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I Autour du nouveau livre de Jacques Rancière,

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I Autour du nouveau livre de Jacques Rancière, Empty I Autour du nouveau livre de Jacques Rancière, "Le spectateur émancipé"

Message par Invité Mar 18 Nov 2008 - 23:25

Autour du nouveau livre de Jacques Rancière, "Le spectateur émancipé".


L'intégrale du début de la discussion qui a eu lieu avant l'ouverture du forum est à lire sur le blog.


Dernière édition par JM le Dim 14 Déc 2008 - 21:47, édité 3 fois

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I Autour du nouveau livre de Jacques Rancière, Empty Re: I Autour du nouveau livre de Jacques Rancière,

Message par Borges Ven 21 Nov 2008 - 22:51

Qu’on lise « La nuit des prolétaires ». Mieux encore, ce livre vraiment étonnant qu’est « Le Maître ignorant… », où Rancière met à l’épreuve des étranges conceptions pédagogiques de Jacottot sa conception de l’égalité. Conception qui m’a inspiré, qui m’inspire toujours, par sa puissance axiomatique : l’égalité n’est jamais le but, elle est le principe. Elle ne s’obtient pas, elle se déclare. Et on peut appeler « politique » les conséquences dans le monde historique, de cette déclaration. Certes, je ne peux accorder à Rancière sa façon, bien trop historiciste à mon goût, d’examiner la logique des conséquences, et donc la politique. Je l’ai vertement critiqué sur ce point (…) Mais qu’on ne s’y trompe pas : c’est à partir d’un voisinage très réel que se fait cette perpétuelle chicane. Qui d’autres citer de cette génération de philosophes, après tout, qui ait ainsi maintenu les catégories fondatrices de la politique d’émancipation dans leur vivacité à la fois spéculative et historienne ? J’en dirai du reste autant des écrits de Rancière sur la littérature et sur le cinéma. Comme si je les avais traversés en rêve, ils me sont familiers et distants. (…) Ces trajets croisés complexes sont gouvernés, je crois, par deux choses très simples. Premièrement, avec des références tout à fait distinctes, nous avons gardé la même fidélité philosophique à la séquence « rouge » qui va de 1965 à 1980. Deuxièmement, l’Histoire nous sépare. Rancière y croit (tout en en critiquant l’usage actuel), et je n’y crois guère.

(Badiou, Logique des mondes, 585/586)
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Message par Invité Lun 24 Nov 2008 - 17:55

Hello,

Pourquoi cette citation de Badiou, Borges ? Est-ce une réponse à quelque chose en particulier évoqué lors de notre discussion ?
Dans son "Abrégé de métapolitique", Badiou consacre un texte entier à Rancière. On peut y puiser, je pense, des choses plus précises concernant leurs accords et désaccords...

Question :
Où peut-on lire des lignes écrites par Rancière évoquant Badiou ?

[Continuons-nous à échanger ici (dans ce cas-là il faudrait peut-être signaler l'existence du forum à nos camarades), ou sur le blog ?]

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Message par Borges Lun 24 Nov 2008 - 18:50

JM a écrit:Hello,

Pourquoi cette citation de Badiou, Borges ? Est-ce une réponse à quelque chose en particulier évoqué lors de notre discussion ?
Dans son "Abrégé de métapolitique", Badiou consacre un texte entier à Rancière. On peut y puiser, je pense, des choses plus précises concernant leurs accords et désaccords...

Question :
Où peut-on lire des lignes écrites par Rancière évoquant Badiou ?

[Continuons-nous à échanger ici (dans ce cas-là il faudrait peut-être signaler l'existence du forum à nos camarades), ou sur le blog ?]

Hello
Oui, je sais, pour "l'abrégé de métapolitique", le "vertement" renvoie à ce bouquin; c'est juste que dans ce livre Badiou est plus sympa... il adoucit un peu ses relations avec Derrida, Deleuze, Lyotard, Rancière...c'est juste pour ça...

(Ce qui ne l'empêche pas de penser que c'est lui le meilleur)



Dans"Malaise dans l'esthétique" y a un chapitre sur Badiou...
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Message par Invité Dim 30 Nov 2008 - 16:56

Hello,

Je voudrais évoquer quelque chose du bouquin de Rancière dont nous n'avons pas beaucoup parlé, je crois, enfin qui a paru évident à tous. C'est quelque chose qui s'inscrit dès les premières pages du bouquin, le lien ,"imposé" par la proposition qui lui a été faite, entre Le Maître ignorant, "pavé de l'égalité intellectuelle dans la mare des débats sur les finalités de l'Ecole publique" et "l'écart radical à l'égard des présuppositions théoriques et politiques qui soutiennent encore, même sous la forme postmoderne, l'essentiel du débat sur le théâtre, la performance et le spectateur".

On se souvient que dans son livre "Horizon Cinéma", JM Frodon écrit : "Des places existent pour continuer de faire exister d'autres rapports au monde, aux autres et à soi-meme que le processus de fusion-isolement dont est porteuse l'organisation sociale contemporaine. Le cinéma, pour toutes les raisons qu'on essayé de dire plus haut, est un bon outil pour construire de telles places. Ce sont, ce seront des places minoritaires. L'art, pour ceux qui le font mais aussi pour ceux qui s'y confrontent, ne construit jamais du majoritaire. Il peut y avoir beaucoup de minorités, qui ne se confondront jamais en une majorité, encore moins en un unanimisme. Tant mieux. Il revient aux membres de ces minorités, c'est-à-dire en principe à chacun, de transformer de manière dynamique, critique, volontariste, ce "laisser-faire" propre au système totalisant en force de mise en crise (c'est le sens premier, et ultime, du mot critique) du dispositif global. Mettre en crise ce dispositif, y compris dans les conforts qu'il nous offre, c'est se redonner la possibilité de se construire : cet enjeu est donc au sens général, mais également dans son acception plus précise, un enjeu d'éducation. Le cinéma est apte à jouer un rôle important pour les enfants et les adolescents en phase de construction de leur personnalité, mais aussi pour tous à tout âge, puisque la construction de soi comme sujet est un processus qui ne cesse jamais - qui ne devrait jamais cesser - durant tout le cours de l'existence." (p.81-82)

(les gras sont ajoutés par moi)

Pour Badiou, le tiers terme des schèmes possibles du nœud entre art et philosophie est "l'éducation des sujets, et singulièrement de la jeunesse." (Petit manuel d'inesthétique, pp. 14, 15).

