cinéma. Une bonne comédie américaine de la grande époque, c'est avant tout une affaire de femmes ; elles avaient toutes en leur centre, ou pas loin, une femme super causeuse, une fast talking lady. Ici, les femmes sont réduites à des rôles de connes, sans la moindre profondeur ou superficialité ; elles sourient bêtement ou tentent de jouer les putes. La plus conne étant la copine du jeune gars, institutrice comme Adèle, mais chez les plus grands, on la voit pas bosser, seulement se battre contre l'expulsion d'une famille de sans-papiers dont on se demande bien ce qu'elle vient faire dans cette histoire.

Ceux qui font du cinéma avec croyance s’appuient sur l’intelligence commune à tous, comme une cité sur la loi commune, c'est elle que Tavernier aurait dû opposer à l'agitation maniaque du personnage de TL et à son aristocratisme.

Autrement dit : RAS (rien à stabiloter).

Cela dit j'aime bien Tavernier ; il est toujours très bon comédien dans les bonus DVD ; même là où il ne nous apprend rien, il est habité… Il sent, avec Héraclite, que sans l'espérance, on ne trouvera pas le cinéma inespéré, qui est introuvable et inaccessible.
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Message par Invité Dim 10 Nov 2013 - 18:29

c'est vrai ce que tu dis sur la langue et le cinéma, au pays de Montaigne : la langue il faut s'y rouler, s'y enrouler, sous toutes ses formes, savante ou sauvage.

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Message par Invité Dim 10 Nov 2013 - 19:19

Le lien avec Héraclite je sais pas, mais la BD autobiographique d'origine était déjà pas super-intéressante (pro villepeniste à bloc, et l'auteur se servait de son passage au cabinet et à l'ONU pour se valoriser sur le mode "cher lecteur...j'étais là quand Powell a présenté son powerpoint, trop cool"). En plus elle glorifiait (sans rien articuler de construit) une défaite politique (vu que la guerre d'Irak quand-même a bien eu lieu), en en faisant un objet de dérision (partielle,  pas comme chez Lubitsch) avant que la tragédie soit terminée.


Dernière édition par Tony le Mort le Dim 10 Nov 2013 - 19:23, édité 3 fois

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Message par Invité Dim 10 Nov 2013 - 19:25

Perso, je trouve le cinéma de Tavernier mauvais, didactique jusqu'au gâtisme, et depuis ses débuts. Je pense à sa filmo... Non, rien à sauver, pour moi.

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Message par Invité Dim 10 Nov 2013 - 19:30

"le Juge et l'Assassin" pas mal dans la mise en scène, même si c'est le prototype le film "de gauche" qui dit juste au spectateur qu'il a raison d'ailler le voir.

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Message par Invité Dim 10 Nov 2013 - 19:35

Maintenant, c'est vrai que Tavernier, on a du plaisir à l'écouter causer. Il y fait montre d'un enthousiasme inversement proportionnel à celui que me procurent ses films.

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Message par Invité Dim 10 Nov 2013 - 19:39

mais qui sur ce forum a jamais aimé un film de Tavernier ? Quels poncifs ...

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Message par Invité Dim 10 Nov 2013 - 19:40

Non, attends, c'est quoi les poncifs? Les films de Tavernier ou le fait qu'on les a jamais aimés sur le forum (ce qui n'est plus vrai que de dire cela de Chabrol - dont perso j'aime bcp certains films)?


Dernière édition par Bidibule le Dim 10 Nov 2013 - 19:43, édité 2 fois

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Message par Borges Dim 10 Nov 2013 - 19:40

Bidibule a écrit:Perso, je trouve le cinéma de Tavernier mauvais, didactique jusqu'au gâtisme, et depuis ses débuts. Je pense à sa filmo... Non, rien à sauver, pour moi.
hi
alors, ils savent écouter et parler, ou pas?

Dans ce film, je crois qu'il y a tout de même quelque chose à sauver : la scène du stabilo, qui pourrait entrer dans l'anthologie des scènes comiques du cinéma français...
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Message par Invité Dim 10 Nov 2013 - 19:44

C'est la première fois qu'il se lance dans le comique, me trompe-je?

