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Young Mister Lincoln

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Message par Invité Dim 6 Juin 2010 - 20:25

Une des séquences les plus connues de la filmographie de Ford est celle du crime dans Young Mister Lincoln, ce moment où le réalisateur persuade le spectateur d'un meurtre qui n'a pas eu lieu et en voile le meurtre effectif montré à l'image. Pourtant, à ma connaissance, cette séquence n'a jamais été proprement analysée. C'est comme-ci le dévoiement de la vision du meurtre organisé par Ford entraînait un interdit de la vision de ses moyens, trop explicites ou au contraire impénétrables. Ce que les Cahiers du Cinéma résume ainsi : « C'est volontairement que nous ne donnons pas ici la description de la scène, littéralement indescriptible ». Mais plus vraissemblablement, le fait est que la re-vision analytique de la séquence force à une révision profonde des canons de l'exégèse fordienne, notamment dans les relations de la femme/la Mère (puisqu'il est entendu que pour Lincoln oedipianisé, la Mère est l'archétype du féminin désirable) avec la Loi/le territoire (dans un sens proche du sens deleuzien, où la Loi est le quadrillage qui crée le territoire).

Du coup de feu sans conséquence au coup de couteau fatal, le dispositif leurrant s'étend sur quatre plans :

1.Musique scherzo. Mme Clay se précipite vers la caméra en regardant vers la droite de l'écran. Alors qu'elle bute sur une barrière, une détonation éclate, accompagnée d'un éclair lumineux toujours à droite de l'écran. Simultanément, arrêt de la musique.
2.Plan général de la clairière : un buisson coupe l'image en deux avec, à droite, Mme Clay, à gauche, les fils Clay se relevant et Scrub White gisant au sol. Les deux garçons Clay s'éloignent de Scrub et rejoignent leur mère en l'appelant.
3.Plan américain de Mme Clay rejointe par ses garçons
ADAM : Ma !
MATT : Ma !
MME CLAY : Sssh !
Bruit de pas : les fils Clay se tournent vers la gauche.
4.Retour au plan général de la clairière comme en 2 : Cass, au fond centre, court face caméra jusqu'à se trouver au niveau du buisson, jette un oeil vers les Clay à droite et va s'agenouiller près de Scrub à gauche. Les fils Clay se retournent vers leur mère et le groupe familial se fige.
SCRUB : Cass !
CASS : Scrub ! Scrub !
SCRUB : O, Cass.
Cass, de dos, poignarde Scrub.

Ainsi, Scrub White meurt deux fois. Il meurt une première fois pendant le plan 1, mais non dans le plan. Un éclair, une détonation, l'interruption de la musique semblent annoncer suffisamment un drame auquel le plan 2 donne tout de suite un nom connu du spectateur : meurtre. Paradoxalement, l'irrévocabilité de la signification du coup de feu est d'autant plus certaine que le meurtre se passe hors-champ. Il faut dire que Young Mister Lincoln est un film clos, presque théâtrale dans sa façon de fermer les trois côtés de l'image – droite, gauche et lointain – à l'aide de toutes sortes d'éléments de décors entassés les uns sur les autres : redoublement des murs du tribunal par la barrière du prêtoire ; clôture de la clairière où a lieu le meurtre, clôture de la cour de la ferme des Clay ; et l'interminable chemin reliant la ferme à Springfield en traçant moins une ligne de fuite que son contraire, l'impossibilité de s'échapper du cadre. Dans le même ordre d'idées, le fleuve accompagnant les séquences avec Ann Rutledge (vivante ou morte) désigne un dégagement qui est immédiatement empêché par l'alignement des barrières ; mais il est surtout la projection sur une toile de fond d'une prise de vue extérieure alors que la scène qui se déroule au premier plan a été enregistrée en studio : tout est dans ce contraste entre deux rendus visuels différents qui désigne deux espaces non communicants et assigne les personnages à la clôture du champ là même où le lointain pourrait offrir une échappée. Tout le film se passe ainsi dans le champ et nulle part ailleurs. Les personnages en sortant, soit sont immédiatement recadrés dans le plan suivant (cas le plus général), soit passent hors de l'action et tombent dans l'inexistence (les lyncheurs dispersés par Lincoln, par exemple). Pareillement, la canne à pêche de Scrub harcelant Sarah et le couteau d'Adam flirtant avec Corrie Sue sont suffisants, dans leurs symboliques érotiques génitales, à représenter la totalité du personnage qui les manipulent et dont la présence effective devient tout-à-fait facultative.
Aussi, la violence du plan 1, aidée par la bande sonore, vient de l'irruption brutale du hors-champ. La rupture de l'ordre filmique par l'ouverture du cadre à son en-dehors est aussi la double rupture de l'ordre vivant par la mort et de l'ordre social par le meurtre. Cette violence trouve d'ailleurs son pendant et sa confirmation dans le surgissement, au plan 4, de Cass : car Cass n'arrive pas dans la clairière, il est simplement déjà là et déjà courant selon une trajectoire impossible, aucun espace ne s'ouvrant derrière lui pour justifier plastiquement sa course. Le hors-champ est devenu actif en 1 par le coup de feu à droite de l'image, dans la continuité du regard de Mme Clay, et il est rendu à son insignifiance en 3 par inversion formelle du motif : les bruits de pas viennent de la gauche, comme en informent les frères en se retournant. L'outrage à la raison que représente la trajectoire de Cass au début de 4 ne fait qu'exprimer avec brutalité le retour à la clôture. Le cadre, ouvert pour laisser passer la mort, est de nouveau clos. Or, dès lors que le cadre est refermé et que ce qui vient est nécessairement pris dans le champ, plus rien ne peut advenir du hors-champ, où le meurtre a eu lieu de manière irréversible. Tout est dit et aucun espoir de rachat n'accompagne l'arrivée de Cass. Les deux frères n'ont plus qu'à retourner leurs regards vers leur mère, entraînant avec eux le regard des spectateurs dans la clôture du groupe familial redoublée par la division de l'image opérée par le buisson central. Participe aussi de cette fixation de l'attention la quasi transgression dans l'axe entre 1 et 2, faisant passer de façon leurrante le pôle actif de 1 (le côté du coup de feu) à la figure de Mme Clay bientôt rejointe par ses fils à droite du buisson central. Enfin l'hésitation de Cass à la pointe du même buisson achève de séparer l'écran en deux images distinctes et non communicantes. Cass, de dos, peut alors poignarder Scrub ni vu ni connu, les spectateurs n'en sauront rien.
Toute la mise en scène est faite pour qu'au plan 4 le buisson central prenne le caractère d'une démarcation stricte entre les deux moitié de l'image, qui s'autonomisent l'une par rapport à l'autre. Ford introduit organiquement un effet de split-screen où les deux ½ plans, rendus non-communicants, s'articulent comme deux plans indépendants – le buisson séparateur fonctionnant alors comme un hors-champ intérieur. Mais, soit que l'attention se porte sur le groupe familial dans la croyance que rien ne se passe à gauche, soit, au contraire, que dans un deuxième visionnage on s'attache à décrypter les gestes de Cass en ignorant la droite de l'écran, on rate dans les deux cas ce qui se transmet de capital d'un ½ plan à l'autre, entre les deux moitiés de l'image, et dont la perception nécessite une vision globale du plan soigneusement gênée par la mise en scène. Or, ce qui passe à travers le hors-champ intérieur, c'est le regard de Mme Clay. La Mère est bien le témoin occulaire qu'elle dit être, elle a assisté, non à l'illusion du meurtre de Scub White par Matt ou Adam (ce qui est la théorie de Lincoln), mais bien au meurtre effectif commis par Cass.

