Pétition. La Cour des plaignants (Zhao Liang 2009)
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Pétition. La Cour des plaignants (Zhao Liang 2009)
Zhao Liang est en ce moment le réalisateur de documentaires chinois à l'honneur en France. Son dernier long-métrage, Pétition. La cour des plaignants a été diffusé à Cannes en 2009, alors que Crime et châtiment a eu la montgolfière d'or aux 3 continents en 2007. Surtout, tous ses films viennent d'être édités dans un joli coffret.
Pétition. La cour des plaignants est le seul que j'ai vu pour l'instant.
Je n’ai pas vraiment trouvé ça bien, mais c’est quand même un film fort. En tous cas, il existe.
Le sujet est en lui-même l’intérêt du film. Avant la reconstruction de la gare sud de Pékin pour les Jeux Olympiques se trouvait autour de cette gare le village des plaignants. Venus de toutes la Chine, des gens porteurs de plaintes à l’égard de la justice locale ou des administrations locales apportent à la cour des plaintes leur dossier de réclamation. Ils attendent des jours et des mois parfois avant d’être reçus. Et ensuite continuent de venir y défendre leur dossier, parfois pendant des années. Il se met en place une espèce de pathologie, qui fait que la vie entière de ces gens s’organise autour de l’espoir de voir leur plainte aboutir, au détriment de leur vie à eux, de celle de leur famille. Evidemment, il semble que jamais les plaintes n’aboutissent. Avec la reconstruction de la gare sud, le village des plaignants a été rasé, et la cour des plaintes dispatchée dans différentes banlieues de la ville.
C’est une histoire à faire froid dans le dos.
L’autre force indéniable du film, c’est la persistance du réalisateur à filmer ce village de plaignants durant plus de dix ans, de 1996 à la veille des Jeux Olympiques. C’est évidemment cette longueur du tournage qui permet de faire sentir toute l’absurdité kafkaïenne de cette administration. On voit des gens perdre leur vie, au sens propre, entre le début et la fin du film.
Mais sinon, le film est détestable. Zhao Liang n’a aucune éthique de tournage. Il filme tout, y compris des choses écœurantes qui ne sont pas nécessaires. L’un des grands drames du film est la mort de deux plaignants le long d’une voie de chemin de fer. Ils ont été happés par un train. Le trains sont très présents dans le film, évidemment, la gare est la voie d’arrivée à la cour des plaignants, l’endroit du départ, l’abri où dormir souvent refusé, et les trains une menace pour ces gens qui vivent le long des voies ferrées. Le réalisateur arrive le long des rails peu de temps après la mort des deux personnes, alors que leurs amis sont en train de chercher que faire, et, choses horriblement concrète, de rassembler les restes des corps. On sait dès le début de la séquence, par les conversations, ce dont il est question. Le fait d’être sur les lieux de la mort, d’apprendre les circonstances du drame par les gens les plus proches des victimes, et d’assister à ces gestes de recherches des bouts de corps est en soi difficile à soutenir. Mais Zhao Liang a des réflexes des cadres à vomir : il zoome sur les traces de sang sur le ballaste, et laisse le zoom au montage. Il zoome sur un bout de crâne retrouvé à quelques mètre, et le laisse le zoom et le bout de crâne au montage. Il zoome sur une main arrachée, et laisse le zoom et la main au montage. Je n’avais jamais vu dans un documentaire le reste d’un corps.
Il n’a aucune éthique de réalisateur non plus. Ou alors, les questions que je me pose, lui ne se les pose jamais. L’un des fils conducteurs du film est l’histoire d’une mère et sa fille, venues chercher justice pour la mort inexpliquée de leur mari et père lors d’une visite médicale à la médecine du travail. La mère, obnubilée par cette plainte, fait perdre dix ans d’école à sa fille. Elles dorment dehors, ne mangent pas à leur faim. A dix-huit ans, la fille, qui a rencontré son mari, décide de quitter sa mère, pour chercher du travail, et essayer de construire sa vie. Seul le réalisateur l’accompagne à la gare, il filme son départ. La jeune fille le charge d’aller annoncer son départ à sa mère. Et Zhao Liang, tout à son film, arrive chez la mère, caméra à la main, pour lui annoncer que sa fille l’abandonne sans lui avoir dit au revoir, et la laisse seule face à la cour des plaintes. La mère évidemment lui demande de cesser de filmer. Il ne le fait pas. Elle s’enfuit en courant, il la suit. Et la suit alors qu’elle l’insulte pour le faire cesser, jusqu’à ce qu’elle le distance.
Impossible place qui permettrait d’être à la fois l’acteur et la caméra.
Dans sa construction, le film est maladroit. Son montage m’a fait pensé à cet autre film chinois, 1428 de Haibin Du, sur la vie après le tremblement de terre du Sichuan de 2008. Le début se construit tranquillement, le film trouve force et rythme, puis arrivé à la moitié, il commence à se perdre et semble ne jamais trouver son plan de fin à force de le chercher. La deuxième moitié du film semblait enchaîner les séquences sans jamais réussir à les monter et les penser ensemble.
Le plus critiquable, c’est le manque de réflexion et de propos politique. A mi-chemin, le réalisateur commence à filmer un groupe de plaignants qui ont une démarche et une réflexion politique, une critique construite du fonctionnement du gouvernement de Hu Jintao. Ils organisent une marche de commémoration en mémoire des victimes de la voie de chemin de fer. Ils organisent des marches de protestations ouvertes, et se retrouvent régulièrement en prison. Le film aurait pu avoir une construction positive : de la descriptions de la vie des plaignants, histoires plus terribles les unes que les autres, à la descriptions de l’organisation d’une lutte plus construite, d’une démarche commune, critique et politique. Mais il les abandonne rapidement, et traite après l’histoire de ces leaders politiques comme il traite les autres histoires de vie qu’il filme, en constatant simplement le dénuement. Le ton politique général du film est comme c’est terrible, ces pauvres gens, comme c’est injuste, comme le gouvernement est méchant, comme les rabatteurs sont méchants, comme c’est horrible. Ce qui est vrai, mais qui ne suffit pas lorsqu’on parle d’un film. Bien sûr, le film aborde l’ensemble des thèmes importants dans la société chinoise actuellement : l’exode rural, l’éclatement des familles, l’inanité de l’administration, les disfonctionnements de la justice, la corruption, l’urbanisation destructrice, etc. Et c’est aussi l’une des forces du film. Sa faiblesse est de ne pas les penser, les mettre en perspective.
