Marlon Brando activiste
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Marlon Brando activiste
«ça pourrait être mon fils étendu là»
(Brando aux funérailles de Bobby Hutton)
on en avait déjà parlé ici, de l'activisme de Brando qui fait de son mieux...
Est-ce que Brando ne se retrouve pas de façon grotesque sur cette photo avec les Panthers à évoquer une représentation raciste de l'histoire de l'Amérique, sans qu'il n'en imagine rien.
Représentation bien connue des esclaves noirs qui sont alignés dans les champs, avec le Blanc qui surveille les activités de la plantation.
Quand Brando dit aux funérailles de Bobby Hutton : "ça pourrait être mon fils étendu là", j'avais répondu je crois qu'il n'a clairement rien à dire en les regardant, Brando ramène une révolution au niveau d'un pathos qui est celui d'un fait divers. Mais ça devient intéressant quand Brando dit :
«J'ai beaucoup à apprendre. Je n'ai pas souffert comme vous souffrez»
Là je trouve qu'il touche une vérité, et c'est le premier pas d'un activiste.
La question demeure : qu'est-ce qu'il a appris?
"Brando aux funérailles de Bobby Hutton", "Brando refuse son Oscar et envoie à sa place une jeune actrice indienne", etc...
«Pourquoi donc s'en contenter et dire : c'est déjà quelque chose... À notre avis, nous risquons de leur faire plus de mal que de bien en nous fabriquant une bonne conscience à si bon marché... Derrière la figuration de cette vedette figure encore l'ignoble et redoutable machine capitaliste, remplie d'une expression cyniquement humble...» ("Letter to Jane / Enquête sur une image")
Autre exemple, quand on le voit (un peu) avec l'Unicef, choqué par la malnutrition en Inde. On trouve les termes de son engagement dans les archives de l'INA:
http://boutique.ina.fr/video/art-et-culture/arts-du-spectacle/I04202208/marlon-brando-42-ans-a-paris-gala-de-l-unicef.fr.html
Godard comparait Brando à un politicien comme Pompidou, et aujourd'hui il serait sans doute comparé à Hollande, aux engagements symboliques que la France a pris récemment pour la Palestine.
Brando a une aura extraordinaire dans Un tramway nommé Désir, au point même d'écraser le sujet de la pièce de Tennessee Williams : «Cette pièce est une tragédie poétique, on nous montre l'anéantissement ultime d'une personne de valeur, qui eut un jour du potentiel et qui, même dans la défaite, même détruite, a une valeur qui dépasse celle des figures rudes qui l'assassinent»
Brando impose sa puissance à l'écran, et la destruction du personnage de Vivien Leigh, "son être cultivé et raffiné", est à peine perceptible... Elle apparaît même davantage schizo que Brando...
Kazan avait adressé cette note à Brando:
«D'une certaine manière, Stanley es exactement comme toi. Il est suprêmement indifférent à tout, sauf à son propre plaisir et à son confort. Il est tout à fait égoïste, un miracle de nombrilisme sensuel. Il construit une vie hédoniste et se bat jusqu'à la mort pour la protéger - mais finalement cela n'est pas assez pour retenir Stella. Et puis, cette philosophie ne fonctionne pas, même pour lui - car parfois, le silence et la frustration de Stanley surgissent de manière inattendue et imprévisible, et l'on voit, tout d'un coup, comme un éclair, son moi réel frustré».
Invité- Invité
Re: Marlon Brando activiste
ce petit sujet sur Brando vient de quelques échanges que j'ai eus sur Facebook, on y croise des gens tout à fait charmants. Facebook, comme les forums cinéma d'ailleurs, pourraient être des dispositifs importants où on échange des images, comme dans ce film avec Serge Daney et Elias Sanbar :
mais, en fait, je ne sais pas pourquoi, on se tourne le dos très vite, et ce qu'on a à se dire, c'est les trucs de télépoche ou de télérama... on est repris par la solitude, pas grand chose qui dépasse du grillage...
mais, en fait, je ne sais pas pourquoi, on se tourne le dos très vite, et ce qu'on a à se dire, c'est les trucs de télépoche ou de télérama... on est repris par la solitude, pas grand chose qui dépasse du grillage...
«Adieu au langage est le meilleur film de Godard de tout temps, ex aequo avec "Sauve qui peut (la vie)".
Ceux qui ne comprendront pas ça resteront à une distance infinie de l'Art du cinéma (tout ce qui dépasse du grillage).»
Martin Scorsese
Invité- Invité
Re: Marlon Brando activiste
Salut Breaker. Mais enfin qu’est-ce qu’il t’a fait Brando pour que tu lui en veuilles comme ça ?
Pour te réconcilier avec l’acteur, il ne fallait pas regarder Un tramway nommé désir hier sur Arte mais le formidable La poursuite impitoyable dimanche.
C’est marrant mais je ne fais pas du tout la même lecture que toi de l’image de Brando.
On pourrait s’amuser aux jeux des différences entre les 2 images que tu postes.
Brando regarde dans la même direction que les manifestants. Le maître lui regarde-surveille les esclaves.
L'acteur a les mains serrées comme les manifestants. Il porte chemise et cravate comme eux. Le maître lui a les bras croisés quand les autres travaillent. Il est pas du tout habillé pareil que les esclaves.
Pour moi, la position de retrait de Brando par rapport aux manifestants est une forme ultime de respect, une façon d’exprimer sa solidarité tout en maintenant une distance pour dire qu’ils ne sont pas pareils au sens où ils ne sont pas égaux dans la souffrance. Mais peut-être me trompes-je…
Pour te réconcilier avec l’acteur, il ne fallait pas regarder Un tramway nommé désir hier sur Arte mais le formidable La poursuite impitoyable dimanche.
breaker a écrit:
Est-ce que Brando ne se retrouve pas de façon grotesque sur cette photo avec les Panthers à évoquer une représentation raciste de l'histoire de l'Amérique, sans qu'il n'en imagine rien.
Représentation bien connue des esclaves noirs qui sont alignés dans les champs, avec le Blanc qui surveille les activités de la plantation.
C’est marrant mais je ne fais pas du tout la même lecture que toi de l’image de Brando.
On pourrait s’amuser aux jeux des différences entre les 2 images que tu postes.
Brando regarde dans la même direction que les manifestants. Le maître lui regarde-surveille les esclaves.
L'acteur a les mains serrées comme les manifestants. Il porte chemise et cravate comme eux. Le maître lui a les bras croisés quand les autres travaillent. Il est pas du tout habillé pareil que les esclaves.
Pour moi, la position de retrait de Brando par rapport aux manifestants est une forme ultime de respect, une façon d’exprimer sa solidarité tout en maintenant une distance pour dire qu’ils ne sont pas pareils au sens où ils ne sont pas égaux dans la souffrance. Mais peut-être me trompes-je…
gertrud04- Messages : 241
Re: Marlon Brando activiste
Je vais me faire accuser de me répéter et de lire de la "pseudo-culture", mais dans le très bon "Homme qui Meurt" de Baldwin, qui englobe le "cinéma d'auteur américain" à l'époque du fascisme puis du mccarthysme, l'émergence du black power et des questions de "genre" (même si Baldwin insiste sur la complexité de la situation au delà des appelations, et n'emploie pas ces mots), un des personnages du roman est clairement très fortement inspiré de Brando -pris au début de sa carrière , comme étudiant -en fait assez paumé- de Stella Adler- et portraituré de façon plutôt sympathique, même s'il évolue en marge du cadre central plus directement politique du livre. Il est présenté comme un homme qui prend des positions politiques fortes presque par hasard, parce qu'il est en fait à la recherche d'une famille de subsitution, mais dont la sincérité n'est pas remise en question: vu le caractère accidentel de ses motivations ce problème ne se pose pas du tout. Un peu comme le Dussardier de Flaubert.
http://en.wikipedia.org/wiki/Stella_Adler
http://en.wikipedia.org/wiki/Stella_Adler
Invité- Invité
Re: Marlon Brando activiste
gertrud04 a écrit:
C’est marrant mais je ne fais pas du tout la même lecture que toi de l’image de Brando.
On pourrait s’amuser aux jeux des différences entre les 2 images que tu postes.
Brando regarde dans la même direction que les manifestants. Le maître lui regarde-surveille les esclaves.
L'acteur a les mains serrées comme les manifestants. Il porte chemise et cravate comme eux. Le maître lui a les bras croisés quand les autres travaillent. Il est pas du tout habillé pareil que les esclaves.
