Le goût de la télévision
+8
adeline
Borges
DB
Eyquem
Leurtillois
^x^
Largo
wootsuibrick
12 participants
Page 2 sur 4 • 1, 2, 3, 4
Re: Le goût de la télévision
En mettre plein les yeux et rendre « Apocalypse » irregardable
par Georges Didi-Huberman
Les images nous rendent l’histoire visible. Elles assument un rôle crucial dans notre façon de comprendre ce qui s’est passé, ce qui se passe autour de nous. Un rôle crucial, cela veut dire : à la croisée des chemins, donc pour le meilleur ou pour le pire. C’est en cela que les images – y compris les images du passé – sont toujours des objets politiques et, même, des actes politiques : des prises de position. Tant il est vrai qu’une image ne vaut que par la position qu’elle occupe dans un montage où interviennent, bien sûr, d’autres images choisies à propos, mais aussi des mots, des pensées, des prises de position devant l’histoire.
La série télévisée Apocalypse nous rend « visibles » un certain nombre de documents relatifs à la Seconde Guerre mondiale. Nous les rend-elle regardables, « lisibles », pensables, compréhensibles pour autant ? Quelle est donc sa position ? Les réalisateurs, les producteurs et les directeurs de programme se sont contentés d’adopter une posture typique du monde commercial, l’autocélébration : projet « pharaonique », émission « miracle », « révélation » de l’histoire… On a remonté des archives visuelles en leur restituant, dit-on, « une qualité d’image tout simplement époustouflante ! De quoi convaincre tout le monde ! » (dixit Daniel Costelle, l’auteur du commentaire). La chaîne de télévision, de son côté, a réussi la prouesse de transformer une « commémoration » – le soixante-dixième anniversaire du déclenchement de la guerre – en cet « événement » nommé prime time.
Mais de quel événement parlons-nous ? Et de quoi veut-on nous convaincre ? Avant tout de la puissance même dont se targue la machine télévisuelle. Les réalisateurs nous disent avoir fabriqué un objet capable de « carrément séduire un jeune public », de « bluffer » les spectateurs par leurs techniques de traitement de l’image, en sorte que, devant les archives remontées, colorisées, sonorisées, « les jeunes vont s’éclater » ( redixit Daniel Costelle). Au même moment, le film s’autoproclame en voix de la vérité, débutant sur ces mots qui vont faire date dans l’histoire de l’immodestie : « Ceci est la véritable histoire de la Seconde Guerre mondiale. » On comprend qu’il n’y ait pas, au générique, un seul nom d’historien de premier plan (comme Raul Hilberg avait pu assumer son rôle de chercheur dans Shoah de Claude Lanzmann). Les historiens sont en général bien trop modestes – et respectueux – devant leur objet pour oser croire « bluffer » qui que ce soit ou prétendre « convaincre tout le monde » avec leurs hypothèses.
Les trois premières minutes d’Apocalypse forment un cocktail parfaitement stéréotypé de mort (pour « bluffer » ?), de haine (dont Mathieu Kassowitz, l’auteur du film du même nom, nous ressassera le motif à longueur d’épisodes) et de sexe (pour « s’éclater » ?) : cadavres dans la rue, sang, flammes, plus le récit du viol d’une femme allemande qui se termine par le dicton « mieux vaut avoir un Russe sur le ventre qu’un Américain au-dessus de la tête ». Les trois dernières minutes, quant à elles, débitent un montage qui fera se succéder les ruines d’Hiroshima, une vision de camp, l’héroïsation des cameramen, le retour de Rose – petite fée de toute la série, comme le « petit chaperon colorisé », rouge comme il se doit, de la Liste de Schindler – et enfin un vrai baiser sur la bouche digne du meilleur cinéma américain. C’est sans doute ainsi que l’on veut « carrément séduire un jeune public ». C’est ainsi que le « jeune » spectateur en aura plein les yeux.
En mettre plein les yeux : c’est le contraire exactement de donner à voir. Mais l’appareil télévisuel, nous en faisons l’expérience chaque jour, fonctionne à la surenchère et à l’autosatisfaction : nous avons réussi à placer huit cents plans par épisode, nous avons reconstitué les couleurs, nous avons ajouté les sons absents des images originales… Autant dire que les documents de l’histoire deviennent des confettis dans un montage qui veut ressembler à un feu d’artifice d’images. Les réalisateurs ont bien anticipé la possible polémique avec les puristes du document. Mais il ne s’agit pas de purisme, justement : rien n’est pur en ce domaine, et toute image – dès sa prise de vue – est le résultat d’une opération technique, d’une médiation, donc d’une manipulation. La question est de savoir ce qu’on veut faire de nos mains qui manipulent : étouffer les images ou bien les traiter avec tact. Il s’agit aussi d’avoir l’honnêteté minimale de reconnaître les limites de ce qu’on fait. Pourquoi prétendre restituer la « vérité en histoire » tout en reconnaissant vouloir nous « séduire » et nous « bluffer » ? Bluffer, cela veut dire impressionner – la guerre est impressionnante, de toute façon –, mais cela veut aussi dire mentir.
Que la colorisation d’Apocalypse ait été obtenue par des procédés nouveaux et performants n’entre pas en ligne de compte dans ce débat. Ce qui compte est l’acte, et son résultat. Coloriser, technique vieille comme le monde, n’est rien d’autre que maquiller : plaquer une certaine couleur sur un support qui en était dépourvu. C’est ajouter du visible sur du visible. C’est, donc, cacher quelque chose, comme tout produit de beauté, de la surface désormais modifiée. Ainsi rend-on invisibles les réels signes du temps sur le visage – ou les images – de l’histoire. Le mensonge ne consiste pas à avoir traité les images mais à prétendre qu’on nous offrait là un visage nu, véritable, de la guerre, quand c’est un visage maquillé, « bluffant », que l’on nous a servis.
