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Young Mister Lincoln

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Message par Borges Mar 15 Juin 2010 - 16:11

oui : il y a un rapport, des rapports, entre Ethan et Scar, on l'a souvent dit, sans en tirer toutes les conséquences; mais je crois pas que cela se joue au niveau de l'oedipe, de la substitution, du père; étrangement, godard compare les "retrouvailles" d'Ethan et de debbie à celles d'Ulysse et télémaque; qu'est-ce que cela révèle?
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Message par Invité Ven 18 Juin 2010 - 9:08

Remarque intrigante. Ulysse et Télémaque, c'est l'histoire d'un retour. Mais Ethan revient-il ou que ce soit ?

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Message par Invité Ven 18 Juin 2010 - 9:21

Autant je serais étonné qu'Œdipe puisse fonctionner comme principe explicatif du film, autant je crois qu'on ne peut pas éluder sa présence. Je suis convaincu que la psychanalyse est une des problématiques centrales de toute une série de films de Ford : The Informer, Young Mister Lincoln, Drums along the Mohawk, The Grapes of Wrath, How green was my Valley, My darling Clementine, Fort Apache, Mogambo. Et j'en vois des traces jusque dans The Searchers et dans la séquence avec J. Stewart de Cheyenne Autumn.

J'ai écrit un long article sur ces rapports avec la psychanalyse dans Young Mister Lincoln. Avec l'idée que, contrairement à ce que les Cahiers ont affirmé, c'est un choix conscient de Ford, une partie de son discours explicite. Mais que cela n'a pas grand chose à voir avec une étude de cas selon une méthode plus ou moins scientifique. Ce qui intéresse Ford, ce n'est pas tellement la cure comme thérapeutique. Plutôt la métapsychologie freudienne comme discours anthropologique, comme prise de position sur la condition humaine, sur une éventuelle « nature » humaine.

Je mets ici le début de mon texte :

Le complexe parental et le mythe
Le poème
Commencer par le complexe parental n'est pas qu'une simplification descriptive, c'est aussi un mouvement forcé par le poème incise de Rosemary Benèt, qui place le film sous le signe de la Mère. Ce poème du début a été vu par les Cahiers du Cinéma comme une façon d'informer la vision de l'oeuvre du point de vue du mythe et d'en placer la lecture au « futur antérieur » : l'histoire du jeune Lincoln vaut par ce que l'on sait déjà du personnage et de sa position privilégiée de Père fondateur des états-Unis. L'expression consacrée, inséparable de la légende lincolnienne, est ici à prendre au pied de la lettre : le législateur Lincoln est présenté dans toute la suite du film comme le Père de la Nation, spécialement au même titre et sous le même mode que le Moïse de Freud. Aussi, on peut dire que la mère ne fait son entrée dans le film qu'accompagnée du père et le poème de Benèt s'en trouve directement connecté avec les tout derniers plans de la statue du Lincoln Memorial, où le Père s'expose en majesté. La connexion thématique est d'ailleurs renforcée par la communauté matérielle des supports : la pierre.
Mais ce support connecte également le poème avec les dates et lieux qui le suivent et qui embrayent le récit, et avec le générique qui le précède : dans tous les cas, il s'agit de gravures sur pierre – la même pierre, comme le confirme l'ombre portée des branches visible en haut à gauche de la stèle. La nomenclature des participants à la facture du film, qui constitue le générique, est ainsi placée sur le même plan que la mythologisation induite par le poème et que la localisation spatiale et temporelle de la chronique fictionnelle qui doit conduire le récit à la concrétisation du mythe Lincoln. Le générique est dès lors une partie intégrante du film, à analyser avec le reste.
Comme le poème, le générique est relié à l'expression statuaire du mythe par la communauté de support. Il l'est encore plus par la bande-son. Le Battle Cry of Freedom du générique s'arrête très précisément où le Glory du Battle Hymn of the Republic, qui accompagne les deux derniers plans, peut commencer ; les deux morceaux, tels que traités dans le film, s'enchaînent et se succèdent, renforçant le lien du réel de l'industrie cinématographique et de l'inexorabilité propre, dans la théorie freudienne, au doublet père-mythe – inexorabilité du Père mythique de la horde originaire et inexorabilité du mythe du Père (le complexe d'Oedipe) dans le destin de l'humanité. Le mythe est alors parasité par le réel, exactement comme l'immobilité minérale est parasitée par l'ombre de la végétation au début et par la pluie à la fin. Les conditions de production du film sont mis sur le même plan d'artificialité que le récit mythique : le film est un construit, le récit mythique également. Le projet annoncé est d'emblée celui de la dénaturalisation du mythe.
Trajectoire
Le générique, le poème et la localisation du récit, gravés sur la même pierre, constituent une unité minérale, forme de prologue après lequel l'action proprement dite commence par un plan d'ensemble d'un meeting électoral autour d'un petit magasin au bord de la route : quelques hommes, probablement des paysans, écoutent un orateur vêtu de noir (John T. Stuart), qui se tient debout à l'entrée de la bicoque. À l'avant-plan, pris de dos, un chariot entre en amorce à droite de l'image ; sa trajectoire rejoint, à l'arrière-plan, la devanture du magasin est perdue dans l'ombre de l'auvent. Lincoln est en fait caché sous l'auvent et la seule famille du film, le groupe Clay au complet, est dissimulé dans le chariot.
En strict parallèle à ce plan, un des derniers moments du film montre Lincoln gravissant une colline tandis que le chariot s'éloigne au lointain : conclusion de l'ultime séquence qui oppose la famille Clay moins le père (mort entre la première séquence et le retour de la famille Clay à l'écran pour le 4 juillet) et le nouveau Père de la Nation.
De la première à la dernière séquence, le complexe parental conditionne tout le film, qui est avant tout le récit d'une trajectoire, celle qui fait se joinde, se croiser et se séparer Lincoln et le chariot familial et qui est introduite dès le premier plan du récit.