Pour moi, la position de retrait de Brando par rapport aux manifestants est une forme ultime de respect, une façon d’exprimer sa solidarité tout en maintenant une distance pour dire qu’ils ne sont pas pareils au sens où ils ne sont pas égaux dans la souffrance. Mais peut-être me trompes-je…Tony le Mort a écrit:Je vais me faire accuser de me répéter et de lire de la "pseudo-culture", mais dans le très bon "Homme qui Meurt" de Baldwin, qui englobe le "cinéma d'auteur américain" à l'époque du fascisme puis du mccarthysme, l'émergence du black power et des questions de "genre" (même si Baldwin insiste sur la complexité de la situation au delà des appelations, et n'emploie pas ces mots), un des personnages du roman est clairement très fortement inspiré de Brando -pris au début de sa carrière , comme étudiant -en fait assez paumé- de Stella Adler- et portraituré de façon plutôt sympathique, même s'il évolue en marge du cadre central plus directement politique du livre. Il est présenté comme un mec qui prend des positions politiques fortes presque par hasard, parce qu'il est en fait à la recherche d'une famille de subsitution, mais dont la sincérité n'est pas mise en question: ce problème ne se pose pas du tout. Un peu comme le Dussardier de Flaubert.
http://en.wikipedia.org/wiki/Stella_Adler
salut Gertrud, Tony
oui je force un peu (beaucoup sans doute) la bouffonnerie pour répondre aux critiques qui font de Brando un super activiste. Ta lecture des images me paraît juste(sans complètement barrer la mienne) et le commentaire de Tony conforte d'autant plus ce que tu dis. Merci pour cette référence, Tony. Je ne connaissais pas ce livre de Baldwin...
On parle aussi très souvent de la puissance animale de Marlon Brando. Ce "on", c'est notamment celui d'Arte qui diffusait un documentaire sur la vie de l'acteur ces jours-ci :
https://www.youtube.com/watch?v=kUGLUcBjNjY
et ça dit à peu près: Marlon Brando vit ses rôles, alors que les autres acteurs apprennent leurs textes, les interprètent, etc. Par là, Brando est gros matou absolument génial, dans Un Tramway nommé Désir, notamment. Mais "on" remarque assez peu qu'il y a sûrement une double erreur de casting dans ce film, ou une direction d'acteurs qui pose des problèmes à l'histoire... d'abord Brando qui joue un prolo agressif résolument trop sensuel qui commet un viol, et Vivien Leigh qui a l'air d'une petite chatte cinglée qui doit incarner un personnage "cultivé et raffiné" que Brando va saccager...
Invité- Invité
Re: Marlon Brando activiste
Le livre de Baldwin est vraiment un très beau roman (et très informatif sur la scène théâtrale américaine des années 40-60) . Je crois aussi que c'est une autobiographie codée, inscrite dans le monde et complétée par la fiction, un regard proustien sur les années 60 et les luttes politique contre la ségrégation, de la même manière que Proust développe la vérité de l'Affaire Dreyfus dans la fiction (c'est mal dit je sais). Je ne saurais trop le recommander.
(Apparemment Baldwin et Brando étaient collocataires dans le village de New York dans les années 1944.)
(Apparemment Baldwin et Brando étaient collocataires dans le village de New York dans les années 1944.)
Invité- Invité
Re: Marlon Brando activiste
Je sais que Baldwin et Brando ont participé ensemble à la marche sur Washington organisée en 1963 par les leaders des droits civiques:Tony le Mort a écrit:Apparemment Baldwin et Brando étaient collocataires dans le village de New York dans les années 1944
«La marche s’est transformée en un pique-nique, un cirque. Rien qu'un cirque, avec les clowns et tout... des clowns blancs et des clowns noirs... Non, c'était une trahison. C'était une prise de contrôle. Quand James Baldwin est venu de Paris, ils n'ont pas voulu le laisser parler, parce qu'il n'était pas homme à respecter un scénario. Burt Lancaster a lu le discours que Baldwin était censé faire, ils ne voulaient pas laisser Baldwin monter sur le podium, parce qu'ils savent que Baldwin est capable de dire ce qu’il veut. Ils ont contrôlé si fort cette marche - ils ont dit à ces Noirs à quelle heure arriver en ville, comment venir, où s'arrêter, quels signes porter, quelle chanson chanter, quel discours ils pouvaient faire, et quel discours, ils ne pouvaient pas faire et puis, ils leur ont dit de sortir de la ville au coucher du soleil. Et chacun de ces Tom est sorti de la ville au coucher du soleil... C'était un cirque, un spectacle qui a battu tout ce que Hollywood pourra jamais faire dans le genre, la performance de l'année. Reuther et les trois autres démons devraient obtenir un Oscar dans la catégorie du Meilleurs Acteurs car ils ont agi comme s’ils aimaient vraiment les Noirs et ont dupés tout un tas d’entre eux. Et les six leaders noirs devraient également recevoir une récompense dans la catégorie du Meilleur Acteur pour un Second Rôle.»
Invité- Invité
Re: Marlon Brando activiste
Salut Breaker.
Encore the same-old-thing-again?
J'arrête pas de le dire, mais y suit pas toujours les bons conseils de tonton jerz
https://spectresducinema.1fr1.net/t980-electra-glide-in-blue-1973-cutter-s-way-le-plein-de-super-et-les-bons-conseils-de-tonton-jerz#23590
Kazan, c'est pas trop pour moi.
Encore the same-old-thing-again?
gertrud04 a écrit:il ne fallait pas regarder Un tramway nommé désir hier sur Arte mais le formidable La poursuite impitoyable dimanche.
J'arrête pas de le dire, mais y suit pas toujours les bons conseils de tonton jerz
https://spectresducinema.1fr1.net/t980-electra-glide-in-blue-1973-cutter-s-way-le-plein-de-super-et-les-bons-conseils-de-tonton-jerz#23590
Kazan, c'est pas trop pour moi.
- vieux fragments archivés:
- "Un tramway nommé désir": j'ai toujours trouvé ça lourd, mais lourd, d'une théâtralité surlignée, une soi-disant plongée dans la folie avec plein de gros effets aussi appuyés que la sueur dégoulinant sur le marcel de Brando, les mimiques faciales super-aliénées de Leigh et les gros yeux exorbités de Malden en boules de loto annonçant clairement qu'attention, y pourrait s'énerver. Tout ce petit monde s'agitant comme c'est pas permis, selon la méthode Strasberg-Stanislawski, investissant 5 mètres carrés de passions sturm-und-drang pour un huis-clos antique fiévreux à la sauce Broadway. Mais bon y a pire.
- "Un homme dans la foule": rarement vu un film "à message" aussi laborieusement démonstratif, tout tendu vers la "dénonciation critique" de "quelque chose" qu'on a déjà capté 15 kilomètres en amont, et qui enfonce une porte ouverte toutes les 5 minutes. Epuisant
- "L"arrangement": alors là c'est le ponpon. Une introspection mastoc, tempête super-concernante sous le crâne d'un magnat de la publicité qui commence à se demander gravement si sa piscine, sa pelouse, sa femme charmante et ses conquêtes féminines n'auraient pas, par hasard, un arrière-goût de compromission avec ses idéaux d'antan (d'où le titre: "l'arrangement", très éloquent, qui explique très bien tout ça, au cas où le spectacteur parvenait à échapper à la tempête de gyrophares qui nous le signifient à chaque plan, à chaque dialogue, à chaque pli sur le front soucieux de Kirk Douglas). Alors, c'est ça le bonheur? Ah oui mais non, hein:
" And you may ask yourself - How do I work this? - And you may ask yourself- Where is that large automobile? - And you may tell yourself - This is not my beautiful house! - And you may tell yourself - This is not my beautiful wife! ".
Ok, merci Elia, message reçu 5/5, roger, à vous.
1967 donc: Kazan, toujours aux prises avec de gros problèmes de conscience après avoir dénoncé ses ex-potes communistes de la mecque de Hollywood, accouche "fiévreusement" (c'est toujours fiévreux, chez lui) un roman-confession-fleuve détourné. Gros succès de librairie. 1969: Non content de ça, faut encore lui donner vie sur la pellicule, pour dénoncer la foire aux illusions, dénoncer le "carton-pâte" des apparences.
Résultat: 200 éléphants prenant d'assaut un magasin de bibelots en porcelaine déjà soldés. Comme les carabiniers d'Offenbach. Au secours!
Invité- Invité
Re: Marlon Brando activiste
salut Jerzy,
oui je vais essayer de me renouveler un peu...
Merci de l'accueil!
j'ai réussi à trouver une copie du Chaud lapin de Pascal Thomas, et je cherche le lien sur ton blog (tu parlais aussi des Petites fugues dans le même texte)...
oui je vais essayer de me renouveler un peu...