Et puis, pour le cinéma, celui qui revient chez tous je crois, le cinéaste Kiarostami, qui depuis toujours (comme viennent le rappeler ses premiers métrages "Expériences" qui ressortent en salle actuellement, et ses premiers films disponibles depuis peu en DVD) s'intéresse à l'école.

Où se situe Rancière ? Son choix de répondre à la proposition sous-tend-t-il cette même acception de l'art comme "enjeu d'éducation", même s'il le tord pour en faire un enjeu d'émancipation comme auparavant pour "Le Maître ignorant" ?

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Message par Invité Jeu 4 Déc 2008 - 13:57

JM a écrit:Hello,

Je voudrais évoquer quelque chose du bouquin de Rancière dont nous n'avons pas beaucoup parlé, je crois, enfin qui a paru évident à tous. C'est quelque chose qui s'inscrit dès les premières pages du bouquin, le lien ,"imposé" par la proposition qui lui a été faite, entre Le Maître ignorant, "pavé de l'égalité intellectuelle dans la mare des débats sur les finalités de l'Ecole publique" et "l'écart radical à l'égard des présuppositions théoriques et politiques qui soutiennent encore, même sous la forme postmoderne, l'essentiel du débat sur le théâtre, la performance et le spectateur".
[…]
Où se situe Rancière ? Son choix de répondre à la proposition sous-tend-t-il cette même acception de l'art comme "enjeu d'éducation", même s'il le tord pour en faire un enjeu d'émancipation comme auparavant pour "Le Maître ignorant" ?

Je crois que le rapport entre art et éducation, Rancière ne le propose pas mais en fait le constat. Il interroge ce lien à la suite de la demande qui lui a été faite. Ce lien est sous-jacent à certaines pratiques artistiques (particulièrement celles qui flirtent avec le politique). Et c'est sur la nature de cet enseignement que Rancière se propose de revenir, comme il avait déjà mis sens dessus dessous les méthodes pédagogiques traditionnelles avec Le maître ignorant et ce portrait de l'extravagant Joseph Jacotot.

Il écrit (P.13 et suiv.) : « La scène et la performance théâtrales deviennent ainsi une médiation évanouissante entre le mal du spectacle et la vertu du vrai théâtre. Elles se proposent d'enseigner à leurs spectateurs les moyens de cesser d'être spectateurs et de devenir agents d'une pratique collective. »

Et d'analyser ensuite, « le paradigme brechtien » et « la logique d'Artaud »… La médiation qu'ils proposent répond selon lui à « la logique même de la relation pédagogique ». Logique traditionnelle du point de vue pédagogique, qui prétend trompeusement supprimer la distance entre le « maître » et « l'ignorant ».

L'impasse du Maître (qu'il soit ou non plein de bonnes intentions) étant la suivante :
« Malheureusement il ne peut réduire l'écart qu'à la condition de le recréer sans cesse. »




Je ne sais pas, j'ai peut-être répondu à côté, ou enfoncé des portes ouvertes…

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Message par Invité Mer 10 Déc 2008 - 11:28

Je voudrais revenir sur cette expression "film de festival" qu'utilise Rancière à propos du dernier film de Costa. J'en avais déjà parlé sur le blog, en y réfléchissant bien, je maintiens que ce passage me met particulièrement mal à l'aise. Cette expression mise entre guillemets qui vient, entre autre, de Thoret (et Positif) a donné lieu à toute une polémique au sein de la critique en 2007 et à un repositionnement de tout le monde qui se ressent aujourd'hui encore (attention à l'étiquette "Godardo-straubiens" !). Burdeau a écrit un bon papier à l'époque (CDC#622, pp 8-9), une des rares fois où il est monté au créneau face à l'idiotie ambiante. Je trouve vraiment curieux que Rancière réutilise cette expression, surtout de cette façon-là, il l'utilise de façon tout à fait anodine, un peu fataliste, je persiste, comme s'il n'y avait rien eu derrière, en vérité tout un faux système qui a notamment attaqué le travail de Rancière (l'article de Thoret dans Panic). Rancière ne semble pas avoir de temps à perdre avec ça et met beaucoup plus d'énergie à attaquer, à mon avis, des formes beaucoup plus "anodines", en tout cas moins "néfastes", de critique.

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Message par Borges Mer 10 Déc 2008 - 16:12

Souvenirs, souvenirs



JM : Vous attendez-vous a voir Sarkozy venir défiler parmi les stars au cours de ces quinze jours de festival ? Il semble que cela conviendrait assez bien à l’image de super-star qu’il a l’intention de donner de lui ?

Les Cahiers : Sarkozy n’est pas une star, et il ne défile pas, il jogge.

JM : Le dernier papier d’Emmanuel Burdeau sur son journal de Cannes laisse entrevoir une résistance nécessaire de plus en plus vive à Cannes des critiques qui revendiquent un travail sérieux face aux fantoches. Comment organisez-vous cette résistance, elle se fait autour des discussions après-séances, etc ?

