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La Loi du marché (Stéphane Brizé - 2015)

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Message par adeline Dim 16 Aoû 2015 - 18:55

Une expérience qui se renouvelle toujours et qu'on ne risque pas de ne plus vivre : on entend du bien d'un film. On se dit, pour une fois, faisons confiance. À ces critiques qu'on trouve rarement bons, au festival de Cannes de merde, à ceux qui nous entourent avec qui on est quand même parfois d'accord. On a entendu que c'est un film fort, avec un choix formel presque radical, d'une grande intensité et sobre. On croit vraiment que Vincent Lindon risque d'être bon acteur, impressionnant. Bref, on y croit.

Et puis, une fois le film vu, on se dit : quelle merde. Je me suis fait avoir, encore une fois.

Car, que dire de ce film sinon qu'on a vu déjà mille fois ce qu'il montre, qu'on n'arrive pas à savoir de quoi il parle, qu'il est vraiment tout sauf radical ?

Ainsi de la scène d'ouverture qu'on m'avait décrite comme une prouesse : Vincent Lindon face à son conseiller du chômage n'en démord pas, il ne fallait pas l'inscrire à cette formation, qui lui a fait perdre quatre mois. Il le répéterait, le martèlerait avec opiniâtreté, puissance, il formerait un bloc de résistance. J'imaginais un plan séquence, peut-être frontal, un cadre pas trop serré pour une distance nécessaire, pas de contre-champs, etc. Et on a un truc mi-figue, mi-raisin. La caméra filme de biais, avec un cadre qui  ne dit rien, fait des aller-retour entre Vincent Lindon et le conseiller, tremblote évidemment puisqu'elle est portée (mais pourquoi ces foutues caméras ne sont jamais posées sur des foutus pieds ?), c'est morne, c'est gris, c'est glauque, c'est mou, c'est laid. Rien.

Tout le film enchaîne les séquences en faisant semblant d'en faire des plans-séquences (j'aimerais expliquer, à ceux qui m'ont parlé de plans-séquences, ce qu'est un plan-séquence et ce qu'est une séquence peu découpée, pas la même chose du tout) avec une idée : mettre un bureau au milieu. Le film pose-t-il la question de savoir de quel côté du bureau on est, avec Vincent Lindon (du côté du chômeur, du côté de celui qui demande un prêt) ou non ?  Même pas si sûr, tellement on a l'impression que le film ne pose aucune question, ne met rien en jeu, rien en tension.

Il s'appelle "La Loi du marché", mais la seule séquence qui semble correspondre à ce titre est celle où Vincent Lindon (et sa femme, inexistante) vendent leur mobil home. Là, il y a marchandage. Sinon, il doit sans doute être question de la loi du marché du travail, mais quelle est-elle cette loi ? Que les pauvres sont gris, mornes, ne parlent, sont avachis et ne trouvent pas de travail ? Peut-être. Car ce que nous dit le film, c'est que le corps ouvrier, en ce sens Vincent Lindon était adéquat pour le rôle, à défaut d'être fort, n'a plus sa place dans le monde actuel. Il faut qu'il change, qu'il change de chemise, de veste, qu'il cesse d'être avachi, qu'il apprenne à danser. Alors, le travail que Lindon trouve le fait endosser un costume, celui d'un gardien de sécurité de super marché.

Bon, une fois qu'on a dit ça, le pauvre ouvrier qui est trop déprimé pour se battre, dont le fils handicapé doit continuer à étudier, dont l'appartement est morne et gris (et sale, puisqu'il doit le nettoyer), dont la femme est inexistante, qui n'a pas d'amis, pas de famille, pas de joie, pas de vie, donc ce pauvre ouvrier à qui il ne reste qu'un corps, doit forcément se trouver face à un dilemme soi-disant moral. Sinon, il ne lui resterait vraiment plus rien. Il doit donc, dans son nouveau boulot, espionner les clients qui volent et ses collègues, qui volent aussi. Et les mettre à pied, appeler la police. Ce qui n'est pas facile à faire quand on est un mec bien (ce que Vincent Lindon est par défaut, sans que jamais rien dans le film ne le construise, c'est supposé, ça va avec l'idée de l'ouvrier : c'est un mec bien).
Quand on voit comment fonctionne le système de surveillance du magasin, on hurle, évidemment. Mais lui, pas. Non, il ne dit rien. Fais son boulot. Une collègue est prise la main dans le sac, est foutue à la porte, se suicide sur son lieu de travail (je rigole pas), et il faut attendre encore un bon bout de temps avant qu'il ne se révolte, comprendre : quitte son service au milieu d'une autre mise à pied de collègue qui vole. Scène de grande intensité à la je fais du cinéma réaliste donc je ne dois pas trop montrer que c'est mis en scène et je suis mon personnage en filmant sa nuque et son dos, comme les Dardenne et tous les documentaristes flemmards, où Lindon marche jusqu'à sa voiture.
Fin. C'est dire la grandeur du dilemme moral.

