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Dans un souffle

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Message par Invité Mer 17 Déc 2008 - 8:55

Une publicité (pour une chaîne privée de télévision) diffusée ces derniers mois dans les salles de cinéma a retenu mon attention. Quelques scènes d'un film en costume se déroulent sous nos yeux, avec cette particularité que les acteurs soufflent à intervalle régulier "houuh houuh", entre autre en récitant leurs répliques. Nous comprenons à la fin de la réclame que ce souffle intempestif était celui de la jeune femme qui racontait à sa copine, en joggant, le programme qu'elle avait vu la veille à la télévision. Ce film, visiblement, évoquait la Révolution française de 1789. La séquence décrite par la spectatrice à son amie emprunte un fort classique montage parallèle entre noblesse du petit monde d'en haut de la reine et "grogne" d'en bas du peuple belliqueux. Dans la tonalité, on pense aux films bourgeois récents d'Eric Rohmer (L'Anglaise et le Duc), ou de Sofia Coppola (Marie-Antoinette), qui visent tous deux principalement à susciter notre sympathie pour l'aristocratie et la royauté, rabaissant ou ignorant le peuple - films parfaitement en phase avec l'époque, à l'heure où un pays comme la Russie réhabilite le tsar Nicolas II. Voilà donc qu'une publicité réunit, dans un seul et même souffle, la préciosité aristocratique inquiète et le cri du peuple mécontent ; le souffle du spectateur. Est-ce cela raconter un film qui évoque une lutte populaire ? Ne pas prendre parti, se tenir à la fin du conflit, de l’histoire ; raconter un film, pas l’Histoire, puisque l’Histoire est devenue film, un spectacle, dont "on" parle, un récit que l’on raconte où le réel a été effacé ?

Plus amplement, à l'heure où quelques films sont plus que jamais livrés de manière malintentionnée au jugement indistinct, la question reste grande ouverte de la place dans la société que peuvent occuper les spectateurs de cinéma face à celle qu'on leur demande parfois abusivement d'occuper. Un film comme Entre les murs semble commandé par un seul programme : celui de faire débat. Touchant à une "question de société" (usons donc de la rhétorique doxique), trop bien ouvert de partout, le film paraît volontairement conçu à destination de l'opinion publique. Pourquoi pas. Mais encore faut-il que la discussion ne soit pas récupérée par quelques canaux d'information majoritaires qui n'ont d'autre but que de la confiner dans un espace où elle se verra séparée de ses enjeux politiques. Un célèbre opérateur téléphonique pourra ainsi poser la question aux individus qui visitent son site internet : "Que pensez-vous de la Palme d'or", comme deux jours avant il leur aura demandé comment ils reçoivent que les Français totalisent une note de 7/10 sur l'échelle du bonheur. Notre avis les intéresse, mais pour quoi faire ? Cet encouragement médiatique de chaque instant, auprès des spectateurs que nous sommes, à subsister dans un dialogue finalement contre-productif face à des œuvres d'art il est vrai souvent trop consensuelles, qui n'offrent aucune "prise" cohérente, demande que nous tous choisissions réellement les lieux d'où nous souhaitons nous exprimer à propos des films que nous voyons. Choisir de prendre la parole (à propos d'un film) est, et doit rester, un geste politique d'émancipation.

Les lignes peuvent bouger réellement uniquement lorsque l'action collective décidée seul(e) face au film (parler, écrire, se mobiliser, etc) résulte d'un choix personnel et volontaire pris d'un seul souffle, non d'une contrainte mollement imposée par le discours médiatique. Dit en d'autres termes, veiller, ensemble, à la sortie de la salle, à faire valoir nos droits bien plutôt qu'à nous exprimer.

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Message par DB Mer 17 Déc 2008 - 13:59

Choisir de prendre la parole (à propos d'un film) est, et doit rester, un geste politique d'émancipation.


Chapeau JM, belle reprise de ton édito. A deux mains, j'applaudis, à une idée, j'adhère !
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Message par Borges Mer 17 Déc 2008 - 14:48

« Mais je pense que si les films américains ne sont pas aussi bons aujourd’hui, c’est qu’il devrait y avoir une façon différente d’écrire dessus. Je ne sais pas si c’est possible (…) Vous n’êtes pas libre, par exemple, d’écrire régulièrement sur un film inconnu. Vous seriez renvoyé par votre directeur (…) J’ai regardé les articles que vous avez écrits ces deux dernières années dans le « New Yorker » (…) vous avez essayez d’être différentes des autres jusqu’à un certain point. Vous m’avez parlé par exemple de Kagemusha, du fait que vous aviez essayé d’en faire la critique après tout le monde. Mais pourquoi pas deux ans après, pourquoi pas deux ans avant ? Pourquoi ne parlez vous pas d’un film avant qu’il ne soit terminé ? Vous êtes critique de cinéma, un critique de cinéma n’est pas seulement un journaliste. Vous parlez d’un film Paramount quand la Paramount décide de le sortir –alors où est la liberté ? Je ne veux pas vous attaquer sur ça. Le problème c’est que vous ne pouvez pas écrire sur un film italien le jour où la Paramount ou les Artistes Associés décident de sortir Heaven’s gate, parce qu ’alors vous parleriez d’un film qui peut-être ne sera jamais vu ici. »