Finalement, le film se présente comme un film, en promettant du cinéma, mais il est tellement rhétorique (au sens de Bordwell : un documentaire est rhétorique lorsqu’il s’adresse directement au spectateur pour le conduire à un changement d’opinion, d’émotion ou d’action, lorsqu’on trouve dans le film l’expression d’une idéologie, lorsque le film fait explicitement appel aux émotions du spectateur pour le convaincre) qu’il fait plus penser à un reportage impressionnant qu’un vrai film. Zhao Liang tourne pour un public occidental, et le conforte dans sa vision habituelle de la Chine : un pays dont l’Etat monstre dévore ses habitants, dont la volonté de modernisation est une calamité, etc.
Le film était en sélection officielle hors compétition à Cannes en 2009. Dans la même sélection (« Séances spéciales ») avait été sélectionné le film Mon voisin, mon tueur de Anne Aghion, que j’ai vu et que je n’ai pas non plus aimé. Les mêmes reproches me viennent à propos des deux films : manque de réelle mise en perspective politique, manque de réelle critique du sujet filmé, adéquation absolue à l’idée communément admise en Occident à propos des faits filmés, manque de réelle dimension esthétique.
Tous les deux des films pour les festivals des droits de l’homme du monde entier…
Pétition. La cour des plaignants est le seul que j'ai vu pour l'instant.
Je n’ai pas vraiment trouvé ça bien, mais c’est quand même un film fort. En tous cas, il existe.
Le sujet est en lui-même l’intérêt du film. Avant la reconstruction de la gare sud de Pékin pour les Jeux Olympiques se trouvait autour de cette gare le village des plaignants. Venus de toutes la Chine, des gens porteurs de plaintes à l’égard de la justice locale ou des administrations locales apportent à la cour des plaintes leur dossier de réclamation. Ils attendent des jours et des mois parfois avant d’être reçus. Et ensuite continuent de venir y défendre leur dossier, parfois pendant des années. Il se met en place une espèce de pathologie, qui fait que la vie entière de ces gens s’organise autour de l’espoir de voir leur plainte aboutir, au détriment de leur vie à eux, de celle de leur famille. Evidemment, il semble que jamais les plaintes n’aboutissent. Avec la reconstruction de la gare sud, le village des plaignants a été rasé, et la cour des plaintes dispatchée dans différentes banlieues de la ville.
C’est une histoire à faire froid dans le dos.
L’autre force indéniable du film, c’est la persistance du réalisateur à filmer ce village de plaignants durant plus de dix ans, de 1996 à la veille des Jeux Olympiques. C’est évidemment cette longueur du tournage qui permet de faire sentir toute l’absurdité kafkaïenne de cette administration. On voit des gens perdre leur vie, au sens propre, entre le début et la fin du film.
Mais sinon, le film est détestable. Zhao Liang n’a aucune éthique de tournage. Il filme tout, y compris des choses écœurantes qui ne sont pas nécessaires. L’un des grands drames du film est la mort de deux plaignants le long d’une voie de chemin de fer. Ils ont été happés par un train. Le trains sont très présents dans le film, évidemment, la gare est la voie d’arrivée à la cour des plaignants, l’endroit du départ, l’abri où dormir souvent refusé, et les trains une menace pour ces gens qui vivent le long des voies ferrées. Le réalisateur arrive le long des rails peu de temps après la mort des deux personnes, alors que leurs amis sont en train de chercher que faire, et, choses horriblement concrète, de rassembler les restes des corps. On sait dès le début de la séquence, par les conversations, ce dont il est question. Le fait d’être sur les lieux de la mort, d’apprendre les circonstances du drame par les gens les plus proches des victimes, et d’assister à ces gestes de recherches des bouts de corps est en soi difficile à soutenir. Mais Zhao Liang a des réflexes des cadres à vomir : il zoome sur les traces de sang sur le ballaste, et laisse le zoom au montage. Il zoome sur un bout de crâne retrouvé à quelques mètre, et le laisse le zoom et le bout de crâne au montage. Il zoome sur une main arrachée, et laisse le zoom et la main au montage. Je n’avais jamais vu dans un documentaire le reste d’un corps.
Il n’a aucune éthique de réalisateur non plus. Ou alors, les questions que je me pose, lui ne se les pose jamais. L’un des fils conducteurs du film est l’histoire d’une mère et sa fille, venues chercher justice pour la mort inexpliquée de leur mari et père lors d’une visite médicale à la médecine du travail. La mère, obnubilée par cette plainte, fait perdre dix ans d’école à sa fille. Elles dorment dehors, ne mangent pas à leur faim. A dix-huit ans, la fille, qui a rencontré son mari, décide de quitter sa mère, pour chercher du travail, et essayer de construire sa vie. Seul le réalisateur l’accompagne à la gare, il filme son départ. La jeune fille le charge d’aller annoncer son départ à sa mère. Et Zhao Liang, tout à son film, arrive chez la mère, caméra à la main, pour lui annoncer que sa fille l’abandonne sans lui avoir dit au revoir, et la laisse seule face à la cour des plaintes. La mère évidemment lui demande de cesser de filmer. Il ne le fait pas. Elle s’enfuit en courant, il la suit. Et la suit alors qu’elle l’insulte pour le faire cesser, jusqu’à ce qu’elle le distance.
Impossible place qui permettrait d’être à la fois l’acteur et la caméra.
Dans sa construction, le film est maladroit. Son montage m’a fait pensé à cet autre film chinois, 1428 de Haibin Du, sur la vie après le tremblement de terre du Sichuan de 2008. Le début se construit tranquillement, le film trouve force et rythme, puis arrivé à la moitié, il commence à se perdre et semble ne jamais trouver son plan de fin à force de le chercher. La deuxième moitié du film semblait enchaîner les séquences sans jamais réussir à les monter et les penser ensemble.
