S21 de Rithy Panh et la question documentaire

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Message par Le_comte Mer 21 Oct 2009 - 9:18

Il n'est plus à prouver l'importance du film de Rithy Panh aux yeux de l'histoire mais aussi du cinéma. Conscient de la tradition dans laquelle il s'inscrit -celle d'un questionnement sur l'image- S21 opère un choix singulier : plutôt que de choisir la doctrine de l'irreprésentable, les protagonistes du récit en viennent à revenir sur les lieux sur lesquels les bourreaux et l'un des rares survivants se mettent à table pour arpenter la mémoire et briser le silence à l'aide de la parole.

Le choix de Panh est donc clair : essayer de filmer avec ces personnes, à côté d'elles, construire une image qui représenterait quelque chose, une vérité ou une croyance, un exorcisme même. Ou comment croire au caractère salvateur de l'image et à sa puissance de mémoire, même si l'intention du cinéaste n'était pas de commémorer quelque chose, mais plutôt d'agir sur les hommes et combler ce silence qui apparaît comme un trou dans l'histoire cambodgienne.

Nulle n'est ici ma volonté de discuter l'importance du film. Néanmoins, un procédé douteux orchestre l'ensemble. La force du film tient aux reconstitutions a postériori des conditions "réelles" du camp : les bourreaux sont mis en scène et refont leur quotidien comme auparavant. Ici, ce n'est plus un travail de mémoire qui s'opère, mais la dictature d'un regard. Que veut nous dire Panh par là ? Que si c'était à refaire, les bourreaux n'hésiteraient pas un seul instant. Ils sont toujours convaincus de la raison de leur engagement et de leur idéologie et, surtout, ils accomplissent toujours avec cette froideur déconcertante les actes du passé, sans regrets, sans sentiments.

Ici, le regard de Panh, la caméra donc, se pose en l'équivalent de l'Angkar, c'est-à-dire la puissance qui contrôlait les actes de barbaries. Reconstituer de la sorte, c'est se mettre dans l'exacte position de l'esprit idéologique du passé qui a commandé ces crimes. Panh n'accompagne plus ces hommes, ils ne cherchent plus à les libérer par la parole, il identifie son geste à celui de l'idéologie dominante (l'Angkar). Il pourrait dire, lui aussi, qu'il est victime, et qu'il n'a rien à se reprocher parce que les ordres viennent d'en haut. Il se déresponsabilise, à la manière d'un procès de Nuremberg si l'on veut, et pour pousser la comparaison à son paroxysme.

Dès lors, que doit être un documentaire pour respecter entièrement les hommes filmés ? Quel regard adopter, quelle idéologie prôner, pour être sûr de ne pas tomber dans un tel travers (la caméra de Panh= ordre supérieur qui dicte les massacres. Ou est le travail ?) ? Comment filmer de tels sujets tout en effectuant un travail de mémoire ? Est-il possible de le faire sans aller contre les hommes et femmes qui ont constitué l'histoire ? En gros : qu'est-ce qu'un grand documentaire (Panh ne cherche-t-il pas à choquer aussi, à se faire à nom, etc ?) ?

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Message par Borges Mer 21 Oct 2009 - 10:20

Dès lors, que doit être un documentaire pour respecter entièrement les hommes filmés ?

De manière absolue, on pourrait dire que dès que je filme, représente l'autre, je lui manque de respect; non? Cela pourrait se défendre, depuis l'interdit de la représentation, et depuis Lévinas (la relation à l'autre, la relation éthique, est de l'ordre de la parole adressée....); il faudrait filmer en filmant ce qui ne se filme pas, ce qui ne tient pas dans l'image, nécessairement finie, cadrée, il faudrait filmer l'idée de l'infinie...mais là , c'est une autre histoire, puisque cela ne se filme pas...filmer l'autre en donnant l'idée de son infinité...si on place tout ça dans l'ordre du respect... qui, disait Kant ne s'adresse pas aux hommes, mais à la loi morale...comment filmer avec respect un bourreau?
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Message par Le_comte Jeu 22 Oct 2009 - 18:34

Oui Borges, filmer l'infini, rompre la finitude du cadre...

Mais comme c'est "impossible" (vraiment ?), il faut faire avec le matériau. Et donc, concernant le documentaire, peut-être pouvons-nous poser cette question, qui est essentielle, en paraphrasant Badiou : le cinéma documentaire as-t-il déjà filmé à hauteur de La nuit des prolétaires ?

