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D'image le monde (de quelques stars médiatiques planétaires, et de leur reflet)

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Message par Van Stratten Lun 23 Mai 2011 - 22:01

D’image le monde
De quelques stars médiatiques planétaires


Le cinéma, la baudruche et le théâtre
(Bêtise de l'image, évidence du théâtre, entre-deux du cinéma)
Une autobiographie de Nicolaë Ceaucescu semble à peine un film de montage, et il est pour le moins impossible pour le spectateur de déterminer, dans ce film singulier, la part du travail d’Andreï Ujica, le réalisateur mentionné au générique, tant ce dernier semble se faire scrupule d’intervenir aussi peu que ce soit dans le déroulement de ces images et de ces sons d’archives. Cette intervention est toutefois patente (et tout à fait inévitable) dans le montage son : parfois des « sons off » ont été ajoutés à des images « muettes » pour créer une synchronie a posteriori - sans doute parfois illusoire -, et le plus souvent il semble que des archives sonores aient été adjointes à d’autres archives, celles-ci visuelles, afin de former un ensemble « complet ». Voici qui pose d’ores et déjà l’un des sujets de réflexion du film : de la manipulation des images, mais non pas seulement au sens courant (qui est l’autre sujet - celui de l’effet produit sur le spectateur par les images - traité lui de façon beaucoup plus directe, puisque le film est composé exclusivement d’images « de propagande », produites par et pour un pouvoir politique). Avant tout, et jusqu’au bout, Ujica semble d’une circonspection infinie avec l’image : il s’en méfie comme d’un matériau inflammable, ou radioactif, et n’entend la « manipuler » qu’avec la plus grande prudence - à l’heure de u-tube, c’est pour le moins iconoclaste. Dans le même temps le cinéaste accorde toute sa confiance au spectateur auquel est confié un tel matériau : le film s’adresse exclusivement à notre intelligence - c’est peut-être encore plus rare.
C’est bien connu : « le cinéma est niveleur de nature » (Daney, « Sur ‘Salador’ », encore). Le cinéma valide, accueille immédiatement comme l’un des siens, en l’incluant dans son champ, tout protagoniste filmé. Et le spectateur adhère, acceptant aussitôt de partager le temps et l’espace du plan avec Ceaucescu. Davantage : Ceaucescu nous est tout à fait sympathique. Durant les deux premières heures au moins de ce film extraordinaire, le dictateur est très « aimable ». Nicolaë porte le cercueil de son prédécesseur, lors des funérailles gigantesques qui ouvrent le film (plans jamais vus, au sens propre fantastiques, et que l’on croirait presque sortis d’une série z américaine, plans fixes qui observent avec une neutralité parfaite le défilé du peuple innombrable cheminant comme sous hypnose, un par un, à travers les dédales d’un immense palais), Nicolaë s’adresse aux masses (innombrables et indivisibles), Nicolaë promet des lendemains qui chantent, Nicolaë est maladroit, soit qu’il danse, soit qu’il descende d’un avion, soit qu’il sourie ou agite la main pour saluer son public - ces roumains qui n’ont d’yeux que pour lui -, soit enfin qu’il joue au volley, ou qu’il s’adresse à ses inquisiteurs (« je refuse de reconnaître la légitimité de ce tribunal », tance-t-il indigné), au moment de sa chute. Comme une star d’Hollywood (comme les mannequins de la pub ou du cinéma de ce jour), par le truchement du cinématographe (et plus tard de la vidéo), le conducator accède simplement au rang d’être humain.
Bêtise de l’image : sans commentaire, sans discours, par le fait même que le cinéaste nous livre tous ces plans et morceaux d’archives comme in extenso, c’est-à-dire par fragments continus, sans le truchement d’une fiction, d’une dramatisation, d’une progression quelconque d’un plan à l’autre (sinon chronologique), le spectateur ne peut avoir d’yeux que pour Nicolaë. Idole immédiate, à la fois semblable et inaccessible, Ceaucescu est pour nous adorable.
Du moins le serait-il sans l’intervention ultime, et de plus en plus prégnante au long du film, du théâtre. À voir, d’une « scène » publique à une autre, Ceaucescu répéter toujours le même geste mollasson et mécanique de la main, à l’entendre ânonner dans vingt circonstances différentes les mêmes formules marxistes (« il faut faire des efforts pour devenir socialiste », « il n’y a qu’une école : celle du matérialisme dialectique et historique »), à assister vingt fois à la même mise en scène gigantesque lors de trop régulières célébrations du pouvoir communiste (et de plus en plus autocratique) par lui-même, se fait jour une faille, une fuite d’air par laquelle la baudruche pourrait peut-être se dégonfler. Enfin l’image retrouve le statut dérisoire qui devrait toujours être le sien : celui du vain simulacre. Enfin Ceaucescu, par le biais du comique de répétition et de la pantomime burlesque, se révèle comme le cancre jaloux qu’il est, non pas comme un fou de tragédie shakespearienne, mais plutôt comme un Monsieur Jourdain qui aurait réussi à tromper son monde, puis, tout de même, au fil du temps, comme un malade de moins en moins imaginaire.
Il est au cœur du film une scène incroyable, franche comme du théâtre, et improbable comme un rêve : Ceaucescu est au centre d’un vaste salon de réception, seul, planté derrière un micro. Il est alors cadré d’une façon très particulière, de pied en cap, comme sur une scène de théâtre - ce cadrage ne variera pas. Et il pérore, abattant les mêmes vieilles cartes, mais comme si le discours était inusable et de toute éternité. Or la Roumanie est alors en pleine déroute économique : par la répétition des mêmes antiennes, des mêmes plans quinquennaux, et de la même politique, c’est un pays entier qui court au marasme. Mais en face du chef pérorant, un contrechamp en plan rapproché nous montre successivement les visages des quelques ministres et intimes rassemblés pour l’occasion, qui l’écoutent sans sourciller, dans une parfaite inertie (le discours était sans doute destiné à être retransmis à la radio, et le peu de spectateurs assemblé devant l’orateur fait de ce moment de théâtre une vraie scène comique). Non, la baudruche ne se dégonflera pas. Ceaucescu, jusqu’au bout, gardera la même posture absolue, ne changera pas d’un mot son discours, ni d’un geste sa pantomime. Impuissance de l’image. Opiniâtreté du théâtre. C’est uniquement par la mise en scène que le simulacre de l’image nous apparaît comme tel.
Avec, tout de même, un drôle de retournement, et comme une question subsidiaire : la question du passage, passage du film à la vidéo, ou plutôt, du cinéma à la télévision, mais tout aussi bien, passage de la super 8 au caméscope (en ce qui concerne les films de vacances de la famille Ceaucescu). Parce qu’alors, avec ce changement de support, on voit bien que ce n’est plus tout à fait la même donne. Qu’est-ce qui a changé ? Encore Daney, peut-être, pour un embryon de réponse. Il s’agit d’un texte que je viens de lire, tiré du Salaire du zappeur, dans une chronique intitulée « Bouvard du crépuscule », et sous-titrée : « Où il est murmuré qu’à la différence du cinéma, la télé maintient intacte notre capacité de haïr ce qui est haïssable. » Le texte se conclue ainsi : « Au cinéma, on pouvait - à la limite - lancer un acteur (on se souvient de Von Stroheim) aux cris de « L’homme que vous aimeriez haïr. » Mais c’était encore d’amour qu’il s’agissait. À la télévision, il en va tout autrement : si l’amour s’y gaspille à vide, la haine, elle, fait bloc. La télé nous permet de rencontrer (sans les saluer) ceux que « nous nous haïrions d’aimer ». » Il s’agissait d’un texte à propos de Philippe Bouvard. Or en cours de route, et comme à l’occasion de ce passage du film à la vidéo pour l’enregistrement des séances de l’assemblée roumaine, ne nous mettons-nous pas soudain à ne plus aimer Ceaucescu ? Le film est à (re)voir.

