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La fête du feu (Asghar Farhadi - 2006)

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Message par adeline Lun 17 Sep 2012 - 21:47

un critique peu inspiré de Critikat a écrit:Les mœurs d’Iran sont observées et interrogées ; dans la première scène, le trajet du jeune couple est stoppé pour cause de tchador pris dans l’essieu de la roue arrière de la moto – ce qui fut censurée en Iran. Asghar Farhadi fait la part belle aux (beaux) visages, évidemment couverts lorsqu’ils sont féminins ; s’organise une sorte de typologie des stratégies du port du voile. Celui de Simin, la femme divorcée soupçonnée d’adultère avec Morteza, est coloré, notamment l’un d’un bleu éclatant, et encadre un visage maquillé. Modjeh, sans fard, le porte noir et sévèrement, peut être davantage dans un souci plus normatif que religieux. Quant à Rouhi, elle affiche la cagoule traditionnelle à l’intérieur et le tchador en extérieur. Résonne dans ces variations un principe d’enfermement dans un impitoyable carcan social.

Après avoir vu La fête du feu, il y a quelque temps, je voulais écrire quelques mots enthousiastes sur le film, sur quelques aspects du film. Du temps passe, ce soir je me dis, vas-y, rédige au moins quelques mots pour essayer de traduire ce qui est si beau dans ce petit film. En cherchant la date de production du film, je tombe sur cette critique de Critikat, que je lis en diagonale. Ce paragraphe m'arrête. Comment peut-on à ce point ne pas sentir un film ? Comment peut-on se dire critique et ne penser qu'avec des clichés et des préjugés ? Dans ce paragraphe, tout est dit des idées a priori de l'auteur, ou de n'importe qui, sur l'Iran et le voile en Iran, et rien du film.

Comme si un film ou une comédie de mœurs était assimilable une typologie sociologique caricaturale. Comme si un habit commun, utilisé par tout un chacun, pouvait devenir le centre d'un film, l'objet d'étude du réalisateur-ethnographe sous prétexte qu'on l'y voit porté de trois manières différentes (je parle du voile). Evidemment, ici, les mœurs d'Iran se résument au voile. C'est vrai, quelles autres mœurs intéressantes le film nous montre-t-il ? Pas du tout les préparatifs d'un mariage, le travail intérimaire d'une jeune fille, les relations de voisinages dans un immeuble, la fête du feu et ce qu'un père partage avec son fils à ce moment-là. Non. Le voile.

Parlons-en donc, puisqu'en effet c'est un enjeu du film. Pas du tout cependant comme veut bien nous le décrire notre critikeur. "Asghar Farhadi fait la part belle aux (beaux) visages, évidemment couverts lorsqu’ils sont féminins". Evidemment couverts lorsqu'ils sont féminins : pas un seul visage du film n'est couvert (sauf lors d'une scène précise, j'y reviendrai). Les cheveux, oui, les visages, non. La typologie reste cependant assez fidèle. Mais Mojdeh, la femme trompée, ne porte pas un voile noir et sévère par souci "normatif plus que religieux", et en plus sans fard. Non, si elle le porte de cette manière, c'est qu'elle est une femme trompée, au fond du trou, prête à quitter son mari, qui s'est, par tristesse, éloignée de ses amies, qui ne sait plus que faire, ni comment, et qui pleure sur les épaules de sa sœur. Une sœur qui lui dit "Mais regarde-toi, tu n'es plus allée chez le coiffeur depuis des semaines, tu fais peur à voir". Si elle porte son voile tel qu'elle le porte, ce n'est certainement pas par souci normatif plus que religieux. Mais quand on est triste, on s'habille tristement, on se cache, on se dissimule. La typologie se conclut sur la tchador de Rouhi, ce qui permet une magnifique conclusion sur le carcan social. Je parie que si l'auteur nous avais parlé des robes de Catherine Deneuve et François Dorléac qu'on portait alors à Rochefort quand on était une jeune fille à marier, on n'aurait pas eu droit au couplet sur le carcan social.