Merci de l'accueil!
j'ai réussi à trouver une copie du Chaud lapin de Pascal Thomas, et je cherche le lien sur ton blog (tu parlais aussi des Petites fugues dans le même texte)...
Invité- Invité
Re: Marlon Brando activiste
Le fleuve sauvage de Kazan, j’aime beaucoup. J’avais écrit un texte dessus sur le forum des Cahiers. Personne s’en souvient, à raison tellement c’était pathétiquement nul. Des fois, j’me dis que la disparition du forum aura au moins servi à ça : faire disparaître cette horreur.
gertrud04- Messages : 241
Re: Marlon Brando activiste
breaker a écrit:
j'ai réussi à trouver une copie du Chaud lapin de Pascal Thomas, et je cherche le lien sur ton blog (tu parlais aussi des Petites fugues dans le même texte)...
Une partie est là, qui esquisse un lien entre Le chaud Lapin et Maine Océan: http://mainoptique.blogspot.be/2010/06/maine-ocean-jacques-rozier-1986-le.html
L'autre est ici, qui esquisse un lien entre Maine Océan et Les petites fugues: https://spectresducinema.1fr1.net/t1192p165-de-la-confusion-conceptuelle-erigee-au-rang-de-bel-art-de-la-ratiocination-permanente-suivi-de-petites-fugues#41295 :
- Spoiler:
Dans les deux films, différents dans leur facture je ne le nie pas, mais assez proches dans leur traitement des durées, on a affaire à des personnages qui sortent de leur "définition", liée à la valeur-travail: par une sorte de dérive, ou ligne de fuite (géographique autant que définitionnelle) qui les emmène dans le champ de l'esthétique (au sens kantien: finalité sans fin, plaisir désintéressé, universel sans concept - et goût du partage sensible associé).
Je ne vois pas tellement pour ma part le mouvement que Pipe opère en termes de "transgression", pour reprendre le terme de Breaker. Terme qui suggère une sorte de délibération consistant à contester un ordre établi. Mais plutôt en termes de "passage" d'un état dans un autre, un "devenir".
Tout est dans le passage, dans le "entre". Le devenir n'étant pas un processus d'identification, où l'on part d'un état x ou arriver à un état y, mais celui d'être entrainé (ou sur) la frontière, à (ou sur) la limite, de chacun des états ou territoires.
Pour le dire brièvement (sous condition d'un développement plus ample):
Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit bien de fugues ou de "petites fugues": deux types de "Travailleurs", le valet de ferme Pipe (prolétaire), les deux contrôleurs de la SNCF (petits fonctionnaires), se désintéressent de leur boulot, pour entrer dans un temps autre, un temps second, qui devient leur temps primordial: celui de la vacance, de la musardise, de la rêverie poétique...
Ils prennent la "clé des champs", se rêvent et se vivent autrement. Musiciens (le roi de la salsa pour Ménès). Pour Pipe, selon deux régimes successifs: motocyliste d'abord (cad en déplacement dans l'espace, voyageur), photographe ensuite (cad dans une action contemplative, immobile)...
[...]
Les personnages dans Maine Ocean sont pris dans cette sorte de "fugue", qu'elle ait été plus ou moins contrainte à l'origine est relativement secondaire.
Pas tant contrainte: Rego a envie de partir, il est déjà un peu poète-musicien à la base; Ménès traine la patte au début, mais c'est celui qui va véritablement faire l'expérience d'une dés-assignation de sa définition, le temps d'une "fugue", avant de retourner à sa condition, on imagine, après avoir fait son "petit tour en mer": par paliers successifs obéissant au temps lent de la pêche, jusqu'au rivage.
Quant à l'avocate, elle abandonne assez rapidement toute prétention pédagogique (dans laquelle elle se montrait d'une incompétence burlesque) pour se laisser entrainer dans la salle des fêtes.
L'impresario est plutôt une sorte de mythomane sympathique (enfin, "sympathique"... Il n'est pas méchant, juste un peu... énergique), qui n'est pas plus imprésario que la Brésilienne n'est chanteuse: il n'a pas une identité propre, c'est un vecteur de transformations. C'est lui qui propose aux autres de changer de "place" et de "fonction", de s'inventer, de faire, performer de nouvelles identités & fonctions.
Ce qui est très différent de "jouer un rôle", voir plus bas, puisque tu reviens à Moullet: quand on "joue un rôle", c'est de la comédie, on fait semblant. C'est un masque, qui peut devenir une "seconde nature", comme "le garçon de café" décrit par Sartre. Mais le "garçon de café" sait qu'il n'est pas "garçon de café". Son adhésion à une nature en soi du "garçon de café" est de l'ordre de la mauvaise foi, par laquelle il étouffe sa liberté (de ne pas être ceci ou cela).
Quand on "joue un rôle", on ne devient pas véritablement quelqu'un d'autre, entrainé dans un devenir-musicien ou danseur, etc, comme c'est le cas de Ménès. Peu importe s'il y est nul, est le seul à ne pas se rendre qu'il s'y rend ridicule. Ce qui compte, c'est qu'il croit vraiment, a vraiment cru, à ce moment là (ensorcelé par les énoncés performatifs de l'impresario: "je te déclare" ou "je te baptise" roi de la samba, comme on dit: "je vous déclare mari et femme") qu'il changeait de vie, de nature, de fonction, etc. Il jouait son rôle de contrôleur, avec la même mauvaise foi que le "garçon de café", mais cette auto-définition de sa nature s'est révélée si friable qu'il se voit entrainé dans un tout autre devenir, ouvert, indéterminé. Même, ce n'est pas tant qu'il désire soudain devenir "chanteur" ou "danseur" de Samba, à proprement parler. La vague qui l'emporte, à ce moment-là, c'est que sa vie entière bascule dans un autre régime: un régime esthétique. L'acmé de son "devenir" est ainsi le moment, dans la dernière séquence, et qui s'étire presqu'à l'infini, où il n'est plus que ce point mobile quasi-imperceptible qui semble danser sur la ligne d'horizon...
Il y a donc dans ce film l'expérience d'une perte et d'un changement de nature, rôle, fonction, par une indétermination des repères et des rôle sociaux préexistants, mais aussi une indétermination planant sur les compétences performatives des uns et des autres. Susceptibles de se penser, de s'envisager et de se vivre autrement, même s'ils reviennent à la fin à leur fonction première. Parce qu'ils ont été traversés par l'expérience d'un changement, d'un passage. Le devenir, pour redire ce que je disais plus haut, étant le processus de passage: il ne s'agit pas de devenir ceci ou cela, mais d'expérimenter une zone "entre" les états fixes.
[ Ainsi de Pipe, le valet de ferme, qui ne devient pas "motocyliste" ni "photographe", mais fait l'expérience d'un passage entre son état "x" et des états "y" et "z".
A la frontière entre ces mondes: par exemple, il croise le monde des "motards" (qui font du rallye-cross), mais ne devient pas l'un d'eux. Il offre une pomme au vainqueur (moment magnifique). Il se croit intéressé par l'exploration des sommets, des hauteurs: le voyage en hélicoptère au dessus du mont Servin. Mais ce voyage le déçoit. Dans la mesure même, semble-t-il, où ce n'est pas ça qui l'intéresse vraiment, le sommet ou la hauteur comme territoire fixe à conquérir. Ce qui le meut, le véhicule, c'est le passage, à la frontière.
Il s'adonne ensuite à la photographie. Non pour "fixer" ou "conserver" les choses de son environnement, mais là encore: comme expérience d'une transformation, d'un passage entre l'objet et sa représentation photographique, qui le fascine. Il est condamné à l'immobilité, à la stase (après la phase "moto"), mais il fait de son nouvel état (statique) un nouveau champ d'expérience qui lui permet de déjouer cette stase pour continuer à éprouver, sous une modalité nouvelle, de la métamorphose.
Pour moi, ce personnage, Pipe (du moins dans le film, donc), c'est le contraire d'un Icare: il ne se brûle pas les ailes à force de trop vouloir s'élever vers les sommets inatteignables, c'est pas son processus. Ces sommets l’ennuient, une fois qu'il en a fait le tour, donc. Ce ne sont pas des territoires qu'il chercherait à conquérir, puis dans l'échec de cette tentative ou de ce désir, retomberait tragiquement à terre. Son processus, c'est un déplacement perpétuel hors de l'état où il était fixé à la base. ]
Dans Maine Océan, les pêcheurs restent des pêcheurs, certes, mais c'est pas la question. Le film, pour le redire, n'est pas censé "illustrer" ou "appliquer" point par point, au micro-poil une théorie de l'émancipation ou de l'égalité, celle de Rancière en particulier. Ce n'est donc pas en ce sens que je parle de films "ranciériens".