(Godard à Pauline Kael, dans JLG par JLG, tome I, 471-484)
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Message par Borges Mer 17 Déc 2008 - 14:53

Dit en d'autres termes, veiller, ensemble, à la sortie de la salle, à faire valoir nos droits bien plutôt qu'à nous exprimer.


C'est Brecht ou Kracauer, je sais plus, qui disait "si vous trouvez la guerre puante au cinéma pourquoi l'acceptez vous dans la réalité."

Mais est-ce une affaire de droit, s'agit-il de faire valoir ses droits?
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Message par Invité Mer 17 Déc 2008 - 16:53

Tout d'abord (je pense que la référence ne t'a pas échappé Borges vu là où tu veux porter ta réflexion) :

"[..]La prolétarisation croissante de l'homme d'aujourd'hui et le développement croissant des masses sont deux aspects d'un même processus historique. Le fascisme voudrait organiser les masses récemment prolétarisées sans toucher au régime de la propriété, que ces masses tendent cependant à supprimer. Il croit se tirer d'affaire en permettant aux masses, non de faire valoir leurs droits, mais de s'exprimer. Les masses ont le droit d'exiger une transformation du régime de la propriété ; le fascisme veut leur permettre de s'exprimer tout en conservant ce régime. La conséquence logique du fascisme est une esthétisation de la vie politique. A cette violence faite aux masses, que le fascisme oblige à mettre genou à terre dans le culte d'un chef, correspond la violence subie par un appareillage mis au service de la production de valeurs cultuelles.
Tous les efforts pour esthétiser la politique culminent en un seul point. Ce point est la guerre. [..]"
W. Benjamin, L'oeuvre d'art(dernière version) pp.313-314 (oeuvres III, poche)

Réflexion il y aura, c'est prévu, c'est promis.

Mais à Brecht ou Kracauer, Aristote répondrait la phrase célèbre que je n'ai plus trop en tête (On a toujours plaisir à regarder de belles images de choses dont la vue nous serait insupportable si on les avait réellement devant les yeux), non?

En même temps : "C'est toujours comme ça, c'est toujours dans le public, qu'il y a des gens pour vous balancer des chaussures à la figure..."

Oui, une affaire de droits, je crois. Nous avons toujours raison de nous battre pour nos droits.

"Cette Europe de la justice sociale et de l'altermondialisme dont je rêve [répétition du "celle dont je rêve", p. précédente], c'est donc aussi une Europe qui réactive sa mémoire philosophique, une Europe qui a besoin de ses philosophes ou d'un grand parlement des philosophes. On y discuterait, étudierait, proposerait par exemple les nouveaux problèmes et les nouveaux concepts de cette Europe altermondialiste à venir, comme du nouveau droit international qu'elle appelle."
J. Derrida, Le souverain bien - ou l'Europe en mal de souveraineté

"Un public, pour écouter des mecs parler de cinéma : la drôle d'idée, tout le monde doit parler de cinéma... tout le monde est critique de cinéma, comme dirait Rancière...mais tout le monde ne cause pas dans Télérama, dans les Inrock, à FC... ou alors dans les espaces réservés... Pour une redistribution des partages, je pense que Rancière devrait participer aux forums de ces espaces médiatiques, et non pas parler en Maître qui cherche à effacer ses privilèges..."

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Message par Borges Mer 17 Déc 2008 - 17:32

Hello JM

Ok, je vois mieux; j'avais pas Benjamin en tête en lisant ton texte, je pensais plus dans un contexte démocratico-juridique; j'avais en tête aussi Rancière et ses ouvriers du 19ème siècle qui demandaient à être traités en tant qu'égaux.


"Il croit se tirer d'affaire en permettant aux masses, non de faire valoir leurs droits, mais de s'exprimer. Les masses ont le droit d'exiger une transformation du régime de la propriété..."


Phrase compliquée; t'en conviendras; je sais pas où Benjamin va chercher que les masses pouvaient faire valoir leur droit à la transformation du régime de la propriété... on ne peut faire valoir qu'un droit existant, institué, auprès d'une autorité légitimée, existante, reconnue, selon une politique; dans nos univers de sens, et d'action, c'est pas un droit de l'homme et pas démocratique... peut-être des masses...Les sans-abri peuvent demander qu'on les loges, mais pas plus...