Ni tiède ni mou
Le premier plan d’Essential Killing, le film de Jerzy Skolimowski, est-il dur, ou doux ? Collé à une roche aride comme à une peau humaine, c’est un travelling patient, mais filmé à partir d’un hélicoptère de l’armée américaine. Froid est le regard. Chaude la pierre jaune, caressée lentement, en une plongée verticale. Nous sommes dans un désert inhospitalier. Mais trois personnage s’y promènent, en plan large, comme sortis d’un film de Woody Allen, et leur conversation nous arrive aussi nette et familière que si nous étions auprès d’eux. Ce sont de cyniques américains, qui sont ici comme chez eux, et discutent de leurs affaires, aussi malhonnêtes que juteuses. Le lien entre les Américains dans les airs et les trois qui sont sur terre n’est pas clairement établi. Sans doute les uns sont-ils traqués par les autres ? En tout cas, lorsque le personnage principal apparaît, un monde sens-dessus-dessous est prêt à l’accueillir. Son affolement est le nôtre : terrorisé, il tire au lance-roquettes sur les trois hommes, mais il aurait pu tout aussi bien les rejoindre pour leur parler. Il est perdu, comme nous. Il va désormais chercher à se repérer. Comme nous.
Les deux derniers films de Skolimowski nous amènent à nous identifier à des êtres hors-normes : le jeune homme de Quatre nuits… présentait une insondable déficience mentale, et dans ce film-ci, le personnage que nous accompagnons ne commet pas moins de neuf (violents) homicides au cours du film. Les deux films posent ainsi d’une façon radicalement nouvelle l’éternelle question : qu’est-ce qu’un personnage de cinéma ? Ils la posent, car nous nous identifions à eux, dès les premiers plans. Le tour de force d’Essential Killing est de faire de cet être humain en plein retour à l’état sauvage notre seul point de repère dans un monde sans boussole. Que reste-t-il du cinéma ? Un (seul) personnage. Encore ne saurons-nous rien de lui.
Essential Killing, c’est la rencontre impromptue, à chaque plan, du brûlant et du glacé. C’est le dur et le doux. Comme (ne) disait (pas) Eustache, le cinéma n’est ni tiède ni mou. Avec Skolimowski, le cinéma est un art radical. Son personnage est un extrémiste, poussé à ses dernières limites (jusqu’à y laisser la peau). Réfugié dans une grotte, il risque d’être découvert. Il s’empare alors d’un fusil lance-roquettes et fait feu. La séquence est éprouvante (comme d’ailleurs toutes les séquences du film à l’exception des deux dernières) et j ne sais plus s’il fait feu sur l’hélicoptère et sur son pilote de jeu vidéo (que nous n’aurons pas vu, mais entendu pousser, depuis l’habitacle de l’appareil, des exclamations d’une glaçante puérilité). Ensuite, le monde se fait dur, pour un temps. Mais l’homme en est un peu protégé, car une explosion l’a rendu sourd. Ce qui ne l’empêche pas d’être pourchassé, capturé, enchaîné, costumé, torturé, emprisonné, traîné, nié… jusqu’à ce qu’un heurt violent, dernière dureté, toujours implacable, vienne clore cette suite ininterrompue, et le rendre à une douceur première. La Jeep dont il s’empare diffuse une musique tonitruante, mais il ne l’entend pas. Il n’a pas davantage entendu la douce voix du GPS donner ses consignes absurdes, après l’accident (nous, oui). Il trouve refuge dans une immense forêt nordique. La forêt est dure (un arbre lui tombe même sur la tête). La neige est froide, d’autant plus froide qu’il doit quitter ses chaussures pour mieux égarer les chiens qui sont à ses trousses. Un ennemi implacable le pourchasse. Mais ils ne l’auront pas. Ils semblent pourtant dressés pour tuer, mais il l’est aussi, assurément. Il trouve une fourmilière, et peut enfin se nourrir. Il rencontre une femme qui allaite son enfant, et peut enfin boire. Il s’endort comme le christ, sur la paille d’une mangeoire. À l’aube, ce sont des biches qui l’éveillent. Il les met en joue, mais ne fait pas feu, préférant les regarder dans le silence. Un immense paysage de neige et de glace l’accueille alors. Enfin, avant de se laisser doucement emporter par la mort, une mort aussi douce et discrète (d’ailleurs hors-champ) que les morts précédentes ont été violentes, mort dont l’émissaire est un docile cheval blanc, il est recueilli, au beau milieu de la nuit, par une femme admirable, sourde et muette, qui panse ses plaies, les effleure du geste, n’osant peut-être les embrasser.