Il suffit d'inspecter son histoire pour se rendre compte que les cas ne sont pas nombreux.

Par contre, pour trouver un film qui pense comme La nuit, Il y a bien sûr eu En avant jeunesse, mais ce n'est pas à proprement parler un documentaire.

Cette question se pose-t-elle uniquement au documentaire ? Peut-être bien. La fiction ? Quand elle est consciente de cet impératif moral, s'engage d'emblée dans cette voie. Le cinéma américain ? Oui, le cinéma classique, en partie, et les rejetons (Linklater...). Le documentaire ? Non, car trop centré sur la révélation et, surtout, sur la dénonciation, et cela au profit de l'idéologie.

comment filmer avec respect un bourreau?

Excellente question. Ce que n'a pas réussi, à mon sens, Panh (est-ce un grand cinéaste ?). Il ne tient pas son pari de construire un nouvel espace, situé dans la durée même du film, dans l'avenir donc, pour les bourreaux. Maintenant, je ne saurais pas répondre, c'est au dessus de mes faibles moyens ! Il y a les bourreaux et la fameuse machine... Pour rappel, les bourreaux se considèrent aussi comme des victimes, ils se déresponsabilisent... Comment filmer la reconstruction ?

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Message par Eyquem Jeu 22 Oct 2009 - 23:10

Je continue le pilonnage (mais vos remarques m'y invitent) :
Au contraire de ce qui se passe dans la logique toute-puissante du spectacle, le geste documentaire prend acte de ce que tout n'est pas possible dans les films, de ce que tout n'est pas filmable. (...) La liberté de création que nous revendiquons est limitée d'abord par la part qui se refuse ou qui échappe à la mise en spectacle. La pratique documentaire est une sorte d'ascèse où l'on accepte d'être contraint par la résistance des faits, des choses, des corps, des situations, des femmes et des hommes qui ne sont pas à notre service, à notre main, qui ne sont ni mobilisables ni modulables à volonté : ceux qui entrent dans nos films ne seront pas floutés.
JL.Comolli, Cinéma contre Spectacle, Verdier - 18.50 € !


C'est peut-être dans cette résistance des faits, leur part infilmable, qu'une idée de l'infini descend dans le plan, comme une araignée.
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Message par Invité Ven 23 Oct 2009 - 1:06

Eyquem a écrit:Je continue le pilonnage (mais vos remarques m'y invitent) :
Au contraire de ce qui se passe dans la logique toute-puissante du spectacle, le geste documentaire prend acte de ce que tout n'est pas possible dans les films, de ce que tout n'est pas filmable. (...) La liberté de création que nous revendiquons est limitée d'abord par la part qui se refuse ou qui échappe à la mise en spectacle. La pratique documentaire est une sorte d'ascèse où l'on accepte d'être contraint par la résistance des faits, des choses, des corps, des situations, des femmes et des hommes qui ne sont pas à notre service, à notre main, qui ne sont ni mobilisables ni modulables à volonté : ceux qui entrent dans nos films ne seront pas floutés.
JL.Comolli, Cinéma contre Spectacle, Verdier - 18.50 € !


C'est peut-être dans cette résistance des faits, leur part infilmable, qu'une idée de l'infini descend dans le plan, comme une araignée.

je ne comprends pas très bien ce que veut dire Comolli, c'est la définition du cinéma-vérité ça?

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Message par adeline Ven 23 Oct 2009 - 9:58

Hello, Breaker, tous,
je veux venir discuter plus longtemps avec vous, dès que je pourrais lire tranquillement ce que vous écrivez. Juste à propos de ce qu'écrit JLC dans la citation d'Eyquem, Breaker, JLC parle à mon avis simplement de ce qu'il se passe forcément en documentaire dès lors qu'on accepte l'idée qu'on ne peut pas maîtriser ce qu'il se passera au tournage. Le cinéma-vérité suppose d'autres partis-pris, en plus de celui-ci. Tourner avec le plein assentiment de ceux que l'on filme, sans qu'ils soient des acteurs payés que l'on puisse moduler à volonté, suppose que le film prenne la tangente au tournage. Soudain on ne peut pas filmer ce qu'il se passe, et pourtant cela sera aussi le film. Soudain il ne se passe pas du tout ce que l'on attendait, et cela sera le film.
Dans La Bête lumineuse, Perrault n'imaginait sans doute pas avant la chasse qu'elle serait un échec. Il se retrouve à filmer une chasse, légendaire, qui n'a pas lieu.