François Montpellier, le technicien de colorisation d’Apocalypse, admet lui-même que son traitement des images consiste, je le cite, à « unifier, dans une même continuité visuelle, des documents provenant parfois de sources différentes ». Mais la continuité visuelle n’est qu’un choix esthétique et narratif parfaitement arbitraire, tous les monteurs le savent bien. La véritable histoire, quant à elle, n’est faite que de discontinuités, ne serait-ce que parce qu’elle a été regardée, vécue, enregistrée selon des points différents. Apocalypse, au contraire, veut nous faire croire qu’un seul cinéaste, avec le même sens des couleurs, aurait tout vu à la fois en tous les points du globe. Pourquoi voit-on partout ce même ciel bleu pâle des cartes postales rétros ? Pourquoi l’Ange bleu devient-il tout jaune ? Pourquoi le cadavre flottant dans la mer, à Omaha Beach, se découpe-t-il sur un beau fond outremer (la mer était peut-être verte et Samuel Fuller, qui était sur place, raconte que l’eau près du rivage était toute rougie du sang des morts) ? Pourquoi coloriser Dachau et pas Auschwitz ? Pourquoi diviser Buchenwald en noir pour certains plans, en couleurs pour d’autres ? Pourquoi l’enfer atomique est-il vert et mauve comme dans un film de science-fiction ? En justifiant le renoncement à coloriser les images de la Shoah pour « ne laisser aucun doute sur leur authenticité » et pour que « personne ne puisse y trouver matière à supercherie », les auteurs d’Apocalypse admettent que tout le reste de leur film peut se voir comme une véritable matière à supercherie.
Ce qui peut être dit de la colorisation des images vaut également pour leur sonorisation et leur commentaire. Gilbert Courtois connaît la différence de bruit entre un moteur Yakovlev et un moteur Stuka, fort bien. Moyennant quoi il se targue de n’avoir donné que des sons authentiques. Quant à Daniel Costelle, il émaille également son récit de noms authentiques : August Von Kageneck, Gaston Cirech, Armand (l’Alsacien enrôlé dans les « malgré-nous »), etc. Mais les gros plans associés à ces noms forment-ils un montage authentique ? Même le chien berger qui passe dans une rue de Berlin se voit associé au nom de Blondie, le chien de Hitler. Les documentalistes d’Apocalypse n’ont choisi que des images authentiques, mais le montage de deux authenticités qui n’ont rien à voir – par exemple tel visage et tel nom propre – n’est que pur mensonge au regard de l’histoire.
Notre langue elle-même nous prévient à chaque fois de toutes ces ambiguïtés lorsqu’elle distribue des sens opposés pour des mots tels que histoire (veut-on nous rendre l’histoire visible, ou bien veut-on juste nous raconter des histoires ?), légende (veut-on nous expliquer ce qu’une image dénote, ou bien veut-on juste construire un récit légendaire ?) et, bien sûr, image (veut-on nous rendre visible quelque chose du réel, ou bien veut-on juste nous en mettre plein les yeux ?). Les images d’Apocalypse ne constituent en rien notre patrimoine historique. Elles forment juste un montage et un traitement contestables de ce patrimoine. En ce sens, elles ne nous appartiennent pas. Elles n’appartiennent qu’au monde de la télévision qui les commercialise habilement.
La série Apocalypse n’a restauré ces images que pour leur rendre une fausse unité, un faux présent de reportage et de mondiovision. Elle a pensé que nous étions trop stupides pour accepter de voir des bribes blêmes, des lacunes, des bouts de pellicule rayés à mort. Elle s’est tout approprié et ne nous a rien restitué. Elle a voulu nous en mettre plein les yeux et, pour rendre les images bluffantes, elle les a surexposées. Façon de les rendre irregardables.
Ecrans, Libération, mardi 22/09/09
http://www.ecrans.fr/En-mettre-plein-les-yeux-et-rendre,8148.html
Eyquem- Messages : 3126
Re: Le goût de la télévision
Il y a encore des gens bien pour monter au créneau dans la presse. Chapeau Didi-Huberman !
J'ai pensé à Tarantino en lisant la fin du texte, mais curieusement pas à son dernier film mais au précédent :
Chez QT, les bouts de pellicule rayés à mort sont aussi du "maquillage". Le tout est de trouver ce qu'il maquille ?
J'ai pensé à Tarantino en lisant la fin du texte, mais curieusement pas à son dernier film mais au précédent :
Elle a pensé que nous étions trop stupides pour accepter de voir des bribes blêmes, des lacunes, des bouts de pellicule rayés à mort. Elle s’est tout approprié et ne nous a rien restitué.
Chez QT, les bouts de pellicule rayés à mort sont aussi du "maquillage". Le tout est de trouver ce qu'il maquille ?
Invité- Invité
Re: Le goût de la télévision
Hello à tous : pas encore lu le texte de GDH, mais il est bien JM que tu songes à QT quand il fait allusion à Godard et à la fameuse phrase des Histoire(s) du cinéma : « Même rayé à mort un simple rectangle de 35 mm sauve l’honneur de tout le réel. »; cf "images malgré tout", où GDH discute cet énoncé...
Borges- Messages : 6044
Re: Le goût de la télévision
breaker a écrit:Pivot, c'est la grande classe, le goût des lettres, de toutes les lettres de A à Z, c'est celui qui fait la dictée... Il a le sens de l'apparition, c'est un aristocrate qui sait faire partager son savoir, et dieu sait combien il en est farci. Quel avenir pour l'homme?, ce programme(c'était en 1976) est d'abord présenté par une speakerine tout sourire, mais Pivot dans un moment télé d'anthologie intervient pour effacer son image, la femme ne fait pas partie de l'avenir de l'homme.
(...)
Pivot a conçu certaines émissions qui pourraient passer dans le répertoir théâtral, en l'occurence celle avec Bukowski, dont le thème était "en marge de la société". Ce à quoi on assiste là aussi, c'est à l'effacement des marges par Pivot (et ses invités soit disant dans les marges) ; les marginaux ne font pas partie de l'avenir de l'homme.
