L'homme qui tua liberty valance
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L'homme qui tua liberty valance
Stéphane Pichelin a écrit:
intéressant, ce que tu écris sur Liberty Valance. je voudrais juste souligner un aspect qui me parait implicite dans tes réflexions (peut-être je me trompe). Ce n'est pas seulement Hallie qui choisit Ransom plutôt que Tom. Tom choisit aussi de laisser Hallie à Ransom. Le mariage d'Hallie et de Ransom est le choix commun (et amoureux ?) de Tom et d'Hallie, et Ransom est largement mystifié, dépassé par ce choix qui l'engage et le dépasse (notamment parce qu'il ne comprend pas ce qui unit Tom et Liberty - et politiquement, il est assez remarquable qu'il se fasse élire pas seulement sur un mensonge, mais sur la réputation d'avoir tué "la liberté" ! etranges USA fordiens).
alors est-ce que cela vaut aussi pour le Fincher ?
hello SP;
on peut discuter ici de ce film, même si on ne trouve rien de neuf à en dire;
Borges- Messages : 6044
Re: L'homme qui tua liberty valance
Je crois savoir que Raymond Barre aimait beaucoup ce film (quand il vivait encore bien entendu).
Invité- Invité
Re: L'homme qui tua liberty valance
je ne pense pas que l'on puisse dire que Ransom ignore totalement ce qui unit Tom et Liberty, il le dit même explicitement :
-Tom : l know those law books mean a lot to you, but not out here. Out here a man settles his own problems.
-Ranse : Do you know what you're saying to me ? You're saying just exactly what Liberty Valance said. What kind of a community have l come to ? You all seem to know about this fella, Liberty Valance, he is a no-good, gun-packing, murdering thief, but the only advice you can give to me is to carry a gun.
-Deleuze et Guattari : jamais le livre n'a compris le dehors. Au cours d'une longue histoire, l'Etat a été le modèle du livre et de la pensée : le logos, le philosophe-roi, la transcendance de l'Idée, l'intériorité du concept, la république des esprits, le tribunal de la raison, les fonctionnaires de la pensée, l'homme législateur et sujet. Prétention de l'Etat à être l'image intériorisée d'un ordre du monde, et à enraciner l'homme.
-Tom : l know those law books mean a lot to you, but not out here. Out here a man settles his own problems.
-Ranse : Do you know what you're saying to me ? You're saying just exactly what Liberty Valance said. What kind of a community have l come to ? You all seem to know about this fella, Liberty Valance, he is a no-good, gun-packing, murdering thief, but the only advice you can give to me is to carry a gun.
-Deleuze et Guattari : jamais le livre n'a compris le dehors. Au cours d'une longue histoire, l'Etat a été le modèle du livre et de la pensée : le logos, le philosophe-roi, la transcendance de l'Idée, l'intériorité du concept, la république des esprits, le tribunal de la raison, les fonctionnaires de la pensée, l'homme législateur et sujet. Prétention de l'Etat à être l'image intériorisée d'un ordre du monde, et à enraciner l'homme.
Borges- Messages : 6044
Re: L'homme qui tua liberty valance
A propos d'être et d'état (d'Etre et d'Etat si vous préférez) j'ai lu hier une interview de Jean-Luc Nancy où selon lui la démocratie est soit une chute (chez les Grecs, où elle est un palliatif à la perte de foi dans le sens politique des vieilles mythologies cosmogoniques) soit l'absolu inatteignable de l'essence de l'homme (chez Rousseau, où elle est la finalité de la société en même temps bafouée par elle). D'autre part la démocratie ne se confond jamais avec l'état, qui est l'exercice réglé du pouvoir collectif, pouvoir dont le principe de ses rapports avec la démocratie n'a pas à être redéfini par des acteurs historiques (entre et autour de ces deux formulations par les Grecs et Rousseau il n'y a rien). La démocratie est juste l'égalité devant le pouvoir, à l'intérieur de l'état. Au passage Nancy donne d'ailleurs un fondement intégralement culturel à l'état et à la démocratie, seule la rupture avec la démocratie depuis l'intérieur de l'état (Platon) crée un espace pour un rapport métaphysique à l'état.
Bref ça rigole pas. Mai 68 est une connerie pour lui, non pas pour la mort du sujet d'où découlerait une permissivité mortifère etc..., mais parce que ce sont au contraire des sujets qui ont cru peser sur la démocratie, de formuler directement son principe.
Comme je connais mal son œuvre, ma question est la suivante: est-ce qu'il a toujours dit cela, était-il de mauvaise humeur pendant l'interview ou c'est juste qu'il devient aussi vieux que son pays?
Si le premier cas est vrai il est complètement fou que les post-colonial studies essayent autant de se réclamer d'une œuvre aussi théologico-politique comme penseur de l'acceptation raisonnée des multiplicités ontologiques.
Bref ça rigole pas. Mai 68 est une connerie pour lui, non pas pour la mort du sujet d'où découlerait une permissivité mortifère etc..., mais parce que ce sont au contraire des sujets qui ont cru peser sur la démocratie, de formuler directement son principe.
Comme je connais mal son œuvre, ma question est la suivante: est-ce qu'il a toujours dit cela, était-il de mauvaise humeur pendant l'interview ou c'est juste qu'il devient aussi vieux que son pays?
Si le premier cas est vrai il est complètement fou que les post-colonial studies essayent autant de se réclamer d'une œuvre aussi théologico-politique comme penseur de l'acceptation raisonnée des multiplicités ontologiques.
Invité- Invité
Re: L'homme qui tua liberty valance
Tony le Mort a écrit:Je crois savoir que Raymond Barre aimait beaucoup ce film (quand il vivait encore bien entendu).
Ceci doit-il inviter à la prudence ?
Invité- Invité
Re: L'homme qui tua liberty valance
Boh, Staline adorait Ford, lui aussi !!
A propos de Staline, connaissez-vous celle là : Staline se faisait régulièrement projeter des films dans des séances privées (il était fou de cinoche, comme vouzémoi). Un jour, son projectionniste attitré étant malade, on lui envoie un petit nouveau et le Joseph tient à le saluer personnellement, polétarianement. Mais le gars pête de trouille et tremble comme une feuille. "Pourquoi trembles-tu, camarade ?", demande Staline. "Parce que c'est la première fois que je te rencontre, camarade premier secrétaire", répond l'autre. "Et alors", reprend le Joseph, "moi aussi, c'est la première fois que je te rencontre et tu vois, je ne tremble pas."
Je sais pas vous mais moi, ça me fait mourir de rire.
A propos de Staline, connaissez-vous celle là : Staline se faisait régulièrement projeter des films dans des séances privées (il était fou de cinoche, comme vouzémoi). Un jour, son projectionniste attitré étant malade, on lui envoie un petit nouveau et le Joseph tient à le saluer personnellement, polétarianement. Mais le gars pête de trouille et tremble comme une feuille. "Pourquoi trembles-tu, camarade ?", demande Staline. "Parce que c'est la première fois que je te rencontre, camarade premier secrétaire", répond l'autre. "Et alors", reprend le Joseph, "moi aussi, c'est la première fois que je te rencontre et tu vois, je ne tremble pas."
Je sais pas vous mais moi, ça me fait mourir de rire.
Invité- Invité
Re: L'homme qui tua liberty valance
Pour ce que Ransom sait des rapports de Tom et Liberty, effectivement, on peut dire qu'il en a une certaine connaissance. Mais comme tu le soulignes, Borges, c'est une connaissance du point de vue de l'Etat. Et il me semble que le film invite à une autre connaissance, cette fois contre l'Etat et du point de vue de la liberté. Peabody insiste assez sur la signification du nom de Liberty : "Is Mr Liberty taking liberties with the liberty of the press ?" Je cite de mémoire. L'important est que le très shakespearien Peabody utilise conscieusement le mot "liberty" là où on s'attendrait à "freedom", plus courant. Or, ransom se veut un défenseur de la légalité états-unienne, c'est-à-dire, idéologiquement, de la liberté. Et sa lutte pour la liberté est en même temps une lutte contre Liberty, qu'il ne pourra gagner qu'avec l'aide de Tom, l'alter-ego de Liberty d'un certain point de vue. Alter-ego ou peut-être autre visage, complémentaire de celui de Liberty, de la liberté s'évanouissant face à l'Etat.
Invité- Invité
Re: L'homme qui tua liberty valance
C'est marrant d'articuler (d'Europe?) les rapports entre l'état et la liberté en Amérique à travers le western, où l'enjeu est l'instauration de l'administration d'état dans des territoires déjà organisés politiquement, et qui se savent à la fois neufs et mortels.
Alors qu'il y a en Amérique en autre tradition pour poser le rapport de la liberté à l'homme issue du transcendantalisme, du rapport à une essence permanente de l'homme qui s'exprime politiquement dans un socialisme primitif (qui a donné lieu à des communautés fourrièristes assez solides pour tenir plusieurs années).