Bref, ne jamais croire les gens dont on sait qu'ils n'ont aucune idée de cinéma.

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Message par molécule Dim 16 Aoû 2015 - 19:25

Bonsoir,
bien d'accord avec vous. Glauquissime. Brizet se fait une image terrifiante des chômeurs, laids, mous, sans culture, et accablés de tous les malheurs du monde. Ni lutte, ni fuite en perspective : on se tait et on encaisse ou bien on démissionne, en se suicidant s'il le faut. Politiquement, c'est un peu du Don Siegel sous Xanax.


L'autre jour, je suis tombé sur un comic titré Ultrachômeur. L'histoire d'un type bien intégré au système, où il tient le rôle d'Ultimatum, le motivateur en chef des pauvres et des chômeurs. Mais le jour où il se fait virer à son tour, il rencontre plein d'autres chômeurs dotés de super-pouvoirs (ils ont tous des super-pouvoirs dans le bouquin), comme Wonder Mother, etc... Le contraire du Brizet.

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Message par librebelgique Dim 16 Aoû 2015 - 19:44

adeline a écrit:Quand on voit comment fonctionne le système de surveillance du magasin, on hurle, évidemment. Mais lui, pas. Non, il ne dit rien.
Salut Adeline, ce passage où l'on découvre  des images brutales du supermarché  par les yeux de Lindon, spectateur tout aussi impuissant que nous devant elles m'a impressionné et amené à voir en eux, le passage et le film dans son ensemble, la déambulation initiatique d'un personnage qui s'arrache ou s'extrait de je ne sais pas quoi d'ailleurs, peut être sa condition, avec un rythme, une opiniâtreté et une incertitude assez sympas.

Il y avait déjà un topic lancé et sans suite ; ça n'est plus le cas.
https://spectresducinema.1fr1.net/t1943-la-loi-du-marche-stephane-brize-2015
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Message par Borges Lun 17 Aoû 2015 - 16:11

Question super héros : La petite famille de Lindon fait penser à celle de W.W. dans Breaking Bad; on espère qu'après le dernier plan du film le "héros" décide lui aussi de breaker bad.

Plus forte que la loi du marché, la loi du naturalisme-réalisme, qui soumet les êtres à leur condition et à leur éthos de condition supposés. C'est d'ailleurs ça la loi du marché, la loi du réalisme-naturalisme, que ne cessent de rappeler ceux qui font les lois du marché, qui ne sont pas plus naturelles que celles du naturalisme, à ceux qui sont dans la merde, par exemple aux Grecs.

Dans cette nullité inexistante, les plus beaux plans, les plus beaux moments, sont ceux de la surveillance; là au moins on sent un peu de vie, de danger, d'indécision...un peu d'insoumission; peut-on dire que le mec s'émancipe en devenant spectateur?

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Message par adeline Lun 17 Aoû 2015 - 16:43

Sorry librebelgique, j'ai oublié de faire une recherche avant d'ouvrir le topic. Je ne me souvenais pas que tu en avais parlé, c'était juste quelques lignes.

Oui, les images de vidéo-surveillance sont très brutales. Je dirais que c'est plutôt la marque de la faiblesse du reste du film que la seule force qui reste soit celle de ces images. Même si elles sont mises en scène, je te l'accorde. Pour moi il n'y a aucun mouvement dans le film, aucun mouvement de Lindon. C'est vrai qu'il oppose une résistance, mais c'est une résistance passive, statique et qui ne change rien au fait qu'il subit tout ce qu'il doit subir et qu'il va là où il doit aller. Cette fin ne construit rien. C'est un peu comme dans "Deux jours, une nuit", c'est donner raison à la logique de la loi du marché : il n'est pas fait pour ce boulot, il va en chercher un autre. Il n'avait qu'à s'adapter. Car la fuite n'est pas un choix politique, en tout cas, pas de ce cas-là.

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Message par adeline Lun 17 Aoû 2015 - 16:45

molécule a écrit:Politiquement, c'est un peu du Don Siegel sous Xanax.

Hello molécule, jamais vu de film de Don Siegel, mais j'aime bien l'idée Wink

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Message par scienezma Lun 17 Aoû 2015 - 16:57

Renzi parle du film dans un article nul du dernier Diplo sur Cannes.

Une exception : La Loi du marché. Plutôt apprécié par la presse généraliste pour son style épuré, qui fait cohabiter avec adresse un thème social, l'émotion d'un drame et la rigueur propre au cinéma documentaire, c'est en effet un film de qualité, qui ose être radicalement modeste dans son style et dans son propos. Il déplait pour ces mêmes raisons, notamment à la presse spécialisée : "Rien de bête, rien de faux, mais rien d'intelligent non plus" (chronic'art). Il est vrai qu'il ne fait pas preuve d'audace, tout comme la sélection officielle...

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Message par Borges Lun 17 Aoû 2015 - 17:24

scienezma a écrit:Renzi parle du film dans un article nul du dernier Diplo sur Cannes.

Une exception : La Loi du marché. Plutôt apprécié par la presse généraliste pour son style épuré, qui fait cohabiter avec adresse un thème social, l'émotion d'un drame et la rigueur propre au cinéma documentaire, c'est en effet un film de qualité, qui ose être radicalement modeste dans son style et dans son propos. Il déplait pour ces mêmes raisons, notamment à la presse spécialisée : "Rien de bête, rien de faux, mais rien d'intelligent non plus" (chronic'art). Il est vrai qu'il ne fait pas preuve d'audace, tout comme la sélection officielle...

scratch

"La presse spécialisée", chronicart (on peut rire)

Si on fait attention aux adjectifs de Renzi, on ne peut manquer de remarquer que la manière dont il parle du film, c'est un peu la manière dont le film parle des personnages de "la loi du marché".  Film sobre,  modeste, pas audacieux, intelligent, sur des gens sobres..."  

"la rigueur propre au cinéma documentaire"

C'est l'un des sens possible,  et très négatif,  de l'énoncé de Godard, "le documentaire, c'est ce qui arrive à l'autre", sens critiqué  par Rancière (les palestiniens dans le documentaire, les Israéliens dans la fiction, on s'en souvient, on en avait parlé ici) : le documentaire, c'est pour l'autre,  l'autre de l'autre culture, pour le pauvre, l'ouvrier, l'exclu, pour les gens qui sont dans le réel et condamnés à une forme ou l'autre d'impuissance. Pour rendre le réel de l'ouvrier il faut le réalisme de la forme, la forme du réalisme, le documentaire, faut faire documentaire.

Pq ne dit-on pas que les films de Rohmer sont réalistes bien qu'ils dépeignent très réalistement des milieux sociaux, se demandait Rancière?

"réalisme. Etymologie : du bas latin realis, relatif aux choses matérielles, dérivé de res, rei, objet, chose matérielle, corps, créature, réalité."

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Message par molécule Lun 17 Aoû 2015 - 18:57

adeline a écrit:
molécule a écrit:Politiquement, c'est un peu du Don Siegel sous Xanax.

Hello molécule, jamais vu de film de Don Siegel, mais j'aime bien l'idée Wink
Même pas Dirty Harry ?

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Message par librebelgique Lun 17 Aoû 2015 - 19:03

A vous lire force est de remarquer que les deux termes, loi et marché en apparence antinomiques, se rejoignent par leur objet : un certain maintien de l'ordre social. Et d'ailleurs, une des pistes du film mène de la conscience de son propre corps, ici Lindon dans une scène délicieuse  semble redécouvrir la magie plutôt rieuse d'une danse de salon, perso j'y ai vu de la malice, à un obstacle insurmontable quand il s'agit de composer avec les impératifs sociaux, l'argent, l'échange, le travail etc.
Je trouve cela assez dans la ligne d'un Pialat même si c'est moins bien réussi.
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Message par Borges Mar 18 Aoû 2015 - 16:12

Pialat? Tu trouves?

Pourquoi le cinéma français ne sait pas filmer "les gens ordinaires", comme on dit, autrement que "socialement"? Pas de Ford, pas d'Ozu, rien., peut-être Hulot. Pas de quotidien, juste du social, dans le pire sens de ce mot.
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Message par librebelgique Mar 18 Aoû 2015 - 18:30

Ben oui Pialat dans ce que le montage peut avoir de très évocateur chez lui et d'un peu moins chez Brizé mais qui tente quand même de faire sens et lien au travers de blocs d'images à l'économie disparate. Sûr, son agencement est loin d'être parfait, là ou Pialat inonde ses films d'évidence, les prend à bras le corps et leur infuse l'energie. Ca n'est pas forcément une question de filmer ou non le social mais peut être une question de talent : après tout il n'y a aucune honte à n'être ni Ford, ni Ozu ... ni Pialat   Wink
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Message par Borges Mar 25 Aoû 2015 - 10:28

librebelgique a écrit:Ben oui Pialat dans ce que le montage peut avoir de très évocateur chez lui et d'un peu moins chez Brizé mais qui tente quand même de faire sens et lien au travers de blocs d'images à l'économie disparate. Sûr, son agencement est loin d'être parfait, là ou Pialat inonde ses films d'évidence, les prend à bras le corps et leur infuse l'energie. Ca n'est pas forcément une question de filmer ou non le social mais peut être une question de talent : après tout il n'y a aucune honte à n'être ni Ford, ni Ozu ... ni Pialat   Wink

Hi,

Brizé, ça n'existe même pas; c'est du vide, c'est idiot, sans la moindre affirmation, énergie; du toc, pour faire semblant de filmer quelque chose; je vois pas comment tu peux les rapprocher... Faudrait distinguer les naturalismes, selon l'idée qu'ils se font de la nature et de ses "contraires" (société, politique, sens, valeur...). Le problème de Pialat, c'est la dé-mesure, le refus... C'est un cinéma du refus du monde; tous ses personnages, plus grands que nature, sont réfractaires, depuis l'enfance nue : artiste, prêtre,  adolescentes, voyou... Le truc de Brizé, si c'est comme ça que le mec s'appelle, c'est juste l'inverse; c'est mou, sans caractère, sans pathos...



Ce refus du lien, de l'inscription dans le monde, a son équivalent "formel" dans le refus "des pouvoirs du montage", comme dit JPO,  dans son très bel article sur l'enfance nue, même si le vocabulaire, linguistique, le date pas mal. Pialat, cinéma du refus de la suture... :

"Le cinéma de Pialat ne cherche pas à masquer qu'il n’est rien d’autre que le négatif de la vie, que les signes qu'il nous propose ne sont jamais que les indices (négatifs) du sens, des sens de la vie. Cinéma délibérément non-suturé, béant qui ne cesse de crier sa vacuité, non récupérable par les sémanticiens parce que ce qu'il dit silencieusement, mais qu’il n’est pas possible de ne pas entendre, n’est pas leur affaire. Cinématographie vraiment hasardeuse qui défait l’objet cinématographique à mesure qu’il se construit, en creusant entre chaque plan un vide que l’imaginaire du spectateur n'est jamais autorise à combler, et qui, par là, lui suggère (lui impose), au-delà, la question d’un sens possible, infiniment hasardeux et nécessaire parce qu'autrement la vie ne serait pas possible, qu'un tel cinéma a seul, et seulement, le pouvoir et le droit de poser : car tout supplément de signification cinématographique, tout mouvement de caméra, tout arrangement syntagmatique qui dispenserait plus qu’un minimum de clarté narrative compromettrait irrémédiablement sa pure négativité."

(Jean-Pierre Oudart)

"Pure négativité" : c'est bien entendu le vocabulaire de Hegel. J'aime bien cette association : la pure négativité, c'est le refus de toute détermination naturelle, de toute détermination : "liberté vide", "liberté du vide".
Le gosse de l'enfance nue était déjà un mystique, si on veut. Il ne s'agit pas d'un film sur l'enfance, mais d'un film sur la nudité de l'être ou le désir d'un être nu, sans détermination, sans qualification, d'où l'opacité des intériorités des films de Pialat, et l'échec qu'elles ne peuvent que rencontrer (suicide), car,  être c'est être-là, être déterminé.


Comparer cette magnifique analyses de JPO (qu'est-il devenu?) avec les  âneries d'Aumont, un véritable abruti, qui n'est même pas amélioré avec l'âge :

"L'Enfance nue , de Maurice Pialat (France) est un film  à thèse  sur l'enfance inadaptée, avec l'exemplarité de scenario, de situations et (parfois) de dialogues que cela suppose. La sincérité du réalisateur semble hors de doute, mais n'empêcherait pas le film de manquer complètement son propos de plaidoyer, et de frôler l’escroquerie aux bons sentiments, sans l'extraordinaire justesse du couple d'acteurs (non-professionnels) incarnant les deux retraites qui hébergent le jeune garçon. Justesse qui, dans toute la seconde partie du film, s'étend aux personnages secondaires et a tout le décor de leur vie ; d'où, chose rarissime au cinéma, une description véritable et sensible des banlieues petites-bourgeoises."

(Jacques AUMONT et Sylvie PIERRE)

Chaque mot est une erreur, une gaffe. Où a-t-il vu des petits bourgeois dans ce film?


Dernière édition par Borges le Mar 25 Aoû 2015 - 11:16, édité 1 fois
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Message par librebelgique Mar 25 Aoû 2015 - 10:52

je ne sais pas si UN film, quel qu'il soit, mérite qu'on s'y arrête ainsi ?
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Message par Baldanders Mar 25 Aoû 2015 - 16:43

Borges a écrit:JPO (qu'est-il devenu?) 

On n'est pas assez nombreux à se le demander. Les dernières nouvelles datent de 2002, dans un article de Skorecki pour Libé :

Dans ses Lettres sur le cinéma, son premier texte depuis des dizaines d'années (éd. du Tigre, 2002), Jean-Pierre Oudart a quelques phrases étranges, presque sereines, sur la difficulté à aimer un film, n'importe quel film : « Ce qui est un peu agaçant au cinéma, c'est le "miracle" automatique de l'impression de réalité. La plupart du temps, cette magie m'ennuie. »

Mais pas la moindre trace sur le net de ce bouquin ni des "éditions du Tigre"...
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Message par Invité Mar 25 Aoû 2015 - 17:23

J'aime bcp ce passage de Oudart, dans lequel je reconnais l'expérience que j'ai des films de Pialat.

Cela permet justement de saisir que le film de Brizé (que j'ai vu récemment, la première fois que je vais au cinoche depuis 15 ans environ...) est, lui, contrairement aux Pialat, du cinéma de "sémanticien", qui a "quelque chose à leur dire" et qui est fait pour eux (cad pour n'importe quel spectateur-sémanticien supposé décoder ce qu'on veut lui montrer, en lui mâchant d'ailleurs la besogne): tout signifie, tout le temps, à chaque image, plan, geste, regard; tout est intention, adéquation du "réel" à sa reconstruction imposée par le regard, pas la moindre béance (ou alors signifiée comme telle: donc maitrisée, donc annulée). Ce que Oudart nomme "suture", donc.

Incluant ce dispositif éculé qui consiste à faire "imitation de documentaire": caméra légèrement tremblée, opérant des déplacements subreptices d'un perso à l'autre, d'un regard à l'autre; pour "signifier" l'urgence d'on ne sait quel réel pris sur le vif, avec toute sa signification implicite que dévoilerait l'objectif socio-analytique. Ce dispositif à lui seul fait douter de l'honnêteté du regard du cinéaste, qui entend piéger le spectateur dans le stimulus-réponse habituel du reportage télévisuel, celui qui juge de ce qu'il montre en prétendant malignement faire le contraire, cad laisser le "réel" respirer et se dévoiler "par lui-même", dans une positivité sans reste...




PS: ce Aumont est vraiment trop con, dis-donc. Very Happy

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Message par librebelgique Mar 25 Aoû 2015 - 19:25

Oudart a pas mal écrit pour les cdc - dont son célèbre article "la suture" dans les deux numéros 211 et 212 ( on est en 1969, le srtucturalisme bat son plein et Lacan frappe à la porte) :
http://www.cineressources.net/articles_periodiques/resultat_p/index.php?pk=159182¶m=A&textfield=Jean-Pierre+Oudart&rech_type=E&rech_mode=contient&pageF=1&pageP=1&type=PNP&pk_recherche=159182
l'article sur l'Enfance nue est peut être parmi - pas le temps de chercher  Wink
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Message par scienezma Sam 3 Oct 2015 - 13:46

adeline a écrit:

Et puis, une fois le film vu, on se dit : quelle merde. Je me suis fait avoir, encore une fois.

Ahah, oui, quelle merde !

On pense aux propos éclairants de Rancière dans l'un de ses derniers bouquins à propos du journalisme :

Le journalisme est au XXème siècle le grand art aristotélicien. Il construit la réalité selon un schème de vraisemblance ou de nécessité ou, plus précisément, un schème qui rend vraisemblance et nécessité identiques. Les reporters envoyés à la rencontre des habitants pauvres du pays profond doivent ainsi combiner les marqueurs de la réalité individuelle qui avèrent le récit, avec les signifiants de la généralité statistique qui montrent cette réalité conforme à ce que l'on sait, conforme à ce qu'elle ne peut pas ne pas être. C'est cette identité du vraisemblable et du nécessaire qui constitue le coeur de ce qu'on appelle consensus.


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Message par Invité Dim 4 Oct 2015 - 7:44

visiblement t'as pas fini de poursuivre Adeline, JM Smile

"Peut-on raconter le chômage?"
c'était un numéro de la revue Esprit de l'année dernière(novembre 2014), je suis tombé dessus par hasard à la médiathèque. Il y a un article d'Ève Charrin intéressant qui raconte que le chômage est exclu de l'imaginaire:
Spoiler:

La représentation du chômage comme "temps inemployé et vide" ordonne la fiction sur le supplice du chômage enchaîné à la dure loi du marché, et ce sont les mots d'ordre du Pole Emploi qui organisent cette histoire ;

rien à voir avec Depardieu dans Loulou de Pialat qui refusait le travail, d'être sous-employé, comme Nietzsche refusait la philologie.

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Message par librebelgique Dim 4 Oct 2015 - 9:42

scienezma a écrit:
adeline a écrit:

Et puis, une fois le film vu, on se dit : quelle merde. Je me suis fait avoir, encore une fois.

Ahah, oui, quelle merde !

On pense aux propos éclairants de Rancière dans l'un de ses derniers bouquins à propos du journalisme :

Le journalisme est au XXème siècle le grand art aristotélicien. Il construit la réalité selon un schème de vraisemblance ou de nécessité ou, plus précisément, un schème qui rend vraisemblance et nécessité identiques. Les reporters envoyés à la rencontre des habitants pauvres du pays profond doivent ainsi combiner les marqueurs de la réalité individuelle qui avèrent le récit, avec les signifiants de la généralité statistique qui montrent cette réalité conforme à ce que l'on sait, conforme à ce qu'elle ne peut pas ne pas être. C'est cette identité du vraisemblable et du nécessaire qui constitue le coeur de ce qu'on appelle consensus.


Oui. Et alors ?
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Message par scienezma Mer 14 Oct 2015 - 2:03

Sur le site du Diplo on peut lire un texte de Lordon (http://blog.mondediplo.net/2015-10-09-Le-parti-de-la-liquette#avantforum) dont j'extrais ce passage :

Sans doute la conscience immédiate se cabre-t-elle spontanément à la seule image générique d’une violence faite à un homme par d’autres hommes. Mais précisément, elle ne se cabre que parce que cette image est la seule, et qu’elle n’est pas mise en regard d’autres images, d’ailleurs la plupart du temps manquantes : l’image des derniers instants d’un suicidé au moment de se jeter, l’image des nuits blanches d’angoisse quand on pressent que « ça va tomber », l’image des visages dévastés à l’annonce du licenciement, l’image des vies en miettes, des familles explosées par les tensions matérielles, de la chute dans la rue. Or rien ne justifie le monopole de la dernière image – celle du DRH. Et pourtant, ce monopole n’étant pas contesté, l’image monopolistique est presque sûre de l’emporter sur l’évocation de tous les désastres de la vie salariale qui, faute de figurations, restent à l’état d’idées abstraites – certaines d’avoir le dessous face à la vivacité d’une image concrète. Et comme le système médiatique s’y entend pour faire le tri des images, adéquatement à son point de vue, pour nous en montrer en boucle certaines et jamais les autres, c’est à l’imagination qu’il revient, comme d’ailleurs son nom l’indique, de nous figurer par images mentales les choses absentes, et dont l’absence (organisée) est bien faite pour envoyer le jugement réflexe dans une direction et pas dans l’autre. Dans son incontestable vérité apparente, l’image isolée du DRH est une troncature, et par conséquent un mensonge.

Pas sûr que la présence de cette fameuse image "manquante" soit suffisante. S'agit-il d'ailleurs vraiment d'une image manquante ? Il s'agit plutôt d'une image véhiculée par le cinéma, notamment par des films comme "La loi du marché", ou nombre d'autres dans cette veine naturaliste-là. Plus rare et manquante encore est la troisième image, non pas assemblage des deux premières sus-citées, mais une image qui aille au-delà des deux premières, dont l'horizon d'inquiétude et d'espérance n'est plus assujetti seulement aux normes de pensée du système (aliénation/revendication), et moins enchaînée donc à celui-ci. Une image qui se détourne. Je pense notamment à "Stray Dogs" de Tsai Ming Liang...

scienezma

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