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Vous n'avez encore rien vu (Resnais)

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Message par Eyquem Jeu 9 Juin 2011 - 16:22

Depuis que j'ai entendu parler du prochain Resnais, j'y pense : ce sera une adaptation de l'Eurydice d'Anouilh (pas lu, pas pressé). Y aura pas une Eurydice, mais deux ; et aussi deux Orphée.
Le personnage dans le cinéma de Resnais est précisément lazaréen parce qu'il revient de la mort, du pays des morts ; il est passé par la mort et il naît de la mort... Il est passé par une mort clinique, il est né d'une mort apparente, il revient des morts...

"Vous n'avez encore rien vu" : je trouve ce titre génial.



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LUI - Tu n'as rien vu, à Hiroshima.
ELLE - J'ai tout vu. Tout.
Une vieille question chez Resnais...


Dernière édition par Eyquem le Jeu 5 Avr 2012 - 21:27, édité 1 fois
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Message par Rotor Ven 10 Juin 2011 - 14:21

Connaissez-vous "L'amour à mort" de Resnais ?
Le sujet du film est précisément l’obsession de la mort que traverse un homme suite à une expérience de retour après une sorte de coma.
Un très beau film sur l'attirance, le vertige et comment rester fidèle à l'amour morbide.
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Message par Largo Ven 10 Juin 2011 - 14:53

Ouep, vu il y a un moment déjà. Un film où il neige tout le temps, comme dans Coeurs non ?
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Message par Rotor Ven 10 Juin 2011 - 15:18

Effectivement, il y a de la neige dans les plans de coupe. Mais le film est essentiellement construit autour d'un dialogue/débat entre deux couples qui ont des représentations différentes de l'amour.
Et le sujet est "lazaréen" comme dans la citation d'Eyquem.

Donc, il semblerait que le futur Resnais reprenne un thème ancien, déjà abordé dans l'oeuvre du cinéaste.

En fait, il n'y a de la neige que dans les interludes entre deux scènes. Et c'est effectivement, le même procédé que dans "Coeurs".

Je te sens vaguement réticent envers le film, ton commentaire paraît légèrement ironique. Me trompe-je ?
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Message par Invité Ven 10 Juin 2011 - 18:51

la lecture de Pauline Kael m'a beaucoup inflencé au sujet de Resnais et m'a enfin permis de qualifier son cinéma : parfaitement nul.

un cinéaste qui emploie régulièrement deux acteurs aussi calamiteux que Sabine Azéma et surtout, surtout, Pierre Arditi, ne mérite pas que je m'y arrête.

voilà. c'est dit.

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Message par Eyquem Ven 10 Juin 2011 - 18:56

Salut,
Un film où il neige tout le temps
C'est de la neige et c'est pas de la neige. Si mes souvenirs sont bons (mais c'est peut-être une légende, de celles qu'on trouve dans les bonus de DVD), Resnais voulait juste des écrans noirs et de la musique, comme intervalles entre les scènes. Mais on lui dit que l'écran noir, au fil des projections, se couvrirait de petites rayures, de poussières, qui l'éloigneraient avec le temps du noir idéal, absolu, que Resnais avait en tête. Et c'est pour devancer et dissimuler cette usure qu'il a eu l'idée d'inclure des nuages de neige dans ces plans intervalaires.

C'est donc pas tout à fait de la neige. Elle ne tombe d'aucun ciel, elle ne recouvre aucun paysage. C'est encore trop dire qu'elle tombe, car il n'y a ni haut ni bas.

Ca pourrait être de la cendre.
Ou de la poussière.
Ou des atomes dansants.



A part ça, c'est un film superbe. Pauline Kael can't help it.
Rotor a écrit:comment rester fidèle à l'amour morbide
C'est le parcours du personnage d'Azéma, mais dans mon souvenir, le film marque sa distance. Je me rappelle notamment cette scène où Azéma dit qu'elle se sent si heureuse qu'elle pourrait mourir tout de suite. Arditi la repousse brutalement, en la traitant d'imbécile.
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Message par Rotor Sam 11 Juin 2011 - 13:00

C'est effectivement le parcours d'Azema, son sacrifice amoureux que rien ne va pouvoir empêcher, pas même l'autre couple de pasteurs, et leur discours religieux, vaguement dogmatique et dépassionné.
Je trouve que c'est un très beau film dans son sujet et ses interrogations. La mise en scène est un peu en retrait. C'est presque de la littérature filmée, mais justement, c'est assez rare.

