Mike Leigh : époque de la BBC

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Message par adeline Ven 2 Jan 2015 - 19:09

J'ai regardé récemment deux films de Mike Leigh réalisés pour la BBC. Il y aura certainement des liens à faire avec ce qu'Eyquem écrit sur Mr Turner.
Ce sont des films très difficile à appréhender, qui éclairent d'une autre manière les films de Mike Leigh (Another Year et Secret and Lies) que j'ai pu voir.
Ces deux films de la BBC que j'ai regardés sont Home Sweet Home (1982) et Hard Labour (1973).
On retrouve dans ces deux films télés la manière dont ML construit ses personnages. Ainsi, Mary, Ronnie et Ken, de Another Year, semblent les cousins des postiers et de leurs femmes, de Home Sweet Home.
La peinture de ces gens est âpre, parfois presque animalière, non caricaturale ou typique, plutôt profonde, comme on dit d'une entaille qu'elle est profonde. Les visages, les corps, les manières, les caractères sont appuyés, tracés violemment et avec force, douloureusement, de sorte que les personnages dévient peu de leur ligne. Le temps, les maladies, les tics déforment, reforment, modèlent profondément. Il est difficile de trouver ces personnages aimables, bien sûr, ni sympa, ni rien, en fait. Ce n'est pas du tout ce qui intéresse Mike Leigh, de faire aimer ses personnages, quelle idiotie. Ce qui est sous-jacent, c'est la manière dont la vie compresse certaines personnes, réduisant leur mode d'action, leur monde, leurs possibilités. Le travail, le couple, la misère. Le personnage principal de Hard Labour, Liz Smith, quelle est-elle ? Une idiote absolue, une simple d'esprit ? Faible et incapable d'autre chose que d'accepter la violence d'autrui sans la voir même ? Ou bien un esprit simple au contraire, une croyante qui prend la vie pour ce qu'elle est et dont la placidité serait une forme d'amour ? Ni l'une ni l'autre peut-être, mais une femme usée, détruite, malade, rendue esclave par la vie, bonne pourtant mais sans arme, sans possibilité d'action, sans levier. Ou encore autre chose.
On a parfois envie d'envoyer bouler les films et leurs personnages. Des êtres méchants, bourrés de tics insupportables, qui ne savent, dans un couple, qu'hurler sur leur conjoint, qui se trompent, vivent des vies mesquines et étriqués.
Puis on se prend à ressentir une empathie démesurée à leur égard, empathie devant le manque, le vide, la misère dont on sait très bien qu'ils ne sont pas les premiers responsables, s'ils le sont jamais.
La misère est partout, elle est surtout affective, culturelle et sociale.
Dans Hard Labour, deux personnages sont absolument détestables, les deux petites bourgeoises qui ne travaillent pas, des esclavagistes absolues, mesquines, aigries, mauvaises. Celles-là n'ont pas hérité la bassesse de leur caractère d'une vie de dur labeur. Dans Home Sweet Home, ce sont peut-être les deux assistants sociaux qui sont les plus agaçants, finalement. Moins détestables que certains autres personnages, mais à l'égal de Mary dans Another Year, la manière dont ils n'entendent absolument rien de la souffrance à laquelle ils sont confrontés est insupportable, aussi différents l'un de l'autre soient-ils.

Quelle idée se faire du cinéma de Mike Leigh à l'aune de ces deux films forts dans leur âpreté ? Ce que le quotidien fait aux gens est important. La cuisine si étroite, la manière dont il faut pousser un siège pour arriver à la porte, la disposition des pièces, l'aspirateur qui gêne, un cinéma des gestes et des lieux. Etriquées sont les vies car étriqués sont les lieux. La vie n'est que le quotidien, s'y réduit, doit s'y résoudre peut-être. Même le week-end, les congés, s'engluent dans les mêmes impossibilités d'échapper aux engueulades de la belle-fille acariâtre, de l'amie pas si aimante. Des vies sans perspective, sans échappés, sans ouvertures, où il fait gris et où même la promenade en campagne n'aide pas car le souffle manque…

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Message par Eyquem Sam 3 Jan 2015 - 8:38

Hello Adeline,
Breaker avait créé un topic pour parler de ses films BBC:
https://spectresducinema.1fr1.net/t1579-hard-labour
Wink
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Message par adeline Sam 3 Jan 2015 - 11:45

Ah j'avais pourtant fait une recherche avant de poster ! Merci Eyquem. Malheureusement, breaker est une forme de spectre pour ce forum, il passe son temps à s'inscrire puis se désinscrire, il faudra désormais l'appeler "l'invité".

