La R.A.T.P ou l'avant-garde poétique des temps présents
La R.A.T.P ou l'avant-garde poétique des temps présents
Toujours à la pointe de l’innovation et de la créativité en matière de campagne citoyenne, la mère RATP (à ne pas confondre avec la mère à TP) a rien moins qu’inventé une forme d’écriture, presque un genre littéraire à part entière : l’injonction poétique. Récemment, les voyageurs qui aiment prendre le (petit) train parisien ont donc eu la chance de découvrir dans les rames ce type d'inscriptions intempestives :
« Le va-et-vient de la cannette de bière,
Négligemment laissée sous un strapontin,
Donne aux voyageurs le mal de mer.
C'est pas banal en souterrain !
Pour ne plus avoir mal au coeur,
Jetez-là à la poubelle, ça sera le bonheur ! »
On connaissait les premières gorgées de bière du père Delerm mais avec ses roulements de cannette, la RATP fait du passé table rase et révolutionne en toute modestie les conventions syntaxiques de la poésie du quotidien à la française. Après avoir comparé ses clients à des hommes de Cro-Magnon dans une précédente campagne d’affichage, la vénérable maison devenue laboratoire de création préfère aujourd’hui les traiter en êtres lettrés et cultivés ; des admirateurs raffinés sachant apprécier les subtilités de la langue de Molière et ne rechignant pas à goûter une rime bien sentie comme on savoure un verre de bon vin. Les français, c’est connu, aiment les bonnes choses, ils ont bon goût et c'est pourquoi il faut savoir en être digne ! Les mots de cet élan de poésie auraient donc pu unir dans un souffle les plus belles plumes françaises, de Francis Ponge à Jacques Prévert. Hélas, ils laissent dans la bouche un arrière-goût râpeux de Villageoise en lieu et place des saveurs qu’un grand cru aurait pu faire jaillir. Arrière-goût tout à fait discret auquel on pourra à tout le moins reconnaître le mérite de s’accorder avec la décoration décrépie des rames du métro.
Enfin, il faut quand même avouer, ce n’est pas tous les jours qu’on nous écrit des poèmes. Alors, à moins d’être la Elsa des temps modernes (une Elsa qui, en plus, aurait trouvé son Aragon), on ne pourra qu’être touché par la charmante stratégie, pardon, attention, de la RATP, et qui n’est pas sans rappeler le bon vieux slogan : « dîtes-le avec des fleurs ! ». Alors voilà, maintenant, le vocabulaire de la RATP est fleuri, mais alors joliment ! C’est coquet, tout ce qu’il y a de plus gentil ! Il était temps que les moutons transhumants soient caressés délicatement dans le sens du poil. Un peu de douceur dans ce monde de brutes ; dans ce métro-boulot-dodo terne et sans imagination qui remplit l’existence de centaines de milliers de pauvres parisiens, ces misérables petites gens qu’il vaut mieux, c’est bien connu, « avoir en journal ». D’ici quelques temps, quand la RATP aura fini de nous traduire les paroles de groupes de Rock à la mode (une autre « innovation » récente), gageons qu’elle se piquera d’émanciper le voyageur en lui offrant une véritable première expérience artistique, digne de la découverte du Cancre de Prévert à l’école primaire.
Mais il vaut mieux cesser là les railleries car on nous accusera bientôt de décourager les bonnes volontés et les salutaires initiatives « citoyennes », ce qui n’est absolument pas dans nos intentions. Non, bien au contraire ! Il faut plutôt voir dans ces quelques traits d’ironie toute l’affection d’un insolent neveu pour sa vieille tante édentée…mais souriante ! En effet, ne faut-il pas se réjouir qu’on nous demande de jeter notre binouze à la poubelle à coup de rimes plutôt que d’amendes ? La carotte n’est-elle pas plus croquante et goutue que le bâton ? Il faut oser aller plus loin. Les expérimentations littéraires de la RATP ne doivent-elles pas nous inciter à remettre en question l’intégralité de nos conventions et de nos modes de vie en société ? Pourquoi ne pas se laisser aller à rêver d’une poétique sociale révolutionnaire où chaque ordre serait dit comme la réplique d’un film de Jacques Demy. Imaginez un instant, chaque consigne sublimée, transfigurée par la mélodie des mots et la fraîcheur des métaphores ! Ainsi, le patron de bar ne cracherait plus à son employée « Passe moi un coup sur ce zinc dégueulasse et fissa ! ». Il lancerait plutôt gaiement :
« Il y a sur cette piste dorée,
des grains de poussière chamarrés
qui se languissent et désespèrent
de se perdre dans les airs,
et rejoindre dans l’espace infini
toutes les étoiles, leurs amies ».
De même, à la maison, imaginez un instant que la mère ne criera plus à son ado : « Viens faire cette putain de vaisselle, p’tit con ! ». Elle susurrera plutôt
« Chéri, il me tarde de voir dans l’air surgir
de fragiles bulles de savon
qui lorsqu’elles s’échappent en un soupir
emplissent l’air d’une odeur de lavande, c’est si bon ! ».