Pourtant, jamais tchador n'a été aussi peu tchador que dans ce film. Rouhi le porte de manière libre, aérée, aérienne. Il se prend dans la mobylette, et elle éclate de rire. Il glisse constamment lorsqu'elle attend au bas de l'immeuble qu'on réponde à son coup de sonnette. Lorsqu'elle s'engouffre dans l'immeuble, il se déploie dans un coup de vent, lui fait des ailes magnifiques, et la rend plus forte que les gamins qui l'embêtent et lui font éclater des pétards dans les pieds. Puis il devient un objet de théâtre, et elle ne le portera plus de tout le film. Oublié dans un coin de l'appartement, il est emprunté par Mojdeh, la femme trompée qui s'en fait un déguisement pour espionner son mari sans être reconnue (la preuve qu'un tchador ne rend pas anonyme ou indistincte : alors qu'elle se cache intégralement dessous, seul moment du film où un visage est caché, son mari la reconnaît depuis le deuxième ou troisième étage de l'immeuble). Rouhi comprend que Mojdeh a emprunté son tchador, mais elle oublie de le reprendre en partant. Raccompagnée chez elle à la fin du film par le mari de Mojdeh, elle retrouve son fiancé, et la mobylette du matin. On imagine que ça sera le drame. Mais où est ton tchador, que t'est-il arrivé, etc. Non, dans une scène d'une intensité et d'une beauté incroyable, au moment où elle "avoue" qu'elle a oublié son tchador, son fiancé, qui la regarde d'un air interloqué, remarque qu'elle s'est fait épiler les sourcils et maquiller légèrement, et pour toute remarque à propos du tchador lui dit : "Qu'est-ce que tu as fait à ton visage ? Tu es encore plus belle que ce matin". Et le mari de Mojdeh après un demi-tour en voiture vient expliquer que le tchador est à la maison, qu'il le rapportera demain, ce à quoi le fiancé répond que ça n'est pas la peine, qu'il en a déjà tellement fait en raccompagnant en voiture Rouhi si loin et si tard dans la nuit. Le couple s'en va sur sa mobylette, sans tchador mais enveloppé dans la nuit.
Comment peut-on en arriver à dire dans ce film que le tchador est le principe d'enfermement d'un impitoyable carcan social (ce qu'il est peut-être, sans doute, pour certaines femmes, peut-être, sans doute, nombreuses) alors qu'il est transformé en un ustensile de théâtre, pratiquement un mcguffin puisqu'il finit par disparaître. Il n'est alors plus qu'un objet esthétique, un jeu, un déguisement, un signe. Vraiment, il n'y a pas moins tchador que ce tchador, ne pas le voir, c'est n'avoir pas vu le film.

Le carcan social montré par ce film, c'est celui qui n'a que faire des habits que les gens portent. C'est les voisins qui veulent mettre à la porte de l'immeuble une femme de mauvaise vie ; c'est la pauvreté qui fait que Rouhi doit travailler à des kilmètres de chez elle, et ne peut pas se payer une robe de mariée ; c'est les bourgeois, tellement préoccupés de leurs histoires qu'ils utilisent les gens qui les entourent pour parvenir à leur fin, au mépris parfois de toute bonté, de toute correction, de toute politesse ; c'est les agents immobiliers, qui mettent en vente un appartement occupé car la femme qui l'habite est une divorcée, etc.

