Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
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Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
"Car la vie n'est pas un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un pro-scenium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse." (Aimé Césaire)
Je parcourais les critiques du film, et je ne trouvais rien. Il était souvent question de Murnau (et Le Dernier des hommes : pareil, ou pas pareil ? Une question intéressante, mais pas tout de suite), mais jamais des rebelles, des forces gouvernementales, du Tchad, du Darfour, tous ces faits extérieurs qui envahissent peu à peu le hors-champ de leurs bruits de guerre, l'encerclent méthodiquement, avant de faire irruption dans le champ même du film, avec des jeeps et des fusils, pour y prendre les personnages comme dans un étau.
Dans ses entretiens, Haroun dit qu'il a voulu donner à son histoire une profondeur mythique. Qu'est-ce qui s'y prête mieux que ces relations père/fils, teintées du sang du sacrifice abrahamique, qu'on voit dans tous ses films, depuis Abouna ?
Mais en attendant d'y consacrer sa réflexion, on peut aussi choisir d'être un observateur lointain, frustré de ne pas comprendre vraiment ce qui se passe à l'écran. Ces bruits d'avion, ces rebelles, ces soldats, j'avais d'abord envie de savoir ce qu'ils faisaient là, et de ne pas trop me contenter des suggestions du film - sans quoi, on se retrouverait, bêtement, à reconduire le cliché d'une Afrique éternellement en guerre, déchirée de partout par des conflits, civils et internationaux, dont les mobiles, vagues, incompréhensibles, laisseraient entendre qu'ils font partie du décor, de l'essence de ce continent, comme les lions, la savane, ou les enfants faméliques (c’était le problème de White Material à mon avis).
Le mythe attendra donc, car le film ne commence pas par un "Il était une fois". L'action se situe à N'Djamena, de nos jours, et N'Djamena, c'est au Tchad, et nulle part ailleurs. Or, qu'est-ce qui se passe au Tchad ?
Le Tchad, la dernière fois qu’on en a entendu parler ici, c’était à propos de la sinistre affaire « Arche de Noé » (j’y reviens pas, quoique ce soit intéressant de penser à cette histoire d’enfants volés en voyant le film, qui raconte comment un père abandonne son fils à l’armée).
Mais cette affaire n’était qu’un rebondissement, aussi glauque que bouffon, dans un conflit bien plus sérieux, qui est celui du Darfour.
Faut donc se rappeler, en voyant « Un homme qui crie », que le conflit du Darfour (au Soudan) déstabilise, depuis des années, le Tchad voisin.
C’est que les rebelles anti-gouvernementaux au Soudan, avaient, au départ, un leader tchadien.
L’offensive rebelle, relatée dans le film d’Haroun, est donc sans doute celle de janvier-février 2008. La date n’est pas précisée, mais dans ses entretiens, Haroun explique qu’il s’est inspiré de ce qui s’est passé à cette date, alors qu’il était en train de tourner un court métrage.
http://www.monde-diplomatique.fr/2008/03/PRUNIER/15716#nb4
Tout au long du film, on entend des hélicoptères et des avions survolés l’hôtel où travaillent Adam et Abdel, les deux héros du film.
Comme on ne les voit jamais, on peut supposer qu’il s’agit soit des appareils français en mission de renseignement, soit des appareils tchadiens :
http://www.monde-diplomatique.fr/2008/03/LEYMARIE/15717#nb4
Lors d’une scène très forte du film, on voit Adam (le père) surveiller la piscine où des hommes (blancs) s’amusent à construire une pyramide humaine : qui sont-ils ? des agents du FMI ? des cadres d’Exxon Mobil ou de Chevron ? de simples touristes venus là grâce à leur comité d’entreprise ?
C’est seulement quand ils sortent qu’on s’aperçoit que ce sont des militaires : treillis et casquettes bleues.
En maillot de bain, c’était juste des hommes. Habillés, ce sont des soldats (la question de l’uniforme, c’est important dans le film : à l’inverse du Dernier des hommes, Adam vit comme une humiliation d’avoir à porter l’uniforme du portier de l’hôtel. Ce qui lui convenait, c’était celui de maître-nageur : un short blanc, un t-shirt blanc. C’est aussi un uniforme à sa manière, qui fait reconnaître le maître-nageur, mais c’est un uniforme sans marque, sans galon, sans rien : un uniforme neutre. D’ailleurs, maître-nageur, on ne sait pas trop ce que c’est en dehors de l’hôtel : « Qu’est-ce que c’est un maître-nageur ? » demanderont les soldats qui l’arrêtent, pendant le couvre-feu.)
J’en reviens aux militaires de la piscine. Qui sont-ils ? Des soldats de l’ONU ? Non, c’est sans doute des types de l’EUFOR :
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2008-06-17-Tchad-Eufor
Vous le saviez, vous, que la France participait à des opérations militaires au Tchad ? On s’en doute, mais tout ça reste secret et n’est jamais l’objet d’un débat :
Pourquoi se bat-on pour un pays pauvre comme le Tchad ? On le voit assez dans le film : le Tchad, c’est un désert. Il n’y a rien, à part des hommes et des frontières :
Il n’y a ni Etat, ni nation, juste des coups d’Etat et des assassinats d’opposants comme mode de gestion gouvernementale par le clan au pouvoir. Mais depuis les années 2000, il y a du pétrole. Jusque là, quand la baril était à 20 dollars, ça ne valait pas le coup de l’exploiter. Mais comme le prix est monté en flèche ces dix dernières années, le Tchad a commencé à exploiter ses gisements.
Une espèce de mafieux (qui roule dans une belle voiture) sollicite Adam : il doit de l’argent pour « soutenir l’effort de guerre » contre les rebelles, et comme Adam ne peut pas payer, il lui suggère en échange de « donner » son fils à l’armée. Qui est ce type, au juste ? Faut croire qu’il travaille pour l’Etat.
Quand les rebelles attaquent, on le verra fuir la ville, déguisé en femme…
http://www.unhcr.org/refworld/country,,IRBC,,TCD,,4a71777a28,0.html
Voilà : tout ça, c’était pour se rappeler qu’un film, c’est aussi ce qui nous donne des nouvelles du monde (ou l’occasion d’en prendre).
Et c'est aussi un moyen de mettre des noms un peu plus précis sur les "forces du destin" dont les personnages se lamentent.
Je parcourais les critiques du film, et je ne trouvais rien. Il était souvent question de Murnau (et Le Dernier des hommes : pareil, ou pas pareil ? Une question intéressante, mais pas tout de suite), mais jamais des rebelles, des forces gouvernementales, du Tchad, du Darfour, tous ces faits extérieurs qui envahissent peu à peu le hors-champ de leurs bruits de guerre, l'encerclent méthodiquement, avant de faire irruption dans le champ même du film, avec des jeeps et des fusils, pour y prendre les personnages comme dans un étau.
C’est Critikat qui le dit. Sauf que non : partout, c’est la leçon de cinéma dont on parle, et rien ou presque sur le Tchad.parabole filiale voire politique (l’Occident tue l’Afrique, la sentant capable de trop s’émanciper). Ces analyses ne manqueront pas de supports pour être développées
Dans ses entretiens, Haroun dit qu'il a voulu donner à son histoire une profondeur mythique. Qu'est-ce qui s'y prête mieux que ces relations père/fils, teintées du sang du sacrifice abrahamique, qu'on voit dans tous ses films, depuis Abouna ?
Mais en attendant d'y consacrer sa réflexion, on peut aussi choisir d'être un observateur lointain, frustré de ne pas comprendre vraiment ce qui se passe à l'écran. Ces bruits d'avion, ces rebelles, ces soldats, j'avais d'abord envie de savoir ce qu'ils faisaient là, et de ne pas trop me contenter des suggestions du film - sans quoi, on se retrouverait, bêtement, à reconduire le cliché d'une Afrique éternellement en guerre, déchirée de partout par des conflits, civils et internationaux, dont les mobiles, vagues, incompréhensibles, laisseraient entendre qu'ils font partie du décor, de l'essence de ce continent, comme les lions, la savane, ou les enfants faméliques (c’était le problème de White Material à mon avis).
Le mythe attendra donc, car le film ne commence pas par un "Il était une fois". L'action se situe à N'Djamena, de nos jours, et N'Djamena, c'est au Tchad, et nulle part ailleurs. Or, qu'est-ce qui se passe au Tchad ?
Le Tchad, la dernière fois qu’on en a entendu parler ici, c’était à propos de la sinistre affaire « Arche de Noé » (j’y reviens pas, quoique ce soit intéressant de penser à cette histoire d’enfants volés en voyant le film, qui raconte comment un père abandonne son fils à l’armée).
Mais cette affaire n’était qu’un rebondissement, aussi glauque que bouffon, dans un conflit bien plus sérieux, qui est celui du Darfour.
Faut donc se rappeler, en voyant « Un homme qui crie », que le conflit du Darfour (au Soudan) déstabilise, depuis des années, le Tchad voisin.
C’est que les rebelles anti-gouvernementaux au Soudan, avaient, au départ, un leader tchadien.
Idriss Déby, le président tchadien (en place depuis 1990 grâce à un coup d’état et à l’appui de la France), fait lui-même partie de l’ethnie zaghawa. Pour conserver le pouvoir, après son coup de force, il a d’abord soutenu le Soudan contre les rebelles, mais son armée lui a imposé un nouvel état-major, favorable aux rebelles du Darfour.Pourquoi et comment en est-on arrivé à une aussi étroite imbrication des conflits soudanais et tchadien ? La clé se trouve dans la guerre au Darfour. Lorsque celle-ci a éclaté, en février 2003, le premier chef militaire de la rébellion soudanaise était... un Tchadien, le fameux commandant Abbakar, qui devait mourir au combat l’année suivante. Il appartenait à l’ethnie zaghawa, qui vit à cheval sur la frontière des deux pays, et il sympathisait avec les membres de son ethnie, opprimés au Soudan.