...toujours un régal:
- Spoiler:
- ps: La petite phrase assassine ni vue, ni connue de Pivot sur Greta Garbo...
^x^- Messages : 609
Re: Le goût de la télévision
Moi, lorsque j'osais critiquer généreusement Pivot, je me faisais traiter, en gros, de plouc.
On se sent moi seul d'un coup
On se sent moi seul d'un coup
^x^- Messages : 609
Re: Le goût de la télévision
Les lumières de Kassovitz sur le 11/09 ne sont pas passées inaperçues :
http://www.liberation.fr/monde/0101593354-11-septembre-mathieu-kassovitz-attaque-en-diffamation
Ca vole haut, comme on dit.
http://www.liberation.fr/monde/0101593354-11-septembre-mathieu-kassovitz-attaque-en-diffamation
Ca vole haut, comme on dit.
Re: Le goût de la télévision
Cantonna vient de passer au JT de France 2 pour la cause des sans-abris qu'il défend avec son livre de photos. L'interview était catastrophique...
http://jt.france2.fr/20h/
Sur la télévision, Bourdieu disait: "Les journalistes, avec leurs catégories de pensée, posent des questions qui n'ont rien à voir avec rien... Quand on n'est pas un tout petit peu préparé, on répond à des questions qui ne se posent pas."
Cantonna interroge les capacités de mobilisation de l'homme de la rue, et il a sans doute raison. Chris Marker filmait les grands rassemblements populaires autour du mondial 98 dans Chats perchés, en commentant ironiquement cette mobilisation d'une jeunesse pour 11 milliardaires. Je doute que Cantonna ait bien réussi à attirer l'attention sur la cause des sans-abris, tant il s'est exprimé dans un vrac insignifiant.
http://jt.france2.fr/20h/
Sur la télévision, Bourdieu disait: "Les journalistes, avec leurs catégories de pensée, posent des questions qui n'ont rien à voir avec rien... Quand on n'est pas un tout petit peu préparé, on répond à des questions qui ne se posent pas."
Cantonna interroge les capacités de mobilisation de l'homme de la rue, et il a sans doute raison. Chris Marker filmait les grands rassemblements populaires autour du mondial 98 dans Chats perchés, en commentant ironiquement cette mobilisation d'une jeunesse pour 11 milliardaires. Je doute que Cantonna ait bien réussi à attirer l'attention sur la cause des sans-abris, tant il s'est exprimé dans un vrac insignifiant.
Pierre Bourdieu, sur la télévisionen acceptant de participer sans s'inquiéter de savoir si l'on pourra dire quelque chose, on trahit très clairement qu'on n'est pas là pour dire quelque chose, mais pour de tout autres raisons, notamment pour se faire voir et être vu.
[...]
a-t-il quelque chose à dire? Est-il dans des conditions où il peut les dire? Ce qu'il dit mérite-t-il d'être dit en ce lieu? En un mot, que fait-il là?
[...]
on ne peut se contenter de dire que ce qui se passe à la télévision est déterminé par les gens qui la possèdent, par les annonceurs qui payent la publicité, par l'Etat qui donne des subventions...
Invité- Invité
Re: Le goût de la télévision
ce texte de Daney qu'on trouve dans le dernier volume édité récemment de La maison cinéma et le monde a été repris par Médiapart pour faire la promotion de l'ouvrage, sans plus de commentaires sur leur site que "ses textes [qui] éclairent, non sans ironie, notre actualité".
http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/060812/serge-daney-vers-l-ecranisation-ou-ce-qui-fait-ecran-limaginaire
A quelques décennies de là, j'ai retrouvé quelques archives qui veulent bien parler davantage de cette écranisation généralisée, de Bourdieu(1966) parlant d'un certain type de consommation de l'image à Derrida(1996) subissant "les effets de prompteur" face à Laure Adler.
http://www.ina.fr/video/CPB87006684/l-image.fr.html
http://boutique.ina.fr/video/art-et-culture/litterature/CPB96003302/jacques-derrida.fr.html
Invité- Invité
Re: Le goût de la télévision
Les éléments de critique prononcés par Bourdieu concernant l'usage télévisuel des images, et de la photographie (de famille) dans ces courts extraits ont certainement leur pertinence, situés dans le contexte de l'époque où il parle, qui en très gros va de Guy Lux/Léon Zitrone à Pivot, en passant par le francophonissime, les jeux de 20h, les dossiers de l'écran, le grand échiquer, etc etc.
Bourdieu évoque, donc, un usage social des images neutralisant, ronronnant, pacifiant, canalisant, neuroleptique, affadissant et normalisant, divertissant au sens pascalien de donner du rêve "à bon marché", "à l"eau de rose", au "téléspectateur (dit) moyen", lui faire oublier les soucis et l'oppression du réel, fonction également cathartique au sens de purgation des passions, de l'imaginaire, de leur caractère "inquiétant", de toute intrusion d'éléments de révolte ou d'anarchisme.
Cette analyse a certainement sa pertinence, pour une certaine époque, donc, et ce sont là des outils de réflexivité plutôt en phase avec la façon dont cette époque se réfléchissait déjà elle-même, à l'époque dite des 30 glorieuses déjà finissantes.
Un discours encore assez communément admis, voire standardisé, distribué depuis en plat tiède, par la télévision elle-même et ses talk-shows, y compris quelques attardés d'un situationnisme, d'une critique du spectacle, qu'on croirait parfois immobilisés dans la naphtaline, encore nostalgiquement scotchés au petit conservatoire de Mireille, des Yéyés et de Salut les copains, et qui ne semblent guère allumer le vieux poste avec le napperon et le bocal du poisson rouge par dessus, encore persuadés que Pierre Tchernia anime toujours Monsieur Cinéma et Jacques Legras la caméra cachée de Jacques Rouland.