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Message par Borges Dim 10 Nov 2013 - 19:54

Bidibule a écrit:C'est la première fois qu'il se lance dans le comique, me trompe-je?
oui, je crois aussi; mais t'as pas répondu à la question : ils savent écouter et parler ou pas?

Wink 
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Message par Invité Dim 10 Nov 2013 - 19:56

C'est une bonne question. Je ne sais pas quoi répondre... C'est qui, "ils"? Embarassed 

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Message par Borges Dim 10 Nov 2013 - 20:01

Bidibule a écrit:C'est une bonne question. Je ne sais pas quoi répondre... C'est qui, "ils"? Embarassed 
pm; même si c'est pas un secret.
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Message par glj Dim 10 Nov 2013 - 22:35

C'est vrai que c'est pas terrible du tout tavernier. C'est laborieux et vieux.

Il y a guère que l'appât qui était pas si mal dans mon souvenir...

Je crois que tavernier fait ses films comme il défend certains films, coûte que coûte. Et la plupart du temps ,et cela même si il y met de la passion, on se fout totalement de ce qu'il dit par ce que ces histoires et les films qu'ils défend ne nous intéresse pas.


Moi ce qu'il me plaît chez tavernier, ce sont ces entretiens avec d'autres cinéaste. Il a une véritable passion pour les autres réalisateurs.
glj
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Message par Invité Dim 7 Sep 2014 - 12:10

Vu dans un avion. Film nul et inquiétant. Il s’agît en fait de la même histoire, mais déplacée et masculinisée et dans les ors et les pompes de la République, que celle du « Diable s’Habille en Prada », qui en comparaison est presque straubien et critique (et la tronche pata-Alain Delon de Raphaël Personnaz au lieu d'Anne Hathaway version longue). Un roman d’éducation pour trentenaires, dont l’enjeu est un système bureaucratique où les occasions de latitude et liberté sont marginales, et résident dans l’opportunité de l’intégrer par hasard mais avec zèle. La mode et le goût tiennent d’ailleurs dans les films le même rôle : un marqueur d’intégration, de plus en plus sélectif à mesure qu’il devient implicite. L'intrigue du film c'est la disparition du quant-à-soi du personnage principal.

Politiquement ce qui est effrayant, et inattendu de la part de Tavernier, c’est l’usage des sans-papiers, rajoutés par rapport à la BD comme :

-auto-citation de Tavernier (il nous explique qu’en 1997, il était déjà dans ce film)
-symbole politique où la tolérance à l’égard du cas particulier est concédée en échange d’une valeur qui relève de la diplomatie et de la raison d’état. Pour Tavernier le France achète par l’intégration domestique le droit de maintenir un pré-carré africain. Ce pré-carré est légitime, car elle est un contre-pouvoir efficace au néo-conservatisme américain  . La BD avait plus d’ironie et de distance sur cet aspect de la politique  gaullo-chraquienne.

Toute cette logique de donnant-donnant entre refus du racisme et légitimation de l’interventionniste rabat le film sur les classes moyennes. Dans la BD la compagne de l’attaché est thésarde à Harvard, et leur relation explose car ils sont en fait enfermés dans le même milieu sans être en mesure de se retrouver. Dans le film elle devient institutrice, et elle compense par sa bonne foi, sa générosité politique, son maternage et son absence le stress du personnage principal. Le discours de gauche de Tavernier tient dans le fait de transférer l’idéologie sécuritaire de la police intérieure vers la politique extérieure et la diplomatie, à l’extérieur. La représentation de l’Afrique est archi-caricaturale, même Jean Yanne était moins grossier.