Du pessimisme.
Lorsqu’une civilisation a pris la dangereuse voie du droit naturel, celle de la violence et de l’instinct de survie, seule la Femme semble pouvoir sauver l’homme de lui-même. Mais il n’est pas sûr que ce soit possible, en tout cas il n’est pas sûr que Skolimowski y croie. Parmi les films aimés dernièrement (du moins par l’auteur de ces lignes, et parmi ceux qu’il a pu voir) il n’en est pas un d’optimiste. Le sujet le plus passionnant est toujours le même, vieux comme Adam et Eve : d’Oliveira (Singularités…) à Kiarostami (Copie conforme), existe-t-il encore un moyen pour un homme et une femme de communiquer ? C’est soudain Antonioni qui (re-)devient le plus moderne d’entre tous. Le téléphone portable de Copie conforme, formidable petit objet de mise en scène, objet transitionnel bien plus qu’outil de communication, devient l’incarnation même de l’ennemi qui nous guette : c’est le téléphone qui soudain fait écran entre les êtres, et qui atteint l’opposé de sa destination. Le téléphone n’est qu’une interférence majeure entre les deux individus d’un couple - qui n’en est plus un depuis longtemps. Chez Kiarostami, il ne s’agit plus de constater qu’il y a de l’incommunicable entre les êtres, mais de dresser le bilan de tout ce qui peut les séparer, et, par les truchements de fictions plus tout à fait vraisemblables, de tenter de combler l’angoisse - il ne s'agit plus même de couple chez Kiarostami, mais de constater qu'entre deux individus il n'y a plus de relation possible : il n'y pas un seul échange entre les deux personnages qui "passe", ils sont bavards jusqu'à l'épuisement, tiennent une véritable logorrhée, mais n'ont pas ensemble le moindre échange, et dans ce sens la "barrière de la langue" devient même un avantage pour Kiarostami, puisque son sujet n'est pas dans les dialogues. Mais la fiction a bien du mal à convaincre (cinéaste y compris). C’est un peu comme si Kiarostami, à l’instar de son personnage masculin se regardant dans le miroir-caméra d’une salle de bains, au dernier plan du film, se demandait : est-ce que ça vaut la peine de persévérer ? C’est la réponse qui angoisse. C’est le regard aussi. Regard-caméra, regard-miroir par lequel l’identification s’est muée en identité : identité parfaite entre personnage et spectateur. Relation-miroir, dit le psychanalyste. Heureusement, Kiarostami nous laisse seuls, après le départ de l’homme, face à un plan qui dure, pas tout à fait vide, où résonne l’appel du sacré, dans le lointain, à travers la fenêtre ouverte. Le temps de la réflexion. Belle invitation, en forme de rébus, de la part d’un très grand cinéaste, à l’intention d’un spectateur qu’il respecte infiniment.
Pourtant, ré-enchanter le monde est aujourd’hui une mission difficile : le cinéaste de Chantrapas préférait rejoindre un hors-champ imaginaire, que de s’obstiner à produire une œuvre dont personne ne semble vouloir. Le film est beau, d’une invention de chaque plan, mais il est lui aussi très pessimiste, et rentré jusqu’à l’égocentrisme. Un égocentrisme qui n’est peut-être (posons la question) pas totalement assumé. En tout cas, jusqu’au bout, le personnage est seul contre tous. L’amitié n’y est évoquée que sous le jour du romantisme, comme deuil, mélancolie pure, presque comme une fatalité, ou comme une solitude de plus. Un cinéma aussi replié sur lui-même est-il vraiment une bonne nouvelle ?
Le couple de Policier, adjectif est bien le seul que j’aie vu tenir debout dans un film depuis fort longtemps. Mais c’est le personnage (l’homme bien sûr) qui finit par jeter l’éponge. Il courbe l’échine, et accepte d’effectuer une tâche absurde. L’individualisme de masse l’emporte lui aussi. Le film enregistre l’événement, et s’achève ainsi, sans solution, peut-être avec mélancolie, peut-être avec ironie, peut-être encore avec un franc désespoir : cela dépendra du spectateur. Le cinéma semble comme pris au dépourvu : comme si le cinéma, bon gré mal gré, était quand même d’abord lié au collectif. Le vieux truc de l’individu solitaire est un cliché de western, d’accord, mais John Ford, c’est d’abord la communauté, jamais l’individu tout seul. Pour Anthony Mann, ce sont bien les rapports qui comptent, de force, d’amitié, ou de passion, donc là aussi : c’est un jeu collectif. De toute façon il ne peut en aller autrement : la condition de spectateur (à plus forte raison de cinéphile) est déjà solitaire, alors il serait intenable d’en rajouter : sur l’écran, on veut être accueilli dans un collectif, fût-il aussi infernal que celui de Naked spur.
Depuis longtemps, on sent bien que le cinéma ne se porte pas bien - sauf avis d’experts en données chiffrées, qui par définition n’aiment pas le cinéma. Mais, après tout, peut-être la (très) mauvaise condition du cinéma de ce jour n’est-elle qu’une simple conséquence de ce qu’il est lié intrinsèquement au destin du monde, au monde comme il va. Le plus pessimiste, politiquement comme cinématographiquement, reste sans doute Godard, qui paradoxalement se montre d’un enthousiasme juvénile, tant il semble convaincu que cette civilisation (la nôtre, la sienne) est en train de s’effondrer sur elle-même - ou de prendre l’eau, si l’on file l’allégorie du film. Il y puise en même temps une vraie sérénité, qui elle n’a rien de paradoxale : Jean-Luc Godard est désormais un philosophe autant qu’un cinéaste. En tout cas, pour Godard, il est évident, avec Film Socialisme, que le plus important c’est le collectif - seule donnée de son cinéma qui n’ait pas changé depuis quarante ans.

Le western Al Qaida et l’image de Ben Laden
Malgré la prolifération vertigineuse des images, l’essentiel semble bien souvent se réduire à quelques fétiches, c'est-à-dire à un petit téléscopage quotidien d’images et de sons. C’est ainsi que l’élimination de Ben Laden par l’armée américaine nous arrive quelques jours après avoir vu Essential killing. N’ayant pas d’image (une fois n’est pas coutume) de l’assaut donné par ces troupes d’élite transatlantiques, nous pouvons d’autant moins nous empêcher de leur substituer, non sans une certaine arrière-pensée, les premiers plans du film de Skolimowski. Le seul spectateur à avoir vu le film, le vrai, celui de la mort de Ben Laden, s’en est réservé l’exclusivité, comme on dit à la télé pour les matches de foot. Ce spectateur n’est autre que le président des Etats-Unis, Barak Obama. A-t-il picoré des popcorns lors de cette projection privée ? L’image est-elle devenue à ce point le centre de notre petit monde, qu’un président américain ne puisse se passer d’assister à l’assaut de ses soldats par caméra interposée ? Le film aurait-il pu se terminer autrement que par une happy end ? En un raccourci sidérant, on a soudain l’impression que la réponse est non – puisque c’est un film américain !
Qu’est-ce qui nous glace soudain, à rebours du personnage de Skolimowski, en apprenant que le président américain a regardé le filmage retransmis en direct d’une petite caméra vidéo, embarquée paraît-il sur le casque d’un de ses soldats – mais au fait, n’y avait-il qu’une caméra ? Après tout, voilà un président de gauche qui fait ce qu’il a dit… oui, mais il joue perso, lui aussi : est-ce que c’est encore être de gauche ? Les américains sont partout chez eux, font ce qu’ils veulent, agissent en douce, sans prévenir personne. Certes, la stratégie fut payante : ils ont mis hors d’état de nuire Oussama Ben Laden. Mais avouons que cet objectif absolu – dont d’aucuns ont émis le net soupçon qu’il n’est pas loin d’une mise à mort pure et simple – rappelle étrangement la régression primitive du film de Skolimowski, et évoque davantage le droit naturel que le droit moderne – œil pour œil et droit du plus fort. Les Etats Unis deviennent alors eux-mêmes cette caricature du western, après qu’Eastwood s’est lassé de l’incarner : celle du justicier solitaire. Sauf que le principal acteur est tranquillement assis dans son fauteuil, et ne fait qu’assister aux images de l’action principale, qui pour le reste du monde se passera hors-champ.

