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Badiou : ce que pourrait être "un monde parfait"

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Badiou : ce que pourrait être "un monde parfait"  Empty Badiou : ce que pourrait être "un monde parfait"

Message par Eyquem Ven 23 Juil 2010 - 13:51

Tapoté à la main.
Pour ceux que ça intéresse.

La perfection du monde, improbable et possible
par Alain Badiou



« Un monde parfait » ? Qu’est-ce à dire ? Le titre de ce film, on sait vite qu’il est ironique. Non, le monde que Clint Eastwood nous présente, plein de bruit et de fureur, s’achevant dans une mort dont l’injustice nous atterre, n’est certainement pas à l’image de la supposée perfection de son Créateur. Pourtant, de ce que nous sommes avertis que rôde, dès le titre, et fût-ce à contre-emploi, le motif de la perfection, il faut bien que la leçon secrète de cette œuvre soit ce que pourrait être une perfection en ce monde.

L’anecdote centrale est au fond très simple, et le schéma formel convenu (celui d’un road movie). Un homme s’évade de prison. Pourchassé, il prend en otage un enfant. La matière du film, ce sont les péripéties de la poursuite. On y apprend que le fugitif (Kevin Costner) est à la fois fragile et capable d’une terrible violence. On y apprend que la police, brinqueballée dans une caravane, est un ensemble hétéroclite. Au flic classique, qui finalement tue l’évadé, dans la campagne, sous un arbre, s’opposent le flic raide et pensif, le mélancolique Eastwood, qui est peu à peu gagné par une compréhension subtile de celui qu’il pourchasse, et la psychologue de faculté, savante et naïve à la fois, requise dans la situation par le destin de l’enfant-otage.

Qu’est-ce dans cette affaire que l’imperfection du monde ? C’est d’abord que chaque jugement recouvre, oblitère, un jugement plus essentiel, en sorte que la vérité reste inactive. Ainsi le fugitif, considéré de toutes parts (et non sans raisons, qu’on nous montre, puisqu’il est avéré qu’il peut être un tueur) comme le bourreau possible d’un enfant, non seulement a sauvé la vie de ce même enfant, est pris de fureur envers quiconque le méprise ou le maltraite (car il fut, lui-même, ce bandit, l’enfant qu’on menace ou néglige), mais est devenu au fil des heures, dans la durée de leur compagnonnage forcé, quelque chose comme son père adoptif. De même, sa mort programmée par la meute policière avec la certitude épaisse des nécessités sociales, s’avère, filmée de loin dans la paix du monde, près d’un arbre qu’on dirait celui sous lequel Saint Louis rendait la justice, comme le vrai meurtre effrayant dont un monde ne saurait présenter la moindre justification, se dérobant ainsi à toute perfection qu’on lui suppose.

Mais c’est aussi et surtout que sont séparés, divisés, ceux qui, du sein même de leur différence, s’avèrent être les éléments possibles d’une composition du monde enfin rendu à sa perfection. Il y a de ce point de vue une sorte de symétrie entre le couple forcé, «illégal», de l’évadé et de l’enfant, et le couple bureaucratiquement forcé du vieux policier mâle sceptique et subtil à la fois, et de la jeune psychologue juste sortie de ses études. Produits du hasard, ces « couples » construisent contre tout ce qu’exigent les apparences une sorte d’amour inédit, qui selon Eastwood, et pratiquement dans tous ses films, est la seule chose qui puisse donner au monde une touche de vérité. Et l’imperfection radicale du monde tel qu’il est est d’empêcher, sournoisement et quand il le faut par la violence, que ces amours vrais deviennent publiquement la vérité qu’ils sont.

Ce film nous dit, dans la simplicité retorse d’une histoire qui traverse une paisible province, que, si le monde était parfait, on devrait avoir pour maxime que « qui ne se ressemble pas s’assemble à merveille ». Le monde imparfait est celui qui désassemble les assemblages paradoxaux, dont cependant la vérité éclate. L’enfant que tous veulent sauver a justement trouvé son possible sauveur dans le violent évadé qu’on va abattre en rase campagne. L’incompatibilité d’humeur entre le pragmatisme du vieux policier et la sophistication, genre « politiquement correct », de la psychologue rend justement possible qu’ils s’accordent en profondeur sur ce que signifie « en vérité » le sauvetage de l’enfant.