Le plus critiquable, c’est le manque de réflexion et de propos politique. A mi-chemin, le réalisateur commence à filmer un groupe de plaignants qui ont une démarche et une réflexion politique, une critique construite du fonctionnement du gouvernement de Hu Jintao. Ils organisent une marche de commémoration en mémoire des victimes de la voie de chemin de fer. Ils organisent des marches de protestations ouvertes, et se retrouvent régulièrement en prison. Le film aurait pu avoir une construction positive : de la descriptions de la vie des plaignants, histoires plus terribles les unes que les autres, à la descriptions de l’organisation d’une lutte plus construite, d’une démarche commune, critique et politique. Mais il les abandonne rapidement, et traite après l’histoire de ces leaders politiques comme il traite les autres histoires de vie qu’il filme, en constatant simplement le dénuement. Le ton politique général du film est comme c’est terrible, ces pauvres gens, comme c’est injuste, comme le gouvernement est méchant, comme les rabatteurs sont méchants, comme c’est horrible. Ce qui est vrai, mais qui ne suffit pas lorsqu’on parle d’un film. Bien sûr, le film aborde l’ensemble des thèmes importants dans la société chinoise actuellement : l’exode rural, l’éclatement des familles, l’inanité de l’administration, les disfonctionnements de la justice, la corruption, l’urbanisation destructrice, etc. Et c’est aussi l’une des forces du film. Sa faiblesse est de ne pas les penser, les mettre en perspective.
Finalement, le film se présente comme un film, en promettant du cinéma, mais il est tellement rhétorique (au sens de Bordwell : un documentaire est rhétorique lorsqu’il s’adresse directement au spectateur pour le conduire à un changement d’opinion, d’émotion ou d’action, lorsqu’on trouve dans le film l’expression d’une idéologie, lorsque le film fait explicitement appel aux émotions du spectateur pour le convaincre) qu’il fait plus penser à un reportage impressionnant qu’un vrai film. Zhao Liang tourne pour un public occidental, et le conforte dans sa vision habituelle de la Chine : un pays dont l’Etat monstre dévore ses habitants, dont la volonté de modernisation est une calamité, etc.
Le film était en sélection officielle hors compétition à Cannes en 2009. Dans la même sélection (« Séances spéciales ») avait été sélectionné le film Mon voisin, mon tueur de Anne Aghion, que j’ai vu et que je n’ai pas non plus aimé. Les mêmes reproches me viennent à propos des deux films : manque de réelle mise en perspective politique, manque de réelle critique du sujet filmé, adéquation absolue à l’idée communément admise en Occident à propos des faits filmés, manque de réelle dimension esthétique.
Tous les deux des films pour les festivals des droits de l’homme du monde entier…
adeline- Messages : 3000
Re: Pétition. La Cour des plaignants (Zhao Liang 2009)
C'est curieux car j'ai justement vu ce documentaire hier, qui m'a beaucoup plu, et dont je trouve au contraire de vous que la transparence, l'absence d'effets, la neutralité sont justement une des forces du projet.
Il me semble que c'est justement la patience qui est en jeu ici. Le réalisateur filme les plaignants depuis 1996 comme il est précisé.
D'ailleurs, un documentaire n'a pas à avoir d'idéologie. Et j'aime autant cette démarche vis à vis du réel que celle qui vise à démontrer un point de vu, ou à jeter un éclairage.
Mais de quel éclairage pourrait-on avoir besoin face à ces situations qui nous sont montrées dans "La cour des plaignants" ? Le film est suffisamment clair, pour n'avoir aucun besoin qu'un discours s'ajoute.
Le spectateur saisit très bien la désespérance engendrée par la dictature, ce qu'est la privation de droit, la clochardisation des militants et comment l'entêtement dans une cause peut s'assimiler à du sacrifice.
On voit très bien, me semble-t-il, dans ce documentaire l'envers de la Chine et comment le gouvernement anéantit les individus qu'il refuse d'entendre. On est au ras du sol, à la même hauteur que les gens filmés, confinés avec eux. Qu'il n'y ait pas de hauteur, ni de mépris, m'apparaissent comme des qualités.
Ce n'est effectivement ni réjouissant, ni exemplaire. Comme la réalité d'ailleurs qui ne donne pas de leçon. Qui ne fait pas sens. Qui existe tout simplement.
Et il me semble aussi que c'est un film politique, mais qui n'est pas humaniste et qui exige beaucoup du spectateur en le mettant face à des réalités pénibles, cachées, face à une misère frontale.
Alors, oui le film n'offre pas d'élévation, ne donne pas son opinion à haute voix, mais moi je suis en parfait accord avec Zhao Liang et je l'approuve d'avoir passé dix ans, à filmer les rebuts de la société chinoise. Et je trouve son documentaire assez unique, courageux et peut-être même historique.
Sinon, si vous voulez du documentaire plus engagé, je ne peux que vous recommander Johan Von der Keuken. Car ici, on est plus dans la veine captatrice (pas prédatrice) d'un Depardon sombre.
Il me semble que c'est justement la patience qui est en jeu ici. Le réalisateur filme les plaignants depuis 1996 comme il est précisé.
D'ailleurs, un documentaire n'a pas à avoir d'idéologie. Et j'aime autant cette démarche vis à vis du réel que celle qui vise à démontrer un point de vu, ou à jeter un éclairage.
Mais de quel éclairage pourrait-on avoir besoin face à ces situations qui nous sont montrées dans "La cour des plaignants" ? Le film est suffisamment clair, pour n'avoir aucun besoin qu'un discours s'ajoute.
Le spectateur saisit très bien la désespérance engendrée par la dictature, ce qu'est la privation de droit, la clochardisation des militants et comment l'entêtement dans une cause peut s'assimiler à du sacrifice.
On voit très bien, me semble-t-il, dans ce documentaire l'envers de la Chine et comment le gouvernement anéantit les individus qu'il refuse d'entendre. On est au ras du sol, à la même hauteur que les gens filmés, confinés avec eux. Qu'il n'y ait pas de hauteur, ni de mépris, m'apparaissent comme des qualités.
Ce n'est effectivement ni réjouissant, ni exemplaire. Comme la réalité d'ailleurs qui ne donne pas de leçon. Qui ne fait pas sens. Qui existe tout simplement.