Emmanuel Burdeau : Résistance est toujours un mot un peu fort, et un peu général. Mais le travail peut se faire en effet à l’occasion de discussions publiques, dans les articles, partout où nous sommmes sollicités, sur tous les fronts, pour employer encore un mot trop fort.

Chloé : Que pensez vous des chansons d’amour ?

Les Cahiers : En général, nous y sommes favorables, quant au film de Christophe Honoré, il a au moins compris quelque chose : il est l’un des premiers à user librement, de manière décomplexée, de l’héritage issu de la nouvelle vague. Il le fait avec un peu de facilité, mais ça va sans doute ouvrir la porte à d’autres. L’autre cinéaste à faire un peu la même chose, c’est François Ozon.

VincentDel : Je ne comprends pas bien pourquoi des films sont en compétition, et d’autres sont plutôt réservés à La Quinzaine des réalisateurs, à Un Certain regard ou à la Semaine internationale de la critique. En quelques mots, pourriez-vous expliquez comment cela se fait, ce sont Gilles Jacob et le délégué artistique de Cannes, Thierry Frémeaux, qui décident ? En fait, comment est orchestrée "la machine cannoise" ? Par moments, j’ai l’impression qu’elle s’apparente à la Matrice dans le film culte des frères Wachowski, c’est ça ???

Stéphane Delorme : Thierry Frémeaux ne s’occupe que de la sélection officielle (Compétition, hors compétition et un certain regard). Olivier Pere est le directeur artistique de la Quinzaine et Jean-Christophe Berjon, celui de la Semaine.

VincentDel : L’appellation "films de festival", ça vous inspire quoi ? Elle vous agace (Jean-Michel Frodon, une fois, pour un édito des Cahiers avait titré DEGUEULASSE !) ou vous la comprenez ? Par exemple, en ce qui concerne des Almodovar, des Emir Kusturica ou des Tarantino ?

Jean-Philippe Tessé : Les cinéastes que vous citez, précisément, ne rentrent pas dans la catégorie. A mon sens, le cinéma de festival, c’est un cinéma qui n’existe pas ailleurs, et qui, dans leur versant pénible, se confondent avec le "world cinéma". Il n’est pas rare, à Cannes ou ailleurs, de sortir d’une projection exténué et râleur, avec un mot à la bouche : "film de festival", c’est à dire film fait pour un festival. Une certaine internationale de la médiocrité ; je n’en ai pas vu cette année, pour l’instant, mais on n’est là que depuis trois jours. Wait and see.

Témoure : Est-il normal que Kusturica soit sélectionné à Cannes pour chacun de ses nouveaux films, d’autant plus qu’il fait toujours le même ?

Emmanuel Burdeau : Qu’il y ait un académisme, un auteurisme international, des paresses, des facilités, et des passe-droit pour certains auteurs, notamment à Cannes, c’est une évidence. Cela dit, il y a quelque inquiétude à voir monter la plainte contre, précisément, ce cinéma-là, comme s’il était responsable d’une mauvaise santé générale. Les choses sont heureusement plus compliquées que ça, et les aventures esthétiques demeurent fragiles.

Cyril Neyrat : Un tel discours risque fort, surtout aujourd’hui, d’alimenter une sorte de poujadisme, la défense d’un cinéma pour lequel le seul critère serait la sanction du public.

Stéphane Delorme : D’autant plus que ces films-là sont souvent plébiscités par le public des festivals. Donc, prudence.

JM : Il faudra revenir sur cette idée de l’usage décomplexé de la nouvelle vague parce qu’il y a quelque chose qui m’échappe. Je ne cesse de me demander par exemple s’il est si bon que ça qu’un cinéaste comme Kitano se soit familiarisé avec le travail de Godard et l’amène dans ses films, je veux dire pour un vrai cinéaste qui a des idée bien personnelles au départ pas comme Honoré qui fait avec la nouvelle vague parce qu’il ne sait visiblement pas vraiment quoi faire sans elle.

Taoufilou : Après la montée des marches de Jude Law, la palme donnée à Michael Moore puis celle donnée à Ken Loach pour deux films qui, nous sommes d’accord là dessus, ne resteront certainement pas dans les annales : ne pensez-vous pas que le festival de Cannes est en net déclin ?

VincentDel : Je prends les paris, à l’instinct, je sens que c’est Soom / Souffle de Kim Ki-duk qui va avoir la Palme d’Or ou La Forêt de Moragi de Naomi Kawase, en tout cas un film asiatique, je le pressens, pas vous ? (Mais je ne suis ni Paco Rabanne ni Elizabeth Tessier !!)

Les Cahiers : Dernière question

Socratizer : Bazin écrivait (à propos de De Sica, je crois) que le cinéma est l’art même de l’amour ; cette pensée est-elle encore vivante à travers le prisme de ce cannes-à-soi ?

Les Cahiers : Wong Kar-wai aurait pu l’écrire ; Bazin, c’est moins sûr. Mais enfin, ne faisons pas de Wong notre tête de turc.

Les Cahiers : A demain, sans doute avec Nicolas Klotz. Et dès demain matin, troisième journal.
Bonsoir.








http://www.cahiersducinema.com/article1109.html
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Message par Invité Mer 10 Déc 2008 - 16:48

Ouais, ça me rappelle des choses.. pas si anciennes..

Comment saisissez-vous la phrase suivante de Rancière, après sa remarque à propos de la diffusion du film de Costa? Je ne suis pas certain de bien comprendre.