L’offensive rebelle, relatée dans le film d’Haroun, est donc sans doute celle de janvier-février 2008. La date n’est pas précisée, mais dans ses entretiens, Haroun explique qu’il s’est inspiré de ce qui s’est passé à cette date, alors qu’il était en train de tourner un court métrage.
Le lundi 28 janvier, une colonne de deux cent cinquante pick-up transportant environ deux mille combattants était partie de la base de Hajil au Darfour occidental (Soudan). Selon de nombreux témoignages, l’invasion était directement coordonnée par le ministre soudanais de la défense, le général Abdel Rahim Mohamed Hussein . Le 1er février, lors de la bataille de Massaguet, à quatre-vingts kilomètres au nord-est de N’Djamena, les rebelles repoussaient une contre-offensive de l’armée nationale tchadienne (ANT) qui tentait de les arrêter. Le lendemain matin, ils atteignaient la capitale tchadienne et entreprenaient d’investir les principaux bâtiments publics. Après deux jours de combats, au cours desquels M. Déby se vit contraint de défendre le palais présidentiel lui-même, l’ANT reprit la situation en main dans l’après-midi du dimanche.
http://www.monde-diplomatique.fr/2008/03/PRUNIER/15716#nb4
Tout au long du film, on entend des hélicoptères et des avions survolés l’hôtel où travaillent Adam et Abdel, les deux héros du film.
Comme on ne les voit jamais, on peut supposer qu’il s’agit soit des appareils français en mission de renseignement, soit des appareils tchadiens :
La France est liée au Tchad par de simples accords de coopération militaire technique (…) Cela comprend l’aide au « reformatage » de l’armée tchadienne (entraînement, équipement), l’appui logistique (transport, munitions), le soutien en matière de santé (évacuation de blessés, hôpital) et surtout de renseignements (collectés par les Mirage F1 et le patrouilleur Breguet-Atlantic de l’opération « Epervier » ). Ces survols constants – qui permettent de localiser d’éventuelles colonnes de combattants hostiles – ont toujours été l’une des clés de la survie du régime de N’Djamena : elles ont été qualifiées d’« actes de guerre » par l’alliance des organisations rebelles. (…)En tenant l’aéroport de N’Djamena, le contingent français – porté à près de deux mille hommes avec des renforts prélevés sur la garnison de Libreville (Gabon) – a permis la livraison en urgence de munitions en provenance de Libye et d’Israël, et le soutien aux opérations héliportées de la petite mais meurtrière armée de l’air tchadienne (Essentiellement, trois hélicoptères de combat de fabrication russe Mi-17 et 24, avec équipages en partie ukrainiens et mexicains, et trois Pilatus PC-7 construits en Suisse)
http://www.monde-diplomatique.fr/2008/03/LEYMARIE/15717#nb4
Lors d’une scène très forte du film, on voit Adam (le père) surveiller la piscine où des hommes (blancs) s’amusent à construire une pyramide humaine : qui sont-ils ? des agents du FMI ? des cadres d’Exxon Mobil ou de Chevron ? de simples touristes venus là grâce à leur comité d’entreprise ?
C’est seulement quand ils sortent qu’on s’aperçoit que ce sont des militaires : treillis et casquettes bleues.
En maillot de bain, c’était juste des hommes. Habillés, ce sont des soldats (la question de l’uniforme, c’est important dans le film : à l’inverse du Dernier des hommes, Adam vit comme une humiliation d’avoir à porter l’uniforme du portier de l’hôtel. Ce qui lui convenait, c’était celui de maître-nageur : un short blanc, un t-shirt blanc. C’est aussi un uniforme à sa manière, qui fait reconnaître le maître-nageur, mais c’est un uniforme sans marque, sans galon, sans rien : un uniforme neutre. D’ailleurs, maître-nageur, on ne sait pas trop ce que c’est en dehors de l’hôtel : « Qu’est-ce que c’est un maître-nageur ? » demanderont les soldats qui l’arrêtent, pendant le couvre-feu.)
J’en reviens aux militaires de la piscine. Qui sont-ils ? Des soldats de l’ONU ? Non, c’est sans doute des types de l’EUFOR :
Mise en place avec difficulté en début d’année [2008], compte tenu des réticences de Londres et Berlin, l’Eufor ne poursuit officiellement que des buts humanitaires : sécuriser les populations d’une région déstabilisée par le conflit au Darfour voisin.
En février dernier, [le président Déby] aurait probablement été renversé, si la France – et ses moyens militaires sur place – ne l’avait soutenu alors que les remous provoqués par les activités de l’Arche de Zoé faisaient toujours sentir leurs effets.
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2008-06-17-Tchad-Eufor
Vous le saviez, vous, que la France participait à des opérations militaires au Tchad ? On s’en doute, mais tout ça reste secret et n’est jamais l’objet d’un débat :
http://www.monde-diplomatique.fr/2008/03/LEYMARIE/15717#nb4L’ensemble de ces actions ont été décidées, une fois de plus, dans le secret par l’Elysée, conseillé par les ministères de la défense et des affaires étrangères. La teneur des conseils de défense n’est jamais rendue publique en temps de paix ; elle l’est encore moins dans les situations d’urgence, qui s’apparentent à un état de guerre. (…)
L’article 35 de la Constitution française dispose bien que « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ». Mais la quasi-totalité des opérations décidées sur un mode multinational, dans le cadre de coalitions à géométrie variable, et dans le but affiché de maintenir ou de restaurer la paix, ne donnent lieu, par définition, à aucune « déclaration de guerre »...
Une situation plutôt confortable pour l’exécutif : elle exclut la représentation nationale, même à l’échelon restreint des commissions de la défense de l’Assemblée nationale et du Sénat. L’envoi d’un corps expéditionnaire ne donne lieu à aucune déclaration, aucun débat, aucun vote au Parlement.
Pourquoi se bat-on pour un pays pauvre comme le Tchad ? On le voit assez dans le film : le Tchad, c’est un désert. Il n’y a rien, à part des hommes et des frontières :
http://www.monde-diplomatique.fr/2001/05/CONESA/15145Les frontières coloniales du Tchad ont enfermé dans un même espace l’eau et le feu : 200 ethnies, parlant plus de 100 langues, dont les groupes dominants ne sont que de fortes minorités : Arabes (15 % de la population), Saras au Sud (20 %).Des grands nomades guerriers du désert, coutumiers des rezzous, sans organisation même proto-étatique, doivent vivre à côté de populations d’agriculteurs sédentaires.
Comme dans beaucoup de pays africains touchés par l’esclavage, les peuples victimes de la traite se sont ralliés aux colonisateurs : les Sudistes, surtout sara (20 % de la population ; près de 1,5 million de personnes) ont adopté au moins partiellement religion chrétienne et enseignement occidental, formant ainsi les cadres indigènes de la colonisation, puis de l’indépendance. En revanche, les familles musulmanes ont exprimé leur résistance en envoyant les jeunes à l’université en Egypte et au Soudan.
Il n’y a ni Etat, ni nation, juste des coups d’Etat et des assassinats d’opposants comme mode de gestion gouvernementale par le clan au pouvoir. Mais depuis les années 2000, il y a du pétrole. Jusque là, quand la baril était à 20 dollars, ça ne valait pas le coup de l’exploiter. Mais comme le prix est monté en flèche ces dix dernières années, le Tchad a commencé à exploiter ses gisements.
Comme dans Teza (un autre beau film africain, sorti en début d’année, et retraçant l’histoire de l’Ethiopie depuis 30 ans), le drame d’Un homme qui crie se noue autour de l’enrôlement forcé des fils dans la guerre.Le Tchad commence à exploiter son pétrole sans que les fruits de cette manne soient équitablement répartis. L’extrême pauvreté qui règne dans ce pays alors que la hausse des cours mondiaux des matières premières permet l’enrichissement de quelques-uns, est une source permanente de déstabilisation.
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2008-06-17-Tchad-Eufor
En 2006, le régime a unilatéralement abrogé les clauses d’un accord passé avec la Banque mondiale, qui lui imposaient de réserver une partie de la manne pétrolière à des investissements d’intérêt général de long terme. Le chef de l’Etat s’est servi des fonds récoltés pour acheter des armes.
http://www.monde-diplomatique.fr/2008/03/PRUNIER/15716#nb4
Une espèce de mafieux (qui roule dans une belle voiture) sollicite Adam : il doit de l’argent pour « soutenir l’effort de guerre » contre les rebelles, et comme Adam ne peut pas payer, il lui suggère en échange de « donner » son fils à l’armée. Qui est ce type, au juste ? Faut croire qu’il travaille pour l’Etat.
Quand les rebelles attaquent, on le verra fuir la ville, déguisé en femme…
Selon un article publié le 26 décembre 2007, l'escalade des hostilités entre le gouvernement et les forces rebelles donnait lieu depuis novembre 2007 à une multiplication des allégations selon lesquelles l'armée tchadienne recrutait des enfants de force (Nations Unies 26 déc. 2007).