Et il me semble aussi que c'est un film politique, mais qui n'est pas humaniste et qui exige beaucoup du spectateur en le mettant face à des réalités pénibles, cachées, face à une misère frontale.
Alors, oui le film n'offre pas d'élévation, ne donne pas son opinion à haute voix, mais moi je suis en parfait accord avec Zhao Liang et je l'approuve d'avoir passé dix ans, à filmer les rebuts de la société chinoise. Et je trouve son documentaire assez unique, courageux et peut-être même historique.
Sinon, si vous voulez du documentaire plus engagé, je ne peux que vous recommander Johan Von der Keuken. Car ici, on est plus dans la veine captatrice (pas prédatrice) d'un Depardon sombre.
Re: Pétition. La Cour des plaignants (Zhao Liang 2009)
Rotor a écrit:
D'ailleurs, un documentaire n'a pas à avoir d'idéologie. Et j'aime autant cette démarche vis à vis du réel que celle qui vise à démontrer un point de vu, ou à jeter un éclairage.
Mais de quel éclairage pourrait-on avoir besoin face à ces situations qui nous sont montrées dans "La cour des plaignants" ? Le film est suffisamment clair, pour n'avoir aucun besoin qu'un discours s'ajoute.
Le spectateur saisit très bien la désespérance engendrée par la dictature, ce qu'est la privation de droit, la clochardisation des militants et comment l'entêtement dans une cause peut s'assimiler à du sacrifice.
On voit très bien, me semble-t-il, dans ce documentaire l'envers de la Chine et comment le gouvernement anéantit les individus qu'il refuse d'entendre. On est au ras du sol, à la même hauteur que les gens filmés, confinés avec eux. Qu'il n'y ait pas de hauteur, ni de mépris, m'apparaissent comme des qualités.
(...)
Et il me semble aussi que c'est un film politique, mais qui n'est pas humaniste et qui exige beaucoup du spectateur en le mettant face à des réalités pénibles, cachées, face à une misère frontale.
(...)
Sinon, si vous voulez du documentaire plus engagé, je ne peux que vous recommander Johan Von der Keuken. Car ici, on est plus dans la veine captatrice (pas prédatrice) d'un Depardon sombre.
Hello Rotor,
ah mais je crois qu'on s'est mal compris. Je ne reproche pas au film son manque d'idéologie, au contraire, puisque je lui reproche d'être un documentaire rhétorique, je lui reproche d'être au service d'une idéologie. Je reproche au réalisateur de servir un discours préexistant au film sans critique, sans ouverture. Les réalités horribles que le film met face aux spectateurs ne sont pas cachées, c'est le discours habituel sur la Chine en France. C'est exactement la même chose que Du Haibin montrait dans 1428, puisque j'en parlais. Et je ne dit pas du tout que ce constat, cet état des choses est faux. Je dis qu'il est filmé pour un public précis, qu'il est construit selon un schéma habituel. Toute la force du film dont tu parles est à mon avis en grande partie extérieure au film lui-même. Elle vient de la patience du réalisateur, bien sûr, mais je ne vois aucune transparence, aucune neutralité dont on puisse se réjouir, et je ne vois partout que des effets, au contraire.
Tout film est un discours. Reste à savoir lequel.
Pour moi justement le film ne parle pas de militantisme, en cela, il échoue. Il ramène l'acte des militants à la folie pathologique de la mère par exemple. Je n'y vois pas un sacrifice. Elle n'est pas du tout dans une démarche militante, je pense plutôt qu'elle est malade de la perte de son mari et qu'elle se raccroche à l'idée de la réparation judiciaire pour rester en vie. Le film met les deux démarches sur un plan d'égalité, c'est en grande partie ce que je lui reproche.comment l'entêtement dans une cause peut s'assimiler à du sacrifice
Toutes les qualités que tu donnes au film, je les lui reconnais bien volontiers. Si justement on veut parler de Keuken, je ne placerais pas la différence entre les deux réalisateurs sur un plan politique, ou d'engagement, même s'il y a une différence évident. Mais je dirais que Keuken est un cinéaste, et sans doute le plus grand cinéaste documentaire du XXe siècle. Quand Zhao Liang, avec ce film, ne dépasse pas le reportage façon cinéma direct.
adeline- Messages : 3000
Re: Pétition. La Cour des plaignants (Zhao Liang 2009)
Je continue pourtant de ne pas trouver l'idéologie dont tu parles dans ce documentaire de Zhao Liang, qui est factuel et matérialiste.
Le choix du réalisateur de ne montrer que des exclus, et de suivre les plus misérables peut te sembler curieux ou peu représentatif de la société chinoise, mais je ne crois pas que cette volonté de filmer les bas-fonds soit théorique, ni même qu'elle se veuille exemplaire.
Il me semble que la question centrale : D'où vient la misère ? Reste ouverte tout au long des deux heures du film. Et que plusieurs pistes sont abordées. Que par exemple, il y a un retournement intéressant quand on s'aperçoit que la folie de la mère est à la fois crée par le système et entretenue par elle-même. Qu'elle est "folle" car elle fut jetée en psychiatrie, et qu'elle l'est devenue par son entêtement sacrificiel dans une « cause perdue ».
Dès lors, le jugement du spectateur est aboli. Il ne sait pas, il est comme ceux qui sont filmés, dépassé par l’inhumanité des conditions de ces gens et doit suspendre son avis.
Il y a aussi, me semble-t-il à l’œuvre une subtile dialectique de la patience qui consiste à suivre des individus sans ajouter de projections et à les laisser parler. Ici, il s'agit de montrer des quasi-clochards (ceux là même qui furent nettoyés des rues avant les JO). Et il est vrai que le film n’épargne rien et que les scènes qui t'ont choqué sont effectivement violentes, dures.
A l'extrême rigueur mais le cinéaste ne serait certainement pas d'accord, on peut dire que "La cour des plaignants" est un documentaire marxiste, dans le sens où il s'arrête de rêver là où commence le réel. Et qu'il ne montre que les conditions matérielles : force de travail, situation économique, éducation de la paysannerie chinoise.