D'ailleurs, pour répondre à Slimfast, il n'y a pas de mauvais acteurs, uniquement des acteurs mal dirigés. Je crois que même Antoine de Caunes pourrait être bon si tenu par Pialat qui a même réussi à faire jouer Dominique Rocheteau, c'est dire...
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Message par Eyquem Dim 12 Juin 2011 - 21:01

J'ai pas lu l'article de Pauline Kael, j'ai trouvé cet extrait :
Lorsque vous allez voir un film de Resnais, vous prenez pour acquis que seuls son instinct filmique et sa maîtrise technique seront visibles à l’écran. (Il) est le seul réalisateur célèbre pour qui personnages et sujet sont sans intérêt ; c’est un innovateur qui ne sait que faire de ses innovations. La plupart des géants du cinéma n’ont pas su trouver la forme nécessaire pour exprimer tout ce qu’ils avaient dans la tête ; celle de Resnais semble contenir de la forme et rien d’autre. (...) Ce qu’il semble incapable de faire, c’est d’insuffler à ses situations et à ses trucages une émotion qui leur donnerait du sens ; ce ne sont que de jolis tours de passe-passe. Et lorsque la forme prend le dessus et devient obsession, ce n’est pas seulement que tout le reste est absent : tout le reste est nié. Les films de Resnais sont nés d’un mélange intolérable de technique et de culture. Il est porté sur les concepts abstraits (temps, souvenir) et sur une langue à la fois musicale et littéraire maniérée à l’extrême.
Trop formaliste, trop cérébral, pas assez humain, pas assez naturel.

Comme en ce moment, j'écoute que du Ravel ou presque, que je lis des trucs sur lui, je suis tombé sur cette anecdote.
A Ravel aussi, on reprochait son formalisme : trop méticuleux, il pinaille sur chaque mesure : ça sonne pas, ça coule pas, y en a assez de ses chinoiseries, et de ses Impératrices des pagodes.
Tout ça faisait pas transpirer Ravel dans ses chemises pastel. Il balayait ces reproches d'un revers de main : "Mais enfin, est-ce qu'il ne vient pas à l'idée de tous ces gens que je puisse être artificiel par nature ?"


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Message par Rotor Dim 12 Juin 2011 - 23:41

Oui. Avez-vous lu le "Ravel" d'Echenoz ? Où justement le costume mondain du musicien est assimilé à une armure fragile, à un formalisme qui permet de rendre musical le monde.
Je recommande cette lecture, même si le minimalisme de l'écriture touche aux limites de la parole qui n'a plus envie de dire. Et qu'on ressent l'abandon de la grande forme comme une sorte de barrière contre l'expression, le lyrisme.
Mais vous connaissez certainement ce livre blanc que ma mère lisait dans son lit d’hôpital...
Si ce n'est pas le cas, pourquoi pas Debussy ?
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Message par Eyquem Dim 12 Juin 2011 - 23:54

Je l'ai lu (le détail des chemises pastel vient de là), mais je suis pas fan : il en fait trop dans le côté pincé qu'il prête à Ravel. Ravel a beau tenir sa mélancolie en respect, lui imposer d'avoir un peu de tenue et de porter des souliers vernis impeccables, on est quand même pris à la gorge, quand on écoute l'adagio du Concerto en sol, ou "Le gibet", ou le dernier mouvement des Contes de ma mère l'Oye ; on ressent pas ça chez Echenoz.
Pour le côté horloge suisse qui se détraque, je trouve "Les derniers jours d'Emmanuel Kant" de de Quincey beaucoup plus émouvant.
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Message par Invité Lun 13 Juin 2011 - 7:27

il appert fort justement de vos mails que l'oeuvre prime le commentaire.

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Message par Borges Lun 13 Juin 2011 - 8:48

sur ravel, n'ai lu que deux livres; un pas terrible, et celui de Jankélévitch;

on retrouve les trois associés curieusement ici :

"
On pourrait dire de lui ce que Vladimir Jankélévitch écrit de Maurice Ravel : «On vérifie, en écoutant la musique de Ravel, que la France n'est pas toujours le pays de la modération, mais plus souvent celui de l'extrémisme passionné et du paradoxe aigu. Il s'agit d'éprouver tout ce que peut l'esprit dans une direction donnée, de tirer sans faiblir toutes les conséquences de certaines attitudes.»

http://movietone.no-ip.info/Site%20de%20Charlie%20Movietone/alain%20resnais.html



un autre qui n'aimait pas resnais, c'est mourlet :

"je me suis égaré un jour dans une salle où l'on projetait "Hiroshima". C'est ennuyeux, nul et laid. "L'année dernière" c'est un autre "hiroshima". Aucune connaissance de l'acteur, aucun empire sur le décor, les éléments,aucun sens du récit, rien que de pauvres petits essais d'intellectuels qui jouent gravement à faire du cinéma (...) que tant de gens aient subi 90 minutes d'Emmanuelle Riva et d'obscénités atomiques avec le sentiment de vivre une date de l'histoire de l'art, cela m'emplit de stupeur (...)

un long texte sur "l'année dernière", pas con; cinéma obsédé par la mort, cinéma sans vie; d'une "rigidité cadavérique".

il change d'avis sur Resnais à partir de "la vie est un roman", et des films qui le précèdent; même si la mort est encore là, il y a de la vie, grâce à des acteurs, des actrices, comme azéma, de l'émotion; et "l'intelligence est partout".


c'est inquiétant ce changement d'opinion, je trouve; on imagine que si mourlet n'aimait pas le resnais des débuts c'est qu'il devait le situer du côté du "pays légal", pour reprendre cette expression que le critique utilise dans son texte sur rohmer, qu'il adore évidemment :