Pour le "s'exprimer", je pensais à Deleuze; j'avais jamais fait le rapprochement entre les deux...


Pour Aristote :


“ À l’origine de l’art poétique dans son ensemble, il semble bien y avoir deux causes, toutes deux naturelles.

Imiter est en effet, dès leur enfance, une tendance naturelle aux hommes et ils se différencient des autres animaux en ce qu’ils sont des êtres fort enclins à imiter et qu’ils commencent à apprendre à travers l’imitation - comme la tendance commune à tous, de prendre plaisir aux représentations; la preuve en est ce qui se passe dans les faits : nous prenons plaisir à contempler les images les plus exactes de choses dont la vue nous est pénible dans la réalité, comme les formes d’animaux les plus méprisés et des cadavres.

Une autre raison est qu’apprendre est un grand plaisir non seulement pour les philosophes, mais pareillement aussi pour les autres hommes - quoique les points communs entre eux soient peu nombreux à ce sujet. On se plaît en effet à regarder les images car leur contemplation apporte un enseignement et permet de se rendre compte de ce qu’est chaque chose, par exemple que ce portrait-là, c’est un tel; car si l’on se trouve ne pas l’avoir vu auparavant, ce n’est pas en tant que représentation que ce portrait procurera le plaisir, mais en raison du fini dans l’exécution, de la couleur ou d’une autre cause de ce genre.

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Message par Invité Mer 17 Déc 2008 - 21:38

"Il croit se tirer d'affaire en permettant aux masses, non de faire valoir leurs droits, mais de s'exprimer. Les masses ont le droit d'exiger une transformation du régime de la propriété..."

Phrase compliquée; t'en conviendras; je sais pas où Benjamin va chercher que les masses pouvaient faire valoir leur droit à la transformation du régime de la propriété... on ne peut faire valoir qu'un droit existant, institué, auprès d'une autorité légitimée, existante, reconnue, selon une politique; dans nos univers de sens, et d'action, c'est pas un droit de l'homme et pas démocratique... peut-être des masses...Les sans-abri peuvent demander qu'on les loges, mais pas plus...

Oui c'est compliqué. Manque le contexte du reste du texte, par ailleurs Rancière nous dirait probablement que c'est le genre d'énoncé critique qui n'a plus aucune valeure dans le contexte actuel. Historiquement "dépassé" dans "nos (notre?) univers de sens, et d'action". Mais enfin il me semble que cet emprunt à Benjamin s'incorpore quelque part à ce que j'essaye de dire, dans le "s'exprimer" qui t'as semblé deleuzien.

Benjamin dit-il que les masses pouvaient faire valoir leurs droits à la transformation du régime de la propriété ? Il dit plutôt que le fascisme empêchait cela, non ? Sans doute y croyait-il à ce pouvoir (infinitif) (sans pouvoir?) en 39, sans doute avait-il lu Marx soutenir que "l'émancipation du prolétariat doit être l'oeuvre du prolétariat lui-même" ? Cela passait nécessairement par le renversement du fascisme mais. Droits des masses, oui, apparemment: droit à venir pour reprendre Derrida. Droits ET devoir.

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Message par Invité Lun 12 Jan 2009 - 12:20

On peut continuer par ici notre tour d'horizon amusé (mais pour autant critique) des publicités vues récemment. La dernière pub pour CenterParcs qui circule sur le net est intéressante, elle joue la carte du produit qu'elle vend contre une pseudo aliénation des écrans fatals. On y voit un personnage de jeu vidéo qui vient toquer de l'intérieur contre l'écran de la console, appelant le joueur qui s'est absenté à reprendre sa manette. Un élargissement du plan nous laisse comprendre que le joueur est parti pour l'un de ses parcs a piscine géante, entourée de végétation artificielle. C'est ainsi que d'une manière extrêmement roublarde est vendu au client potentiel un espace à la réalité reconstituée sous cloche contre l'espace d'un monde virtuel. La publicité oppose les deux sphères, là où du second espace au premier, il existe en fait une sorte de continuum sans doute beaucoup plus inquiétant et monstrueux que l'espace de synthèse en lui-même qu'elle appelle à quitter.

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Message par Eyquem Lun 12 Jan 2009 - 19:26

Une récente double page de Télérama remporte haut la main le César du plus malencontreux montage :
- page de droite, l'édito chrétien de gauche de Fabienne Pascaud, sur la nécessaire solidarité à l'époque de Noël ;
- page de gauche : une image publicitaire pour je ne sais plus quelle voiture, dont la surface de pare-brise est si impressionnante qu'elle fait fuir un petit laveur de vitres au feu rouge

Dommage que je n'aie pas scanné ça.
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