Le monde de la pêche est juste la toile de fond du récit. Et dans l'économie de ce récit, le pêcheur Marcel Petigas, parce qu'il se trouve à un moment précis (au tribunal) court-circuité entre différentes strates sociales, univers hétérogènes qui vont se télescoper, va être l'élément déclencheur du processus des rencontres, de la dérive ou de fugue, ou de "déterritorialisation", des autres (son projet de leur faire faire à tous "un petit tour en mer"), et principalement chez le personnage principal qui était le plus "territorialisé" (Ménès).
Dans ce que je suggère, il faut se garder là encore d'une "application mécanique": je ne dis pas que ces films "illustrent" la pensée ranciérienne de l'émancipation et de l'égalité, je dis juste qu'on peut y ressentir un processus qui fait penser à ce que Rancière essaie de penser quand il parle de "partage du sensible" et de subordination du champ social à un mouvement à la fois esthétique et politique qui déplace ses identités assignées (et que je relie ici, comme je n'ai cessé de le faire, à la pensée de Deleuze sur le Désir, le devenir, etc)...
Bonne journée. Il est temps pour moi d'aller me coucher.
Invité- Invité
Re: Marlon Brando activiste
merci beaucoup, j'y reviens un peu plus tard...syndic des dockers a écrit:
Une partie est là, qui esquisse un lien entre Le chaud Lapin et Maine Océan: http://mainoptique.blogspot.be/2010/06/maine-ocean-jacques-rozier-1986-le.html
L'autre est ici, qui esquisse un lien entre Maine Océan et Les petites fugues: https://spectresducinema.1fr1.net/t1192p165-de-la-confusion-conceptuelle-erigee-au-rang-de-bel-art-de-la-ratiocination-permanente-suivi-de-petites-fugues#41295 :
- Spoiler:
Dans les deux films, différents dans leur facture je ne le nie pas, mais assez proches dans leur traitement des durées, on a affaire à des personnages qui sortent de leur "définition", liée à la valeur-travail: par une sorte de dérive, ou ligne de fuite (géographique autant que définitionnelle) qui les emmène dans le champ de l'esthétique (au sens kantien: finalité sans fin, plaisir désintéressé, universel sans concept - et goût du partage sensible associé).
Je ne vois pas tellement pour ma part le mouvement que Pipe opère en termes de "transgression", pour reprendre le terme de Breaker. Terme qui suggère une sorte de délibération consistant à contester un ordre établi. Mais plutôt en termes de "passage" d'un état dans un autre, un "devenir".
Tout est dans le passage, dans le "entre". Le devenir n'étant pas un processus d'identification, où l'on part d'un état x ou arriver à un état y, mais celui d'être entrainé (ou sur) la frontière, à (ou sur) la limite, de chacun des états ou territoires.
Pour le dire brièvement (sous condition d'un développement plus ample):
Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit bien de fugues ou de "petites fugues": deux types de "Travailleurs", le valet de ferme Pipe (prolétaire), les deux contrôleurs de la SNCF (petits fonctionnaires), se désintéressent de leur boulot, pour entrer dans un temps autre, un temps second, qui devient leur temps primordial: celui de la vacance, de la musardise, de la rêverie poétique...
Ils prennent la "clé des champs", se rêvent et se vivent autrement. Musiciens (le roi de la salsa pour Ménès). Pour Pipe, selon deux régimes successifs: motocyliste d'abord (cad en déplacement dans l'espace, voyageur), photographe ensuite (cad dans une action contemplative, immobile)...
[...]
Les personnages dans Maine Ocean sont pris dans cette sorte de "fugue", qu'elle ait été plus ou moins contrainte à l'origine est relativement secondaire.
Pas tant contrainte: Rego a envie de partir, il est déjà un peu poète-musicien à la base; Ménès traine la patte au début, mais c'est celui qui va véritablement faire l'expérience d'une dés-assignation de sa définition, le temps d'une "fugue", avant de retourner à sa condition, on imagine, après avoir fait son "petit tour en mer": par paliers successifs obéissant au temps lent de la pêche, jusqu'au rivage.
Quant à l'avocate, elle abandonne assez rapidement toute prétention pédagogique (dans laquelle elle se montrait d'une incompétence burlesque) pour se laisser entrainer dans la salle des fêtes.
L'impresario est plutôt une sorte de mythomane sympathique (enfin, "sympathique"... Il n'est pas méchant, juste un peu... énergique), qui n'est pas plus imprésario que la Brésilienne n'est chanteuse: il n'a pas une identité propre, c'est un vecteur de transformations. C'est lui qui propose aux autres de changer de "place" et de "fonction", de s'inventer, de faire, performer de nouvelles identités & fonctions.
Ce qui est très différent de "jouer un rôle", voir plus bas, puisque tu reviens à Moullet: quand on "joue un rôle", c'est de la comédie, on fait semblant. C'est un masque, qui peut devenir une "seconde nature", comme "le garçon de café" décrit par Sartre. Mais le "garçon de café" sait qu'il n'est pas "garçon de café". Son adhésion à une nature en soi du "garçon de café" est de l'ordre de la mauvaise foi, par laquelle il étouffe sa liberté (de ne pas être ceci ou cela).
Quand on "joue un rôle", on ne devient pas véritablement quelqu'un d'autre, entrainé dans un devenir-musicien ou danseur, etc, comme c'est le cas de Ménès. Peu importe s'il y est nul, est le seul à ne pas se rendre qu'il s'y rend ridicule. Ce qui compte, c'est qu'il croit vraiment, a vraiment cru, à ce moment là (ensorcelé par les énoncés performatifs de l'impresario: "je te déclare" ou "je te baptise" roi de la samba, comme on dit: "je vous déclare mari et femme") qu'il changeait de vie, de nature, de fonction, etc. Il jouait son rôle de contrôleur, avec la même mauvaise foi que le "garçon de café", mais cette auto-définition de sa nature s'est révélée si friable qu'il se voit entrainé dans un tout autre devenir, ouvert, indéterminé. Même, ce n'est pas tant qu'il désire soudain devenir "chanteur" ou "danseur" de Samba, à proprement parler. La vague qui l'emporte, à ce moment-là, c'est que sa vie entière bascule dans un autre régime: un régime esthétique. L'acmé de son "devenir" est ainsi le moment, dans la dernière séquence, et qui s'étire presqu'à l'infini, où il n'est plus que ce point mobile quasi-imperceptible qui semble danser sur la ligne d'horizon...
Il y a donc dans ce film l'expérience d'une perte et d'un changement de nature, rôle, fonction, par une indétermination des repères et des rôle sociaux préexistants, mais aussi une indétermination planant sur les compétences performatives des uns et des autres. Susceptibles de se penser, de s'envisager et de se vivre autrement, même s'ils reviennent à la fin à leur fonction première. Parce qu'ils ont été traversés par l'expérience d'un changement, d'un passage. Le devenir, pour redire ce que je disais plus haut, étant le processus de passage: il ne s'agit pas de devenir ceci ou cela, mais d'expérimenter une zone "entre" les états fixes.
[ Ainsi de Pipe, le valet de ferme, qui ne devient pas "motocyliste" ni "photographe", mais fait l'expérience d'un passage entre son état "x" et des états "y" et "z".
A la frontière entre ces mondes: par exemple, il croise le monde des "motards" (qui font du rallye-cross), mais ne devient pas l'un d'eux. Il offre une pomme au vainqueur (moment magnifique). Il se croit intéressé par l'exploration des sommets, des hauteurs: le voyage en hélicoptère au dessus du mont Servin. Mais ce voyage le déçoit. Dans la mesure même, semble-t-il, où ce n'est pas ça qui l'intéresse vraiment, le sommet ou la hauteur comme territoire fixe à conquérir. Ce qui le meut, le véhicule, c'est le passage, à la frontière.
Il s'adonne ensuite à la photographie. Non pour "fixer" ou "conserver" les choses de son environnement, mais là encore: comme expérience d'une transformation, d'un passage entre l'objet et sa représentation photographique, qui le fascine. Il est condamné à l'immobilité, à la stase (après la phase "moto"), mais il fait de son nouvel état (statique) un nouveau champ d'expérience qui lui permet de déjouer cette stase pour continuer à éprouver, sous une modalité nouvelle, de la métamorphose.
Pour moi, ce personnage, Pipe (du moins dans le film, donc), c'est le contraire d'un Icare: il ne se brûle pas les ailes à force de trop vouloir s'élever vers les sommets inatteignables, c'est pas son processus. Ces sommets l’ennuient, une fois qu'il en a fait le tour, donc. Ce ne sont pas des territoires qu'il chercherait à conquérir, puis dans l'échec de cette tentative ou de ce désir, retomberait tragiquement à terre. Son processus, c'est un déplacement perpétuel hors de l'état où il était fixé à la base. ]
Dans Maine Océan, les pêcheurs restent des pêcheurs, certes, mais c'est pas la question. Le film, pour le redire, n'est pas censé "illustrer" ou "appliquer" point par point, au micro-poil une théorie de l'émancipation ou de l'égalité, celle de Rancière en particulier. Ce n'est donc pas en ce sens que je parle de films "ranciériens".