"Un film politique aujourd'hui, cela veut peut-être aussi dire un film qui se fait à la place d'un autre, un film qui montre sa distance avec le mode de circulation des paroles, des sons, des images, des gestes et des affects au sein duquel il pense l'effet de ses formes."

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Message par Invité Jeu 11 Déc 2008 - 14:47

A propos de Godard, Rancière persiste et signe dans le Télérama de cette semaine (#3074) :

Un art critique est donc encore possible aujourd'hui ?
Oui, à condition de bousculer le stéréotypes et de changer la distribution des rôles. Souvenez-vous par exemple de la phrase un peu provocatrice de Godard, qui disait que l'épopée est réservée à Israël et le documentaire aux Palestiniens. Que voulait dire Godard ? Que la fiction est un luxe, et que la seule chose qui reste aux pauvres, aux victimes, c'est de montrer leur réalité, de témoigner de leur misère. Le véritable art critique doit déplacer ce type de partage fondamental. Certains artistes s'appliquent d'ailleurs à le faire. Le dessin animé Valse avec Bachir, par exemple, subvertit la forme documentaire. Et l'artiste Pedro Costa aussi, lui qui filme des immigrés et des drogués dans les bidonvilles de Lisbonne en leur permettant de construire une parole à la hauteur de leur destin, en rendant la richesse matérielle de leur monde.

C'est à se demander si Rancière a regardé "Notre Musique" ou pas, s'il connait même un peu le travail de Godard. C'est quand même assez effarant les raccourcis qu'empruntent parfois sa pensée, c'est vraiment ce que dit Borges sur le forum, dire des trucs pareil c'est vraiment à la portée de "n'importe qui". Si c'est ça éviter le jugement de maîtrise, s'abstenir de jouer les experts, réduire à ce point la pensée et le travail des autres, autant se taire. "Valse avec Bachir" c'est du véritable art critique parce que ça déplace le partage documentaire/fiction. Ah bon. J'ai pourtant l'impression que la fiction pour les vainqueurs et le documentaires pour les "victimes" (pour reprendre le terme de Rancière et non de Godard) soit au contraire là plutôt que chez Godard bien présente. Bien sûr c'est un peu plus compliqué que cela, puisqu'il s'agit de montrer que les vainqueurs sont aussi parfois leurs propres victimes. Mais le brouillage du partage n'est pas entre documentaire et fiction, il est interne aux vainqueurs ET à la fiction.

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Message par Borges Jeu 11 Déc 2008 - 16:06

LOL

Ca me fait rire, parce que si l'on voit des « Arabes » dans le film de Folman, c'est bien la pauvre femme qui pleure à la fin, et les dingues de Bachir...des monstres et des victimes; le beau partage, qui tranche tellement avec les stéréotypes et la distribution des rôles en usage, et en vigueur ; ça va pas fort dans la tête de notre ami Rancière...il est vrai qu’on sait plus très bien si c’est un documentaire ou un dessin animé ; je sais pas si le mec a vu les films d’animation où l’on mélange des « êtres dessins animés » et des êtres « réels », les grands classiques de Disney par exemple.

On peut se demander si Rancière lui-même ne cherche pas à échapper à une certaine distribution des rôles, en se faisant passer pour idiot ; bousculer les stéréotypes et changer la distribution des rôles, oui, c'est simple, on fera des riches des pauvres, des dominés des dominants, des hommes des femmes… et pourquoi pas aller plus loin, vraiment loin, et faire un truc où les Nazis sont exterminés par des Juifs, des homos, des communistes, des Tziganes...des « malades »…

Le problème ici encore est que Rancière utilise le terme fiction dans au moins trois sens...dans son sens fort la fiction (fingere) ne se distingue pas du documentaire, plus et mieux, le documentaire est la fiction dans son essence ; je pense ici au texte sur Marker, dans « La Fable Cinématographique » : "Un film "documentaire" n'est pas le contraire d'un film de "fiction", du fait qu'il nous montre des images saisies dans la réalité quotidienne ou des documents d'archives sur des événements attestés au lieu d'employer des acteurs pour interpréter une histoire inventée. Il n'oppose pas le parti pris du réel à l'invention fictionnelle. Simplement le réel n'est pas pour lui un effet à produire. Il est un donné à comprendre. Le film documentaire peut donc isoler le travail artistique de la fiction en le dissociant de ce à quoi on l'assimile volontiers : la production imaginaire des vraisemblances et des effets de réel. Il peut le ramener à son essence (...)"


C'est tout de même con, ce que raconte Rancière dans ce passage; Folman fait précisément ce qu'il reproche à Godard, il identifie les victimes (Arabes) au réel, à l'image documentaire, et il identifie la victime à l'existence infra politique du cri, de la douleur, de la plainte...l’art est du côté israélien, le réel, la souffrance, la politique, le religieux… du côté Arabe ; tout le film tient dans la formule de l’un des soldats : « Bashir was to them like David Bowie was to me. He was their idol. »


J'avais mis de côté pas mal de conneries dans le dernier Rancière, me disant que c'est juste des effets de la fatigue, mais là, je vois que le mec est plutôt en grande forme dans la redistribution des rôles...


