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L’Évaporation d’un homme (Imamura, 1967)/Jacques Aumont vs Gilles Deleuze

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Message par Borges Jeu 20 Mar 2014 - 14:12

L’Évaporation d’un homme (Imamura, 1967)/Jacques Aumont vs Gilles Deleuze 0.01ter_sourcils_fournis-42155

http://www.debordements.fr/spip.php?article249
Jacques Aumont a écrit:
Mais il y a plus. Le cinéma n’a qu’une matière, qui est le temps, et sa tâche essentielle est d’en donner une symbolisation, une mise en forme ; pour cela, toutefois, il est limité par ce qui le définit, le rendu de la durée – c’est-à-dire, quoi qu’on en aie, le rendu du présent. On peut sans doute, comme Deleuze, nier que le cinéma soit « un art du présent », mais c’est autre chose (Deleuze réagit contre un cliché critique qui concerne surtout les contenus des films) ; le philosophe, on le sait, a travaillé à détacher le cinéma, comme art et expression, du simple rendu de la durée, et sa notion d’"image-temps" recouvre une construction complexe, mettant en jeu le montage, le scénario et les attentes du spectateur. Mais, « image-temps » ou pas, cela n’abolit pas le fait que chaque plan d’un film rend compte d’une durée présente.

Lorsqu’un film se donne la tâche de pénétrer le passé, il travaille tout simplement à contre-pente, et ne peut y parvenir que par le jeu d’autre chose que le plan : le montage, la mise en scène, le recours au langage, un jeu sur l’énonciation, etc. Que voyons-nous dans L’Évaporation d’un homme ? Une jeune femme part à la recherche de son amoureux évaporé, mais à mesure que la recherche avance, au lieu de se rapprocher l’homme disparu s’éloigne, enseveli sous la masse des récits à son propos, sans jamais aucun trait de réel qui vienne émerger ; même les souvenirs authentiques, vécus, affectifs, sont transformés en récit. Vers la fin, elle l’a oublié, y compris affectivement. Pourquoi ? tout simplement parce que le film n’a cessé de produire de nouveaux petits morceaux de présent, qui n’ont avec le passé que l’on vise que des relations très indirectes ; Imamura l’a parfaitement compris, et son film, habilement, redouble ce mouvement, en passant d’une première visée qui est la découverte d’une vérité à une autre qui est la fabrication d’une fiction.

On voit où je veux en venir, de manière peut-être un peu téléphonée : dans l’affaire, le cinéma, loin d’être une machine à produire de la mémoire, est une machine à fabriquer de l’oubli. Yoshie la "Souris" oublie son amoureux ; en travaillant son passé, en le reparcourant, loin de le rendre plus transparent elle le rend opaque. L’enquête d’Imamura et de Tsuyuguchi oublie son propos de départ, en se laissant entraîner par les accidents du tournage, par l’inflexion inattendue que lui donne l’irruption d’un scénario d’affects (la haine des sœurs) à la place d’un autre (le couple des fiancés).

Mais tout cela, qui est contingent et propre à ce film très singulier, a une portée plus générale. « Really, the things we remember are those we forget. », disait un maître ès paradoxes, Chesterton. Paradoxe profond et qui s’éclaire simplement, si l’on tient compte de l’adverbe (« réellement »). Le réel – ce qui nous est vraiment arrivé, ce qui ne dépend pas de nous, de nos fantasmes et de nos visions, mais existe vraiment – le réel ne peut nous advenir qu’à l’improviste, en contournant les récits que nous avons pu nous faire de lui, c’est-à-dire la « réalité » plus ou moins illusoire que nous avons constituée peu à peu. L’élaboration des souvenirs est la pire ennemie de la vraie mémoire, parce qu’elle mène à en faire des récits et des fictions, c’est-à-dire des déguisements du réel sous une fausse réalité. Sous une autre forme, plus lourde et plus directe, c’est tout l’enjeu du souvenir proustien, cette irruption soudaine, inattendue, immaîtrisée d’un petit morceau de réel sous le vêtement le plus humble, le plus dérisoire, le plus pauvre – un biscuit, un pavé. Le cinéma ne peut pas, c’est sa limite, rendre compte de la madeleine proustienne, parce qu’elle est un conflit purement psychique, entre le réel et l’imaginaire : or, le cinéma est tout entier dans l’imaginaire, même lorsqu’il montre la réalité. Ce que nous souffle le film d’Imamura (et, sur des modes différents, nombre d’autres documentaires) c’est qu’il est même d’autant plus dans l’imaginaire qu’il nous montre la réalité. Le « film de fiction », le film scénarisé, est évidemment un pur produit de l’imaginaire, mais du moins est-il produit en connaissance de cause, et pour être le plus cohérent, le plus logique possible ; le documentaire, qui dépend de circonstances non scénarisées, n’a même pas cette certitude. Il peut lui arriver – c’est le cas ici – de ne pas pouvoir construire de cohérence ni de vraie logique narrative, de ne pas pouvoir donner forme jusqu’au bout à sa réalité, de ne pas pouvoir symboliser pleinement le réel.