En décembre 2007, les Réseaux d'information régionaux intégrés (IRIN) des Nations Unies faisaient état de recrutement forcé de civils, y compris de civils âgés de moins de 18 ans (Nations Unies 14 déc. 2007; voir aussi Waging Peace 20 déc. 2007). Plusieurs personnes citées par les IRIN ont parlé de rafles effectuées par des unités de l'armée dans des endroits où se réunissent des jeunes; ainsi, un témoin oculaire âgé de 22 ans a décrit comment il a échappé à une rafle qui a eu lieu dans un cinéma de la capitale, N'djamena (Nations Unies 14 déc. 2007). Même si 90 p. 100 de l'armée tchadienne, semble-t-il, se trouvait dans l'est du pays en décembre 2007 (Nations Unies 11 déc. 2007; Waging Peace 20 déc. 2007), l'armée aurait effectué d'autres rafles dans la capitale, N'djamena, ainsi que dans des villes et des villages partout dans le pays (Nations Unies 14 déc. 2007).
http://www.unhcr.org/refworld/country,,IRBC,,TCD,,4a71777a28,0.html
Voilà : tout ça, c’était pour se rappeler qu’un film, c’est aussi ce qui nous donne des nouvelles du monde (ou l’occasion d’en prendre).
Et c'est aussi un moyen de mettre des noms un peu plus précis sur les "forces du destin" dont les personnages se lamentent.
Eyquem- Messages : 3126
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
oui, merci, c'est un sujet que je connais un peu, mais surtout depuis le soudan.
un peu extérieur à ces précisions, je comprends pas :
un peu extérieur à ces précisions, je comprends pas :
Qu'est-ce qui s'y prête mieux que ces relations père/fils, teintées du sang du sacrifice abrahamique, qu'on voit dans tous ses films, depuis Abouna
Borges- Messages : 6044
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
Hello Eyquem,
C'est du sérieux ce montage, merci.
tout ça, c’était également pour nous rappeler qu’une critique, c’est aussi ce qui nous donne des nouvelles du monde (ou l’occasion d’en prendre).
C'est du sérieux ce montage, merci.
tout ça, c’était également pour nous rappeler qu’une critique, c’est aussi ce qui nous donne des nouvelles du monde (ou l’occasion d’en prendre).
Invité- Invité
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
De rien. J'ai d'abord lu ces articles pour moi.
J'ai dit ça vite. Sur le site d'Africiné, "Un homme qui crie" leur évoque davantage la guerre de Troie.
C'est une manière de dire que le mythe du sacrifice d'Abraham est en toile de fond de ses récits, et que les films qui se consacrent à cette histoire des pères et des fils peuvent difficilement échapper à ce mythe.Borges a écrit:un peu extérieur à ces précisions, je comprends pas :
Qu'est-ce qui s'y prête mieux que ces relations père/fils, teintées du sang du sacrifice abrahamique, qu'on voit dans tous ses films, depuis Abouna
J'ai dit ça vite. Sur le site d'Africiné, "Un homme qui crie" leur évoque davantage la guerre de Troie.
http://www.africine.org/?menu=art&no=9489Osons encore un autre raccourci au risque de paraitre saugrenu ou déraisonnable, mais pas tant que cela. Et si Adam, ce père qui est si rempli d'amour pour son fils unique au point de risquer de se faire accuser de déloyauté par les forces officielles de son pays, au point de laisser son poste au bord de la piscine à laquelle il tient comme si c'était la seule capable de donner sens à sa vie, n'était en fait qu'un avatar de Priam qui dans la mythologie grecque n'hésita pas à laisser son fils, Pâris, se battre dans un duel mortel contre Ménélas alors que tout le monde savait que le jeune blanc-bec allait à une perte certaine. Et plus tard il ira réclamer le corps de son autre fils, Hector, tué par Achille pour venger Patrocle.
Priam, comme Adam, ira chercher son fils dans un camp de militaire alors qu'il est rongé par un ensemble de sentiments très forts qui concourent à lui enlever tout sens de retenu : tristesse, regret, culpabilité, autopunition, humiliation… Comment ne pas penser à ce parallélisme en voyant Adam poussant le fauteuil roulant sur lequel il sort discrètement son fils du camp de l'armée. Comme Priam emmenant le cadavre d'Hector après s'être livré en renonçant à toute sa dignité royale devant Achille, celui qui a tué son fils et l'a humilié en le trainant attelé à son cheval jusqu'au camp grec. Abdel lutte pour vivre, et Adam se retrouvera dans la même situation de Priam qui voulait rendre les derniers honneurs au cadavre de son défunt fils. Nous sommes à l'évidence face au même topoï mythologique revisité.
Eyquem- Messages : 3126
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
hello
oui, oui, bien entendu, mais je pensais au sang. Tu dis : "teintées du sang du sacrifice abrahamique".
à quel sang tu fais allusion?
pour ce qui est de l'énoncé de serge daney : il faut tout de même se dire qu'il est plus que dépassé...
oui, oui, bien entendu, mais je pensais au sang. Tu dis : "teintées du sang du sacrifice abrahamique".
à quel sang tu fais allusion?
pour ce qui est de l'énoncé de serge daney : il faut tout de même se dire qu'il est plus que dépassé...
Borges- Messages : 6044
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
Le sang du bélier sacrifié (à la place d'Isaac)à quel sang tu fais allusion?
Eyquem- Messages : 3126
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
Le sang du bélier sacrifié (à la place d'Isaac)
je vois : mais un musulman te dirait à la place d'Ismaël
isaac, c'est la tradition judéo-chrétienne
(étrangeté du début du moby d, alors)
Borges- Messages : 6044
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
« Un homme qui crie » commence dans une piscine : un père et son fils joue, face à face, à celui qui tiendra le plus longtemps sous l’eau. On est un peu hors du temps, hors du monde : cette eau dormante ne nous dit pas où nous sommes ; elle ne coule pas, ne court pas ; elle n’est d’aucun lieu, d’aucune époque. C’est une image de cinéma, presque un cliché, qui renfermerait une certaine idée du bonheur – c’est-à-dire un sentiment de plénitude, d’homogénéité de l’homme avec ce qui diffère de lui (le monde) comme avec ce qui lui ressemble (l’autre face à lui). C’est comme un monde hors du monde, plein comme un oeuf (l’eau remplissant également l’espace en tous ses points), sans trous ni béances, où toute différence tend vers zéro (puisque celui qui fait face à l’autre est à son image : ce sont deux hommes, c’est un père et son fils). Règne de l’indifférence heureuse, sans histoires d’aucune sorte, où exister semble une chose si simple que ça pourrait durer toujours – la pensée d’avoir à s’angoisser d’être en vie est quelque chose qui ne pourrait même pas venir à l’idée, là, dans cette piscine où s’annule tout ailleurs, tout dehors, tout ce qui pourrait être autre.
Le film raconte comment ce père et ce fils finissent par quitter cette sphère hors du temps, et par se tourner le dos. D’abord l’un, puis l’autre, jusqu’à la scène finale au bord du fleuve, qui rejoue la première sur le mode tragique, chacun partant de son côté, suivant le courant où l’Histoire l’aura porté.
Ce qui prend ici le temps d’un film saisissait le spectateur dès l’ouverture d’ "Abouna", qui s’ouvrait sur un motif exactement inverse à celui d’Un homme qui crie.
Au lieu d’une piscine toute bleue, un désert tout jaune.
Au lieu d’un père et d’un fils face à face : un homme tournant le dos à ses enfants. On le voyait apparaître de dos à l’écran puis se tourner vers nous, pour nous adresser un dernier regard. Puis il sortait du champ brusquement, le laissant vide un long moment, avant de réapparaître plus tard, quand il était déjà loin.
A cette scène répondait un peu plus tard celle où les deux enfants abandonnés par leur père assistaient à sa réapparition sur un écran de cinéma.
Le plus petit des deux tirait son frère par la manche : « C’est papa. C’est lui, je te jure. Regarde bien son dos. Papa, c’est moi, Amine. Regarde-moi. S’il te plaît, Papa. »
Et le père, à l’écran, se retournait comme au début pour regarder le spectateur dans les yeux : « Bonjour les enfants. Vous vous êtes bien amusés ? »
On ne sait plus, à ce moment-là, qui s’adresse à qui, qui répond à qui. Est-ce que les deux frères hallucinent cette image de leur père, qui se retourne vers eux ? (Ils ne retrouveront jamais cette image, dans les photogrammes du film dont ils ont volé la bobine.)
A qui le père répond-il : aux deux frères dans la salle, ou aux deux enfants qui apparaissent bientôt à côté de lui, sur l’écran ?
C’est toute la question (dans Abouna, mais aussi dans Un homme qui crie) :
Qui répond à qui ?
Qui répond de qui ?
Le film raconte comment ce père et ce fils finissent par quitter cette sphère hors du temps, et par se tourner le dos. D’abord l’un, puis l’autre, jusqu’à la scène finale au bord du fleuve, qui rejoue la première sur le mode tragique, chacun partant de son côté, suivant le courant où l’Histoire l’aura porté.
Ce qui prend ici le temps d’un film saisissait le spectateur dès l’ouverture d’ "Abouna", qui s’ouvrait sur un motif exactement inverse à celui d’Un homme qui crie.
Au lieu d’une piscine toute bleue, un désert tout jaune.
Au lieu d’un père et d’un fils face à face : un homme tournant le dos à ses enfants. On le voyait apparaître de dos à l’écran puis se tourner vers nous, pour nous adresser un dernier regard. Puis il sortait du champ brusquement, le laissant vide un long moment, avant de réapparaître plus tard, quand il était déjà loin.
A cette scène répondait un peu plus tard celle où les deux enfants abandonnés par leur père assistaient à sa réapparition sur un écran de cinéma.
Le plus petit des deux tirait son frère par la manche : « C’est papa. C’est lui, je te jure. Regarde bien son dos. Papa, c’est moi, Amine. Regarde-moi. S’il te plaît, Papa. »
Et le père, à l’écran, se retournait comme au début pour regarder le spectateur dans les yeux : « Bonjour les enfants. Vous vous êtes bien amusés ? »
On ne sait plus, à ce moment-là, qui s’adresse à qui, qui répond à qui. Est-ce que les deux frères hallucinent cette image de leur père, qui se retourne vers eux ? (Ils ne retrouveront jamais cette image, dans les photogrammes du film dont ils ont volé la bobine.)