Dans « le spectateur émancipé », parlant des « émeutes » n’utilise-t-il pas l’expression « conflits ethniques » ou quelque chose d’approchant ? Ne dit-il pas qu’il ne faut pas filmer, photographier le grand mur de séparation en Israël mais des trucs plus minuscules, qui captent notre attention… ?
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Message par Borges Jeu 11 Déc 2008 - 16:08

Faudra revenir sur tout ça, dans le prochain numéro.
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Message par Invité Jeu 11 Déc 2008 - 17:15

Borges a écrit:
On peut se demander si Rancière lui-même ne cherche pas à échapper à une certaine distribution des rôles, en se faisant passer pour idiot ; bousculer les stéréotypes et changer la distribution des rôles, oui, c'est simple, on fera des riches des pauvres, des dominés des dominants, des hommes des femmes… et pourquoi pas aller plus loin, vraiment loin, et faire un truc où les Nazis sont exterminés par des Juifs, des homos, des communistes, des Tziganes...des « malades »…

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Message par Invité Jeu 11 Déc 2008 - 18:00

Encore un extrait :

On croule effectivement, depuis des mois, sous les diagnostics sur la crise. Mais peut-on vraiment en parler autrement ?
Je n'aime pas le discours de la crise. Non seulement c'est devenu un concept global - les démocraties sont en crise, l'art est en crise, etc -, mais il interprète toute situation sur le mode médical. Si on parle d'une crise des banlieues, par exemple, on désigne par avance un "groupe à problèmes", un objet de crainte et d'étude pour une médecine intellectuelle et sociale. Il n'y a pas de crise de la démocratie, mais un déficit de démocratie, ce n'est pas la même chose ! Il faut sortir de ces explications et mettre en valeur, partout, ce qui s'invente comme forme de vie, comme création, comme discours. Le collectif d'artistes Campement urbain, qui a pris la question des banlieues complètement à revers, y réussit d'ailleurs très bien : au lieu de parler de délitement social, il est parti du constat que le problème n'est pas le manque de lien social, dans les banlieues, mais le manque de lien social "libre". Des liens sociaux, il y en a trop - ce qu'il faut réveiller, c'est la possibilité d'être seul ! Ces artistes ont donc travaillé à la création d'un lieu où chacun puisse rester seul - situation rarissime dans les conditions de promiscuité que connaissent les habitants des cités.

"Trop de lien social", diagnostic que fait Rancière seul dans son fauteuil (et aussi sans doute les politiques successives qui ont cassé ce qu'ils pouvaient du peu de structures sociales en banlieue), promiscuité, voici les principaux maux que rencontrent nos banlieusards dans leur quête de l'émancipation. C'est osé.

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Message par Borges Jeu 11 Déc 2008 - 18:51

Rien de neuf, sinon qu'il déplace ses analyses dans les banlieues...et ça sonne étrange... pour un peu il partirait en croisade pour libérer les individus pris dans des liens familiaux trop forts, la religion, les traditions, les familles nombreuses, le manque d’espace… ce qui n’est pas faux, d’un certain point de vue ; mais comment peut-il le penser sans passer du côté des Maîtres savants…de ces fameuses élites contre qui il ne cesse de défendre le peuple ?


A propos du film réalisé à partir du projet « Campement urbain » : « Dans un film lié à ce projet, Sylvie Blocher a montré des habitants avec un tee-shirt portant une phrase choisie par chacun ou chacune d’entre eux, quelque chose comme leur devise esthétique. Parmi ces phrases, je retiens celle-ci où une jeune femme voilée dit avec ses mots ce que le lieu propose de mettre en forme : « je veux un mot vide que je puisse remplir ».

Il est allé le chercher loin son exemple, « une jeune fille voilée » rien de moins, rien de « stéréotypique », qui réponde au mode du partage du sensible dominant, consensuel…ça c’est de la reconfiguration…

Vraiment je sais pas…



V. Woolf raconte ça mieux, la nécessité d'un espace à soi... d'une chambre à soi...


N’oublions pas que Rancière a toujours défendu l'individualisme... et une certaine forme de communauté ; cf. son texte sur A Mann...



Il faut mettre en valeur, partout, ce qui s'invente comme forme de vie, comme création, comme discours

Ce qui n'est pas faux, on entend souvent ça, par exemple à la télé...
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Message par Eyquem Sam 13 Déc 2008 - 12:12

Au cas où l'entretien ne resterait pas en ligne, je le poste ici :

Le philosophe Jacques Rancière : “La parole n’est pas plus morale que les images”

Dans une société qui oppose les experts à “ceux-qui-ne-comprennent-pas”, le philosophe Jacques Rancière, auteur du “spectateur émancipé” insiste sur la nécessité de réhabiliter la capacité de penser de chacun. Et démonte quelques clichés comme la valeur critique de l’art, l’utilité des intellectuels ou l’opposition entre parole et image.

Jacques Rancière est un perceur de fenêtres. Il ouvre des brèches lumineuses dans un monde des idées pris en étau entre le détachement cynique et l'empilement de « diagnostics » sur les maux de notre société. Politique, esthétique, éducation : quel que soit le terrain, il cultive depuis trente ans une même philosophie, celle de l'émancipation. Une philosophie qui rompt avec la distinction ancestrale entre « savants » et « ignorants » – entre « ceux qui expliquent » et la masse qui les écoute – et fait briller l'idée d'une participation de tous à l'exercice de la pensée. Car « les incapables sont capables », répète souvent l'auteur du magnifique Maître ignorant (1987). Simplement, repérer leurs capacités et leurs compétences exige un « déplacement du regard ». Dans son dernier essai, Le Spectateur émancipé, Jacques Rancière (68 ans) explore justement ce regard pour démonter un des grands clichés de notre temps, celui de « l'homme aliéné par l'excès d'images ». Et pour nous aider à ajuster notre vision.


