Les combattants (Thomas Cailley)
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Les combattants (Thomas Cailley)
Ce n’est pas un film aussi riche que Take Shelter ou même Night Moves, auquel il a été comparé. J’ai plutôt pensé à Moonrise Kingdom, pour le côté boyscout, le goût des cabanes et de robinsonnade, la romance en forêt, loin du monde.
Le titre est peut-être trompeur. On a déjà vu ou lu des histoires de "Combattants" : combattants de l’ombre, de la nuit, combattants de l’impossible... Dans le film de Cailley, c’est des "Combattants" tout court ; c’est-à-dire qu’on ne sait pas très bien combattants de quoi ou contre qui. De fait, pour un film qui se dit "de combat", il n’y a pas d’ennemi clairement désigné : Madeleine imagine une catastrophe globale, impliquant un effondrement social et économique, des épidémies incontrôlées, des cataclysmes, une guerre de tous contre tous. Mais cette catastrophe ne dessine qu’un arrière-plan assez flou : c’est l’angoisse de fond que n’importe qui peut partager, parce que c’est celle qui est véhiculée à longueur de temps par les médias de masse et leur goût des catastrophes. Si bien que la catastrophe attendue dans le film n’est pas une lointaine fin du monde : la catastrophe est déjà là, dit le film, c’est le désastre des temps présents. Pour autant, le film ne se préoccupe pas de lutte ou de combat : il ne s’agit pas d’inverser le cours des choses, de changer le monde, mais seulement d’y survivre. Le film, d’ailleurs, ne nomme aucun responsable, ne se donne aucun ennemi (c’est l’humanité en général, un emballement incontrôlé du monde comme il va actuellement). De là vient que le film pourra plaire à tout le monde et ne fâchera personne.
Le seul combat qui préoccupe le film, c’est le combat amoureux : quand le monde va si mal qu’il oblige chacun à se tenir sur la défensive face aux autres, la seule victoire est de rester disponible pour l’amour, de savoir baisser sa garde pour rendre possible l’aventure amoureuse. Contrairement à ce que le titre laisse entendre, ce n’est donc pas un film qui raconte comment deux jeunes gens apprennent à combattre, à identifier un ennemi et à l’affronter. C’est le contraire : un film où une combattante apprend à baisser sa garde et à tomber amoureuse. Raconté du point de vue du garçon, le film montre comment il s’y prend pour apprivoiser cette fille un peu sauvage qui ne veut pas aller en boîte et embrasser, mais nager seule avec des poids de 15kg et concocter des mixtures de survie à base de jus de maquereau. En fait de combattants, on a surtout affaire à deux jeunes gens qui fuient les situations de conflit (avec les parents, le groupe, la société dans son entier, là où précisément il y a lutte et combat) pour aller s’isoler tranquille au milieu des bois. Le cœur du film, le point vers lequel il semble se diriger tout du long, ce n’est pas une séquence d’action ou de combat ; c’est une scène où le garçon apprend à la fille à ne rien faire, à planter des aiguilles de pin dans le sable sans les casser, sans penser à rien, parce que, dit-il, c’est ça la survie en milieu hostile : savoir être désoeuvré, supporter de laisser le temps passer sans s’affairer.
L’originalité du film, c’est de raconter la sempiternelle "coming of age story" sous les traits d’une fable paramilitaire. Mais si on remonte dans le temps, on peut aussi considérer que c’est une manière de revivifier un des plus vieux clichés de la poésie amoureuse : l’amour comme chasse, comme guerre ou comme bataille.
Elle aime à s’égarer au fond des bois, à la poursuite des bêtes féroces,
Pleine d’un dédain sauvage pour les hommes qu’elle ne connaît pas,
elle parcourt les solitudes des forêts, heureuse d’ignorer et l’amour et l’hymen et ses nœuds
Il voit les cheveux de la nymphe flotter négligemment sur ses épaules.
« Et que serait-ce, dit-il, si l’art les avait arrangés ? »
il admire et ses doigts et ses mains, et ses bras plus que demi-nus ;
et ce que le voile cache à ses yeux, son imagination l’embellit encore.
Daphné fuit plus rapide que le vent, et c’est en vain qu’il cherche à la retenir par ses discours :
« Nymphe du Pénée, je t’en conjure, arrête : ce n’est pas un ennemi qui te poursuit.