Rouhi est un des beaux personnages de cinéma que j'ai vus. Tout à la fois naïve, innocente, dupe, et forte, pleine de caractère, guidée par une envie de bien faire et d'aider ceux qui l'entourent qui ne peut que l'amener à s'emmêler et faire des gaffes, elle est tout le contraire de la Razieh d'Une Séparation, son alter ego. Parce qu'Une Séparation, c'est le même film que La Fête du feu, agrémenté d'épices pour plaire aux Occidentaux. Razieh, la femme des milieux pauvres, la femme de ménage sans vie, éteinte, soumise, angoissée, apeurée, fatiguée, qui se cache sous son tchador comme elle se cache de la vie, correspond à l'idée que le critique de Critikat doit se faire de la pauvre femme iranienne soumise à l'homme et à la religion. Rouhi, pourtant également d'un milieu pauvre, portant le tchador, effrayée à l'idée de ne pas bien faire, de déroger à la correction qu'une jeune fille non mariée doit observer, femme de ménage elle aussi, est pleine de vie, de désir, de joie, de rires. Elle est amoureuse, a le rose aux joues, parle de son fiancée avec des étincelles dans la voix, ment pour aider celle qui l'a aidée, ne trahit pas le couple adultère, ne le juge pas, et s'en va amoureuse le soir comme elle l'était le matin. Et contrairement à ce que raconte la fin de la critique de Critikat ("Cette position de Rouhi ne manquera pas de modifier – du fait de sa jeunesse et de son inexpérience – son regard sur l’amour au terme de ce périple d’un jour. Ce dernier ne sera assurément plus le même, et elle perd sans doute en chemin quelques illusions ainsi qu’une innocence."), ce n'est pas sur l'amour que son regard est modifié, mais sur la vie, et ce qui pousse les gens à agir. Elle aura peut-être juste appris qu'il faut se méfier des apparences, et même se méfier de ce qu'il y a derrières les apparences. Car une autre qualité de ce grand petit film, c'est qu'il ne juge aucun de ses personnages, au contraire d'Une Séparation qui les amoindrissait tous hormis les enfants et le vieillard. Lorsque les dévoilements de l'intrigue excusent les uns et accusent les autres, le regard de Rouhi continue à dessiner les contours de personnages sans petitesse, sans méchanceté, sans mesquineries autres que celles provoquées par leur situation affective.

Tout le monde aime voir dans les films de Farhadi des métaphores politiques, des condamnations de "la" société iranienne, des films qu'ils ne sont pas. La Fête du feu ne condamne en rien dans la société iranienne ce qui ferait sa spécificité, il n'a rien à voir avec le régime qui gouverne l'Iran, avec la religion ; et c'est cette idée-là de la critique politique que tout le monde y cherche alors qu'elle n'y est pas. Mais il montre avec bien plus de force qu'Une Séparation la violence du pouvoir des riches sur les pauvres, et donne aux pauvres de vrais armes pour s'y opposer, ce qu'Une Séparation leur refusait.

adeline

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Message par Invité Mar 18 Sep 2012 - 16:27

D'un autre côté, le président iranien actuel n'a pas été élu en se faisant passer pour un religieux, mais pour un prolétaire. Tandis que Khatami réformateur centriste c'était l'inverse, il ne pouvait pas avouer que son réformisme porté sur une idée oecunémique en dehors d'Iran ne touchait qu'une classe sociale à l'intérieur. Donc il faut voir sur le long terme ce qui est réellement refusé et accordé.

Les questions sur l'islam en France englobent les questions sur le prolétariat. Les lois sur la laïcité et les signes non-ostentatoires de religion dans les lieux liés à l’administration n'ont abouties qu'à installer un code vestimentaires qui indique la classe sociale de l'autre, le signe de la conscience qu'il a de sa position dans les écarts sociaux (et à faire prendre conscience que l'école est aussi une administration et non pas une émanation du corps social), précisément là où il n'y plus d'état, sans faire tomber la tension religieuse, au contraire.
Je me demande si ce n'est pas la même chose en Iran, mais inversée.

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Message par py Mar 18 Sep 2012 - 20:59

La fête du feu, ça me rappelle la très belle fin à double sens du film de Panahi, This is not a film. Une fête païenne ancestrale je crois, explosive, très peu prisée des autorités religieuses.
Et dans ce film-ci Adeline, quel rôle joue la fête du feu?
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Message par adeline Ven 21 Sep 2012 - 17:43

Hello py,

et bien, le film se déroule sur une journée, celle du Nouvel An iranien. Les gamins qui y font exploser des pétards durant la journée sont assez présents, agaçants comme ils peuvent l'être. Il y a une atmosphère de fin d'année, de bout du rouleau, c'est aussi la situation du coupe. Rouhi, elle, est tendue vers son mariage.