Dans votre dernier essai, Le Spectateur émancipé, vous avancez l’idée que la capacité critique de l’art, et du coup sa faculté de mobilisation, sont aujourd’hui en berne. Qu’entendez-vous par là ?
Il fut un temps où l'art portait clairement un message politique et où la critique cherchait à déceler ce message dans les œuvres. Je pense à l'époque de Bertolt Brecht, par exemple, où le théâtre dénonçait explicitement les contradictions sociales et le pouvoir du capital, ou aux années 1960 et 1970, quand s'est développée la dénonciation de la société du spectacle, avec Guy Debord : on pensait alors qu'en montrant certaines images du pouvoir – par exemple un amoncellement de marchandises ou des starlettes sur les plages de Cannes – on ferait naître chez le spectateur à la fois la conscience du système de domination régnant et l'aspiration à lutter contre. C'est cette tradition de l'art critique qui, selon moi, s'essouffle depuis vingt-cinq ou trente ans.

Il ne suffirait donc plus de montrer ce qu’on dénonce pour faire descendre les gens dans la rue ?
Le problème est que ça n'a jamais suffi. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, on se disait : montrons le vice et la vertu au théâtre, cela incitera les hommes à fuir le premier et à honorer la seconde. Dès le XVIIIe, pourtant, Rousseau a montré que ça ne marchait pas : si les spectateurs prennent plaisir à la représentation du vice, on imagine mal qu'ils s'en détournent après la pièce. Et si certains ont plaisir à voir la vertu sur scène, cela ne signifie pas qu'ils se réjouiront de la pratiquer dans la réalité. Peu à peu, on a mis en évidence qu'il n'y avait aucun effet direct entre l'intention de l'artiste et la réception du spectateur. Plus proche de nous, voyez les montages de l'artiste Martha Rosler, qui insérait des photos de la guerre du Vietnam – en l'occurrence un homme portant un enfant mort – dans des publicités pour des intérieurs américains. Bel exemple d'« art critique » qui espère vous faire réagir ! Pourtant, cette œuvre ne vous mobilise que si vous êtes déjà convaincu, d'une part, que ce qui est critiqué dans l'image est l'impérialisme américain, d'autre part que les Américains sont impérialistes. Sinon, vous avez l'impression d'être devant une image de propagande.

Pourquoi ?
Parce que ce type de représentations « critiques » suppose un système cohérent d'explication du monde : tant que le marxisme offrait ce système et un horizon pour l'Histoire, les pièces de Brecht ou les images dénonçant la société de consommation faisaient effet. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. D'abord, ces images « critiques » sont omniprésentes dans la société contemporaine : quelle expo n'offre pas son étalage de marchandises chargé de nous faire découvrir les horreurs de la consommation ? Ou ses icônes médiatiques en résine censées nous révéler la vérité sur le « spectacle » ? Mais elles ne révèlent rien du tout : tout le monde est conscient que la marchandise est partout ! Jeff Koons à Versailles ou un artiste comme Paul McCarthy ont beau nous inonder de Pinocchio et d'ours en peluche censés nous alerter contre l'empire du spectacle, ça ne fonctionne pas. Il n'y a plus rien à révéler. Koons à Versailles, c'est la grosse entreprise artistique accueillie par la grosse entreprise culturelle de l'Etat, l'art « critique » devenu officiel, deux entreprises qui traitent de puissance à puissance.

Mais s’il n’y a plus rien à révéler, à quoi sert l’art critique ?
Pour certains, comme Baudrillard, tout est apparence et il n'y a rien à « sauver ». Ils annoncent du même coup l'échec et la fin de la dénonciation des apparences sur laquelle reposait l'art critique. Je ne partage pas leur analyse : je ne pense pas que tout soit apparence, « écran » ou « communication », et je reste persuadé, au contraire, que les formes de la domination sont aussi solides aujourd'hui qu'hier. C'est plutôt le système d'explication du monde et l'idée d'une action politique fondée sur cette vision du monde qui ont perdu de leur crédibilité.

Un art critique est donc encore possible aujourd’hui ?
Oui, à condition de bousculer les stéréotypes et de changer la distribution des rôles. Souvenez-vous par exemple de la phrase un peu provocatrice de Godard, qui disait que l'épopée est réservée à Israël et le documentaire aux Palestiniens. Que voulait dire Godard ? Que la fiction est un luxe, et que la seule chose qui reste aux pauvres, aux victimes, c'est de montrer leur réalité, de témoigner de leur misère. Le véritable art critique doit déplacer ce type de partage fondamental. Certains artistes s'appliquent d'ailleurs à le faire. Le dessin animé Valse avec Bachir, par exemple, subvertit la forme documentaire. Et l'artiste Pedro Costa aussi, lui qui filme des immigrés et des drogués dans les bidonvilles de Lisbonne en leur permettant de construire une parole à la hauteur de leur destin, en rendant la richesse matérielle de leur monde.

Le statut de l’image fait aussi débat dans les médias. Partagez-vous le scepticisme ambiant, qui affirme que nous sommes noyés sous les images, et que celles-ci sont trop souvent violentes, voire intolérables ?
Pas du tout. Quand je regarde la télévision – et plus précisément les informations –, je vois beaucoup de gens qui parlent, et très peu d'images, au fond, de la réalité. C'est le défilé des experts, des gens venus nous dire ce qu'il faut penser du peu d'images qu'on voit ! Il suffit de voir l'importance que le mot « décrypter » a prise dans les médias. Et que nous disent ces experts ? A peu près ceci : « Il y a trop d'images intolérables, on va vous en montrer un tout petit peu, et surtout on va vous les expliquer. Parce que le malheur des victimes, n'est-ce pas, c'est qu'elles ne comprennent pas très bien ce qui leur arrive ; et votre malheur à vous, téléspectateurs, c'est que vous ne le comprenez pas plus. Heureusement, nous sommes là. »