Cette vision du meurtre par la Mère pose plusieurs problèmes. L'un des plus brûlant est d'expliquer comment aucune théorie, aucun schème analytique n'a pu, non rendre compte, mais seulement voir ce regard. Apparemment, contrairement à l'affirmation des Cahiers, la scène n'est pas indescriptible, elle est tout bonnement insupportable par les grilles d'analyse qui lui ont été appliquées jusque là. Car elle ne conduit qu'à une conclusion catastrophique pour le préjugé d'un Ford uniformément lincolnolâtre : la totale infériorité de Lincoln face à la Mère pour ce qui est de la compréhension du sens de la Loi.
D'avoir été témoin du poignardage, Mme Clay bénéficie d'un savoir en excès sur celui de Lincoln. Mais ce savoir n'est pas le nom du meurtrier : cela, Lincoln finira par le deviner de lui-même. L'excès de savoir maternel, qui en est aussi la plénitude, c'est tout entier une question de position face à la Loi : les raisons de son silence. Une seule question lui est obstinément posée : lequel de ses fils a tué Scrub White. Tout aussi obstinément, elle y oppose pratiquement une seule réponse : elle ne peut pas le dire. C'est d'abord une évidence si la question vise exclusivement Matt et Adam. Puisque ni l'un ni l'autre n'a tué, elle ne peut effectivement pas dire lequel l'a fait, en rigueur de termes. Mais aussi en rigueur légale. La première réponse qu'elle fait à la question obsessionnelle des chercheurs de coupables, ce n'est pas 'I can't say' mais 'I won't say'. Contre la subjectivité du lynchage qui se prépare déjà, Mme Clay déclare une volonté de non dénonciation. Et ce n'est qu'après la harangue de Lincoln provoquant la démission de la volonté des lyncheurs face à la procédure judiciaire, que Mme Clay devient à son tour procédurière en adressant strictement sa réponse au champ délimité par la question. Mais en même temps, elle retourne la méthode censée établir une culpabilité contre elle-même. Elle use de la procédure pour maintenir dans l'indistinction le nom du coupable. Elle détricote le quadrillage légal par les moyens mêmes de la Loi.
On a alors trois approches différenciées de la Loi, qui sont aussi trois modes de rapport au visible. Il y a d'abord les lyncheurs, qui n'ont rien vu et qui ne savent rien hors de leur volonté. Il y a ensuite Lincoln, qui a vu indirectement, par reconstruction, dans le miroir de la Loi et dont le savoir comme la vision est partiel. Et il y a enfin la Mère dont la vision et le savoir sont directs et pléniers mais situés au-delà de la Loi, de l'autre côté de son miroir – de ce côté où le quadrillage organisé du territoire s'efface devant les trajectoires singulières du vivant. Mais ceci amène à un nouveau tour de vis dialectique, peut-être un peu plus spéculatif. Car la où la Loi n'a plus pouvoir pour établir des distinctions, Mme Clay devient la figure d'un principe maternel totalisant, couvrant et recouvrant au delà de ses fils biologiques l'humanité entière, y compris Lincoln, y compris Cass. Le 'I can't', l'impossible déclaré, retrouve un caractère de volonté dans le dépassement de la Loi par l'affirmation de la caducité de la culpabilité et l'assomption de l'innocence universelle.
Pour Luc Vancheri dans son étude de The Searchers, « l'innocence est chez Ford très peu liée au commun des actions, au jugement des hommes ou de Dieu. Elle marque avant tout une position du sujet devant le visible, ainsi qu'une certaine exemption d'image. Être innocent, c'est être soustrait au visible, c'est demeuré interdit ou empêché devant ce qui prend forme et consistance d'image. À l'opposé, être coupable, c'est être condamné au visible [...] L'innocent est aveugle ou aveuglé, le coupable est clairvoyant. » Mais cette remarque ne trouve tout son sens que nuancée par ceci, que l'aveuglement peut être un choix rétrospectif et l'impossibilité, une position volontaire. C'est en soutenant cette position, qui implique l'innocence principielle de Cass, que Mme Clay peut garantir aussi l'innocence de Matt et Adam. Si la Loi est le nom du territoire comme savoir d'une culpabilité généralisée, Young Mister Lincoln la montre donc bordée des deux côtés : du côté des lyncheurs, par l'ignorance absolue du coupable et de l'innocent face à la puissance des affects ; du côté de la Mère, par dépassement du coupable et de l'innocent dans une déclaration générale d'innocence. L'excès du savoir maternel, c'est la position du retournement où la Loi s'annule.


Dernière édition par Stéphane Pichelin le Mer 9 Juin 2010 - 15:49, édité 3 fois

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Message par Borges Lun 7 Juin 2010 - 14:35

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Message par Invité Lun 7 Juin 2010 - 15:38

Borges,
je peux perdre mon temps à montrer que cette photo est une illustration de ce que le lointain, dans un des rares plans où il apparait, est immédiatement empêché par une clôture, bloquant ainsi l'action dans le champ. Faire aussi remarquer que l'arrivée de Lincoln dans le cimetière se fait sur un fondu enchaîné où le personnage ne rentre pas dans le champ mais y est déjà. A quoi bon ? Il n'y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
Tu ne cherche pas la confrontation d'idées mais la polémique. Et j'ai autre chose à foutre que polémiquer. Et comme il n'y a pas moyen d'écrire quoique ce soit sur ce forum sans que tu viennes faire ton travail de flic, je préfère lacher l'affaire et te laisser à la vacuité impuissante de ton pouvoir universitaire.
Désolé pour les autres, ça a été un bon moment.

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Message par Borges Lun 7 Juin 2010 - 16:36

hello hello;

quel est le problème?

je suis surpris; j'ai juste discuté avec toi, posté une image; je comprends pas ta réaction, mais en même temps, je dois dire que je m'en tape un peu; y a tant de choses à comprendre, ça ne me manquera pas trop; y a ce beau passage dans spinoza... vous prenez un idiot, vous lui dites que 1+1 ne font pas 5874, et il vous accuse d'être flic, de l'empêcher de penser, de s'exprimer, d'oser... ou je sais pas; tu crois que penser, c'est dire ce qu'on veut, et être applaudi pour ça; désolé, mais c'est pas du tout mon idée; tu me dis polémiste, en fait, je crois pas, y a rien dans tes textes qui pousse à la polémique, rien d'intéressant, je veux dire, c'est par politesse que je te répondais; mais faut pas trop m'en demander : poli je suis, mais pas assez pour flatter des trucs idiots, mal pensés, etc.
En fait, si j'y pense, tu devrais me dire merci, mon vieux, pour avoir perdu mon temps à essayer de te lire; et ce ne fut pas un plaisir, je t'avoue; je lisais et relisais, sans rien piger; je ne sais jamais de quoi tu parles, ou tu veux en venir; rien n'est perdu,t'es pas venu au monde pour me plaire, tu m'as l'air ambitieux, et pas trop bête, enfin, manière de parler; mais si tu t'intéresses au cinéma, et veux le penser, un conseil, essaye de parler des films, et non pas de je ne sais pas quoi, du type brillant que t'es ou de trucs comme ça; comme disait l'autre, avant de vouloir refonder les études fordiennes essaye d'abord de regarder les films du gars, tranquillement, sans chercher à les interpréter; ils ont bien des choses à t'apprendre, si tu sais ouvrir les yeux, et les oreilles; ne vas pas croire que seuls les aveugles sont innocents, y a aucun mal à regarder des images, rien de coupable; bonne chance; on entendra parler de toi; j'en suis sûr; t'as de grandes espérances; mais par pitié, essaye de faire tes devoirs avant de jouer au génie des études cinématographiques...essaye aussi d'être moins susceptible, même si c'est une qualité-défaut des êtres supérieurs; je sens qu'on va te regretter, peut-être même te pleurer; toi, parti, on aura plus rien à lire; le désert...