Aussi pertinente fut-elle pour "l'épocalité" en question, donc, on peut difficilement s'empêcher de penser que cette analyse, aujourd'hui, apparaît comme plutôt vieillotte, anachronique, et en tout cas ne constitue plus une grille suffisante pour décrire ce régime des images qu'on dit "télévisuel". Bourdieu avait plutôt d'ailleurs pris acte de la mutation de ce régime, s'intéressant plus tard à la télé (dans le sillage d'Halimi) comme lieu du partage équitable du pouvoir prescripteur d'opinion entre oligarques indéboulonnables et triés sur un mince volet, ne débattant qu'entre eux, dans une circularité parfaite tendant en droit à l'infini. Jusqu'à ce que que les derniers vagues curieux de ce bug sonore, imitation sans talent ni imagination des vexations de Satie jouées en boucle, délaissent définitivement leurs tables rondes, et débranchent, comme mézigue, leur vieux poste trinitron, remisé dans un angle mort pour un coma dépassé.
Ce sympathique document d'avant la couleur nous est donc plutôt précieux comme un chouette moment du passé à revivre entre potes, avec Arthur et les enfants de la téloche.
La tendance s'est plutôt inversée, et le petit monde de la télévision, qui n'intéresse plus grand monde, il faut bien le dire, depuis la dissémination internétique, a révisé de pied en cap depuis beau jeu ses "fondamentaux". Il n'y a d'ailleurs presque plus d'image, mais essentiellement un discours, très frappant, imagé, et puisant ses ressources dans l'imaginaire de la cinématographie la plus transgressive.
Il faudrait donc sérieusement songer à rebaptiser la télévision (dite "publique") simplement Radio, puisque c'est bien ce qu'elle est redevenue, et en finir de se tirlipoter avec un régime des images inexistant, ce que Daney soutenait déjà quand il définissait le "Visuel" précisément comme absence d'image, cette "écranisation" qui ne concerne même plus la télé, mais désormais le cinéma lui-même, dans une majorité de ses productions où il y a de moins en moins à regarder, comme dans les blockbusters de Nolan, mais bien plutôt d'interminables colloques-bavardages à se farcir, se substituant à l'action cinétique, elle-même tendant au ressassement de figures identiques semblant avoir été toutes plus ou moins repiquées dans un même fond de rushes ennuyeux et routinier, où le même type en cape satinée semble survoler d'un air absent, pour la nième fois, le même pâté de gratte-ciels, sur le même motif cuivré à percussions épiques de Hans Zimmer.
Mais pour en revenir à la radio télévisée, l'heure est, depuis fort longtemps, depuis au moins la généralisation du régime Tf1, au potentiel d'inquiétude, d'anxiogénisme, d'anomisme, de dépression, de chaos, de catastrophes et de cataclysmes, sociaux, économiques, politiques, ethnologiques, géologiques, climatiques, toujours plus traumatiques. La télévision de jadis endormait peut-être le téléspectateur avec Collargol, la télévision d'aujourd'hui le prend au collet et lui administre tôt dès le saut du lit une avalanche de baffes et de coups de poings dans la tronche qui lui dessillent les paupières jusqu'à exorbitation, comme dans le traitement Ludovico. Enfin, disons plutôt les oreilles, jusqu'à exo-tympanisation, puisqu'il n'y a rien à voir, aucun spectacle. Sinon sur les chaines câblées où on choisit son programme cinéma trépidant, quand on est las de Louis la Brocante ou de Miss Marples, Dexter, les Experts ou inspecteur Barnaby.
L'heure n'est plus à la purgation des passions inquiétantes, mais à leur plus haute stimulation: l'enfer apocalyptique guette le "téléspectateur (dit) moyen", et il hésite quotidiennement, sur le pas de sa porte, entre l'invasion de hordes barbares, de tueurs-violeurs en série, la menace terroriste, la désintégration proto-instantanée de toutes les banques et places boursières, etc, etc.
L'heure n'est plus au ronronnement rassurant, familier et familialiste, de la télé et du cinéma de Papa, mais au témoignage choc, à l'horreur paniquante vécue en direct-différé, de l'implosion explosive, de l'égarement de chacun et de tous, de l'errance illimitée et de la stridence cacophonique généralisée.
Le téléspectateur dit moyen, aujourd'hui, n'allume plus la télé pour rythmer la confection de ses pots de confiture ou de sa compote, mais pour avoir peur. La France a peur, on le sait, c'était déjà le slogan de l'ère Gicquel. Avec Pujadas, ressemblance avec Anthony Perkins oblige, homme tronc de nos psychoses corporelles, psychiques, de notre exposition hallucinée à une violence socio-économique prédatrice, sans freins ni limites ni recours, c'est le monde entier, l'univers entier, jusqu'aux quasars, qui est transi d'une trouille abominable ratatinant ses couilles cosmiques.
On ne nous guérit plus de nos velléités anarchiques ou rebelles, on nous annonce au contraire qu'il n'y a quasiment plus de recours, aucun porche où s'abriter, plus aucun Garcimore gaffeur à qui confier, décontrassté, ses petites souris, aucune Denise Fabre pour servir le chocolat chaud avec un fou rire réprimé. Non, le seul salut possible qui est annoncé au télespectateur dit moyen, claironné, toutes sirènes hurlantes, dans un champ socio-économique de mines à défragmentation rapide, où surnagent malgré tout quelques inspecteurs de police de quartier, têtes brûlées généreuses, libertariens-anarchistes penchant fort à droite, version Olivier Marchal ou Thierry Jonquet des familles en déroute, traquant le pédophile intégriste envers et contre les pourritures haut-placées qui protègent la criminalité en gants blancs qui les subventionne, la promesse d'avenir anxiogène qui lui est assénée, donc, de 19h à 0h30, avant les rediffs nocturnes d'émissions à potentiel culturel sur le secret des pyramides et les géants de l'île de Pâques, c'est soit le suicide du haut d'une tour, le repli solitaire dans la révolte, la folie, l'excès, l'Ubris, le dérèglement de tous les sens, la boisson, la toxicomanie, l'addiction sexuelle, la tentation du meurtre individuel ou collectif, l'acte de vengeance solitaire et désespéré, l'acting out sans remède, et une fin de vie atroce, à la Ulrich Seidl, faite de détresse, d'abandon, de maladie, de misère absolue et de mort sans sépulture pour les 30 inglorieuses bastardes à venir...