On justifie souvent cette primauté de la parole en déclarant qu’on ne peut pas tout montrer, qu’il y a un « irreprésentable » de l'image. En revanche, tout peut être raconté...
On connaît l'argument : l'image serait obscène parce qu'elle voudrait nous donner la chose, alors que la parole, elle, marquerait de la distance avec la chose même. Je crois pourtant qu'en matière d'horreurs la parole et l'image doivent être mises sur le même plan. Si vous voulez évoquer l'extermination des Juifs d'Europe, que vous fassiez appel à des images prises par des Sonderkommandos à Birkenau (comme ce fut le cas lors d'une exposition au centre Pompidou il y a quelques années) ou que vous fassiez appel au récit des gardiens du camp, vous n'obtiendrez de toutes les façons qu'une représentation de l'horreur. On voit bien, dans le film Shoah, de Claude Lanzmann, que la parole et l'image fonctionnent de la même manière – et ce quoi qu'en pense le réalisateur. Car la mise en scène de la parole des témoins cherche à transmettre la réalité comme si l'événement était là, présent. Quand l'ancien barbier de Treblinka s'arrête de parler et qu'il se met à pleurer, il dit au fond : « La chose est là, réellement là, et je ne peux plus en parler. » Et c'est le silence, paradoxalement, qui devient éloquent – mais il n'est éloquent que parce que le film fonctionne comme avec des images : gros plans, larmes qui coulent, et le barbier qui s'essuie le visage. On ne montre pas les corps empilés, c'est vrai, mais on prétend donner la sensation de l'événement qui revient. Au final, la parole n'est pas plus « morale » que les images. Elle est au même régime qu'elles, elle « fait image », elle aussi. Elle fait voir à sa manière.

Comment bouleverser ce rapport de force entre la parole et l’image ?
Il n'y a pas de formule magique, mais on peut y parvenir en évitant les oppositions simplistes. Après tout, la posture « parole contre image » est aussi une forme du discours dominant ! L'important, je crois, est le statut des corps mis en images, des corps mis en discours. Un artiste chilien, Alfredo Jaar, a consacré plusieurs installations aux massacres du Rwanda sans jamais montrer l'image directe d'un corps supplicié. Sa première intervention consistait à envoyer des cartes postales à des amis pour leur dire que X ou Y – des individus que ne connaissaient pas ses correspondants – étaient encore en vie. Dans une seconde installation, il utilisait des images de Tutsi massacrés qu'il mettait dans une boîte. L'image était cachée, mais il y avait le nom et l'histoire de la personne sur la boîte. Jaar montrait ainsi que ce million de victimes était un million d'individus, que l'on n'avait pas affaire à une masse prédestinée au charnier mais à des corps qui portent la même humanité que nous.

Art ou information, l’important est donc de savoir de quelle humanité on parle, et à quelle humanité on s'adresse ?
Soit on montre les autres comme une masse visuelle indistincte et souffrante, soit on les montre comme des individus avec une histoire, un corps capable de parler ou de se taire, d'exhiber (ou pas) les marques de sa peine et de ses souffrances.

Quel peut être le rôle de l’intellectuel dans ce dispositif ?
La position des intellectuels n'est pas très intéressante dans la société française. Après les événements de 1968, les gouvernements, débordés, ont compris que leurs outils de compréhension de la société n'étaient plus adaptés. On a alors commencé à donner de l'importance à une parole intellectuelle « symptomatique » : les intellectuels sont devenus des spécialistes des symptômes, des médecins qui font des diagnostics, qui déplorent et jouent les oracles, mais ne soignent pas. On les interroge, on les cite, mais ils sont priés de ne proposer aucun remède ! Ils sont là pour dire que la société est malade… et le répéter encore et encore, en convoquant tous les lieux communs par lesquels, depuis très longtemps, les élites déclarent la maladie de leurs contemporains.

Face aux discours des « experts » et des intellectuels, qu’apporte la philosophie ?
Ça dépend de ce qu'on entend par philosophie. Ma perception et ma pratique, en tout cas, s'opposent totalement à l'idée qu'elle doive produire des diagnostics. La philosophie est une activité qui déplace les compétences et les frontières : elle met en question le savoir des gouvernants, des sociologues, des journalistes, et tente de traverser ces champs clos. Surtout, sans jouer les experts ! Car ces « compétences » sont une manière de rejeter ceux qu'on dira « incompétents », alors que le philosophe cherche justement à mettre en évidence la capacité de penser de chacun. Son but est de sortir de cette vieille tradition intellectuelle qui consiste à expliquer à « ceux-qui-ne-comprennent-pas » et de mettre en valeur des capacités d'intelligence qui appartiennent à tous, sont exerçables par tous.

On croule effectivement, depuis des mois, sous les diagnostics sur la crise. Mais peut-on vraiment en parler autrement ?
Je n'aime pas le discours de la crise. Non seulement c'est devenu un concept global – les démocraties sont en crise, l'art est en crise, etc. –, mais il interprète toute situation sur le mode médical. Si on parle d'une crise des banlieues, par exemple, on désigne par avance un « groupe à problèmes », un objet de crainte et d'étude pour une médecine intellectuelle et sociale. Il n'y a pas de crise de la démocratie, mais un déficit de démocratie, ce n'est pas la même chose ! Il faut sortir de ces explications et mettre en valeur, partout, ce qui s'invente comme formes de vie, comme création, comme discours. Le collectif d'artistes Campement urbain (1), qui a pris la question des banlieues complètement à revers, y réussit d'ailleurs très bien : au lieu de parler de délitement social, il est parti du constat que le problème n'était pas le manque de lien social, dans les banlieues, mais le manque de lien social « libre ». Des liens sociaux, il y en a trop – ce qu'il faut réveiller, c'est la possibilité d'être seul ! Ces artistes ont donc travaillé à la création d'un lieu où chacun puisse rester seul – situation rarissime dans les conditions de promiscuité que connaissent les habitants des cités.