Mais nous avons déjà vu tout cela, chez Eastwood. L’amour « impossible » du vieil homme et de la très jeune fille, afin que la Vie soit parfaite. La diagonale qui se tisse entre le travesti noir et le hobereau sudiste, afin que Savannah fasse exister sa perfection latente. Le choc effectif ressenti, en Afrique, par le metteur en scène blasé et secret et le guide noir amoureux des éléphants, qui autoriserait que l’Afrique soit autre chose que coloniale. L’adultère improbable, sur la route de Madison, qui sera le parfait secret d’une vie ordinaire. La sévère volonté de Mandela de franchir, via le rugby, la distance entre les Noirs et les Blancs, afin qu’un pays existe dans la perfection de ses dissemblances… Mais chaque fois, l’imperfection fait retour, ou menace de le faire.

Si la scène de l’assassinat de l’évadé est si terrible, si elle est presque insupportable de douceur criminelle et de fatalité, c’est qu’avec ce meurtre, quelque chose d’irrémédiable arrive au monde : le massacre d’une possibilité locale de perfection, que tous les avatars de la construction du lien entre l’évadé et l’enfant mettaient à l’ordre du jour comme au revers de l’ordre opaque et sans espoir incarné par les poursuivants et leurs commanditaires légaux.

Au fond, le cinéma d’Eastwood, c’est cela, dans une sorte de lumière néoclassique qui sert à éclairer les problèmes du monde d’aujourd’hui : la lutte acharnée, souvent perdue d’avance, mais pas toujours, pour que soient enfin connectés, pleins d’amour vrai, ceux que l’ordre du monde imparfait sépare. Oui, comme toujours, mais ici très visiblement, l’art, comme le dit Conrad, n’a pas d’autre fin que « d’introduire un peu de justice dans l’univers visible ».

C’est bien ça que l’espèce de perfection propre à Eastwood, cette sorte de droiture, qui ne s’autorise aucune invention formelle incertaine, qui utilise avec calme et suivi les ressources disponibles, désire nous transmettre : qu’il arrive dans ce monde des rencontres salvatrices, qu’elles sont toujours paradoxales et menacées, et que le seul devoir est d’en protéger, autant que faire se peut, le devenir. Parce qu’alors, au moins, nous savons ce que pourrait être « un monde parfait ».


(L'Art du Cinéma : "Clint Eastwood cinéaste", n°66-67-68-69, juin 2010)
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Message par Invité Lun 26 Juil 2010 - 5:54

Salut Eyquem, merci pour ce travail de scribe! ;o)

Borges a écrit:des niaiseries, ...

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Message par Borges Mar 27 Juil 2010 - 9:51

salut jm, eyquem (merci pour le texte); oui, c'est assez consternant; il a écrit ça en deux minutes, ou encore moins; lui qui réclamait une écriture axiomatique pour le cinéma, c'est pire que les cahiers faisant de la ciné-philosophie; il y a aussi un côté très poseur, et paternaliste, je trouve, une manière de prendre de haut le cinéma, et de feindre trouver de la pensée-politique dans un film assez médiocre; en fait, c'est peut-être un exercice d'imitation de la paresse d'eastwood; je suis en train d'essayer de finir de voir ce film, ce que j'avais jamais réussi à faire... ce serait bien de discuter ce texte, avec lui; enfin, dans un monde parfait;
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Message par Invité Mar 27 Juil 2010 - 10:49

Salut Borges,

A quoi bon se complaire, comme Badiou le fait dans ce texte, à décrire le système affligeants qui nourri le cinéma d'Eatswood, surtout si l'on ne prononce pas au moins le nom de ce qui l'alimente (=clichés), à défaut de le critiquer ? Eastwood me semble être un cinéaste qui joue beaucoup trop avec les clichés (qui compose selon Badiou le "monde imparfait", par couples) pour être capable de désirer ou ne serais-ce que prétendre souhaiter s'en défaire. Je ne sens pas du tout une telle volonté, ni au début ni à la fin des films, je dirais plutôt que le cinéaste en joue. Et lui n'est pas pris par une quelconque contrainte sociale mais par son propre système de penser relativement étriqué, il faut bien le dire. On l'a bien vu avec "GT", le basculement d'un homme véritable cliché-ambulant, ne se fait qu'au prix de maintenir effectifs tout un tas d'autres clichés (racistes, sexistes..)...