A qui le père répond-il : aux deux frères dans la salle, ou aux deux enfants qui apparaissent bientôt à côté de lui, sur l’écran ?
C’est toute la question (dans Abouna, mais aussi dans Un homme qui crie) :
Qui répond à qui ?
Qui répond de qui ?
Eyquem- Messages : 3126
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
« Irresponsable » est précisément le mot talisman dont le plus petit des frères d’Abouna allait chercher la définition dans un vieux Larousse, après que sa mère lui avait dit : « Votre père adoré, il s’est barré. C’est un irresponsable ! » Qu’est-ce que ça veut dire, « irresponsable » ?
(Un autre film sur des motifs assez proches finalement, j’y pense maintenant, c’est My own private Idaho. Le film de Van Sant raconte aussi la même histoire de dos qui se tournent – Scott se détournant de Bob Pigeon –, de gamins laissés à eux-mêmes, errant, désoeuvrés ; Mike hallucinant aussi la réapparition de sa mère, dans la rue ou dans des bobines en super-8.
Et pourquoi ce film accorde-t-il une telle importance aux mots qu’il ouvre, lui aussi, un dictionnaire, dès le premier plan ?)
La scène au cinéma est très forte.
Je me souviens que les Cahiers n’avaient pas manqué d’évoquer Daney, le Daney de Persévérance, qui racontait comment il avait cherché toute sa vie son père disparu (dans les camps ?) sur les écrans de cinéma ou à l’autre bout du monde :
Mais le roman familial de Daney est tellement lié à l‘histoire du cinéma moderne comme « forme forclose » des camps d’extermination que ça ne nous aide pas vraiment (de Baecque a résumé cette histoire dans un chapitre de son Histoire-caméra). Le regard-caméra du père d’Abouna, ce n’est pas ce par quoi font retour les regards d’outre-tombe filmés par George Stevens à Dachau ou Mauthausen. Tout ça se passe au Tchad. Ce n’est pas la même histoire, les mêmes hantises. Et puis le père ici ne meurt pas : il s’en va, il disparaît (pour Tanger, on suppose).
"Abouna" n’est pas spécialement un film sur le cinéma, sur le rapport au cinéma, en tant que tel : c’est plutôt un film sur la prière (la prière qui ne reçoit pas de réponse). Quand l’enfant crie à son père, sur l’écran : « Papa, c’est moi, Amine. Regarde-moi », ce n’est pas la réplique qu’on attend dans une salle de cinéma. « Regarde-moi », ce n’est pas une phrase de spectateur : c’est une prière. Amine, en arabe, c’est « celui à qui on peut faire confiance » (le contraire donc d’un irresponsable). Mais c’est aussi le mot de la prière, amen ou amyn selon les langues ; « ainsi soit-il ». Et puis, le sous-titre du film nous rappelle qu’« Abouna », c’est un mot arabe pour « Notre père ».
(pour la pop-scolastique au sujet de la racine « ab, aba, abba : père », c’est là :
https://spectresducinema.1fr1.net/conversations-autour-des-films-f1/frappez-et-on-vous-ouvrira-vampires-etc-t651.htm )
Le monde de la prière, c’est celui qui s’ouvre au moment où le père tourne le dos. C’est quand le père se détourne que s’élève la prière « notre père » ; c’est quand il ne peut plus répondre qu’on l’appelle. Ou, dit autrement : la prière est précisément ce qui révèle, ce qui ouvre le hiatus, la séparation que la prière même cherche à combler, à recouvrir.
Il y aurait donc deux mondes successifs, si on met côte à côte les deux premières images d’Abouna et d’Un homme qui crie :
- le monde primitif, hors temps, hors histoire, où tout est donné dans la plus grande simplicité, la plus grande immédiateté : le monde, l’autre, et ma place dans le monde, avec l’autre.
- le monde historique où tout (le monde, l’autre) se refuse, se détourne au moment même où on l’appelle, un monde où rien n’est donné simplement, immédiatement. Disons même : un monde où ce qui est donné, c’est ce « rien », cette absence, cette séparation, ce désert où la présence de ce qui nous manque ne nous est donnée que par une prière sans réponse qui nous révèle que nous en sommes pour toujours séparés. La prière nous redonne ce qui nous manque mais elle le redonne seulement comme ce qui nous tourne le dos, ce qui se détourne de nous pour toujours.
C’est ainsi que, sorti, chassé de cette sphère heureuse, primitive, anté-historique, que figure la piscine d’Un homme qui crie, le hiatus est immense, incomblable, entre la prière et la réponse. La demande se perd dans le désert, elle se heurte à des murs, des écrans, à des dos qui se tournent. Elle ouvre, pour les deux mômes d’Abouna, le temps de l’errance, du désoeuvrement, du temps perdu en parties de foot, jeux pour rien, poursuite du vent, exercices de survie, fuites d’ici pour là-bas, qui n’est guère mieux.
Il n’y a pourtant pas lieu de se plaindre ou de désespérer, car ce qui s’accumule au cours du voyage des deux mômes, c’est un certain savoir ; on aurait raison de parler de « voyage initiatique », même si la formule est usée.
Pour ça, reparlons de deux scènes : la scène au cinéma, et la toute dernière scène du film.
Si on revient à la scène au cinéma, il faut noter ceci : on a dit que « Regarde-moi », c’était une prière, une demande adressée à ce qui nous manque. Mais l’enfant ne dit pas seulement ça : il dit aussi : « Papa, c’est moi, Amine ». Qu’est-ce que c’est que cette formule ? Ce n’est pas du tout la même, elle ne sonne pas de la même façon. Quand Amine dit « Regarde-moi », il parle comme un enfant. Mais quand il dit « Papa, c’est moi, Amine », il parle comme un ange, l’ange des annonciations. En tout cas, ça me rappelle ceci :
Je note encore ceci. La scène semble ouvrir un hiatus incomblable entre la prière et la réponse : c’est une prière adressée à un homme qui tourne le dos, présent sans être là, puisqu’il apparaît seulement sur un écran de cinéma. Prière adressée vainement à un absent qui tourne le dos. Ce qui marque encore la séparation, c’est le jeu des identités : « C’est papa, c’est lui » / « C’est moi, Amine », la nomination renvoyant chacun de son côté, dans sa différence ; c’est lui / c’est moi.
Pourtant, si on lit mieux ce que dit l’enfant, il dit : « Papa, c’est moi, Amine ». Par sa symétrie, la formule peut donc aussi se découper autrement et se lire : « Papa, c’est moi » ou « c’est moi, Amine ». Le partage des identités n’est alors plus si simple : il signale une séparation, mais aussi un jeu de miroirs.
Alors quoi ?
Ce que cette scène révèle, ce à quoi elle initie les enfants, c’est sans doute que l’absent qu’ils recherchent au-delà des limites du monde (sur un écran de cinéma, ou au-delà du désert, dans une ville si lointaine, Tanger, qu’elle semble hors du monde), cet absent, qu’ils appellent dans leur prière pour qu’il se tourne vers eux, n’existe que là, dans cette prière qui le nomme, et nulle part ailleurs. L’absent n’est pas présent ailleurs qu’en moi. C’est la prière qui rend l’absent présent – mais présent seulement comme celui qui sera toujours absent.
Ce savoir-là (savoir de la finitude, pour le dire en un mot) ne sera pas donné à Amine, qui mène jusqu’à la mort sa vie de petit ange en prière, de Petit Prince (son livre de chevet qu’il demande toujours à son frère de lui raconter, comme faisait son père).
Ce savoir-là est donné à Tahir, son grand frère. Et c’est la deuxième scène dont je voulais parler, la toute dernière du film.
A la mort de son petit frère, Tahir se retrouve seul, dépossédé de tout et maltraité par les maîtres de l’école coranique où sa mère l’a laissé. La seule chose qui lui reste, c’est un poster : un poster de la mer, qu’il contemple depuis le début, et qui est pour lui le lointain où se trouve son père. (Ce poster figure, à ce titre, cet espace hors du monde, hors-lieu idéal, heureux, sur lequel s’ouvre Un homme qui crie : c’est le même espace, une grande étendue d’eau immobile, où le fils rêve de se retrouver face à son père.)
Tahir tombe amoureux d’une jeune fille, sourde, qu’il rêve d’emmener avec lui à Tanger pour retrouver là-bas son père.
Alors qu’un matin, il fuit avec elle dans le désert pour rejoindre Tanger, soudain il s’arrête : il s’aperçoit qu’il court vers rien, vers un ailleurs hors du monde, pas même un mirage. Il rebrousse chemin, rentre à la maison. Là, il retrouve sa mère : accablée par la disparition de son mari et par la mort de son plus jeune fils, elle reste prostrée toute la journée, muette, le regard vide.
La scène finale commence ainsi : assis sur le sol, à côté de sa fiancée, Amine deplie devant lui le poster tout abîmé. Il déplie chez lui, à l’endroit même où il se tient, cet ailleurs hors du monde qu’il avait perdu son temps à chercher au-delà du désert : cet ailleurs n’est nulle part ailleurs que dans cette image, il est là où j’en déplie l’image pour le regarder, il creuse au sein du lieu où je me trouve ce vide, cette béance qui est le seul ailleurs qui puisse m’accueillir ici-même.