"On pourrait avancer qu'il en va des films de rohmer comme de la france de maurras : il y a le pays légal et le pays réel. Le pays légal (en 1970), c'est le médiatique, le parisien, l'intelligentsia, la télé, l'avortement, le mlf, la révolution à la godard, "la nouvelle pédagogie"...le pays réel, ce sont des hommes et des femmes qui travaillent, qui fondent un foyer, qui connaissent encore le prix du calme, de l'équilibre, du rythme des saisons."

on connaît tout ça bien entendu...de même que la rhétorique : "Rohmer est le plus moderne, le plus original, et "le plus originellement français, le moins influencé par des styles ou des problèmes étranger à notre génie"

(Mourlet, 264, 229, 78)










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Message par Borges Lun 13 Juin 2011 - 10:13

slimfast a écrit:la lecture de Pauline Kael m'a beaucoup inflencé au sujet de Resnais et m'a enfin permis de qualifier son cinéma : parfaitement nul.


Pauline kael était un drôle de fille ; passionnante à lire ; c’est de la pulp critique ; c’est pas un génie, elle pense pas trop, et s’en tape, c’est pas son propos, elle est contre les intellos, les abstraits, les formalistes, de gauche, surtout, même si elle-même est plutôt politiquement progressiste ;

son principe critique, c’est le plaisir, l’émotion ; et elle ne cherche pas autre chose dans ses textes, donner du plaisir à ses lecteurs, par une approche égocentrique, où elle parle plus d’elle-même que des films ; ce qui n’est pas plus mal, finalement ; c’est plus intéressant que tous ces types qui croient parler du film et qui ne parlent strictement de rien ;

c’est souvent marrant, emporté, excessif ; on s’amuse , parce qu’elle joue à l’hystérique ; c’est une critique façon héroïne d’opéra ; elle hurle de douleur, ou de plaisir ; sans que le bon goût la retienne, même si comme disait nietzsche, pour une fille, ça manque tout de même de profondeur. Quand elle aime, elle aime ; c’est tout ; un peu comme augustin, saint, elle aime et écrit ce qu’elle veut ; et ce qu’elle veut, c’est du plaisir, encore et toujours.

Elle dit ça simplement, sans détours, son expérience du cinéma est de l’ordre du sexe ; « si une dame dit, cet homme ne me donne pas du plaisir, il y a rien à ajouter » ; et ce plaisir n’a rien de kantien, de pur, qu’on s’y trompe pas. En tant que critique, elle s’en tient pas là, évidemment ; elle en rajoute, quand on lui donne pas de plaisir.

Qu’elle aime pas les intellectuels, abstraits (malick, kubrick, antonioni, resnais...) on comprend, ce qu’on comprend pas par contre, c’est pourquoi elle adore certains cinéastes ados, divertissants, et pas d’autres, des machos, et pas d’autres ; vous me direz que ça ne se commande pas ; vrai, ça ne se commande pas ; mais ça intrigue tout de même que la loi du plaisir ne connaisse pas de loi ;

tenez, par exemple, elle n’a jamais supporté eastwood, le fasciste psychotique, mais devient folle, quand il s’agit de Peckinpah ; ce qu’elle écrit sur « les chiens de paille », est tout à fait hallucinant ; elle le dit, c’est un film macho, c’est-à-dire, sexuellement fasciste, c’est sa définition du machisme, un fascisme sexuel, mais elle aime, cette poésie nihiliste.


« le chiens de paille est une oeuvre aboutie, une vision existentielle cohérente (…) tout en étant très laide sur le plan spirituelle (…) elle rabaisse tout le monde, c’est digne d’un fantasme macho, d’anecdotes échangées par des ivrognes…

(faut lire ce texte sans la moindre cohérence, où la critique semble déchirée, ne pas savoir où se situer, ne pas pouvoir choisir entre son amour de SP, et ses convictions politiques, de femme ; il faut surtout lire les paragraphes sur le viol, qui n’en est pas un, vraiment… cette scène qui nous montre les femmes essentiellement attirées par les brutes, les bêtes, les fauves… :

on ne raisonne pas la passion finalement,

on imagine un peu Pauline Kael, dans le rôle de la fille violée, elle sait où est le bien, mais sa passion sexuelle est plus forte, elle partage avec SP : « Je me rends compte écrit-elle que c’est une chose terrible à dire de quelqu’un dont vous admirez le talent qu’il a réalisé un classique fasciste »; elle parle même d’ "évangile néanderthalien » ;

citant le proverbe chinois dont est tiré le titre du film, elle conclue : « ce n’est pas à un sage que nous avons affaire, mais à un démon », (115) ; pas de doute, elle a de la sympathie pour ce démon ; plus sage, elle n’en aurait pas voulu.)