Zhao Liang cerne des situations vécues qui n'ont rien de particulièrement orientées en direction de l'Occident.
Le choix du réalisateur de ne montrer que des exclus, et de suivre les plus misérables peut te sembler curieux ou peu représentatif de la société chinoise, mais je ne crois pas que cette volonté de filmer les bas-fonds soit théorique, ni même qu'elle se veuille exemplaire.
Il me semble que la question centrale : D'où vient la misère ? Reste ouverte tout au long des deux heures du film. Et que plusieurs pistes sont abordées. Que par exemple, il y a un retournement intéressant quand on s'aperçoit que la folie de la mère est à la fois crée par le système et entretenue par elle-même. Qu'elle est "folle" car elle fut jetée en psychiatrie, et qu'elle l'est devenue par son entêtement sacrificiel dans une « cause perdue ».
Dès lors, le jugement du spectateur est aboli. Il ne sait pas, il est comme ceux qui sont filmés, dépassé par l’inhumanité des conditions de ces gens et doit suspendre son avis.
Il y a aussi, me semble-t-il à l’œuvre une subtile dialectique de la patience qui consiste à suivre des individus sans ajouter de projections et à les laisser parler. Ici, il s'agit de montrer des quasi-clochards (ceux là même qui furent nettoyés des rues avant les JO). Et il est vrai que le film n’épargne rien et que les scènes qui t'ont choqué sont effectivement violentes, dures.
A l'extrême rigueur mais le cinéaste ne serait certainement pas d'accord, on peut dire que "La cour des plaignants" est un documentaire marxiste, dans le sens où il s'arrête de rêver là où commence le réel. Et qu'il ne montre que les conditions matérielles : force de travail, situation économique, éducation de la paysannerie chinoise.
Zhao Liang cerne des situations vécues qui n'ont rien de particulièrement orientées en direction de l'Occident.
Re: Pétition. La Cour des plaignants (Zhao Liang 2009)
Je ne reproche pas à ZL ses choix en ce qui concerne le sujet de son documentaire. Rester du côté des plaignants, ne filmer qu'eux, les filmer dans leurs conditions de vie sans les amoindrir ou les alléger, tout ça est bien, et c'est la force du film que je reconnais.
Ce que je lui reproche, c'est la manière dont il filme. Tu dis qu'il reste factuel et matérialiste. Je comprends que tu veux dire qu'il ne juge pas, qu'il dresse un constat, un portrait objectif de ce qu'il filme. C'est là où je suis en désaccord : la manière dont il filme est critiquable, et je la critique. La forme de son film me déplaît. Il n'y a pas de forme objective, il n'y a que des choix. Je critique ses choix de réalisation et de montage. Je le trouve voyeur, presqu'avilissant. Il filme sans morale, et sans éthique. Et son point de vue n'en devient pas neutre pour autant.
J'ai l'impression qu'on ne discute pas de la même chose. Tu défends la démarche, pensant que c'est la démarche que je critique. Mais je trouve la démarche très bien, c'est la réalisation du film que je critique. Tu dis qu'il suit des individus sans ajouter de projections en les laissant parler. Mais lorsqu'il poursuit la mère, qui ne veut pas être filmée, que fait-il d'autre sinon ne pas la laisser ?
Bien sûr que les situations que ces gens vivent n'ont rien d'orienté en direction de l'Occident. Ce que je dis, c'est que son film correspond parfaitement à une vision que l'Occident a de la Chine aujourd'hui, et qu'il ne déplace aucune ligne de partage, qu'il ne met rien en tension, qu'il n'invente rien. Je trouve que c'est un film pauvre.
Ce que je lui reproche, c'est la manière dont il filme. Tu dis qu'il reste factuel et matérialiste. Je comprends que tu veux dire qu'il ne juge pas, qu'il dresse un constat, un portrait objectif de ce qu'il filme. C'est là où je suis en désaccord : la manière dont il filme est critiquable, et je la critique. La forme de son film me déplaît. Il n'y a pas de forme objective, il n'y a que des choix. Je critique ses choix de réalisation et de montage. Je le trouve voyeur, presqu'avilissant. Il filme sans morale, et sans éthique. Et son point de vue n'en devient pas neutre pour autant.
J'ai l'impression qu'on ne discute pas de la même chose. Tu défends la démarche, pensant que c'est la démarche que je critique. Mais je trouve la démarche très bien, c'est la réalisation du film que je critique. Tu dis qu'il suit des individus sans ajouter de projections en les laissant parler. Mais lorsqu'il poursuit la mère, qui ne veut pas être filmée, que fait-il d'autre sinon ne pas la laisser ?
Zhao Liang cerne des situations vécues qui n'ont rien de particulièrement orientées en direction de l'Occident.
Bien sûr que les situations que ces gens vivent n'ont rien d'orienté en direction de l'Occident. Ce que je dis, c'est que son film correspond parfaitement à une vision que l'Occident a de la Chine aujourd'hui, et qu'il ne déplace aucune ligne de partage, qu'il ne met rien en tension, qu'il n'invente rien. Je trouve que c'est un film pauvre.
adeline- Messages : 3000
Re: Pétition. La Cour des plaignants (Zhao Liang 2009)
La discussion risque de devenir assez privée, mais par exemple quand ZL suit la mère, il le fait pour une raison très simple. Il veut lui donner le mot d'adieu que la jeune fille avait écrit. Il me semble que cela justifie sa poursuite.
Il a le droit d'intervenir dans cette affaire car un des "personnages" lui a transmis un message.
D'ailleurs, c'est ce que ZL fait dans son documentaire, il est le témoin et le messager des réalités qu'il filme.
Il a le droit d'intervenir dans cette affaire car un des "personnages" lui a transmis un message.
D'ailleurs, c'est ce que ZL fait dans son documentaire, il est le témoin et le messager des réalités qu'il filme.
Re: Pétition. La Cour des plaignants (Zhao Liang 2009)
je déteste les documentaires : tout le monde regarde la caméra, c'est la mort à bon marché.
Ou alors il faut s'appeler Chantal Akerman, et filmer Sud, une des plus belles choses qu'on puissent voir.
Ou alors il faut s'appeler Chantal Akerman, et filmer Sud, une des plus belles choses qu'on puissent voir.