Bourdieu évoque, donc, un usage social des images neutralisant, ronronnant, pacifiant, canalisant, neuroleptique, affadissant et normalisant, divertissant au sens pascalien de donner du rêve "à bon marché", "à l"eau de rose", au "téléspectateur (dit) moyen", lui faire oublier les soucis et l'oppression du réel, fonction également cathartique au sens de purgation des passions, de l'imaginaire, de leur caractère "inquiétant", de toute intrusion d'éléments de révolte ou d'anarchisme.
Cette analyse a certainement sa pertinence, pour une certaine époque, donc, et ce sont là des outils de réflexivité plutôt en phase avec la façon dont cette époque se réfléchissait déjà elle-même, à l'époque dite des 30 glorieuses déjà finissantes.
Un discours encore assez communément admis, voire standardisé, distribué depuis en plat tiède, par la télévision elle-même et ses talk-shows, y compris quelques attardés d'un situationnisme, d'une critique du spectacle, qu'on croirait parfois immobilisés dans la naphtaline, encore nostalgiquement scotchés au petit conservatoire de Mireille, des Yéyés et de Salut les copains, et qui ne semblent guère allumer le vieux poste avec le napperon et le bocal du poisson rouge par dessus, encore persuadés que Pierre Tchernia anime toujours Monsieur Cinéma et Jacques Legras la caméra cachée de Jacques Rouland.
Aussi pertinente fut-elle pour "l'épocalité" en question, donc, on peut difficilement s'empêcher de penser que cette analyse, aujourd'hui, apparaît comme plutôt vieillotte, anachronique, et en tout cas ne constitue plus une grille suffisante pour décrire ce régime des images qu'on dit "télévisuel". Bourdieu avait plutôt d'ailleurs pris acte de la mutation de ce régime, s'intéressant plus tard à la télé (dans le sillage d'Halimi) comme lieu du partage équitable du pouvoir prescripteur d'opinion entre oligarques indéboulonnables et triés sur un mince volet, ne débattant qu'entre eux, dans une circularité parfaite tendant en droit à l'infini. Jusqu'à ce que que les derniers vagues curieux de ce bug sonore, imitation sans talent ni imagination des vexations de Satie jouées en boucle, délaissent définitivement leurs tables rondes, et débranchent, comme mézigue, leur vieux poste trinitron, remisé dans un angle mort pour un coma dépassé.
Ce sympathique document d'avant la couleur nous est donc plutôt précieux comme un chouette moment du passé à revivre entre potes, avec Arthur et les enfants de la téloche.
La tendance s'est plutôt inversée, et le petit monde de la télévision, qui n'intéresse plus grand monde, il faut bien le dire, depuis la dissémination internétique, a révisé de pied en cap depuis beau jeu ses "fondamentaux". Il n'y a d'ailleurs presque plus d'image, mais essentiellement un discours, très frappant, imagé, et puisant ses ressources dans l'imaginaire de la cinématographie la plus transgressive.
Il faudrait donc sérieusement songer à rebaptiser la télévision (dite "publique") simplement Radio, puisque c'est bien ce qu'elle est redevenue, et en finir de se tirlipoter avec un régime des images inexistant, ce que Daney soutenait déjà quand il définissait le "Visuel" précisément comme absence d'image, cette "écranisation" qui ne concerne même plus la télé, mais désormais le cinéma lui-même, dans une majorité de ses productions où il y a de moins en moins à regarder, comme dans les blockbusters de Nolan, mais bien plutôt d'interminables colloques-bavardages à se farcir, se substituant à l'action cinétique, elle-même tendant au ressassement de figures identiques semblant avoir été toutes plus ou moins repiquées dans un même fond de rushes ennuyeux et routinier, où le même type en cape satinée semble survoler d'un air absent, pour la nième fois, le même pâté de gratte-ciels, sur le même motif cuivré à percussions épiques de Hans Zimmer.
Mais pour en revenir à la radio télévisée, l'heure est, depuis fort longtemps, depuis au moins la généralisation du régime Tf1, au potentiel d'inquiétude, d'anxiogénisme, d'anomisme, de dépression, de chaos, de catastrophes et de cataclysmes, sociaux, économiques, politiques, ethnologiques, géologiques, climatiques, toujours plus traumatiques. La télévision de jadis endormait peut-être le téléspectateur avec Collargol, la télévision d'aujourd'hui le prend au collet et lui administre tôt dès le saut du lit une avalanche de baffes et de coups de poings dans la tronche qui lui dessillent les paupières jusqu'à exorbitation, comme dans le traitement Ludovico. Enfin, disons plutôt les oreilles, jusqu'à exo-tympanisation, puisqu'il n'y a rien à voir, aucun spectacle. Sinon sur les chaines câblées où on choisit son programme cinéma trépidant, quand on est las de Louis la Brocante ou de Miss Marples, Dexter, les Experts ou inspecteur Barnaby.
L'heure n'est plus à la purgation des passions inquiétantes, mais à leur plus haute stimulation: l'enfer apocalyptique guette le "téléspectateur (dit) moyen", et il hésite quotidiennement, sur le pas de sa porte, entre l'invasion de hordes barbares, de tueurs-violeurs en série, la menace terroriste, la désintégration proto-instantanée de toutes les banques et places boursières, etc, etc.
L'heure n'est plus au ronronnement rassurant, familier et familialiste, de la télé et du cinéma de Papa, mais au témoignage choc, à l'horreur paniquante vécue en direct-différé, de l'implosion explosive, de l'égarement de chacun et de tous, de l'errance illimitée et de la stridence cacophonique généralisée.