Richard brody lui consacre quelque pages dans son livre sur godard, il cite des passages, très intéressants, sur l’auteurisme; faisant référence à la défense d’auteurs comme fuller, Preminger, ray…. : « ces critiques se donnent beaucoup de mal pour essayer de donner un semblant de respectabilité intellectuelle à leur goût pour des produits commerciaux stupides et répétitifs –le genre de films d’action que les hommes sans attaches et sans racines qui traînent sur la 42ème rue ou dans les quartier louches de nos grandes villes ont toujours préférés, parce qu’ils peuvent y répondre sans penser. (…) la théorie de l’auteur est une tentative de la part de quelques mâles adultes pour justifier qu’ils se contentent de l’expérience limitée de leur enfance et de leur adolescence – cette période où la virilité semble si grande, si importante… »

Quoi dire, en rapprochant ces deux passages ?*


le livre de Brody est un peu décevant, mais il rappelle un élément essentiel, "la création, c'est le vol"; godard est un voyou : en 1952, après avoir perdu le soutien de sa famille, JLG vit d'expédients, d'emprunts, de vols : il vole à son grand-père une toile de renoir, des éditions originales de Paul valéry, d'autres éditions rares à J schlumberger, il prend de l'argent dans la caisse des Cahiers, bossant à la télé suisse, il prend de l'argent dans le coffre, et fait quelques jours de prison...

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Message par Invité Lun 13 Juin 2011 - 14:10

c'est marrant je suis justement en train de lire Le voleur de Darien et moi aussi cette histoire de vol chez Godard m'avait intrigué.

Quant à PK tu as entièrement raison ! ( mais Resnais m'ennuie disons de ....d à ....s ).

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Message par Eyquem Jeu 5 Avr 2012 - 21:27

Arnotte, de FilmdeCulte a écrit:Enfin bref c'est un OFNI total.
1.5/6
Lol. Je suis encore plus impatient.
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Message par Invité Jeu 5 Avr 2012 - 22:27

Pourquoi écrit-il "oFni"? Y pense ptêt à un objet Frite non identifié?

- c'est ne que le début
- phatasmatiques
- Aridit et Wilson

Jamais lu Arnotte dans cet état! A mon avis, aux répètes de la chorale, un plaisantin a mis quelque chose de relou dans sa grenadine...


Pardon, Arnotte. C'était obligé Laughing

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Message par Eyquem Jeu 11 Oct 2012 - 20:48

Apparemment, ce sera le film que personne n'a encore vu...


Je dois bien dire que le film laisse une sale impression. Déjà, on est scié par la laideur d'à peu près tout : la musique, les décors numériques, le texte, le jeu trop souvent outré des acteurs (on regrette les voix blanches de Marienbad ou Muriel, ou la sourdine de Mélo et L’amour à mort)

Les décors numériques (dans la deuxième moitié du film) donnent toujours l’impression que les acteurs flottent dans l’espace, ne sont pas là où on voit qu’ils sont, dans ces pièces immenses, sans dimensions, vides, qui trahissent sans cesse leur immatérialité de fonds verts à peine maquillés ; à la limite, pourquoi pas: ça convient à un tel sujet, à cette idée d'un espace intermédiaire, fantomatique, de non-vie et de non-mort, une sorte d’éther ou de chambre d'échos où viennent mourir indéfiniment les ondes lointaines d’histoires très anciennes, d’Orphée perdant sans fin leurs Eurydice, les retrouvant, les perdant encore, et recommençant tout, sans faiblir, depuis le début, ou depuis n’importe quel bout, puisque rien, dans cette chambre d’échos, n’a début ni fin mais tourne en boucle, se répète, se dédouble, comme des voix qui vibreraient, se répercuteraient à l’infini, dans une boîte ou un tombeau vide.

La musique de Mark Snow, aussi, c’est quelque chose : plombant avec une rigueur sans faille absolument chaque scène où elle fait retentir ses vieux synthés et ses thèmes tout droit sortis d’on ne sait quelle série télé incolore. Faut voir la scène [***SPOILERS***] où le metteur en scène resurgit d’entre les morts : Podalydès apparaît à l’autre bout de la salle : c’est le clou du spectacle, le mort en personne revient d’outre-tombe, et Resnais fait durer le plan, pour que Podalydès ait le temps de traverser tout le plan dans le sens de la profondeur, jusqu’à nous. Là-dessus, sur ce plan du mort qui remonte du fond, Mark Snow déchaîne ses plus beaux arpèges synthétiques ; on est comme embarrassé devant pareil ratage.

A la limite, je passerais sur tout ça. Après tout, c’est pas tous les jours qu’on a l’impression d’avoir vu un film aussi complètement raté, et parfois, le ratage, ça a du bon ; c’est beaucoup mieux que ce qui est simplement nul, ça fait réfléchir, ça déstabilise les habitudes - c’est peut-être nous qui ne sommes pas prêts, qui ne savons pas voir, qui sait. Admettons.