Ah ! ça, pour le coup c’est nouveau : d’un coup d’un seul, l’on deviendrait pudique avec les images ? « Cachez ce cadavre que je ne saurais voir » : la question de la monstration des photos du cadavre de Ben Laden a été longuement discutée, paraît-il, outre-Atlantique, et finalement on a décidé de ne pas les publier. Plus récemment, dans notre hexagone hexagonal, on s’est plaint d’avoir dû subir les images du pauvre Dominique Strauss-Kahn traîné devant le tribunal. « Cachez ces menottes que je ne saurais voir. » Voilà une soudaine pudeur, pour le moins suspecte. (Mais peut-être faut-il être aveugle, dans un monde qui ne fait que se regarder, pour percevoir ce qui se passe de nouveau en travers de la planète…)

Les premiers plans du film de Skolimowski, outre qu’ils soufflent le chaud et le froid, ressortissent pour une part du jeu vidéo. Le pilote d’hélicoptère américain, prêt à appuyer sur le bouton rouge de son joystick, fait preuve, non pas seulement d’immaturité, mais de cet état à la fois hypnotique et autistique, fiévreux et apathique, qui est celui du joueur patenté. La métaphore est du reste un peu lourde, parce qu’elle est soulignée par un dialogue peut-être trop explicite. On est alors dans la satire, pas très loin de l’humour noir du Kubrick de Dr Strangelove. Mais il y a clairement deux points de vue, qu’épouse successivement la caméra : au sol, et dans les airs. Deux modes identificatoires (les plans depuis la cabine d’hélicoptère sont du reste uniquement subjectifs, tandis que ceux qui finissent très vite par coller aux basques du personnage traqué sont plus ambigus). Une alternance brutale de ton (dans les dialogues), de mise en scène, et de cadre (angle, distance, point de vue) qui montre clairement un fait : le pilote d’hélicoptère est dans un jeu vidéo. Mais la mise en scène de la séquence n’a rien de celle du jeu vidéo. Elle n’est pas seulement plus complexe (se rapprochant successivement « à hauteur d’homme » de trois groupes d’individus différents), mais plus précise. Elle est une vraie mise en scène, tandis que le jeu vidéo n’est qu’un bête dispositif. Dans les airs : la menace sourde. Sur terre : une tranquillité débonnaire. Dans cette première séquence du film, nous sommes déboussolés, et sitôt rencontré le personnage, il devient notre seul repère.

Skolimowski expose de l’intérieur un impérialisme d’un nouveau genre : celui d’un choc frontal où toute idée de communication est exclue d’avance. Celui d’un monde où les images ne sauraient plus livrer la moindre information. Celui d’une civilisation tellement dominée par sa technologie (électronique en tout point, que ce soit celle des armes ou des images) qu’elle n’a plus le moindre espace pour réfléchir, et qu’elle ne fait plus que fantasmer, sur le mode principal de la phobie : phobie de soi-même, phobie de l’autre, mais aussi claustrophobie, agoraphobie etc.

Essential killing exclue la possibilité du fantasme pour le spectateur : voir les scènes, soit d’une rare violence concrète, soit d’une rare violence symbolique (souvenir incroyable de Pasolini - et pas seulement celui de Salo : Pasolini exclue de fait le fantasme, puisqu’il demande sans cesse à son spectateur « où il en est avec son désir »), nous oblige à accepter d’en penser quelque chose, nous renvoie à nous même, nous réfléchit.

Dans la traque de Ben Laden, il ne s’agit plus d’une guerre des images, mais d’une guerre sans image. Et c’est peut-être encore pire. L’impérialisme américain consiste pour une bonne part à nous étourdir sous un flot d’images spectaculaires (presque toujours fictives). Avec les deux guerres du Golf, les Américains s’étaient fait avoir : ils ont perdu la guerre des images (comme l’écrivait Baudrillard, ils n’avaient pas pris garde au « retour image »), et ainsi ils ont un peu perdu l’autre aussi, la vraie guerre, qu’ils ont perdue moralement, du côté de leur « image de marque ». Alors, Obama décide très intelligemment de couper le robinet à images : nous n’aurons pas eu d’image, pas plus de l’opération militaire que du cadavre avant qu’il soit jeté à la mer - et ce n’est pas parce que nous n’avons pas d’image que Ben Laden n’a pas été tué, puis jeté à l’eau, ce serait même ici le contraire, comme quoi la « preuve par l’image » n’est qu’un mythe, mais qui a la vie longue, encore qu’il reste quelques fanatiques à travers la planète pour imaginer des complots du genre « Ben Laden est toujours vivant » : sur ceux-là l’image est à la fois toute-puissante, et impuissante).

Dans la traque de Ben Laden, un pouvoir planétaire se réserve un droit d’exclusivité sur l’image : l’image est accaparée, purement et simplement. Seul le président a le droit de voir. Seul le président peut se projeter dans l’image. Le reste du monde – mais le peuple américain avec lui – est ignoré, nié – considéré qu’il est peut-être comme le décor d’un jeu vidéo. Est-ce un « abus de pouvoir » ? N’est-ce pas un « abus de pouvoir » particulier, au pays de la liberté d’expression ? Ou alors les américains seraient-ils simplement plus lucides que nous quant à la différence entre informer, et montrer ? Mais y-t-il vraiment une frontière nette entre l’info et l’image ? En conservant l’image, en retenant l’info, le pouvoir américain fait plus que de la rétention d’information : c’est l’image qui devient top secrète, et de ce fait, enjeu de pouvoir. Ce serait un peu le contraire de l’image de propagande : ne pas montrer reviendrait ainsi à assurer son pouvoir sur les masses à travers la planète. La preuve de ce succès médiatique et politique : à l’annonce de l’opération militaire dans la ville pakistanaise d’Abbottabad, nul n’a bronché, et à ma connaissance les chroniqueurs de la presse écrite comme les autres ont tous applaudi.

Souvenir du cadavre de Saddam pendu : erreur de Bush, et discrédit immédiat. Obama a retenu la leçon, et refuse de publier les images du cadavre de Ben Laden. Il le fait disparaître en catimini : n’est-ce pas pire ? Au moment même où les images circulent à la vitesse de la lumière à travers la planète, un président américain décide de retenir les images, de les (re)garder pour lui, si bien qu’elle ne circuleront nulle-part, ne quittant pas le sous-sol de la Maison Blanche. N’est-ce pas inquiétant ? Car il ne s’agit pas de hors-champ ici, il s’agirait même du contraire : c’est d’une absence absolue d’image qu’il s’agit. On ne saurait dire exactement ce qui se joue ici, mais il se passe assurément quelque chose de nouveau. Au même moment, ou presque, à cause d’une vidéo crado postée sur internet, un grand artisan du vêtement se retrouve mis au ban du village français, perdant tout droit de cité, et se faisant même, d’après une plainte déposée par l’intéressé, dépouiller de son argent par son avocat dans l’indifférence générale. Absence absolue d’image vs. image absolue : les deux faces d’une même médaille ?


« Cachez ces menottes que je ne saurais voir. »
La tartufferie du petit monde médiatique n’a jamais été telle : ça fantasme à tout va, et comme le fantasme est aussitôt refoulé, chacun revendique le droit de ne pas voir ces images, que pourtant il a vues, et qui du reste nous donnent à tous le frisson. Et l’on se paye le luxe, encore une fois, de faire la morale aux médias américains, qui continuent pourtant, eux, à essayer d’informer.