Le téléspectateur dit moyen, aujourd'hui, n'allume plus la télé pour rythmer la confection de ses pots de confiture ou de sa compote, mais pour avoir peur. La France a peur, on le sait, c'était déjà le slogan de l'ère Gicquel. Avec Pujadas, ressemblance avec Anthony Perkins oblige, homme tronc de nos psychoses corporelles, psychiques, de notre exposition hallucinée à une violence socio-économique prédatrice, sans freins ni limites ni recours, c'est le monde entier, l'univers entier, jusqu'aux quasars, qui est transi d'une trouille abominable ratatinant ses couilles cosmiques.
On ne nous guérit plus de nos velléités anarchiques ou rebelles, on nous annonce au contraire qu'il n'y a quasiment plus de recours, aucun porche où s'abriter, plus aucun Garcimore gaffeur à qui confier, décontrassté, ses petites souris, aucune Denise Fabre pour servir le chocolat chaud avec un fou rire réprimé. Non, le seul salut possible qui est annoncé au télespectateur dit moyen, claironné, toutes sirènes hurlantes, dans un champ socio-économique de mines à défragmentation rapide, où surnagent malgré tout quelques inspecteurs de police de quartier, têtes brûlées généreuses, libertariens-anarchistes penchant fort à droite, version Olivier Marchal ou Thierry Jonquet des familles en déroute, traquant le pédophile intégriste envers et contre les pourritures haut-placées qui protègent la criminalité en gants blancs qui les subventionne, la promesse d'avenir anxiogène qui lui est assénée, donc, de 19h à 0h30, avant les rediffs nocturnes d'émissions à potentiel culturel sur le secret des pyramides et les géants de l'île de Pâques, c'est soit le suicide du haut d'une tour, le repli solitaire dans la révolte, la folie, l'excès, l'Ubris, le dérèglement de tous les sens, la boisson, la toxicomanie, l'addiction sexuelle, la tentation du meurtre individuel ou collectif, l'acte de vengeance solitaire et désespéré, l'acting out sans remède, et une fin de vie atroce, à la Ulrich Seidl, faite de détresse, d'abandon, de maladie, de misère absolue et de mort sans sépulture pour les 30 inglorieuses bastardes à venir...
Dernière édition par Baudouin II de Barvaux le Mar 30 Oct 2012 - 6:54, édité 2 fois
Invité- Invité
Re: Le goût de la télévision
Très bon texte, surtout le passage sur Pujadas mdr. Il y en a une autre aussi qui faisait peur à une époque sur le service public, c'était celle qui présentait le JT de 13h (presque plus que l'éternel larbin de TF1). Elle avait un regard terrifiant d'instit qui apporte les sanctions et les mauvaises nouvelles à tes parents, et elle savait bien le placer. Il m'est arrivé de culpabiliser devant ma tv en la regardant (modérément), de me croire responsable du meurtre de machin truc, de la guerre en Irak, ou des désastres de la tempête Adeline...
Invité- Invité
Re: Le goût de la télévision
Je l'avais déjà posté quelque part sur le forum, mais c'est totalement raccord avec le texte de Jerzy.
Dr. Apfelgluck- Messages : 469
Re: Le goût de la télévision
Ces images de "témoignage choc" existent avec les autres, les images aseptisées, les renforçant sans doute. Les JT notamment sont structurés sur le même ronronnement familialiste, avec une dose de terreur qui accentue les mots d'ordre. Pas certain que la télé soit si déréglée, elle a plus que jamais sa galerie de blasons vivants comme le dit Daney, à égalité avec son potentiel d'inquiétude.
oui, très bon texte de hargne anti-bourdieu.
oui, très bon texte de hargne anti-bourdieu.
Invité- Invité
Re: Le goût de la télévision
Hi;
c'est pas plutôt l'inverse?
s'intéressant plus tard à la télé (dans le sillage d'Halimi)
c'est pas plutôt l'inverse?
Borges- Messages : 6044
Re: Le goût de la télévision
Ma parole, il est amoureux!{0} a écrit:ou des désastres de la tempête Adeline...
Re: Le goût de la télévision
C'est un peu exagéré. Il y a encore des Alessandra Sublet, des Maïtena Biraben, des Karine Lemarchand, des gentilles dames qui patronisent de gentilles émissions avec des gentils chroniqueurs évoquant de gentils sujets. Leurs émissions fonctionnent classiquement comme des prescripteurs de bonnes manières et de bon ton : l'invité de l'émission de Sublet est tenu de lui apporter un petit présent. Ensuite elle présente sa cuisinière à l'invité.
Dans "J'irai dormir chez vous", Antoine de Maximy offre le visage souriant de la mondialisation touristique, en faisant la démonstration que, simplement muni de son exquise politesse occidentale, il arrive à se taper l'incruste chez des gens sympa, partout dans le monde.
William Leymergie est toujours là le matin pour les petits vieux, et Drucker le dimanche. Ruquier continue à rire comme un bossu à tout propos. Le fameux "esprit canal" s'efforce toujours de mimer une ambiance de bande de potes sans chichis ni falbalas. Julien Lepers est toujours aussi enthousiasmé par le niveau de culture des candidats de "Questions pour un champion". "Plus belle la vie" promet à son spectateur que ça ne s'arrêtera jamais.
Certes un Pierre Bellemare n'aurait pas fini comme Jean-Luc Delarue, la violence des temps présents est effrayante, mais une partie non négligeable des programmes consiste encore à dire au spectateur : ici vous êtes chez vous, tout va bien.
Dans "J'irai dormir chez vous", Antoine de Maximy offre le visage souriant de la mondialisation touristique, en faisant la démonstration que, simplement muni de son exquise politesse occidentale, il arrive à se taper l'incruste chez des gens sympa, partout dans le monde.