Il ya un superbe roman de Hawthorne là-dessus, Valjoie, sur l'échec d'une communauté (qui a réellement existé: "Brooks Farm") qui quelque temps arrive à partager du travail sans hiérarchie de sexe (l'expérience part pas trop mal mais échoue autour de la question des prisons et de l'enfermement -un prédicateur arrive tenant un discours sur l'abolition du mal via l'abolition des prisons et, sans être un salaud, met à bas la communauté par ce seul discours- même dans les positions les plus généreuses la liberté apparaît toujours comme un enjeu de séduction, un pouvoir déplacé par l'altérité.
Marrant que cette mémoire a été complètement refoulée par le cinéma américain (sauf peut-être Robert Kramer et Welles et sous une forme molle les professeurs heideggerien et le camusien dont j'ai oublié les noms qui ont fait des films avec Nestor Almendros).
Alors qu'il y a en Amérique en autre tradition pour poser le rapport de la liberté à l'homme issue du transcendantalisme, du rapport à une essence permanente de l'homme qui s'exprime politiquement dans un socialisme primitif (qui a donné lieu à des communautés fourrièristes assez solides pour tenir plusieurs années).
Il ya un superbe roman de Hawthorne là-dessus, Valjoie, sur l'échec d'une communauté (qui a réellement existé: "Brooks Farm") qui quelque temps arrive à partager du travail sans hiérarchie de sexe (l'expérience part pas trop mal mais échoue autour de la question des prisons et de l'enfermement -un prédicateur arrive tenant un discours sur l'abolition du mal via l'abolition des prisons et, sans être un salaud, met à bas la communauté par ce seul discours- même dans les positions les plus généreuses la liberté apparaît toujours comme un enjeu de séduction, un pouvoir déplacé par l'altérité.
Marrant que cette mémoire a été complètement refoulée par le cinéma américain (sauf peut-être Robert Kramer et Welles et sous une forme molle les professeurs heideggerien et le camusien dont j'ai oublié les noms qui ont fait des films avec Nestor Almendros).
Invité- Invité
Re: L'homme qui tua liberty valance
Hello SP :
Liberty n'est pas "la liberté"; la liberté n'a pas qu'un nom; dans le film, il y a différentes formes de la liberté, celle de la presse, celle du droit, celle de wayne, proche de celle de liberty, mais aussi très différente;
liberty incarne "la liberty naturelle", la liberté de l'état de nature, où comme dirait spinoza : mon droit va aussi loin que ma puissance; cette liberté sera déjà moins sauvage avec tom, et finalement dépassée, relevée, dans le système démocratique venu de l'est et incarné par ransom;
la question bien entendu est de savoir ce qui se perd dans la construction de la liberté-juridique-démocratique... du point de vue de nietzsche, ce sont juste des transformation de la volonté de pouvoir...
ransom, c'est la rançon, la rançon que l'on doit payer pour vivre en sécurité; renoncer à la puissance naturelle... ne plus tenir son pouvoir de soi seul, mais des autres; le film raconte aussi la naissance du peuple démocratique, la naissance de la politique, qui est "pouvoir, au sens d'arendt, jamais le fait d'un seul: stoddard n'est rien seul, sa puissance, il l'a tient du nombre...
le pouvoir (stoddard) chez arendt, s'oppose à la violence (liberty); où serait alors tom?
en fait, s'il y a lien entre Tom, et Liberty, comme on le dit tout le temps, le plus intéressant, c'est plutôt le lien entre les trois, ou plus encore, les liens entre tous les personnages du film, plus ou moins importants. Ainsi s'il y a bien un lien entre tom et liberty, il y aussi une différence essentielle, tom ne s'intéresse qu'à ses propres problèmes; si on excepte sa relation avec pompey, il s'en fiche absolument du pouvoir, de la communauté, il n'a aucun désir de pouvoir; l'inverse de liberty... mais aussi de stoddard... du point de vue du désir de pouvoir, et de domination, de maîtrise, c'est lui qui ressemble à liberty; quand il revient, à la mort de doniphon, c'est lui le boss, bien entendu la forme de son pouvoir n'est pas celle de liberty...
cette proximité est dite par la rime entre le nom (liberty) "valance" et le prénom "ranse" (stoddard)...
autrement dit, la liberty c'est une légende; comme disait hegel dans l'état nous regretterons toujours les temps héroïque où les hommes réglaient eux-mêmes leurs problèmes quand ils en avaient... hercule n'achetait pas sa massue, il la fabriquait lui-même; tradition qui ne s'est pas perdu, rambo est son propre médecin...
Liberty n'est pas "la liberté"; la liberté n'a pas qu'un nom; dans le film, il y a différentes formes de la liberté, celle de la presse, celle du droit, celle de wayne, proche de celle de liberty, mais aussi très différente;
liberty incarne "la liberty naturelle", la liberté de l'état de nature, où comme dirait spinoza : mon droit va aussi loin que ma puissance; cette liberté sera déjà moins sauvage avec tom, et finalement dépassée, relevée, dans le système démocratique venu de l'est et incarné par ransom;
la question bien entendu est de savoir ce qui se perd dans la construction de la liberté-juridique-démocratique... du point de vue de nietzsche, ce sont juste des transformation de la volonté de pouvoir...
ransom, c'est la rançon, la rançon que l'on doit payer pour vivre en sécurité; renoncer à la puissance naturelle... ne plus tenir son pouvoir de soi seul, mais des autres; le film raconte aussi la naissance du peuple démocratique, la naissance de la politique, qui est "pouvoir, au sens d'arendt, jamais le fait d'un seul: stoddard n'est rien seul, sa puissance, il l'a tient du nombre...
le pouvoir (stoddard) chez arendt, s'oppose à la violence (liberty); où serait alors tom?
en fait, s'il y a lien entre Tom, et Liberty, comme on le dit tout le temps, le plus intéressant, c'est plutôt le lien entre les trois, ou plus encore, les liens entre tous les personnages du film, plus ou moins importants. Ainsi s'il y a bien un lien entre tom et liberty, il y aussi une différence essentielle, tom ne s'intéresse qu'à ses propres problèmes; si on excepte sa relation avec pompey, il s'en fiche absolument du pouvoir, de la communauté, il n'a aucun désir de pouvoir; l'inverse de liberty... mais aussi de stoddard... du point de vue du désir de pouvoir, et de domination, de maîtrise, c'est lui qui ressemble à liberty; quand il revient, à la mort de doniphon, c'est lui le boss, bien entendu la forme de son pouvoir n'est pas celle de liberty...
cette proximité est dite par la rime entre le nom (liberty) "valance" et le prénom "ranse" (stoddard)...
autrement dit, la liberty c'est une légende; comme disait hegel dans l'état nous regretterons toujours les temps héroïque où les hommes réglaient eux-mêmes leurs problèmes quand ils en avaient... hercule n'achetait pas sa massue, il la fabriquait lui-même; tradition qui ne s'est pas perdu, rambo est son propre médecin...
Borges- Messages : 6044
Re: L'homme qui tua liberty valance
Borges a écrit:
liberty incarne "la liberty naturelle", la liberté de l'état de nature, où comme dirait spinoza : mon droit va aussi loin que ma puissance; cette liberté sera déjà moins sauvage avec tom, et finalement dépassée, relevée, dans le système démocratique venu de l'est et incarné par ransom;
Liberty peut-il représenter la "liberté naturelle" sans impureté alors qu'il est directement lié aux gros éleveurs ?
Et alors, la liberté portée par Tom est-elle moins sauvage au sens de moins naturelle ? Même si elle est moins violente.
C'est face à ces questions que je parle d'eux comme deux visages du processus d'évanouissement de la liberté.
Y a-t-il une représentation de la "liberté naturelle" dans le film ? Pas du côté de Valance aliéné aux cattlers. Du côté de Tom ? Je ne sais pas.
Je pense que l'historicité est centrale dans le film. Autrement dit, que la liberté naturelle n'y trouve place que comme argument rhétorique ou illusion idéologique.
en fait, s'il y a lien entre Tom, et Liberty, comme on le dit tout le temps, le plus intéressant, c'est plutôt le lien entre les trois, ou plus encore, les liens entre tous les personnages du film, plus ou moins importants.
Là, c'est important. Peut-être aussi une des difficultés du film : il ne se joue pas dans des rapports binaires (Tom/Ranse, Tom/Valance ou Valance/Tom-Ranse, etc...) mais dans un jeu des trois hommes au moins, voire à quatre en ajoutant Hallie, voir à plus avec tous le autres personnages. Mon dieu, quelle promiscuité !
Invité- Invité
Re: L'homme qui tua liberty valance
Hello SP ;
c'est le même mec : woody strode.