En marge du film, sur le pré-carré français en Afrique : les interventions en Mali et en Centrafrique sont peut-être légitimes, mais la légitimité n’est pas la seule question, il y a aussi celle de l’efficacité dans la résolution des guerres, et il me semble que les interventions multi-latérales sous l’égide des nations unies sont plus efficaces : le fort engagement militaire de l’ONU (et à ce jour dernier, on a par exemple oublié que le Secrétaire Général de l'époque, Dag Hammarskjöld, l'a quand-même payé de sa vie) au début de la crise de la sécession katangaise a sans doute joué un rôle important dans le fait que 45 ans plus tard, même dans la douleur, cette crise est relativement stabilisée, ou en tout cas n’est plus le principal risque de la région. Il était le fait de contingents irlandais et indiens qui n’avaient pas de passé colonial dans la région, et de ressortissants liés aux deux camps. Seul le multilatéralisme respecte l’autonomie des régions où la communauté internationale appuie la résolution d’une crise. La BD est plus lucide sur le fait que Villepin se voit en concurrent de Bush et non en recours contre Bush.

Il est vrai que pour le Mali et le Centrafrique, les pays développés ne sont pas engagés. Il y a d’autres guerres régionales qui apparaissent dans la région, une crise économique en Europe, une opinion publique droitisée, travaillée par la xénophobie des politiciens professionnels , amuseurs-idéologues et isolationnistes, qui ne sait pas grande chose de l’histoire de la décolonisation, pense que Bob Denard est une version baroudeuse d’un G.O. du Club Med incrustée sur une carte des Comores dans un JT des années 90, et contribue à son auto-provincialisation tout en endossant entièrement l’idée lancée par Sarkozy et Guéant que « l’homme africain n’est pas rentré dans l’histoire ». Cette phrase avait le même sens que les exhibitions dans les foires du XIXème siècle : l’humiliation que l’on inflige à l’autre est ses propres décisions et son propre destin que l’on ne veut plus voir.

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Ils ne savent ni écouter ni parler : Quai d'Orsay (Tavernier, 2013) Empty Re: Ils ne savent ni écouter ni parler : Quai d'Orsay (Tavernier, 2013)

Message par wootsuibrick Dim 7 Sep 2014 - 13:14

Tony le Mort a écrit:
Il y a d’autres guerres régionales qui apparaissent dans la région, une crise économique en Europe, une opinion publique droitisée, travaillée par la xénophobie des politiciens professionnels , amuseurs-idéologues et isolationnistes, qui ne sait pas grande chose de l’histoire de la décolonisation, pense que Bob Denard est une version baroudeuse d’un G.O. du Club Med incrustée sur une carte des Comores dans un JT des années 90, et contribue à son auto-provincialisation tout en endossant entièrement l’idée lancée par Sarkozy et Guéant que « l’homme africain n’est pas rentré dans l’histoire ». Cette phrase avait le même sens que les exhibitions dans les foires du XIXème siècle : l’humiliation que l’on inflige à l’autre est ses propres décisions et son propre destin que l’on ne veut plus voir.
ça me fait penser que j'ai vu un doc sur Denard récemment, Bod Denard, le sultan blanc des comores... qui donne carrément l'impression qu'il y a en effet eu des bienfaits de la (post)colonisation...
un lien : https://www.youtube.com/watch?v=AIJjrUTVmCA
Denard y est parfois décrit comme un entrepreneur qui a su dynamiser l'économie comorienne... mais dont le départ a vu l'abandon de certaines activités qui ont donc dépérit...
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Message par Invité Lun 8 Sep 2014 - 18:09

Super, merci pour le lien intéressant, même si je vois ce que tu veux dire sur la neutralité du ton "France Télévision" qui consiste à adopter un point de vue journalistique sur des évènements historiques pour ne vexer personne.

Sur les guerres du Katanga, pour comprendre d'où vient Denard et quelles étaient les forces politiques en jeu, j'ai un jour trouvé ces liens hyper-informatifs:
http://worldatwar.net/chandelle/v2/v2n3/congo.html
C'est un site de maquettes d’avion militaire, mais l'article est bien informé, excède la dimension de fascination pour les armes que l'on trouve habituellement dans cette communauté, et est il me semble assez juste vis à vis de Lumumba.

J'ai trouvé ce lien via un site  site des aviateurs cubains anti-communistes que l'armée américaine utilisait comme mercenaires au sein de l'armée congolaise. C’étaient des anciens de la baie des Cochons  qui pilotaient des avions pendant les engagements  de 1965 contre les Simba.
http://www.t28trojanfoundation.com/congo.html

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