Au fond c’est l’idée d’oubli qui est ambiguë : l’oubli est un jeu interne à notre psychisme, mais il est aussi un jeu entre notre psychisme et le réel. Il ressortit à l’imaginaire, à ces récits que nous fabriquons pour comprendre ce qui se passe et ce qui nous arrive ; mais il ressortit aussi à une expérience plus profonde, plus obscure, qui est celle de notre lutte permanente pour saisir l’insaisissable, le réel. Nous devons d’ailleurs oublier pour pouvoir vivre (l’hypermnésie est une pathologie, et c’est sans doute ce que signifiait la métaphore antique du Léthé). Ou, dans les mots plus concis et plus vigoureux de Nietzsche : « toute action exige l’oubli » (comme, ajoute-t-il, tout organisme a besoin d’obscurité). Nietzsche avait en vue, on le sait, l’oubli de l’Histoire, mais ce que nous suggère l’astucieux film d’Imamura, c’est qu’on peut traduire cette formule en constatant que, au fond sans paradoxe, tout film potentiellement repose sur un acte d’oubli.


On a du mal à croire que Jacques Aumont ait consacré plus de dix minutes à la lecture de Deleuze....(ou Proust, ou Chesterton, ou Nietzsche, ou Blanchot d'ailleurs...)
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Message par Borges Lun 24 Mar 2014 - 15:05

L’Évaporation d’un homme (Imamura, 1967)/Jacques Aumont vs Gilles Deleuze Vertigo-0

JacquesAumont a écrit:

Mais il y a plus. Le cinéma n’a qu’une matière, qui est le temps, et sa tâche essentielle est d’en donner une symbolisation, une mise en forme ; pour cela, toutefois, il est limité par ce qui le définit, le rendu de la durée – c’est-à-dire, quoi qu’on en aie, le rendu du présent. On peut sans doute, comme Deleuze, nier que le cinéma soit « un art du présent », mais c’est autre chose (Deleuze réagit contre un cliché critique qui concerne surtout les contenus des films) ; le philosophe, on le sait, a travaillé à détacher le cinéma, comme art et expression, du simple rendu de la durée, et sa notion d’"image-temps" recouvre une construction complexe, mettant en jeu le montage, le scénario et les attentes du spectateur. Mais, « image-temps » ou pas, cela n’abolit pas le fait que chaque plan d’un film rend compte d’une durée présente.



il suffit de regarder cette séquence pour se rendre compte que JA ne sait absolument pas de quoi il parle quand il parle de la matière-temps, de la durée, du plan...ou de deleuze...

(j'y reviendrai, même si je diffère le moment)
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Message par wootsuibrick Lun 24 Mar 2014 - 15:47

Je me demande si c'est pas un peu comme dire que chaque mot lu rend compte d'une durée présente...
enfin pour faire plus court, et plus vite... que chaque instant présent rend compte d'une durée présente.
bref, va falloir reprendre des leçons de phénomènologie.
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Message par Borges Lun 24 Mar 2014 - 16:47

wootsuibrick a écrit:Je me demande si c'est pas un peu comme dire que chaque mot lu rend compte d'une durée présente...
enfin pour faire plus court, et plus vite... que chaque instant présent rend compte d'une durée présente.
bref, va falloir reprendre des leçons de phénomènologie.

exactement, sans parler de bergson

Wink
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