Le monde de la pêche est juste la toile de fond du récit. Et dans l'économie de ce récit, le pêcheur Marcel Petigas, parce qu'il se trouve à un moment précis (au tribunal) court-circuité entre différentes strates sociales, univers hétérogènes qui vont se télescoper, va être l'élément déclencheur du processus des rencontres, de la dérive ou de fugue, ou de "déterritorialisation", des autres (son projet de leur faire faire à tous "un petit tour en mer"), et principalement chez le personnage principal qui était le plus "territorialisé" (Ménès).
Dans ce que je suggère, il faut se garder là encore d'une "application mécanique": je ne dis pas que ces films "illustrent" la pensée ranciérienne de l'émancipation et de l'égalité, je dis juste qu'on peut y ressentir un processus qui fait penser à ce que Rancière essaie de penser quand il parle de "partage du sensible" et de subordination du champ social à un mouvement à la fois esthétique et politique qui déplace ses identités assignées (et que je relie ici, comme je n'ai cessé de le faire, à la pensée de Deleuze sur le Désir, le devenir, etc)...
Bonne journée. Il est temps pour moi d'aller me coucher.
alors t'enseignes plus? t'as repris ton rythme de nuit...
Invité- Invité
Re: Marlon Brando activiste
breaker a écrit:
salut Breaker; comment vas-tu?
Désolé de le dire, mais je trouve cette analogie assez vide; pour qu'elle ait le moindre sens, il faudrait au moins que les membres des "Panthères Noires" soient considérés comme des esclaves, ce qu'on ne peut faire qu'en assumant un essentialisme du genre "les Noirs seront toujours des esclaves". Brando se tient à côté d'hommes libres, avec son histoire, ses déterminations empiriques, sociologiques...qui ne disent rien du sens de son action, de son courage, de sa solidarité...S'afficher avec des Black Panthers, c'est pas un truc innocent, à la portée du premier venu. Les BP ce n'est pas Luther King... Brando ne peut espérer en tirer aucun bénéfice symbolique, matériel, dans le champ hollywoodien, blanc libéral; le mec n'a jamais travaillé à son image, mais à sa destruction, réelle, imaginaire, symbolique, de toutes les manières possibles, y compris la jouissance sans frein, sans retenue, sans calcul; une dépense générale, qui d'une certaine manière a fait de lui un "Nègre" (cf la lecture "Blackface" de son jeu dans un Tramway...). Brando n'a sans doute pas souffert comme les Noirs, par l'histoire, le racisme, il est blanc, mais question souffrances et tragédies, qui ne sont jamais seulement des affaires privées, surtout dans son cas, il peut en remontrer à bien des Noirs...
Brando est un homme admirable.
Comme disait Arendt, l'action politique, c'est des mots, et des actions, et il ne faut jamais tenter psychologiser, sociologiser, psychanalyser cette dimension de la vie humaine, sans quoi je peux aussi bien dire, comme on le fait, que les BP c'est juste une bande de Nègres aigris, plein de ressentiment à l'égard des Blancs, des esclaves au sens de Nietzsche...
On ne peut pas plus juger l'authenticité politique d'un mec en parlant de sa vie, qu'on ne peut juger un tableau de Van Gogh en parlant de ses difficultés psychiques...
Borges- Messages : 6044
Re: Marlon Brando activiste
le numéro 283049 sur la shout d'enculture a écrit:(13:05:29) (283049): le type se fait photographier à côté des bp, c'est pas rien qd même
(13:05:38) (283049): chapeau l'artiste
(13:06:47) (283049): la fonda c'était bien aussi, avec des vietcongs
Eh oui, elle l'a fait, pas john wayne ni dizaines de millions d'autres américains; suffit pas d'une "lettre à" de Godard pour annuler ce fait, et cette différence; au petit jeu de "je vais te déconstruire; je vais montrer que t'es pas vraiment révolutionnaire, d'extrême gauche, avec les dominés, les damnés, mais que tu restes un petit blanc, impérialiste, dominateur, raciste..." tout le monde peut jouer. On l'a fait aussi pour Godard : au fond, ce n'est qu'un bourgeois suisse... Jane Fonda s'est aussi excusée de son engagement, de son" inoubliable erreur" et a demandé pardon aux soldats américains... De quoi peut-elle bien s'excuser, si elle n'avait rien fait de si courageux, de si traître. La politique, c'est une affaire de position (espace et affirmation). Les Révolutionnaires, c'est un peu comme les religieux, y en a toujours un pour te soupçonner de ne pas l'être assez; ça a commencé avec la Révolution française (cf Arendt)
On peut aussi comparer les photos de Fonda avec les soldats du FNL et celle de Brando.
Borges- Messages : 6044
Re: Marlon Brando activiste
sur la shout d'enculture a écrit:(14:25:51) (696649): la questiob, c'est : pourquoi Arendt ici
(14:26:11) (696649): plutpot que des gens bcp plus à gauche
Je réponds, puis je laisse tomber; il ne s'agit pas d'Arendt, de gauche ou de droite, j'ai assez souvent parlé de ça, mais de l'idée : on ne juge pas l'action politique de quelqu'un en la réduisant à je ne sais quels motifs, motivations psycho-sociologiques...
Arendt était une femme d'une probité morale et politique exemplaire.
Borges- Messages : 6044
Re: Marlon Brando activiste
Hello Borges, content de te retrouver...Borges a écrit:
salut Breaker; comment vas-tu?
Désolé de le dire, mais je trouve cette analogie assez vide; pour qu'elle ait le moindre sens, il faudrait au moins que les membres des "Panthères Noires" soient considérés comme des esclaves, ce qu'on ne peut faire qu'en assumant un essentialisme du genre "les Noirs seront toujours des esclaves". Brando se tient à côté d'hommes libres, avec son histoire, ses déterminations empiriques, sociologiques...qui ne disent rien du sens de son action, de son courage, de sa solidarité...S'afficher avec des Black Panthers, c'est pas un truc innocent, à la portée du premier venu. Les BP ce n'est pas Luther King... Brando ne peut espérer en tirer aucun bénéfice symbolique, matériel, dans le champ hollywoodien, blanc libéral; le mec n'a jamais travaillé à son image, mais à sa destruction, réelle, imaginaire, symbolique, de toutes les manières possibles, y compris la jouissance sans frein, sans retenue, sans calcul; une dépense générale, qui d'une certaine manière a fait de lui un "Nègre" (cf la lecture "Blackface" de son jeu dans un Tramway...). Brando n'a sans doute pas souffert comme les Noirs, par l'histoire, le racisme, il est blanc, mais question souffrances et tragédies, qui ne sont jamais seulement des affaires privées, surtout dans son cas, il peut en remontrer à bien des Noirs...
Brando est un homme admirable.
Comme disait Arendt, l'action politique, c'est des mots, et des actions, et il ne faut jamais tenter psychologiser, sociologiser, psychanalyser cette dimension de la vie humaine, sans quoi je peux aussi bien dire, comme on le fait, que les BP c'est juste une bande de Nègres aigris, plein de ressentiment à l'égard des Blancs, des esclaves au sens de Nietzsche...
On ne peut pas plus juger l'authenticité politique d'un mec en parlant de sa vie, qu'on ne peut juger un tableau de Van Gogh en parlant de ses difficultés psychiques...
cette analogie reste valable pour moi, j'y vois le côté irréfléchi ou inconscient dans la démarche activiste de Brando ; on se demande en quoi il essaie d'identifier des problèmes, comment il essaie de les expliquer, dans quel réseau il est engagé ou avec qui il essaie d'entreprendre... et c'est quand même difficile de répondre à tout ça dans le cas de Brando, il est toujours seul face à un vaste système de pouvoir, et ça donne des discours comme aux Oscars en 73, qui reflètent davantage son tempérament d'acteur égocentrique, anti-social, et sûrement pas une démarche patiente qui restitue la complexité des problèmes, sûrement pas une vision articulée qui voudrait agir pour une cause. Vraiment, je ne vois pas en quoi Brando est un homme admirable... Ce truc aux Oscars, c'est du délire, de faire rentrer la grande histoire génocidaire dans la petite histoire d'un acteur qui refuse son Oscar...