Je ne vous inflige pas la totalité de la trentaine de pages.

L'essentiel, c'est que toute l'action de Lincoln à Springfield revient à une castration généralisée selon un axe freudien toujours répété enfant-pénis-merde-argent et dans des déterminations très claires qui offrent un panorama circonstancié des perversions nommés par Freud dans ses Trois essais sur la vie sexuelle :
-sado-masochisme des mormons
-inceste et divagations sexuelles de Todd et des danseurs
-inversion absolue de Cass, qui va avec l'inversion amphigène de Scrub White, l'une et l'autre mises en rapport avec la zoophilie et la pédophilie.
Le tableau des perversions est complété par le narcissisme général (à commencer par celui de Lincoln) et par le fétichisme phallique de la silhouette lincolnienne.

Le cas des lycnheurs est un peu différent puisqu'il s'agit moins de perversion que du sacrifice sémite décrit dans Totem & tabou, la mort du sherif-adjoint Scrub, agent de la Loi et donc substitut du Père, entraînant l'explosion d'une libido soudain libérée. Lincoln ne calme les émeutiers qu'au prix de son accession final à la place du Père. Et ceci, qui s'opère à la fin du procès, débouche sur cet étrange plan où Lincoln recevant les acclamations du public paraît tout à fait abattu tandis que les cris de la foule, bizarrement mixés, ont une allure vaguement agressive : mais c'est le destin du Père que d'être dévoré par le peuple qu'il dirige.

Par contre, la dernière séquence avec la famille Clay offre un retournement radical et une mise en question des théories freudiennes. In extenso :