Ce qui me fait dire quand même qu’il y a peu de chance que ce film apporte quoi que ce soit à la gloire de Resnais, c’est tout de même le texte d’Anouilh. Oh misère, ce texte est vraiment trop mauvais. C’est incroyablement daté, cette fausse "modernisation" du mythe, mêlant le grand style, les grandes passions, à une espèce de ton familier, prosaïque, toujours plat et terne : franchement, qui a encore envie d’écouter l’histoire d’une Eurydice qui meurt dans un accident d’autobus ? de voir le destin allégorisé sous la forme d’un homme étrange, qui hante les salles d’attente de gare et porte un imper ?
Ca prend pas, ça flambe jamais ; la force du mythe, la langue qui pouvait la dire, sont perdues à jamais ; le fait de jouer cette histoire sur un mode mineur, pour "prosaïser", désacraliser, décolorer le mythe, donne constamment au texte quelque chose de pesant et de niais.
Et surtout, il y a cette espèce de glue d’une certaine France d’avant-guerre qui colle à tout le dialogue, qui poisse tout le film ; par exemple, cette idée assommante, martelée dans toute la deuxième partie du film, que l’amour doit patauger dans les marécages du genre humain pour tirer de sa lyre quelques doux sons bien séraphiques. Le personnage d’Eurydice, en particulier, c’est peu dire que c’est pénible à supporter jusqu’au bout : ah, la pauvre fille, la pécheresse, elle a bien fauté, elle est bien impure ; elle a couru tant et plus, la gueuse. Avant de rencontrer Orphée et de reconnaître le pur amour, elle s’était donnée au premier venu, figurez-vous, et pas qu’un seul : plusieurs, des tas, au moins deux, c’est-à-dire un nombre incalculable, pas la peine de sonder davantage ce puits de sensualité et de bassesse morale. Ah certes, elle crie de profundis, elle aussi elle aspire à un peu de pureté divine, mais c’est bien difficile. Le pur poète orphique saura-t-il la tirer de là ? Aura-t-il la force d’âme de lui pardonner d’être une femme ? – car que voulez-vous, les femmes, elles peuvent pas s’empêcher d’être ce qu’elles sont, des femmes, humaines jusqu’au bout des ongles, n’importe qui perdrait patience avec elles, et c’est bien compréhensible; même Orphée n’y tient plus, se retourne trop tôt, tellement Eurydice lui tape sur les nerfs, avec ses mystères, ses mensonges, ses infidélités, ses dénégations, bref, son manque de poésie.
Je dois dire que ça m’a ôté tout plaisir dans la deuxième partie du film, cette opposition entre un Orphée tout purement pur, tout purement poésie, et une Eurydice décidément trop humaine, vénale, trompeuse, menteuse, et attestant à elle seule on ne sait quelle originelle corruption de la nature humaine, que la Poésie, le pur Amour, seraient censés racheter, surmonter, dépasser.


Curieusement, la mise en scène de Resnais est à l’opposé de ce que dit le texte d’Anouilh. Le texte d’Anouilh se débat laborieusement avec ces gros concepts et leurs oppositions massives : l’Art, l’Amour, la Mort, tout ça… Et la machine du récit essaie d’engrener tous ces rouages les uns dans les autres. Tandis que la mise en scène de Resnais met tout ça en pièces détachées, introduit le maximum de jeu entre elles, en les doublant, les démontant, comme pour voir comment ça marche, ce que ça donne (c’est un film-essai, un film qui essaie un tas de choses, d’effets ; le danger, c’est que ça rate, mais l’intérêt, c’est justement d’essayer, de s’amuser, de jouer, même si j’avoue que, pour moi, rien ne marche vraiment, rien ne m’amuse beaucoup dans ce film.)
De même : Anouilh tient à ce qu’Orphée et Eurydice se rencontrent dans des gares, dorment dans des chambres d’hôtel, aillent chercher des croissants, que tout soit familier, prosaïque, alors que tous les choix de mise en scène vont dans le sens d’une artificialité outrée, exhibée comme telle : pièces vides surdimensionnées, décors qui semblent dessinés, sans parler du théâtre dans le théâtre.



Durant tout le début, pourtant, j’étais happé : j’ai aimé toute l’entrée en matière, l’arrivée dans ce hall immense, où les spectateurs/comédiens font face à l’écran et se laissent posséder par le texte, par leurs anciens rôles. Au moins, on est surpris, ça ressemble à rien de ce qu’on a vu dernièrement. Il y a quelque chose de vraiment intéressant, dans le dispositif d’emboîtement que Resnais met en place, hanté par l’idée de double, de doublures, de répétitions indéfinies. Une idée toute simple, par exemple, qui me plaît beaucoup : le plan de la porte qui s’ouvre devant chaque comédien, répété à l’identique au moins cinq fois de suite. C’est pas aussi beau que la fameuse série de travellings avant sur Delphine Seyrig dans Marienbad, mais enfin, c’est pas mal.

Pourquoi ce jeu sur les doubles, les reflets, d’autant plus amusant au début qu’il joue sur les « vrais noms » des acteurs, Azéma, Wilson, Arditi jouant dans le film leur propre rôle ? C’est que le film n’est pas seulement placé sous les auspices d’Orphée et d’Eurydice : le titre du film, au générique, s’inscrit sur la face de la gorgone Méduse :

Vous n'avez encore rien vu (Resnais) 220px-Gorgoneion_Cdm_Paris_320


"Vous n’avez encore rien vu", dit le titre, tandis que le gorgonéion nous tire la langue et nous dévisage de ses yeux fous.
Que veut donc dire ce titre ? "Vous n’avez encore rien vu" sous-entend que nous croyons avoir déjà tout vu et que nous nous trompons, que nous sommes aveugles, que nous avons manqué l’essentiel. Le dialogue d’Anouilh ne se privera pas, effectivement, de nous répéter que l’humanité est encore loin du compte, qu’elle est décidément fautive, et pas loin d’être irrécupérable.