Regardant cette image, Tahir se met à chanter pour lui. Sa mère, qui ne parlait plus, se met à chanter avec lui, à lui répondre, de cet ailleurs où la folie semble l’avoir emportée. Les deux fiancés se retournent vers elle, et Tahir continue ce chant à deux voix, cette manière de « répons » (chanté en l’absence des dieux-pères, qui tournent le dos depuis le début). C’est le dernier plan.
Comment décrire exactement cette image, le détournement qu’elle montre ?
Tahir est de face, mais le visage tourné vers l’arrière. Il est là où il est, chez lui, mais il y est comme excentré, car ce lieu où il se tient est transpercé de toutes parts de vide, d’invisible.
Sous ses yeux, devant lui, il n’y a que cet ailleurs que dessine le poster qu’il contemplait : ailleurs qu’on ne voit plus à l’écran, mais qui est là, dans le hors champ, et pas ailleurs.
Dans son dos, il y a cet ailleurs vers quoi il se tourne, qu’on ne voit pas, mais qui est bien là, puisque c’est le lieu d’où s’élève le chant de sa mère, auquel il répond, quoiqu’il s’élève du plus lointain.
Derrière lui, il y a la jeune fille qu’il aime pour elle-même, dans sa différence, mais qui, par sa pose, parce qu’elle suit son regard, parce qu’elle se tient tout comme lui, lui ressemble sur cette image.
Tahir est là, mais comme ailleurs : comme si c’était là sa place, comme s’il n’y en avait pas d’autre dans le monde. Par son chant, il fait venir là où il est ce hors-monde qui lui manquait et qu’il installe ici comme le seul monde où vivre.
AMINE : « IRRESPONSABLE : qui devant la loi n’est pas responsable ; qui n’a pas à répondre de ses actes ; dont la responsabilité morale ne peut pas être retenue ; qui agit à la légère. » T’as compris, toi ?
SON GRAND FRERE : Mais bien sûr. C’est quelqu’un qui n’est pas responsable.
AMINE : Aaaah… Donc papa n’est pas responsable d’être parti »
(Un autre film sur des motifs assez proches finalement, j’y pense maintenant, c’est My own private Idaho. Le film de Van Sant raconte aussi la même histoire de dos qui se tournent – Scott se détournant de Bob Pigeon –, de gamins laissés à eux-mêmes, errant, désoeuvrés ; Mike hallucinant aussi la réapparition de sa mère, dans la rue ou dans des bobines en super-8.
Et pourquoi ce film accorde-t-il une telle importance aux mots qu’il ouvre, lui aussi, un dictionnaire, dès le premier plan ?)
La scène au cinéma est très forte.
Je me souviens que les Cahiers n’avaient pas manqué d’évoquer Daney, le Daney de Persévérance, qui racontait comment il avait cherché toute sa vie son père disparu (dans les camps ?) sur les écrans de cinéma ou à l’autre bout du monde :
Et s’il partait au Guatemala ou à Rhonda, c’était pour pouvoir dire, à son retour : « Non, je ne l’ai pas vu ». (Persévérance, p54-55)Pour rester dans le désir de la mère, j’ai dû procéder à un montage finalement délirant : d’être un cinéphile, un ciné-fils, un enfant du cinéma né mythologiquement dans tel ou tel film, plusieurs fois, puisque c’est dans ce monde-là, dans ces limbes du cinéma que, ni mort, ni vif, le corps de mon père errait sans doute comme un fantôme à qui nul n’avait donné sépulture, comme dans la tragédie grecque.
…
J’ai dû passer ma vie à savoir qu’il était quelque part, gravé, incrusté, embaumé – comment aurais-je pu être autre chose que bazinien ? – dans les films en noir et blanc de l’entre-deux-guerres et à craindre de tomber un jour sur lui, sur son visage de celluloïd, sur ses yeux morts qui me verraient.
Mais le roman familial de Daney est tellement lié à l‘histoire du cinéma moderne comme « forme forclose » des camps d’extermination que ça ne nous aide pas vraiment (de Baecque a résumé cette histoire dans un chapitre de son Histoire-caméra). Le regard-caméra du père d’Abouna, ce n’est pas ce par quoi font retour les regards d’outre-tombe filmés par George Stevens à Dachau ou Mauthausen. Tout ça se passe au Tchad. Ce n’est pas la même histoire, les mêmes hantises. Et puis le père ici ne meurt pas : il s’en va, il disparaît (pour Tanger, on suppose).
"Abouna" n’est pas spécialement un film sur le cinéma, sur le rapport au cinéma, en tant que tel : c’est plutôt un film sur la prière (la prière qui ne reçoit pas de réponse). Quand l’enfant crie à son père, sur l’écran : « Papa, c’est moi, Amine. Regarde-moi », ce n’est pas la réplique qu’on attend dans une salle de cinéma. « Regarde-moi », ce n’est pas une phrase de spectateur : c’est une prière. Amine, en arabe, c’est « celui à qui on peut faire confiance » (le contraire donc d’un irresponsable). Mais c’est aussi le mot de la prière, amen ou amyn selon les langues ; « ainsi soit-il ». Et puis, le sous-titre du film nous rappelle qu’« Abouna », c’est un mot arabe pour « Notre père ».
(pour la pop-scolastique au sujet de la racine « ab, aba, abba : père », c’est là :
https://spectresducinema.1fr1.net/conversations-autour-des-films-f1/frappez-et-on-vous-ouvrira-vampires-etc-t651.htm )
Le monde de la prière, c’est celui qui s’ouvre au moment où le père tourne le dos. C’est quand le père se détourne que s’élève la prière « notre père » ; c’est quand il ne peut plus répondre qu’on l’appelle. Ou, dit autrement : la prière est précisément ce qui révèle, ce qui ouvre le hiatus, la séparation que la prière même cherche à combler, à recouvrir.
Il y aurait donc deux mondes successifs, si on met côte à côte les deux premières images d’Abouna et d’Un homme qui crie :
- le monde primitif, hors temps, hors histoire, où tout est donné dans la plus grande simplicité, la plus grande immédiateté : le monde, l’autre, et ma place dans le monde, avec l’autre.
- le monde historique où tout (le monde, l’autre) se refuse, se détourne au moment même où on l’appelle, un monde où rien n’est donné simplement, immédiatement. Disons même : un monde où ce qui est donné, c’est ce « rien », cette absence, cette séparation, ce désert où la présence de ce qui nous manque ne nous est donnée que par une prière sans réponse qui nous révèle que nous en sommes pour toujours séparés. La prière nous redonne ce qui nous manque mais elle le redonne seulement comme ce qui nous tourne le dos, ce qui se détourne de nous pour toujours.
C’est ainsi que, sorti, chassé de cette sphère heureuse, primitive, anté-historique, que figure la piscine d’Un homme qui crie, le hiatus est immense, incomblable, entre la prière et la réponse. La demande se perd dans le désert, elle se heurte à des murs, des écrans, à des dos qui se tournent. Elle ouvre, pour les deux mômes d’Abouna, le temps de l’errance, du désoeuvrement, du temps perdu en parties de foot, jeux pour rien, poursuite du vent, exercices de survie, fuites d’ici pour là-bas, qui n’est guère mieux.
Il n’y a pourtant pas lieu de se plaindre ou de désespérer, car ce qui s’accumule au cours du voyage des deux mômes, c’est un certain savoir ; on aurait raison de parler de « voyage initiatique », même si la formule est usée.
Pour ça, reparlons de deux scènes : la scène au cinéma, et la toute dernière scène du film.
Si on revient à la scène au cinéma, il faut noter ceci : on a dit que « Regarde-moi », c’était une prière, une demande adressée à ce qui nous manque. Mais l’enfant ne dit pas seulement ça : il dit aussi : « Papa, c’est moi, Amine ». Qu’est-ce que c’est que cette formule ? Ce n’est pas du tout la même, elle ne sonne pas de la même façon. Quand Amine dit « Regarde-moi », il parle comme un enfant. Mais quand il dit « Papa, c’est moi, Amine », il parle comme un ange, l’ange des annonciations. En tout cas, ça me rappelle ceci :
L’ange lui répondit : « Je suis Gabriel, qui me tiens devant Dieu ; j’ai été envoyé pour te parler et t’annoncer cette heureuse nouvelle ». (Luc, I-19)
Je note encore ceci. La scène semble ouvrir un hiatus incomblable entre la prière et la réponse : c’est une prière adressée à un homme qui tourne le dos, présent sans être là, puisqu’il apparaît seulement sur un écran de cinéma. Prière adressée vainement à un absent qui tourne le dos. Ce qui marque encore la séparation, c’est le jeu des identités : « C’est papa, c’est lui » / « C’est moi, Amine », la nomination renvoyant chacun de son côté, dans sa différence ; c’est lui / c’est moi.
Pourtant, si on lit mieux ce que dit l’enfant, il dit : « Papa, c’est moi, Amine ». Par sa symétrie, la formule peut donc aussi se découper autrement et se lire : « Papa, c’est moi » ou « c’est moi, Amine ». Le partage des identités n’est alors plus si simple : il signale une séparation, mais aussi un jeu de miroirs.
Alors quoi ?
Ce que cette scène révèle, ce à quoi elle initie les enfants, c’est sans doute que l’absent qu’ils recherchent au-delà des limites du monde (sur un écran de cinéma, ou au-delà du désert, dans une ville si lointaine, Tanger, qu’elle semble hors du monde), cet absent, qu’ils appellent dans leur prière pour qu’il se tourne vers eux, n’existe que là, dans cette prière qui le nomme, et nulle part ailleurs. L’absent n’est pas présent ailleurs qu’en moi. C’est la prière qui rend l’absent présent – mais présent seulement comme celui qui sera toujours absent.