Brando considère les black panthers de la même façon que les enfants sous-alimentés en Inde ou le génocide amérindien, c'est toujours une forme de communication qui ne dépasse jamais un apitoiement superficiel...
Invité- Invité
Re: Marlon Brando activiste
Hi;
Le problème, c'est que Brando est Brando, quoiqu'il fasse tu le réduiras à quelques traits de sa personnalité égocentrique (d'où vient ce diagnostique?). Comme si être égocentrique interdisait d'être politiquement concerné, comme si être Noir et militant des BP interdisait d'être égocentrique. On peut toujours tout réduire à quelques clichés psychanalytiques...Après tout les BP, c'est juste des comédiens ratés, des mecs qui se déguisent, veulent attirer l'attention; Quoi de plus narcissique qu'un Noir, de plus porté à l'exhibitionnisme, à la théâtralité ? Si les BP avaient pu être des Brando, avoir des filles par millions, des millions de dollars, la peau blanche, s'ils étaient célébrés et adulés, ils ne feraient pas ces mises en scènes de clowns aigris, de losers de l'histoire. Les BP, c'est juste des Noirs ratés, qui voudraient être des Brando; idem avec les Indiens, tous les damnés de la terre... On peut faire la psychanalyse de Malcolm X, comme celle de Jésus, et montrer qu'il rêvait de baiser des putes, et tout ça et tout ça...
Autrement dit, rien de plus facile que réduire le sens, la vérité, et la beauté...
Brando ne s'est pas intéressé aux problèmes indiens avec cette histoire d'Oscar, ça remonte bien plus loin...
http://depts.washington.edu/civilr/fish-ins.htm
Le sens de l'action politique, c'est sa manifestation, son apparence (pas les profondeurs de la psychologie de l'acteur).
Non seulement Brando est admirable, mais il est aussi digne de sympathie humaine, et de compassion.
Borges- Messages : 6044
Re: Marlon Brando activiste
Le sens de l'action politique, c'est faire de la jurisprudence, d'inventer des jurisprudences pour chaque cas, et ça ne peut jamais être de l'apparence. Il ne s'agit pas de réduire le sens quand il n'y a rien à articuler, à penser.Borges a écrit:
Autrement dit, rien de plus facile que réduire le sens, la vérité, et la beauté...
Brando ne s'est pas intéressé aux problèmes indiens avec cette histoire d'Oscar, ça remonte bien plus loin...
http://depts.washington.edu/civilr/fish-ins.htm
Le sens de l'action politique, c'est sa manifestation, son apparence (pas les profondeurs de la psychologie de l'acteur).
Les Black Panthers ont fait de la jurisprudence, enseigné la résistance en étant attentifs aux faits.
Invité- Invité
Re: Marlon Brando activiste
“I had always admired Marlon from the time I was sixteen and saw The Wild One” (Bobby Seale)
http://ijms.nova.edu/Spring2009/IJMS_Rndtble.Willett.html
http://ijms.nova.edu/Spring2009/IJMS_Rndtble.Willett.html
Borges- Messages : 6044
Re: Marlon Brando activiste
Breaker a écrit:Le sens de l'action politique, c'est faire de la jurisprudence, d'inventer des jurisprudences pour chaque cas, et ça ne peut jamais être de l'apparence. Il ne s'agit pas de réduire le sens quand il n'y a rien à articuler, à penser.Borges a écrit:
Autrement dit, rien de plus facile que réduire le sens, la vérité, et la beauté...
Brando ne s'est pas intéressé aux problèmes indiens avec cette histoire d'Oscar, ça remonte bien plus loin...
http://depts.washington.edu/civilr/fish-ins.htm
Le sens de l'action politique, c'est sa manifestation, son apparence (pas les profondeurs de la psychologie de l'acteur).
Les Black Panthers ont fait de la jurisprudence, enseigné la résistance en étant attentifs aux faits.
Hi Breaker (à nouveau simple "invité" )
D'abord : "apparence" ne s'oppose pas à "fait", dans ce cas : apparence, c'est ce qui paraît, se montre, c'est le visible (opposé aux profondeurs cliché de la psyché, le fameux égocentrisme de Brando, la psychologie du gentil petit blanc libéral, esclavagiste sans le savoir, et qui ne sait rien de ce que c'est qu'être Noir, parce qu'il n'a rien vécu de ce que vivent les Noirs depuis des siècles : violence, oppression, pauvreté, humiliation, refus d'un boulot, d'un logement, flics racistes, qui vous frappent et vous tuent…"Tu ne sais pas parce que t'as pas vécu", voilà une généralité vide. Personne ne sait rien de personne, nous ne vivons jamais que notre vie; il suffit d'avoir mal aux dents pour être séparé de l'univers. Y a bien des Noirs pauvres qui pourraient dire aux Noirs bourgeois riches, vous ne savez rien de ce que c'est qu'être Noir, et les esclaves s'ils revenaient diraient aux Noirs actuels, "putain, vous ne savez vraiment rien de ce que c'est qu'être Noir…" Il y a là une vérité éthique et ontologique et une erreur politique... d'un côté les damnés, de l'autre les élus, sans que jamais les uns ne puissent devenir les autres, sans que jamais on ne puisse échapper à sa place, à sa race, à son histoire, à sa vie, sans jamais pouvoir devenir, autre, devenir chien, chat, noir, sans jamais finalement que soit possible la politique... si comme le disait l'autre la subjectivité politique c'est une hétérologie...)
Apparence vs Jurisprudence.
Je disais donc, la politique, c'est l'ordre de l'apparence, et tu me dis que c'est de l'ordre de la jurisprudence. Je faisais référence à Arendt, là tu fais allusion sans doute à Deleuze. Ces deux point de vues se rejoignent dans Kant. Kant est la source commune ou la racine commune de ces deux idées. Le droit opposé à la jurisprudence, chez Deleuze, rejoue la distinction du jugement déterminant opposé au jugement réfléchissant : dans un cas on a une loi (un code, un universel, une loi générale) et on cherche à voir si tel ou tel cas peut être ou non subsumé sous elle. Jugement déterminant : est-ce un lapin? J'ai le concept : je vois la chose, je la rapporte à mon concept, règle- lapin, (le concept chez Kant est une règle) qui me dit quelles conditions doit remplir une chose pour être un lapin. Exemple simple, bien entendu; un autre, un peu moins : ce mec a-t-il droit à ses allocations de chômage? Je regarde dans le code, pour voir s'il remplit les conditions… Faut-il le renvoyer dans son bled ou l'autoriser à rester en France, ou en Belgique? Juger de manière déterminante, c'est très simple, c'est à la portée du premier fonctionnaire venu; ils appliquent la règle, et vous disent, c'est la loi, je suis désolé, ou même pas. Eichmann était un génie du jugement déterminant. Il lui suffisait de ne pas penser.
Le jugement réfléchissant, c'est une toute autre histoire, une autre affaire, un autre cas, c'est le cas de le dire : ici on part du cas, pour trouver la loi. Le domaine exemplaire, chez Kant, c'est le domaine esthétique. je vais pas redire tout ce qui a déjà été dit sur ce forum; ici, on ne sait pas ce qui est beau, ce qu'est la beauté; la beauté n'est pas une règle, donc je ne peux pas subsumer telle ou telle chose sous le concept du beau, je dois chercher la règle qui me permet de juger que c'est beau. Dans le jugement esthétique, je suis confronté à des cas, à des singularités, à du particulier, et il me faut trouver l'universel, la règle sentie dans mon plaisir qui me permet de dire, c'est beau, et personne ne pourra dire le contraire (nécessité subjective qui fait de moi un juge souverain, le sujet d'une universalité sans règle donnée...)
Arendt a fait une lecture politique de la troisième critique, disant en gros, ce dont nous cause Kant, c'est pas d'esthétique, mais de politique. L'action, comme la beauté, est de l'ordre ce qui apparaît, se montre, c'est du visible… Elle distingue, le spectateur (qui doit juger, apprécier…) et l'acteur (qui doit dire et agir) : dans les deux cas, agir politiquement c'est agir sans la règle, sans le concept; un action politique ne doit répondre à aucune règle préétablie pour être pleinement politique, elle est toujours une invention, une nouveauté, elle ne doit viser aucune fin, elle ne s'explique par aucune psychologie, aucun conditionnement sociologique (c'est à ça que je faisais allusion).
Donc, on se rejoint : le cas et l'apparence, c'est le même, ce qui ne veut pas dire la même chose.