Et d’invoquer une loi qui, en France, interdit la monstration d’un prévenu au nom de la présomption d’innocence : mais le laïus ne trompe que les Tartuffe, et l’invocation n’est qu’un prétexte. Sinon, on essaierait de tenir dignement la vraie discussion qui est derrière cette question : celle d’une jurisprudence de l’information. Est-il démocratique d’informer, quitte à tout montrer, et à fantasmer, ou bien de censurer l’image, et une information avec elle, au nom d’un respect absolu de l’individu ? S’il s’agit de censurer : quelle image censurer ? à partir de quel(s) critère(s) ? Comment motiver la censure de l’image d’un fait public indéniable - DSK menotté - et fonder dans le même temps une décision judiciaire sur l’unique preuve d’une image volée, à l’insu de l’intéressé, et au cœur de sa vie privée – nauséabonde affaire John Galiano ? La question est aussi celle de la comparaison de la loi américaine et de la loi française, et la réponse devrait commencer par le constat que ni l’une ni l’autre ne prend en compte l’image en tant que telle, et encore moins la relation, passionnante et incontournable, entre montrer, et informer.

Strauss-Kahn : phobie du moi. Je ne veux pas me voir dans cet état. Et dans le même temps ça me fait jouir. Mais je n’en veux rien savoir. Strauss-Kahn c’est vous et moi, c’est La France, c’est nous. Strauss Kahn c’est un puissant, un homme de pouvoir, directeur de la banque mondiale, mondialement riche et privilégié. Et d’un coup il lui arrive ce qui arriva à Néron, à Médée, à Œdipe, à Phèdre : le grain de sable de la passion qui vient renverser les trônes et les empires les mieux gardés. Manque cruel de la tragédie dans nos sociétés, qui nous revient ici comme un boomerang depuis l’autre côté de l’Atlantique. Mais, cette tragédie qui nous arrive sans crier gare, nous sommes en train de nous étouffer avec, par le fait que nous la refusons. Nous refusons la catharsis. « Cachez ces menottes que je ne saurais voir. »

Pour une jurisprudence des images ? Jusqu’où informe-t-on ? À partir de quand commence la manipulation ? Mais le fait est, inadmissible pour ceux qui font la télé, que toute image nous manipule : toute image nous donne à nous projeter, toute image contient par essence une bonne part de séduction (ou de répulsion, mais c’est exactement la même chose, et cela se retourne l’un en l’autre comme un gant). Légiférer sur l’image est-il seulement pensable ?

Montrer Strauss-Kahn menotté être poussé par deux flics new-yorkais à l’arrière d’une voiture de police, est une indéniable information, qui, n’en déplaise aux ayatollah du petit écran, ne préjuge en rien, pas plus que le mot inculpé (ou celui, hexagonal et fort jésuitique, de mis en examen) de sa culpabilité. L’image livre explicitement, platement, une seule information : Strauss-Kahn a été arrêté par la police new-yorkaise. Point. C’est alors que le fantasme commence. Mais il n’est en rien dans cette image : il est dans ce que nous mettons dans cette image. Voilà pourquoi toute image a à voir avec la projection, qu’elle soit vue dans une salle de cinéma (donc projetée) ou pas. Car nous nous projetons en elle, toujours et immanquablement. Strauss-Kahn, pour tout français devant son poste de télé, « c’est moi ». En revendiquant tautologiquement la « présomption d’innocence » pour refuser cette image du directeur du FMI inculpé et menotté, les micro-stars de plateau-télé font, inconsciemment, exactement le contraire de ce qu’elles revendiquent : elles sont phobique de cette image de Strauss-Kahn, qui n’est jamais qu’une image d’elles-mêmes fantasmée. Elles sont Strauss-Kahno-phobiques. Elles s’en distinguent alors même qu’elles prétendent prendre sa défense : n’est-ce pas une condamnation implicite ?

On entrevoit bien deux modes majoritaires de projection possibles face à l’image de Dominique Strauss-Kahn menotté : il y a d’abord la plus courante dans nos démocraties post-révolutionnaires : celle de la jouissance vaine et satisfaite de voir un puissant tomber sous le coup de la loi, celle de David contre Goliath, du bon peuple contre une élite pervertie (c’est la réaction éternelle, et comme atavique, du public américain, et sans doute celle d’une grande partie de la planète, banale, mais teintée tout de même ici d’un goût de revanche de la part du bloc anglo-saxon envers une France janséniste qui aime à faire la morale aux autres nations), et puis il y a celle des Français, ci-dessus décrite : non pas l’autre, mais soi. Elle est plus originale en la circonstance, et devrait nous permettre, en nous reconnaissant nous-mêmes à l’intérieur d’une série américaine, de réfléchir, plus précisément de nous réfléchir dans le regard de l’autre (ce serait une autre définition de la catharsis). Mais à voir l’empressement avec lequel tout éditorialiste un tant soit peu influent se précipite sur les plateaux de télévision pour aller crier haro sur l’odieuse image et faire en même temps son mea culpa de journaliste qui s’est montré trop complaisant avec les puissants (contradiction dans les faits, puisqu’il s’agit finalement de défendre Strauss-Kahn d’une main, et de l’accuser de l’autre), on peut craindre que la leçon, non seulement n’ait pas été profitable, mais ne vienne retenir encore davantage l’information et sa circulation (qui désormais est intrinsèquement liée à celle des images, pour le pire comme, parfois, pour le meilleur).

Or, autre signe des temps (bien plus préoccupant), tandis que l’image de Dominique Strauss-Kahn nous passionne, celle des révolutions arabes nous laisse froids. Lorsque quelques bribes de prises de vues nous en arrivent, en fin de JT, à peine commentées d’un laconique communiqué, il semblerait presque que tout cela se passe sur une autre planète. Osera-t-on suggérer pourquoi ? C’est qu’il y a l’image-miroir, l’image de soi renvoyée par le pas-tout-à-fait-identique, et il y a l’image de l’autre (parfois même, mais de plus en plus rarement, image de l’Autre), résolument autre. Malheureusement, ce n’est sans doute pas seulement par masochisme ou par superstition, que le journaliste-télé et le téléspectateur ne s’intéressent pas aux mouvements révolutionnaires d’Afrique du nord et du moyen orient (pas plus qu’aux changements politiques en Côte d’Ivoire). Ces faits politiques - d’ailleurs complexes et sans cesse nouveaux -, quoiqu’il en advienne (et c’est déjà le signe d’un progrès social de fait au Maroc, en Tunisie ou en Egypte) est un espoir pour toute la planète, et pour nous aussi, si nous voulons bien l’accueillir, ou en tout cas lui faire une place. L’indifférence teintée de peur du téléspectateur qui sommeille en nous en dit long sur l’ambiance de plus en plus nauséabonde qui règne sous nos latitudes. Mais là n’était pas le sujet de cet article.