William Leymergie est toujours là le matin pour les petits vieux, et Drucker le dimanche. Ruquier continue à rire comme un bossu à tout propos. Le fameux "esprit canal" s'efforce toujours de mimer une ambiance de bande de potes sans chichis ni falbalas. Julien Lepers est toujours aussi enthousiasmé par le niveau de culture des candidats de "Questions pour un champion". "Plus belle la vie" promet à son spectateur que ça ne s'arrêtera jamais.
Certes un Pierre Bellemare n'aurait pas fini comme Jean-Luc Delarue, la violence des temps présents est effrayante, mais une partie non négligeable des programmes consiste encore à dire au spectateur : ici vous êtes chez vous, tout va bien.
balthazar claes- Messages : 1009
Re: Le goût de la télévision
c'est pas cool comme réponse je trouve, tout le monde sait que Halimi a formé Bourdieu, aussi Halimi a enseigné le jeet kune do à Bruce Lee, etc.Borges a écrit:Hi;s'intéressant plus tard à la télé (dans le sillage d'Halimi)
c'est pas plutôt l'inverse?
Invité- Invité
Re: Le goût de la télévision
Salut Borges,
bien sûr c'est un peu le contraire, évidemment. C'est juste que, par cette formulation, je voulais simplement dire que contre-feux est paru en 1998 et Les chiens de garde en 1997. C'est ça, le "sillage" en question.
Pour Breaker: il n'y a aucune hargne anti-bourdieu dans ce texte. J'ai égratigné de petits extraits anachroniques de télé parlant de la télé fin 60s début 70s, sans doute. J'explique, par hyperbole, qu'ils étaient pertinents à l'époque où il les prononce, mais qu'aujourd'hui, ils semblent assez datés, à mon sens, mais ce n'est pas de sa faute.
Bourdieu n'est pas figé pour l'éternité dans ton petit musée grévin, sa pensée sur la télé a changé aussi, tout comme a changé la télé.
De plus, tu me lis de travers, comme d'habitude: je ne parle nulle part d'images de témoignage choc, puisque je dis qu'il n'y a quasiment plus d'images. Je ne parlerais donc pas d'images aseptisées non plus. Les "témoignages-choc" en question, ce sont pour moi ceux des talk-shows façon feu-Delarue, mais surtout ceux des séries "docu-témoignage" de Tf1. Comme le "grand frère", mix de para-militaire et d'assistant social, qui vient aider les familles à s'en sortir avec leur ado en crise, etc.
Je ne dis nulle parT non plus que "la télé est déréglée", je dis, plus haut, qu'elle se fait la caisse de résonance inquiétante d'un dérèglement généralisé, que bien sûr elle met en scène, et valorisant l'anomie. Ce qui implique qu'elle n'est pas déréglée du tout, bien au contraire.
En écho à ce que dit Balthazar: évidemment, tout ça, je le conteste pas. Je dis juste que cette partie-là, qui en effet continue à alimenter les hospices, les pavillons de retraités, pour simplifier et hyperboliser, ça, oui, c'est la télé de papa, qui rassure et qui endort. Mais elle n'intéresse plus grand monde, la télé le sait bien: d'où sa reconversion rapide vers un régime, non tant d'images, que de phrases à haut potentiel anxiogénique...
bien sûr c'est un peu le contraire, évidemment. C'est juste que, par cette formulation, je voulais simplement dire que contre-feux est paru en 1998 et Les chiens de garde en 1997. C'est ça, le "sillage" en question.
Pour Breaker: il n'y a aucune hargne anti-bourdieu dans ce texte. J'ai égratigné de petits extraits anachroniques de télé parlant de la télé fin 60s début 70s, sans doute. J'explique, par hyperbole, qu'ils étaient pertinents à l'époque où il les prononce, mais qu'aujourd'hui, ils semblent assez datés, à mon sens, mais ce n'est pas de sa faute.
Bourdieu n'est pas figé pour l'éternité dans ton petit musée grévin, sa pensée sur la télé a changé aussi, tout comme a changé la télé.
De plus, tu me lis de travers, comme d'habitude: je ne parle nulle part d'images de témoignage choc, puisque je dis qu'il n'y a quasiment plus d'images. Je ne parlerais donc pas d'images aseptisées non plus. Les "témoignages-choc" en question, ce sont pour moi ceux des talk-shows façon feu-Delarue, mais surtout ceux des séries "docu-témoignage" de Tf1. Comme le "grand frère", mix de para-militaire et d'assistant social, qui vient aider les familles à s'en sortir avec leur ado en crise, etc.
Je ne dis nulle parT non plus que "la télé est déréglée", je dis, plus haut, qu'elle se fait la caisse de résonance inquiétante d'un dérèglement généralisé, que bien sûr elle met en scène, et valorisant l'anomie. Ce qui implique qu'elle n'est pas déréglée du tout, bien au contraire.
En écho à ce que dit Balthazar: évidemment, tout ça, je le conteste pas. Je dis juste que cette partie-là, qui en effet continue à alimenter les hospices, les pavillons de retraités, pour simplifier et hyperboliser, ça, oui, c'est la télé de papa, qui rassure et qui endort. Mais elle n'intéresse plus grand monde, la télé le sait bien: d'où sa reconversion rapide vers un régime, non tant d'images, que de phrases à haut potentiel anxiogénique...
Dernière édition par Baudouin II de Barvaux le Mar 30 Oct 2012 - 17:01, édité 1 fois
Invité- Invité
Re: Le goût de la télévision
hi; oui, mais faut pas oublier son petit livre rouge, paru avant (cours du collège de france; télévisé, si je me trompe pas); je me souviens plus très bien mais je crois qu'on en avait parlé quand il était venu le présenter à l'ulg...
Borges- Messages : 6044
Re: Le goût de la télévision
Merci de me le rappeler. Pas d'inquiétude, je n'oublie pas que Halimi est bourdieusien
Invité- Invité
Re: Le goût de la télévision
Alessandra Sublet, attention, c'est du new, du trend tendance pour les nouveaux jeunes vieux.