tu vois, j'avais même copié/collé ton texte pour le lire tranquillement, et tenter d'y répondre; il contient quelques trucs pas trop mal; pas de quoi changer le monde, je te rassure; et puis, une fois de plus, il faut s'appuyer sur les films, d'une manière ou d'une autre; pas de salut, sinon;

(droit à la citation)


Une des séquences les plus connues de la filmographie de Ford est celle du crime dans Young Mister Lincoln, ce moment où le réalisateur persuade le spectateur d'un meurtre qui n'a pas eu lieu et en voile le meurtre effectif montré à l'image. Pourtant, à ma connaissance, cette séquence n'a jamais été proprement analysée. C'est comme-ci le dévoiement de la vision du meurtre organisé par Ford entraînait un interdit de la vision de ses moyens, trop explicites ou au contraire impénétrables. Ce que les Cahiers du Cinéma résume ainsi : « C'est volontairement que nous ne donnons pas ici la description de la scène, littéralement indescriptible ». Mais plus vraissemblablement, le fait est que la re-vision analytique de la séquence force à une révision profonde des canons de l'exégèse fordienne, notamment dans les relations de la femme/la Mère (puisqu'il est entendu que pour Lincoln oedipianisé, la Mère est l'archétype du féminin désirable) avec la Loi/le territoire (dans le sens deleuzien où la Loi est le quadrillage qui crée le territoire).

Du coup de feu sans conséquence au coup de couteau fatal, le dispositif leurrant s'étend sur quatre plans :

1.Musique scherzo. Mme Clay se précipite vers la caméra en regardant vers la droite de l'écran. Alors qu'elle bute sur une barrière, une détonation éclate, accompagnée d'un éclair lumineux toujours à droite de l'écran. Simultanément, arrêt de la musique.
2.Plan général de la clairière : un buisson coupe l'image en deux avec, à droite, Mme Clay, à gauche, les fils Clay se relevant et Scrub White gisant au sol. Les deux garçons Clay s'éloignent de Scrub et rejoignent leur mère en l'appelant.
3.Plan américain de Mme Clay rejointe par ses garçons
ADAM : Ma !
MATT : Ma !
MME CLAY : Sssh !
Bruit de pas : les fils Clay se tournent vers la gauche.
4.Retour au plan général de la clairière comme en 2 : Cass, au fond centre, court face caméra jusqu'à se trouver au niveau du buisson, jette un oeil vers les Clay à droite et va s'agenouiller près de Scrub à gauche. Les fils Clay se retournent vers leur mère et le groupe familial se fige.
SCRUB : Cass !
CASS : Scrub ! Scrub !
SCRUB : O, Cass.
Cass, de dos, poignarde Scrub.

Comme Liberty Valance plus tard, Scrub White meurt deux fois.

Il meurt une première fois pendant le plan 1, mais non dans le plan. Un éclair, une détonation, l'interruption de la musique semblent annoncer suffisamment un drame auquel le plan 2 donne tout de suite un nom connu du spectateur : meurtre. Paradoxalement, l'irrévocabilité de la signification du coup de feu est d'autant plus certaine que le meurtre se passe hors-champ. Il faut dire que Young Mister Lincoln est un film clos, presque théâtrale dans sa façon de fermer les trois côtés de l'image – droite, gauche et lointain – à l'aide de toutes sortes d'éléments de décors entassés les uns sur les autres : redoublement des enclos de la scène d'Ann par le fleuve et des murs du tribunal par la barrière du prêtoire ; clôture de la clairière où a lieu le meurtre, clôture de la cour de la ferme des Clay ; et l'interminable chemin reliant la ferme à Springfield en traçant moins une ligne de fuite que son contraire, l'impossibilité de s'échapper du cadre. Les personnages sortant du champ, soit sont immédiatement recadrés dans le plan suivant (cas le plus général), soit passent hors de l'action et tombent dans l'inexistence (les lyncheurs dispersés par Lincoln, par exemple). Dans la même idée, la canne à pêche de Scrub harcelant Sarah et le couteau d'Adam flirtant avec Corrie Sue sont suffisants, dans leurs symboliques érotiques génitales, à représenter la totalité du personnage qui les manipulent et dont la présence effective devient tout-à-fait facultative. Tout le film se passe ainsi dans le champ et nulle part ailleurs. Aussi, la violence du plan 1, aidée par la bande sonore, vient de l'irruption brutale du hors-champ. La rupture de l'ordre filmique par l'ouverture du cadre à son en-dehors est aussi la double rupture de l'ordre vivant par la mort et de l'ordre social par le meurtre. Cette violence trouve d'ailleurs son pendant et sa confirmation dans le surgissement, au plan 4, de Cass : car Cass n'arrive pas dans la clairière, il est simplement déjà là et déjà courant selon une trajectoire impossible, aucun espace ne s'ouvrant derrière lui pour justifier plastiquement sa course. Le hors-champ est devenu actif en 1 par le coup de feu à droite de l'image, dans la continuité du regard de Mme Clay, et il est rendu à son insignifiance en 3 par inversion formelle du motif : les bruits de pas viennent de la gauche, comme en informent les frères en se retournant. L'outrage à la raison que représente la trajectoire de Cass au début de 4 ne fait qu'exprimer avec brutalité le retour à la clôture. Le cadre, ouvert pour laisser passer la mort, est de nouveau clos. Or, dès lors que le cadre est refermé et que ce qui vient est nécessairement pris dans le champ, plus rien ne peut advenir du hors-champ, où le meurtre a eu lieu de manière irréversible. Tout est dit et aucun espoir de rachat n'accompagne l'arrivée de Cass. Les deux frères n'ont plus qu'à retourner leurs regards vers leur mère, entraînant avec eux le regard des spectateurs dans la clôture du groupe familial redoublée par la division de l'image opérée par le buisson central. Participe aussi de cette fixation de l'attention la quasi transgression dans l'axe entre 1 et 2, faisant passer de façon leurrante le pôle actif de 1 (le côté du coup de feu) à la figure de Mme Clay bientôt rejointe par ses fils à droite du buisson central. Enfin l'hésitation de Cass à la pointe du même buisson achève de séparer l'écran en deux images distinctes et non communicantes. Cass, de dos, peut alors poignarder Scrub ni vu ni connu, les spectateurs n'en sauront rien.

Toute la mise en scène est faite pour qu'au plan 4 le buisson central prenne le caractère d'une démarcation stricte entre les deux moitié de l'image, qui s'autonomisent l'une par rapport à l'autre. Ford introduit organiquement un effet de split-screen où les deux ½ plans, rendus non-communicants, s'articulent comme deux plans indépendants – le buisson séparateur fonctionnant alors comme un hors-champ intérieur. Mais, soit que l'attention se porte sur le groupe familial dans la croyance que rien ne se passe à gauche, soit, au contraire, que dans un deuxième visionnage on s'attache à décrypter les gestes de Cass en ignorant la droite de l'écran, on rate dans les deux cas ce qui se transmet de capital d'un ½ plan à l'autre, entre les deux moitiés de l'image, et dont la perception nécessite une vision globale du plan soigneusement gênée par la mise en scène. Or, ce qui passe à travers le hors-champ intérieur, c'est le regard de Mme Clay. La Mère est bien le témoin occulaire qu'elle dit être, elle a assisté, non à l'illusion du meurtre de Scub White par Matt ou Adam (ce qui est la théorie de Lincoln), mais bien au meurtre effectif commis par Cass.