"Vous n’avez encore rien vu" peut encore signifier : "vous allez voir ce que vous allez voir". Mais voir quoi ? Quelle promesse ce titre nous fait-il ? Et pourquoi nous promettre monts et merveilles, de l’étonnant, du jamais vu, quand, en arrière-fond, la tête de Méduse nous met en garde, et nous avertit qu’il y a des portes qui ne peuvent être franchies, des choses qui ne peuvent pas se voir, qui ne peuvent se regarder fixement, sans en être pétrifié, sans y perdre la vue et la vie ? Curieuse alliance d’une promesse et d’une mise en garde, d’une ouverture et d’un "No trespassing". Car la Méduse, on sait ce que c’est : c’est la tête infernale dont on ne peut croiser le regard sans être changé en pierre ; la face de terreur qu’on ne peut affronter, avec laquelle il faut ruser, biaiser, en usant de reflets, en jouant des apparences, comme Persée, qui n’a pu l’approcher, la voir, qu’en se servant de son bouclier comme d’un miroir.

Méduse, Eurydice : dans les deux cas, la mort ne peut se regarder fixement ; vous n’avez encore rien vu tant que vous ne l’avez pas vue, mais, précisément, c’est ce que vous ne verrez jamais de votre vivant. Si vous jetiez votre regard dans celui d’Eurydice, vous la perdriez pour toujours. Si vous dévisagiez Méduse, c’est vous que vous perdriez à jamais.
Et c’est pourtant cela que vous voulez: vous voulez voir; vous voulez plonger votre regard dans celui de votre amour ; vous voulez regarder la mort en face, pour savoir de quoi il retourne vraiment en cette vie. Mais pour cela il vous faudra ruser, inventer des stratégies d’évitement, multiplier les jeux de reflets, les approches biaisées, les circonvolutions, les doubles et les faux, bref créer, et tout cela pour capter, pour saisir, pour maîtriser, dans cette multiplicité de vains reflets, ce quelque chose d’insondable, de médusant, que vous n’apercevrez jamais que de biais, et qui n’apparaîtra nulle part ailleurs que dans le défilement indéfini de ces doubles, de ces doublures dont il est l’origine perdue, insituable en aucune de ces copies.

Vous n'avez encore rien vu (Resnais) Dame_d12


"Vous n’avez encore rien vu" n’est donc ni la promesse qu’on va enfin voir ce qu’on voir, ni la formule d’une cécité irrémédiable. "Vous n’avez encore rien vu" veut dire : ce que nous voyons, nous ne le voyons pas encore, mais il n’y a pas d’autre temps, à nous autres vivants, que celui de ce pas encore. N’avoir encore rien vu, ce n’est pas être aveugle : c’est justement la condition pour être voyant, pour avoir la chance de voir quelque chose, c’est le point aveugle de tout regard, qui fait que vous avez un regard, c’est-à-dire aussi une lumière pour penser, un miroir pour réfléchir.


C’est cela que le film met en scène au début avec pas mal d’ingéniosité, en multipliant les écrans, les scènes de jeu incluses les unes dans les autres, les doubles, les reflets de reflets. La mort, on ne peut la voir en face que sur un écran de cinéma ; le pur amour d’Orphée et d’Eurydice ne peut s’incarner en un seul corps, en un seul couple, il se joue de biais, entre acteurs s’interpellant d’un coin à l’autre d’une scène, tout en regardant ailleurs, ou en s’adressant à un autre, qui par cet appel entre en scène lui aussi, change de peau, de rôle, n’ayant jamais été rien d’autre que ces rôles qu’il est appelé à jouer.

Vous n'avez encore rien vu (Resnais) Vous_n10
Vous n'avez encore rien vu (Resnais) Vous_n10
Vous n'avez encore rien vu (Resnais) Vous_n11
C'est un souci constant chez Resnais de créer l'impression que deux personnages qui partagent le même plan, parfois se tiennent la main, ou même se serrent dans les bras l'un de l'autre, s'interpellent comme d'un bout de l'univers à l'autre...


Nous n’avons encore rien vu ? Eh bien soit, voyons voir alors ce que nous n’avons pas vu, ce qui nous a échappé ; revoyons tout depuis le début. Ce que le titre ouvre, promet, ce n’est pas l’œil extralucide capable de voir le jamais vu ; c’est au contraire le palais des miroirs du vu, revu et re-revu, la chambre obscure où toute image apparaît en s’inversant, le Marienbad du déjà-vu : Azéma jouant Azéma qui a joué Eurydice, qui rejoue Eurydice, jouée aussi par Consigny, qui joue Consigny rejouant Eurydice, qu’elle a déjà jouée ; à moins que ce ne soit le contraire : Eurydice qui joue Azéma, se joue d’elle, s’empare d’elle, car Azéma ne serait rien, ne serait pas Azéma, si elle n’était pas une autre, si elle n’était pas Eurydice, si elle ne la jouait pas.
Le générique à lui seul dit tout : sur deux colonnes, en vis-à-vis, le nom des comédiens fait face au nom du personnage:

Pierre Arditi / Pierre Arditi
Lambert Wilson / Lambert Wilson
Anny Duperey / Anny Duperey
etc


Tautologie, en apparence, mais où se défait toute identité à soi ; c’est comme ça que tout commence et recommence : par une répétition.