Arrête, nymphe, arrête ! la brebis fuit le loup, la biche le lion,
et devant l’aigle s’envole la tremblante colombe ; chacun se dérobe à son ennemi.
Mais c’est l’amour qui me précipite sur tes traces. »
(Ovide)
Des tas de poèmes filent cette métaphore.
Bien que le film prétende renverser la situation attendue (la fille qui sait se battre, le garçon fragilisé par l’amour), la répartition des rôles reste traditionnelle : c’est le garçon qui désire et qui tient le rôle du conquérant, c’est lui qui, à la fin, se transforme en véritable héros (en portant la fille dans ses bras hors d’une forêt en feu, rien que ça).
Eyquem- Messages : 3126
Re: Les combattants (Thomas Cailley)
Hello Eyquem,
tu dis de manière positive ce que j'ai ressenti de manière négative : le film ne remet rien en cause des rôles traditionnellement masculins et féminins (j'ai même vu autre chose : la fille est dotée des qualités masculines viriles présentées comme négatives car elles ne la mènent qu'au renvoi de l'armée et à l'indigestion, tandis que le garçon est doté de caractéristiques aussi masculines, capacité à réfléchir, à poser les choses, à agir efficacement, à mener un groupe,mais positives ; bref, le féminin n'en sort pas grandi du tout), il n'est pas très intéressant sur ce qu'il semble mettre en avant (le combat comme tu le dis), ne résout pas le problème qu'il ne pose pas vraiment non plus.
C'est une variation sur un thème qui ne varie pas grand-chose finalement, un film assez plat, pas très drôle, dont on a l'impression que la seule force est d'avoir été tourné "en région" comme on dit dans les dossiers de demande de subvention présentés aux conseils régionaux. Les Landes, c'est beau.
Quand même : l'arrivée dans le village déserté à l'approche de l'incendie et la fumée envahissant petit à petit l'écran, c'est un moment impressionnant.
Et quelle drôle de fin : elle a failli mourir d'une indigestion et d'un incendie, il les en a fait réchapper de justesse et, tout fiers, ils se promettent de mieux se battre la prochaine fois.
Ils m'ont fait l'effet d'être de très beaux idiots.
tu dis de manière positive ce que j'ai ressenti de manière négative : le film ne remet rien en cause des rôles traditionnellement masculins et féminins (j'ai même vu autre chose : la fille est dotée des qualités masculines viriles présentées comme négatives car elles ne la mènent qu'au renvoi de l'armée et à l'indigestion, tandis que le garçon est doté de caractéristiques aussi masculines, capacité à réfléchir, à poser les choses, à agir efficacement, à mener un groupe,mais positives ; bref, le féminin n'en sort pas grandi du tout), il n'est pas très intéressant sur ce qu'il semble mettre en avant (le combat comme tu le dis), ne résout pas le problème qu'il ne pose pas vraiment non plus.
C'est une variation sur un thème qui ne varie pas grand-chose finalement, un film assez plat, pas très drôle, dont on a l'impression que la seule force est d'avoir été tourné "en région" comme on dit dans les dossiers de demande de subvention présentés aux conseils régionaux. Les Landes, c'est beau.
Quand même : l'arrivée dans le village déserté à l'approche de l'incendie et la fumée envahissant petit à petit l'écran, c'est un moment impressionnant.
Et quelle drôle de fin : elle a failli mourir d'une indigestion et d'un incendie, il les en a fait réchapper de justesse et, tout fiers, ils se promettent de mieux se battre la prochaine fois.
Ils m'ont fait l'effet d'être de très beaux idiots.
adeline- Messages : 3000
Re: Les combattants (Thomas Cailley)
adeline a écrit:un film assez plat, pas très drôle, dont on a l'impression que la seule force est d'avoir été tourné "en région" comme on dit dans les dossiers de demande de subvention présentés aux conseils régionaux. Les Landes, c'est beau.