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Message par Van Stratten Mer 25 Mai 2011 - 15:35

Cette histoire de "jurisprudence de l'information" ne laisse pas de m'enquiquiner. La loi américaine ignore superbement l'image, et il ne me semble pas que l'acte de "montrer" y connaisse la moindre limite. En rangeant d'emblée l'image dans la case "liberté d'expression" elle considère tacitement toute image comme "expression", donc comme transmission sinon d'information, en tout cas d'un "discours" - ce qui ne l'a pas empêchée, à chaque période de trouble, de censurer les images, mais exactement comme elle censurait la société - lois raciales, mac carthysme, lois sur les moeurs. Mais l'image n'est ni le réel, ni le discours.
La loi française postule elle aussi que montrer, c'est dire (comme si montrer les menottes, c'était affirmer la culpabilité du prévenu), mais en tire paradoxalement la conclusion opposée : elle censure cette "expression", tout bonnement, la considérant calomniatrice. Il est difficile d'apercevoir la moindre logique dans tout ça. Pour l'américain, montrer c'est informer, livrer une vérité toute nue, pour le français c'est travestir, c'est mentir. L'américain n'interroge jamais l'image, il la prend comme telle. Le français (écoutez radoter Finkielkraut ou BHL - l'image c'est nul, l'image ça n'est que l'apparence des choses - sur le sujet de l'image depuis trente ans, tout en se faisant inviter à qui mieux mieux sur tous les plateaux du village pour vendre leur propre image, sans vergogne aucune), le français se méfie de l'image, pire : il la méprise, affectant une supériorité de "lettré", supériorité intellectuelle qui n'est que l'aveu de son impuissance. Impuissance à appréhender l'image, à la voir, à la "passer", à en parler, à aimer certaines d'entre elles, à en haïr d'autres.

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Message par Invité Ven 27 Mai 2011 - 9:36

salut VS,

tout ça fait beaucoup penser à ce que tu avais écrit à propos de Shirin.

l'image absente.

chez Ford, je pense à Drums along the Mohawk, le long récit de la bataille d'Alleghany (ou d'Albany ? je sais plus) par Gil Martin. récit qui remplace le filmage de la bataille elle-même et qui a une grande force de persuasion.
inversement, le montrage doublé de la mort de Liberty Valance en interroge les circonstances.

est-ce similaire ? l'image montrée ou dé-montrée a-t-elle la même fonction au cinéma et dans les media d'information ?
je ne regarde pas la télé et je n'ai pas suivi de près le traitement médiatique des affaires dsk et ben laden. mais il me semble que le but poursuivi est à peu près le même. les journalistes et les politiciens ont une envie folle qu'on s'identifie à dsk. pour l'honneur de la france,n'est-ce pas ? il faut faire bloc. union sacrée etc... (tous derrière Lagarde). il faut que nous adhérions au destin tragique de dsk (et en même temps le bonhomme ne nous facilite pas la tache, avec sa baraque à 35000 balles par mois, etc...).
et c'est plus ou moins pareil avec ben laden. il faut qu'une part de la fantasmagorie ben laden adhère à nous, un fantôme surgissant devant le réel depuis notre mémoire (ce qu'il en reste).
l'image montrée de dsk menotté est certainement une info, mais ce n'est pas celle qu'il faut. mais dé-montrée, cette image porte aussi une info : le caractère insupportable non de l'image elle-même mais de ce qu'elle représente, qui n'est plus une réalité mais un réel impossible et qui hante.


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Message par Van Stratten Sam 28 Mai 2011 - 9:12

Bonjour, Stéphane Pichelin,

Beaucoup de suggestions dans ta réponse. Il faudrait les prendre l'une après l'autre : je n'ai jamais vu Sur la piste des Mohawks, mais la séquence dont tu parles peut faire penser au récit dans Manon des sources de Pagnol, ou évoquer en vrac Oliveira (Non... par exemple), Rivette et ces cinéastes pour qui la parole, sa mise en scène, et l'acte de conter, comptent davantage que l'image ou une queconque mise en images (mais ne s'agit-il pas finalement des conceptions de tout grand cinéaste, de Renoir jusqu'à Hong Sang-soo Kubrick compris ?)
Bon, donc disons que là se joue la mise en scène non pas contre l'image, mais malgré elle, et les paroles et les gestes dans cette mise en scène. (C'est d'ailleurs un de mes dadas du moment...) Bref il me semble que c'est un truc ontologiquement différent qui se joue dans les médias dernièrement (tout support confondu en l'occurence).
Tout au contraire, quant à la séquence du remontrage comme tu dis très bien, que ce soit celle de Liberty Valance ou celle de The Fury de Lang, ce qui est passionnant dans ces films - entre autres... -, c'est qu'en alléguant l'image comme preuve (et preuve toute puissante, puisque le cinéma est un véritable deus ex machina, dans The Fury comme dans Liliom), l'une comme l'autre sèment dans le même temps le doute sur l'image : on ne va pas repasser précisément par là, mais disons que ce qui me passionne là-dedans, ce sont les différentes images d'un homme - d'une femme - dont, et c'est là l'intérêt, aucune ne peut être alléguée comme fausse ou infondée, mais cela montre que l'image n'est jamais "que" l'image, juste une image, ou encore : une image est une image est une image... morale de la séquence, que ce soit chez Ford ou chez Lang. Particulièrement dans The Fury il est très clair que chaque protagoniste ayant participé au lynchage présente au moins deux "visages", et l'image c'est d'abord le visage, très différents mais dont aucun ne "vaut" plus que l'autre.
Alors là on entre de plain-pied dans l'affaire Strauss-Kahn. Ou dans son fantasme. Mais le fantasme en est sinon constitutif, en tout cas partie prenante pour ce qui est de ce qui nous en arrive, et même pour ce qui est du déroulement du procès. C'est encore à Fury que je pense le plus. Imaginons que le procureur parvienne à produire au procès une "image" de Strauss-Kahn radicalement différente, qui serait celle de la pulsion, comme dans The Fury : les jurés la mettraient-ils en doute ? Auraient-ils tort de la considérer comme une "preuve" ou simplement comme une circonstance agravante ? Question passionnante.
Les journaliste français, une fois de plus, ne font pas leur travail, puisqu'ils sont les premiers à s'identifier à DSK par le truchement de son image, démultipliée d'ailleurs dans la presse papier : c'est 'absolu contraire de l'objectivité journalistique. Ils ont beau jeu (un jeu très petit) à venir ensuite faire une espèce de mea culpa gloubi boulga sur fond de déontologie jésuitique. C'est écoeurant. Les journalistes français, mediapart exclu, sont vraiment minables. Et je ne peux écrire autre chose, quand j'assiste au lynchage, au propre comme au figuré, de John Galiano. Minables.
Tout ça pour dire que les journalistes français ne souhaitent pas seulement que nous nous identifions à DSK, comme tu l'écris : ils sont les premiers à s'identifier, et à faire de toute image de DSK une "image miroir", au lieu de la considérer d'abord comme "juste une image" - je veux parler de celle des menottes - donc comme une info. D'ailleurs là je diverge un peu aussi avec ce que tu écris : les images de DSK menotté sont une vraie info, me semble-t-il : en effet l'image "réalise" ce qui sans cela ne serait qu'une procédure judiciaire de plus. Montrer et voir cette image de DSK (ces images devrais-je tout de même dire, au nombre de trois ou quatre) n'est pas qu'une illustration de l'info "DSK inculpé", mais c'est l'info elle-même. C'est ainsi que la considèrent les journalistes américains. Et ils ont tout à fait raison, quant à la conception de leur métier, non ?
Que cette image devienne ensuite pour nous incarnation tragique, cela ne fait pas de doute non plus. Et c'est très bien. Ce qui est lamentable, c'est de vouloir absolument le nier, et par les moyens les plus hypocrites.