On est bien chez Resnais, pas de doute. On aimerait pouvoir dire qu’il a déjà dit tout ça, en mieux, en bien plus beau, dans ses films précédents. Mais comment reprocher à un grand cinéaste, sans être un peu ridicule, qu’il se répète, quand c’est précisément ce qu’il ne cesse de vous dire : qu’il faut redire, parce que nous n’avons encore rien dit ; qu’il faut revoir, parce que nous n’avons encore rien vu ?
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Message par wootsuibrick Ven 12 Oct 2012 - 5:36

ça donne vraiment très envie de le voir. malgré les avertissements qu'il s'agit là de quelque chose de "disgracieux".
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http://mondesducinema.blogspot.com/

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Message par DB Ven 12 Oct 2012 - 9:09

wootsuibrick a écrit:ça donne vraiment très envie de le voir. malgré les avertissements qu'il s'agit là de quelque chose de "disgracieux".

Exactement comme toi, même et surtout si c'est raté ; bon ça me donne aussi envie de revoir double indemnity.
DB
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Message par Borges Ven 12 Oct 2012 - 10:13

il est très bien ce texte : Wink
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Message par Eyquem Sam 13 Oct 2012 - 23:22

Hello,

vous êtes sympas, car pour ma part, j'ai le sentiment d'être passé à côté du film.

bon ça me donne aussi envie de revoir double indemnity.
'lut DB : pourquoi Double indemnity ?
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Message par Invité Dim 14 Oct 2012 - 10:30

C'est vrai que cela a l'air intéressant. Si un mort doit revenir à la vie et se promène, je ne vois rien de mieux que le lyrisme des synthétiseur des années 80 pour l'accompagner....

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Message par DB Dim 14 Oct 2012 - 15:10

Eyquem a écrit:Hello,

vous êtes sympas, car pour ma part, j'ai le sentiment d'être passé à côté du film.

bon ça me donne aussi envie de revoir double indemnity.
'lut DB : pourquoi Double indemnity ?

à cause de ta capture du welles pardi
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Message par glj Lun 15 Oct 2012 - 20:52

Resnais est un cinéaste qui m'a toujours stimulé. J'avais trouvé par exemple Coeurs, beau, triste et mélancolique. Je pense d'ailleurs que tous ces grands films sont de cette nature. Ces films qui ne marchent pas pour moi, ou la sauce ne prend pas sont en générale ceux ou il manque un de ses éléments ( ou bien qu'il soit trop peu présent).

glj
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Message par Invité Lun 15 Oct 2012 - 22:51

Pour moi un des plus beau Resnais depuis "Je t'aime je t'aime" (qui raconte aussi l'histoire d'Eurydice, tout comme "Vous n'avez Encore Rien vu" ressemble tout compte fait un peu à un texte de Jacques Sternberg), bien supérieur à "Smoking/No Smoking", ou "On Connaît la chanson", voire "Coeur" et "les Herbes Folles".
Il est vrai que le début de la pièce d'Anouilh est plus convaincant que la fin, lorsqu'elle veut se rapprocher trop du mythe grec, le présenter comme une clé . Elle devient pompeuse, mais le film n'est pas adaptation.

Il y a plusieurs points, plusieurs traces ou fils, dans ce film dont on prend progressivement conscience qu'ils traversent l'ensemble des films de Resnais, depuis la période des années soixantes.

-Il y a d'abord l'articulation de la vieillesse et de l'histoire. Le refus d'un rapport de filiation à l'histoire,, vue comme une situation ou dispositif idéologique dont on hérite, au profit d'une conception où l'on se comprend comme maître de son propre poids historique, exige la vieillesse, mais une vieillesse qui lorsqu'elle arrive, conserve le sens qu'elle revêt pour la jeunesse. Je crois que le film part de cette question.

Ici, il y a trois (ou même quatre) générations qui prononcent le même texte: celle de Piccoli/Arditi (soit la modenité des années 60/70), Wilson/Consigny (année 80/90) et Azéma un peu en porte à faux; et puis finalement la jeune troupe le théâtre.
Le texte est identique, mais le phrasé est à chaque fois différent; le sens également.

Il est pas anodin que la pièce soit entamée par la jeune troupe de théâtre, dont les voix, le jeu cherchent à exprimer la vraisemblance psychologique de l'histoire d'amour d'Orphée et Eurydice et de leur rapport à leur parents (cet aspect psychologique est alors le support de "l'actualisation" du texte d'Anouilh) puis est reprise par Wilson/Consigny puis Piccoli/Arditi/Azéma, qui eux se détachent ptogressivement de ce soucis de vraisemblance psychologique, de crédébilité des affects et jouent plutôt en soulignant ce qui dans la pièce relève de la métaphysique de l'absurde tragique, du théâtre existentiel des années 50/60.