Il y a du juste dans ce qu'il dit, par contre la manière de plaquer la question de la nature et de la grâce des discussions sur "The Tree of Life" sur ce film de Mike Leigh n'est pas le plus heureux pour approcher le film. Il est sûr que la religion est importante, peut-être la grâce également, mais pas dans les mêmes termes, à mon avis. Il n'y a pas deux voies dans le film, l'une que suivrait le personnage principal et l'autre que suivrait son mari, ou les autres personnages. Tous, hormis les deux horribles bourgeoises qui ne travaillent pas, subissent une même violence, en plus de vivre dans un milieu pauvre, c'est la violence du travail. La question n'est pas tant celle de la grâce que de la possibilité de réagir à la manière dont le travail opprime. Certains hurlent, et oppriment à leur tour l'être le plus proche. D'autre disparaissent peu à peu s'ils ne trouvent pas le chemin de la révolte, et c'est ce qui risque d'arriver à la dame.

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Message par adeline Dim 4 Jan 2015 - 20:18

"Réalisme" (esthétique) : conception de l'art qui lui donne pour objet la représentation fidèle du réel, même dans ce qu'il a de laid ou d'horrible.

Sur la fiche wikipedia sur Mike Leigh, il est écrit "Avec son compatriote Ken Loach et les frères Dardenne, il est considéré comme celui qui a renouvelé, sur le plan thématique, narratif et esthétique, le cinéma social européen dans les années 1990".

Qu'est-ce que le cinéma social européen ?
Mike Leigh, Ken Loach et les Dardenne sont esthétiquement plus proches du réalisme. Marrant, "réalisateurs" et réalisme", c'est la même racine. D'où vient le fait qu'on appelle le "filmmaker", "director" ou "Filmregisseur", "réalisateur", en français, plutôt que "metteur en scène"d'ailleurs ? Il le rend le film, réel. Rien à voir avec le courant esthétique "réalisme", donc. A priori.

Quand j'ai vu "Le Guépard", de Visconti, j'étais jeune, c'était avec ma mère. A cette époque, elle en connaissait plus que moi en cinéma. Elle cherchait à faire le lien entre le Visconti du néo-réalisme et celui du "Guépard". Elle trouva : c'était le plan, lors du bal, de la pièce aux pots de chambre. Pour ma mère, le réalisme, c'était le scabreux, le réel "même dans ce qu'il a de laid ou d'horrible".

Cinéma social et réalisme se confondent-ils ? C'est quoi, le cinéma social ?

À lire :

http://www.sabzian.be/article/jean-vigo-vers-un-cin%C3%A9ma-social

http://www.cairn.info/revue-mouvements-2004-1-page-107.htm

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Message par wootsuibrick Lun 5 Jan 2015 - 10:03

adeline a écrit:D'où vient le fait qu'on appelle le "filmmaker", "director" ou "Filmregisseur", "réalisateur", en français, plutôt que "metteur en scène"d'ailleurs ? Il le rend le film, réel. Rien à voir avec le courant esthétique "réalisme", donc. A priori.
Il me semble qu'il était question de ça dans un autre post, avec Borges.
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Message par adeline Lun 5 Jan 2015 - 20:11

"Vous pensez bien que nous n’allons pas ensemble découvrir l’Amérique", Jean Vigo. C'est évidemment ce que vous avez compris également de ce que je commence à écrire ici… On s'en fout.

Merci Woot, je me disais bien en l'écrivant que ça me disait quelque chose ! Je ne retrouve plus le passage. Borges, te souviens-tu où c'était ?