La fin de Young Mister Lincoln donne l'impression d'une certaine bizarrerie de construction, où la sortie du tribunal et l'adieu aux Clay paraissent être des doublons fonctionnels. Le film se conclurait deux fois et de façon redondante : Lincoln gagnant l'amour universel et rencontrant son destin funeste simultanément auprès de la foule, puis en deux temps, auprès des Clay et face à l'éclair final. L'accession à la place du Père serait montrée à deux reprises selon des angles strictement similaires.
Les Cahiers du Cinéma ont voulu régler cette incohérence en l'attribuant à la déformation du tissu filmique par une figure lincolnienne monstrueuse et finalement insupportable : le doublon découlerait de la nécessité d'afficher d'abord le monstre immarescible avant de pouvoir se donner la possibilié de le sortir de l'image. Mais la perspective des Cahiers est celle d'une inscription inconsciente de la figure du Père dans la figure lincolnienne et leur solution est intenable dès lors que l'on considère que cette inscription est le projet même de Ford. Il faut alors prendre le problème dans un autre sens et admettre que les deux séquences ne font pas doublons mais que la seconde est la conséquence de la première. Autrement dit, le meurtre freudien du Père annoncé par la sortie du tribunal a bien eu lieu et l'adieu à la famille Clay se fait discursivement du côté de cette mort. À être mort dans la dernière extrêmité des théories de Freud, Lincoln revient comme un fantôme pour être confronté à ce qui échappe à ces théories.
Fantôme, il l'est en ce qu'il a perdu toute sa maîtrise de la situation : l'initiative revient entièrement aux Clay – que ce soit la Mère pour lui donner de l'argent ou Carrie Sue pour l'embrasser – et Lincoln peut seulement prêter la main à leurs préparatifs de départ en rangeant l'échelle sur le chariot. Il semble être désemparé face à ce que les Clay révèlent – qu'ils n'ont en fait pas cesser de révéler tout au long du film, mais qu'il ne perçoit qu'à ce moment, après sa mort freudienne.
Déjà, face au volume des Blackstone Commentaries, Mme Clay s'écrie : 'La Loi ! Je savais qu'il y avait quelque chose dans ces livres !' Le mot 'quelque chose' est repris plus tard par Adam pour qualifier son avenir en tant que père et par Efe Tyler pour parler du fleuve, image de la libido œdipienne. Lincoln lui-même l'utilise ironiquement pour se moquer du procureur Felder : 'John, vous devriez être candidat au Congrès, ou quelque chose.' Pour tout ces personnages – Adam Clay et sa mère, Felder et Tyler – la Loi est certainement 'quelque chose', une instance qui a son importance mais qui reste profondément indéfinie. Pour Felder et Tyler, c'est dans la logique de la société des frères dont ils relèvent. Mais c'est beaucoup plus problématique dans le cas des Clay, qui forment la seule famille proprement dite du film et au sein de laquelle le complexe parental et la question œdipienne devraient se poser naturellement.
Ce n'est justement pas le cas. Mme Clay affirme à Lincoln son ignorance du sujet et s'avère incapable de prononcer le serment légal. Son ignorance de la Loi est complète. À la seconde génération, le fratrie vit dans un brouillage total des catéories freudiennes utilisées par le film. Adam, l'héritier du Père, n'a justement pas d'enfant et n'est même pas marié : la paternité biologique, la force d'engendrement, revient au contraire à Matt, le plus faible, dont la place est dans le chariot près de la Mère. Et l'un et l'autre, Père ou non-Père, sautent ensemble sur Scrub, dans un mouvement commun de bissexualité infantile. Quant à Sarah, la mère nominale, elle fait montre d'une puérilité certaine dans sa manière d'afficher sa fierté d'avoir lu sa lettre toute seule ; tandis que Carrie Sue, dont les balancements devant Adam signalent l'infantilisme sexuel, prend en charge les fonctions maternelles de protection (elle récupère le bébé oublié par Sarah dans la séquence du meurtre) et de nutrition (elle prépare les feuilles de navets pour Lincoln).
Le brouillage atteint son climax dans la dernière séquence. La Mère tend très humblement un peu d'argent à Lincoln. En revenant à l'identité freudienne « argent = merde », on peut dire que Mme Clay quitte son statut maternel pour se faire enfant offrant ses selles à Lincoln, à qui la place du Père est ainsi reconnue en même temps que la place de la Mère s'efface. Plus encore ; l'argent étant remis sans aucune demande de la part de Lincoln, le don ressemble à une application de la Loi mais il ne l'est pas, il ne découle d'aucune injonction légale. L'agent de la Loi n'a alors plus de lieu d'exister et le moment de l'accession à la place du Père se révèle être également le moment de l'effacement du Père aussi bien que de la Mère. Quand, ensuite, Matt prend les rênes, ce qui est un rôle paternel, il installe en identité la fonction du Père (direction) et le lieu de la Mère (le chariot). Après cet acte masculin du fils de la Mère, le chariot s'écarte et laisse voir le fils du Père, Adam, au bras de Carrie Sue. La jeune femme s'avance pour embrasser Lincoln et s'excuse de son geste. Par le baiser, elle reconnaît l'attraction universel qui s'attache désormais à Lincoln en tant qu'il est le fétiche, le phallus. Mais en l'embrassant, elle brise aussi le tabou qui défend l'attouchement du Père et elle s'en explique par une raison inverse à celle attendue : non pas 'je crois que je vais mourir de l'avoir fait' (toucher le fétiche) mais 'je crois que je serais morte si je ne l'avais pas fait' (Totem & Tabou, p. 53 et passim). La Loi s'évapore dans l'inversion de la prescription taboue et laisse la place du Père comme une place vide. Carrie Sue peut ensuite s'en aller, sa main dans la main d'Adam qui ne montre pas de signe de jalousie du fait que sa fiancée vienne de faire une déclaration d'amour à un autre homme. D'ailleurs, l'unité du groupe n'est jamais démentie par la différenciation de ses membres, à l'image de la séquence en prison qui s'achève par l'arrêt du mouvement par lequel Adam pourrait se séparer de son frère accusé – une absence de souci de soi de la part des personnages qui implique également l'absence de tout narcissisme. Les différentes positions psychiques, qui sont autant de phases du développement de la sexualité, coexistent dans la famille Clay comme dans chacun de ses membres sans qu'en résulte aucun conflit ni aucun sentiment œdipien, ce qui représente une violation majeure des théories de Freud (Trois essais sur la théorie sexuelle, p. 172-173).
Une autre violation est que ce n'est par en se confrontant à la Loi mais à la suite de la confrontation inverse au hors-la-Loi et au hors-l'œdipe que Lincoln peut enfin parvenir à la maturité sexuelle et laisser derrière lui les ultimes restes de son animalité infantile (Efe Tyler), réalisant ainsi l'abandon « du culte du totem [animal] pour le culte d'une divinité, c'est-à-dire une substitution inférieure du père pour une substitution supérieure. » (Totem & Tabou, p. 211) Mais le substitut supérieur intronisé par Lincoln est la Loi même, qui n'est rien d'autre que le Père désincarné. La sacre de la Loi est aussi le sacre de Lincoln, divinisé par une société démocratique au prise avec la résurrection de l'ancien idéal du Père tyrannique (Idib, p. 209). Dès lors, Lincoln ne peut plus que se fondre dans sa statue et se confondre avec son propre mythe.

Une limite interne à l'application des théories freudiennes
La trajectoire de Lincoln va de sa participation à la société des frères dans la première séquence jusqu'à son accession à la place du Père 90 minutes plus tard. Entre les deux, toute son action politique consiste à faire reconnaître le caractère inéluctable de la Loi du Père et à se faire admettre comme son agent. Dans les faits, il soumet ses interlocuteurs au complexe de castration en tant que vraie sortie de la bissexualité infantile et passage des pulsions partielles sous le primat de la zone génitale. Et il ne réserve pas cette méthode au seul corps social des habitants de Springfield mais il se l'applique à lui-même quand il chasse son animalité sous les traits de Buck Troop ou quand il récuse la mise en pratique de son homosexualité à travers Palmer Cass. Le film est traversé de ce mouvement de balancier entre l'organisation psychique individuelle et l'organisation sociale.
Le Totem et tabou de Freud s'appuie sur le même balancement entre la psychée des névrosés et l'inconscient collectif des peuples que Freud appelle primitifs. Et la question se pose sous une forme nouvelle une fois admise la réalité historique du meurtre du Père (indifféremment comme actualité purement psychique ou comme événement matériel effectif), à propos du mode sous lequel les conséquences du crime sont transmises aux générations postérieures : soit par imprégnation culturelle, soit par hérédité du caractère acquis. Vieux darwiniste et soucieux de trouver un socle un peu concret à ses spéculations, Freud préfère infiniment voir dans le meurtre fondateur un événement effectif répété suffisamment souvent pour devenir un caractère acquis, indépendant du milieu sauf pour son activation : « la continuité de la vie psychique des générations successives [...] est assurée en partie par l'hérédité des dispositions psychiques qui, pour devenir efficaces, ont cependant besoin d'être stimulées par certains événements de la vie individuelle. » (Totem et tabou, p. 222) Dit autrement, Œdipe est partout, mais il ne trouve son actualisation psychique – son devenir complexe – que dans les conditions du haut degré d'exigences morales et culturelles qui fonde la civilisation. C'est dans la confrontation à ces exigences transcrites dans les termes de sa sexualité (du passage de la sexualité infantile à la maturité sexuelle) que le névrosé récapitule au niveau ontique la philogenèse érotique de l'humanité.
On voit comment le contenu psychanalytique de Young Mister Lincoln reprend les positions freudiennes tout en s'en écartant sensiblement. Bien que l'argument repose sur le meurtre du Père et sa répétition, le processus et ses conséquences subissent un renversement radical : en faisant mourir Scrub White avant Lincoln, le film place le meurtre du substitut avant le meurtre du Père lui-même. Et ce n'est là que la continuation de la logique qui fait que la Loi civilisationnelle, concrétisée par les Blackstone Commentaries, apparaît non comme la conséquence mais comme la condition de l'assomption du Père et de sa mort. Dans la même optique, la réception de la Loi et l'activation du complexe d'Œdipe échappent à une problématique individualisée et sont complètement socialisées. L'organisation du groupe familial Clay rend la Loi tout simplement ineffective, tandis que la société campagnarde des frères, incarnée en Ann Rutledge et plus sensible à la Loi que les Clay, en est malgré tout détruite avant d'avoir pu y être convertie. La Loi ne trouve son terrain d'application que sur les citadins de Springfield, les habitants de la ville. C'est-à-dire, dans un sens ici strictement historique, que la Loi psychanalytique ne s'applique que dans un milieu bourgeois (au sens où l'on parle par exemple des Bourgeois de Calais).
Ce serait aller trop vite en besogne que de taxer Ford de marxisme. Il n'en demeure pas moins que la position exprimée par le film rejoint la critique communiste traditionnelle de la psychanalyse, qui la voit comme une pratique de la seule Bourgeoisie. D'autre part, elle affirme aussi, contre la biologisation freudienne, la primauté absolue du culturel dans le développement psychique de l'être humain. Et tout ceci dans un cadre qui rappelle beaucoup la dialectique hégéliano-marxiste : où la politique sexuelle de Lincoln est la négation de l'érotique infantile de Springfield alors que les Clay, en niant la fonction paternelle en même temps qu'ils sacrent Lincoln, portent la négation de la négation et le terme du processus. Que la transhumance de ce terme figurée par le chariot des Clay conditionne également l'entrée dans et la sortie hors du récit, ne constitue pas même un argument contradictoire puisque l'Homme chez Marx est à la fois la condition et l'aboutissement du processus de son devenir, de sa transhumance historique.
Quoiqu'il en soit des positions politiques de Ford, le programme annoncé dès le début du film par la suite minérale générique-poème-datation trouve une première application comme dénaturalisation du mythe freudien d'Œdipe.

Et ainsi de suite...

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Message par Borges Ven 18 Juin 2010 - 9:25

Stéphane Pichelin a écrit:Remarque intrigante. Ulysse et Télémaque, c'est l'histoire d'un retour. Mais Ethan revient-il ou que ce soit ?

oui, on peut le dire, il revient chez lui, mais sans avoir de chez lui; c'est son drame; la femme qu'il aime, qui l'aime a épousé son frère; cette famille, c'est la sienne, enfin celle qu'il aurait pu avoir; le destin amoureux de ethan, c'est un peu celui de tom dans l'homme qui shota liberty valence (ford, lol, si on joue sur les mots); ethan revient d'une guerre, perdue, il a du vivre et faire des choses pas très jolies, après cette guerre (enfin, on peut le penser); ce qui m'intriguait, en fait, c'est plutôt le fait que l'analogie fait de debbie la fille de ethan, (la fille qu'il aurait voulu avoir, n'a pas eu, a peut-être eu...(qui sait?) avec la femme à son frère...je ne sais plus où john wayne interrogeait sur son personnage, refusant les explications complexes dit : "c'est simple, c'est un mec dont la femme a été tuée et qui cherche à la venger" (lapsus révélateur, comme on dit? )
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Message par Invité Ven 18 Juin 2010 - 9:36

Bien sûr, il y a deux retrouvailles avec Debbie : celles du début du film, quand il revient vers la maison de son frère, et celles dans la caverne à la fin du film. Peut-être même trois si on prend en considération celles du milieu du film, où elle surgit de derrière la dune. Ma remarque concernait la dernière mais peut-on la séparer de la première ?

Lapsus magnifique de la part de Wayne. L'idée de la relation amoureuse d'Ethan avec Martha... j'en avais entendu parler.

Contreplongée sur son visage en feu devant les ruines de la ferme... juste pour la beauté du souvenir.

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Message par Borges Ven 18 Juin 2010 - 9:59

en fait (il me fallait vérifier) wayne a dit plus précisément : "he did what he had to do. The indians fucked his wife".

(c'est plus terrifiant pour lui que d'être simplement tuée; c'est cette idée qui le rend malade avec debbie; c'était aussi le grand traumatisme dans "les deux cavaliers", où la mexicaine est considérée (par la bonne société des femmes) comme une moins que rien, parce qu'elle a accepté d'être "baisée" par des indiens plutôt que de mourir; le film ne nous dit pas qu'elles sont connes, qu'elles ont tort de penser ça; stewart la défend en disant qu'elle y avait pensée mais que croyante, catholique, elle pouvait pas)



Wayne imagine aussi un vie à deux à ethan et debbie, ils reconstruisent la maison détruite par les indiens, et vivent ensemble, et "that little girl would learn to love him";

debbie /martha;

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Message par Invité Mar 22 Juin 2010 - 12:38

Les femmes des Deux Cavilers n'en sont pas plus connes, c'est vrai. Elles n'en sont pas moins connes non plus. Ni plus ou moins salopes, si tu vas par là. Même si j'ai envie de leur foutre une grande tarte dans la gueule, à elles et à leurs légitimes. Mais ce n'est pas ce à quoi le film invite, c'est clair. Ces femmes ne sont pas jugées d'un point de vue moral. Elles sont justes posées dans leur obsession malsaine pour l'Autre et pour son « sale petit secret ».

Le sexe de l'Autre. L'Indien ou le Noir et leur puissance érotique. Jalousie de cette puissance et dévalorisation bestiale. C'est un motif que Ford a beaucoup utilisé.

Il y a cette séquence dans Buckin' Broadway où Cheyenne Harry, qui veut en mettre plein les yeux de son amoureuse, s'est offert un beau costume blanc qui lui va très mal. Et en sortant de la boutique, il tombe sur un Noir qui porte le même costume avec infiniment de classe. Vexé, Harry fait demi tour et va rendre le costume. C'est une scène comique. Mais il y a deux façons d'en rire. L'une, c'est de la transformer en slapstick : rencontrer ce Noir qui le surclasse érotiquement, c'est pour Harry comme glisser sur une peau de banane et tomber sous les lazzis du public. L'élégance du Noir, sa parfaite civilité comparée à la grossièreté de Harry, c'est un ordre du monde renversé comme la peau de banane qui n'est pas à sa place par terre et qui provoque l'accident. Rire raciste qui conjure la honte du personnage pour mieux exorciser l'éventualité d'une honte semblable du spectateur. Et aussi support fantasmatique puisque la recherche d'élégance par Harry est donnée comme recherche de puissance amoureuse et qu'il est surclassé dans ce domaine par l'érotisme du Noir.
Mais la séquence laisse l'espace d'un autre rire, où ce qui est conjuré est le ridicule non plus de la rencontre mais de la réaction : ce qui est risible alors et amer dans le même temps, et qu'il faut exorciser, c'est la vanité raciste du Blanc face à l'élégance supérieure du Noir – supériorité purement conjoncturelle dans le contexte du film.

Donc, pour la même séquence, deux réceptions possibles, qui n'impliquent pas un double sens moral mais au contraire une absence de jugement. Ford se saisit d'un cliché et il le délivre comme tel, en ouvrant la vision du spectateur à la saisie de ce qu'il y a là de projection idéologique et arbitraire. Ce qui veut dire aussi une extrême sensibilité de son cinéma à l'imagerie de son temps.

Martha et Lucy ont été violée puis tuée. Qui l'a vu ? Qui peut l'attester ? Seul Ethan. Tout repose sur le regard d'Ethan – et pas même sur sa parole puisqu'il ne dit rien (au sujet de Lucy : « Do you want me to draw a picture » ou quelque chose comme ça, non ?). En ne voyant rien des viols et des cadavres, en les comprenant par le seul visage sans qu'une parole soit prononcée, on est entièrement prisonniers d'un point de vue unique, d'un regard unique. La réalité factuelle des viols est sans importance. Décider que les viols ont ou n'ont pas eu lieu, c'est décider pour ou contre le regard raciste d'Ethan et c'est ça qui compte.

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