Avec un peu d’efforts et d’imagination, adviendra alors le temps béni où on se dira les choses avec des fleurs et le sourire, où tous les moyens de transport déborderont de visages radieux et innocents tels le « smiley » qui orne déjà les affiches des bus londoniens « smile, you’re on camera ! ».
Alors, seulement, tout sera pour le mieux, dans le meilleur des mondes civilisés.
« Le va-et-vient de la cannette de bière,
Négligemment laissée sous un strapontin,
Donne aux voyageurs le mal de mer.
C'est pas banal en souterrain !
Pour ne plus avoir mal au coeur,
Jetez-là à la poubelle, ça sera le bonheur ! »
On connaissait les premières gorgées de bière du père Delerm mais avec ses roulements de cannette, la RATP fait du passé table rase et révolutionne en toute modestie les conventions syntaxiques de la poésie du quotidien à la française. Après avoir comparé ses clients à des hommes de Cro-Magnon dans une précédente campagne d’affichage, la vénérable maison devenue laboratoire de création préfère aujourd’hui les traiter en êtres lettrés et cultivés ; des admirateurs raffinés sachant apprécier les subtilités de la langue de Molière et ne rechignant pas à goûter une rime bien sentie comme on savoure un verre de bon vin. Les français, c’est connu, aiment les bonnes choses, ils ont bon goût et c'est pourquoi il faut savoir en être digne ! Les mots de cet élan de poésie auraient donc pu unir dans un souffle les plus belles plumes françaises, de Francis Ponge à Jacques Prévert. Hélas, ils laissent dans la bouche un arrière-goût râpeux de Villageoise en lieu et place des saveurs qu’un grand cru aurait pu faire jaillir. Arrière-goût tout à fait discret auquel on pourra à tout le moins reconnaître le mérite de s’accorder avec la décoration décrépie des rames du métro.
Enfin, il faut quand même avouer, ce n’est pas tous les jours qu’on nous écrit des poèmes. Alors, à moins d’être la Elsa des temps modernes (une Elsa qui, en plus, aurait trouvé son Aragon), on ne pourra qu’être touché par la charmante stratégie, pardon, attention, de la RATP, et qui n’est pas sans rappeler le bon vieux slogan : « dîtes-le avec des fleurs ! ». Alors voilà, maintenant, le vocabulaire de la RATP est fleuri, mais alors joliment ! C’est coquet, tout ce qu’il y a de plus gentil ! Il était temps que les moutons transhumants soient caressés délicatement dans le sens du poil. Un peu de douceur dans ce monde de brutes ; dans ce métro-boulot-dodo terne et sans imagination qui remplit l’existence de centaines de milliers de pauvres parisiens, ces misérables petites gens qu’il vaut mieux, c’est bien connu, « avoir en journal ». D’ici quelques temps, quand la RATP aura fini de nous traduire les paroles de groupes de Rock à la mode (une autre « innovation » récente), gageons qu’elle se piquera d’émanciper le voyageur en lui offrant une véritable première expérience artistique, digne de la découverte du Cancre de Prévert à l’école primaire.
Mais il vaut mieux cesser là les railleries car on nous accusera bientôt de décourager les bonnes volontés et les salutaires initiatives « citoyennes », ce qui n’est absolument pas dans nos intentions. Non, bien au contraire ! Il faut plutôt voir dans ces quelques traits d’ironie toute l’affection d’un insolent neveu pour sa vieille tante édentée…mais souriante ! En effet, ne faut-il pas se réjouir qu’on nous demande de jeter notre binouze à la poubelle à coup de rimes plutôt que d’amendes ? La carotte n’est-elle pas plus croquante et goutue que le bâton ? Il faut oser aller plus loin. Les expérimentations littéraires de la RATP ne doivent-elles pas nous inciter à remettre en question l’intégralité de nos conventions et de nos modes de vie en société ? Pourquoi ne pas se laisser aller à rêver d’une poétique sociale révolutionnaire où chaque ordre serait dit comme la réplique d’un film de Jacques Demy. Imaginez un instant, chaque consigne sublimée, transfigurée par la mélodie des mots et la fraîcheur des métaphores ! Ainsi, le patron de bar ne cracherait plus à son employée « Passe moi un coup sur ce zinc dégueulasse et fissa ! ». Il lancerait plutôt gaiement :
« Il y a sur cette piste dorée,
des grains de poussière chamarrés
qui se languissent et désespèrent
de se perdre dans les airs,
et rejoindre dans l’espace infini
toutes les étoiles, leurs amies ».
De même, à la maison, imaginez un instant que la mère ne criera plus à son ado : « Viens faire cette putain de vaisselle, p’tit con ! ». Elle susurrera plutôt
« Chéri, il me tarde de voir dans l’air surgir
de fragiles bulles de savon
qui lorsqu’elles s’échappent en un soupir
emplissent l’air d’une odeur de lavande, c’est si bon ! ».
Avec un peu d’efforts et d’imagination, adviendra alors le temps béni où on se dira les choses avec des fleurs et le sourire, où tous les moyens de transport déborderont de visages radieux et innocents tels le « smiley » qui orne déjà les affiches des bus londoniens « smile, you’re on camera ! ».
Alors, seulement, tout sera pour le mieux, dans le meilleur des mondes civilisés.
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