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Le gamin au vélo - Père, père, pourquoi m'as tu abandonné ?

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Message par Eyquem Sam 4 Juin 2011 - 11:48

Un petit parcours christique que ce tour de vélo. C'est pas nouveau chez les Dardenne, mais il me semble que la structure n'a jamais été aussi apparente qu'ici. Y a tout : un Fils abandonné, un Père absent, enfermé dans ses cuisines, un Tentateur. Ca se finit même par une lapidation suivie d'une résurrection.

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Message par Rotor Sam 4 Juin 2011 - 13:49

Pourtant il y a assez peu de représentations de Jésus faisant du vélo dans l'histoire de l'art.
Je connais seulement une Madone à vélo par Salvator Dali.
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Message par Borges Sam 4 Juin 2011 - 14:23

Barrabas, engagé, déclara forfait.

Le starter Pilate, tirant son chronomètre à eau ou clepsydre, ce qui lui mouilla les mains, à moins qu'il n'eût simplement craché dedans – donna le départ.


Jésus démarra à toute allure.

En ce temps-là, l'usage était, selon le bon rédacteur sportif saint Matthieu, de flageller au départ les sprinters cyclistes, comme font nos cochers à leurs hippomoteurs. Le fouet est à la fois un stimulant et un massage hygiénique. Donc Jésus, très en forme, démarra, mais l'accident de pneu arriva tout de suite. Un semis d'épines cribla tout le pourtour de sa roue d'avant.

On voit, de nos jours, la ressemblance exacte de cette véritable couronne d'épines aux devantures de fabricants de cycles, comme réclame à des pneus increvables. Celui de Jésus, un single-tube de piste ordinaire, ne l'était pas.

Les deux larrons, qui s'entendaient comme en foire, prirent de l'avance.

Il est faux qu'il y ait eu des clous. Les trois figurés dans des images sont le démonte-pneu dit « une minute ».

Mais il convient que nous relations préalablement les pelles. Et d'abord décrivons en quelques mots la machine.

Le cadre est d'invention relativement récente. C'est en 1890 que l'on vit les premières bicyclettes à cadre. Auparavant, le corps de la machine se composait de deux tubes brasés perpendiculairement l'un sur l'autre. C'est ce qu'on appelait la bicyclette à corps droit ou à croix. Donc Jésus, après l'accident de pneumatiques, monta la côte à pied, prenant sur son épaule son cadre ou si l'on veut sa croix.

Des gravures du temps reproduisent cette scène, d'après des photographies. Mais il semble que le sport du cycle, à la suite de l'accident bien connu qui termina si fâcheusement la course de la Passion et que rend d'actualité, presque à son anniversaire, l'accident similaire du comte Zborowski à la côte de la Turbie, il semble que ce sport fut interdit un certain temps, par arrêté préfectoral. Ce qui explique que les journaux illustrés, reproduisant la scène célèbre, figurèrent des bicyclettes plutôt fantaisistes. Ils confondirent la croix du corps de la machine avec cette autre croix, le guidon droit. Ils représentèrent Jésus les deux mains écartées sur son guidon, et notons à ce propos que Jésus cyclait couché sur le dos, ce qui avait pour but de diminuer la résistance de l'air.

Notons aussi que le cadre ou la croix de la machine, comme certaines jantes actuelles, était en bois.

D'aucuns ont insinué, à tort, que la machine de Jésus était une draisienne, instrument bien invraisemblable dans une course de côte, à la montée. D'après les vieux hagiographes cyclophiles sainte Brigitte, Grégoire de Tours et Irénée, la croix était munie d'un dispositif qu'ils appellent « suppedaneum ». Il n'est point nécessaire d'être grand clerc pour traduire : « pédale ».

Juste Lipse, Justin, Bosius et Erycius Puteanus décrivent un autre accessoire que l'on retrouve encore, rapporte, en 1634, Cornelius Curtius, dans des croix du Japon : une saillie de la croix ou du cadre, en bois ou en cuir, sur quoi le cycliste se met à cheval : manifestement la selle.