Cette vision du meurtre par la Mère pose plusieurs problèmes. L'un des plus brûlant est d'expliquer comment aucune théorie, aucun schème analytique n'a pu, non rendre compte, mais seulement voir ce regard. Apparemment, contrairement à l'affirmation des Cahiers, la scène n'est pas indescriptible, elle est tout bonnement insupportable par les grilles d'analyse qui lui ont été appliquées jusque là. Car elle ne conduit qu'à une conclusion catastrophique pour le préjugé d'un Ford uniformément lincolnolâtre : la totale infériorité de Lincoln face à la Mère pour ce qui est de la compréhension du sens de la Loi.

D'avoir été témoin du poignardage, Mme Clay bénéficie d'un savoir en excès sur celui de Lincoln. Mais ce savoir n'est pas le nom du meurtrier : cela, Lincoln finira par le deviner de lui-même. L'excès de savoir maternel, qui en est aussi la plénitude, c'est tout entier une question de position face à la Loi : les raisons de son silence. Une seule question lui est obstinément posée : lequel de ses fils a tué Scrub White. Tout aussi obstinément, elle y oppose pratiquement une seule réponse : elle ne peut pas le dire. C'est d'abord une évidence si la question vise exclusivement Matt et Adam. Puisque ni l'un ni l'autre n'a tué, elle ne peut effectivement pas dire lequel l'a fait, en rigueur de termes. Mais aussi en rigueur légale. La première réponse qu'elle fait à la question obsessionnelle des chercheurs de coupables, ce n'est pas 'I can't say' mais 'I won't say'. Contre la subjectivité du lynchage qui se prépare déjà, Mme Clay déclare une volonté de non dénonciation. Et ce n'est qu'après la harangue de Lincoln provoquant la démission de la volonté des lyncheurs face à la procédure judiciaire, que Mme Clay devient à son tour procédurière en adressant strictement sa réponse au champ délimité par la question. Mais en même temps, elle retourne la méthode censée établir une culpabilité contre elle-même. Elle use de la procédure pour maintenir dans l'indistinction le nom du coupable. Elle détricote le quadrillage légal par les moyens mêmes de la Loi.

On a alors trois approches différenciées de la Loi, qui sont aussi trois modes de rapport au visible. Il y a d'abord les lyncheurs, qui n'ont rien vu et qui ne savent rien hors de leur volonté. Il y a ensuite Lincoln, qui a vu indirectement, par reconstruction, dans le miroir de la Loi et dont le savoir comme la vision est partiel. Et il y a enfin la Mère dont la vision et le savoir sont directs et pléniers mais situés au-delà de la Loi, de l'autre côté de son miroir – de ce côté où le quadrillage organisé du territoire s'efface devant les trajectoires singulières du vivant. Mais ceci amène à un nouveau tour de vis dialectique, peut-être un peu plus spéculatif. Car la où la Loi n'a plus pouvoir pour établir des distinctions, Mme Clay devient la figure d'un principe maternel totalisant, couvrant et recouvrant au delà de ses fils biologiques l'humanité entière, y compris Lincoln, y compris Cass. Le 'I can't', l'impossible déclaré, retrouve un caractère de volonté dans le dépassement de la Loi par l'affirmation de la caducité de la culpabilité et l'assomption de l'innocence universelle.

Pour Luc Vancheri dans son étude de The Searchers, « l'innocence est chez Ford très peu liée au commun des actions, au jugement des hommes ou de Dieu. Elle marque avant tout une position du sujet devant le visible, ainsi qu'une certaine exemption d'image. Être innocent, c'est être soustrait au visible, c'est demeuré interdit ou empêché devant ce qui prend forme et consistance d'image. À l'opposé, être coupable, c'est être condamné au visible [...] L'innocent est aveugle ou aveuglé, le coupable est clairvoyant. »


Mais cette remarque ne trouve tout son sens que nuancée par ceci, que l'aveuglement peut être un choix rétrospectif et l'impossibilité, une position volontaire. C'est en soutenant cette position, qui implique l'innocence principielle de Cass, que Mme Clay peut garantir aussi l'innocence de Matt et Adam. Si la Loi est le nom du territoire comme savoir d'une culpabilité généralisée, Young Mister Lincoln la montre donc bordée des deux côtés : du côté des lyncheurs, par l'ignorance absolue du coupable et de l'innocent face à la puissance des affects ; du côté de la Mère, par dépassement du coupable et de l'innocent dans une déclaration générale d'innocence. L'excès du savoir maternel, c'est la position du retournement où la Loi s'annule.

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Message par Borges Lun 7 Juin 2010 - 16:43

Stéphane Pichelin a écrit:Borges,
je peux perdre mon temps à montrer que cette photo est une illustration de ce que le lointain, dans un des rares plans où il apparait, est immédiatement empêché par une clôture, bloquant ainsi l'action dans le champ. Faire aussi remarquer que l'arrivée de Lincoln dans le cimetière se fait sur un fondu enchaîné où le personnage ne rentre pas dans le champ mais y est déjà. A quoi bon ?

mais il aurait fallu que tu le dises; j'ai rien fait contre; depuis hier, personne n'a réagi à ton texte; je suis le premier; cette photo n'était pas destinée à t'empêcher de penser, d'écrire; de nous faire voir les choses; c'est dommage; mais sans doute, ne suis-je pour rien dans ton retrait, dans ton départ; oui; à quoi bon? c'est ce que je me dis en te lisant; à quoi bon un critique pareil en ces temps de détresse; mais, je dois aussi dire, que ces histoires de champ, et de clôture,sont des niaiseries sans le moindre intérêts; alors à quoi bon les dire? il aurait fallu parler de la nature, de la femme, de la loi, du livre, de la voix,...de rousseau (celui de la grammatologie)...dire des choses simples, avant de chercher à changer le monde, un peu comme AL.

quoi dire d'autre; ah, j'y pense, ford aurait trouvé deleuze innocent, comme il a rien vu; seuls les aveugles sont innocents, seuls ils peuvent te lire sans être coupable de je ne sais quoi;



salut (comme disait mallarmé)
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Message par Invité Mar 8 Juin 2010 - 15:47

borges, tu veux un conseil, laisse tomber deleuze et mallarmé, et mets toi aux manuels de close combat ou de self defense (comme celui-ci : http://www.amazon.fr/Self-Defense-Pratique-Realisme-Efficacite-Controle/dp/2851807455). Le jour où stéphane pichelin et les centaines d'autres personnes que tu as humiliées viendront sonner à ta porte, ça te sera nettement plus utile.

au revoir (comme disait valéry) (le président, pas le poète hein) (je précise, au cas où)

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Message par Borges Mar 8 Juin 2010 - 17:03

hello M; souvent je me dis, quand j'attrape la grosse tête : "arrête d'écrire sur les forums, t'es trop fort pour eux, ils ne sont pas à ton niveau, ils ne jouent pas dans la même cour, dans la même division", et puis, après ça, en amateur de rancière, je me dis : "mais non, tout le monde il est intelligent, sans toujours réussir à en faire la démonstration."

Au fond, je crois que les gens s'humilient eux-mêmes, en jouant la scène du grand départ, humiliés et offensés, orgueils et préjugés, moi je fais rien, je dis ce que je pense, quand il m'arrive de penser, ce qui embête ceux qui se la jouent et croient penser à tous les coups...

ah, je finis par une citation, juste pour rire : "Un génie n'a qu'à fermer la fenêtre pour que l'idiot se sente offensé".

le génie, c'est Stendhal

il faut arrêter de tout ramener à soi, dans la mesure du possible, et se placer au niveau des choses en question...

y a pas d'éthique de la discussion, juste des discussions de l'éthique de la discussion; si certains après s'être rendus ridicules jouent aux offensés, c'est pas mon problème; c'est quand le boulot devient dur, que les durs restent au boulot (souvenir de carver)...