Salut Adeline (et salut Eyquem). Je ne suis pas resté assez longtemps devant le film pour apprécier la beauté des paysages, mais ce que tu dis sur sa platitude et l'absence d'humour m'a frappé aussi, d'autant que le film cherche désespérément à paraître léger (au moins dans sa première demi-heure). Léo (du forum de Filmdeculte) a parfaitement décrit le problème :
Léo a écrit:Personnellement j'ai senti cette Canal-compatibilité dans le casting des potes de Kevin Azaïs, ce côté gentiment teubé héritier de Riad Sattouf (il y a d'ailleurs ce mec insupportable qui joue aussi dans Jacky au royaume des filles), avec tous ces mecs qui ont l'air parfaitement adapté au sitcom télé, mais aussi, d'une manière générale, dans cette façon de monter des plans courts de réaction avec le personnage qui lève les yeux au ciel, dans une recherche assez crispante de complicité avec le spectateur (il me semble d'ailleurs qu'un de ces plans est dans la bande-annonce, au moment où Adèle Haenel s'entraîne à la nage de combat). Je n'aime pas du tout cette façon de décrocher du premier degré de la situation. Pourquoi est-ce que ça m'a fait, moi aussi, penser à Canal ? Peut-être parce que dans cette façon de passer à la caisse avec ces plans de réaction, on voit apparaître l'auteur fier de son idée et en même temps on sent sa volonté de faire comprendre qu'il n'est pas complètement dupe (Elle nage avec un sac de briques ! Ha ha, qu'est-ce qu'elle est drôle, n'importe quoi celle-là !). Moi d'ailleurs je reprocherais au film de ne pas être suffisamment du côté d'Adèle Haenel, de la regarder comme un phénomène.
Baldanders- Messages : 351
Re: Les combattants (Thomas Cailley)
'soir Adeline,
Je ne pense pas le dire de manière positive; au contraire, j'y vois aussi une limite du film. Un plan gênant à ce titre, c'est celui où Madeleine enlace le chien de garde avec sa muselière puis tourne des yeux tout émus vers Arnaud: comme s'il s'agissait de surligner que, sous ses allures de guerrière, elle était juste une petite chose attendant d'être protégée et cajolée.Adeline a écrit:tu dis de manière positive ce que j'ai ressenti de manière négative : le film ne remet rien en cause des rôles traditionnellement masculins et féminins
Eyquem- Messages : 3126
Re: Les combattants (Thomas Cailley)
salut Baldanders,
Je n'ai pas senti la roublardise dont parle Léo. Le personnage d'Adèle Haenel est d'un seul bloc, toujours "à fond", fixé sur une seule idée; c'est ce qui le rend comique, mais pas ridicule. Il y a quelque chose d'énergique, d'affirmatif dans son personnage, qui fait son intérêt et sa force.Baldanders a écrit:Salut Adeline (et salut Eyquem). Je ne suis pas resté assez longtemps devant le film pour apprécier la beauté des paysages, mais ce que tu dis sur sa platitude et l'absence d'humour m'a frappé aussi, d'autant que le film cherche désespérément à paraître léger (au moins dans sa première demi-heure). Léo (du forum de Filmdeculte) a parfaitement décrit le problème :Léo a écrit:Personnellement j'ai senti cette Canal-compatibilité dans le casting des potes de Kevin Azaïs, ce côté gentiment teubé héritier de Riad Sattouf (il y a d'ailleurs ce mec insupportable qui joue aussi dans Jacky au royaume des filles), avec tous ces mecs qui ont l'air parfaitement adapté au sitcom télé, mais aussi, d'une manière générale, dans cette façon de monter des plans courts de réaction avec le personnage qui lève les yeux au ciel, dans une recherche assez crispante de complicité avec le spectateur (il me semble d'ailleurs qu'un de ces plans est dans la bande-annonce, au moment où Adèle Haenel s'entraîne à la nage de combat). Je n'aime pas du tout cette façon de décrocher du premier degré de la situation. Pourquoi est-ce que ça m'a fait, moi aussi, penser à Canal ? Peut-être parce que dans cette façon de passer à la caisse avec ces plans de réaction, on voit apparaître l'auteur fier de son idée et en même temps on sent sa volonté de faire comprendre qu'il n'est pas complètement dupe (Elle nage avec un sac de briques ! Ha ha, qu'est-ce qu'elle est drôle, n'importe quoi celle-là !). Moi d'ailleurs je reprocherais au film de ne pas être suffisamment du côté d'Adèle Haenel, de la regarder comme un phénomène.
Eyquem- Messages : 3126
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