Ces descriptions, d'ailleurs, ne sont pas plus infidèles que la définition que donnent aujourd'hui les Chinois de la bicyclette : « Petit mulet que l'on conduit par les oreilles et que l'on fait avancer en le bourrant de coups de pied. »

Nous abrégerons le récit de la course elle-même, racontée tout au long dans des ouvrages spéciaux, et exposée par la sculpture et la peinture dans des monuments « ad hoc » :

Dans la côte assez dure du Golgotha, il y a quatorze virages. C'est au troisième que Jésus ramassa la première pelle. Sa mère, aux tribunes, s'alarma.

Le bon entraîneur Simon de Cyrène, de qui la fonction eût été, sans l'accident des épines, de le « tirer » et lui couper le vent, porta sa machine.

Jésus, quoique ne portant rien, transpira. Il n'est pas certain qu'une spectatrice lui essuya le visage, mais il est exact que la reporteresse Véronique, de son kodak, prit un instantané.

La seconde pelle eut lieu au septième virage, sur du pavé gras. Jésus dérapa pour la troisième fois, sur un rail, au onzième.

Les demi-mondaines d'Israël agitaient leurs mouchoirs au huitième.

Le déplorable accident que l'on sait se place au douzième virage. Jésus était à ce moment dead-head avec les deux larrons. On sait aussi qu'il continua la course en aviateur... mais ceci sort de notre sujet.



Alfred Jarry, « La passion considérée comme course de côte »
(Le Canard sauvage, n° 4, 11-17 avril 1903)
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Message par Eyquem Sam 4 Juin 2011 - 15:02

mais lol ! Laughing


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Message par Rotor Sam 4 Juin 2011 - 21:34

Et puisqu'on en est arrivé au problème central de l'art et du vélo, je vais ajouter une autre référence : Le livre de Pol Bury "L'art à bicyclette et la révolution à cheval". Un très joli petit ouvrage de réflexions et de pensées, un vade-mecum pour les artistes qui ont des roues.

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Message par Maal Lun 6 Juin 2011 - 19:17

Il faut en parler : le film d'enfance est toujours affaire de quête, au sens mythologique du terme. On n'y combat plus des dragons, on n'y délivre plus de princesse, mais on enfourche son vélo, et on part à la recherche de son père. C'est la même chose, où l'on a délaissé le côté kitsch d'une odyssée à la Zelda (l'enfance est une odyssée - Christian Paigneau en parle très bien dans son bouquin L'odyssée de l'enfance au cinéma), pour déployer l'histoire sur une échelle humaine et plus intimiste, préférant l'homme au personnage, délaissant les archétypes pour les personnalités. Ce n'est pas que l'un soit mieux que l'autre, il s'agit simplement d'une affaire de temps, et d'époque.

Ainsi, quelque soit l'immensité d'une quête (tuer un dragon ou chercher son père), celle-ci est toujours intérieure. A travers les courses effrénées de Cyril sur son vélo, c'est bien entendu la recherche d'un équilibre personnel qui se joue ici. Et on le sait tous très bien, le vélo ce n'est que ça : une question d'équilibre, un truc à avoir, et qui ne s'oublie pas. Cyril lui, il tombe souvent, et surtout, il tombe à la fin. Mais il se relève, petit animal blessé, et là on sait que ça ira. Que ça n'a pas été facile -euphémisme, mais que ça ira pour lui. Et on se sent mieux. Toute la force du film réside peut-être dans cette idée. Le gamin au vélo, ce n'est finalement pas l'histoire d'une chute, mais au contraire d'une ascension. La quête de Cyril pour retrouver son père se verra déçue, mais il aura trouvé un autre amour, et finalement, un nouvel équilibre.