Ce savoir-là (savoir de la finitude, pour le dire en un mot) ne sera pas donné à Amine, qui mène jusqu’à la mort sa vie de petit ange en prière, de Petit Prince (son livre de chevet qu’il demande toujours à son frère de lui raconter, comme faisait son père).
Ce savoir-là est donné à Tahir, son grand frère. Et c’est la deuxième scène dont je voulais parler, la toute dernière du film.
A la mort de son petit frère, Tahir se retrouve seul, dépossédé de tout et maltraité par les maîtres de l’école coranique où sa mère l’a laissé. La seule chose qui lui reste, c’est un poster : un poster de la mer, qu’il contemple depuis le début, et qui est pour lui le lointain où se trouve son père. (Ce poster figure, à ce titre, cet espace hors du monde, hors-lieu idéal, heureux, sur lequel s’ouvre Un homme qui crie : c’est le même espace, une grande étendue d’eau immobile, où le fils rêve de se retrouver face à son père.)
Tahir tombe amoureux d’une jeune fille, sourde, qu’il rêve d’emmener avec lui à Tanger pour retrouver là-bas son père.
Alors qu’un matin, il fuit avec elle dans le désert pour rejoindre Tanger, soudain il s’arrête : il s’aperçoit qu’il court vers rien, vers un ailleurs hors du monde, pas même un mirage. Il rebrousse chemin, rentre à la maison. Là, il retrouve sa mère : accablée par la disparition de son mari et par la mort de son plus jeune fils, elle reste prostrée toute la journée, muette, le regard vide.
La scène finale commence ainsi : assis sur le sol, à côté de sa fiancée, Amine deplie devant lui le poster tout abîmé. Il déplie chez lui, à l’endroit même où il se tient, cet ailleurs hors du monde qu’il avait perdu son temps à chercher au-delà du désert : cet ailleurs n’est nulle part ailleurs que dans cette image, il est là où j’en déplie l’image pour le regarder, il creuse au sein du lieu où je me trouve ce vide, cette béance qui est le seul ailleurs qui puisse m’accueillir ici-même.
Regardant cette image, Tahir se met à chanter pour lui. Sa mère, qui ne parlait plus, se met à chanter avec lui, à lui répondre, de cet ailleurs où la folie semble l’avoir emportée. Les deux fiancés se retournent vers elle, et Tahir continue ce chant à deux voix, cette manière de « répons » (chanté en l’absence des dieux-pères, qui tournent le dos depuis le début). C’est le dernier plan.
Comment décrire exactement cette image, le détournement qu’elle montre ?
Tahir est de face, mais le visage tourné vers l’arrière. Il est là où il est, chez lui, mais il y est comme excentré, car ce lieu où il se tient est transpercé de toutes parts de vide, d’invisible.
Sous ses yeux, devant lui, il n’y a que cet ailleurs que dessine le poster qu’il contemplait : ailleurs qu’on ne voit plus à l’écran, mais qui est là, dans le hors champ, et pas ailleurs.
Dans son dos, il y a cet ailleurs vers quoi il se tourne, qu’on ne voit pas, mais qui est bien là, puisque c’est le lieu d’où s’élève le chant de sa mère, auquel il répond, quoiqu’il s’élève du plus lointain.
Derrière lui, il y a la jeune fille qu’il aime pour elle-même, dans sa différence, mais qui, par sa pose, parce qu’elle suit son regard, parce qu’elle se tient tout comme lui, lui ressemble sur cette image.
Tahir est là, mais comme ailleurs : comme si c’était là sa place, comme s’il n’y en avait pas d’autre dans le monde. Par son chant, il fait venir là où il est ce hors-monde qui lui manquait et qu’il installe ici comme le seul monde où vivre.
Eyquem- Messages : 3126
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
pour le "dos", "la loi", "le retournement" : y a le fameux passage dans la bible, où Dieu s'adressant à Moïse lui dit : « Puis, j’écarterai ma main et tu me verras de dos ; mais ma face , on ne peut la voir. »
Moïse a vu le dos de Dieu
ça ressemble à quoi dans "les dix commandements".
les rabbins, les talmudistes et autres levinas se sont penché sur ce passage : le dos de dieu, "ce ne fut que le nœud formé par les courroies des phylactères sur la nuque divine !"
la Loi donc.
j'avais relu des pages de l'adieu de derrida à levinas pour la fameuse lettre testament de christian de chergé, à propos de l'adieu; il y est aussi beaucoup question de prière évidement (cf aussi "comment ne pas parler")
le départ du père, comme la mort plus définitivement, pose la question de la non-réciprocité, comme celle de l'image au fond; devant une image, il n'y a pas de réciprocité, je regarde, je ne suis pas regardé; une image ne me renvoie jamais mon regard; elle ne me regarde pas; c'est à dépasser cette non-réciprocité, qui n'est pas seulement celle du voyeur, mais parfois plus tragiquement celle de celui qui reste, survit que sont employé des artistes; voir, ce qui me regarde.
mais est-ce possible, selon l'image?
la non-réciprocité qui se décide en la mort (est), comme l'interruption de la symétrie ou de la commensurabilité, le trait, le trait d'union, si on peut encore dire, le trait d'union qui sépare l'adieu, le trait d'union de l'à-Dieu. Ä-Dieu au-delà de l'être, là où non seulement Dieu n'a pas à exister mais où il n'a ni à me donner ni à me pardonner.
Que serait la foi ou la dévotion envers un Dieu qui ne pourrait pas m'abandonner ?
Dont je serais sûr et certain, assuré de sa sollicitude ?
Un Dieu qui ne pourrait que me donner ou se donner à moi ?
Qui ne pourrait pas ne pas m'élire ?
Lévinas eût-il souscrit à ces dernières propositions, à savoir que l'à- Dieu, comme le salut ou la prière, doit s'adresser à un Dieu qui non seulement peut ne pas exister (n'exister plus ou pas encore) mais à un Dieu qui peut m'abandonner et ne se tourner vers moi par aucun mouvement d'alliance ou d'élection ?
mais, je sais pas si on peut interpréter la demande du fils comme une prière au sens fort;
même si jlmarion distinguant l'idole de l'icône, affirme que la différence entre les deux passe par la présence ou non du regard :dans l'icône je ne regarde pas tant que je ne suis regardé par l'invisible, ou plutôt, il y a échange de regards, même si je ne vois pas proprement ce qui me regarde, ce que je regarde étant toujours invisible, l'invisible, depuis où il me regarde; ainsi l'icône dit-il ne s'adresse pas au regard, mais à la louange et à la prière...nous y sommes pas voyeur, mais voyant-vu; on peut alors dire que la prière, la demande du garçon est d'échapper à la simple vision de l'image, il demande à être vu, à ne plus être réduit à la seule position du spectateur; le cinéma, accomplit étrangement sa prière, même s'il ne quitte pas l'image, même si c'est pas le père qui le regarde, mais nous qui voyons le film, et qui peut-être demandons aussi à être regardés...
prière de changer l'image, l'idole, en icône?
il y aurait chez JLMarion des possibilités de penser ces images, très fortes; mais le problème est de rester dans un horizon de sens qui ne rabatte pas tout le sens dans un horizon chrétien : père et fils, même si le film porte comme titre un début de prière : "notre père, qui êtes à tanger..."
It is an incontestable fact that in a motion picture no live human being is up there. But a human something is, and something unlike anything else we know. We can stick to our plain description of that human something as "in our presence while we are not in his" (present at him, because looking at him, but not present to him) and still account for the difference between his live presence and his photographed presence to us. We need to consider what is present or, rather, since the topic is the human being, who is present.
(Stanley C.)
vivre sa vie;
je crois que ça commence par des plans de dos :
et il y a bien entendu la scène de cinéma,
regarde-moi demande le garçon, avec derrida, et nana, on peut se demander si la fonction des yeux, leur essence, n'est pas de pleurer, plutôt que de voir, de regarder :
"tous les murs deviennent des murs de lamentation chaque fois que je marche dans les rues d’une ville que j’aime, où j’aime, sur les murs desquelles je me pleure et me pleurais encore hier "
c'est derrida, qui raconte cette histoire vraie :
C’est une histoire vraie (...) je revenais de l’aéroport de Roissy, j’ai pris le métro qui m’a conduit jusqu’à la station du boulevard Saint-Michel depuis laquelle j’ai remonté la rue de l’Abbé-de-l’Épée pour aller chercher ma voiture (...) j’ai « choisi » cette rue aussi parce que c’est la rue des blessures, de l’institution des sourds-muets. On pense à ce que peut être la prière des sourds-muets et à tous ceux qui n’ont d’yeux que pour pleurer, en quelque sorte (...) la rue de l’Abbé-de-l’Épée (...) est devenue pour un moment le mur des Lamentations, mais sur rien d’autre que ma propre errance de voyageur ou de Juif et d’aveugle.
Une œuvre est à la fois l’ordre et sa ruine. Qui se pleurent
Borges- Messages : 6044
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
Borges a écrit:C’est une histoire vraie (...) je revenais de l’aéroport de Roissy, j’ai pris le métro qui m’a conduit jusqu’à la station du boulevard Saint-Michel depuis laquelle j’ai remonté la rue de l’Abbé-de-l’Épée pour aller chercher ma voiture (...) j’ai « choisi » cette rue aussi parce que c’est la rue des blessures, de l’institution des sourds-muets. On pense à ce que peut être la prière des sourds-muets et à tous ceux qui n’ont d’yeux que pour pleurer, en quelque sorte (...) la rue de l’Abbé-de-l’Épée (...) est devenue pour un moment le mur des Lamentations, mais sur rien d’autre que ma propre errance de voyageur ou de Juif et d’aveugle.