La justice au-delà de la jurisprudence :
"C'est Kant qui fait du philosophe un Juge, en même temps que la raison forme un tribunal, mais est-ce le pouvoir législatif d'un juge déterminant, ou le pouvoir judiciaire, la jurisprudence d'un juge réfléchissant? Deux personnages conceptuels très différents. A moins que la pensée ne renverse tout, juges, avocats, plaignants, accusateurs et accusés, comme Alice sur un plan d'immanence où Justice égale Innocence, et où l'Innocent devient le personnage conceptuel qui n'a plus à se justifier, une sorte d'enfant-joueur contre lequel on ne peut plus rien, un Spinoza qui n'a laissé subsister nulle illusion de transcendance. Ne faut-il pas que le juge et l'innocent se confondent, c'est-à-dire que les êtres soient jugés du dedans : non pas du tout au nom de la Loi ou de Valeurs, ni même en vertu de leur conscience, mais par les critères purement immanents de leur existence"
(DG, Qu'est-ce que la philosophie?)
Borges- Messages : 6044
Re: Marlon Brando activiste
Borges a écrit:“I had always admired Marlon from the time I was sixteen and saw The Wild One” (Bobby Seale)
http://ijms.nova.edu/Spring2009/IJMS_Rndtble.Willett.html
Pour ceux qui n'auraient pas pigé pourquoi j'ai posté ces deux images et cette citation, j'expliquerai si j'ai le temps, et envie; l'essentiel tient en quelques mots : devenir-autre; devenir Noir de Brando, devenir Blanc de Seale; deux modes de la dés-identification : on peut être l'autre sans l'être, identité paradoxale, synthèse disjonctive. On en a tellement causé, ici, que c'est un peu embêtant de revenir dessus.
« "Nous sommes les damnés de la terre" est le type de phrase qu'aucun damné de la terre ne prononcera jamais. Plus près de nous, la politique, pour ma génération, a reposé sur une identification impossible - une identification aux corps des Algériens battus à mort et jetés dans la Seine par la police française, au nom du peuple français, en octobre 1961. Nous ne pouvions pas nous identifier à ces Algériens mais nous pouvions mettre en question notre identification avec le « peuple français » au nom duquel ils avaient été mis à mort. Nous pouvions donc agir comme sujets politiques dans l'intervalle ou la faille entre deux identités dont nous ne pouvions assumer aucune. »
(Rancière)
La subjectivation politique c'est cette identité impossible.
Une précision :
«La marche s’est transformée en un pique-nique, un cirque. Rien qu'un cirque, avec les clowns et tout... des clowns blancs et des clowns noirs... Non, c'était une trahison. C'était une prise de contrôle. Quand James Baldwin est venu de Paris, ils n'ont pas voulu le laisser parler, parce qu'il n'était pas homme à respecter un scénario. Burt Lancaster a lu le discours que Baldwin était censé faire, ils ne voulaient pas laisser Baldwin monter sur le podium, parce qu'ils savent que Baldwin est capable de dire ce qu’il veut. Ils ont contrôlé si fort cette marche - ils ont dit à ces Noirs à quelle heure arriver en ville, comment venir, où s'arrêter, quels signes porter, quelle chanson chanter, quel discours ils pouvaient faire, et quel discours, ils ne pouvaient pas faire et puis, ils leur ont dit de sortir de la ville au coucher du soleil. Et chacun de ces Tom est sorti de la ville au coucher du soleil... C'était un cirque, un spectacle qui a battu tout ce que Hollywood pourra jamais faire dans le genre, la performance de l'année"
(Malcolm X)
Le "ils", c'est l'administration Kennedy, qui au départ ne voulait pas de la Marche; n'ayant pas pu l'empêcher, ils l'ont contrôlée. Kennedy, dit-on, avait peur de la violence qui aurait desservi la lutte pour les droits civiques et empêché le passage au Congrès de son projet de "Civil Rights bill " : "We want success in the Congress, not just a big show at the Capitol. Some of these people are looking for an excuse to be against us, and I don't want to give any of them a chance to say, 'Yes I'm for the bill but I am damned if I will vote for it a the point of a gun.'
Curieux que Kennedy emploie un terme appartenant au même registre que ceux de Malcolm X : "show."
Pour les détails, les tractations entre les Leaders Noirs et l’Administration Blanche, y a des tas de livres et d'articles.
Borges- Messages : 6044
Re: Marlon Brando activiste
j'apporte une part d'infos supplémentaires:
La photo de Brando aux funérailles de Bobby Hutton n'est pas identifiée, elle appartient aux archives Bettmann : http://corporate.corbis.com/fr/citizenship/bettmann-archive/#Stories
Ici on peut sans doute envisager que c'est de la photo-journalisme qui met en scène des histoires où il s'agit d'abord de cadrer la vedette, c'est de la photo de "célébrités". Et c'est cette tradition du photo-journalisme qui est d'abord là pour cadrer la vedette qui est aussi attaquée dans Letter to Jane : "Le choix du cadre n'est pas non plus innocent ou neutre : on cadre l'actrice qui regarde et pas ce que regarde l'actrice. On la cadre donc comme si elle était la vedette. Bref, d'une part, on cadre la vedette en train de militer, et d'autre part, dans le même mouvement, on cadre aussi en vedette la militante."
Dans l'autobiographie de Brando, voici les passages qui concernent les Black Panthers. Après avoir lu un article sur le Parti des Black Panthers dont il n'a jamais entendu parler, il veut en savoir plus. Il rentre en contact avec eux en passant par le siège du Parti, et il est invité à discuter à l'appartement de Cleaver : «J'avais très envie d'en savoir plus sur leur parti et je me demandais toujours ce que cela faisait d'être noir aux États-Unis. Si l'on excepte mon amitié avec Jimmy Baldwin, je n'avais aucun cadre de référence.»
Il discute avec Eldridge Cleaver toute la nuit : «c'était un homme délicat mais, comme beaucoup de Black Panthers dont la virilité se voyait mise en cause par le racisme, il parlait avec bravade. En exigeant par la force le respect de leurs droits constitutionnels, m'expliqua-t-il, les Panthers voulaient inculquer la fierté aux jeunes Noirs... Nous parlâmes jusqu'à 4 heures du matin, et j'appris beaucoup de choses sur toutes sortes de sujets... Deux semaines plus tard, Bobby Hutton et Eldridge Cleaver étaient cernés dans une maison par la police d'Oakland. La maison prit feu, Bobby Hutton la quitta et on l'abattit aussitôt... La mort de Bobby Hutton confirmait tout ce que j'avais entendu dans cette longue nuit de discussion...»
«Je surpris à un moment Farmer, que je connaissais à peine, en train de me lancer un regard plein de haine. J'appris ensuite qu'il me méprisait : il me voyait comme un de ces libéraux blancs pétris de bonne conscience. Aux funérailles de Bobby Hutton, je sentis pourquoi Jim Farmer m'avait regardé de cette façon. Je compris soudain, comme cela m'est arrivé en d'autres occasions où j'étais parmi des gens que je voulais aider, que je ne faisais pas partie de leur monde... Rap Brown, entre autres, m'a administré une vraie volée de bois vert. Lui aussi me voyait comme un libéral superficiel, qui fourrait son nez dans un monde dont il ignorait tout et auquel il n'appartenait pas.»
La photo de Brando aux funérailles de Bobby Hutton n'est pas identifiée, elle appartient aux archives Bettmann : http://corporate.corbis.com/fr/citizenship/bettmann-archive/#Stories
Ici on peut sans doute envisager que c'est de la photo-journalisme qui met en scène des histoires où il s'agit d'abord de cadrer la vedette, c'est de la photo de "célébrités". Et c'est cette tradition du photo-journalisme qui est d'abord là pour cadrer la vedette qui est aussi attaquée dans Letter to Jane : "Le choix du cadre n'est pas non plus innocent ou neutre : on cadre l'actrice qui regarde et pas ce que regarde l'actrice. On la cadre donc comme si elle était la vedette. Bref, d'une part, on cadre la vedette en train de militer, et d'autre part, dans le même mouvement, on cadre aussi en vedette la militante."
Dans l'autobiographie de Brando, voici les passages qui concernent les Black Panthers. Après avoir lu un article sur le Parti des Black Panthers dont il n'a jamais entendu parler, il veut en savoir plus. Il rentre en contact avec eux en passant par le siège du Parti, et il est invité à discuter à l'appartement de Cleaver : «J'avais très envie d'en savoir plus sur leur parti et je me demandais toujours ce que cela faisait d'être noir aux États-Unis. Si l'on excepte mon amitié avec Jimmy Baldwin, je n'avais aucun cadre de référence.»