Je sais pas vous, mais moi, ça m'a beaucoup fait penser à du Pialat. La façon dont le film tourne autour de l'enfant, fait corps avec lui. Tente sans cesse de le suivre et ne se fatigue jamais (Cyril non plus ne se fatigue jamais), est aussi acharné que lui. Mais surtout, c'est la façon dont le film raccorde cet enfant au monde qui m'a évoqué L'enfance nue. L'enfant, marginal de par son statut (être enfant, c'est être à la porte du monde, nous dira-t-on), mais en fait complètement ancré dans la vie, et dont les luttes intérieures se concentrent sur des objectifs concrets et donc totalement vivants : où les choses sauvages sont, mais c'est du coup bien plus intéressant qu'un truc abstrait et branlette comme Inception. Oh je sais, ça n'a rien à voir. Mais pour remettre les choses à leur place : on a vanté la profondeur vertigineuse d'un film comme Inception, alors qu'il restait définitivement plat et superficiel, incapable qu'il était de sonder véritablement l'âme (ce qu'il prétendait pourtant faire), mais se contentait en fait de la transformer en une stupide narration linéaire. L'âme n'est pas linéaire. Le gamin au vélo ne parle que d'un gamin sur son vélo, et pourtant, ce vélo fonce droit dans nos coeurs et en extrait de très belles choses, parce que ce gamin, on l'aime. Autant que les Dardenne. L'humanité d'un film réside dans le fait que celui-ci aime ou non ses personnages. Définitivement.

Ah aussi, j'ai aimé ces caresses musicales qui consolaient Cyril aux moments les plus douloureux du film. Je crois que c'était le plus grand respect que les Dardenne pouvaient donner à leur petit héros. Car s'il y a eu peu de héros au cinéma ces derniers temps, Cyril lui, en est un et c'est même l'un des plus grands.

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Message par Largo Lun 6 Juin 2011 - 22:22

Bienvenue par ici Maal,

J'étais sorti du film sans grand enthousiasme, avec l'impression que ça se finissait un peu en queue de poisson, sans envie d'en dire ou d'en penser grand chose. Ce que tu en dis me fait l'aimer un peu plus, alors au plaisir de te relire ici et là. ;-)
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Message par Invité Mar 7 Juin 2011 - 7:32

salut Maal.

Borges et Eyquem, merci, j'ai bien rigolé ! Laughing


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Message par Maal Mar 7 Juin 2011 - 17:41

Salut à tous. Smile

C'est la discussion autour de ToL qui m'a donné envie de m'inscrire.

Maal

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Message par adeline Jeu 9 Juin 2011 - 17:44

Bienvenu Maal !

En parlant de L'enfance nue, tu me donnes vraiment envie d'aller le voir, ce gamin à vélo. Wink

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Message par NC Mar 14 Juin 2011 - 9:16

Pas vu le Christ ici (Jésus ne cherche pas son père, Le Christ est aussi le père, le Christ ne meurt pas lapidé, lorsqu'il ressuscite il monte à la droite du Père etc...), mais l'enfance nue de Pialat, ne serait ce que pour les baffes, et un condamné à mort s'est échappé, pour la musique. Donc Maal a raison, c'est d'ailleurs le plus beau film sur l'enfance vu depuis donc l'enfance nue. Il cherche son père, c'est terriblement émouvant ses tentatives pour parler à ce connard. La scène chez le dealer est vrai et oppressante. Et comme dans l'enfance nue, le spectateur est renvoyé à ce qu'il ferait lui aussi de cet enfant. C'est quand même une sacré tête à claques, sa volonté est impossible à gérer. Dans les deux films il y a une mère sainte, qui adopte, qui a une patience infinie.

Par contre, l'impression que j'ai eu lorsqu'il se relève à la fin, c'est que ça ira pas, qu'il a été lapidé, qu'il restera un paria jusqu'à la fin de ses jours.

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Message par Invité Jeu 3 Oct 2013 - 19:44

http://www.amcpsy.com/affiche_article.php?id=15

la présence de Cécile de France, actrice très connue, donne au cinéma des Dardenne un tour tout à fait nouveau où il n'est plus du tout question de suffoquer mais au contraire de respirer. C'est très fort de leur part. J'aime beaucoup ce film.

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