J'aime bien cette anecdote. Elle est triste. Je suis passée rue de l'Abbé-de-l'Épée hier. J'ai pensé au Père Goriot, je ne sais pas pourquoi, peut-être la pension de famille se trouve-t-elle dans ce quartier. Rue d'Assas, il y en a une, au-dessus du News Café. C'est marqué en grand sur une fenêtre du premier étage "Pension de famille, chambres".
adeline- Messages : 3000
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
Tout ça Eyquem, me donne bien envie d'aller voir Un homme qui crie. J'essaierai la semaine prochaine. Aussi, ne connaissant rien du film et imaginant des choses, j'ai du mal à voir le lien que fait africiné entre Adam et Priam.
Je me disais, est-ce que tu n'aurais pas un faible toujours pour les films dans lesquels on ouvre un dictionnaire pour vérifier le sens d'un mot ? Je pense évidemment à "Policier, adjectif" Moi je dis : vive les films de dictionnaire !
Je me disais, est-ce que tu n'aurais pas un faible toujours pour les films dans lesquels on ouvre un dictionnaire pour vérifier le sens d'un mot ? Je pense évidemment à "Policier, adjectif" Moi je dis : vive les films de dictionnaire !
adeline- Messages : 3000
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
Malheureusement, que les films éprouvent le besoin d'ouvrir le dictionnaire, ce n'est pas un signe de vitalité.
Bref, c'est que la langue de l'âme pour l'âme n'est pas encore trouvée...
Ou Rimbaud qui disait : "Il faut être académicien, — plus mort qu’un fossile, — pour parfaire un dictionnaire, de quelque langue que ce soit. Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de l’alphabet, qui pourraient vite ruer dans la folie !"Je pense qu’aujourd’hui, il y a un vide conceptuel en Roumanie. Mes personnages doivent utiliser un dictionnaire pour pouvoir communiquer. C’est absurde. Mon pays est dans une phase de transition qui dure depuis vingt ans et qui semble ne jamais finir.
(Porumboiu)
Bref, c'est que la langue de l'âme pour l'âme n'est pas encore trouvée...
Eyquem- Messages : 3126
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
je pense que la scène du dictionnaire (très riche; souvent, je me dis que je vais "écrire" quelque chose dessus, et sur le film) n'a pas du tout le sens que Porumboiu lui donne; il ne s'agit pas d'utiliser un dictionnaire pour communiquer, mais précisément de ne pas communiquer en utilisant un dictionnaire, de mettre de coté le 'sujet', le "contexte", la vie du sens. Le dico fonctionne comme une loi (sacrée) sans possibilité même d'interprétation; comme un "c'est écrit"; dans abouna, c'est l'inverse, le mot "irresponsable" est entendu en différent sens, et finalement le gosse disculpe son père; il interprète le mot selon son désir de ne pas juger, ni moralement, comme le fait la mère, ni légalement, ni médicalement... dans "police, adjectif", on ne lit pas un dico, dans "abouna", le dico aussi se lit, s'interprète donc selon des stratégies de sens, selon le désir... bref, il ne relève pas la responsabilité de l'interprète et de la volonté de signification; on ne s'abrite pas derrière l'autorité du dictionnaire, comme des gosses (le chef des flics se comporte comme un mauvais prof, instituteur...)
Borges- Messages : 6044
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
IMDB recense tout :adeline a écrit:vive les films de dictionnaire !
http://www.imdb.com/keyword/dictionary/?sort=release_date
Apparemment, on ouvre aussi un dico dans un autre Porumboiu : "12h08 à l'est de Bucarest" (pas vu).
(il manque "My own private Idaho" par contre)
Il prend le flic à son propre piège : c'est le flic qui se moquait des métaphores des chansons de variété et qui semblait réclamer un langage neutre, univoque, qui "dise ce qui est" (celui qu'il utilise dans ses rapports de filature).Borges a écrit:le chef des flics se comporte comme un mauvais prof, instituteur
Eyquem- Messages : 3126
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
Eyquem a écrit:
Il prend le flic à son propre piège : c'est le flic qui se moquait des métaphores des chansons de variété et qui semblait réclamer un langage neutre, univoque, qui "dise ce qui est" (celui qu'il utilise dans ses rapports de filature).
ah, oui, j'avais oublié ce conflit des interprétations...dans ce cas, le conflit reste ouvert..
Borges- Messages : 6044
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
Ca me rappelle que Le petit prince (le héros d'Amine) demande sans cesse la définition des mots : "Qu'est-ce qu'un géographe ? Qu'est-ce que ça signifie "éphémère, "apprivoiser" ?"
Eyquem- Messages : 3126
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
Très bon film, aussi efficace pour montrer la réduction de la dynamique des conflits locaux dans un microcosme (l'hôtel de luxe) que la contamination de ce microcosme par la guerre.
Ayant eu l'occasion de séjourner dans des hôtel comparable (mais pas au Tchad et pas dans des crises politique saussi graves), je trouve que le film rend bien compte du malaise que l'on y éprouve: les clients et les propriétaires veulent croire que la violence de la domination économique contenue et contrôlée en vase clos peut constituer un refuge momentané contre le risque de la guerre à l'extérieur, et le film déjoue cette logique en adoptant le point de vue du personnel (qui ne croit pas à cette logique, même s'il n'interprête pas automatiquement mieux les conflits politiques locaux), il montre la durée prévisible mais incompressible de ce désavoeu.
Ce qui est émouvant dans le film c'est que la prise de conscience "afropolitaine" y est montrée comme un contrechamps de la guerre au Tchad (alors que la France, indirectement, n'est pas un contrechamps mais un acteur): la belle-fille est malienne (belle scène quand le père l'interroge, qui fait penser à certains films de Godard, sauf que chez Godard la déclinaison de l'identité culturelle et de l'origine nationale est souvent une interrupution dans le récit qui est alors recadré par une objectivité politique extérieure, alors qu'ici elle est pleinement intégrée dans le récit, et finalement jugée elle aussi par son issue tragique et symbolique), le cuisinier David (un peu dépassé par les évènements, mais le seul dont l'espoir et la colère soient à la fois moralement explicité et crédibles) vient du Congo. Depuis l'intérieur de l'Afrique, il y a une place pour un regard de témoin souffrant mais aussi distancié et analytique sur les guerres locales, la réserve offerte cette sensibilité éprouvée et lucide, qui médiatise l'altérité culturelle tout en restant interne au continent (donc liée à une espace et à un destin partagé), est le seul espoir du film. Très belle scène quand après son licenciement le cuisinier se met à casser une assiette avec un flegme despéré et a siffler les bières, on sent que ce n'est pas le type de geste qu'il se permet habituellement mais qu'il a d'un autre côté d'emblée une conscience calculée de sa portée provocatrice, mais le film n'insiste pas sur le ressort pathétique et comique de ce geste, ce qui rend la mise ens cène très juste.
Je ne pense pas qu'il faille interpêter de manière religieuse le sacrifice (douloureux et contraint) du fils par le père, mais il est vrai qu'il entre dans un jeu d'opposition en miroir: le recruteur local est un salaud mais il s'enfuit avec les deux fils qui lui restent et les sauve probablement (à ce moment là le spectateur s'identifie à lui moralement, contre la mise en scène qui est en caméra subjective depuis le point de vue d'Abdel). A l'inverse Abdel qui a conscience de l'absurdité et de l'inutilité de la guerre lui sacrifie son fils par calcul et par jalousie (et aussi parce que la jalousie est la seule manière de prouver que sa conscience de l'absurdiité de la guerre n'est pas un engagement partisan): la guerre se nourrit même des passions dépolitisées -en tout cas masculines-, ce qui contredit la mythologie de l'héroïsme (qui est impossible dans un monde ou la violence de la guerre rend tout intentiionnel, même les prises de position sur les non-dit culturels). Ce geste de sacrifice a peut-être une signification culturelle forte (toutes les femmes du film, même la patronne de l'hôtel, sont des specatrices extérieures à la logique de la guerre qui en commentent les enjeux morauux et psychologiques, et David, le seul homme auquel Abdel se confie n'a au contraire pas de progéniture) mais cette signification culturelle rejoint l'idée que les conflits locaux sont tellement surdéterminés par des enjeux (eux mêmes en grande partie symboliques) de concurrence entre les puissances que même l'expression de l'incrédulité face à l'absurdité de la guerre ne constitue plus une source possible de l'identication à autrui et l'espoir de faire de cette identification une exception à l'idée d'une violence conforme à l'ordre de la loi et de la nation. Le film ne montre pas la mort de cette identification à autrui, mais son impuissance politique.
(je n'ai pas repéré la citation de Césaire dans le film).
Assez tristement on n'était que trois dans la salle un mercredi soir pour voir ce film (il y a cinq ans je crois que l'on aurait été au moins une vingtaine)
Ayant eu l'occasion de séjourner dans des hôtel comparable (mais pas au Tchad et pas dans des crises politique saussi graves), je trouve que le film rend bien compte du malaise que l'on y éprouve: les clients et les propriétaires veulent croire que la violence de la domination économique contenue et contrôlée en vase clos peut constituer un refuge momentané contre le risque de la guerre à l'extérieur, et le film déjoue cette logique en adoptant le point de vue du personnel (qui ne croit pas à cette logique, même s'il n'interprête pas automatiquement mieux les conflits politiques locaux), il montre la durée prévisible mais incompressible de ce désavoeu.