Vigo donne du "cinéma social" cette définition : "films traitant de la société et de ses rapports avec les individus et les choses". Plus synthétiquement, faire un cinéma social pour lui est faire un cinéma qui ne soit ni du divertissement, ni de l'art pour l'art. Puis il fait évidemment, le lien avec le documentaire :
Jean Vigo a écrit:Mais je désirerais vous entretenir d'un cinéma social plus défini, et dont je suis plus près : du documentaire social ou plus exactement du point de vue documenté.
Dans ce domaine à prospecter, j'affirme que l'appareil de prise de vues est roi, ou tout au moins président de la République.
Je ne sais si le résultat sera une œuvre d'art, mais ce dont je suis sûr, c'est qu'il sera du cinéma. Du cinéma, en ce sens qu'aucun art, aucune science ne peut remplir son office.
Le Monsieur qui fait du documentaire social est ce type assez mince pour se glisser dans le trou d'une serrure roumaine, et capable de tourner au saut du lit le prince Carol [3] en liquette, en admettant que ce soit spectacle digne d'intérêt. Le Monsieur qui fait du documentaire social est ce bonhomme suffisamment petit pour se poster sous la chaise du croupier, grand dieu du Casino de Monte-Carlo, ce qui, vous pouvez me croire, n'est pas chose facile.
Ce documentaire social se distingue du documentaire tout court et des actualités de la semaine par le point de vue qu'y défend nettement l'auteur.
Ce documentaire exige que l'on prenne position, car il met les points sur les i.
S'il n'engage pas un artiste, il engage du moins un homme. Ceci vaut bien cela.
L'appareil de prise de vues sera braqué sur ce qui doit être considéré comme un document, et qui sera interprété, au montage, en tant que document
Bien entendu, le jeu conscient ne peut être toléré. Le personnage aura été surpris par l'appareil, sinon l'on doit renoncer à la valeur "document", d'un tel cinéma.
Et le but sera atteint si l'on parvient à révéler la raison cachée d'un geste, à extraire d'une personne banale et de hasard sa beauté intérieure ou sa caricature, si l'on parvient à révéler l'esprit d'une collectivité d'après une de ses manifestations purement physiques.
Et cela, avec une force telle, que désormais le monde qu'autrefois nous côtoyions avec indifférence, s'offre à nous malgré lui au delà de ses apparences. Ce documentaire social devra nous dessiller les yeux.

Pas de lien dans ce que dit Vigo avec le réalisme, ou la réalité. Il n'est question que d'un cinéma "documenté", dont la définition tient en un mot : point de vue. On est proche de Godard aussi, évidemment.

Cependant, dans la conception la plus banale du "cinéma social", au sens de la présentation de wikipedia, le réalisme et la réalité semblent tout de suite inclus.
Il y aurait comme une sorte d'obligation : tout cinéma réaliste serait social, tout cinéma social serait en même temps réaliste ? Ben évidemment, c'est faux.

Par exemple, lorsqu'on découvre un film de Mike Leigh, puis un autre, on se dit, ce mec vient forcément du documentaire. Raté. Il vient du théâtre, son travail le plus intense se fait dans l'improvisation avec ses acteurs, il se réclame plutôt de Beckett. Absurde réalité.

J'ai l'impression de chercher à démêler une pelote de laine emmêlée que d'autres on déjà tricoté intégralement des dizaines de fois !

Ce qui se rattache au réalisme dans le cinéma :
le réalisme poétique ; le néo-réalisme, mais je me suis toujours demandé pourquoi "néo", alors qu'il n'y pas d'"ancien" réalisme en cinéma ; d'autres courants "étiquetés" ?, non, pas vraiment en français, il faudrait alors caractériser les auteurs (Pialat, etc.) ; j'imagine qu'il y a aussi des mouvements "réalistes" dans d'autres cinématographies, qu'on connaît moins (par exemple, Mike Leigh dépend aussi de ce mouvement : kitchen sink realism)

Maintenant, tout ce autour de quoi je tourne est aussi résumé sans doute là, qu'on pourra lire avec évidemment plus d'intérêt que ce que j'écris :
http://www.artcinema.org/article35.html

adeline

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