La fête du feu arrive dans le film à peu près aux trois quarts. Le mari doit raccompagner Rouhi chez elle. Mais il avait aussi promis à son fils de l'emmener s'amuser au parc pour cette fameuse fête, et, on ne l'apprend que peu à peu, il traine pour pouvoir se rendre à un rendez-vous d'amour. C'est une belle, forte séquence, tournée ai-je lu quelque part, dans des conditions réelles, c'est-à-dire que la fête du feu n'a pas été recréée. La voiture du mari arpente les rues de Téhéran. Il fait nuit, et des feux de joie explosent sur chaque trottoir, sur la chaussée, au milieu de la rue. Il faut contourner les pétards, les flammes, les hommes qui ne sont plus que des ombres en feu. Il y a un bruit fou, de l'agitation, des étincelles, de la fumée. Arrivés au parc, Rouhi et le petit garçon s'amusent à regarder les feux de joie, les étincelles, à faire exploser de pétard. Puis ils rentrent à la maison, et Rouhi se fait raccompagner. Arrivée là où elle habite, la fête n'existe plus, on est loin du centre ville, à la campagne presque, il y a encore de la neige. Je ne sais pas très bien si la fête du feu dans le film signifie quelque chose de précis, ou s'il faut juste la prendre comme un contexte. J'ai pas encore Ceci n'est pas un film, mais je l'ai enregistré, je vais essayer de l regarder.

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Message par Invité Mer 31 Juil 2013 - 21:12

adeline a écrit:

Rouhi est un des beaux personnages de cinéma que j'ai vus. .

vraiment même sentiment que toi sur ce point et beaucoup d'autres de ton texte. pour moi un film magnifique très différent de ce que notre imaginaire attend d'un film iranien. des problèmes existentiels contemporains traités et mis en scène d'une manière ultra rapide dans des plans quasiment inspirés, bien inspirés, de la comédie américaine. le film va d'abord à toute allure en milieu clos jusqu'à ce que l'intelligence de Roohi fasse des miracles, au delà de ce qu'elle attend puisqu'elle va contribuer de façon décisive à reformer le couple de ses patrons d'un jour chez qui elle fait moins le ménage qu'elle ne s'enquiert avec intérêt de sa situation de crise. elle va se marier, éducation oblige. à l'issue de cette journée oppressante, une longue séance de déambulation dans Téhéran, quasiment décontextualisée,  en tout cas flottante, à la fête du feu, infléchit par son rythme plus lent la tonalité du film. puis  bref retour de Roohi à sa condition bien réelle et attendue d'épousée. le film n'aura eu de cesse de faire son éducation de femme tout  en sous-tendant son propos d'un féminisme contrarié.
la toute fin, ce personnage de divorcé sorti des limbes, dans sa voiture veillant l'extinction des feux chez ses propres démons est de toute beauté. les hommes, pour le moins, sont malmenés.

je trouve que c'est quasiment un personnage rohmérien, pris dans la dialectique du mensonge et de la vérité (je ne parle pas là du déterminisme social évidemment).

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La fête du feu (Asghar Farhadi - 2006) Empty Re: La fête du feu (Asghar Farhadi - 2006)

Message par Invité Mer 31 Juil 2013 - 21:50

La fête du feu (Asghar Farhadi - 2006) 4T1Hs

Taneh Alidoosti (Roohi)

Farhadi aime filmer les beaux visages.

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La fête du feu (Asghar Farhadi - 2006) Empty Re: La fête du feu (Asghar Farhadi - 2006)

Message par Eluent Jeu 1 Aoû 2013 - 14:24

Vu mais je ne saurais dire pourquoi, dans l'ensemble oublié, bien que je me rappelle avoir apprécié.
D'Asghar j'avais particulièrement aimé A propos d'Elly, qui m'a rendu le visionnage d'Une séparation superfétatoire, je recommande et je sors c'est hors sujet.
Eluent
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La fête du feu (Asghar Farhadi - 2006) Empty Re: La fête du feu (Asghar Farhadi - 2006)

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