Ce qui est émouvant dans le film c'est que la prise de conscience "afropolitaine" y est montrée comme un contrechamps de la guerre au Tchad (alors que la France, indirectement, n'est pas un contrechamps mais un acteur): la belle-fille est malienne (belle scène quand le père l'interroge, qui fait penser à certains films de Godard, sauf que chez Godard la déclinaison de l'identité culturelle et de l'origine nationale est souvent une interrupution dans le récit qui est alors recadré par une objectivité politique extérieure, alors qu'ici elle est pleinement intégrée dans le récit, et finalement jugée elle aussi par son issue tragique et symbolique), le cuisinier David (un peu dépassé par les évènements, mais le seul dont l'espoir et la colère soient à la fois moralement explicité et crédibles) vient du Congo. Depuis l'intérieur de l'Afrique, il y a une place pour un regard de témoin souffrant mais aussi distancié et analytique sur les guerres locales, la réserve offerte cette sensibilité éprouvée et lucide, qui médiatise l'altérité culturelle tout en restant interne au continent (donc liée à une espace et à un destin partagé), est le seul espoir du film. Très belle scène quand après son licenciement le cuisinier se met à casser une assiette avec un flegme despéré et a siffler les bières, on sent que ce n'est pas le type de geste qu'il se permet habituellement mais qu'il a d'un autre côté d'emblée une conscience calculée de sa portée provocatrice, mais le film n'insiste pas sur le ressort pathétique et comique de ce geste, ce qui rend la mise ens cène très juste.
Je ne pense pas qu'il faille interpêter de manière religieuse le sacrifice (douloureux et contraint) du fils par le père, mais il est vrai qu'il entre dans un jeu d'opposition en miroir: le recruteur local est un salaud mais il s'enfuit avec les deux fils qui lui restent et les sauve probablement (à ce moment là le spectateur s'identifie à lui moralement, contre la mise en scène qui est en caméra subjective depuis le point de vue d'Abdel). A l'inverse Abdel qui a conscience de l'absurdité et de l'inutilité de la guerre lui sacrifie son fils par calcul et par jalousie (et aussi parce que la jalousie est la seule manière de prouver que sa conscience de l'absurdiité de la guerre n'est pas un engagement partisan): la guerre se nourrit même des passions dépolitisées -en tout cas masculines-, ce qui contredit la mythologie de l'héroïsme (qui est impossible dans un monde ou la violence de la guerre rend tout intentiionnel, même les prises de position sur les non-dit culturels). Ce geste de sacrifice a peut-être une signification culturelle forte (toutes les femmes du film, même la patronne de l'hôtel, sont des specatrices extérieures à la logique de la guerre qui en commentent les enjeux morauux et psychologiques, et David, le seul homme auquel Abdel se confie n'a au contraire pas de progéniture) mais cette signification culturelle rejoint l'idée que les conflits locaux sont tellement surdéterminés par des enjeux (eux mêmes en grande partie symboliques) de concurrence entre les puissances que même l'expression de l'incrédulité face à l'absurdité de la guerre ne constitue plus une source possible de l'identication à autrui et l'espoir de faire de cette identification une exception à l'idée d'une violence conforme à l'ordre de la loi et de la nation. Le film ne montre pas la mort de cette identification à autrui, mais son impuissance politique.
(je n'ai pas repéré la citation de Césaire dans le film).
Assez tristement on n'était que trois dans la salle un mercredi soir pour voir ce film (il y a cinq ans je crois que l'on aurait été au moins une vingtaine)
Invité- Invité
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
Un film qui ne rate pas son sujet : on épouse la méchanceté du père monolithique et vieillissant, dans un Tchad presque éternellement en guerre civile, contre son fils. L'enjeu est la maîtrise d'un symbole disputé entre le père et le fils, lieu théorique de leur rivalité, la piscine d'un grand hotel.
Le père a été champion de natation et le film débute sur un concours d'apnée gagné par le fils. L'hotel est racheté par des chinois : le père déchu devient gardien et actionne la barrière dans un uniforme trop étriqué pour lui, c'est burlesque, blessant. Le fils devient le surveillant de baignade.
Pressé par le chef de quartier, sans argent le père finira par donner son fils aux forces armées pour lutter contre les rebelles, ce que le premier a fait aussi. Ce qui crie en lui durant toute la partie du film où son fils combat est le remords du père de n'avoir pas entendu ni compris son fils.
L'homme qui crie sera cet homme qui avec son side-car, un masque de plongée en guise de lunettes ira chercher le corps de son fils blessé au combat et qui, une fois mort le laissera dériver selon son voeu dans la rivière.
Le film est lumineux, bati en longues séquences millimétrées et épurées, avec parfois du fantastique, du conte venant s'immiscer. C'est un très beau projet à la rigueur duquel rien n'est sacrifié.
C'est marrant comme Mahamat-Saleh Haroun a su prendre avec l'excellent Grigris sorti cette année un virage à quasi 180°. Si demeurent une certaine innocence et aussi une vertu associées au personnage on a là le monde de la nuit, la fête, l'artifice, l'érotisation, le trafic de drogue, bref on est à 100 lieues de la tradition de L'homme qui crie, ce qui en fait un cinéaste passionnant qui tourne la page.
https://spectresducinema.1fr1.net/t1580-grigris-de-mahamat-saleh-haroun?highlight=grigris
Le père a été champion de natation et le film débute sur un concours d'apnée gagné par le fils. L'hotel est racheté par des chinois : le père déchu devient gardien et actionne la barrière dans un uniforme trop étriqué pour lui, c'est burlesque, blessant. Le fils devient le surveillant de baignade.
Pressé par le chef de quartier, sans argent le père finira par donner son fils aux forces armées pour lutter contre les rebelles, ce que le premier a fait aussi. Ce qui crie en lui durant toute la partie du film où son fils combat est le remords du père de n'avoir pas entendu ni compris son fils.
L'homme qui crie sera cet homme qui avec son side-car, un masque de plongée en guise de lunettes ira chercher le corps de son fils blessé au combat et qui, une fois mort le laissera dériver selon son voeu dans la rivière.
Le film est lumineux, bati en longues séquences millimétrées et épurées, avec parfois du fantastique, du conte venant s'immiscer. C'est un très beau projet à la rigueur duquel rien n'est sacrifié.
C'est marrant comme Mahamat-Saleh Haroun a su prendre avec l'excellent Grigris sorti cette année un virage à quasi 180°. Si demeurent une certaine innocence et aussi une vertu associées au personnage on a là le monde de la nuit, la fête, l'artifice, l'érotisation, le trafic de drogue, bref on est à 100 lieues de la tradition de L'homme qui crie, ce qui en fait un cinéaste passionnant qui tourne la page.
https://spectresducinema.1fr1.net/t1580-grigris-de-mahamat-saleh-haroun?highlight=grigris
incubé- Messages : 206
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
A l'opposé de ce cinéma traditionnel, psychologique, sociologique et réflexif, celui de Godard, fait subir à l'histoire le même sort qu'une analyse, le récit d'un rêve.
Elle n'est jamais reçue pour elle-même. Ses propositions sont sectionnées, dispersées, répandues en fragments. Chaque fragment peut ouvrir une voie imprévue, amorcer un virage contradictoire qui n'a rien en commun avec la poursuite du récit telle qu'on l'attendait.
A certains moments, un fait (une idée, une image) s'impose par irruption, par sa seule présence, par son poids de réalité, par la force des choses, et de ce fait reste pour un temps à côté de l'histoire, simplement perceptible déconnecté du programme qu'est le scénario.
On a très souvent souligné, à juste titre, que le cinéma de Godard n'est jamais psychologique, inquisiteur si on préfère.
Mais on n'a pas dit assez qu'il est analytique et qu'il en tire une part de sa singularité. Chaque film de Godard est, à sa façon, une séance d'analyse.
Elle n'est jamais reçue pour elle-même. Ses propositions sont sectionnées, dispersées, répandues en fragments. Chaque fragment peut ouvrir une voie imprévue, amorcer un virage contradictoire qui n'a rien en commun avec la poursuite du récit telle qu'on l'attendait.
A certains moments, un fait (une idée, une image) s'impose par irruption, par sa seule présence, par son poids de réalité, par la force des choses, et de ce fait reste pour un temps à côté de l'histoire, simplement perceptible déconnecté du programme qu'est le scénario.
On a très souvent souligné, à juste titre, que le cinéma de Godard n'est jamais psychologique, inquisiteur si on préfère.
Mais on n'a pas dit assez qu'il est analytique et qu'il en tire une part de sa singularité. Chaque film de Godard est, à sa façon, une séance d'analyse.
incubé- Messages : 206
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
Eyquem a écrit:
Vous le saviez, vous, que la France participait à des opérations militaires au Tchad ? On s’en doute, mais tout ça reste secret et n’est jamais l’objet d’un débat
C'est pas un secret, c'est au moins depuis une guerre civile doublée d'une guerre tchado-lybienne (les opposants tchadiens à Habré étaient soutenus et formés en Libye, le gouvernement tchadiens par la France) dans les années 83-87 qui a connu des spectaculaires retournement d'alliances dans tous les sens, et qui a encore des répercussions dans la guerre centrafricaine actuelle ( Mitterrand a d'ailleurs cru pouvoir répéter exactement le même schéma dans un tout autre contexte avec le Rwanda et l'Ouganda, avec les conséquences que l'on connait).
C'est juste que tout le monde s'en fout, de la même manière que l'invitation de Kadhafi et Assad par Sarkozy en 2008 qui en voulait en faire alors les piliers pour son UPM n'est pas un secret, mais complètement shuntée par les médias et la mémoire collective.
Dernière édition par Tony le Mort le Ven 10 Jan 2014 - 11:24, édité 3 fois
Invité- Invité
Re: Un homme qui crie (Mahamat-Saleh Haroun)
Pendant ce temps les chinois font les affaires : dans le film, Un homme qui crie, l'hôtel est racheté par eux et le père vidé par eux. Mais tout le monde s'en fout aussi.
incubé- Messages : 206
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