Invité- Invité
Re: Pétition. La Cour des plaignants (Zhao Liang 2009)
Ah mais oui, tout à fait d'accord, il suit la mère pour lui donner le mot de la fille. Ma question : pourquoi la filmer alors qu'elle ne veut pas ? Il peut éteindre la caméra, et lui donner le mot, non ?
Autre question à poser : quel est son rôle dans la relation entre la fille et la mère ? Quelle est son action sur la situation ? Le film ne pense pas du tout le rôle du réalisateur dans ce qu'il filme. Être le témoin et le messager des réalités qu'il filme, cela veut-il dire être témoin et messager entre les gens qu'il filme ?
Tu confonds toujours deux choses dans ce que tu dis : la vie des gens, et le film, comme si le film n'était pas une histoire racontée par ZL, comme s'il n'avait eu aucune possibilité de mise en scène, d'action, de cadre, comme s'il n'avait aucun choix. Mais le réel, s'il est donné dans le documentaire par rapport à la fiction, n'en est pas moins totalement construit par le réalisateur pour son film. J'ai l'impression de ne dire que des évidences.
Autre question à poser : quel est son rôle dans la relation entre la fille et la mère ? Quelle est son action sur la situation ? Le film ne pense pas du tout le rôle du réalisateur dans ce qu'il filme. Être le témoin et le messager des réalités qu'il filme, cela veut-il dire être témoin et messager entre les gens qu'il filme ?
Tu confonds toujours deux choses dans ce que tu dis : la vie des gens, et le film, comme si le film n'était pas une histoire racontée par ZL, comme s'il n'avait eu aucune possibilité de mise en scène, d'action, de cadre, comme s'il n'avait aucun choix. Mais le réel, s'il est donné dans le documentaire par rapport à la fiction, n'en est pas moins totalement construit par le réalisateur pour son film. J'ai l'impression de ne dire que des évidences.
Dernière édition par adeline le Lun 31 Jan 2011 - 16:45, édité 1 fois
adeline- Messages : 3000
Re: Pétition. La Cour des plaignants (Zhao Liang 2009)
Mais le réel, s'il est donné
tiens en veux tu en voila du réel ? la fiction n'est pas moins "donnée" que le réel et l'histoire de la main invisible est éculée.
c'est à peu prés comme l'idée du suicide ; elle m'a fait passer de bonnes nuits de sommeil. pfuit...
de toute façons les films qui prennent le chou ou il faut couper les cheveux en quatre sont mauvais. mais tous les goûts sont dans le "réel". lol
tiens en veux tu en voila du réel ? la fiction n'est pas moins "donnée" que le réel et l'histoire de la main invisible est éculée.
c'est à peu prés comme l'idée du suicide ; elle m'a fait passer de bonnes nuits de sommeil. pfuit...
de toute façons les films qui prennent le chou ou il faut couper les cheveux en quatre sont mauvais. mais tous les goûts sont dans le "réel". lol
Invité- Invité
Re: Pétition. La Cour des plaignants (Zhao Liang 2009)
Devant la loi — F. Kafka
Devant la loi se dresse le gardien de la porte. Un homme de la campagne se présente et demande à entrer dans la loi. Mais le gardien dit que pour l'instant il ne peut pas lui accorder l'entrée. L'homme réfléchit, puis demande s'il lui sera permis d'entrer plus tard. «C'est possible», dit le gardien, «mais pas maintenant». Le gardien s'efface devant la porte, ouverte comme toujours, et l'homme se baisse pour regarder à l'intérieur. Le gardien s'en aperçoit, et rit. «Si cela t'attire tellement», dit-il, «essaie donc d'entrer malgré ma défense. Mais retiens ceci: je suis puissant. Et je ne suis que le dernier des gardiens. Devant chaque salle il y a des gardiens de plus en plus puissants, je ne puis même pas supporter l'aspect du troisième après moi.» L'homme de la campagne ne s'attendait pas à de telles difficultés; la loi ne doit-elle pas être accessible à tous et toujours, mais comme il regarde maintenant de plus près le gardien dans son manteau de fourrure, avec son nez pointu, sa barbe de Tartare longue et maigre et noire, il en arrive à préférer d'attendre, jusqu'à ce qu'on lui accorde la permission d'entrer. Le gardien lui donne un tabouret et le fait asseoir auprès de la porte, un peu à l'écart. Là, il reste assis des jours, des années. Il fait de nombreuses tentatives pour être admis à l'intérieur, et fatigue le gardien de ses prières. Parfois, le gardien fait subir à l'homme de petits interrogatoires, il le questionne sur sa patrie et sur beaucoup d'autres choses, mais ce sont là questions posées avec indifférence à la manière des grands seigneurs. Et il finit par lui répéter qu'il ne peut pas encore le faire entrer. L'homme, qui s'était bien équipé pour le voyage, emploie tous les moyens, si coûteux soient-ils, afin de corrompre le gardien. Celui-ci accepte tout, c'est vrai, mais il ajoute: «J'accepte seulement afin que tu sois bien persuadé que tu n'as rien omis». Des années et des années durant, l'homme observe le gardien presque sans interruption. Il oublie les autres gardiens. Le premier lui semble être le seul obstacle. Les premières années, il maudit sa malchance sans égard et à haute voix. Plus tard, se faisant vieux, il se borne à grommeler entre les dents. Il tombe en enfance et comme, à force d'examiner le gardien pendant des années, il a fini par connaître jusqu'aux puces de sa fourrure, il prie les puces de lui venir en aide et de changer l'humeur du gardien; enfin sa vue faiblit et il ne sait vraiment pas s'il fait plus sombre autour de lui ou si ses yeux le trompent. Mais il reconnaît bien maintenant dans l'obscurité une glorieuse lueur qui jaillit éternellement de la porte de la loi. À présent, il n'a plus longtemps à vivre. Avant sa mort toutes les expériences de tant d'années, accumulées dans sa tête, vont aboutir à une question que jusqu'alors il n'a pas encore posée au gardien. Il lui fait signe, parce qu'il ne peut plus redresser son corps roidi. Le gardien de la porte doit se pencher bien bas, car la différence de taille s'est modifiée à l'entier désavantage de l'homme de la campagne. «Que veux-tu donc savoir encore?» demande le gardien. «Tu es insatiable.» «Si chacun aspire à la loi», dit l'homme, «comment se fait-il que durant toutes ces années personne autre que moi n'ait demandé à entrer?» Le gardien de la porte, sentant venir la fin de l'homme, lui rugit à l'oreille pour mieux atteindre son tympan presque inerte: «Ici nul autre que toi ne pouvait pénétrer, car cette entrée n'était faite que pour toi. Maintenant, je m'en vais et je ferme la porte.»
Badiou, dans son entretient avec les Cahiers dit quelques conneries sur "film socialisme", mais il dit aussi un truc assez intéressant ailleurs sur ce film : "Godard m'a rendu justice"...; reprenant conrad, il dit de l'art, donc du cinéma, qu'il est ce qui rend justice aux choses, aux êtres, au réel... au visible;
on peut donc tenter de penser ici deux formes de justice, la politique, pour laquelle se battent les personnages filmés, et la cinématographique, et alors la question devient : le film rend-t-il justice à "ses personnages"...
la citation de conrad se trouve dans l'intro au "nègre du narcisse" (le passage est aussi cité par JLNancy, dans les muses; le texte de conrad est vraiment très étrange...la fiction je veux dire...)
A work that aspires, however humbly, to the condition of art should carry its justification in every line. And art itself may be definded as a single-minded attempt to render the highest kind of justice to the visible universe, by bringing to light the truth, manifold and one, underlying its every aspect. It is an attempt to find in its forms, in its colours, in its light, in its shadows, in the aspects of matter and in the facts of life, what of each is fundamental, what is enduring and essential -- their one illuminating and convincing quality -- the very truth of their existence.
Borges- Messages : 6044
Re: Pétition. La Cour des plaignants (Zhao Liang 2009)
une porte pour chacun : quelle beau message de paix
Invité- Invité
Re: Pétition. La Cour des plaignants (Zhao Liang 2009)
Merci Borges ! Evidemment, le texte de Kafka est essentiel pour ce film.
Rotor, tu disais que le réalisateur ne fait rien d'autre que donner à la mère le message de sa fille, que cette raison justifie sa poursuite.
Mais je trouve bien au contraire que cette scène de poursuite est inique, qu'elle n'aurait jamais dû prendre place dans le film, que c'est un abus de puissance, de pouvoir du réalisateur sur ses personnages. C'est aussi une prise de partie dans la vie de ses personnages qui n'a aucune raison d'exister dans le film.
Je me suis souvenu d'un film vachement bien, qui donne le contre-point parfait à la scène de la poursuite de la mère. C'est And Thereafter II, de Hosup Lee. Le réalisateur veut filmer cette dame, une Coréenne qui a épousé un soldat américain lors de la guerre de Corée, et qui l'a suivi au Etats-Unis. Le truc, c'est qu'elle ne veut pas. Et le première partie du film montre l'acharnement du réalisateur à sonner chez elle, caméra à la main, pour la convaincre d'accepter la caméra. De tractation en tractation, il finira par la persuader, mais alors c'est elle qui se met à décider en quelque sorte du film, de ce qu'il peut ou non filmer, de là où s'arrête les prises, et finalement, se met en place une sorte de jeu de séduction incroyable entre la vieille dame et le réalisateur.
Hosup Lee, avec le film, rend entièrement justice à la dame qu'il filme, et il fait même plus puisqu'il rend à travers elle justice à toutes les femmes coréennes qui ont suivi leur mari aux Etats-Unis, et dont les vies n'ont pas vraiment été roses. Que fait ZL lorsqu'il suit la mère contre sa volonté ? Quelle justice lui rend-il ? En quoi la scène est-elle nécessaire au film ? Que dit-elle ? Dans la construction même de cette séquence il "trahit" déjà la mère en mettant le spectateur au courant du départ de la fille avant même que la mère le sache. C'est une dramatisation utile en termes narratifs simples, mais très désagréable, car elle nous place, spectateurs, en position de voyeurs à l'égard du couple mère-fille. (C'est l'une des choses que Comolli reproche au film de Sauper, Le Cauchemar de Darwin).
Les qualités que tu trouves au film, et la manière dont tu le défends me font penser encore à ce qu'écrivait Comolli en 2006 à propos du succès des films de Michael Moore et Hubert Sauper en salle : "Quand les médias parlent de "documentaire", c'est le mot "cinéma" qui disparaît, au profit d'une valorisation des dimensions d'objectivité, de sérieux, de travail, censées être liées à la notion de document".
Voilà, je dis que le film de ZL est un incroyable document, qu'il a fait un travail sérieux, objectif peut-être, mais que le cinéma qui en sort ne me plaît pas du tout. Je le trouve voyeur, sensationnaliste, et misérabiliste, et en tout ça, il ne rend pas justice à ses personnages.
Rotor, tu disais que le réalisateur ne fait rien d'autre que donner à la mère le message de sa fille, que cette raison justifie sa poursuite.
Mais je trouve bien au contraire que cette scène de poursuite est inique, qu'elle n'aurait jamais dû prendre place dans le film, que c'est un abus de puissance, de pouvoir du réalisateur sur ses personnages. C'est aussi une prise de partie dans la vie de ses personnages qui n'a aucune raison d'exister dans le film.
Je me suis souvenu d'un film vachement bien, qui donne le contre-point parfait à la scène de la poursuite de la mère. C'est And Thereafter II, de Hosup Lee. Le réalisateur veut filmer cette dame, une Coréenne qui a épousé un soldat américain lors de la guerre de Corée, et qui l'a suivi au Etats-Unis. Le truc, c'est qu'elle ne veut pas. Et le première partie du film montre l'acharnement du réalisateur à sonner chez elle, caméra à la main, pour la convaincre d'accepter la caméra. De tractation en tractation, il finira par la persuader, mais alors c'est elle qui se met à décider en quelque sorte du film, de ce qu'il peut ou non filmer, de là où s'arrête les prises, et finalement, se met en place une sorte de jeu de séduction incroyable entre la vieille dame et le réalisateur.