Vous enseignez dans plusieurs pays, notamment aux Etats-Unis. Que vous inspire l’élection de Barack Obama ?
Je ne veux pas jouer les experts, vous l'aurez compris. Je dirai simplement deux choses. D'une part, que cette élection est marquée par un excès du symbolique sur ce qu'on peut attendre réellement du nouveau président : le fait qu'il soit noir ne changera pas radicalement, en effet, la conduite de l'économie ou des relations extérieures américaines. En revanche, l'enjeu est fort pour ceux qui, depuis toujours, sont classés outre-Atlantique dans la catégorie des « incapables ». C'est bien cela qu'elles signifiaient, ces longues files de Noirs allant voter : l'affirmation d'une capacité par cette communauté, l'affirmation de cette idée qu'on est noir et capable de gouverner le plus grand Etat du monde !

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Propos recueillis par Olivier Pascal-Moussellard
Télérama n° 3074
(1) Collectif fondé en 1997 qui cherche à décloisonner les pratiques artistiques et les savoirs pour les mêler aux apports des habitants et des acteurs locaux.

A lire :

Le Spectateur émancipé, éd. La Fabrique, 146 p., 13 €.
Le Maître ignorant, Cinq leçons sur l'émancipation intellectuelle, éd. 10/18, 234 p., 7,40 €.
La Haine de la démocratie, éd. La Fabrique, 106 p., 13 €.
Eyquem
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Message par Invité Sam 13 Déc 2008 - 12:13

Borges a écrit:Il faut mettre en valeur, partout, ce qui s'invente comme forme de vie, comme création, comme discours

Hello Borges,

C'est un refrain qui sonne très "libéral".

Bien entendu, je suis d'accord avec Rancière, dans un sens, il y a certains liens sociaux qui étouffent. Ce qui me gêne un peu, c'est ce "trop", générique. J'ai l'impression que l'utilisation de ce "trop" (qui n'est pas la même chose que le "manque de lien social "libre"") par Rancière trahi un peu le projet "campement urbain", j'ai peut-être tort, il faudra que je me renseigne plus à propos de ceci. Ces liens sociaux étouffants son esquivés par Rancière (parce que ça le ramènerait très probablement, comme tu dis, assez prêt de ses ennemis), comme toute raison politique qui les voit éventuellement se raviver, toute critique de la politique sociale de l'état (de quelque bord politique qu'il soit) est évacuée. Les "solutions viendraient d'"artistes" et de "leurs" créations émancipatrices plutôt que d'une politique étatique. C'est là, sans doute, que Rancière est le plus original, et aussi le moins évident à suivre.

I Autour du nouveau livre de Jacques Rancière, Jesuisunaventurier074

Merci Eyquem pour l'entretien intégral. Bon, la dernière remarque à propos de l'élection aux USA, on ne sait pas trop à quelle époque il en est resté, la question des noirs-américains ne se pose plus vraiment en terme de "capables" ou d'"incapables" depuis belle lurettes à mon avis. Enfin, bon je sais pas.. Plutôt que de nous parler des élections, Rancière nous parle d'Obama, pourquoi pas..la question était là-dessus après tout.

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Message par Borges Sam 13 Déc 2008 - 12:41

Hello

Merci Eyquem...

J'ai le sentiment qu'il tourne un peu en rond, Rancière.

Un peu débile son truc sur Obama, les élections et tout ça...



C'est bien cela qu'elles signifiaient, ces longues files de Noirs allant voter : l'affirmation d'une capacité par cette communauté, l'affirmation de cette idée qu'on est noir et capable de gouverner le plus grand Etat du monde !


Eyquem "Noir" ou "noir"?
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Message par Eyquem Sam 13 Déc 2008 - 13:38

Eyquem "Noir" ou "noir"?

lol
C'est un entretien : à l'oral, ce n'est ni l'un ni l'autre
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Message par Invité Sam 13 Déc 2008 - 13:44

Eyquem a écrit:
Eyquem "Noir" ou "noir"?

lol
C'est un entretien : à l'oral, ce n'est ni l'un ni l'autre

Comment cela, ils ne feraient pas relire l'entretien à l'interviewé avant de le publier à Télérama !? Pas sérieux du tout ça, pas pro. Evil or Very Mad

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Message par Eyquem Sam 13 Déc 2008 - 13:47

(c'est leur secret pour tenir un rythme d'enfer : un numéro par semaine !)
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Message par Invité Dim 14 Déc 2008 - 11:25

J'ai posté ici l'interview des inrocks :

http://issuu.com/marcomus/docs/article_jacques_ranci-re_-_les_inrocks

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Message par Invité Dim 14 Déc 2008 - 11:43

_Marco a écrit:J'ai posté ici l'interview des inrocks :

http://issuu.com/marcomus/docs/article_jacques_ranci-re_-_les_inrocks

Merci Marco, je vais aller lire ce nouvel entretien.

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Message par Borges Dim 14 Déc 2008 - 13:32

Merci Marco,

C'est un peu plus sérieux, comme entretien, même si ça ne casse pas la baraque...j'aime bien; je retrouve un peu du Rancière que j'aime...

(Je l'avais vu chez GD, à la télé, il avait été absolument catastrophique)


Wink
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Message par DB Lun 15 Déc 2008 - 11:03

Un peu plus consistant l'article/entretien des Inrocks.

On y voit des choses intéressantes.

Les gars, les filles, Rancière pour vous ça représente quoi ?
DB
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