Il discute avec Eldridge Cleaver toute la nuit : «c'était un homme délicat mais, comme beaucoup de Black Panthers dont la virilité se voyait mise en cause par le racisme, il parlait avec bravade. En exigeant par la force le respect de leurs droits constitutionnels, m'expliqua-t-il, les Panthers voulaient inculquer la fierté aux jeunes Noirs... Nous parlâmes jusqu'à 4 heures du matin, et j'appris beaucoup de choses sur toutes sortes de sujets... Deux semaines plus tard, Bobby Hutton et Eldridge Cleaver étaient cernés dans une maison par la police d'Oakland. La maison prit feu, Bobby Hutton la quitta et on l'abattit aussitôt... La mort de Bobby Hutton confirmait tout ce que j'avais entendu dans cette longue nuit de discussion...»
«Je surpris à un moment Farmer, que je connaissais à peine, en train de me lancer un regard plein de haine. J'appris ensuite qu'il me méprisait : il me voyait comme un de ces libéraux blancs pétris de bonne conscience. Aux funérailles de Bobby Hutton, je sentis pourquoi Jim Farmer m'avait regardé de cette façon. Je compris soudain, comme cela m'est arrivé en d'autres occasions où j'étais parmi des gens que je voulais aider, que je ne faisais pas partie de leur monde... Rap Brown, entre autres, m'a administré une vraie volée de bois vert. Lui aussi me voyait comme un libéral superficiel, qui fourrait son nez dans un monde dont il ignorait tout et auquel il n'appartenait pas.»
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Re: Marlon Brando activiste
«Vers le milieu de ma vie, j'ai cherché longtemps à donner un sens à mon existence. Devant la violence, le racisme, l'injustice, la haine, la misère, la faim et la souffrance qui affligeaient le monde, cela me semblait chaque jour plus dérisoire et déplacé de faire des films, et je me sentais le devoir de tout tenter pour que les choses changent. J'ai choisi longtemps de m'impliquer dans ce que je voyais comme une lutte contre les inégalités sociales et les hypocrisies du monde politique. J'ai vieilli, et il me reste bien moins de certitudes que je n'en avais ; mais c'était alors une autre époque. J'ai cultivé pendant une grande partie de ma vie une vision du monde en noir et blanc dont je me satisfaisais : il était plus simple de prendre parti. Comme au temps où je soutenais les terroristes juifs sans m'apercevoir qu'ils bâtissaient leur Etat d'Israël sur le meurtre de Palestiniens innocents, je croyais en un monde où le bien se tenait d'un côté, le mal de l'autre, et où il n'y avait pas d'entre-deux. Je voulais m'assurer d'être du côté du bien : il y avait des bons et des méchants, j'avais déclaré la guerre aux méchants. Mais avec l'âge je me suis mis à comprendre qu'il n'y a pas de bien ni de mal absolu, et que tout acte humain est le produit d'un héritage, d'une perspective, d'un ensemble génétique et d'un passé.» (Marlon Brando, Les chansons que m'apprenait ma mère)
C'est ça le profil d'un activiste, bande d'enculés?
Brando qui soutient les Israéliens par inconscience peut très bien porter un regard de négrier sur les black panthers.
C'est ça le profil d'un activiste, bande d'enculés?
Brando qui soutient les Israéliens par inconscience peut très bien porter un regard de négrier sur les black panthers.
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Re: Marlon Brando activiste
breaker a écrit:
C'est ça le profil d'un activiste, bande d'enculés?
Ces passages de Brando que tu cites me le rendent encore plus admirable (je ne m'étais pas intéressé à sa vie jusqu'ici).
Bien sûr, entre ce qu'il écrit et ta manière de le décoder, y a tout l'espace où se logent ton imaginaire, tes interprétations, tes présupposés. Exactement comme pour la photo: ce que tu y vois, ce qu'on peut y voir, comment on la voit, d'où on la voit, etc
Un des ces présupposés, une sorte de "fixation", est la notion d'activiste.
Qui ici (sur le forum) a jamais défini Brando comme un "activiste"? Brando s'est-il jamais défini lui-même comme un "activiste"?
Tu as lu des "critiques" qui ont fait de lui le portrait d'un "activiste", et apparemment, tu déplaces la critique de ces "on dit" sur Brando directement (voir topic parallèle: "quand on est un activiste comme brando, on fait pas ceci, on fait cela", etc etc). Confusion logique d'attribution, classique, déplacement sur la personne, qui te poussent, dans une sorte de rage sourde, à substituer à cette critique des "on dit de brando que" une autre critique, tout aussi pétrie d'imaginaire: "je dis que brando est". Décodant tout ce qui te tombe sous la main pour pénétrer, au laser-krypton, jusque dans les recoins les plus profonds de la "psychè" de Brando. En faisant s'emboiter toutes les pièces d'un puzzle que tu choisis pour confirmer ta vision extra-lucide. Dans un "montage" d'images, de textes, qui évidemment te convainc de sa pertinence puisque tu en es l'interprète démiurge, qui s'auto-confirme sans l'aide de personne, puisqu'aucune différence, aucune résistance, d'aucune sorte, ne s'interposent entre ta vision et sa confirmation. Adieu l'empirisme, adieu la jurisprudence, bienvenue dans l'idéalisme absolu.
Par tes montages, tu tordras tout dans le sens de cette vision, et tout s'y emboitera à merveille, puisque c'est ton Idée a priori qui préside au montage associatif destiné à la confirmer, et non les associations qui produisent l'Idée. Je dis "montage", mais le terme est tellement inapproprié qu'il faut le remplacer par manip, à tous les niveaux, dont tous les gros cables sont apparents.
Exemple parmi d'autres: sous une photo choisie, tu choisis un texte, de Malcom X, mais sans préciser son contexte, de qui il parle quand il dit "ils". En escamotant ces menus détails, tu escomptes bien sûr que le lecteur va associer tout naturellement à ce "ils" Brando. Hocus pocus, ni vu ni connu j't'embrouille, les mains dans les poches.
Si t'étais monteur en cinéma, cette manière étant déjà très lourde et datée (un peu comme les tracts propagandistes), les spectateurs siffleraient et demanderaient à être remboursés. Mais tu fais pas dans l'art cinématographique, fût-il politique, engagé (comme godard juxtaposant une image de golda meir et une image d'hitler), tu es dans une logique scripturale d'argumentation et de preuve, par délégation de textes & images choisis, où cette "méthode" est nulle et non-avenue. On peut bien entendre que "tout est langage", que "tout signifie", que toutes les images et tous les textes sont susceptibles de s'interpoler, de se téléscoper, et que de leur rencontre peuvent naître des événements de "sens", la révélation de liens insoupçonnés. Mais ce genre de "méthode", qui est un bricolage, ne peut tenir lieu de "déconstruction" rigoureuse. Une "déconstruction" rigoureuse ne consiste pas à machiner des associations qui servent juste à confirmer par coup de force une thèse déjà décidée à l'avance.
Tout le monde fait ça, tout le temps, disais-je. Tout le monde associe tout le temps, spontanément, dans sa tête, des tas d'images, d'énoncés, associations dont il tire des inférences - qui deviennent des certitudes intimes - dévoilant un ordre caché du monde, des corrélations secrètes, où tout s'emboîte à la perfection, et on s'étonne même que les autres ne les aperçoivent pas. Dali pratiquait ça, qu'il nommait sa méthode "paranoïaque-critique". Mais c'était un gag: il n'y croyait pas vraiment... Il n'était ni paranoïaque, ni critique, mais amuseur mondain. "La différence entre un fou et moi, aimait-il à dire, c'est que je ne suis pas fou". Ce sont des jeux que l'esprit pratique quand il part en vacances. Magritte a peint ce tableau fameux, où il plaçait un verre d'eau au dessus d'un parapluie. Il l'intitula "les vacances de hegel".
Bien entendu, tout qui comme toi verra le monde comme une caricature, une petite scène de théâtre close où s'agitent des pantins-guignols mécaniques trouvera ce "portrait" de Brando fort juste, fort pertinent: il n'aura nul besoin de se "forcer" puisqu'il partage la même vision caricaturale, héritée d'une forme de déterminisme socio-psychologique qu'on ne trouve plus guère que dans des soaps. La vie comme un soap. Ou un sketch de canal +. Où chacun est à sa juste place, selon son essence.
... Bref, un exploit que même Gérard Majax reconverti dans la psychanalyse du citoyen kane n'aurait pu accomplir.
En creux, bien entendu, par anti-thèse de ce portrait de super-bouffon archétypal, qui a vécu, agi, pensé, aimé, créé, dans le royaume du spectacle, du pur imaginaire pour "gogos", se dessine un autre portrait, le tien: celui d'un activiste, responsable, les pieds bien ancrés dans le réel, qui se laisse pas abuser par les fictions, qui en a fini avec les miroirs aux alouettes.
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Dernière édition par syndic des dockers le Ven 19 Déc 2014 - 23:53, édité 3 fois
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