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Message par Invité Jeu 10 Juin 2010 - 10:04

Borges,
je reconnais que le niveau de ma violence et de mon agressivité envers toi était injustifié et je te prie sincèrement de m'en excuser, même si les excuses n'effacent rien.
ceci, en attendant de plus amples explications.

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Message par Borges Jeu 10 Juin 2010 - 13:22

hello; pour moi, y a pas de problème; t'as pas à t'excuser, j'ai pas à m'excuser; on discute, je fais pas ça dans les formes, souvent... je suis loin de me sentir chez moi, ici; au contraire, c'est parce que je ne m'y sens pas chez moi que je ne joue pas les hôtes d'accueil, polis, et tout le reste...

Alors expliquons-nous autour des films, des idées, etc.

Wink

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Message par Invité Jeu 10 Juin 2010 - 15:41

Bonne nouvelle ton retour, Stéphane ! Smile

Quoi qu'on en pense, merci d'avoir reposté ton texte de départ.

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Message par Invité Sam 12 Juin 2010 - 19:06

Look est petite, grosse, pas très belle ; elle semble ne rien comprendre à ce que lui dit son mari dans la langue des Blancs et elle montre une indéfectible bonne volonté à être traitée comme un objet plutôt que comme un être humain. Apparemment, elle est tout le contraire de Laurie, la fiancée de Martin, et elle porte tous les signes de l'Autre, d'une sauvagerie infra-humaine. Sauf que Laurie ne sait que rester à la maison dans l'attente de son homme alors que Look peut partager son errance. Puis quand elle risque de devenir le vecteur de la fin de cette errance, elle peut encore la dépasser et s'en aller seule, plus rapide que martin et Ethan à changer de direction. Ceci, pour le contenu du récit.

Beaucoup plus intéressant : Look parle. Elle parle Indien et on ne la comprend que par la traduction qu'en donne Ethan. Tout ce qu'on peut recevoir directement, en tant que spectateur lambda ignorant le Navajo, c'est sa voix. Et sa voix est belle, pure et limpide, en contradiction complète avec son apparence. Elle a typiquement une voix de femme que tout homme rêverait d'aimer. Une voix surhumaine niant l'apparente infra-humanité de la locutrice. Martin et Ethan sont incapables de le remarquer, mais c'est dans la logique du récit. Car que dit-elle, cette voix angélique ? Elle dit que le nom de l'indienne n'est pas Look, qu'elle s'appelle du nom d'un oiseau s'envolant au loin mais que Martin peut l'appeler Look. Look, c'est à dire « apparence » ou « regard ». Elle sait déjà que Martin ne peut pas voir au delà de l'apprence qui la dénonce dans sa laideur, qu'il ne peut pas entendre cette autre vérité de beauté que révèlent la voix et le nom. Mais ce savoir est aussi celui de Ford vis à vis du spectateur. Au contraire de Hawks dans La captive aux yeux clairs, Ford n'essaie pas de prêcher l'amitié inter-raciale au prix de cette mascarade : la jolie petite indienne dont la beauté rentre dans tous les canons de la culture blanche dominante. Pour Hawks dans ce film, l'entente entre les races passe par l'identification et l'assimilation ; pour Ford, il s'agit plutôt de la reconnaissance et de l'acceptation de la différence radicale.

Mais la réplique de Look recèle un autre savoir : que le destin et l'agir de l'homme rouge sont le miroir de l'ignominie du Blanc, que l'indien porte le « regard » de la culpabilité. C'est une thèse de Ford qui se retrouve de film en film. Jeu de propriété et de contre-propriété par le feu dans drums along the mohawks ; disparition de Geronimo et des siens en même temps que de la cavalerie de Thursday dans Fort Apache ; passage des marchands d'armes dans le feu de l'enfer dans She wore a yellow ribbon ; enfermement tellement symbolique des enfants à l'intérieur d'une église poussérieuse dans Rio Grande ; identité de Scar et d'Ethan dans The searchers ; génocide nazi des indiens dans Cheyenne autumn. Toujours l'indien révèle la réalité noire de l'action du Blanc, qu'il la subisse ou la mime.

Pour en revenir à Look, le nom ne lui est pas donné volontairement par Martin, c'est seulement le mot qui revient sans cesse dans sa bouche pour lui parler. Un nom d'autant plus sérieux qu'il est involontairement attribué. Mais ce n'est que la perception que Martin a d'elle. Son nom véritable continue à être celui de l'oiseau et il atteste, autant que sa fuite, la continuité de son nomadisme.

En fait, j'ai l'impression que tout l'effort de Ford a été d'énoncer un discours minoritaire dans le cadre esthétique imposé par le discours majoritaire.

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Message par Borges Dim 13 Juin 2010 - 10:01

hello S.P; tout va?


Je connais un peu the searchers; à un moment j’ai voulu écrire un texte pour les spectres, jamais réussi à le finir ; tant de choses ont été dites ;

tes « analyses » du second paragraphe, c’est quand même très extérieur au film, je trouve, et assez condescendant

(elle est pas belle, mais elle a une jolie voix, elle a une âme merveilleuse, même si elle est laide ; et puis je vois pas en quoi le fait d’être laide en fait un « être infrahumain », ou semble en faire un être infrahumain ni pourquoi la voix l’élèverait au rangs d’ange ; je ne suis pas non plus pour les rhétoriques de « la différence radicale », c’est pas plus progressiste que celles de l’assimilation ; la laideur de l’autre est toujours aussi un argument raciste ; pq ford n’a-t-il pas construit cette méprise de mariage-achat autour d’une très jolie fille indienne ; notons, comme il est de règle, que le mariage de martin et de "wild goose" ne semble pas trop choquer le raciste ethan; il s'en moque, il en rit; le vrai drame "métaphysique" c'est quand les blanches "s'unissent" aux non-blancs )

le destin tragico-comique de "Look" ne peut provoquer au mieux que de la pitié, de la complaisance, du paternalisme; une politique de la pitié ; c’est en fait le truc avec les indiens, soit ils sont terribles, des monstres, soit plein de sagesse écologique, soit pitoyables ( automne cheyenne ) ; ford passe de la pitié à l’horreur et de l’horreur à la pitié ;

"Wild Goose" est un personnage comique, elle aide à libérer de la peur que provoquent les autres indiens ( Scar, en tête) ; dans le eastwood, josey wales, il y a le même truc : il y a le terrible indien, et puis le petit vieux comique, faire valoir. Elle remplit une fonction assez classique, celle du bouc-émissaire comique ; on se fout de sa gueule, et pour lui donner une certaine dimension tragique, on la tue, une fois morte, elle change de statut, on regrette ; les boucs-émissaires deviennent des dieux (comme le père de la horde sauvage, ou jésus, voir girard; on peut aussi penser au statut des "juifs", avant et après la Shoah...)

(je me souviens plus du nom d’un théoricien de la littérature us qui a bossé sur le bouc-émissaire objet de plaisanterie, plus ou moins violentes, cruelles )




Le nom de Look, comme tu dis, lui a été donné par erreur ( gag assez éculé)...

(comme disait nietzsche il revient aux maîtres de nommer, d'imposer des noms aux choses (cf l'exemple typique vendredi et robinson)


Croyant que martin l’appelle « Look », elle dit à martin, en navajo, ethan traduit, s’appeler oie sauvage s’envolant dans le ciel nocturne, mais qu'il peut l'appeler look si ça lui chante :



"She says her name is Wild Goose Flying in The Night Sky.
But she'll answer to "Look," if that pleases you."


(quels oiseaux s'envolent dans le ciel au début du film, lors de l'attaque de la maison?)


Une oie sauvage volant dans le ciel nocturne, ce qui est intéressant c’est qu’on retrouve cette wild goose dans une expression voisine du sens que tu cherches à dégager, "wild goose chase" : « A futile search » (le film c’est the searchers) ; une errance sans fruit, inutile ; une poursuite sans fin ; ainsi, on pourrait dire que ce nom, à travers cette expression, nomme moins le propre être de "Look" que celui d’Ethan ; elle leur dit ce que tout le monde leur dit, qu’ils perdent leur temps ; l’errant, c’est ethan, n’oublions pas ; et c’est une malédiction, l’errance, dans la culture biblique ; scorsese faisait remarquer qu’il est condamné à errer pour avoir crevé les yeux de l’indien mort (afin de l’empêcher de gagner son paradis)… mais ça remonte bien plus loin ; il était déjà un errant avant cela ; un capitaine achab ; mais si on lie cette errance, dite dans l’expression tirée du nom indien de « Look », et le nom qu’elle croit lui avoir été donné par Martin, on une espèce de lien de cause-effet, renversé : "vous allez errer sans fin parce que vous m’avez privée de mon nom, comme vous avez privé cet indien mort de son « look », de son regard ; dans le film c’est moins l’apparence que le regard dont il s’agit ; Martin dit à la fille « regarde, vois », comme on dit « écoute », pour lui faire comprendre qu’il y a erreur et qu’il ne veut pas d’elle…





Ce truc sur le « nom » (un des grands sujets de ford) il faut l’inscrire dans le film, c’est l’un de ses grands thèmes ; dès le début, il y a entre ethan et martin un différend, quand il l’appelle uncle, plus tard,





MARTIN
Somethin' mighty fishy about this
trail, Uncle Ethan...

ETHAN
Stop callin' me 'uncle'...I ain't
your uncle.

MARTIN
Yes, sir.

ETHAN
Don't have to call me 'sir' neither...
Nor grampaw neither...Nor Methuselah
neither...



Si on met ça en relation avec la facilité avec laquelle « look » accepte qu’on l’appelle « look » ; là encore, sa soumission la distingue des personnages féminins fordiens, de laurie par exemple ;

Notons que ce que dit « Look », c’est pas nécessairement ce que traduit Ethan ; quand on sait que les chants supposés être de guerre avant l’attaque de la bande à wayne au début de la recherche sont en fait des chants de fête, ou de mariage ( je me souviens plus) ;

dans "cheyenne automne", c’est encore plus marrant, d’après tony hillerman, (l’auteur des fameux romans policiers situés dans une réserve navajo ; c’est très bien).

Dans « les clowns sacrés », un des personnages dit que "Cheyenne Autumn" est un des films favoris des navajos, pas pour ses qualités cinématographiques, ou historiques, ou parce que le film se situe du côté des indiens... Dans l’une des scènes du roman, Chee (le flic navajo héros) amène Janet, sa copine blanche avocate, et un autre flic, un cheyenne, voir le film de ford. Le cheyenne ne comprend bien sûr pas, puisque le rôle des cheyennes est tenu par des navajos, et Chee traduit pour lui; c'est très loin des versions officielles du film. Ainsi lors de discussions très sérieuses sur le traité de paix, ce que racontent les navajos n’a rien à voir avec la situation, les types racontent des trucs sexuels, grivois; ils parlent, par exemple, de la taille du sexe d’un officier ; j’ai aussi lu qu’ils racontent des blagues salaces sur ford et wayne.


(politique des minorités)


je comprends pas pourquoi tu essayes de faire de ford un deleuzien; il est assez grand par lui-même ; et ce film est d’une telle force, d’une telle richesse.

ou alors il faut aller bien plus lentement, plus subtilement;

le mineur, c'est quand même quelque chose de bien déterminé, chez deleuze;


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Message par Invité Lun 14 Juin 2010 - 9:23

Salut Borges,

tout va bien. Tranquille, si c'est le sens de ta question... Cool

J'ai déjà entendu parler de l'anecdote sur la signification réelle des paroles des indiens dans Cheyenne autumn. Je ne connaissais pas la source que tu cites mais McBryde en touche un mot je crois dans son autobiographie... ou Vancheri dans son livre sur The Searchers... Je trouve assez marrant comme subversion de l'image que le western veut leur imposer. Mais il ne faut pas perdre de vue que Ford comprenait assez bien le Navajo (toujours d'après McBryde) et ne devait pas ignorer cette petite revanche indienne. Au minimum, il s'en foutait. Peut-être aussi que ça le faisait bien rire. Mais on peut encore envisager que c'était en accord avec son propre projet filmique. On a souvent reprocher au film de ne pas vraiment parler des indiens mais laisser parler les indiens était peut-être une forme de compensation en même temps qu'une subversion discrète mais substantielle.

Sinon, je n'essaie pas de faire de Ford un deleuzien. C'est juste un truc qui m'est tombé dessus. Je n'ai pas encore trouver de meilleur cadre pour penser ce que je vois chez Ford. Pour autant, je ne suis pas très à l'aise avec l'appréhension conceptuelle des choses et j'ai bien conscience que quelque chose se déplace dans l'utilisation que je fais des concepts de Deleuze. Mais Deleuze lui-même n'avait pas l'air dérangé par ce genre de déplacement, par exemple quand il se réjouissait que des surfeurs identifient le pli à leur sport favori. Passage facile du concept à la figure, donc de la philosophie à une autre forme de penser, qui ne lui échappait surement pas.

Ceci dit, je crois que l'idée d'un cinéma fordien mineur est assez justifiée, au moins comme approximation et dans l'appréhension que j'ai de l'oeuvre de Ford. C'est à dire comme d'une esthétique reprenant toute la typologie dominante pour la faire fuir de partout, ne pouvant la faire fuir qu'en la reprenant, ne pouvant tracer son écart que dans une identité. L'écart alors est quasi imperceptible et pourtant radical. Sommes-nous d'accord sur cette définition approximative de la minorité ?
C'est aussi pourquoi il m'est compliqué d'aller plus subtilement ou plus lentement. Il y a un moment de rupture du sens qui se reconstitue plus loin. La rupture, c'est de ne plus pouvoir voir en Ford un moralisateur approprié au puritanisme anglo-saxon mais un moraliste catholique irlandais dont toute la pensée est ordonnée à une téléologie paradoxale. Ce qui se reconstitue, c'est justement cette téléologie paradoxale.

Tu parlais déjà de téléologie au début de notre discussion, dans le topic A la revoyure. D'une téléologie US de la conquête du pays, de son établissement... La fameuse « destinée manifeste », non ? Mais la formule recouvre en définitive une expansion territoriale infinie : après la côte Pacifique, Hawaï, Cuba, l'Amérique Centrale, l'Europe, le Moyen-Orient. Les Usa on toujours un territoire à établir par la conquête. Et ce n'est pas seulement une question conjoncturelle mais c'est lié à un fond idéologique, à une certaine idée téléologique : l'établissement du Royaume de Dieu, qui ne peut être qu'universel (Delumeau en parle très bien dans le second volume de Mille ans de bonheur). La destinée manifeste comme conquête territoriale en est l'aspect le plus directement politique. L'établissement du Royaume, c'est à la fois l'appropriation DU territoire et l'appropriation AU territoire. Le Salut concerne les appropriés. C'est le discours moralisateur puritain à l'aune duquel les films de Ford sont classiquement analysés.
À ce discours, on peut opposer l'apocatastase d'Origène. Le Salut concerne toute la création, sans discrimination entre saints et pêcheurs, anges et démons. L'instauration du Royaume, c'est la restauration universelle, le temps où Dieu est « Tout en tous ». Mais que devient le but, le telos ? Il est Tout, c'est à dire qu'il n'y a pas de lieu où il ne soit pas, pas de territoire approprié par rapport à un territoire qui ne le serait pas. Il est en tous, c'est à dire qu'il n'y a pas de condition personnelle à son obtention, pas d'appropriation morale. Pour cette téléologie (platonicienne et non aristotélicienne), le telos est inconditionné et ne conditionne plus le mouvement. Il n'y a que le corps de Dieu, qui est l'Un et le Vivant, sur lequel les sauvés (tout l'univers) inscrivent leurs trajectoires libres et en dehors de toute détermination rétrospective, aucune nécessité de gagner le Salut par les moeurs, la conduite, etc... Le plus grand paradoxe étant que la liberté moléculaire est directement branchée sur la destinée collective molaire (et ça, je pense que ce n'est plus du tout deleuzien, même si Deleuze, nourri de son propre aveu par la scolastique de Duns Scott, permet de le penser). Ce que je vois chez Ford, c'est une tentative de penser dans l'Histoire US cette différencitaion des trajectoires n'engageant aucune discrimination sotériologique.

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Message par Invité Lun 14 Juin 2010 - 9:24

Il n'y a pas de vision pure, pas de regard qui puisse s'abstraire d'une théorie implicite ou explicite et qui l'informe. La liberté de penser est une vieille blague face à la difficulté de penser librement. Tu crois pas ?

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Message par Invité Lun 14 Juin 2010 - 9:28

Je ne connais visiblement pas aussi bien The Searchers que toi, j'aurais donc bien du mal à te répondre dessus de façon convaincante.
Par contre, je connais plutôt bien Young Mister Lincoln et j'y reviendrai bientôt pour essayer de donner un exemple de ce que j'affirme plus haut.

Faut-il se réjouir ou déplorer de ce que la télépathie n'existe pas ; en tous cas je ne la pratique pas et je ne peux pas te "faire voir" ce que je vois ; il faudra bien en passer par le texte.

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Message par Invité Lun 14 Juin 2010 - 11:22

Il y a aussi la question, connexe, du rapport du cinéma de Ford à la Loi et à la liberté.
Il y a un processus dialectique, une double négation de la liberté selon le monde à la Loi et de la Loi à la liberté en Dieu. La Loi n'y est que le passage du monde à Dieu ; spirituellement, c'est un lieu vide et pourtant elle est toute la substance de l'Histoire, du pélerinage de l'humanité dans le temps.
Liberté mondaine de Douglas et des habitants de Springfield, Loi de Lincoln, liberté en Dieu de la famille Clay. Cette dernière est aussi une liberté en Christ, dans la faiblesse du crucifié.

Ernst Bloch : "car l'Etat, c'est le diable - le substantiel, la liberté des enfants de Dieu."

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Message par gertrud04 Lun 14 Juin 2010 - 11:56

Borges a écrit:[justify] Dans l’une des scènes du roman, Chee (le flic navajo héros) amène Janet, sa copine blanche avocate, et un autre flic, un cheyenne, voir le film de ford. Le cheyenne ne comprend bien sûr pas, puisque le rôle des cheyennes est tenu par des navajos, et Chee traduit pour lui; c'est très loin des versions officielles du film. Ainsi lors de discussions très sérieuses sur le traité de paix, ce que racontent les navajos n’a rien à voir avec la situation, les types racontent des trucs sexuels, grivois; ils parlent, par exemple, de la taille du sexe d’un officier ; j’ai aussi lu qu’ils racontent des blagues salaces sur ford et wayne.

Dans un documentaire très intéressant « Hollywood et les indiens » passé récemment sur Arte, on voit effectivement une séquence de Cheyenne autumn où des chefs indiens (faux cheyennes-vrais navajos) se paient la tête de l’acteur jouant l’officier en le traitant de « langue de vipère fourchue rampant dans sa propre m… », ce qui n’a évidemment rien à voir avec les sous-titres sensés traduire leurs paroles.

Un autre truc drôle, c’est la façon dont on montre comment à partir des années 30, on crée une image de l’indien type (c’est-à dire sauvage) y compris sur le plan vestimentaire en généralisant par exemple le port du bandeau alors que celui-ci était très peu porté par les indiens eux-mêmes. Ce bandeau deviendra par la suite très tendance dans les années 60 parmi les hippies qui en croyant s’habiller à l’indienne relancent en fait une mode initiée par Hollywood.

Enfin dernière note d’humour : l’extrait du Richard Pryor show où un comique indien Charlie Hill commence sa prestation par « lot of you, white people, you never saw an indian doing a stand up comedy before…like for so long, you probably thought that Indian never had a sense of humour, …whatever you weren’t too funny either…” : https://www.youtube.com/watch?v=f3ismmzVAsM

Pour ceux que ça intéresse, le doc repasse le 16 juin.

Borges, j’espère que ton article sur the searchers verra le jour, j’aime tellement ce film. J’avais déjà été passionné par l’article que tu avais mis en ligne "Race, Racism and the Fear of Miscegenation in The Searchers".
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Message par Invité Lun 14 Juin 2010 - 13:44

gertrud04 a écrit:
Dans un documentaire très intéressant « Hollywood et les indiens » passé récemment sur Arte, on voit effectivement une séquence de Cheyenne autumn où des chefs indiens (faux cheyennes-vrais navajos) se paient la tête de l’acteur jouant l’officier en le traitant de « langue de vipère fourchue rampant dans sa propre m… », ce qui n’a évidemment rien à voir avec les sous-titres sensés traduire leurs paroles.

Hello gertrud, je suis tombé aussi sur ce doc il y a quelques semaines. Il y avait des choses intéressantes et d'autres vraiment plus consternantes, comme ce passage où un prof fait voir à des gamins indiens le film Little Big Man. On a le droit à la musique pesante en fond et aux gros plans sur les visages des gosses qui regardent le film. Et puis c'est tout, ça s'arrête là, le genre de truc, de pédagogie par le cinéma sans aucun intérêt...

Un autre truc drôle, c’est la façon dont on montre comment à partir des années 30, on crée une image de l’indien type (c’est-à dire sauvage) y compris sur le plan vestimentaire en généralisant par exemple le port du bandeau alors que celui-ci était très peu porté par les indiens eux-mêmes. Ce bandeau deviendra par la suite très tendance dans les années 60 parmi les hippies qui en croyant s’habiller à l’indienne relancent en fait une mode initiée par Hollywood.

Les ethnologues te diront que c'est ce qui est en train de se produire actuellement et depuis quelques années, dans la réalité, dans un pays comme la Chine qui s'est lancé à fond dans le développement du tourisme autour de folklores qui seraient soi disant propres aux divers minorités mais qui sont en fait imposés par le pouvoir central.

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Message par Invité Lun 14 Juin 2010 - 13:45

Borges a écrit:
(je me souviens plus du nom d’un théoricien de la littérature us qui a bossé sur le bouc-émissaire objet de plaisanterie, plus ou moins violentes, cruelles )

Si tu as des précisions Borges, ça m'intéresse. Wink

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Message par Borges Lun 14 Juin 2010 - 14:47

C'est Northrop Frye; terrible j'arrivais pas à retrouver; il est vrai que je l'ai lu, il y a des siècles, et pas beaucoup, seulement son classique : "anatomie de la critique" (un des grands livres de l'histoire de la critique littéraire); il parle pas beaucoup de cinéma (enfin, je crois; en dehors de Chaplin) mais il est évoqué par Cavell dans son livre sur les comédies de remariage, comme une référence décisive (ses travaux sur Shakespeare); pour le bouc-émissaire, il est cité par derrida dans son texte sur platon (la pharmacie de platon); je le croyais usien, mais il est canadien (et aussi mort) :

et le voilà, en photo;
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Message par Borges Lun 14 Juin 2010 - 14:52

Hello gertrud04; ça va? ça faisait un temps
Wink


j'espère aussi; the searchers est un film tellement extraordinaire...
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Message par gertrud04 Lun 14 Juin 2010 - 15:55

JM a écrit: Hello gertrud, je suis tombé aussi sur ce doc il y a quelques semaines. Il y avait des choses intéressantes et d'autres vraiment plus consternantes, comme ce passage où un prof fait voir à des gamins indiens le film Little Big Man. On a le droit à la musique pesante en fond et aux gros plans sur les visages des gosses qui regardent le film. Et puis c'est tout, ça s'arrête là, le genre de truc, de pédagogie par le cinéma sans aucun intérêt...

Bonjour JM, c'est vrai, c'était pas le meilleur du doc mais quand même j'ai appris plein de trucs notamment l'histoire de Chief Buffallo Child Long Lance, héros de The silent ennemy (une fiction muette consacrée à la vie de certains indiens) au destin tragique puisque cet acteur s'est suicidé devant la crainte de voir sa double origine (indienne et africaine) révêlée.
Ou encore celle d'un autre acteur Iron Eyes Cody, sicilien d'origine habitant la Louisiane qui témoin des lynchages de siciliens par les irlandais, s'était tourné vers la culture indienne au point de croire à la fin de sa vie qu'il était un native american.
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Message par Invité Mar 15 Juin 2010 - 13:20


Peut-être vais-je errant par de lourdes montagnes
en veines dures, seul comme un minerai ;
profondément enfoui, à tel point que distance
et but me manquent : tout est devenu proche
et tout proche est devenu pierre.

Je ne suis pas encor passé maître en souffrance –
et cette immense obscurité me rapetisse ;
mais si c'est toi : fais-toi plus lourd pour m'investir :
que toute ta main vienne à moi
comme à toi je viendrai entouré de ma gangue.

[...]
Fais-moi gardien de tes espaces,
fais-moi veilleur sur ton rocher,
donne-moi d'ouvrir grands les yeux
sur l'isolement de tes mers ;
fais-moi, suivant le cours des fleuves,
quitter les cris de leurs rivages
pour pénétrer profondément le chant des nuits.

Envoie-moi dans tes déserts
que balaient les vastes vents,
où de grands cloîtres, comme des robes,
vêtent des vies jamais vécues.
Je veux m'y joindre aux pèlerins –
nul mensonge ne m'éloignera
de leurs voix ni de leurs formes –
et derrière un vieillard aveugle
poursuivre le chemin que personne ne sait.

[…]
O Seigneur, donne à chacun sa propre mort,
la mort issue de cette vie
où il trouva l'amour, un sens et la détresse.

[…]
O toi qui sais, toi dont l'immense science
te vient de pauvreté, de trop de pauvreté :
fais qu'on ne chasse plus les pauvres
ni que le mépris les piétine.
Les autres sont comme déracinés ;
mais eux, enracinés comme une fleur,
embaument comme la mélisse
et leur feuille est tendre et dentelée.

Regarde-les : qui peut s'y comparer ?
Ils bougent comme proie du vent,
reposent comme chose que l'on tient dans sa main.
Dans leurs yeux brillent le solennel
obscurcissement des claires prairies
où tombe une rapide pluie d'été.

Ils sont si effacés : presque semblables aux choses.
Quand on les invite chez soi,
on dirait des amis qui se sont retrouvés,
se confondant avec les objets les plus humbles,
jetant le mat éclat d'un paisible ustensile.

Ils sont comme gardiens de trésors enfouis
qu'ils ne virent jamais eux-mêmes, –
portés comme une barque par les profondeurs,
étalés et ouverts
comme du linge étendu sur un pré.

Et vois comme vivent leurs pieds :
tels ceux des animaux mille fois enlacés
aux chemins : pleins de ressouvenances
de pierres et de neige et de prairies légères,
jeunes et fraiches, où souffle le vent.

Ils souffrent de l'immense souffrance
d'où l'homme chut en de petits soucis ;
le parfum des herbages et l'arête des pierres
sont pour eux un destin, – mais ils les aiment
et vont par l'espace que tu vois
comme des mains courent dans une harpe.

Et leurs mains sont des mains de femmes
faites pour quelque maternité ;
joyeuses comme oiseaux qui bâtissent leur nid, –
chaudes en leur étreinte, calmes en leur confiance,
on peut les prendre comme un verre.

Leur bouche est bouche de statue qui ne connut
jamais le chant, le souffle ou le baiser,
vivante cependant d'une vie qui passa
et reçut tout, formée par la sagesse,
– elle s'arque à présent, comme omnisciente, –
et n'est pourtant qu'objet, pierres et parabole...

Et leur voix s'en vient de très loin,
elle est partie dès avant l'aube,
errante en des forêts et depuis des semaines,
elle a causé en rêve avec Daniel,
a vu la mer et parle de la mer.

Et lorsqu'ils dorment, ils sont comme rendus
à tout ce qui, doucement, nous les prête
et largement les distribue
comme du pain dans les jours de disette
aux minuits et aux aurores
et sont, comme pluie, toute chute
dans la jeune fertilité d'une ombre.

Il ne reste alors plus de cicatrice de leur nom
sur leur corps qui, prêt à germer,
se couche en le sillon, graine de cette graine
d'où tu naîtras de toute éternité.

Rainer Maria Rilke, Le livre de la pauvreté et de la mort

Borges, ça m'intéresserait aussi de lire ton texte sur The Searchers.

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Message par Invité Mar 15 Juin 2010 - 14:05

L'article des Cahiers sur Young Mister Lincoln part de l'idée qu'il y a un retour du Père dans la figure lincolnienne, retour inconscient et qui viendrait perturber le projet de Ford.
Il me semble au contraire que le film prend toute sa cohérence si on part de l'idée inverse, que le projet est justement la peinture de l'accession de Lincoln à la place de Père originaire.

Je retrouve les signes du même fil psychanalytique dans The Searchers.
Quand Ethan est blessé et qu'il se pense mourant, il rédige son testament en faveur de Martin, en déshéritant Debbie. Il fait ainsi de Martin son plus proche parent, il l'adopte comme son fils. Mais la réaction de Martin est immédiate : « I want to kill you. » Expression littérale du désir œdipien.
Finalement, c'est Scar que Martin tue. Mais l'existence d'un lien intime entre Scar et Ethan est assez évidente : le partage des langues, l'échange de l'insigne, l'errance. En tuant Scar, il tue le substitut du Père, symboliquement la paternité de Ethan. Et cette mort est suivie presque immédiatement du retournement de Ethan, qui recueille Debbie plutôt que de l'exécuter.
La mort de Scar est rendue en trois plans : une contreplongée sur Martin et Debbie qui pousse un cri ; un contrechamp sur les pieds de Scar ; un retour au premier cadrage où Martin se redresse pour dégainer et tirer. Les pieds sont utilisés aussi bien dans Young Mister Lincoln que dans My Darling Clementine pour signaler le complexe d'œdipe. Et au moment de tirer, Martin se relève jusqu'à ce que ses yeux disparaisse en haut du cadre : il est littéralement frappé d'aveuglement quand il tue le substitut du Père.

Je crois qu'il y a là quelque chose à creuser.

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Message par Borges Mar 15 Juin 2010 - 16:04

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Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement.
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