Je vois pas comment tu peux contester sérieusement que liberty valance représente une manière de « liberté naturelle », le droit naturel à l’état de nature (tel qu’on le définit en philo politique depuis Hobbes) : le droit égale la puissance.
Mon droit, c’est ma puissance, ce que je suis capable de faire.
Quand au début du film james stewart demande à liberty « quel type d’homme vous êtes ; liberty répond en le frappant, « voilà mon type et ton type à toi, c’est quoi ? ».
(je reviendrai sur ce passage; un terme m'y semble très important; mais on peut déjà dire ici, comme on en parle ailleurs qu'il s'agit de la définition de l'homme; la question de james stewart bien entendu exclue liberty de l'ordre de l'humanité... )
Liberty fait ce qu’il peut, mais ce degré de puissance n’est pas infini ; il y a une limite à sa puissance, c’est tom, qui se vante de l’emporter sur lui : « Liberty Valance's the toughest man south of the Picketwire - next to me. » Cet énoncé est important ; il place valance et tom dans la même classe, l’un à côté de l’autre, l’un après l’autre ; ce sont des tough guys, mais en même temps, il limite leur toughness, ils ne sont pas les plus toughest dans l’ordre de la nature, mais juste dans une partie du monde. Comme disait spinoza, étant donné un certain degré de la nature, il y en aura nécessairement toujours un plus puissant ; ce que le western traduit par : « un jour, mon gars, tu tomberas sur un mec plus rapide que toi » ; et ça arrive toujours, sauf pour le héros qui est sauvé par le happy end.
La limite du droit, de la liberté naturelle, c’est la peur de la mort ; c’est elle aussi qui est à l’origine de la société selon hobbes, les hommes ayant marre d’avoir peur pour leur vie, ils remettent leur capacité à s’entretuer entre les mains d’un souverain absolu.
Si on peut faire ce que l’on veut, affirmer sa liberté en l’égalant à sa puissance, c’est qu’on a dépassée cette peur, du moins à l’égard de certaines de ses causes. Liberty ne craint personne, parce que tous sont plus lâches que lui, en dehors de tom ; tous ont plus peur de la mort que lui, et avec raison, parce qu’il est plus fort, plus rapide, plus déterminé. Si tout le monde était aussi puissant que lui, ou que tom, il n’y aurait pas de problème ; les gens se tiendraient en respect, dans un équilibre de la terreur, dont la dissuasion nucléaire donne un bon exemple ; comme on dit s’attaquer à aussi fort que soi, c’est se suicider.
C’est je crois Cavell qui se pose la question : voici deux hommes, liberty et tom, l’un est comme le double de l’autre, sa face négative : tous les deux sont très forts, indépendants… mais l’un d’eux est bon, alors que l’autre est mauvais. Comment cela s’explique, comment un mec qui l’emporte sur les autres peut-il autolimiter sa propre puissance ? Comment se fait-il que la puissance dans certains cas rencontre une certaine bonté qui la limite ? Et pourquoi le bon l’emporte-t-il sur le mauvais ? Ca ne tient à rien, répond-t-il.
encore lui, dans la connection italienne
On peut penser que Liberty, n’étant que second à côté de tom, est plus enclin à montrer sa liberté, son arbitraire…Tom n’a rien à se prouver ; mais d’où tient-il qu’il est le meilleur, que liberty n’est que second ? Comment peut-il le savoir, si les deux hommes ne se sont jamais affrontés ? C’est une question ; on la garde pour une autre fois ; l’important est de voir que tom ne dégagera personne d’une table de resto pour prendre sa place, pas plus qu’il ne piquera le steak d’un autre, juste parce qu’il le peut. Il vit sa vie et laisse les autres vivre la leur. Surgit alors la question : pourquoi, ce type se mêle-il de la vie de james stewart ? Pourquoi le conduit-il en ville, après que liberty l’a battu et laissé dans un sale état. Il le sauve, dit-on, de liberty, lors du duel où il n’a aucune chance, par amour pour hallie, qui l’aime. On peut le croire, même si ça ne fait pas sens, mais cela n’explique le premier cas. Rien alors ne l’obligeait. C’est peut-être ça la réponse : rien ne l’obligeait ; il l’a fait parce qu’il l’a fait, parce qu’il l’a voulu. Tom se mêle de ses problèmes et les règle ; c’est peut-être là, une des limites de son être ; dans le monde qui se prépare, on ne pourra plus régler soi-même ses problèmes, il faudra renoncer à sa puissance.
encore WS
Que Liberty se mette à bosser pour les gros propriétaires, c’est pas du tout en contradiction avec ce que je dis, puisque ces mecs refusent précisément l’ordre , ils obéissent à la règle, comme dirait deleuze, qui résume la pensée du droit naturel non classique : « les gros mangent les petits » ; cela arrive de plus dans un deuxième moment, celui où se constitue le corps démocratique, le partage état de nature, état civil se déplace, il n’oppose plus seulement liberty et la ville, mais les gros propriétaires et les petites gens, le bon peuple (dont ne font pas partie encore les femmes, et encore moins le pauvre pompey, qui, non seulement doit dégager de l’école quand tom lui demande d’aller plutôt bosser, mais doit aussi manger à la cuisine, et bien entendu se tenir hors du salon, et de la salle où les citoyens discutent…pour savoir qui sera leur représentant ; notons que cette exclusion n’interdit pas à pompey d’être à chaque fois là quand il faut seconder tom ; et, c’est lui qui passe au tueur le fusil qui va abattre « lâchement », « secrètement »… liberty.
ici, on ne le voit pas hors champ, il est à la cuisine, il ne peut pas manger dans la salle, avec les autres;
Que la liberté naturelle existe ou pas, que cette nature avant le droit existe ou pas, que ce soit aussi fictif que le contrat social, ne compte pas, l’essentiel c’est juste l’opposition entre un état social, où il y a des règles, des lois qui valent pour tous, et des gens qui veillent à leur application, où, si je suis attaqué, je ne devrai pas à mon seul courage, à mes seules forces, de m’en tirer. Dans l’état de nature, mon droit, c’est ma puissance, cette puissance n’est pas seulement individuelle ; cela peut-être celle d’un groupe, d’une bande, d’une horde, d’une association de gros propriétaires, de gros bonnets des chemins de fer ; l’essentiel est que le droit se définisse par des degrés de puissance ; on me dira que c’est toujours ainsi, état de nature ou pas, sans doute, mais ici on fait comme si c’était pas vrai ; on fait comme si la nature et la société étaient très différentes, et c’est vrai qu’en un sens c’est pas la même chose.
(exemple le plus sauvage du droit naturel, de la liberté naturelle, ce serait les camps de concentration, ou d’extermination, les espaces de non droit, comme on dit.. )
là, il était indien; un indien noir, un peu comme hendrix; dont on ne dit jamais qu'il était aussi indien. étrange;
Donc, en gros, la liberté naturelle, je fais ce que je peux, ce dont je suis capable ; dans l’état social, ce que je peux est limité par des règles, des normes ; je fais pas ce que je peux, même si je peux, violer, voler, tuer, je ne le peux pas ; ma liberté n’égale plus ma puissance ; il y a tout le corps social, politique, juridique pour s’opposer à ma puissance, qui face à ces puissances ne pèse rien.
encore lui, il a pas le regard aussi bleu que fonda, mais c'est dans le même film
Dans le western, en général, il y a duel, entre le méchant et le gentil, parce qu’il n’y a aucune communauté. La plupart du temps, on se dit, mais pourquoi ces gens ne s’associent pas, pourquoi ils se laissent tyranniser par un mec et sa bande. Il suffit que les habitants de la petite ville se réunissent pour que liberty arrête d’emmerder son monde, et bien non, ça ne marche pas, il n’y a pas de communauté constituée, et le shérif, qui n’a rien d’un héros, est d’abord un mec qui a peur, comme le restaurateur, d’ailleurs, pour qui liberty est avant tout un client (on ne sert pas le bon pompey dans la salle, mais un tueur oui ; notons que tom n’est pas dérangé que son serviteur ne soit pas accepté dans l’espace public, l’espace politique…) ; le shérif a bien raison d’avoir peur, il n’est pas le représentant d’une loi abstraire, dont l’existence a plus de valeur que celle d’un type ordinaire ; le flinguer ne vaudra à personne d’être destitué de sa nationalité ; dans quel épisode de « the wire » apprend-t-on que la vie d’une flic, surtout quand c’est une femme a une valeur de loin supérieure à celle d’un autre, d’un citoyen ordinaire ; s’il ne faut pas tuer un « citoyen », au sens fort du mot, il faut encore moins s’en prendre à un flic. Omar est hyper cool, parce qu’il ne tue que des non-citoyens.
c'est le même mec : woody strode.
Je vois pas comment tu peux contester sérieusement que liberty valance représente une manière de « liberté naturelle », le droit naturel à l’état de nature (tel qu’on le définit en philo politique depuis Hobbes) : le droit égale la puissance.
Mon droit, c’est ma puissance, ce que je suis capable de faire.
Quand au début du film james stewart demande à liberty « quel type d’homme vous êtes ; liberty répond en le frappant, « voilà mon type et ton type à toi, c’est quoi ? ».
(je reviendrai sur ce passage; un terme m'y semble très important; mais on peut déjà dire ici, comme on en parle ailleurs qu'il s'agit de la définition de l'homme; la question de james stewart bien entendu exclue liberty de l'ordre de l'humanité... )
Liberty fait ce qu’il peut, mais ce degré de puissance n’est pas infini ; il y a une limite à sa puissance, c’est tom, qui se vante de l’emporter sur lui : « Liberty Valance's the toughest man south of the Picketwire - next to me. » Cet énoncé est important ; il place valance et tom dans la même classe, l’un à côté de l’autre, l’un après l’autre ; ce sont des tough guys, mais en même temps, il limite leur toughness, ils ne sont pas les plus toughest dans l’ordre de la nature, mais juste dans une partie du monde. Comme disait spinoza, étant donné un certain degré de la nature, il y en aura nécessairement toujours un plus puissant ; ce que le western traduit par : « un jour, mon gars, tu tomberas sur un mec plus rapide que toi » ; et ça arrive toujours, sauf pour le héros qui est sauvé par le happy end.
La limite du droit, de la liberté naturelle, c’est la peur de la mort ; c’est elle aussi qui est à l’origine de la société selon hobbes, les hommes ayant marre d’avoir peur pour leur vie, ils remettent leur capacité à s’entretuer entre les mains d’un souverain absolu.
Si on peut faire ce que l’on veut, affirmer sa liberté en l’égalant à sa puissance, c’est qu’on a dépassée cette peur, du moins à l’égard de certaines de ses causes. Liberty ne craint personne, parce que tous sont plus lâches que lui, en dehors de tom ; tous ont plus peur de la mort que lui, et avec raison, parce qu’il est plus fort, plus rapide, plus déterminé. Si tout le monde était aussi puissant que lui, ou que tom, il n’y aurait pas de problème ; les gens se tiendraient en respect, dans un équilibre de la terreur, dont la dissuasion nucléaire donne un bon exemple ; comme on dit s’attaquer à aussi fort que soi, c’est se suicider.
C’est je crois Cavell qui se pose la question : voici deux hommes, liberty et tom, l’un est comme le double de l’autre, sa face négative : tous les deux sont très forts, indépendants… mais l’un d’eux est bon, alors que l’autre est mauvais. Comment cela s’explique, comment un mec qui l’emporte sur les autres peut-il autolimiter sa propre puissance ? Comment se fait-il que la puissance dans certains cas rencontre une certaine bonté qui la limite ? Et pourquoi le bon l’emporte-t-il sur le mauvais ? Ca ne tient à rien, répond-t-il.
encore lui, dans la connection italienne
On peut penser que Liberty, n’étant que second à côté de tom, est plus enclin à montrer sa liberté, son arbitraire…Tom n’a rien à se prouver ; mais d’où tient-il qu’il est le meilleur, que liberty n’est que second ? Comment peut-il le savoir, si les deux hommes ne se sont jamais affrontés ? C’est une question ; on la garde pour une autre fois ; l’important est de voir que tom ne dégagera personne d’une table de resto pour prendre sa place, pas plus qu’il ne piquera le steak d’un autre, juste parce qu’il le peut. Il vit sa vie et laisse les autres vivre la leur. Surgit alors la question : pourquoi, ce type se mêle-il de la vie de james stewart ? Pourquoi le conduit-il en ville, après que liberty l’a battu et laissé dans un sale état. Il le sauve, dit-on, de liberty, lors du duel où il n’a aucune chance, par amour pour hallie, qui l’aime. On peut le croire, même si ça ne fait pas sens, mais cela n’explique le premier cas. Rien alors ne l’obligeait. C’est peut-être ça la réponse : rien ne l’obligeait ; il l’a fait parce qu’il l’a fait, parce qu’il l’a voulu. Tom se mêle de ses problèmes et les règle ; c’est peut-être là, une des limites de son être ; dans le monde qui se prépare, on ne pourra plus régler soi-même ses problèmes, il faudra renoncer à sa puissance.
encore WS
Que Liberty se mette à bosser pour les gros propriétaires, c’est pas du tout en contradiction avec ce que je dis, puisque ces mecs refusent précisément l’ordre , ils obéissent à la règle, comme dirait deleuze, qui résume la pensée du droit naturel non classique : « les gros mangent les petits » ; cela arrive de plus dans un deuxième moment, celui où se constitue le corps démocratique, le partage état de nature, état civil se déplace, il n’oppose plus seulement liberty et la ville, mais les gros propriétaires et les petites gens, le bon peuple (dont ne font pas partie encore les femmes, et encore moins le pauvre pompey, qui, non seulement doit dégager de l’école quand tom lui demande d’aller plutôt bosser, mais doit aussi manger à la cuisine, et bien entendu se tenir hors du salon, et de la salle où les citoyens discutent…pour savoir qui sera leur représentant ; notons que cette exclusion n’interdit pas à pompey d’être à chaque fois là quand il faut seconder tom ; et, c’est lui qui passe au tueur le fusil qui va abattre « lâchement », « secrètement »… liberty.
ici, on ne le voit pas hors champ, il est à la cuisine, il ne peut pas manger dans la salle, avec les autres;
Que la liberté naturelle existe ou pas, que cette nature avant le droit existe ou pas, que ce soit aussi fictif que le contrat social, ne compte pas, l’essentiel c’est juste l’opposition entre un état social, où il y a des règles, des lois qui valent pour tous, et des gens qui veillent à leur application, où, si je suis attaqué, je ne devrai pas à mon seul courage, à mes seules forces, de m’en tirer. Dans l’état de nature, mon droit, c’est ma puissance, cette puissance n’est pas seulement individuelle ; cela peut-être celle d’un groupe, d’une bande, d’une horde, d’une association de gros propriétaires, de gros bonnets des chemins de fer ; l’essentiel est que le droit se définisse par des degrés de puissance ; on me dira que c’est toujours ainsi, état de nature ou pas, sans doute, mais ici on fait comme si c’était pas vrai ; on fait comme si la nature et la société étaient très différentes, et c’est vrai qu’en un sens c’est pas la même chose.
(exemple le plus sauvage du droit naturel, de la liberté naturelle, ce serait les camps de concentration, ou d’extermination, les espaces de non droit, comme on dit.. )
là, il était indien; un indien noir, un peu comme hendrix; dont on ne dit jamais qu'il était aussi indien. étrange;
Donc, en gros, la liberté naturelle, je fais ce que je peux, ce dont je suis capable ; dans l’état social, ce que je peux est limité par des règles, des normes ; je fais pas ce que je peux, même si je peux, violer, voler, tuer, je ne le peux pas ; ma liberté n’égale plus ma puissance ; il y a tout le corps social, politique, juridique pour s’opposer à ma puissance, qui face à ces puissances ne pèse rien.
encore lui, il a pas le regard aussi bleu que fonda, mais c'est dans le même film
Dans le western, en général, il y a duel, entre le méchant et le gentil, parce qu’il n’y a aucune communauté. La plupart du temps, on se dit, mais pourquoi ces gens ne s’associent pas, pourquoi ils se laissent tyranniser par un mec et sa bande. Il suffit que les habitants de la petite ville se réunissent pour que liberty arrête d’emmerder son monde, et bien non, ça ne marche pas, il n’y a pas de communauté constituée, et le shérif, qui n’a rien d’un héros, est d’abord un mec qui a peur, comme le restaurateur, d’ailleurs, pour qui liberty est avant tout un client (on ne sert pas le bon pompey dans la salle, mais un tueur oui ; notons que tom n’est pas dérangé que son serviteur ne soit pas accepté dans l’espace public, l’espace politique…) ; le shérif a bien raison d’avoir peur, il n’est pas le représentant d’une loi abstraire, dont l’existence a plus de valeur que celle d’un type ordinaire ; le flinguer ne vaudra à personne d’être destitué de sa nationalité ; dans quel épisode de « the wire » apprend-t-on que la vie d’une flic, surtout quand c’est une femme a une valeur de loin supérieure à celle d’un autre, d’un citoyen ordinaire ; s’il ne faut pas tuer un « citoyen », au sens fort du mot, il faut encore moins s’en prendre à un flic. Omar est hyper cool, parce qu’il ne tue que des non-citoyens.
ici, question double, nous avons liberty valance et tom doniphon, en un, mais un tom qui accepterait de servir; c'est la femme qui tient le rôle du droit, de stewart; finalement tout se terme à table; la violence peut s'assoir à côté du droit, sans problème; ce que refusait encore ford.
Borges- Messages : 6044
Re: L'homme qui tua liberty valance
Salut Borges, merci pour les photos de Woody Strode. C'qu'il est beau gosse !
Je te rassure, je ne conteste pas « sérieusement » que Liberty représente la loi naturelle selon Hobbes : même si je n'ai pas lu Hobbes (je le devrais sûrement ), j'ai assez lu sur le film pour le savoir. Ce que je me demande plutôt, c'est s'il n'y a pas une remise en cause de cette naturalité, et de toute naturalité d'ailleurs. La loi naturelle est-elle si naturelle quand on découvre qu'elle se soutient des intérêts économiques des gros éleveurs ? C'est un motif qui apparaît à un moment du film, qui n'est pas donné d'entrée, mais je crois que rien n'indique que c'est une nouveauté dans la conduite de Liberty ; le choix est laissé d'opter pour l'une ou l'autre possibilité, nouveau ou pas nouveau, ou de laisser co-exister les deux (ou ni l'une ni l'autre en principe, encore que je ne vois pas comment).
Mais surtout, est-ce qu'on peut continuer à parler du récit du Sénateur Stoddard comme autre chose que ce qu'il est : un récit justement, dont la véridicité est tout sauf certaine ? Il y a un intérêt politique pour le Sénateur à mentir, à transposer sur un autre, sur un mort qui plus est, la responsabilité de la violence et de l'illégalité de l'imposition de la Loi. Ransom tuant Liberty, cette imposition de l'ordre, ce n'est pas qu'une fiction, c'est aussi une image historique de l'avènement violent du droit positif. Et Stoddard aurait quelques raisons de couvrir cette contradiction génésique en prêtant l'usage de la violence à Tom. Mais Tom aurait aussi des raisons de mentir lors de son récit dans le récit : des raisons de coeur, comme assurer à Hallie un futur prometteur en envoyant son promis au Congrès. Alors où est le mensonge, où la vérité ? Y a-t-il des critères de véridicité dans le récit de Stoddard, et si oui, lesquels ? (pour ma part, je n'en ai pas trouvé) Et si non, l'analyse des rapports des personnages dans le récit de Stoddard touchent-elles autre chose qu'un construit a postreriori, un regard déterminé politiquement et idéologiquement ?
Ce qui ne nous empèche pas de continuer comme si de rien n'était. Comment faire ? C'est pas facile.
Le regard chez Ford. L'embobinement du spectateur de la mort de Scrub White et la connaissance tue, déjouée, de la mère Clay. Dans My Darling Clementine, à sa première entrée, Holliday dépose sur le comptoir une sacoche qu'il couve et que Mac célèbre ; et plus tard, il lance à Chihuahua un sac inscrit Tucson Cattlemen Savings Bank : qui a volé le bétail des Earp ? Le retournement du regard de York sur Thursday dans Fort Apache – injustifié dramatiquement. Le dévoilement du dispositif cinématographique au début de The Searchers. Ça ne se joue jamais vraiment au même niveau mais il y a toujours un certain degré d'indécidabilité du point de vue.
J'aime beaucoup ton rapprochement de Ford et Cronenberg. À mon avis, DC a beaucoup regardé les films du borgne irlandais. J'associe plutôt A History of Violence au dyptique Fort Apache-Rio Grande.
Invité- Invité
Re: L'homme qui tua liberty valance
Stéphane Pichelin a écrit:
Salut Borges, merci pour les photos de Woody Strode. C'qu'il est beau gosse !
Je te rassure, je ne conteste pas « sérieusement » que Liberty représente la loi naturelle selon Hobbes : même si je n'ai pas lu Hobbes (je le devrais sûrement ), j'ai assez lu sur le film pour le savoir. Ce que je me demande plutôt, c'est s'il n'y a pas une remise en cause de cette naturalité, et de toute naturalité d'ailleurs. La loi naturelle est-elle si naturelle quand on découvre qu'elle se soutient des intérêts économiques des gros éleveurs ? C'est un motif qui apparaît à un moment du film, qui n'est pas donné d'entrée, mais je crois que rien n'indique que c'est une nouveauté dans la conduite de Liberty ; le choix est laissé d'opter pour l'une ou l'autre possibilité, nouveau ou pas nouveau, ou de laisser co-exister les deux (ou ni l'une ni l'autre en principe, encore que je ne vois pas comment).
Hello ; je ne pense pas que ce soit nécessaire ici de lire Hobbes ; on dit des choses très simples, qui ne nécessitent pas d’être spécialistes de sa pensée. Je dis que la liberté dans le film n’a pas un sens unique, qui serait incarné par liberty valance, mais plusieurs ; liberty serait une liberté naturelle, à l’état de nature : « je fais ce que je veux et comme je suis plus fort que toi, t’as rien à dire » ; ou encore « les gros poissons mangent les petits » ; cela me semble évident ; tu dis que non, et tu donnes un argument assez curieux ; parce qu’ il n'y a aucune contradiction entre la loi naturelle et le fait de soutenir de gros propriétaires et leurs intérêts, économiques ou autres. Poursuivre ses propres intérêts, sans tenir compte des autres, c'est précisément ça la loi naturelle...La loi naturelle, c'est la loi du plus fort (comme dirait le lion) qu'elle soit écrite, instituée, ou qu'elle s'exprime de manière plus rudimentaire ne change rien à sa définition. Si les USA décident de démolir quiconque nuit à leurs intérêts (sans tenir compte de l’avis de la communauté mondiale, comme on dit) c’est de la loi naturelle, qu’ils le fassent avec des drones ne change rien. La loi naturelle, la liberté naturelle, c’est pas la loi de l’état sauvage, hobbes, n’avait qu’a regarder autour de lui pour mettre au point son modèle et sa solution : si tous dans la nature ont peur de tous, il faut que tous soient soumis à la peur d’un seul pour que toutes les peurs cessent. Pour que chacun puisse vaquer à ses affaires, selon des règles communes, tous se séparent de leur liberté naturelle, de leur puissance (ici Spinoza se sépare de Hobbes).
Cette idée repose sur une idée de l’homme, sur une psychologie. Hobbes n’avait pas une très haute idée de l’homme, son homme naturel, c’est un type comme liberty Valance.
Là où il n' y a pas d'autorité supérieure, qui dépasse, et départage, qui soumette tout le monde, à des règles communes, les hommes pour s’affirmer et être reconnus comme les plus beaux, les plus forts, les plus malins sont prêts à s’entretuer, chacun selon ses moyens, ses qualités. C’est que pour hobbes, il y a une loi essentielle, naturelle, c’est une donnée première, que reprendra hegel, pour lui donner un autre sens : tout homme veut être estimé par les autres, situé par eux à la hauteur où il se situe, mais hélas, ça ne se passe pas aussi aisément, d’abord parce qu’on exagère un peu trop ses propres mérites, et sa valeur, ensuite parce que nous sommes tous très susceptibles, il suffit d’un rien pour que naissent des conflits.
(…) les hommes n'ont aucun plaisir (mais au contraire, beaucoup de déplaisir) à être ensemble là où n'existe pas de pouvoir capable de les dominer tous par la peur. Car tout homme escompte que son compagnon l'estime au niveau où il se place lui-même, et, au moindre signe de mépris ou de sous-estimation, il s'efforce, pour autant qu'il l'ose (ce qui est largement suffisant pour faire que ceux qui n'ont pas de pouvoir commun qui les garde en paix se détruisent l'un l'autre), d'arracher une plus haute valeur à ceux qui le méprisent, en leur nuisant, et aux autres, par l'exemple.
De sorte que nous trouvons dans la nature humaine trois principales causes de querelle :
-premièrement, la rivalité, qui fait que les hommes s’attaquent pour le gain, usant de la violence pour se rendre maîtres de la personne d'autres hommes, femmes, enfants, et du bétail;
-deuxièmement, la défiance; ils s’attaquent pour la sécurité, et usent de la violence pour les défendre;
-et troisièmement, la fierté, qui fait qu’ils s‘attaquent pour la réputation, utilisant la violence, pour des bagatelles, comme un mot, un sourire, une opinion différente, et tout autre signe de sous-estimation, [qui atteint] soit directement leur personne, soit, indirectement leurs parents, leurs amis, leur nation, leur profession, ou leur nom.
Par là, il est manifeste que pendant le temps où les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les maintienne tous dans la peur, ils sont dans cette condition qu'on appelle guerre, et cette guerre est telle qu'elle est celle de tout homme contre homme.
-ça veut dire quoi la remise en cause de toute naturalité? si, comme je dis, avec deleuze, la loi naturelle, c'est le fait que les gros poissons mangent les petits, cela veut dire que ford nie cette loi...tu veux dire que c’est un "artificialiste", un "conventionnaliste", ou encore qu’il complique le partage nature/culture?
Borges- Messages : 6044
Re: L'homme qui tua liberty valance
Stéphane Pichelin a écrit:
Mais surtout, est-ce qu'on peut continuer à parler du récit du Sénateur Stoddard comme autre chose que ce qu'il est : un récit justement, dont la véridicité est tout sauf certaine ? Il y a un intérêt politique pour le Sénateur à mentir, à transposer sur un autre, sur un mort qui plus est, la responsabilité de la violence et de l'illégalité de l'imposition de la Loi. Ransom tuant Liberty, cette imposition de l'ordre, ce n'est pas qu'une fiction, c'est aussi une image historique de l'avènement violent du droit positif. Et Stoddard aurait quelques raisons de couvrir cette contradiction génésique en prêtant l'usage de la violence à Tom. Mais Tom aurait aussi des raisons de mentir lors de son récit dans le récit : des raisons de coeur, comme assurer à Hallie un futur prometteur en envoyant son promis au Congrès. Alors où est le mensonge, où la vérité ? Y a-t-il des critères de véridicité dans le récit de Stoddard, et si oui, lesquels ? (pour ma part, je n'en ai pas trouvé) Et si non, l'analyse des rapports des personnages dans le récit de Stoddard touchent-elles autre chose qu'un construit a postreriori, un regard déterminé politiquement et idéologiquement ?
Ce qui ne nous empèche pas de continuer comme si de rien n'était. Comment faire ? C'est pas facile.
rehello
donc, voici un mec, ambitieux, qui devient fameux, parce qu’il a tué la terreur du coin, comme d’autres en d’autres temps ont tué des dragons ; chevalier du droit, il est désigné pour aller à Washington représenter son État; les défenseurs des intérêts des grands propriétaires s’opposent à lui, lors d’une espèce de convention : "c’est pas bien, envoyer un tueur à Washington... blablabala... " ; Ranse est sur le point de renoncer, touché dans son sens de l’honneur, sa morale, son idée du droit, et là, se présente tom : "arrête, pèlerin de te torturer l’esprit, c’est pas toi le tueur, c’est moi ; le mec va à Washington, et tout le reste, sénateur, gouverneur, et peut-être plus…
Je ne sais pas si je comprends très bien. Tu dis que ranse ment en raconcant que tom lui a raconté avoir tué liberty, c'est lui qui a tué liberty.
Que dire ? Cette lecture du soupçon me semble un peu artificielle ; il y a bien des choses à dire sur Stoddard, mais là, c’est pas très fondé.
Il aurait tué liberty, mais menti en disant que c’est tom, et lâchement en plus.
Je ne vois pas quel intérêt, il y aurait eu à mentir. Tu dis que son intérêt serait politique. « Il y a un intérêt politique pour le Sénateur à mentir, à transposer sur un autre, sur un mort qui plus est, la responsabilité de la violence et de l'illégalité de l'imposition de la Loi ».
Imposer la loi n’a rien d’illégal ; et la violence de la loi est dite légale, donc c’est plus de la violence.
qu'elle soit juste ou pas, c'est une autre question; différence entre le droit et la justice.
Ranse a bâti toute sa carrière sur son exploit, ce que tous pensent être son exploit; après que tom lui a révélé la vérité, il ne dit rien à personne, et ça ne gêne personne non plus qu’il ait accomplit cet exploit, car, c’est bien un exploit, un fait héroïque. Personne ne voit ça comme un assassinat. Il n’y a assassinat de liberty que dans le récit raconté par tom, c’est tom qui est un assassin. La légende est légitime, et même admirable ; un pauvre gars d’avocat qui sait à peine tenir une arme ose affronter une terreur, et réussit miraculeusement à la tuer. Imaginons que bush ait tué ben laden dans des circonstances aussi dramatiques, aussi déséquilibrées. Je ne vois pas quel intérêt, il aurait eu ensuite à révéler que ce n’était pas lui, mais des des gars de la CIA cachés dans l’ombre.
S’il le fait, et que ça se sait, le mec perd tout son prestige. Non ? Ou alors on le félicite pour son honnêteté ou des qualités du même genre. En général, les hommes politiques s’attribuent plutôt des mérites qui ne sont pas les leurs, des exploits accomplis par d’autres.
Tu parles d’intérêts politiques : « Transposer la responsabilité de la violence et de l'illégalité de l'imposition de la Loi sur un autre » ; ça se fait bien entendu, tout le temps ; ce ne sont pas les gouverneurs qui appliquent la peine de mort, par exemple, pas le président non plus.
Mais là encore, selon la loi, c’est la loi ; violence légale, et tout.
Ranse tue liberty, dans un combat loyal, singulier, et dis c’est pas moi, c’est tom, lâchement, traîtreusement…
Dans un cas, je ne vois pas où est la violence, ni l’illégalité ; dans le second cas, ce que tu appelles un mensonge fait par intérêt politique, je vois ; mais alors en mentant, il ne transpose pas la violence sur un autre, il y avait pas violence dans le premier cas, il dévoile la violence, le meurtre derrière l’exploit supposé, la légende. C’est d’autant plus gênant, que personne ne veut le savoir. C’est mauvais pour le rêve américain.
Au regard de qui doit-il déguiser qu’il est un héros ?
Au nom de quoi doit-il mentir ?
Une fois de plus, la version sans tom, c’est pas un meurtre, de la violence, c’est un duel, et pour nous, et pour les gars de l’époque encore plus, c’est tout à fait légitime ; après la mort de liberty tout le monde se précipite, c’est fête au village ; nous sommes dans l’ouest lointain, avec ses lois, et un duel n’est pas illégal. Nous sommes dan un western ; des millions de héros dans les westerns ont tué des milliards de salauds.
Quel serait l’intérêt de RS à dire : « j’ai pas tué liberty dans un duel légitime, c’est tom qui l’a tué lâchement, en secret, pour me défendre parce que je suis pas terrible, comme tireur"?
C’est pas évident, ou alors son intérêt est destructeur, doublement : révéler que tom était pas un gars si bien que ça, et que lui-même n’est qu’un voleur d’exploit, qu'il a bâti sa carrière sur un mensonge, et un assassinat; en bon avocat, il aurait du dénoncer tom, et mettre fin à sa carrière; dire la vérité, c'est juste se saborder; par chance, nous sommes dans l'ouest, dans ford, les faits devenus légendes n'intéressent pas le rêve américain... y a aucune raison de raconter que les colonels sont des incapables...
plus simplement : ce qui rend difficile l’idée que le récit est un mensonge, c’est la présence de pompey lors de la confrontation ; si RS ment, il ne doit pas parler de pompey, qui est encore vivant, et qui peut donc infirmer cette histoire...la présence de pompey garantit la vérité du récit.
« -Ransom tuant Liberty, cette imposition de l'ordre, ce n'est pas qu'une fiction, c'est aussi une image historique de l'avènement violent du droit positif. Et Stoddard aurait quelques raisons de couvrir cette contradiction génésique en prêtant l'usage de la violence à Tom. «
Je ne comprends pas ;
C’est pas très logique, ce que tu dis : il veut couvrir, mais en révélant. Il y a mieux tout de même, s’il voulait couvrir la violence fondatrice du droit positif : raconter ce que tu penses être la vérité, qu’il a tué liberty dans un duel tout ce qu’il y a de plus légal, légitime, fondé selon tous les droits positifs, et même naturels. Tout homme a la droit de défendre sa vie quand elle est menacé.
Tuer un type dans un duel n’est pas un meurtre.
De plus rien n’est fondé sur ce meurtre, il y avait déjà du droit positif, RS est avocat ; il est arrivé avec ses livres de droit de l'Est; "go west young man". La ville a un shérif, et tout le reste. Il y a des lois, elles ne sont pas respectées, exécutée, comme on dit. C’est tout.
Ou alors tu fais intervenir l’idée d’un état de nature ; il faut bien de toute manière si le droit positif doit s’opposer à un autre droit ; le droit naturel, soit ancien, soit moderne. Ici c’est plutôt du moderne qu’il s’agit. Alors on est pleine contradiction ; tu dis d’une part que ford récuse l’idée de « naturalité », et puis tu dis que le meurtre de liberty est fondé sur la violence du droit positif se constituant ; ce qui est une contradiction ; il n’y a violence, "illégalisme", qu’au regard d’une norme.
Borges- Messages : 6044
Re: L'homme qui tua liberty valance
howdi Borges,
donc tu dis que je me contredis. et tu n'as pas tort. c'est un gros problème ? pas trop à mes yeux dans le cadre d'un forum, d'une discussion. tant qu'il y a quelqu'un pour pointer la contradiction et que ça peut permettre d'avancer, de préciser.
pour le coup, la contradiction est apparente, elle tient à l'impropriété de ma formulation quand je pose ensemble deux questions différentes.
1-savoir ce qu'il y a de véridique dans le récit de Stoddard. ça ne me parait pas aussi évident qu'à toi. la présence de pompey ne garantit rien : c'est un Noir, et qui s'intéresse au témoignage d'un Noir au sud des USA au début du XX° siècle ? quant à l'intérêt politique que Stoddard aurait à mentir, il continue à me paraitre évident parce qu'il n'est pas en état de légitime défense quand il tire sur Liberty : c'est lui qui va chercher le duel, même s'il répondait aux provocations de l'autre. c'est Liberty qui est en état de légitime défense. il le tue au grand soulagement de tout le monde, et ils sont tous contents et ils n'ont rien à redire parce que tout ça s'est fait selon les manières de la loi locale, un gun en main, mais pour la loi importée de l'est par Stoddard, c'est bel et bien un meurtre. c'est de cela que Ranse pourrait vouloir se dédouaner. et je prends soin d'utiliser un conditionnel car je n'affirme pas du tout que c'est ce qu'il fait. je dis juste que c'est une possibilité, que tout ça soit un mensonge. ou une partie de tout ça. ou rien de tout ça. indécidable. ce qui n'aide pas à réfléchir.
2-le rapport de Liberty avec les éleveurs, c'est autre chose, et j'ai eu tort de les lier. si je peux parler de ce rapport, c'est que j'ai décidé d'ignorer la question précédente. Artaud dirait peut-être que j'ai préféré la merde à l'os. et c'est bien ce qui m'emmerde, mon petit surmoi artaldien qui me dit que la question de l'indécidabilité passe avant les autres. parce que je ne connais pas de texte sur Liberty Valance qui la prenne en compte sérieusement. et que je ne parviens pas à dépasser une jolie station lévitationnelle de cette question en travers de tous mes efforts de compréhension de ce film. qui reste pour moi un des films les plus énigmatiques.
Invité- Invité
Re: L'homme qui tua liberty valance
ici, question double, nous avons liberty valance et tom doniphon, en un, mais un tom qui accepterait de servir; c'est la femme qui tient le rôle du droit, de stewart; finalement tout se terme à table; la violence peut s'assoir à côté du droit, sans problème; ce que refusait encore ford.
Plus j'y songe, plus je trouve cette association pertinente. une histoire de la violence. ouaip.
Invité- Invité
Re: L'homme qui tua liberty valance
Tony le Mort a écrit:C'est marrant d'articuler (d'Europe?) les rapports entre l'état et la liberté en Amérique à travers le western, où l'enjeu est l'instauration de l'administration d'état dans des territoires déjà organisés politiquement, et qui se savent à la fois neufs et mortels.
Alors qu'il y a en Amérique en autre tradition pour poser le rapport de la liberté à l'homme issue du transcendantalisme, du rapport à une essence permanente de l'homme qui s'exprime politiquement dans un socialisme primitif (qui a donné lieu à des communautés fourrièristes assez solides pour tenir plusieurs années).
Il ya un superbe roman de Hawthorne là-dessus, Valjoie, sur l'échec d'une communauté (qui a réellement existé: "Brooks Farm") qui quelque temps arrive à partager du travail sans hiérarchie de sexe (l'expérience part pas trop mal mais échoue autour de la question des prisons et de l'enfermement -un prédicateur arrive tenant un discours sur l'abolition du mal via l'abolition des prisons et, sans être un salaud, met à bas la communauté par ce seul discours- même dans les positions les plus généreuses la liberté apparaît toujours comme un enjeu de séduction, un pouvoir déplacé par l'altérité.
Marrant que cette mémoire a été complètement refoulée par le cinéma américain (sauf peut-être Robert Kramer et Welles et sous une forme molle les professeurs heideggerien et le camusien dont j'ai oublié les noms qui ont fait des films avec Nestor Almendros).
Salut Tony,
je n'ai pas revu le film et je me trompe peut-être mais il me semble que la question dans le film est celle du passage à un territoire organisé et pas encore celle du passage de statut de territoire à celui d'état de plein droit. (mais apparemment, wikipedia te donne raison.)
je vais essayer de trouver le Valjoie dont tu parles. ça a l'air intéressant.
dans Young Mister Lincoln, il y a la séquence avec les mormons qui mêle assez finement les motifs de la sexualité, le problème du propre et de la propriété, leurs rapports mutuels et finalement leur commune soumission à la Loi lincolnienne. un des mormons s'appelle... Hawthorne !
Invité- Invité
Re: L'homme qui tua liberty valance
Bon si tu veux, on peut dire qu'il ment, non seulement sur ce point, mais dans ton son récit, tout cela c'est un immense mensonge, c'est du cinéma, c'est une manière de mettre en évidence le dispositif cinématographique, l'invention de fable de la constitution d'une nation reposant sur le mensonge au sens extramoral que Nietzsche a donné à ce mot; le fameux rêve de ford ; on peut même construire une brillante théorie sur la violence fondatrice du droit, dans le film, en faisant intervenir derrida, benjamin, et d'autres, plus simples, et plus "choc", par exemple girard, on dira alors que liberty valance en fait est une figure du bouc émissaire, comme le furent jésus, dionysos, et des tas d'autres... le pauvre gars, pas si vilain que ça, a été lynché par toute la ville; la vérité fut ensuite cachée, dissimulée, une légende est née, dans une espèce de travail de fabulation collectif (personne ne supportant bien entendu le poids de ce crime, comme dans le totem et le tabou; bon on est pas allé jusqu'à faire de liberty un dieu, mais de son prénom presque); on pourrait même dire qu'en réalité, le vrai liberty V était un pauvre Noir, aimé de Hallie, (on fait une liaison avec le sergent noir, et c'est dans la poche) et que le serviteur de Tom était blanc...et qu'ils étaient en fait homos (comme le montre a history of violence)...
Borges- Messages : 6044
Re: L'homme qui tua liberty valance
Stéphane Pichelin a écrit:
ici, question double, nous avons liberty valance et tom doniphon, en un, mais un tom qui accepterait de servir; c'est la femme qui tient le rôle du droit, de stewart; finalement tout se terme à table; la violence peut s'assoir à côté du droit, sans problème; ce que refusait encore ford.
Plus j'y songe, plus je trouve cette association pertinente. une histoire de la violence. ouaip.
évidemment que c'est pertinent, parce que c'est évident; c'est là, suffit de regarder; mais, comme disait foucault, voir le visible c'est pas si simple...
Borges- Messages : 6044
Re: L'homme qui tua liberty valance
tu résumes assez bien le problème. quand ça bloque, on peut aussi partir dans n'importe quoi, dans "une grande théorie sur la violence fondatrice du droit", etc... et faire appel à Benjamin, en plus, ça me paraitrait assez justifié, parce que Ford était un grand lecteur (dixit McBride) et qu'il aurait bien pu jeter un oeil sur les bouquins de WB qui devait faire partie des lectures des honnêtes hommes de l'époque (je m'avance mais je n'en serais pas étonné), mais peut-être pas le mimétisme de Girard : Liberty en bon gars, etc., le récit a quand-même un contenu et quel intérêt y aurait-il à lui faire dire l'exacte contraire de ce qu'il dit, ça nous avancerait à quoi ? c'est-à-dire que je ne conteste pas la légitimité qu'il y a à réfléchir au film à partir du contenu du récit de Stoddard, si Ford a filmé celui-ci et pas un autre, c'est qu'il avait une raison de filmer celui-ci et pas un autre, je me demande seulement comment je peux le faire en intégrant le fait que ce récit introduit le motif de sa propre fausseté et qu'il est peut-être mensonger en tout ou en partie.
je préfère quand-même quand tu parles du film plutôt que des mes posts. je ne mérite pas tant d'honneur.
je préfère quand-même quand tu parles du film plutôt que des mes posts. je ne mérite pas tant d'honneur.
Dernière édition par Stéphane Pichelin le Ven 12 Nov 2010 - 12:37, édité 1 fois
Invité- Invité
Re: L'homme qui tua liberty valance
ceci dit, mes excuses pour avoir embourbé un peu la discussion, le temps de me sortir de ma propre ornière, et reprenons où on en était, sur le contenu du récit, puisqu'on a que ça et en attendant mieux.
Liberty Valance et la "loi naturelle" de Hobbes. ou la Loi que Hobbes dit "naturelle". mais qui est porté dans le film par un personnage à la solde des cattle barons (marrant la façon dont Liberty est secondé par un perso joué par Van Cleef et qui le réfrène). donc, la loi dîte "naturelle" me semble surtout présentée comme loi défendant les intérêts économiques particuliers d'un groupe social. elle n'est "naturelle" que du point de vue illusoire de ce groupe social, en fait elle est historiquement déterminée.