Ainsi ces mots qui chez les ainés de la Nouvelle Vague sont les mêmes que ceux de la jeunesse, signifient aussi chez peut-être aussi une critique de la manière dont nous comme génération nées à la fin du XXme siècle les investissons (comme des expériences individuelles, plutôt que des valeurs métaphysiques, c'est à dire des représentations du sens qui peuvent donner lieu à une politique: on entend la guerre et l'occupation dans le texte d'Anouilh,lorsqu'il est dit par Arditi et Azéma. Ces hôtels, gares lieu de transit et de voyage qui se tranforment en impasses, ce voisinage du maître d'hôtel, du voyeur et du flic, c'est les années 40... mais cet aspect se dilue progressivement chez les autres acteurs à mesure de leur jeunesse, pour devenir une forme de convention théâtrale presque comique).

Mais Resnais ne choisit pas de donner raison à l'un plutôt qu'à l'autre. Il montre un phénomène politique: une parole identique chez la génération 68, celle des années 80 et celle des années 2000, et le fait que c'est justement cette identité qui est le support de la critique des anciens sur les ainés, celle de la génération de la Nouvelle Vague par rapport à nous pour aller vite.
Il joue aussi également sur la limite et la noblesse de cette critique le fait que celui qui l'énonce avec le plus de force (les voix blanches et maîtres d'elles-mêmes d'Ariditi et Piccoli) payent leur recherche du sens, de la vérité par une étrange passion sans abandon. Cette impossibilité de s'abandonner est peut-être une conséquence du fait de tenir la politique pour un moyen de préméditer son inscription dans l'histoire, qui est tragique, qui est toujours celle d'échec face à un idéal déjà connu, déjà décrit, mais qui est aussi un bien commun dans l'époque.

La mort est indifférente à la vérité spécifique de chaque époque: le personnage d'Almaric est le seul qui ne parle qu'une fois, ou plutôt le seul qui est contraint de se répéter lui-même, seul, sans voir ses propres mots joué par d'autres. J'ai été ému, quand les trois couples d'Orphée et d'Eurydice se regardent à la fin du premier acte, comme si ce dédoublement, le fait de voir d'autre corps que soi investir le même amour, pareillement aveugle, était la forme la plus visine du rachat religieux dans l'amour terrestre, et finalement le sexe, que la pièce d'Anouilh en effet refoule et voit comme une saleté (c'est sa limite: ce puritanisme perçu comme une garantie de justesse intellectuelle).

-Il y a un point commun avec Beckett et Foucault: le film confronte la parole qui peut se reprendre, être poursuivie par autrui, se transmettre avec celle qui ne peut pas l'être. L'intrprétation de cette opposition est très classique: s'il y aune parole que l'on en peut pas reprendre, qui ne s'énon e que pour soi ou qu'une seule fois : son contenu 'est à la fois l'inconscient (la mort de la pulsion dépliée), l'intime, et le poids littéral, non symbolisable du drame existentiel, le poids de l'échec, l'abandon et la mort. Resnais est très lucide, il sat que la modernité de ce questionnement (est-ce que le seul contenu possible d' une parole authentiquement personnelle, subjective, est forcément existentiel, donc finalement lui-même abstrait et désincarné?) est ancien, derrière l'époque actuelle.

-Comme beaucoup, j'ai une préférence pour les Resnais de l'époque politique: "la Guerre est Finie", "Muriel", voire "Hiroshima mon Amour". Leur lyrisme et leur rigueur boulversent, mais sans perdre un ancrage dans le réel. Je me suis construit paf ces films, mais ai dû m'en détacher, car ilsétaeint tellement achevés, qu'il m'était difficile d'admettre que les questions politiques qu'ils soulevaient n'étaient pas celles de mon époque, étaient déjà pour l'essentiel jouées avant ma naissance. L'hermétisme ludique et théâtral des film qui sont venus à partir de "Providence", je l'interprêtais comme le signe que Resnais souhaitait lui-même faire des films pour permettre ce détachement, cette distance, le calculait et l'autorisait chez son public.
Mais en réfléchissant bien, quelque chose unit les deux époques. Même dans "Muriel" et "la Guerre est Finie", les rapports amoureux fonctionnement sur le mode d'Orphée et Eurydice: les couples se comprennent mais ne peuvent pas se parler, ne peuvent là non plus se voir parce qu'ils partagent le même rapport au monde, la même ruprure politique avec leur entourage. Ce thème du malentendu, et de la dissonance entre les êtres qu'installe l'effort de faire comprendre précisément une idée, joue le même rôle dans l'ordre politique et l'ordre amoureux. C'est la force du cinéma de Resnais de faire comrpendre cela de manière sensible, par la démultiplication des voix, des regards, plutôt que des significations.
Finalement cela réunit Hiroshima, et le bizarre personnage de Dussolier, érotomane à froid et père haineux, qui persévère dans son obsession après un mystérieux cha^timent et compte sur l'objet de sa passion pour l'humaniser, dans "les Herbes Follles", Le sexe est "lazaréen" pour Resnais, pour reprendre le terme de Rotor, il s'agît plus de revenir par la médiation d'autrui soi-même d'entre les morts que d'avoir une filiation.

(j'espère que je n'ai pas rendu chiant et définitif ce qu'Eyquem avait présenté comme incertain, un peu bancal et intrigant, ce que le film est aussi)
-



Dernière édition par Tony le Mort le Mar 16 Oct 2012 - 18:33, édité 7 fois

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