Quant au cadavre de Ben Laden absent de nos écrans, il me semble avant tout que c'est un signe politique d'un "manque de démocratie" (démocratie des images comme démocratie tout court) en travers de la planète. Mais vous me rétorquerez avec raison "qu'il y en a d'autres" et de plus graves.


Dernière édition par Van Stratten le Sam 28 Mai 2011 - 10:18, édité 1 fois

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Message par Invité Sam 28 Mai 2011 - 9:33

une info, c'est un fait de langage et comme telle elle demande un émetteur, un contenu et une cible. le choix de l'info, ce n'est pas de choisir parmi une liste d'infos celle dont on va parler mais choisir parmi une liste de faits celui qui va devenir une info. pas de journalisme objectif. (rien de nouveau ici)
dans ce sens, l'image de dsk menotté n'est une info que si elle est utilisée comme telle. à te suivre, elle est une info aux usa. ici, les media ont fait un autre choix dans lequel l'info, c'est l'impossibilité de montrer cette image.
que ce choix ait un contenu idéologique, ça tombe sous le sens.

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Message par Van Stratten Sam 28 Mai 2011 - 10:32

Tout à fait d'accord avec tes "fondamentaux".
Mais je ne te suis pas totalement quant à l'info de DSK Menotté : l'image, aux Etats Unis comme en France, reste une info - à partir de laquelle le spectateur fantasme, là-bas comme ici, même si diversement - voir plus haut. Et cette info n'est pas un discours, n'est pas du tout un fait de langue : c'est une image. Le spectateur voit les menottes, reconnaît DSK, ainsi que sa posture, image du reste incroyablement connotée, image "de série télé" et tout ce que l'on voudra, mais d'abord le spectateur voit les menottes. Point. Ce n'est pas du discours. mais c'est une info. Et capitale.
Enfin le "choix des médias français" de refuser de montrer cette image - tout en la montrant, remarque bien, on se baigne ici dans sa propre inconséquence - le journaliste français est bien piteux - ce choix de refuser de montrer en montrant, c'est cocasse, c'est triste, c'est méprisable, c'est nul, c'est tout ce qu'on veut, mais ça n'a plus aucun rapport avec l'information. Ce n'est pas une info : l'impossibilité de montrer une image n'est pas une info, et c'est d'ailleurs une tartufferie, puisque l'info qui est derrière passe quand même, et au premier plan. C'est à pleurer d'inconséquence. Le journaliste français est vraiment perdu.

En revanche, l'absence du cadavre de Ben Laden de nos écrans est bien une info : parce que cette absence de toute image est avérée : nulle tartufferie dans la position américaine - à peine un brin de ressouvenir de puritanisme à l'anglo-saxonne, mais c'est un voile pour cacher le véritable enjeu de ce fait, enjeu résolument politique -, qui consiste à assurer franchement sa puissance, en matière politique comme en matière d'image. Encore une fois, les éditorialistes et autres journaleux de tout crin se ridiculisent en n'interrogeant pas une seconde cette "info", et en applaudissant même à la "victoire contre le mal". On a même vu les organes de presse (Le Monde en tête) reprendre, certes avec guillemets, en lieu et place de la une, l'expression "justice est faite" de Barack Obama. Fichtre ! Quel non-travail !

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Message par adeline Mar 31 Mai 2011 - 18:03

Salut,

on peut trouver sur le site de JM une critique des propos de VS :

http://www.scienezma.com/CDBLNDLVDP/image_conditionnelle

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Message par Borges Mer 1 Juin 2011 - 10:01




-montrer ou ne pas montrer : si la question se pose pour quelques uns; les élites, bonnes ou mauvaises, y a des gens pour qui elle ne se pose jamais : les cadavres des conflits, essentiellement africains, qui jonchent le sol; montrer ou ne pas montrer un cadavre est une question de valeur, de hiérarchie de la valeur accordée aux morts; plus on expose, moins on évalue.



Combien d'images de morts a-t-on vu du tremblement de terre japonais? combien de celui d'Haïti.



Montrer un mort, son cadavre, cela peut vouloir dire bien des choses; de la profanation, image de l'ennemi vaincu, un peu comme achille avec le cadavre d'hector;


le zéro mort chez les américains s'accompagne du zéro image de morts américains; c'est la règle aussi chez ford : on voit les cadavres indiens, par exemple, jamais ceux des "héros", même lorsqu'ils pourraient servir à dénoncer la violence, la cruauté des indiens... pensons à la scène de profanation de "la prisonnière", et au hors champ des mortes blanches. Dans TMWSLV, pas non plus d'image de john wayne mort.


-image-preuve, cf le débat lanzmann-GDH-JLG; s'il existait des images de la shoah dit lanzmann, je les détruirais....


-ford et kubrick ne sont pas des cinéaste de la parole; juste le contraire.



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Message par Borges Jeu 9 Juin 2011 - 7:38

Badiou :


Là-dessus, je vais vous parler de Strauss-Kahn. Je ne veux pas décevoir toutes les attentes ...

Moi, ce qui m'intéresse dans cette affaire, c'est, précisément, son essence théâtrale. Le grand écrivain de cela aurait été Jean Genêt. Nous avons là, comme dans Le Balcon ou Les Nègres, des allégories. On est dans la représentation, et même dans la représentation de la représentation, la représentation des mécanismes de la représentation (qu'est-ce qu'un président, qu'est-ce qu'un chef de la police?). Nous avons en effet là l'Homme Puissant à la tête de l'institution la plus fondamentale du monde occidental, favori de tous les sondages etc., qui joue le rôle que tenait, dans Le Balcon, le Chef de la Police – dont Genêt précise qu'au troisième acte il doit arriver sous la forme d'une grosse bite (vous voyez que tout cela était déjà prévu ...). De l'autre côté, il y a le symbole même de la faiblesse : la Femme Noire Immigrée, qui vient d'Afrique, qui a un boulot infect etc. La rencontre de ces deux figures ne peut être que sexuelle, car ils n'ont aucun rapport entre eux : elle inexiste totalement pour lui, et réciproquement. Le sexe est cet élément qui provoque des collisions invraisemblables du point de vue des icônes générales du monde. Il y a aussi le rôle, magnifique, de la Sublime Épouse qui annonce l'imprescriptibilité du couple ; je lui rends hommage, sérieusement, car si elle l'aime plus que jamais, c'est qu'il aura montré à tout le monde quelque chose de la faiblesse humaine.