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Message par Invité Ven 23 Oct 2009 - 13:46

salut Adeline, je ne connais pas le film dont tu parles, mais il me paraît d'abord bien plus profitable de saisir la particularité des films que de partir d'énoncés théoriques ronflants(du pilonnage!)... Est-ce que le film documentaire est davantage limité "par la part qui se refuse ou qui échappe à la mise en spectacle", rien n'est moins sûr!, en ça j'ai pas mal appris avec la méthode Wiseman, notamment son insistance sur la manipulation du matériau, qu'il est tout aussi possible de "trahir" les gens qu'on filme. Dans les interviews, on ne cesse de lui demander: vous avez voulu dénoncer l'éducation dans High School?, et il répond que non, qu'il a filmé à partir d'un lieu précis, à un moment donné ; il résiste largement aux commentaires sociologiques des critiques qui l'interrogent... Alors il tourne High School 2, qui va nuancer toute la charge contenue dans High School tourné en 68...
La pratique documentaire est une sorte d'ascèse où l'on accepte d'être contraint par la résistance des faits, des choses, des corps, des situations, des femmes et des hommes qui ne sont pas à notre service, à notre main, qui ne sont ni mobilisables ni modulables à volonté : ceux qui entrent dans nos films ne seront pas floutés.

Il y a cette série sur l'école "La loi du collège" de Mariana Otero, qui revendique en l'occurrence ce commentaire sociologique qu'on prête à Wiseman, elle filme d'un collège de banlieue réputé "difficile", et elle amène cette idée que tous les collèges de banlieue broient les gamins. "Grandir au collège", un film documentaire de André Van In, qui part d'un collège de banlieue réputé difficile(localisé lui-aussi dans la banlieue parisienne), et là on découvre des profs qui ne sont pas hystériques, pères-fouettard, mais une réflexion concertée, patiente, sur un milieu difficile.


je reviendrais sur ce que tu dis Le_comte, désolé ici d'avoir un peu dévié le sujet.

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Message par Borges Ven 23 Oct 2009 - 13:59

Bien entendu, mais il ne faut pas non plus confondre un documentaire et je ne sais pas, par exemple, la guerre des étoiles; il y a la résistance du réel; comme disait l'autre, le réel, c'est quand tu te cognes... et dans le documentaire on se cogne au réel plus que dans un film de fiction, ordinaire; il faut peut-être distinguer le moment de l'enregistrement, et celui du montage; la théorie dans ce cas, c'est d'ignorer la spécificité des deux expériences; dans la fiction on filme ce qu'on a écrit, on construit le réel à filmer, qu'on reconstruit encore au montage, dans le documentaire on film un réel, qu'on construira ensuite... idéalement, en terme d'idée...il y a de l'infilmable, de l'impossible dans les deux cas, mais il n'est pas de même nature...

si on peut trahir dans le documentaire, on ne peut pas dans la fiction, pas de la même manière, on peut trahir dans le documentaire, parce qu'il y a quelque chose, qui était là, qui arrivait... je ne vois pas ce que peut trahir de déjà donné, le cinéma-spectacle...
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Message par Borges Ven 23 Oct 2009 - 14:04

La pratique documentaire est une sorte d'ascèse où l'on accepte d'être contraint par la résistance des faits, des choses, des corps, des situations, des femmes et des hommes qui ne sont pas à notre service, à notre main, qui ne sont ni mobilisables ni modulables à volonté : ceux qui entrent dans nos films ne seront pas floutés.

Ascèse, si on accepte, dit C; on peut donc ne pas accepter... cette résistance des faits (et des tas de documentaristes le font); les faits, comme disait Arendt, c'est que Hitler a envahi la Belgique, et pas l'inverse, dans un documentaire, je ne peux que le dire, le montrer, si je fais du Tarantino, je peux raconter que la Belgique a envahi l'Allemagne.

Tout cela est complexe, naturellement; ontologie, épistémologie, et cinéma... comme enregistrement et comme montage...(mais le montage est déjà dans l'enregistrement)
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Message par Invité Sam 24 Oct 2009 - 9:53

Le_comte a écrit: le cinéma documentaire as-t-il déjà filmé à hauteur de La nuit des prolétaires ?

Il suffit d'inspecter son histoire pour se rendre compte que les cas ne sont pas nombreux.


salut Le_comte
la caméra documentaire s'est bien sûr déjà posée à hauteur des ouvriers, des paysans, des prisonniers, peut-être il faut simplement que tu lâches la nouvelle formule des Cahiers et toutes les anciennes niaiseries qu'elle contient pour explorer la richesse du documentaire...
Concernant Rithy Panh, si Borges et le poisson avaient vu quoi que ce soit de ses films, j'espère qu'ils t'auraient répondu autrement... Il faudrait aussi que tu lâches un peu ton ode permanente à Borges pour écrire sur les films que tu vois.

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Message par Borges Sam 24 Oct 2009 - 10:22

breaker a écrit:
Le_comte a écrit: le cinéma documentaire as-t-il déjà filmé à hauteur de La nuit des prolétaires ?

Il suffit d'inspecter son histoire pour se rendre compte que les cas ne sont pas nombreux.



Concernant Rithy Panh, si Borges et le poisson avaient vu quoi que ce soit de ses films, j'espère qu'ils t'auraient répondu autrement...

Salut Breaker;tout va?

Comme disait André Malraux, ce n'est pas au poisson qu'il faut demander ce qu'est un aquarium, mais à Borges.

(j'aime bien cette citation; et toi?)


Agenda (comme dans Marc Aurèle)

-Ne pas oublier de voir un film de Rithy Panh (comme j'ai en dvd, ça ne sera pas trop compliqué)
-Penser à voir quelques Fassbinder (ça ce sera pas simple)
-Chercher à plaire à Breaker (ma maxime)



Ne prends jamais les choses sous le point de vue où les voit celui qui t'insulte, ni au point de vue sous lequel il voudrait te les faire voir. Pour toi, ne les considère que dans leur réalité.
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Message par adeline Sam 24 Oct 2009 - 10:47

Salut Breaker,

toujours pas le temps de revenir sur le fond de la question de Le_Comte, mais quand tu dis que la caméra s'est déjà "posée" à hauteur des ouvriers, ça n'est pas heureux : la caméra doit donc descendre pour atteindre la hauteur des ouvriers, paysans et prisonniers. En soit, ça peut être positif, elle devrait filmer en contre-plongée, pour grandir tous ces gens, qui sont donc bien petits dans la vraie vie... Et tu évacues complètement la question de qui tient la caméra, qui serait pourtant fondamentale si on veut trouver dans le cinéma documentaire un équivalent de ce que Rancière décrit dans La nuit des prolétaires. Et ces exemples de caméra prise par les ouvriers, eux, ils ne courent pas les rues.

Excuse-moi pour les énoncés théoriques ronflants aussi : c'est vrai, toujours partir d'un film ! Suis-je bête, du concret du concret du concret.

Je pense qu'il est important de différencier le moment du tournage du moment du montage, dans la pratique.

Eh Breaker, encenser ou dénigrer ce que dit quelqu'un, par principe, n'est-ce pas un peu la même chose ? Wink

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Message par Invité Lun 26 Oct 2009 - 23:48

Le_comte a écrit:un procédé douteux orchestre l'ensemble. La force du film tient aux reconstitutions a postériori des conditions "réelles" du camp : les bourreaux sont mis en scène et refont leur quotidien comme auparavant...
Le "procédé" était déjà là dans Bophana, une tragédie cambodgienne(1996). Rithy Panh dira néanmoins qu'il était dû au hasard de la rencontre, pas du tout souhaité. Pour S21 la machine de mort khmère rouge(2002), la rencontre entre bourreaux et rescapés sera l'enjeu du film, et il me paraît que jamais un cinéaste ne s'est mis autant en danger ; il y a une tension démente qui menace vraiment la mise en situation, le dispositif du film, et cette tension passe dans le regard de Nath(le peintre), qui emporte tout le poids de la mise en scène bien davantage que la reconstitution faite par les bourreaux qui sont des zombies(pas d'avenir pour eux pour répondre à une de tes questions). Je crois qu'il y a quelque chose d'équivalent dans Shoah de Lanzmann.
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Le_comte a écrit:est-ce un grand cinéaste ?

oui, des plus importants.

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Message par Borges Mer 28 Oct 2009 - 13:24

Comparer ces deux questions

"Shakespeare est-il un grand écrivain"?

et

"Rithy Panh est-il un grand metteur en scène?

En quoi diffèrent-elles?

A la première question, puis-je répondre, et dans quelles circonstances :

"oui, des plus importants."

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Message par Le_comte Mer 28 Oct 2009 - 19:44

Salut Breaker ? Ça va mieux What a Face ?

Je ne sais pas si tu as vu Le Papier ne peut pas envelopper la braise (je n'ai pas vu les autres, mais je vais remédier à ça), mais là il me semblait que Panh accompagnait vraiment ces filles dans leur reconstruction, en tant que femme et être humain. Mais est-ce le cas vraiment ici ? Ne trouves-tu quand même pas qu'il y ait une ambiguïté plutôt dérangeante dans le dispositif ?

Je ne suis pas du tout convaincu, et à vrai dire le film m'a déçu pour cette raison là (j'en attendais pourtant beaucoup). On dirait qu'il ne veut pas choisir une approche ou une démarche, qu'il se heurte à son sujet en se rendant compte, sur le moment, qu'il filme l'impossibilité d'accompagner ces hommes, qu'importe leur "camps". Tu vas me dire que c'est peut-être le fond du film, mais n'est-ce pas un peu "faible" ?

Donc pourquoi, selon toi, est-ce un grand ? Je vais te choquer, mais il me donne l'impression de vouloir chercher la reconnaissance à travers des sujets aussi durs, et à la limite "bon pour se faire connaître", que le génocide. Je ne le sens pas sincère dans sa démarche, il se heurte presque à sa vanité (sur S21 du moins). On est loin d'un des aventures de Van der Keuken, Marker, voire encore Rouch. C'est mon impression. J'attends la tienne, toi qui a l'air de bien le connaître.

Sinon, pour revenir à la question première, Borges souligne bien ce point essentiel : "l'autre, dès qu'on le filme, on lui manque de respect". Oui, mais ne crois-tu pas qu'on lui manque encore plus de respect dans le documentaire ? Que le filmer dans son inscription dans la réalité, sans l'entremise du travail essentiel de la fiction, le rend encore plus étranger au dispositif, support, du documentaire ? Dans beaucoup trop de documentaires, même les meilleurs, l'humain semble relayé au second plan. Maintenant, bien entendu, il faut analyser ce regard, cette façon que je présuppose ici de "regarder les hommes".

En somme : Qu'est-ce que bien regarder pour mieux faire voir ? Et comment le documentaire (et qui ?) pourrait jouer un plus grand rôle la dedans, et même au détriment de la fiction ?

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Message par Invité Jeu 29 Oct 2009 - 10:19

Le_comte a écrit:

il me donne l'impression de vouloir chercher la reconnaissance à travers des sujets aussi durs, et à la limite "bon pour se faire connaître", que le génocide. Je ne le sens pas sincère dans sa démarche, il se heurte presque à sa vanité (sur S21 du moins).

C'est ton dernier mot? Tu bloques ces paroles?

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Message par Le_comte Jeu 29 Oct 2009 - 10:46

Pas du tout, j'attends pour éclaircir mes doutes, ne sachant pas très bien comment manœuvrer un cinéaste pareil. (C'est plutôt sa lignée avec Shoah qui m'interpelle, comme si on ne pouvait pas créer autre chose, comme si c'était un détour forcé. Bien sûr, il y a la rôle de la peinture,...). Il me parait néanmoins moins intéressant que d'autres documentaristes... Il a réalisé son devoir de mémoire, par ailleurs capital compte tenu du silence qui régnait au Cambodge. Mais cela suffit-il pour en faire un grand ? Et son regard ?

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Message par Borges Jeu 29 Oct 2009 - 12:42

Vu la fameuse machine de mort; et bien, c'est pas fameux; en dehors de quelques scènes, plans, dont le dernier, de l'idée de ce retour, et de la mise en scène, répétition des gestes, actes par les gardiens-tortionnaires c'est pas terrible ce film; j'ai failli m'endormir quelques fois; en plus j'étais même pas fatigué, et c'était pas tard, quand je l'ai vu; on ne sent, et ressent rien; ni l'horreur de la violence, ni le vide des âmes, ni la puissance froide d'un parti qui assassine comme on coupe des têtes de choux; cela reste nul; et, si aucun autre film de lui ne doit m'amener à modérer mon jugement, le mec est loin d'être un grand metteur en scène; ce n'est même pas un metteur en scène, c'est juste un gars qui a bénéficié de l'idéologie "nouvelle philosophie", barbarie à visage humain, et autre dénonciation des idéologies totalitaires....
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Message par Borges Jeu 29 Oct 2009 - 12:57

Une pensée de ce film devrait prendre en compte

-Image cinéma torture représentation....

-Apparence et invisible; selon Arendt la politique devient totalitaire dès qu'elle cherche à aller au-delà du régime du visible, dès que l'on se pose la question de l'intériorité; et c'est ça un tortionnaire, tenter d'aller au-delà de l'apparence....chercher le secret, ce que l'on déguise. Ce qui amène nécessairement à voir en tout être un ennemi possible....puisque de lui je n'ai jamais accès qu'à l"apparence, la seule manière d'arriver au-delà de ses hypocrisies, c'est la torture....La torture, c'est en un sens l'inverse du cinéma, d'une certaine forme de cinéma, c'est pourquoi sans doute, elle est inséparable de la pornographie, qui veut aussi voir ce qui ne se voit pas, le montrer; les tortionnaires sont toujours des violeurs, pas seulement de l'âme, ou de l'infini....
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Message par Borges Jeu 29 Oct 2009 - 13:27



Donc avec Levinas; on peut tenter d'écrire ceci :

Ici, je pose cette question des relations du metteur en scène au parti : le parti a obligé (on disait ça) ces gens à accomplir ces actes (torturer, tuer ; dans les règles), le metteur en scène les replace dans cette situation et leur refait rejouer ces actes ; les actes alors étaient réels, portaient sur des êtres réels ; dans le film, le réel disparu, n’en restent plus finalement que les dossiers, des photos, les lieux, les tortionnaires, cet espace vide, hanté, les actes se refont, se répètent, dans une espèce de jeu, de mise en scène, où le tortionnaire, le gardien devient une manière d’acteur, jouant son propre rôle ; la différence bien entendu, c’est qu’ici a disparu la victime ; mais on peut alors se demander si le parti à sa manière n’était pas un metteur en scène, si les tortionnaires n’étaient pas des acteurs ; on voit qu’on en arrive alors, à la mise en scène du pouvoir, au pouvoir comme mise en scène et représentation ; Levinas écrivait ceci : « Mais la violence ne consiste pas tant à blesser et à anéantir, qu'à interrompre la continuité des personnes, à leur faire jouer des rôles où elles ne se retrouvent plus, à leur faire trahir, non seulement des engagements, mais leur propre substance, à faire accomplir des actes qui vont détruire toute possibilité d'acte. Comme la guerre moderne, toute guerre se sert déjà d'armes qui se retournent contre celui qui les tient. Elle instaure un ordre à l'égard duquel personne ne peut prendre distance. Rien n'est dès lors extérieur. La guerre ne manifeste pas l'extériorité et l'autre comme autre; elle détruit l'identité du Même. »

Comment le metteur en scène peut-il se séparer du parti, de la mise en scène par le parti, de ses scénarios, de ses jeux ?

Il faut alors que se distinguent le dévoilement


(acte de la vérité comme savoir-pouvoir ; et tout le problème avec le voile, la burka est là ; il est inséparable de la guerre, de la violence techno-millitaro-scientifique….)

Et la révélation

C’est la question du respect ;

"La manifestation où l'être nous concerne sans se dérober et sans se trahir consiste pour lui, non point à être dévoilé, non point à se découvrir au regard qui le prendrait pour thème d'interprétation et qui aurait une position absolue dominant l'objet. La manifestation de soi par soi consiste pour l'être à se dire à nous, indépendamment de toute position que nous aurions prise à son égard, à s 'exprimer. Là, contrairement à toutes les conditions de la visibilité d'objets, l'être ne se place pas dans la lumière d'un autre mais se présente lui-même dans la manifestation qui doit seulement l'annoncer, il est présent comme dirigeant cette manifestation même présent avant la manifestation qui seulement le manifeste. L 'expérience absolue n 'est pas dévoilement mais révélation : coïncidence de l'exprimé et de celui qui exprime, manifestation, par là même privilégiée d'Autrui, manifestation d'un visage par delà la forme. La forme trahissant incessamment sa manifestation se figeant en forme plastique, puisque adéquate au Même, aliène l'extériorité de l'Autre. Le visage est une présence vivante, il est expression . La vie de l' expression consiste à défaire la forme où l'étant, s'exposant comme thème, se dissimule par là même. Le visage parle. La manifestation du visage est déjà discours. Celui qui se manifeste porte, selon le mot de Platon, secours à lui-même. Il défait à tout instant la forme qu'il offre."



C’est cela que j’appelle manquer de respect à l’autre en le filmant, le réduire à une forme, le cadrer.

De quel mystère nous parle de film, celui du mal ; mais le vrai mystère, c’est celui du Bien, de l’altérité métaphysique de l’autre ; on dira que le film s’en approche ; je ne sais pas.
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Message par Le_comte Jeu 29 Oct 2009 - 14:41

Borges a écrit:
le mec est loin d'être un grand metteur en scène; ce n'est même pas un metteur en scène, c'est juste un gars qui a bénéficié de l'idéologie "nouvelle philosophie", barbarie à visage humain, et autre dénonciation des idéologies totalitaires....

oui.

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Message par Invité Jeu 29 Oct 2009 - 16:14

Borges a écrit:selon Arendt la politique devient totalitaire dès qu'elle cherche à aller au-delà du régime du visible, dès que l'on se pose la question de l'intériorité; et c'est ça un tortionnaire, tenter d'aller au-delà de l'apparence....chercher le secret, ce que l'on déguise.
...
Comment le metteur en scène peut-il se séparer du parti, de la mise en scène par le parti, de ses scénarios, de ses jeux ?
d'abord faire la différence entre le statut des bourreaux et des victimes, ou des rescapés, pour bien comprendre que ton questionnement est idiot.

Il sort quand le numéro 4 des Zombies du Cinéma?

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Message par Borges Jeu 29 Oct 2009 - 17:44

breaker a écrit:
Borges a écrit:selon Arendt la politique devient totalitaire dès qu'elle cherche à aller au-delà du régime du visible, dès que l'on se pose la question de l'intériorité; et c'est ça un tortionnaire, tenter d'aller au-delà de l'apparence....chercher le secret, ce que l'on déguise.
...
Comment le metteur en scène peut-il se séparer du parti, de la mise en scène par le parti, de ses scénarios, de ses jeux ?
d'abord faire la différence entre le statut des bourreaux et des victimes, ou des rescapés, pour bien comprendre que ton questionnement est idiot.

Il sort quand le numéro 4 des Zombies du Cinéma?


Ne prends jamais les choses sous le point de vue où les voit celui qui t'insulte, ni au point de vue sous lequel il voudrait te les faire voir. Pour toi, ne les considère que dans leur réalité.



Remarques :

"Questionnement", je lutte depuis des années pour qu'on dise simplement "question".

"Mon questionnement" ça fait un peu théorico-prétentieux, je pense; c'est comme "ma problématique".

Je trouve meilleur :

d'abord faire la différence entre le statut des bourreaux et des victimes, ou des rescapés, pour bien comprendre que ta question est idiote.
Borges
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Message par Le_comte Ven 30 Oct 2009 - 21:51

Sinon, il y a les livres de François Niney qui sont pas mal sur le documentaire, et son interférence avec la fiction, etc. Je pense à L'épreuve du réel à l'écran, qui est un ouvrage vraiment très complet.

Le_comte

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Message par adeline Sam 31 Oct 2009 - 14:14

Je ne comprends pas ta remarque Breaker. La question n'est pas celle du partage entre les bourreaux et les victimes, mais celle de la représentation.
Rithy Panh demande aux anciens gardiens tortionnaires de rejouer, représenter leurs gestes. En cela, il joue le même rôle de mise en scène que celui que jouait l'Angkar au moment des faits, qui demandait, exigeait des gardiens l'accomplissements de ces gestes.

Pourquoi est-ce idiot de poser cette question ?

Je sais RP était prisonnier d'un camp de travail des Khmers rouges, et qu'il est une de leurs victimes. Cela n'empêche pas le fait que le metteur en scène du film se place dans la même position à l'égard des anciens gardiens que le parti.

Si je me souviens bien du film, il m'avait également laissé l'impression d'une grande froideur, et d'un certain ennui. Je n'avais pas ressenti grand-chose je crois. Tout en reconnaissant la force évidente de l'idée de faire rejouer aux gardiens dans les lieux, leurs gestes. Mais la confrontation avec le peintre est une impasse. Finalement, c'est comme s'il manquait au film la mise en question du point de vue du réalisateur.

adeline

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