Je suppose que la téloche ne peut maintenir son pouvoir normatif qu'en jouant sur les deux tableaux, en travaillant simultanément dans les deux directions.
Un JT c'est précisément cela, le montage schizophrène de la mise en scène de la violence du monde et de la mise en scène de la normalité. La dernière fois que j'ai regardé le JT, c'était le matin de la rentrée des classes : en une, un reportage "tranche de vie" chez le petit Florian et sa maman, "alors, pas trop le trac ? tu es content, tu vas pouvoir apprendre plein de choses, hein ?". Le gosse avait vraiment l'air de se demander pourquoi il avait droit à une double peine. Sa maman nous confiait à quel point l'éloignement accru allait lui faire le coeur gros, mais qu'en même temps elle était drôlement fière, etc. Ex abrupto : une histoire atroce d'assassin violeur.
C'est ça le dispositif : ensuite le foot, puis une guerre quelconque, puis la météo, puis une famine quelconque, puis une interview d'un quelconque Patrick Bruel. On obtient un feuilleté complètement dément d'informations incommensurables, assénées sur le même ton placide par l'homme-tronc de service.
(Et le talk show moderne à la Ardisson-Ruquier, c'est la même chose : faire cohabiter sur un plateau, de plain pied, des politiciens, des actrices porno, des reporters de guerre, des intellectuels et des humoristes. Sauf quand Badiou demande une pièce à part.)
On pourrait dire qu'il y a dans ce type d'enchaînement d'énoncés la revendication d'être la surface d’inscription "méta-légitime", sur laquelle on peut faire se juxtaposer tous les contenus possibles sans qu'elle en soit affectée. Si la téloche peut encore avoir la prétention de montrer et d'accompagner la norme, c'est en se présentant comme surface neutre, en surlignant tout le temps cette hypothétique neutralité, en la donnant à voir dans la figure du grand écart entre l'horrible et le rassurant trivial. Et c'est encore pour cela qu'elle peut gaver le spectateur de pubs sans se sentir réduite à un espace publicitaire. Je personnifie ici la téloche, comme allégorie du consensus, en quelque sorte.
Je suppose que la téloche ne peut maintenir son pouvoir normatif qu'en jouant sur les deux tableaux, en travaillant simultanément dans les deux directions.
Un JT c'est précisément cela, le montage schizophrène de la mise en scène de la violence du monde et de la mise en scène de la normalité. La dernière fois que j'ai regardé le JT, c'était le matin de la rentrée des classes : en une, un reportage "tranche de vie" chez le petit Florian et sa maman, "alors, pas trop le trac ? tu es content, tu vas pouvoir apprendre plein de choses, hein ?". Le gosse avait vraiment l'air de se demander pourquoi il avait droit à une double peine. Sa maman nous confiait à quel point l'éloignement accru allait lui faire le coeur gros, mais qu'en même temps elle était drôlement fière, etc. Ex abrupto : une histoire atroce d'assassin violeur.
C'est ça le dispositif : ensuite le foot, puis une guerre quelconque, puis la météo, puis une famine quelconque, puis une interview d'un quelconque Patrick Bruel. On obtient un feuilleté complètement dément d'informations incommensurables, assénées sur le même ton placide par l'homme-tronc de service.
(Et le talk show moderne à la Ardisson-Ruquier, c'est la même chose : faire cohabiter sur un plateau, de plain pied, des politiciens, des actrices porno, des reporters de guerre, des intellectuels et des humoristes. Sauf quand Badiou demande une pièce à part.)
On pourrait dire qu'il y a dans ce type d'enchaînement d'énoncés la revendication d'être la surface d’inscription "méta-légitime", sur laquelle on peut faire se juxtaposer tous les contenus possibles sans qu'elle en soit affectée. Si la téloche peut encore avoir la prétention de montrer et d'accompagner la norme, c'est en se présentant comme surface neutre, en surlignant tout le temps cette hypothétique neutralité, en la donnant à voir dans la figure du grand écart entre l'horrible et le rassurant trivial. Et c'est encore pour cela qu'elle peut gaver le spectateur de pubs sans se sentir réduite à un espace publicitaire. Je personnifie ici la téloche, comme allégorie du consensus, en quelque sorte.
balthazar claes- Messages : 1009
Re: Le goût de la télévision
Baudouin II de Barvaux a écrit:Merci de me le rappeler. Pas d'inquiétude, je n'oublie pas que Halimi est bourdieusien
je me souviens aussi qu'après que halimi est venu présenter son bouquin, tu avais dit que tu écriras aussi un jour un bouquin sur la télé...
Borges- Messages : 6044
Re: Le goût de la télévision
Ah bigre.
C'est vrai que cette conf de Halimi, j'étais enthousiasmé, séduit, emballé, surexcité. Enfin, y se passait quelque chose dans un amphi. Un mec, petit et nerveux, avec une faconde extraordinaire, qui disait des trucs justes, percutants, drôles, etc.
Slimfast est un amant du cinéma, moi, j'suis un amant de la télé. J'connais la télé comme ma poche. La télé m'a fait l'homme que je suis. Je sais, c'est pas... Enfin, ça prête le flanc à... lol.
J'aime la télé, et je la hais, in the same time.
C'est vrai que cette conf de Halimi, j'étais enthousiasmé, séduit, emballé, surexcité. Enfin, y se passait quelque chose dans un amphi. Un mec, petit et nerveux, avec une faconde extraordinaire, qui disait des trucs justes, percutants, drôles, etc.
Slimfast est un amant du cinéma, moi, j'suis un amant de la télé. J'connais la télé comme ma poche. La télé m'a fait l'homme que je suis. Je sais, c'est pas... Enfin, ça prête le flanc à... lol.
J'aime la télé, et je la hais, in the same time.
Invité- Invité
Page 2 sur 4 • 1, 2, 3, 4
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum