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HORS SATAN : la balade de Bruno ...

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Message par Invité Sam 22 Oct 2011 - 19:30

Rares sont les films qui donnent à ce point l'impression de surpasser ce que le cinéma a de classique pour fignoler dans les plans - unité de base manifeste et bien sentie de l'esthétique de dumont - le travail d'équipe, la durée, le mouvement, la dynamique interne au montage, la composition, l'évocation etc etc ... Depuis longtemps un film ne m'avait pas plu autant pour des raisons strictement formelles de narration parfaitement résolues à mon sens - à l'exclusion de 2 ou 3 plans ironiques et déplacés à la fin.

Par ailleurs le film pose des questions géographiques - la Normandie c'est quand même là où les p'tits gars ont débarqué en 44 - philosophiques, existentielles et sentimentales. Je vois le film comme une allégorie, je ne sais pas encore de quoi mais je compte sur vous pour affiner mon sentiment.

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Message par Invité Dim 23 Oct 2011 - 16:21

j'ai lu plus bas ce que Borges et Jerzy ont écrit sur ce Jean-Baptiste Morain et les cinbéastes auxquels, c'est incontournable selon lui, le film de Dumont renvoie.

En ce qui me concerne c'est à une matière picturale, que 29 Palms et celui-ci me ramènent, peut être même plus précisément celle de Jean-Honoré Fragonard.

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Message par Invité Dim 23 Oct 2011 - 16:29

(Relis mieux:

C'est le bloggeur qui évoque des noms de cinéastes; Morain, c'est le critique qui vient l'insulter)

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Message par Invité Dim 23 Oct 2011 - 16:39

bien mais çela ne change pas ce que j'avais en tête : on peut toujours faire des analogies, des correspondances ou des oppositions entre cinéastes.

c'est souvent dénué d'intérêt.

je dis souvent car cela s'avère frequemment passionnant chez un Borges, qui fonctionne sur ce mode particulier d'associations de pensées.

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Message par Borges Lun 24 Oct 2011 - 15:37

slimfast a écrit: aller revoir le sublissime Hors Satan traduit par : dehors, Satan ! ou : en dehors de Satan ( je penche pour cette dernière traduction )).

je crois qu'il faut jouer avec les différents sens de "hors", comme le fait calvin dans son commentaire de ce passage de Mathieu...:


"
Comme Jésus connaissait leurs pensées, il leur dit : Tout royaume divisé contre lui-même est dévasté, et toute ville ou maison divisée contre elle-même ne peut subsister."


Or si Satan jette hors Satan, il est divisé contre soi-même : comment donc subsistera son règne ? Que si je jette hors les diables par Belzébuth, vos fils par qui les jettent- ils hors? parquoy iceux seront vos juges. ...



(Commentaires de Calvin sur le Nouveau Testament)

Hors satan :

cela veut dire à la fois,
-"hors satan" (point de salut, comme on dit; en dehors de satan...),
- "hors satan" (mettre satan dehors, le chasser, exorciser...),
-"hors satan" (mettre quelqu'un, quelque chose "hors satan", l'en séparer..., comme on dit mettre hors la loi... ou hors jeu...)

-etc

(pas encore vu le film; je dois dire que j'ai pas beaucoup d'attraction pour le cinéma de dumont... je suis "hors dumont" (ça ressemble assez à "démon")....


notons que c'est le deuxième titre de film "religieux", récent, à jouer avec un état ancien du français... (habemus papam)...








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Message par Invité Lun 24 Oct 2011 - 15:43

salut Lionel,
pas vu Hors Satan, et peu de chance que les ploucs qui gèrent le cinéma pas très loin de chez moi programment le film... Pourtant, un cinéma classé Art et Essai, si c'est pas de la grosse arnaque aux contribuables: http://www.saintvallier.com/Cine-Galaure,57

Un camarade auquel je tiens beaucoup, vient d'en faire une chronique sur son blog:
http://maurice-darmon.blogspot.com/

Aussi le film a bien sûr son site, tu trouves le dossier de presse complet: http://www.tadrart.com/tessalit/horssatan/horssatan.html

edit: j'ai pas mal de documents sur le cinéma de Dumont ; sur le dvd d'Un condamné à mort s'est échappé, dans les bonus Bruno Dumont y intervient une vingtaine de minutes, c'est vraiment intéressant...

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Message par Leurtillois Lun 24 Oct 2011 - 16:17

Hello,

breaker a écrit:Un camarade auquel je tiens beaucoup, vient d'en faire une chronique sur son blog:
http://maurice-darmon.blogspot.com/

Tu as lu son livre sur "Godard" et l'"antisémitisme" ? Il était sorti l'année dernière je crois, arrivant un peu tout seul, après la guéguerre médiatique qui s'était épuisée elle-même. Me souviens d'un texte étrange, plutôt intéressant, à la fois trop écrit et assez documenté. A part ça je connais pas trop ce qu'il écrit.

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Message par Invité Lun 24 Oct 2011 - 17:29

Leurtillois a écrit:Hello,

breaker a écrit:Un camarade auquel je tiens beaucoup, vient d'en faire une chronique sur son blog:
http://maurice-darmon.blogspot.com/

Tu as lu son livre sur "Godard" et l'"antisémitisme" ? Il était sorti l'année dernière je crois, arrivant un peu tout seul, après la guéguerre médiatique qui s'était épuisée elle-même. Me souviens d'un texte étrange, plutôt intéressant, à la fois trop écrit et assez documenté. A part ça je connais pas trop ce qu'il écrit.
salut,
non pas encore lu le Godard, mais son Cassetes m'avait bien accroché, texte plus léger en apparence que son étude sur Godard... D'ailleurs c'est Maurice Darmon qui m'a amené à découvrir Bruno Dumont, et pas mal d'autres comme Paul Carpita, Peter Watkins, Nurith Aviv... Je me souviens d'une petite discussion qu'on avait eue, ça l'avait amené à écrire ces quelques lignes sur Dumont: http://sites.google.com/site/pourbrunodumont/filmographie/1999-dumont-kubrick
pour info, Darmon travaille beaucoup sur Frederick Wiseman en ce moment, peut-être qu'un nouveau bouquin verra le jour fin d'année.

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Message par Invité Lun 24 Oct 2011 - 20:36

HORS SATAN : la balade de Bruno ... Images?q=tbn:ANd9GcRInmrAwH4D_YvppEdjItNSJOMXz8jYngBt0tkb1RpeqGec9kg7yg

l'affiche du film : du texte en jalousie dont le Hors laisse passer le bleu du ciel et Satan l'ocre de la terre sablonneuse.

et pourtant c'est un paradis pour la "fille" que dessine ici bas le "gars".

( la fille est à certains moments très très maquillée notamment quand elle s'évanouit, son visage d'angelot en plein soleil ).

quand on regarde l'affiche, ce qui saute aux yeux c'est Hors et pas Satan. d'ailleurs je me demande en rousseauïste que je suis, excusez du peu, si Dumont ne met pas en scène son galvaudage, celui de Satan, Borges insistant déjà sur l'aspect vieillot du titre, et moi sur l'aspect ludique du film - être sous le soleil de Satan ne pèse pas trop lourd ici - dans une problématique qui reste à définir.


sinon c'est un western dont l'animal manquant, le cheval, s'appellerait Satan ( boffff ?!? ... ).

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Message par Invité Lun 24 Oct 2011 - 22:51

dans les blogs que je viens de lire sur le film de Dumont une chose me parait vraiment pertinente : qu'il soit un picturaliste. pour au moins trois motifs :

1) la couleur dont les taches forment parfois des plans, un visage s'assimilant alors pour lui aussi à une tache de couleurs et ce d'autant que Dumont ne travaille plus sur la durée des plans.

2) les lignes, verticales et horizontales, ensemble formant des croix, composent des lignes de fuite où sont mis en valeur les personnages. Mais les lignes peuvent aussi être obliques, former des a-plats ou des images d'une grande profondeur, affective notamment ou de champ.

3) je prétends qu'il compose, avec les ressources de la grammaire - non pas des images, mais des plans animés - la colonne vertébrale, par le montage, de sa narration d'autant plus efficace et libre que l'"action" où plutôt l'"attente" est active. J'aime beaucoup ce côté liberté dans la rigueur où tous semblent participer à la construction de l'édifice.


j'ai dit que comparer à d'autres était stérile pour mieux me déjuger, il y a du David Lynch dernière manière chez Dumont.


( en même temps je regarde La princesse aux huîtres de Lubitsch 1919, fabuleux !! ).

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Message par Eyquem Lun 31 Oct 2011 - 12:02

salut,
Slimfast a écrit:Par ailleurs le film pose des questions géographiques - la Normandie c'est quand même là où les p'tits gars ont débarqué en 44 - philosophiques, existentielles et sentimentales.
L'action se passe dans les dunes près de Boulogne ; c'est quand même bien plus au nord que la Normandie du débarquement. On aperçoit bien un blockhaus, mais je ne pense pas que ces traces de la guerre fassent sens ici.
Dumont ne s'intéresse pas beaucoup à l'histoire ; c'est un cinéaste du mythe. Dans Flandres, il avait bien pris soin de mêler des éléments de différentes guerres pour que la bataille dans le désert ne soit pas une guerre, mais LA guerre.
L'histoire de Hors Satan pourrait se passer aujourd'hui comme en 1452. Le fusil de chasse, ça doit être l'outil le plus "moderne" qu'on voit dans le film (j'exagère un peu, mais à peine).
Dumont, c'est un cinéaste médiéval au fond. Ses livres de cinéma préférés, c'est Nicolas de Cues ou Thomas d'Aquin.



Breaker a écrit:Je me souviens d'une petite discussion qu'on avait eue, ça l'avait amené à écrire ces quelques lignes sur Dumont: http://sites.google.com/site/pourbrunodumont/filmographie/1999-dumont-kubrick
C'est certain que Dumont reprend des plans de Kubrick ; ici, il y a au moins le gros plan sur la main armée d'une pierre ou d'un gourdin, qui s'élève dans le ciel au-dessus de la tête de la victime ; c'est une reprise évidente du plan au début de 2001 (la main empoignant l'os comme un outil, une arme).

On voit ce plan dans la bande-annonce :
https://www.youtube.com/watch?v=RvmsKAnX7hM
(plan à 0'37)

Il m'a semblé repérer d'autres "trucs" techniques, comme les raccords champ/contrechamp à 180° par exemple.
Dumont explique qu'il veut faire un cinéma qui "impressionne" seulement par des plans ou des raccords de plans : ça paraît difficile de ne pas retrouver certains des "trucs" déjà tentés par Kubrick.
Mais dans l'entretien des Cahiers, il évoque Jean Epstein, l'avant-garde française des années 20.




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Message par Eyquem Lun 31 Oct 2011 - 14:28

"Les mains sont les âmes du corps" :
Borges a écrit:les idées, c’est comme des mains, et les mains, comme disait Aristote, ce sont les âmes du corps ; là je cite vraiment sans la moindre certitude, c’est peut-être vraiment n’importe quoi ; c’est pourquoi sans doute Bresson, chez qui elles prennent presque la place du visage, les filme tant; un truc repris par Haneke, mais sans le génie, sans le fond, sans l’idée que la main, c’est l’équivalent, l’analogue de l’âme : si vous ne croyez pas à l’âme vous ne pouvez pas filmer une main ;
Les mains, dans le film, ne sont peut-être qu'une des formes du toucher. On pourrait énumérer les différentes déclinaisons de ce thème du toucher dans le film.

- géographiquement, tout se passe dans les dunes et les marais, c'est-à-dire dans la zone intermédiaire entre terre et mer, la zone où terre et mer se touchent. On ne voit la mer qu'à une ou deux reprises ; ce n'est donc pas la mer qui est importante : disons plutôt que la mer, c'est trop vaste, c'est trop grand, l'homme n'est pas encore à la hauteur ; qu'il se contente pour l'heure d'arpenter la zone qui commence à se détacher de la terre, c'est déjà suffisant. La mer est constamment présente bien qu'invisible la plupart du temps, elle est présente à cause du vent qu’elle fait constamment souffler dans les dunes et qui suspend cette zone entre terre et mer, entre terre et ciel.



- plus essentiel encore que deux mains qui se touchent : deux bouches qui s’embrassent. Je n’ai lu aucune explication à ce sujet alors que le baiser paraît le grand sujet du film. Autant commencer par une petite liste factuelle :

-- le gars refuse le baiser que lui propose la fille
-- le gardien prend un baiser à la fille, sans qu’elle le veuille
-- le gars, par un baiser, réveille la gamine catatonique
-- par un autre baiser, il délivre la routarde de ses « démons »

Pourquoi cette importance du baiser ? Je me suis rappelé de très anciennes lectures sur le thème de la « mors osculi », littéralement « la mort du baiser », c’est-à-dire le baiser qui ravit au ciel, le baiser extatique, un thème théologique repris ensuite par la poésie amoureuse


(

cf la dernière scène de Tristan und Isolde de Wagner, par exemple :
In dem wogenden Schwall / Dans la masse des vagues
In dem Tönenden Scall / Dans le tonnerre des bruits
In des Welt-Atems / Dans le Tout respirant
Wehendem All / Par l’haleine du monde
Ertrinken / Me noyer
Versinker / M’engloutir
Unbewuβt / Perdre conscience
Höchste Lust / Volupté suprême



)


Voilà ce que raconte un traité de la Renaissance sur la mors osculi :
« L'élévation de l'homme jusqu'à l'union avec Dieu n'étant pas suffisante,
nous allons nous efforcer de le faire progresser et de le conduire jusqu'au
degré ultime c'est-à-dire la transmutation du corps en esprit et de l'esprit
en Dieu à propos desquels l'Apôtre a dit : « Nous attendons le Sauveur,
notre Seigneur Jésus-Christ lequel réformera le corps de notre humilité
conformément au corps de sa clarté ». Dans un autre endroit, il déclare
en quoi consiste cette réforme : celui qui animal est semé, celui qui est
spirituel le résoudra; d'autre part, l'Evangéliste a dit : « il leur a donné le
pouvoir de devenir fils de Dieu », à savoir, quand les hommes sont
transformés à l'image même du fils de Dieu. On obtient cette
transformation grâce au ravissement de l'esprit et l'extase, que les
Hébreux appellent la mort du baiser, à propos duquel il est dit dans le
Cantique de David : « Précieuse en la présence du Seigneur est la mort
des Saints » (Psaumes 116,15). Parce que dans le ravissement de l'esprit,
l'homme meurt par ce baiser à propos duquel le Sage a dit dans le
Cantique 1, 2 : « Qu'il me baise des baisers de sa bouche ». Car l'homme
qui est dans la situation du ravissement de l'esprit meurt au corps de
façon que sa vie ne vit plus, et donc il ne reçoit aucune aide ni secours,
malgré que le corps n'ait pas été destitué de la vigoureuse vertu de
l'âme, laquelle pendant le ravissement et l'extase s'appuyant sur Dieu
dans un certain baiser, est unie à Dieu et jouit avec Lui d'une si grande
douceur qu'il fait oublier toutes les choses extérieures, qu'il fait, y compris
son propre corps qu'elle abandonne vivant mais privé de sens et à
moitié mort.
C'est ce qu'explique Saint-Paul quand il dit : « Vous êtes
morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu » (Colossiens 3, 3),
lequel reçoit l'âme et l'unit d'une foi si forte que l'homme vit alors plus la
vie du Christ que sa propre vie. Mais, cette transformation ne se fait pas
seulement par l'illumination de la pensée, mais aussi par l'amour qui unit,
qui est un feu divin, qui se fond, qui s'unit et qui se transforme »

http://www.beyaeditions.com/mort%20initiatique.pdf

La plus belle scène du film, est sans doute le moment où la routarde, après le baiser, glisse nue dans un étang et tourne les yeux vers le ciel, extatique.


Je ne suis pas assez versé en théologie pour tirer au clair tout ce qu’implique cette histoire de baiser extatique, mais on voit bien que le film tourne autour de ça.

La critique des Cahiers commence par noter la présence du vent, qui souffle sans arrêt, et c’est vrai. Mais il me semble que le vent, seul, n’est pas suffisant : ce que le film recherche, c’est à faire se rencontrer sur la bande-son le vent, qui vient de la mer, et le souffle, qui sort des corps. Techniquement, Dumont y parvient en collant des « micro-cravates » à ces acteurs, si bien que la bande-son se détache très souvent de l’image. Un exemple : le gars s’enfonce dans la profondeur de champ, la caméra reste fixe et le regarde s’éloigner dans les dunes, mais le son nous le rend pourtant plus proche que jamais : alors qu’à l’image, le gars devient tout petit, on a l’impression d’avoir l’oreille collée contre sa poitrine, parce qu’on l’entend respirer, souffler dans l’effort.

L'oreille contre la poitrine, c'est d'ailleurs un des motifs récurrents du film :
HORS SATAN : la balade de Bruno ... Hors-satan-1_igrande


Tout le film est comme ça : comme dit Slimfast, on voit qu’il s’agit d’allégories (le souffle comme esprit, la mer comme appel des lointains, indice d'une vocation suprasensible) mais ces idées allégoriques collent toujours à la matière : l’esprit, c’est d’abord du souffle dans le micro.

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Message par Eyquem Lun 31 Oct 2011 - 15:11

Je tiens à dire, pour terminer, que l'imaginaire du film reste assez rebutant, comme d'habitude chez Dumont. Les critiques, extatiques eux aussi, parlent de la sublimité du paysage : vastitude du ciel, énormité de la mer, etc. Ils se font poètes, à l'occasion. Mais la force élémentaire du film ne parvient pas à sauver ce que le fait divers a de sordide :
- fille violée (on suppose) par son beau-père, puis assassinée par un voisin
- beau-père abattu d'un coup de fusil de chasse
- jeunes filles "possédées" et exorcisées
- jeune homme assommant à coups de gourdin son rival amoureux
Ca fait beaucoup pour un patelin et ça donne pas envie de passer ses vacances à Berck-Plage.
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Message par Largo Lun 31 Oct 2011 - 18:03

C'est le moins qu'on puisse dire !

Un exemple : le gars s’enfonce dans la profondeur de champ, la caméra reste fixe et le regarde s’éloigner dans les dunes, mais le son nous le rend pourtant plus proche que jamais

C'est un procédé qu'il utilisait déjà dans L'Humanité et sans doute dans d'autres films.

Il précise aussi que le son est volontairement en mono, ce qui renforce l'impression d'un son rêche, brut, non manipulé...

La scène de l'exorcisme de la routarde est tout de même à la limite du soutenable, non ? On a l'habitude avec Dumont, mais je me souviens que ça m'avait plus choqué que d'habitude. Il faudrait la comparer avec celle dite "des larmes de sperme" dans L'Apollonide.

Sinon, dans mon souvenir, je reste vraiment marqué par la traversée du lac, le travelling, leurs deux visages qui se superposent. Dumont ne cherche pas à nous faire croire qu'elle marche sur l'eau, il y a un muret. Pourtant l'incendie s'éloigne ou s'éteint. C'est dans le raccord entre les deux plans que vient se loger le "spirituel". Il suffit de croire que l'un a entraîné l'autre pour que le montage suscite ça, cette espèce de croyance païenne...

Et si on parle peinture, impossible de ne pas citer L'Angelus de Millet :

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En cherchant l'image, je suis tombé sur un billet de Libé qui fait écho au film, c'est assez troublant :

LE CHASTE JEAN-FRANCOIS MILLET

J’espère que ceux qui eurent l’idée de placer dans le pavillon français un ensemble de tableaux (dont un Van Gogh et un Bonnard) ne se doutaient pas de ce ce qu’ils risquaient en y joignant L'Angélus de Millet, emprunté au Musée d’Orsay. Cette image pieuse que le peintre disait inspirée par sa grand-mère, une modeste paysanne, et sans signification religieuse, est vénérée au Japon, depuis la visite de l’Empereur Hiro Hito à Barbizon, avant la guerre. Mais en Chine? Elle aurait pu, comme les chromos édifiants de l’iconographie maoïste, passer pour un éloge du travail de la terre («qui ne ment pas»). Mais c’est sans compter sur ce qui se cache derrière.

SI J’EN CROIS SALVADOR DALI

Un couple de cultivateurs se recueille pendant l’angélus. Une brouette, une fourche plantée dans le sol, des sacs de pommes de terre, un clocher à l’horizon… Tout semble normal, apaisé, mûr pour les calendriers. Mais j’ai toujours trouvé ce tableau assez énigmatique, trop poli pour être honnête. La révélation est venue d’une étude de Dali, Le mythe tragique de l’Angélus de Millet (Pauvert, 1963), que vous connaissez certainement. Dans son Interprétation «paranoïaque-critique» de L’Angélus, le divin catalan débusque une nuée de symboles érotiques, frisant la pornographie. Comment échapper alors à la censure? Et éviter, sinon un scandale énorme, au moins une boulette diplomatique?

QUE FAIRE ?

Selon Dali, les «deux troublants simulacres obsessifs incarnés dans le couple de l’Angélus» sont dans un «moment d’attente qui annonce l’agression sexuelle imminente». S’ensuit une série de véritables cochonneries (ah, ce Freud!) qui ferait rougir, ou pouffer, un groupe de béotiens, dont les anciens Gardes rouges, s’ils en prenaient connaissance. Par exemple, toujours d’après Dali, dans le tableau, «le fils effectue avec sa mère le coït par derrière, en retenant de ses mains, à la hauteur de ses reins les jambes de la femme» ! On ne peut pas décemment retirer une aussi belle œuvre sans éveiller les soupçons. Je propose la «solution Lacan», pratiquée par le célèbre docteur sur L’Origine du monde de Gustave Courbet, un sexe de femme bien visible, qui appartient aussi au Musée d’Orsay. Pour garder à ce beau morceau de
peinture tout son mystère, l’analyste le recouvrit d’un tissu (orné d’un dessin du peintre André Masson). Sur L’Angélus, on pourrait fixer une sorte de voile sponsorisé par Vuitton, dont l’enlèvement serait réservé à des privilégiés, visiteurs illustres, mécènes, oligarques et diplomates. Les sommes prélevées iraient à un fonds de soutien à la paysannerie chinoise, chassée de ses terres polluées et ne sachant à quel saint se vouer.

Ainsi, Monsieur le ministre, la France, une fois de plus, sauverait l’honneur sans renoncer à ses intérêts.


Dernière édition par Largo le Mar 1 Nov 2011 - 13:19, édité 1 fois
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Message par Eyquem Lun 31 Oct 2011 - 18:49

'soir Largo,

Le texte de Dali, je ne le connais pas, mais c'est certainement une bouffonnerie. L'image de Millet, je crois me souvenir, faisait partie des icônes populaires ; elle était dans tous les foyers ; image d'une France pieuse et travailleuse. Ca plaisait beaucoup au tournant du siècle.
En faire un truc porno, c'est juste créer un scandale bien calculé, il n'y a rien de troublant là-dedans. Et comme la lecture repose sur de pseudos symboles cachés, évidemment, personne ne peut contredire et dire qu'ils n'y sont pas - puisque par définition, ils n'y sont pas.


Je ne trouve pas que l'Angelus soit la référence incontournable. Ne serait-ce que parce que ce sont deux paysans qui travaillent, alors que dans le film, les deux ne travaillent pas.
Dans le Dumont, ils ne joignent pas les mains à la façon habituelle : ils les mettent l'une sur l'autre, paumes ouvertes tournées vers le ciel. Et ils ne se recueillent pas en baissant la tête et en fermant les yeux. Au contraire, ils gardent les yeux bien ouverts.





Dernière édition par Eyquem le Mer 23 Nov 2011 - 21:22, édité 1 fois
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Message par Invité Lun 31 Oct 2011 - 19:46

Le film de Dumont me semble creuser le sillon labouré en son temps pas si éloigné par Jacques Doillon et son Premier venu. Ici pas de premier venu et le seul baiser du film qui compte peut être le plus est celui qui est refusé par le "passager clandestin" ( les sciences sociales s'intéressent à ce cas de figure ) au motif qu'il n'a pas de désir. Je trouve qu'il y a là quelque chose de peu commun au cinéma, de moderne, en tout cas d'un "réalisme" certain si j'en juge par mon sentiment partagé en la matière. Bien sûr Dumont, c'est sa marque va plus loin, vous dites trop loin entre les lignes, il creuse, il creuse sa réflexion sur le romanesque, peut être dix-neuvième siècle, démarquée, c'est une de ses qualités, du maître en la matière, Rohmer.

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Message par Invité Mar 1 Nov 2011 - 5:23

il s'inscrit dans cette tradition française du cinéma versus la littérature et cette recherche d'un romanesque ontologique au cinéma mais il le fait avec des armes bien à lui ici sans paroles avec un personnage, je devrais dire un élément, puisqu'il est question des éléments dans son film, assez doux et dociles du reste, la terre, ce paysage qui est présent au film comme le vent , l'eau et le feu.


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Message par Invité Mar 1 Nov 2011 - 5:28

bon l'homme à défaut de dominer l'homme ( les viols, les chiens, les chieurs, les meurtres et les pétasses en chaleur ) domine les éléments ( cela reste à voir : il y a une forme de refus du social, disons d'omission du social sur lequel on peut disserter .... ) ....

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Message par Invité Mar 1 Nov 2011 - 5:32

29 Palms m'a beaucoup marqué. Je l'ai rétrospectivement vu a travers le prisme du verrou de Fragonard.

HORS SATAN : la balade de Bruno ... 9k=

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Message par Invité Mar 1 Nov 2011 - 5:37

le verrou ( ouvert ? fermé ? ) étant dans ce film le rapport difficile qu'entretient le couple à la langue ce qui selon moi est l'élément constitutif du drame qui va se nouer.

en fonctionnant comme ça par analogie c'est simplement reconnaitre qu'en d'autres termes, mystérieux, l'art répond à l'art, abolit le temps et les cloisons disciplinaires.

pour les uns Kubrick/Dumont ou Dumont/Fragonard ( dans celui-ci un certain rapport à la nature et un hiératisme des personnages ).

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Message par Invité Mar 1 Nov 2011 - 5:54

Eyquem a écrit :

Il m'a semblé repérer d'autres "trucs" techniques, comme les raccords champ/contrechamp à 180° par exemple.
Dumont explique qu'il veut faire un cinéma qui "impressionne" seulement par des plans ou des raccords de plans : ça paraît difficile de ne pas retrouver certains des "trucs" déjà tentés par Kubrick.
Mais dans l'entretien des Cahiers, il évoque Jean Epstein, l'avant-garde française des années 20.


je trouve ces raccords formidablement biens réussi quand ils ont lieu dans les sous bois avec le couple par exemple et il m'ont procuré alors une belle émotion de cinéma. but atteint pour Dumont.

Mais les mêmes raccord quand le personnage s'arrête pour regarder le coucher de soleil, à découvert et à l'arrêt, sur un seul personnage, m'ont paru raté et laissé indifférent.