Depuis quand supporter une équipe de rugby nationale constitue une procédure de vérité ? lol

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Message par Eyquem Mar 27 Juil 2010 - 11:32

'jour JM, 'jour Borges,

Je ne trouve pas le texte aussi niais et consternant que vous.

Faire exister un monde "dans la perfection de ses dissemblances" : c'est beau.
Le problème, c'est qu'il aurait pu dire la même chose à propos de "L'arme fatale" ou "Le Corniaud", et tous ces "buddy movies" où il s'agit d'assembler et de faire tenir des couples désassemblés.


Pour ce qui est de parler de "Un monde parfait", j'ai peur qu'on retrouve assez vite ce qui a été dit à propos de "Gran Torino", car les deux films sont très très proches.

Badiou :
L’enfant que tous veulent sauver a justement trouvé son possible sauveur dans le violent évadé qu’on va abattre en rase campagne.
Il oublie deux choses :
- de quoi et en vue de quoi l'enfant est-il sauvé ? Il est d'abord sauvé de l'emprise de sa mère (une folle furieuse témoin de Jéhovah qui ne fête même pas Halloween) ; à la fin, il obtient la promesse qu'il pourra manger des bonbons, se déguiser pour Halloween et aller faire du grand-huit quand ça lui chante, comme tous les autres mômes de son quartier. Alleluia !
- l'évadé se sauve au moins autant lui-même qu'il ne sauve l'enfant : il devient une sorte de saint (Badiou parle même de Saint Louis)
Bref, si on ne fait pas trop dans le détail, c'est très proche du mouvement de "Gran Torino", de ses derniers plans (Kowalski crucifié et le môme qui prend la route au volant de sa voiture américaine).






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Message par balthazar claes Mer 28 Juil 2010 - 9:13

C'est du commentaire de scénario, et qui se pose en effet tellement au-dessus du cinéma, lequel est pris comme xième support de l'envolée démonstrative badiousienne... Avec ce genre d'argument et de raisonnement on peut arriver à présenter n'importe quel film comme pur chef-d'oeuvre, on peut toujours trouver de l'Essence et de l'Idée en barre à peu près n'importe où.

Du reste, Badiou et le cinéma... Deux articulets dans l'Art du cinéma, présentant à gros traits deux idées, celle d'un art impur-plus-un des arts, et celle de l'art du mouvement, du passage et de la passe (vague astuce lacanienne) ; ça fait pas vraiment somme - alors que lui, bien sûr a l'air de considérer que si. Sans compter ses prises de position originales sur Matrix "Je n'ai pas peur de parler de Matrix, car ça peut rapporter de l'argent" en somme à peu près.

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Message par Invité Jeu 29 Juil 2010 - 3:08

Je suis pas sûr que ça soit très démonstratif des théories badiousiennes..

Il me semble cependant que le rapport de Badiou est sans doute plus compliqué, plus tordu, que ton résumé ci-dessus BC. Il faut prendre aussi en compte son platonisme qui se défie des images (dont celles du cinéma), il en parle longuement dans ses conférences.. peut-être que vient de là que souvent lorsqu'il parle de cinéma on a l'impression que c'est pas très sérieux, et que, comme tu dis, c'est du très moyen commentaire de scénario ?

Le texte où il faisait référence au cinéma et aux spectateurs dans le petit manuel d'inesthétique était pas mal, je trouve, mais comme le dit Borges plus haut, il n'en fait pas grand chose lui-même..

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Message par Invité Ven 13 Aoû 2010 - 9:14

Eyquem a écrit:
Le problème, c'est qu'il aurait pu dire la même chose à propos de "L'arme fatale" ou "Le Corniaud", et tous ces "buddy movies" où il s'agit d'assembler et de faire tenir des couples désassemblés.

http://www.mtime.com/movie/97723/trailer/25987.html

Wink

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