Mon hypothèse théâtrale – car les implications "politiques" de cette affaire ne me font ni chaud ni froid, pour tout vous dire, je n'étais ni dans les électeurs de Strauss-Kahn, ni dans ses non-électeurs – est qu'il ne voulait pas y aller. C'est son entourage qui avait créé chez lui ce désir morbide d'être président de la république : sa femme espérait peut-être qu'il allait s'assagir dans les nécessités de la représentation, le PS en a fait son candidat et ce au seul vu des sondages (alors que personne n'ignorait qu'il ne pouvait s'empêcher de sauter sur une femme dès qu'il se trouvait seul avec elle dans une pièce fermée), ce qui est quand même extravagant : ça montre à quel point la dégénérescence idéologique de cet organisme est totale ("gagnons les voix, et après on verra"). Bref, tout le monde voulait Strauss-Kahn, sauf une personne : Strauss-Kahn. Comme il n'est pas très courageux, il ne voulait pas y aller, mais il ne voulait pas non plus dire qu'il ne voulait pas y aller, il ne voulait pas dire publiquement "ça m'embête" (en pensant, en outre : "et puis, je sais qu'il va m'arriver des histoires"). Son inconscient a trouvé la solution de ce dilemme. Il n'ira pas et, pour cela, il n'a qu'a eu dire oui à sa pulsion, ce qui est très économique. Ce qui fait qu'il est content, parce qu'il ne va pas faire ce qu'il ne voulait pas faire et aussi parce qu'il a dit à la terre entière qui il était vraiment ; si j'étais lui, j'éprouverais une joie ironique, parce que je me dirais : "Bande d'ânes ! Voilà celui pour lequel vous vouliez tous voter !" Et ça, c'est une position merveilleuse. L'épouse aussi est contente, car elle est dans un rôle sublime, elle va montrer aux gens ce que c'est que l'amour. Moi, je suis content aussi, parce que Strauss-Kahn, je n'en voulais pas. Il faut vraiment chercher dans les entrailles du PS pour trouver des gens mécontents.

Ce collapsus symbolique entre la puissance absolue et l'impuissance absolue, je pense que c'est cela qui intéresse tout le monde et qui explique la fascination exercée par cette affaire. La décision de Strauss-Kahn fait apparaître un élément d'humanité secret dans l'icône il faut le dire bestiale du président du FMI.

Un seul appendice. On voit entrer en scène Mme Lagarde. Imaginons l'histoire suivante : Mme Lagarde est dans l'hôtel, elle sort de sa douche, et un groom philippin lui saute dessus. C'est ce que Husserl appelle une variation eidétique. Le type est pris, il est menotté et photographié menotté. Que dit la presse ? Stigmatise-t-elle ces mœurs américaines épouvantables qui consistent à présenter les gens avec des menottes ? Je vous garantis que non. La presse dit : "Justice est faite, ce salaud a ce qu'il méritait". C'est quand même la preuve que cette histoire est en profondeur une histoire de classes. Si on fait la variation eidétique dans l'autre sens, on voit bien que la construction de Strauss-Kahn en victime ne s'explique que par le croisement, imprévisible, entre la détermination sexuelle et la détermination de classe.



Noms séparateurs : Ce terme désigne les différentes manières d'être dissemblable à l'objet identitaire fictif ; il permet à l’État de séparer de la collectivité un certain nombre de groupes, appelant ainsi à des mesures répressives particulières. Cela peut aller de "immigré", "islamiste", "musulman", rom" à "jeune des banlieues" et, en train de se constituer sous nos yeux, "pauvre".


http://www.entretemps.asso.fr/Badiou/10-11.htm
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Message par Van Stratten Sam 2 Juil 2011 - 17:58

Civilisation de la trace écrite, système formel du langage écrit ; puis l’image omniprésente. Le cinéma n’est-il qu’une anecdote dans cette histoire ? Non que le cinéma soit un langage, n’est-ce pas ? Mais il s’agit bien d’un système formel. Quant au règne des images, il est celui d’un informel, flagrant et géant (planétaire).
Car les images ne viennent pas se substituer à l’écrit, ni au langage en général. Le langage des images est une aberration encore davantage que celui du cinéma. Notre civilisation, avant qu’elle ne se désintègre, reste et demeurera assise (quoique bien fragilement) sur la trace écrite. Mais l’image, la relation permanente aux images, la mise en miroir de tout et de chacun, n’y fait pas concurrence à l’écrit : l’image-miroir, l’image-simulacre, telle que je suis bien obligé de la nommer, est une forme toute puissante qui de fait ne peut participer de rien d’autre que d’un informel généralisé.
C’est comme si le cinéma ne pouvait avoir de place instituée dans une telle civilisation : c’est de là que j’écrivais au départ. Le cinéma est mon lieu d’origine élu. Or il n’aura jamais droit de cité dans une civilisation de la trace écrite. Soit on veut en faire un langage, soit un art parmi d’autres (mais je sais qu’il est plus, et autre, que cela, il est vecteur sidérant de pensée), soit encore une forme cuculturelle, noble (« d’auteur » etc.) ou triviale (entertainment ou autre).
Si une civilisation du cinéma est possible, ou seulement envisageable ? C’est vraiment une question qu’il n’est pas besoin, ou qu’il ne m’intéresse pas, de poser. En revanche il est sûr que dans un avenir peut-être très lointain le cinéma possède un avenir. Même si on ne le nomme pas ainsi, alors. Le cinéma : une forme qui pense. Le cinéma est platonicien.

llrlc

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Message par Invité Sam 2 Juil 2011 - 19:15

VS a écrit :


« Cachez ces menottes que je ne saurais voir. »
La tartufferie du petit monde médiatique n’a jamais été telle : ça fantasme à tout va, et comme le fantasme est aussitôt refoulé, chacun revendique le droit de ne pas voir ces images, que pourtant il a vues, et qui du reste nous donnent à tous le frisson. Et l’on se paye le luxe, encore une fois, de faire la morale aux médias américains, qui continuent pourtant, eux, à essayer d’informer.



Ce cher Mizoguchi, un peu réac il est vrai, dont l'obsession était la vérité et la beauté - on pourrait dire ça de tous les auteurs, mais ce serait évidemment faux - ne permettait pas que l'on considère un objet, un personnage ( DSK ) ou un sujet simplement de l'extérieur. Selon lui il fallait les étreindre les avaler. Il disait : " il faut serrer le cou à la vie, il faut lui sucer tout le sang, il faut tout lui prendre ", c'est très beau. Il ajoutait : " il ne suffit pas de peindre l'homme en plan, je le veux en coupe ! ". hé hé.

Le régime des images et celui du cinéma sont inconcilialbles. L'un travaille à sa pérennité, l'autre à son renouvellement, l'un aux fondations d'un territoire qui s'ouvre devant nous, l'autre à nous bander ( DSK toujours ) les yeux d'un voile de gaze.

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