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Message par Invité Mar 1 Nov 2011 - 6:02

Eyquem a écrit :

Je tiens à dire, pour terminer, que l'imaginaire du film reste assez rebutant, comme d'habitude chez Dumont. Les critiques, extatiques eux aussi, parlent de la sublimité du paysage : vastitude du ciel, énormité de la mer, etc. Ils se font poètes, à l'occasion. Mais la force élémentaire du film ne parvient pas à sauver ce que le fait divers a de sordide :
- fille violée (on suppose) par son beau-père, puis assassinée par un voisin
- beau-père abattu d'un coup de fusil de chasse
- jeunes filles "possédées" et exorcisées
- jeune homme assommant à coups de gourdin son rival amoureux


La mise en joue du beau père est extrêmement drôle, ce personnage à qui il est interdit d'advenir à la lumière et qui dans un gag est littéralement enlevé, happé par les ténèbres éternelles du film. un des meilleurs plans. il y a aussi comme chez Moretti du gag à retardement chez dumont ... en tous cas le "pathos" des situations est traité de façon plutôt légère, ce qui selon moi donne la force aux situations.

que pensez vous de l'espèce de ruine lynchienne qui sert d'abri au clandestin ?

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Message par Largo Mar 1 Nov 2011 - 13:34

Eyquem a écrit:
Concernant le texte de Dali, je ne le connais pas, mais c'est certainement une bouffonnerie.

Oui, le texte de Dali a l'air assez fumeux, mais je trouvais amusant qu'il voit des connotations sexuelles dans un tableau aussi pieux et peu érotique. Chez Dumont, le sexe survient de manière pour le moins brutale au milieu de son iconographie pleine de spiritualité.

Leur position à genoux donne l'impression qu'ils sont à l'Eglise ou au pied de leur lit, mais effectivement les paumes ouvertes, c'est pas chrétien du tout. Mais Dumont est athée, c'est normal. Les puissances supérieurs que saluent les deux personnages ce seraient celles de la Nature, du coup ? C'est vrai qu'en disant ça on est pas très avancé. Pour faire plaisir à Borges, on pourrait rapprocher ça de Pocahontas dans Le Nouveau Monde :

HORS SATAN : la balade de Bruno ... Nouveaumonde3

(désolé l'image est minuscule)

La plus belle scène du film, est sans doute le moment où la routarde, après le baiser, glisse nue dans un étang et tourne les yeux vers le ciel, extatique.

Cette scène, je ne sais pas trop bien comment la prendre. Il faut la comparer avec la fin d'Hadewijch, c'est à peu près tout l'inverse. Dans Hadewijch, la jeune fille se noie dans une espèce de mare et l'homme (le même acteur, donc) descend dans l'eau pour la ramener sur la terre ferme.
Dans Hors Satan, il la sauve aussi d'un mal mystérieux, mais il le fait dans l'herbe, et la fille va glisser dans l'eau comme pour achever de purifier son corps...

HORS SATAN : la balade de Bruno ... 19183488_jpg-r_760_x-f_jpg-q_x-20091015_103223

Ces histoires de croyances, de foi, de spiritualité, c'est comme pour Malick, je crois qu'au fond, elles ne m'intéressent tout simplement pas, elles ne m'évoquent rien...
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Message par Eyquem Mar 1 Nov 2011 - 14:20

Deux extraits de l'entretien des Cahiers :

BRUNO DUMONT : On pensait que j'étais chrétien alors que je ne le suis pas du tout. (...) Dans Hors Satan les personnages sont dans une sorte de paradis, mais ce paradis c'est la Terre. Si vous regardez la Terre comme un paradis, elle le devient. C'est un problème d'ajustement du regard.

(parlant des plans sur le paysage) Ce n'est plus un paysage car il est transcendé (...) Le revers c'est que certains spectateurs s'ennuient. L'amplitude est totale. Certains verront la présence de l'infini, d'autres trouveront ça dépourvus d'intérêt.
Il se dit peut-être athée, mais il filme le miracle d'une résurrection. Ce n'est donc pas qu'une affaire "d'ajustement du regard" comme il dit.
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Message par Invité Mar 1 Nov 2011 - 20:45

comme le dit Jacques Rancière dans La fable cinématographique l'art des images mobiles renverse la vielle hiérarchie aristotélicienne qui privilégiait le muthos - la rationalité de l'intrigue - et dévalorisait l' opsis - l'effet sensible du spectacle.

Dumont va largement dans ce sens-là.

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