Liberty n'est pas le seul a avoir cette épaisseur socio-économique. Tom fait partie des "good people" de Shinbone : société coloniale constituée de petits commerçants, petits éleveurs... et Ranse, l'homme de l'est, arrive là parce qu'il a écouté les conseils de Horace Greeley, un des fondateurs du Parti républicain et homme de la Bourgeoisie industrielle nordiste.
par retour, les cattle barons, bouffeurs de terres, opèrent comme les planteurs sudistes.
on a un schéma classique chez Ford : la frontière comme champ de bataille du sectionalisme géographique. Ford filme l'histoire, ce n'est pas une découverte. et la vision des personnages comme figures philosophiques demande aussi l'historicisation des concepts mis en jeu. en somme, une lecture peut-être plus matérialiste.
Liberty Valance et la "loi naturelle" de Hobbes. ou la Loi que Hobbes dit "naturelle". mais qui est porté dans le film par un personnage à la solde des cattle barons (marrant la façon dont Liberty est secondé par un perso joué par Van Cleef et qui le réfrène). donc, la loi dîte "naturelle" me semble surtout présentée comme loi défendant les intérêts économiques particuliers d'un groupe social. elle n'est "naturelle" que du point de vue illusoire de ce groupe social, en fait elle est historiquement déterminée.
Liberty n'est pas le seul a avoir cette épaisseur socio-économique. Tom fait partie des "good people" de Shinbone : société coloniale constituée de petits commerçants, petits éleveurs... et Ranse, l'homme de l'est, arrive là parce qu'il a écouté les conseils de Horace Greeley, un des fondateurs du Parti républicain et homme de la Bourgeoisie industrielle nordiste.
par retour, les cattle barons, bouffeurs de terres, opèrent comme les planteurs sudistes.
on a un schéma classique chez Ford : la frontière comme champ de bataille du sectionalisme géographique. Ford filme l'histoire, ce n'est pas une découverte. et la vision des personnages comme figures philosophiques demande aussi l'historicisation des concepts mis en jeu. en somme, une lecture peut-être plus matérialiste.
Invité- Invité
Re: L'homme qui tua liberty valance
Hobbes est connu pour la formule "l'homme est un loup pour l'homme", formule qui n'est pas de lui; dans "l'homme qui tua liberty valance", il y a le passage fameux où peabody, protestant contre son "élection", se définit notamment comme : "I'm your watchdog who howls against the wolves..."
Le loup et le chien (de garde)
"La société et l'Etat ont besoin de caractères animaux pour classer les hommes ; l'histoire naturelle et la science ont besoin de caractères, pour classer les animaux eux-mêmes (...) Il y aura toujours possibilité qu'un animal quelconque, pou, guépard ou éléphant, soit traité comme un animal familier, ma petite bête à moi. Et, à l'autre extrême, tout animal aussi peut être traité sur le mode de la meute (...) même le chat, même le chien ... "
(d/g)
« Je suis fatigué d'entendre dire qu'il n'y a pas de tels animaux. (...) Si je suis une girafe, et les Anglais ordinaires qui écrivent sur moi de gentils chiens bien élevés, tout est là, les animaux sont différents. (...) Vous ne m'aimez pas, vous détestez instinctivement l'animal que je suis »
(DH lawrence, cité par D/G, dans MP)
on parle toujours de liberty valance, seul, oubliant que "l'on a affaire à une meute, à une bande...(...) Pas de loup tout seul peut-être, mais il y a le chef de bande, le maître de meute."
il y a un moment où tom doniphon devient plus loup que liberty, c'est après qu'il a compris que sa girl n'est plus sa girl : il boit, démolit tout, et va jusqu'à vouloir transgresser la règle raciale, on ne sert pas les Noirs.
voir l'homme qui tua liberty depuis MP, et ses animaux, bandes...meutes...?
j'aime beaucoup cette image; elle rend sensible un partage qu'on ne met pas assez en évidence dans le film, d'un côté la cantina et son monde, sa population, sa langue, de l'autre "general store". Comme dirait SP, liberty est tué dans un espace on ne peut plus symbolique, celui du commerce, de l'économie; ce que j'aime aussi dans cette image, c'est que tom et liberty semblent viser tous les deux stoddard, comme s'il était leur ennemi commun; tom est divisé dit-on, c'est le sens même du nom "tom", "thomas", "twin"... mais "twin" de qui? de liberty, de ranse, de pompey, qui se tient dans l'ombre, spectateur mais complice? "les hommes qui ont tué liberty valance"?
Le loup et le chien (de garde)
"La société et l'Etat ont besoin de caractères animaux pour classer les hommes ; l'histoire naturelle et la science ont besoin de caractères, pour classer les animaux eux-mêmes (...) Il y aura toujours possibilité qu'un animal quelconque, pou, guépard ou éléphant, soit traité comme un animal familier, ma petite bête à moi. Et, à l'autre extrême, tout animal aussi peut être traité sur le mode de la meute (...) même le chat, même le chien ... "
(d/g)
« Je suis fatigué d'entendre dire qu'il n'y a pas de tels animaux. (...) Si je suis une girafe, et les Anglais ordinaires qui écrivent sur moi de gentils chiens bien élevés, tout est là, les animaux sont différents. (...) Vous ne m'aimez pas, vous détestez instinctivement l'animal que je suis »
(DH lawrence, cité par D/G, dans MP)
on parle toujours de liberty valance, seul, oubliant que "l'on a affaire à une meute, à une bande...(...) Pas de loup tout seul peut-être, mais il y a le chef de bande, le maître de meute."
il y a un moment où tom doniphon devient plus loup que liberty, c'est après qu'il a compris que sa girl n'est plus sa girl : il boit, démolit tout, et va jusqu'à vouloir transgresser la règle raciale, on ne sert pas les Noirs.
voir l'homme qui tua liberty depuis MP, et ses animaux, bandes...meutes...?
j'aime beaucoup cette image; elle rend sensible un partage qu'on ne met pas assez en évidence dans le film, d'un côté la cantina et son monde, sa population, sa langue, de l'autre "general store". Comme dirait SP, liberty est tué dans un espace on ne peut plus symbolique, celui du commerce, de l'économie; ce que j'aime aussi dans cette image, c'est que tom et liberty semblent viser tous les deux stoddard, comme s'il était leur ennemi commun; tom est divisé dit-on, c'est le sens même du nom "tom", "thomas", "twin"... mais "twin" de qui? de liberty, de ranse, de pompey, qui se tient dans l'ombre, spectateur mais complice? "les hommes qui ont tué liberty valance"?
Borges- Messages : 6044
Re: L'homme qui tua liberty valance
Borges a écrit:
voir l'homme qui tua liberty depuis MP, et ses animaux, bandes...meutes...?
voir Young Mister Lincoln depuis d&g
voir My Darling Clementine depuis d&g
comme d&g ont vu K depuis d&g.
tu l'as écrit...
Invité- Invité
Re: L'homme qui tua liberty valance
salut Stéphane,
Ce qui permet de sortir du paradoxe, c'est que Stoddard, quand il dit ça, n'est plus gouverneur ; il se retire de la vie politique. Il n'y a aucune raison de supposer que ce n'est pas un narrateur fiable. A quoi lui servirait ce mensonge, qui ne sera pas publié, diffusé ?
De toute façon, ça paraît très étranger à l'univers de Ford, cette supposition que tout ce qu'on a vu pourrait être faux. Ce qui intéresse Ford, c'est plutôt le moment de vérité, l'idée qu'on finit toujours par en passer par l'épreuve de vérité. Et le désert fordien figure un tel moment, l'assurance que cette épreuve nous attend :
Hallie : - Place has sure changed. Churches, high school, shops.
Appleyard : - Well, the railroad done that. Desert's still the same.
Ca ressemble au vieux paradoxe du menteur. Tu as juste remplacé "Crétois" par "homme politique" : "Stoddard le gouverneur dit qu'il ment, que les hommes politiques sont des menteurs". S'il ne ment pas, c'est faux, donc il ment. S'il ment, c'est vrai, donc il ne ment pas. Etc. De quoi tourner rondement à la ronde en rond...je me demande seulement comment je peux le faire en intégrant le fait que ce récit introduit le motif de sa propre fausseté et qu'il est peut-être mensonger en tout ou en partie.
Ce qui permet de sortir du paradoxe, c'est que Stoddard, quand il dit ça, n'est plus gouverneur ; il se retire de la vie politique. Il n'y a aucune raison de supposer que ce n'est pas un narrateur fiable. A quoi lui servirait ce mensonge, qui ne sera pas publié, diffusé ?
De toute façon, ça paraît très étranger à l'univers de Ford, cette supposition que tout ce qu'on a vu pourrait être faux. Ce qui intéresse Ford, c'est plutôt le moment de vérité, l'idée qu'on finit toujours par en passer par l'épreuve de vérité. Et le désert fordien figure un tel moment, l'assurance que cette épreuve nous attend :
Hallie : - Place has sure changed. Churches, high school, shops.
Appleyard : - Well, the railroad done that. Desert's still the same.
Eyquem- Messages : 3126
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