Hosup Lee, avec le film, rend entièrement justice à la dame qu'il filme, et il fait même plus puisqu'il rend à travers elle justice à toutes les femmes coréennes qui ont suivi leur mari aux Etats-Unis, et dont les vies n'ont pas vraiment été roses. Que fait ZL lorsqu'il suit la mère contre sa volonté ? Quelle justice lui rend-il ? En quoi la scène est-elle nécessaire au film ? Que dit-elle ? Dans la construction même de cette séquence il "trahit" déjà la mère en mettant le spectateur au courant du départ de la fille avant même que la mère le sache. C'est une dramatisation utile en termes narratifs simples, mais très désagréable, car elle nous place, spectateurs, en position de voyeurs à l'égard du couple mère-fille. (C'est l'une des choses que Comolli reproche au film de Sauper, Le Cauchemar de Darwin).
Les qualités que tu trouves au film, et la manière dont tu le défends me font penser encore à ce qu'écrivait Comolli en 2006 à propos du succès des films de Michael Moore et Hubert Sauper en salle : "Quand les médias parlent de "documentaire", c'est le mot "cinéma" qui disparaît, au profit d'une valorisation des dimensions d'objectivité, de sérieux, de travail, censées être liées à la notion de document".
Voilà, je dis que le film de ZL est un incroyable document, qu'il a fait un travail sérieux, objectif peut-être, mais que le cinéma qui en sort ne me plaît pas du tout. Je le trouve voyeur, sensationnaliste, et misérabiliste, et en tout ça, il ne rend pas justice à ses personnages.
adeline- Messages : 3000
Re: Pétition. La Cour des plaignants (Zhao Liang 2009)
Ok.
Mais il n'est pas interdit de trahir, de manipuler, de faire un film injuste. Je ne crois pas que la question de la morale soit primordiale.
Il y a une morale close de l'image qui prévaut sur la loi de respect. Il y a une fascination de l'image qui est plus importante que la question du cas de conscience. Me semble-t-il.
D'ailleurs, il serait absurde de vouloir imposer une morale puisque de toute évidence, nous avons des regards différents (et c'est ce qui permet le débat).
Nos avis divergent, et il nous sera impossible d'arriver à un accord sur cette séquence, je continue de ne rien voir de mal à cette poursuite de la mère. Mais j'imagine volontiers que le cinéaste lui-même en agissant ainsi, a réalisé le risque qu'il prenait. Je trouve son choix parfaitement justifié.
Et je termine par une blague un peu nulle de khâgneux : Je voulais faire Proust, mais j'ai redoublé alors j'ai fait Kafka.
Mais il n'est pas interdit de trahir, de manipuler, de faire un film injuste. Je ne crois pas que la question de la morale soit primordiale.
Il y a une morale close de l'image qui prévaut sur la loi de respect. Il y a une fascination de l'image qui est plus importante que la question du cas de conscience. Me semble-t-il.
D'ailleurs, il serait absurde de vouloir imposer une morale puisque de toute évidence, nous avons des regards différents (et c'est ce qui permet le débat).
Nos avis divergent, et il nous sera impossible d'arriver à un accord sur cette séquence, je continue de ne rien voir de mal à cette poursuite de la mère. Mais j'imagine volontiers que le cinéaste lui-même en agissant ainsi, a réalisé le risque qu'il prenait. Je trouve son choix parfaitement justifié.
Et je termine par une blague un peu nulle de khâgneux : Je voulais faire Proust, mais j'ai redoublé alors j'ai fait Kafka.
Re: Pétition. La Cour des plaignants (Zhao Liang 2009)
Hello Rotor,
ah oui, nous ne sommes vraiment pas d'accord
Mais je suis contente de pouvoir discuter de ce doc avec toi, et nous sommes quand même d'accord sur l'idée que ZL est un réalisateur qui a du poids et ne laisse pas indifférent.
Je pense que dans le documentaire l'éthique et l'esthétique sont inséparables, et que la morale du tournage est inséparable de la morale de l'image comme tu dis. Cette idée mille fois discutée depuis le travelling de Kapo.
ah oui, nous ne sommes vraiment pas d'accord
Mais je suis contente de pouvoir discuter de ce doc avec toi, et nous sommes quand même d'accord sur l'idée que ZL est un réalisateur qui a du poids et ne laisse pas indifférent.
Je pense que dans le documentaire l'éthique et l'esthétique sont inséparables, et que la morale du tournage est inséparable de la morale de l'image comme tu dis. Cette idée mille fois discutée depuis le travelling de Kapo.
adeline- Messages : 3000
Re: Pétition. La Cour des plaignants (Zhao Liang 2009)
un article du NYT
Zhao Liang in Beijing. He has made several independent documentaries and now a state-sanctioned one, a move that has cost him some friends. “When you’re working in China, there’s a gray area that you have to navigate well.”
Mr. Zhao’s compromises have damaged some of his closest friendships in China. Among those he once counted on for support is Ai Weiwei, the internationally known artist detained for nearly three months this year during a broad crackdown on liberal intellectuals. Mr. Ai publicly attacked Mr. Zhao late last year for acquiescing to the government’s demand that Mr. Zhao boycott an Australian film festival.
Mr. Zhao said that unlike Mr. Ai, he did not directly oppose the party, though his subjects, from oppressed peasants to drug-addicted rock musicians, live on China’s margins.
Chinese Director’s Path From Rebel to Insider
Zhao Liang in Beijing. He has made several independent documentaries and now a state-sanctioned one, a move that has cost him some friends. “When you’re working in China, there’s a gray area that you have to navigate well.”
Mr. Zhao’s compromises have damaged some of his closest friendships in China. Among those he once counted on for support is Ai Weiwei, the internationally known artist detained for nearly three months this year during a broad crackdown on liberal intellectuals. Mr. Ai publicly attacked Mr. Zhao late last year for acquiescing to the government’s demand that Mr. Zhao boycott an Australian film festival.
Mr. Zhao said that unlike Mr. Ai, he did not directly oppose the party, though his subjects, from oppressed peasants to drug-addicted rock musicians, live on China’s margins.
Chinese Director’s Path From Rebel to Insider
Borges- Messages : 6044
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